france culture émission « terre à terre
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1 FRANCE CULTURE ÉMISSION « TERRE À TERRE » Ruth Stégassy Samedi 21 septembre 2013 INTRODUCTION « Terre à Terre », Le Magazine de l’Environnement À l’occasion du 15e anniversaire de l’émission, retour sur des thèmes déjà traités et des personnes rencontrées : ainsi, souvenez-vous, c’était en 2000, à Salsigne. La mine d’or qui était en train de fermer ou de ne pas fermer... ». Jean-Claude Thomas, agriculteur « Je me suis installé en 1962. J’avais 3 hectares et demi de terres maraichères et j’ai commencé à faire des légumes, des asperges, des salades... Une culture maraîchère, donc, qui marchait très bien. Mais la proximité du site industriel de Salsigne, avec son activité économique qui est quand même le traitement de l’or, et son minerai qui contient beaucoup d’arsenic, m’ont posé beaucoup de problèmes. Quand j’arrosais, j’avais mes salades qui étaient grillées, j’avais une mauvaise germination et, en 1970, il y a eu sur un village voisin, à Villaliers, un accident : une personne qui « faisait » des veaux a en perdu une vingtaine ; il y a eu une dame qui est décédée ; il y avait des gens qui avaient de l’eczéma sur les jambes et sur les mains. Et l’on s’est aperçu que la commune de Villaliers faisait boire son eau [à ses habitants], que son puits avait été pollué par l’arsenic et, automatiquement, que tout le village buvait de l’eau arséniée. Et c’est à ce moment là qu’il y a eu l’accident... » Robert Montané, mineur à la retraite « On sait très bien que, politiquement, il y a des gens qui veulent voir mourir toutes les mines d’ici 2005. Il y a une orchestration qui se fait quelque part. Que la mine vive en travaillant proprement et elle pourra produire de l’or ! Vous pourrez acheter vos téléphones portables et vos ordinateurs car n’oubliez pas qu’il faut de l’or pour faire marcher ces machines. Si l’on vous supprime, au CNRS, tous vos ordinateurs, vous aurez du mal. Si vous revenez au stylo bille pour faire vos fiches, il vous faudra beaucoup plus de temps ». 2 R. S. - Bonjour, Robert Montané, comment ça va depuis 13 ans ? Moi ? Ça va. J’ai quelques collègues au cimetière depuis 13 ans... En 2006, j’en avais marre de sortir le drapeau... R. S. - Pourquoi ? Il en avait beaucoup qui mourrait ? Une bonne dizaine... R. S. - Ils sont morts de quoi ? Des suicides... Et puis, on en a eu pas mal qui sont partis, bouffés pas le « crabe », le cancer, entre 46 et 60 ans. I. Entretien avec Frédéric OGÉ Chargé de recherches au CNRS R. S. - Frédéric Ogé, nous étions venus en 2000 dans cette région de la Montagne Noire à l’occasion de journées que vous organisiez pour le CNRS, des journées de rencontres entre les différents protagonistes d’une histoire longue, douloureuse, difficile, celle de la fermeture - ou pas - des mines d’or de Salsigne. Des mines qui, depuis 200 ans, faisaient vivre une partie de la population mais faisaient aussi pleuvoir de l’arsenic en quantités absolument immenses. Treize ans ont passé et, aujourd’hui, j’aimerais qu’on voie avec vous comment la situation a évolué. Mais, peut-être, avant de voir l’évolution de cette situation, pourriez-vous nous décrire les lieux. Vous les faites assez volontiers visiter, cela ne se fait pas à pied, il faut prendre une voiture. C’est un cadre immense dont on parle... F. Ogé - Oui, l’ensemble du territoire concerné par les mines d’or de Salsigne représente plus d’un millier d’hectares, dispersés. En fait, tout cela est étalé sur environ 2000, 2500 hectares. Les populations concernées sont regroupées dans plusieurs villages ou hameaux et donc, on a un territoire qui est immense et il faut aller sur des points de vue pour voir tout cela. Et effectivement, lorsque j’emmène des étudiants sur ce terrain maintenant, ils sont quelque part un petit abasourdis quand je leur explique ce que c’était, ou quand que je leur montre les photos de ce que c’était, en 1995, par exemple, lorsque tout cela était encore en activité. Sur les 75 hectares de ce qui était l’usine de La Combe du Saut, il n’y a plus rien. Ce qui était la plus haute cheminée d’Europe a disparu. L’ensemble des bâtiments a été entièrement rasé, détruit. Les villages, les espèces de corons qui avaient été construits pour les populations immigrées qu’on avait fait venir par vagues successives (il y a eu les Espagnols, les Italiens, les Polonais, deux villages kabyles, des gens qui en quelque sorte ont été déplacés, que l’on a « fait venir » volontairement, pour venir travailler à la mine), tout cela a été entièrement rasé et on a essayé de remodeler, en quelque sorte, le paysage au moment, non pas de la dépollution de ce site, car la dépollution est absolument impossible, mais de la mise en sécurité du site de façon à ce que l’arsenic rejeté par le site le soit à des doses « relativement acceptables », c’est-à-dire entre 2 à 3 tonnes d’arsenic par an – quand même ! – qui sont rejetées par ce site et cela va durer des milliers d’années. 3 Donc, on a maintenant un paysage que l’on voit de l’endroit où vous m’avez emmené, qui est immense, totalement restructuré. On ne peut imaginer que ce que l’on voit en face de nous, c’était une vallée il y a 150 ans. Maintenant, on a 70 mètres d’épaisseur de débris recouverts avec une petite couche d’argile et un essai de revégétalisation. On a d’autres zones où l’on a des centaines, des milliers de tonnes de mélange d’arsenic, de cyanure et autres produits divers qui occupent ce qui était une vallée. R. S - Là, ce sont des collines... F. Ogé - Voilà ! Maintenant ce sont des collines sur lesquelles tout doucement, très lentement, la végétation est en train de repousser dans la mesure où elle ne sera pas plus tard, lorsque la mémoire va disparaître, détruite par les passages de motos cross ou de quads qui commencent, ou bien par ce que l’on appelle, en région méditerranéenne, un « abat d’eau ». Il est évident que s’il tombe là-dessus 600 millimètres d’eau en 24 heures, nous aurons une catastrophe ! R. S - Avant d’en arriver là, c’est même déjà étonnant de voir une maigre végétation pousser sur ce terreau d’arsenic et de cyanure. F. Ogé - Oui, il y a eu un gros travail réalisé par l’Ademe. Ce que l’on voit devant nous, il faut quand même en avoir conscience, selon les chiffres, c’est un minimum de 34 millions d’euros venant de la poche du contribuable français - certains disent 55 millions d’euros -, qui ont été dépensés pour tenter de redonner un autre visage à ce territoire. Mais il n’y a pas qu’une préoccupation esthétique, il y a aussi une préoccupation de protection de la santé humaine. Donc l’Ademe a tenté de revégétaliser ce territoire. Par exemple, on a implanté 30 tonnes de ferraille de fer à l’hectare pour, grâce à un mélange savant, permettre à un certain type de végétation d’essayer de revenir sur ce terrain et, s’il n’y a pas d’accident, incendie ou inondation catastrophique, peut-être que dans 20 ans, 30 ans nous aurons un semblant de végétation sur ce territoire qui est, quelque part, encore décharné pour ne pas dire stigmatisé. R. S - Vous parlez d’argent public, Frédéric Ogé, mais ces mines n’étaient pas nationalisées... F. Ogé - On est dans une ambigüité totale parce que l’on parle de la mine d’or de Salsigne mais, en fait, Salsigne c’était de l’arsenic. La production clé, c’était l’arsenic. C’était 10 % de l’arsenic produit dans le monde ! L’arsenic est un produit qui sert dans l’industrie, par exemple pour la fabrication du verre, pour obtenir la blancheur du verre. Donc, à une époque, une partie des produits de Salsigne partait en Angleterre pour des verreries anglaises. Mais l’arsenic, c’est aussi les gaz de combat, c’est aussi l’agent orange de la guerre du Viêt-Nam. Une partie des « produits » utilisés au Viêt-Nam venait aussi de Salsigne. Donc, c’est tout cela. Ce n’est pas que l’or. Il y a aussi du bismuth, de l’argent, du cuivre. Il y avait une quantité très importante de produits qui étaient générés par ce site. Donc, cet ensemble représentait un potentiel industriel qui a été important et qui, il faut le dire aussi, a fait vivre cette région et ce département pendant un certain temps. Et cet argent a été, en quelque sorte, destiné d’une part à des intérêts privés, d’autre part à des intérêts publics puisqu’il y a eu une alternance d’interventions du secteur privé et du secteur public sur ce territoire en 4 fonction des aléas de l’économie. En général, lorsqu’il y avait du bénéfice à faire, c’était le secteur privé. En général, lorsqu’il y avait des pertes à éponger, c’était le secteur public. C’est quelque chose qui n’est pas très étonnant en France. R. S. - Vous parlez de territoire stigmatisé mais, quand on vous écoute, on se dit qu’il y a une forme de destinée... L’arsenic était déjà là. Le bismuth était déjà là... Donc est-ce que ce territoire, ce paysage que nous voyons et que vous nous avez décrit (et d’ailleurs c’est assez curieux : là où on voit des collines, en vérité c’étaient des vallées et là où il y a aujourd’hui des vallées, il se dressait des cheminées, des villages entiers), donc ce paysage véritablement chamboulé, retourné, bouleversé, est-ce qu’il a été abimé ou seulement transformé ? Est ce que le drame de Salsigne était contenu par les lieux ? F. Ogé - Ce type de paysage, il faut aussi le relativiser. C’est-à-dire que l’on a eu ce type de modifications tout le long des Cévennes. Si l’on va à Saint-Laurent Le Minier, à SaintSébastien d’Aigrefeuille, à Saint-Félix de Pallières et bien d’autres sites de cette nature qui pourraient être nommés, on a aussi ces modifications sauf qu’ici, cela a été à une échelle un peu plus importante. Mais effectivement, certains pourront estimer que ce territoire est esthétiquement plus beau qu’il ne l’était avant, d’autant plus qu’ils n’ont pas connu le territoire naturel du début du 19e siècle bien évidemment. Il est ce qu’il est. On ne peut plus le changer. Il faut vivre avec. Et les populations qui vivent là, elles aussi, ont dû s’habituer à vivre avec même si, effectivement, des corons ont été entièrement rasés, effacés de la mémoire et que l’on n’a plus que des photos et des livres souvenirs. R. S. - Ma question concernait le danger qui était inscrit dans ce territoire... F. Ogé - Le danger était là comme sur beaucoup d’autres territoires. L’arsenic était dans la gangue rocheuse comme tous les autres minerais : le plomb, le cuivre, l’étain. Tout cela était là depuis des dizaines de millions d’années. Cet arsenic, on l’a aussi sur d’autres parties du territoire. On le retrouve en Limousin, en Bretagne, là où nous avons un socle hercynien et, en général : là où il y a de l’or, il y a de l’arsenic ; là où il y a de l’arsenic, il y a de l’or. Le problème est que cet arsenic a été extrait, modifié en quelque sorte, et là, il était pris dans une gangue et le traitement a été tel, vu les différents procédés (que ce soit l’hydrométallurgie ou la pyrométallurgie), que cet arsenic se retrouve à des doses infiniment plus importantes qu’elles ne l’étaient naturellement. De plus, il y a des produits qui ont été importés sur ce territoire. Des nitrates de plomb, par exemple, et bien sûr du cyanure qui ont été apportés à certaines périodes de l’exploitation pour pouvoir extraire les métaux qui présentaient un intérêt économique. On peut citer l’or mais il y avait aussi la production de cuivre, celle de bismuth qui, à un moment donné, représentait quelque chose d’important. Donc, et c’est la même chose ailleurs, c’est très différent entre ce que nous avons là naturellement qui va être en quelque sorte distillé très lentement par la pluie qui va passer à travers la roche et qui va ressortir sous forme d’eau de source ou dans un aquifère 5 ou 20 kilomètres plus loin, on aura une dose d’arsenic très différente de l’arsenic qui va être généré du fait d’une exploitation industrielle qui a lieu là R. S. - Le futur que vous employez, c’est parce que cela risque d’arriver ou bien est-ce que la mise en sécurité n’est pas si complète qu’on pourrait le souhaiter ? 5 F. Ogé - La mis en sécurité ne peut pas être complète parce qu’il faut penser la gestion en termes d’intérêts publics. Je pense que la question qui se pose au niveau de l’État est de savoir si l’on peut mettre des dizaines de millions d’euros pour essayer de mettre en sécurité un site comme celui de Narteau, bien connu des populations locales et où l’on a eu une exploitation minière dans les années 1920-1930. Cela représente un tel coût pour mettre sous cocon ce site que je pense que, au niveau de l’État, on réfléchit très longuement avant de dépenser des crédits parce que le problème est de savoir comment gérer la pénurie de crédit. Si on met de l’argent à Narteau, on ne peut pas le mettre sur un quartier difficile du côté de Marseille ou de Lyon et je crois qu’il y a un choix qui est fait. Il faut sacrifier telle ou telle population. C’est ce qui est fait pour la région de Salsigne. R. S. - Choix économique mais peut-être aussi impasse technique. Est-ce que véritablement on peut confiner des centaines de milliers de tonnes de poudre d’arsenic, de cyanure ? Il y a cette petite rivière que vous nous avez montrée hier... F. Ogé - Cette rivière qui peut sembler très belle. Pour laquelle on n’a d’ailleurs aucun panneau avertissant qu’il ne faut pas se baigner ou aller tremper les pieds. Les populations locales savent qu’il faut faire attention mais quelqu’un qui passe en touriste ne sait pas. Donc, là, il y a quelque part un danger. R. S. - Qu’est-ce qu’il devrait savoir ? F. Ogé - Il devrait savoir qu’on est avec des eaux qui sont très acides. Dans certains cas, des cours d’eaux affluents de la vallée de l’Orbiel ont présenté des ph de 1,5 ou 2, ce qui est vraiment déjà très impressionnant. Cela n’est pas le cas actuellement mais, en fonction des aléas météorologiques, on peut avoir des variations très importantes dans la qualité de l’eau de la rivière selon qu’il fait très chaud, très sec ou, au contraire, selon qu’il pleut énormément pendant 48 heures. Donc, cette rivière peut présenter des eaux très claires et puis des eaux totalement rouges sang. Je pense à un secteur comme le béal de Sindilla où, cet hiver, on a trouvé des taux d’arsenic qui étaient catastrophiques. Donc, c’est en fonction de la météo que la qualité de l’eau va évoluer. Toujours est-il que cette eau, officiellement, n’est plus utilisable pour l’alimentation des populations ou bien pour irriguer les cultures. II. Entretien avec Max Brail Maire de Lastours(Aude) R. S. - Max Brail, quand on s’était rencontrés, vous nous aviez raconté votre parcours. Vous étiez entré très jeune, à 14 ans, à la mine de Salsigne. Vous aviez parlé de toutes ces années de travail, la façon dont vous étiez passé de poste en poste et puis il y a eu ce moment où vous avez dit quelque chose qui n’a pas plu et vous avez été renvoyé. À l’époque, les choses étaient très tendues. Il y avait autour de cette mine, de ce complexe minier, une très grande difficulté à ce que les choses soient dites, à ce que les discussions prennent 6 langue. Aujourd’hui, 10 ans sont passés. Où en est-on ? Je me souviens que l’on essayait encore de sauver cette mine... M. Brail - Aujourd’hui, après 10 ans, on se rend compte que l’on peut oublier certaines choses. On se rend compte qu’avec le temps beaucoup de choses s’effacent, soit parce que le temps est là, soit parce que l’homme a une mémoire sélective qui, pour qu’il puisse avancer, l’oblige presque à oublier son passé. Moi je ne voudrais pas que l’on oublie le passé car c’est parce qu’il y a un passé que l’on peut tenter de construire un avenir. Les problèmes de Salsigne, je les ai vécus de plein fouet, comme je l’avais expliqué en 2003. J’avais retrouvé un travail mais j’avais aussi vécu cette expérience que personne n’aimerait vivre ou que personne ne devrait vivre dans sa vie professionnelle - le licenciement sec -, avec le traumatisme d’avoir, qui plus est - car j’avais dénoncé des choses qui ne font pas plaisir - des gens qui étaient de votre côté et qui se retrouvent, du jour au lendemain, opposants et même virulents. Aujourd’hui, avec le recul, des gens ont repris le travail, ont retrouvé des emplois et certains mêmes, quand ils me rencontrent, me disent : « quelque part, tu nous as sauvé la vie ». Je ne sais pas si je leur ai sauvé la vie. Je n’ai aucune prétention de ce côté là. J’ai simplement essayé de rester moi-même comme je le suis depuis bientôt 60 ans... Je dis bien, ce n’est jamais facile et c’est même quelque chose de traumatisant que de prendre certaines décisions... R. S. - Lesquelles par exemple ? M. Brail - Par exemple, quand j’ai dénoncé la pollution autour de Salsigne. R. S. - Vous étiez déjà maire à l’époque ! M. Brail - J’étais déjà maire. J’avais la double casquette de l’employé et de l’élu responsable. Et aujourd’hui, on sait très bien ce que cela veut dire. On aurait pu me reprocher « tu ne t’es pas engagé parce que tu avais ta place de maire mais tu avais ton emploi derrière ». Non, je n’ai pas regardé mon emploi. J’ai regardé ma conviction avant tout et ma responsabilité d’élu qui doit être au service de ses concitoyens et, surtout, dans sa mission de protection. Et aujourd’hui, on se rend compte de tout ce qu’il a fallu développer comme force, comme puissance, comme conviction, comme combat pour essayer de soigner cette plaie laissée par l’industrie, plaie qui est toujours présente, notamment dans l’Orbiel avec de l’arsenic qui continue à couler et à partir inexorablement vers l’aval de la vallée et vers le village de Conques et l’embouchure de l’Aude. R. S. - Qu’est-ce qu’on a pu faire ? Qu’est-ce que l’on a réussi à faire ? M. Brail - On a réussi à confiner la pollution. Les services de l’État nous ont souvent parlé de « dépollution »... Non, non, la pollution, elle est là ! Il y a en gros 11 millions de tonnes avec deux sites particuliers : le Pech de Montredon, avec 2 millions de tonnes de déchets dont environ 18 % de soufre et d’arsenic (plus le cyanure à l’intérieur) et puis, cerise sur le gâteau, le démantèlement des anciennes installations SEPS qu’on a confinées dans des alvéoles que j’espère le plus sécuritaires possible - mais c’est difficile à vérifier -, toute la démolition de Salsigne avec tous les déchets qui avaient été apportés de l’extérieur pendant 7 des temps heureusement courts car la SEPS avait eu à sa tête des apprentis sorciers qui ont créé des formulations que même aucun ingénieur ne pourrait inventer aujourd’hui. R. S. - C’est-à-dire ? M. Brail - Il y a eu des mélanges de produits détonants. Parce que Salsigne, c’est aussi une histoire. Salsigne, pendant des années, ça a fait vivre des gens qui se sont côtoyés. C’étaient des viticulteurs qui avaient leurs lopins de terre, qui travaillaient à la terre. On extrayait la terre de notre montagne et on la traitait sur place. On supportait une certaine pollution. On le savait qu’il y en avait. Il ne faut pas dire que cela n’existait pas. Mais c’était notre terre et, comme partout quand c’est votre terre, vous y êtes attachés et vous en supportez souvent les conséquences, surtout quand elles vous font vivre. Là où cela ne fonctionne plus, c’est quand on vous amène des choses que plus personne ne veut et qu’on essaie de vous faire croire que c’est pour votre bien qu’on veut le faire... R. S. - C’est-à-dire qu’en fait, la SEPS avait décidé de faire de Salsigne une décharge, un lieu d’incinération de produits extrêmement dangereux qui venaient de partout. M. Brail - Tout à fait ! C’étaient des produits dont on ne connaissait pas tout à fait la provenance, et même si on la connaissait, on la cachait ! C’étaient des époxys, c’est-à-dire des déchets de décodeurs, c’étaient des plaquettes de cuivre, des plaquettes de divers produits plastiques... R. S. - C’est cela que vous aviez dénoncé ? M. Brail - Oui ! C’est tout ça que j’ai dénoncé. C’était la mise en danger. Il était impossible de continuer dans ces conditions-là sachant que le four, qui était un four bien particulier, devait être transformé en incinérateur alors qu’il n’était pas du tout prévu pour ça ! Et l’on sait incinérer tout et n’importe quoi. Le gros problème, ce sont les rejets. Et aujourd’hui, on sait que l’on pourrait incinérer mais ce qui coûte le plus cher, ce sont les filtrations ! C’est là qu’on limite les moyens ! R. S. - Donc ce projet-là a été abandonné. Je me souviens que l’Ademe devait financer la restauration du site aussi. M. Brail - L’Ademe a eu pour mission de prendre en charge quelque chose qui n’était pas un « beau bébé » - c’était même très, très pollué ! Les gens de l’Ademe ont eu en charge de démanteler l’ensemble des installations. Mais ce qui est malheureux dans ce pays, c’est que, la plupart du temps, tout le monde sort des mêmes écoles et, ensuite, se partage les différentes directions. Donc, on se connaît à la base et, quand on se connaît, on sait ce qu’on a fait avant et il est toujours difficile ensuite [d’agir], même si on tente de le faire. Et on le voit avec l’Administration, la Drire à l’époque, la Dreal aujourd’hui, qui écrit des textes magnifiques, des arrêtés. Tous ces arrêtés, quand vous les lisez, c’est une perfection ! Le gros problème, c’est que ce n’est quasiment jamais appliqué et, à Salsigne, il a même fallu prendre des arrêtés pour faire arrêter les arrêtés qui étaient en vigueur et qui devaient être là pour nous protéger. C’est là l’aberration ! Et, quand vous le leur dites, ils se vexent. Bien entendu que c’est vexant quand on entend tout ça. Mais, ces gens là, que je sache, ils sont 8 salariés, ils ont des responsabilités, des missions, et je trouve absolument anormal que la mission ne soit pas remplie jusqu’au bout. Cela veut dire qu’après, il a fallu que l’on utilise de nouveau de l’argent public pour pallier ce qui, par le biais de l’argent public, devait servir à dépolluer. Donc, on met de l’argent public pour soi-disant dépolluer mais il a fallu remettre de l’argent public pour pallier ce qu’on avait engendré de pollution pendant le peu de fonctionnement. R. S. - Mais alors, qu’est-ce qu’on a fait ? Parce que tous ces produits entrants comme vous les appelez, ils sont entrés. Ils sont restés ici ? M. Brail - Oui ! Et ils sont là. Ils sont enterrés. Ils sont tout simplement dans l’alvéole sécuritaire. Pour certains, pour certaines quantités où il y avait traçabilité, ils ont été renvoyés. Mais tous ceux qui n’avaient pas de traçabilité sont restés en cadeau d’héritage pour la fin des installations. R. S. - Ils sont signalés d’une manière ou d’une autre ? M. Brail - Écoutez, je pense que c’était tellement en vrac que les responsables de l’Ademe, de la Dreal et les divers services et des entreprises qui ont travaillé là-dedans, ont eu.... (pause). Il faut voir les protections que l’on a fait utiliser aux salariés [intervenus dans la réhabilitation du site] et que nous n’avions même pas lorsque les installations fonctionnaient. Ces protections étaient de vrais scaphandres - ce qui a été très bien pour eux et je peux comprendre qu’on ait mis le moyens pour protéger leur santé et j’applaudis à la façon dont cela s’est fait -, elles ont été prises alors qu’ils travaillaient à l’air libre tandis que nous, quand nous étions dans des installations fermées, nous n’avions même pas, la plupart du temps, ou des gants ou des masques. Il y avait un tel risque que, là, on n’a pas voulu en prendre davantage ou en faire prendre davantage. Cela, c’est bien au niveau de la santé des gens qui ont travaillé, qui avait cette mission qui était une mission complexe et compliquée. Là, je dis : « oui, vous avez fait votre boulot ». Maintenant, je pense qu’on n’aurait pas dû avoir à prendre toutes ces initiatives si les choses avaient été bien faites au départ. R. S. - Bon, on a compris que les choses n’avaient pas été bien faites au départ. La vraie question c’est : quelle suite ? Vous avez parlé de cette alvéole qui est en fait seulement recouverte et où il n’y a pas véritablement d’information, de signalisation. Ces produits, vous pensez qu’ils ont été enterrés de manière correcte, qu’il n’y a pas de risque de percolation ? M. Brail - Enterrés de manière correcte, je pense que les entreprises qui avaient la mission ont fait correctement leur travail Dans le temps, qu’est ce qui se passera ? Nul ne le sait. Et moi, quand on me dit « ne vous faites pas de souci », je veux bien. Je ne suis pas d’une nature soucieuse mais je sais que, pendant un certain temps, nous avons une responsabilité et que nous allons ensuite transférer à nos enfants et petits-enfants un héritage. Cet héritage j’aimerais le transférer le moins moche possible. C’est loin aujourd’hui d’être le cas. Donc des garanties, personne ne pourra nous en donner complètement. Et ce qui est malheureux - et c’est là qu’on joue sur la mémoire sélective des gens -, c’est que l’on tente de minimiser et de faire oublier ce qu’il y a eu. 9 III. Entretien avec François ESPUCHE Président de l’Association des Gratte Papiers R. S. - François Espuche, vous n’êtes pas d’ici. Vous avez acheté un château en ruine. F. Espuche - J’ai acheté des bâtiments qui étaient en très mauvais état en 2004 mais nous n’étions absolument pas informés des problèmes qui existaient dans le coin. On savait qu’il y avait des mines d’or, qu’elles fermaient, mais ce qu’on ne savait pas, c’est qu’avant d’être des mines d’or, c’étaient des mines d’arsenic. R. S. - Ce n’était pas dit ? F. Espuche - Ce n’était pas dit, ce n’était pas écrit, cela n’a pas été demandé mais, par contre, les pouvoirs publics et tous les autochtones savaient. Ceux qui étaient ici n’avaient absolument rien à me dire mais les pouvoirs publics avaient effectivement des mesures à prendre – mesures qu’ils ont prises par la suite –, mais s’ils les avaient prises en temps voulu, on n’en serait pas là. Maintenant, lorsqu’on vend, on doit signaler par acte notarié qu’il y a des risques de contamination des sols et, bien sûr, les acheteurs sont refroidis. Personne ne va acheter quelque chose avec des risques... R. S. - C’est-à-dire que vous ne pouvez plus revendre ? F. Espuche - On ne peut plus revendre. R. S. - Vous voudriez partir, vous ? F. Espuche - Ah oui ! Nous, on voulait faire du jardin, avoir des chambres d’hôtes avec de la restauration, des produits qu’on aurait cultivés nous-mêmes. C’est absolument impossible. Il y a même des arrêtés préfectoraux qui interdisent la mise sur le marché des produits issus de la vallée de l’Orbiel. Donc, c’est carrément impossible ! R. S. - Vous avez dû tomber de haut ! F. Espuche - On est tombés de haut, oui, mais pas directement. Parce que l’on ne nous l’a pas dit du jour au lendemain. C’est un journal, La Dépêche, qui en 2006 a étalé à sa une qu’il y avait 15 000 personnes qui étaient exposées à un risque supérieur de cancer. C’est cela qui a mis le feu aux poudres concernant la pollution. Il faut reconnaître que s’il n’y avait pas eu le problème du projet de décharge, peut être que le problème de pollution serait resté camouflé... R. S. - Alors, qu’est-ce que c’est que ce projet de décharge ? F. Espuche - Le projet de décharge, c’est... Il ne faut pas se cacher derrière notre petit doigt. Derrière tout ça, c’est une instance politique - en l’occurrence le parti socialiste -, qui veut absolument imposer un projet de décharge d’ordures ménagères pour stocker 4 à 5 10 millions de tonnes d’ordures ménagères dans un coin qui n’est pas absolument adapté pour ça. R. S. - Pourquoi il n’est pas adapté ? F. Espuche - Il n’est pas adapté pour des milliers de raisons trop longues à expliquer dans le détail. Globalement, c’est un terrain qui est en pente, en forte pente, aux alentours de 16 degrés. Cela veut dire qu’il faut aplanir pour avoir des fonds de casier plats. C’est une aberration : il y a des terrains qui sont plats et l’on va se mettre dans un endroit qui est pentu ! Deuxièmement, c’est un endroit beaucoup trop étroit. Il y a une « bande d’isolement » - c’est le terme technique -, de 200 m qui, justement, est conçue pour que les gens restent éloignés des risques associés à cette décharge. Il se trouve que cette bande d’isolement, ils sont obligés de la faire traverser par l’axe majeur qui dessert toute la vallée de l’Orbiel, ce qui est quand même une aberration ! Je ne sais si cela existe déjà en France dans d’autres endroits mais je n’ai pas l’impression... Ensuite, il y a une autre contrainte : il n’y a pas d’argile en qualité et en quantité suffisante alors que l’Aude est réputée pour être un gros fabricant de tuiles. Dans tout le Lauraguais, il y a un arc géographique, qui part de Limoux et qui va jusqu’à Toulouse, où il y a de l’argile sur des centaines de mètres d’épaisseur. Ici, il n’y a même pas un mètre d’épaisseur alors qu’il en en faut au minimum cinq, donc cela ne correspond pas ! Il faut donc apporter des solutions de compensation qui ont un coût très élevé en millions d’euros. En plus, c’est le seul endroit où il ne faut pas se mettre parce qu’il y a de l’arsenic ! C’est quand même l’endroit qu’a choisi le Conseil Général ! Enfin, ce n’est pas du tout l’endroit le plus proche géographiquement des plus gros producteurs de déchets dans l’Aude. Donc c’est une aberration ! On a la plus mauvais note mais ce n’est pas grave : avec ça, on nous dit que l’on est les meilleurs ! R. S. - Apparemment, l’argument avancé c’est que, puisqu’il y a déjà des centaines de milliers de tonnes de déchets de la mine - arsenic, cyanure, etc. -, pourquoi pas continuer ? F. Espuche - C’est un des arguments qui a été retenu. On le retrouve d’ailleurs dans les études du Conseil Général ou du Smed1 qui est une émergence du Conseil Général. Pour eux, c’était un point favorable, un point fort à l’implantation d’une décharge dans la mesure où, au début, ils disaient que la population est déjà sensibilisée aux problèmes de pollution ou aux activités industrielles. Une façon de dire qu’il y a de la merde, que les gens sont assez cons pour l’accepter et donc qu’on peut leur en mettre un peu plus ! R. S. - J’allais vous dire - mais là, je commence à changer d’avis -, que vous étiez bien calme. Vous avez la réputation d’avoir la rage. Mais là, on commence à sentir la colère qui pointe... F. Espuche - La colère ? Écoutez, récemment, il y a eu une réunion qui a été organisée par l’actuel porteur du projet, le Covaldem2 ; une réunion publique pour expliquer pourquoi ils ont choisi Lassac. L’autorité environnementale, donc le préfet de région, a d’ailleurs noté dans son avis qu’il fallait justifier les raisons du choix. Nous sommes allés à cette réunion ; nous étions plus d’une centaine. Nous avons posé plusieurs fois la question et, à chaque fois, 1 2 Syndicat mixte d’élimination des déchets de l’Aude. Collecte et valorisation des déchets ménagers de l’Aude. 11 on nous a dit : « on ne peut pas vous répondre, on ne sait pas ». C’est quand même extraordinaire quelqu’un qui porte un projet et qui ne sait pas pourquoi il estime que c’est Lassac qui a été choisi comme le meilleur site parmi tant d’autres. Rester calmes ? On peut rester calmes avec des gens qui entendent raison mais avec des gens qui vous racontent des bobards énormes, des conneries monstrueuses... Le calme, c’est fini... Pour le moment, c’est quand même resté calme. Il n’y a pas eu de dynamitage... R. S. - En revanche, vous avez fait un énorme travail sur les textes juridiques, légaux... Enfin, vous êtes devenu pratiquement un expert de toutes ces questions. F. Espuche - D’une façon générale, pour résoudre un problème, il faut d’abord déjà l’identifier. On a remarqué que, systématiquement, les administrations, quand on leur oppose un avis, elles nous répondent que ce n’est pas un avis d’expert. Donc, déjà, il faut que ce soit un expert qui parle. Deuxièmement, l’expert, si c’est nous qui le commanditons, cela ne compte pas à leurs yeux parce que, pour eux l’expert, nécessairement, il n’est pas indépendant. Il est payé, donc il fait ce qu’on lui demande. Jamais ils n’imaginent un seul instant que c’est ce qui se passe en ce qui concerne l’Administration elle-même, mais ils nous opposent ça ! Donc, le plus simple, c’est qu’il faut leur opposer leur propre expertise. L’erreur du Conseil Général dans cette affaire - et elle est monumentale -, c’est d’avoir voulu s’implanter sur un endroit où il y a déjà eu plus de 200 ou 300 expertises à cause des mines de Salsigne depuis un siècle. Ils se seraient mis n’importe où ailleurs, il n’y aurait pas ces problèmes ! Seulement, ils viennent au seul endroit où tout a été inventorié, cartographié, étudié, mesuré, quantifié, dans toutes les profondeurs possibles et imaginables. Donc c’est sûr que ce n’était pas là qu’il fallait venir. Alors, quand on finit par avoir ces expertises parce que toutes ces études sont disponibles ; elles sont publiques, elles sont payées par des fonds publics ou alors elles sont annexées à des enquêtes publiques ; même réalisées par des entreprises privées, elles font partie d’un dossier qui est consultable -, et qu’on les lit, on se rend compte qu’elles mentent les unes et les autres, qu’il y a des chiffres qui sont une aberration. Récemment, pour l’histoire de Lassac, l’étude d’impact essayait de faire croire qu’on pouvait passer de 500 millions de microgrammes de poussières par m3 à seulement 10. De 500 millions à 10 ! Pas 10 millions, 10 ! Uniquement en arrosant ! Ce qui est absolument impossible ! Il y a beaucoup d’études qui démontrent que, dans le meilleur des cas, en arrosant une piste, on arrive à réduire la quantité de poussière de moitié ou des trois-quarts si on arrose toutes les vingt minutes. Alors, le travail, pour nous, c’est de pallier l’incompétence des administrations ou même des collectivités territoriales. Et l’avantage avec ces collectivités, c’est qu’elles ne peuvent acheter une gomme ou un stylo ou n’importe quoi d’autre sans prendre une décision collective. C’est un peu le principe des délibérations : chaque fois qu’une collectivité décide de faire quelque chose, c’est toujours au vu d’une étude, d’un rapport. Pour faire cette étude, il y a toujours un choix très démocratique... Nous sommes les spécialistes de la démocratie, nous en France ! Résultat des courses : il suffit de demander tous ces documents les uns après les autres. Alors, cela devient compliqué, c’est un combat. Il y en a pour lesquels on a bataillé pendant presque trois ans. Quand on a voulu avoir le rapport Arcadis, par exemple, le fameux rapport qui soi-disant aurait choisi Lassac, il a fallu mettre le président du Conseil Général au tribunal administratif parce que monsieur était plus fort que les autres. En attendant, il a fini par donner le document et il m’a même donné 1000 euros... 12 R. S. - Pourquoi il vous a donné 1000 euros ? F. Espuche - Parce qu’il a été condamné à me donner ça ! Parce qu’il avait refusé ! C’est bizarre - ce ne devrait pas l’être, mais c’est comme ça -, les élus ont cette fâcheuse tendance à croire qu’ils décident seuls, au nom des autres, sans avoir de comptes à rendre. Et lorsqu’on leur pose la question, lorsqu’on leur demande des comptes, gentiment, quand on leur demande une copie du rapport, on devient tout de suite insolent, impoli, agitateur, « à abattre ». Une fois, nous avons entendu que nous étions des « fous furieux », qu’il fallait nous abattre ! R. S. - En fait votre expérience, c’est que ces fameux documents, ils sont tout à fait lisibles, compréhensibles et ils permettent de se faire une idée de la situation. F. Espuche - Surtout si, comme moi, on a de la chance. J’avais demandé sur un document une étude sur support papier et une étude sur support informatique – donc un CD-Rom – et on m’a donné un CR-Rom, le seul qu’il ne fallait pas donner puisqu’à l’intérieur, il y avait la trace de toutes les manipulations qui avaient été faites antérieurement ! Donc, on a pu remonter le fil facilement. On savait qui appuyait sur quelle touche, à quel moment, quelle heure, quelle minute, quelle seconde. C’était pas plus compliqué... [Dans ce support] on voit bien qu’il y a eu des modifications, des altérations. Il y a certainement eu de la mise en page et ainsi de suite mais il n’y a pas eu que ça... À un moment donné, dans une première version du rapport, il est précisé qu’une nappe phréatique a été mise en évidence. Elle est d’ailleurs décrite avec un luxe de détails, suite à des études antérieures. Tout est donné. Après, on a un courrier du Conseil Général qui donne l’ordre au bureau d’études de supprimer ce paragraphe. Enfin, il y a une autre version très aseptisée qui ne parle pas de nappe phréatique. Et quand on regarde un classement officiel des sites, il y a plusieurs critères dont celui d’absence ou de présence de nappe phréatique et, pour Lassac, il est marqué : « absence certaine ». Moi, j’appelle ça un faux ! R. S. - Qu’est-ce que vous faites avec ça ? F. Espuche - Avec ça ? Et bien, lorsqu’on s’amuse à dire qu’il y a des faux, on ne nous répond pas. Nous avons porté plainte pour faux en 2006. Cela fait plus de sept ans et demi, bientôt huit. La justice est très, très lente. Pas toutes les justices, mais la justice audoise est exceptionnellement lente, à tel point d’ailleurs que l’on a fait un recours pour dysfonctionnement du service de la justice, donc du service d’instruction dans l’Aude. Ce n’est pas contre un juge d’instruction en particulier mais le résultat des courses est là : c’est qu’en huit ans, il n’y a jamais eu de réponse et maintenant ils sont en train de s’activer. Seulement, cela fait quand même un mois que l’on a assigné l’Agent du Trésor, donc le ministère de la Justice à Paris dont le représentant, ici, est le préfet et on lui réclame un demi-million d’euros. Alors, soudainement, cela débloque un peu les choses. Voyez-vous, il faut passer par là ! Peut être qu’on peut dire que j’enrage, comme vous disiez tout à l’heure, c’est peut-être ca... R. S. - Et le projet de décharge ? 13 F. Espuche - Le projet de décharge, on n’y croit absolument pas ! Peu de gens y croient d’ailleurs. Il ne faut pas rêver ! R. S. - Mais il est toujours à l’ordre du jour ? F. Espuche - Oui, c’est toujours à l’ordre du jour. Mais des projets, vous savez, il y a beaucoup de gens qui font des projets. Il y en a qui font leur liste au Père Noël tous les jours, sans attendre Noël. Pour le moment, il faut quand même se rendre à l’évidence : depuis 2004, cela fait pas mal d’années que le projet n’avance pas. R. S - Mais qu’il n’est pas enterré non plus ! F. Espuche - Il n’est pas enterré mais il ne peut pas se faire. On sait très bien qu’il ne peut pas se faire. R. S. - Donc aujourd’hui, qu’est-ce que vous voulez, François Espuche ? F. Espuche - Alors moi, l’histoire du projet de décharge, je ne m’inquiète pas trop pour ça car c’est un projet qui ne tient absolument pas la route. Par contre, ce qui m’inquiète beaucoup plus, c’est la pollution. Parce que la pollution, ce n’est pas une affaire de deux ou trois jours, c’est une affaire de dizaines de milliers d’années. Alors le préfet de l’Aude (ou les préfets) reproduit chaque année un arrêté interdisant la commercialisation de certains légumes, fruits, escargots, thym.... Mais, sur les deux ou trois derniers arrêtés, il était bien marqué qu’il n’y a pas d’évolution sensible... IV. Entretien avec Max BRAIL Maire de Lastours (Aude) M. Brail - On est dans le grand théâtre de Guignol ! R. S. - Guignol mais aussi, dites-vous, minimisation ? M. Brail - Je pense que oui. Voyez-vous, on est toujours avec un arrêté d’interdiction. On se donne bonne conscience ensuite. Parce que si les choses avaient été bien faites, l’arrêté n’aurait jamais du être pris. On n’aurait pas eu besoin de prendre un arrêté pour interdire de consommer tel légume, de ramasser des escargots, pour dire que si les enfants touchent la terre, il faut leur faire se laver les mains plutôt deux fois qu’une. R. S. - Cet arrêté, il a été pris quand ? M. Brail - Cet arrêté, maintenant, il date pratiquement depuis une quinzaine d’années. R. S. - Et il est toujours en vigueur ? 14 M. Brail - Il est toujours en vigueur ! Il a été juste allégé de certaines choses... Par exemple, on ne pouvait pas pêcher. Quand vous regardez ça après, si vous le prenez à la lettre, vous vous dites mais... ?! Mais là aussi, il ne faut pas dramatiser non plus. On a demandé, autant les associations que certains élus, qu’à un moment donné ce site serve aussi de référence et que l’on puisse avoir autour de ce site des suivis bien particuliers quitte à avoir des écoles d’ingénieurs qui fassent des expérimentations pour tenter d’endiguer ces pollutions que l’on connaît. Tout ça, c’est sans résultat à ce jour. R. S. - C’est sans résultat mais, en attendant, ici on prend l’habitude de vivre dans les conditions que vous décrivez, de ne pas cueillir les salades, de demander aux enfants de se laver les mains systématiquement... M. Brail - Vous savez, je pense que le fait de demander aux enfants de se laver les mains, c’est n’importe où en France. Ce n’est pas spécialement ici ! R. S. - Sauf que ce n’est pas précisé partout ! M. Brail - Voilà ! Ce n’est pas précisé mais c’est le b-a-ba, me semble-t-il ! Quand on a des enfants, qu’on les voit jouer avec la terre, avant de manger, on... R. S. - Mais là, c’est vous qui minimisez ! M. Brail - Oui, parce que quelque part, on a prévu des choses qui sont naturelles à faire. R. S. - Ne pas cueillir les salades ? M. Brail - Non, je ne parle pas des salades. Je parle de laver les mains des enfants. Parce que quand on parle des enfants, c’est presque un traumatisme alors que n’importe quelle famille qui se respecte, qui a des enfants, leur fait se laver les mains avant de manger ou de déjeuner. Par contre, pour ce qui est des salades, il est vrai que là, on continue à prendre un arrêté qui passe au-dessus de la tête de tout le monde : tous les gens qui sont retraités de Salsigne et qui travaillent leurs jardins dans la vallée, continuent à manger des salades qui sont arrosées avec les puits et la nappe phréatique qui est polluée. Parce que malheureusement, ils y sont habitués ! R. S. - Vous avez commencé cet entretien, Max Brail, en me disant qu’on a besoin d’oublier pour avancer, pour pouvoir continuer à vivre. C’est un peu ça que vous êtes en train de me montrer ? M. Brail - Oui ! Je vous montre ça, oui ! Je vous montre que, derrière, on peut arriver à ça, même en l’écrivant, en le rappelant le moins souvent possible, en le rendant le moins disponible possible. L’intérêt, c’est de dire : « Écoutez, la chose s’est banalisée, c’est devenu normal. Ne vous faites pas de souci, nous on veille. De temps en temps, on écrira un texte. Vous, continuez à vivre votre vie tranquillement ». Sauf que, de temps en temps, il y a des aléas climatiques qui vous rappellent que des choses peuvent arriver. Et ce jour là... 15 R. S. - Par exemple ? M. Brail - Une inondation qui nettoie toute la vallée et qui, à nouveau, remet des sédiments chargés... R. S. - Chargés en arsenic ? M. Brail - Écoutez ! Quand ça y est, ça s’en va ! Il est évident qu’une tonne d’arsenic, ou plus, qui continue à sortir de ce site chaque année dans l’Orbiel, cela doit, plus ou moins, à un certain moment, se déposer, ne pas aller partout et puis se reconcentrer pour être, à nouveau, lors d’une période d’étiage plus élevé, transportée plus loin et ainsi de suite... De toute façon, une pollution, elle ne va pas se régler pas en deux coups de cuillères à pot ! Il ne faut pas non plus se dire que ces choses là vont arriver comme ça. La pollution, combien de milliers d’années faudra-t-il pour que la nature règle ce que l’homme a fait ? Parce que la nature a une capacité : c’est souvent, heureusement, de prendre le dessus. D’ailleurs, la preuve : sur les lieux qui ont été recouverts - et ils n’ont pas été quand même très grassement recouverts -, la nature reprend le dessus. Doucement, elle se reconstitue. Elle montre qu’elle a cette capacité. À nous d’être suffisamment vigilants pour ne pas nous laisser piéger parce que, là où il y a des genêts qui fleurissent, on aurait tendance à croire que ce sont de belles fleurs de printemps qui sont là. On oublie que, dessous, il y a quand même les produits... Et ça, je pense que c’est comme après les conflits. Nous avons nos monuments aux morts devant lesquels, régulièrement, nous continuons à déposer des gerbes. C’est un devoir de mémoire. Et bien, des lieux comme cela, je pense qu’il devrait y avoir un devoir de mémoire.