Les effets de la Convention d`Arbitrage en droit camerounais
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Les effets de la Convention d`Arbitrage en droit camerounais
Ohadata D-08-77 Les effets de la Convention d’Arbitrage en droit camerounais Par Roger SOCKENG Docteur en Droit, Magistrat, Enseignant Associé à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Douala – Cameroun Revue Camerounaise de l’Arbitrage n° 4 – Janvier - Février - Mars 1999, p. 10. L’arbitrage est aujourd’hui, le mode habituel de règlement des litiges du commerce international1. Au plan national, il commence également à occuper une place importante parmi les mécanismes non étatiques de règlement des litiges2. On justifie l’engouement pour l’arbitrage, par de nombreux avantages qu’offre cette forme de justice ; on magnifie sa confidentialité, sa rapidité et son efficacité3, et surtout, la liberté donnée aux parties, de choisir leurs arbitres ; l’arbitre est chargé d’une mission juridictionnelle, celle de trancher les litiges, de dire le droit. Cette mission qui incombe ainsi à un particulier, a pour source la convention d’arbitrage ; il peut s’agir d’un compromis ou d’une clause compromissoire4. Ces deux formes de convention obéissent aux règles générales qui gouvernent les contrats. Par conséquent, conformément à l’art. 1134 du Code Civil applicable au Cameroun, les conventions d’arbitrage tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites5. En d’autres termes, la convention d’arbitrage lie les parties, qui ne peuvent soumettre leur litige à un juge étatique, sauf si elles renoncent à leur convention, l’effet essentiel de la convention étant pour les parties, de contourner le juge étatique. C’est d’ailleurs un principe consacré en matière d’arbitrage, soutenu par la doctrine et régulièrement confirmé par la jurisprudence6. Il est donc plus discuté en droit camerounais, que la convention d’arbitrage a pour effet principal d’entraîner l’incompétence du juge étatique (I). Mais, l’exclusion du juge étatique ainsi affirmée n’est pas totale7. En effet, il peut arriver que ce dernier intervienne exceptionnellement (II), notamment lorsque les mesures sus évoquées s’imposent, alors que le tribunal arbitral n’est pas encore constitué. I.- LE PRINCIPE DE L’INCOMPETENCE DE LA JURIDICTION ETATIQUE 1 2 3 4 5 6 7 C. JARROSSON, « Arbitrage commercial », Jurisclasseur, 1992.1 n° 507 ; KENFACK DOUAJNI, G. « L’incidence du système OHADA sur le droit camerounais de l’arbitrage » dans cette Revue n° l, p. 3 et s. SOCKENG, « Les institutions judiciaires au Cameroun », p. 170. GAILLARD, Le principe de confidentialité de l’arbitrage international. D. 1987. Chr. 153. Le compromis est la convention par laquelle, deux ou plusieurs parties conviennent de soumettre leur litige né et actuel, aux arbitres et non aux juges ; en revanche, la clause compromissoire est la convention par laquelle, deux ou plusieurs parties conviennent de soumettre leur litige à venir, à des arbitres et non au juge. Il s’agit du principe sacro-saint de la force obligatoire du contrat. L’affaire WANSON : le juge réaffirme le caractère sacré de ce principe, qui obéit néanmoins à quelques exceptions ; l’affaire ALATION Property : le juge affirme à l’extrême principe. Sur l’effet de la Convention d’Arbitrage, cf. KENFACK DOUAJNI, Observations sur l’Arrêt WANSON dans cette revue, n° 1 p. 10. La convention d’arbitrage entraîne l’incompétence de la juridiction étatique : c’est une conséquence de la force obligatoire de la convention, qui s’impose aux parties et ne saurait produire des conséquences à l’égard des tiers, qu’on appelle « les penitus extranei ». L’article 1165 du Code Civil exprime de manière plus précise les effets du contrat, lorsqu’il dispose que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. La convention d’arbitrage – dont l’incompétence du juge étatique en est l’effet – s’impose aux seules parties (A). Et le juge est tenu de respecter cette volonté des contractants autant qu’ils s’en prévalent (B). A. FORCE DE LA CONVENTION D’ARBITRAGE ENTRE LES PARTIES C’est entre les parties que le participe de la force obligatoire du contrat prend toute son importance ; la signature de la convention entraîne les conséquences suivantes : - l’obligation de respecter ce a qu’on a voulu dans le contrat ; - ce contrat devient donc irrévocable au sens de l’article 1134 (2) du Code Civil ; - les parties à une convention d’arbitrage se sont entendues sur un fait majeur : ne pas soumettre leur litige au juge étatique, mais plutôt au juge privé. Les parties ainsi liées par leur volonté ne peuvent se délier que par une nouvelle convention. Il y a une sorte de parallélisme de forme en matière de convention ; les parties ne peuvent défaire ce qu’elles avaient fait, que d’un commun accord. Quand une convention d’arbitrage a été souscrite par les plaideurs, les juridictions de l’Etat sont incompétentes pour connaître des litiges liés entres les signataires de la convention : le juge étatique est incompétent, même si après la signature de la convention, le tribunal arbitral ne se trouve pas encore constitué. La question se pose alors de savoir qui doit soulever l’incompétence du juge étatique. Ce dernier peut-il le faire d’office ? On le saura en examinant les conséquences de la force obligatoire de la convention d’arbitrage entre les parties. B. CONSEQUENCES DE LA FORCE OBLIGATOIRE DE LA CONVENTION D’ARBITRAGE ENTRE LES PARTIES La convention d’arbitrage ne produisant ses effets qu’à l’égard des parties, seules ces dernières sont habilitées à exiger le respect de leur volonté ; par conséquent, les tiers au contrat ne peuvent pas se prévaloir de la convention d’arbitrage pour soulever l’incompétence du juge étatique8. De même, le juge ne peut d’office se déclarer incompétent en se fondant sur une convention d’arbitrage que les parties ont invoquée ; il est, en effet, défendu au juge de fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. En revanche, si la volonté des parties de confier leur litige à un arbitre est clairement exprimée, le juge est tenu de la respecter ; il ne saurait retenir sa compétence en dépit d’une convention d’arbitrage régulièrement excipée par une des parties ; la convention d’arbitrage a donc une force obligatoire qui s’impose aux parties, mais aussi au juge étatique. Toutefois, si l’exclusion de la juridiction étatique s’impose comme effet principal de la convention d’arbitrage, il reste que dans certaines hypothèses, le recours au juge étatique est exceptionnellement admis. 8 VINCENT (J) et GUINCHARD (S), Procédure Civile, Précis DALLOZ, 1987 p. 1087. II.- L’EXCEPTIONNELLE INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE L’exclusion du juge étatique en matière d’arbitrage n’est pas absolue ; il existe des cas où son intervention devient incontournable. Il en est ainsi lorsque les parties ______ suite sur la désignation des arbitres, ou lorsque les parties n’ont pas toutes signé la convention d’arbitrage ; il y a donc des hypothèses mineures qui justifient la saisine du juge étatique en matière d’arbitrage (B). Mais, régulièrement, le juge étatique intervient pour des mesures provisoires ou conservatoires ; ce sont là les hypothèses majeures de son intervention (A). A. LES HYPOTHESES MAJEURES D’INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE a.- L’intervention en cas de mesures provisoires ou conservatoires La juridiction étatique intervient en dépit de la convention d’arbitrage, pour ordonner les mesures provisoires ou conservatoires9 qui ne touchent pas au fond du litige et ne risquent pas de faire concurrence à l’arbitrage. Cette intervention est implicitement acceptée en droit camerounais, lorsque l’article 182 du Code de Procédure Civile et Commerciale (CPCC) dispose que : « dans tous les cas d’urgence ou lorsqu’il s’agira de statuer provisoirement, le juge des référés pourra statuer ». Et l’article 185 dudit Code ajoute que dans une telle hypothèse, il ne doit pas être porté préjudice au principal. Deux conditions essentielles sont ainsi exigées, pour l’admission de l’intervention du juge étatique en matière d’arbitrage ; on doit être en présence d’une urgence, dont la solution ne saurait porter atteinte au principal. L’intervention du juge étatique en vue d’octroyer des mesures provisoires ou conservatoires est fréquente ; la jurisprudence a du reste, réaffirmé le fondement d’une telle compétence, même si tous les juges ne partagent pas toujours le même point de vue. b.- La position mitigée de la jurisprudence A titre comparatif, la Cour d’Appel d’Abidjan a eu à affirmer sans ambages, que le juge étatique est compétent pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires (1) ; de manière curieuse, le juge camerounais, en dépit de la clarté des textes, hésite à adopter une telle solution pourtant évidente (2). 1°) Affaire WANSON c/ SERIC10 La Société d’Etudes et de Réalisation pour l’Industrie Caféière avait acquis un incinérateurchaudière à la société française WANSON, pour brûler les déchets provenant du décorticage du café. Cet appareil industriel ne donnait pas entière satisfaction, car au lieu de brûler 6.000 kg de coque, elle n’en brûlait que 2.800 kg ; la société SERIC a donc saisi le juge des référés pour désigner un expert, afin d’apprécier la capacité de production de la chaudière objet du contrat ; la défenderesse a contesté la compétence du juge des référés, motif pris de ce que l’article 17 du marché prévoyait le recours à l’arbitrage pour le règlement de tout différend. Le premier juge a ordonné la désignation d’un expert : la société WANSON a interjeté appel contre l’ordonnance. Par arrêt du 15 juillet 1977, la Cour d’Appel d’Abidjan a continué ainsi la possibilité de recours au juge étatique pour l’obtention des mesures provisoires ou conservatoires, qui ne violent nullement la clause compromissoire ... »11. 9 10 11 ANCEL, Mesures conservatoires en matière d’arbitrage international, publication C.C.I. n° 519, p. 116. CA Abidjan, 15 juillet. Arrêt n° 484 Aff. WANSON. KENFACK DOUAJNI, Observations sous arrêt WANSON, cette Revue n° l pp. 11 et s. Adoptée en droit ivoirien et longtemps consacrée en droit français, cette solution n’est pas partagée par le juge camerounais. 2°) Affaire ALLATION PROPERTY, Inc.12 Saisi en matière de référé pour désigner un séquestre, le Président du Tribunal de Première Instance de Douala s’est déclaré incompétent, au motif que les parties avaient inséré dans leur contrat, une clause compromissoire, et qu’une telle clause entraîne l’incompétence du juge étatique. En statuant comme il l’a fait, le juge des référés nous semble avoir fait une inexacte interprétation des textes en la matière. Il est souhaitable que le juge camerounais puisse s’aligner sur la position des juges français et ivoirien, surtout à l’heure de l’harmonisation du droit des affaires dans les pays africains de la zone franc. Il y a même lieu d’espérer que le législateur camerounais mette au point une législation moderne sur l’arbitrage, qui lèverait toute équivoque sur la question. L’article 23 du Traité OHADA – dont le Cameroun est un des Etats parties – affirme, il est vrai, que tout tribunal d’un Etat partie, saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage, se déclarera incompétent si l’une des parties le demande, et renverra le cas échéant, à la procédure d’arbitrage. Cette règle n’est nullement incompatible avec les articles 182 et 187 du CPCC sus évoqués, qui autorisent le juge des référés à statuer dans tous les cas d’urgence. B. LES HYPOTHESES MINEURES D’INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE Il peut arriver que le juge étatique intervienne également à l’occasion de la constitution du tribunal arbitral (a) ou lorsqu’un tiers au contrat exerce son action (b). a.- Intervention pour la constitution d’un tribunal arbitral Le recours à l’autorité judiciaire est possible dans les cas où les parties ayant signé une clause compromissoire, ou les arbitres nommés, ne s’entendent pas sur la désignation d’un troisième arbitre en cas de survenance des litiges13. Valable pour la clause compromissoire, cette solution s’applique également en cas de compromis14. b.- Intervention d’un tiers défendeur Comme indiqué plus haut, la convention d’arbitrage, comme toute convention, ne produit des effets qu’à l’égard des parties ; elle n’a pas d’incidence sur les tiers au contrat ; ceux-ci ne sauraient être enchaînés par des volontés qui leur sont étrangères. Ainsi, un litige peut intéresser plusieurs demandeurs ou défendeurs ; seuls ceux des défendeurs ayant signé la convention d’arbitrage se trouvent liés ; par conséquent, le défendeur n’ayant pas signé ne peut être attrait que devant le juge étatique15 ; le litige devient ainsi divisible ; en revanche, un assureur qui exerce l’action subrogatoire contre un tiers lié à l’assuré par une clause compromissoire, ne peut assigner devant la juridiction étatique, le tiers pouvant soulever l’incompétence de ladite juridiction. Il apparaît des développements qui précèdent, que si l’incompétence du juge étatique est le principe lorsque les parties litigieuses ont signé une convention d’arbitrage, il est cependant 12 13 14 15 TPI Douala, Aff. ELF AQUITAINE, Ordonnance n° 40 TPI/Dla du 14.10.1998. Cette décision est reproduite dans cette Revue, n° __, p. 15. Article 90 du CPCC. TGI Paris, 28 oct.1983, Revue Arb. 1985. p. 88 ; FOUCHARD, « La coopération du Président du Tribunal de Grande Instance à l’arbitrage », Rev. Arb. 1985. p. 5. Aix, 21 janvier 1978, Rev. Trim. 1978, p. 917 - Obs. Normand, Paris, 11 déc. 1981, D. 1982, p. 387 Concl. LECANTE. des cas où ledit juge peut légitimement intervenir sans contrevenir ainsi à ladite convention d’arbitrage.