La mondialisation transforme-t-elle les stratégies des entreprises ?
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La mondialisation transforme-t-elle les stratégies des entreprises ?
La mondialisation transforme-t-elle les stratégies des entreprises ? Proposition de corrigé (D'après "L'économie en dissertations" – Bréal 2012 Alors que Laurent Wauquiez plaidait, le 7 décembre 2011, pour un protectionnisme moderne, Jean-François Copé, membre du même parti politique, lui répondait le 29 décembre que « personne ne peut penser raisonnablement que le mot de protectionnisme est un mot moderne ». Jusqu'il y a peu, ce type de débat n'avait pas cours. Tous pensaient que le libre-échange et la liberté d'investissement des entreprises étaient les meilleurs moyens de stabiliser l'économie mondiale. Aujourd'hui, les firmes multinationales - ou transnationales, comme les appelle plus justement la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) - n'ont jamais été aussi à l'aise dans une économie mondialisée. Celle-ci, que les Anglo-Saxons nomment «globalization », et les Français « mondialisation», est le processus d'ouverture de toutes les économies nationales sur un marché planétaire. Elle est favorisée par l'interdépendance entre les hommes, la déréglementation, la libéralisation des échanges, la délocalisation de l'activité, les mouvements financiers, les moyens de transport, de télécommunication... Elle permet donc aux FTN de se déployer et de se redéployer au gré des avantages qu'elles trouvent sur des espaces nationaux. Si l'ouverture au commerce est pour les États synonyme d'interdépendance, elle est, pour les entreprises, synonyme d'intégration des activités et des marchés. Les entreprises transnationales déterminent leurs choix stratégiques (localisation, approvisionnements, financement, circuits de commercialisation, recrutements, débouchés, investissements...) à l'échelle mondiale, en comparant les avantages et inconvénients que leur procurent les différentes solutions nationales. Cependant, toutes les parties du monde ne participent pas à cet échange. Plus de 103 000 FTN sont principalement implantées dans les pays développés où se localisent essentiellement les IDE, c'est-à-dire les investissements d'une entreprise qui prend le contrôle de plus de 10% du capital d'une filiale hors de son pays d'origine. Certes, les implantations sont de plus en plus fréquentes dans les pays en développement, mais la localisation des IDE remet en cause l'idée d'une présence mondiale des FTN en même temps qu'elle pose la question de l'attractivité des territoires. Dès lors, peut-on se contenter d'affirmer que les stratégies des FTN consistent exclusivement à délocaliser leur production pour bénéficier de bas coûts de production ? N'existe-t-il pas de stratégies alternatives? Nous verrons donc que si l'histoire et les théories traditionnelles peuvent expliquer une partie de la stratégie des FTN dans un cadre mondialisé (I), de nouvelles formes stratégiques voient le jour, plus difficile à définir, mais qui sont mieux adaptées au monde contemporain (II). I. Les explications traditionnelles des effets de la mondialisation sur les stratégies de firmes... A. Les stratégies d'internationalisation au XIXe siècle. La première mondialisation (Suzanne Berger, Notre première mondialisation, 2003) se situe sur la période 1860-1914. Elle est permise au départ par l'abaissement des tarifs douaniers (accords bilatéraux comme celui de la Grande-Bretagne et de la France en 1860) et des coûts de transports (utilisation des chemins de fer ou des steamers) et elle est caractérisée par le développement de flux commerciaux très importants. Les divers travaux de Paul Bairoch montrent que les pays européens enregistrent une croissance annuelle de 2 % pour leur production agricole, de 3 % pour leur production industrielle et de 4 % pour leurs exportations. La part de la production européenne qui fait l'objet d'une exportation est inférieure à 2 % en 1815, mais atteint 14 % en 1913. Pour l'ensemble du monde, le volume du commerce est multiplié par 25 et la valeur des échanges internationaux, estimée à 2 milliards de dollars vers 1830, atteint 40 milliards en 1913. Une explication traditionnelle des flux d'échanges. La croissance des flux commerciaux s'accompagne du développement d'une division internationale du travail. En fonction de la théorie ricardienne des avantages comparatifs, les pays européens produisent et exportent des produits manufacturés alors que le reste du monde fournit à l'Europe des matières premières, des produits agricoles, des minerais, etc. Grâce aux innovations technologiques, les temps de transport diminuent et les tonnages s'accroissent: le marché devient mondial et les entreprises occidentales implantent des filiales destinées à leur fournir des matières premières dans les pays en développement de l'époque. Une logique réellement financière. Mais, comme l'indique Suzanne Berger, les stratégies menées alors sont plus souvent spéculatives que productives. La valeur du stock de capitaux placés à l'étranger passe de 1 milliard de dollars vers 1820 à 48 milliards en 1913, l'essentiel des transferts étant réalisé à partir de 1880. Les capitaux européens sont dominants (90 % des capitaux exportés début XXe siècle). Plus des trois quarts de ces capitaux sont des investissements de portefeuille. Les entreprises (les banques notamment) cherchent à prêter aux États où les capitaux sont utilisés dans le développement des réseaux de transport qui doivent faciliter l'exploitation des terres nouvelles. Après avoir développé les échanges de marchandises, le capitalisme selon Lénine exporte des capitaux et devient impérialiste, «stade suprême du capitalisme ». B. La recherche de bas coût. Alors que la théorie ricardienne de l'échange international est fondée sur l'immobilité des facteurs de production (et notamment du capital), les entreprises occidentales investissent de plus en plus à l'étranger. Certaines FTN délocalisent une partie de leur production en raison de la concurrence, qui les oblige à rompre avec leurs stratégies traditionnelles d'approvisionnement (FTN primaires) ou de développement commercial (pénétrer les nouveaux marchés), pour s'orienter vers des stratégies de réduction des coûts afin d'augmenter leur compétitivité prix. Un choix motivé par des bas coûts salariaux. Les FTN choisissent aussi de s'implanter à l'étranger pour se libérer de contraintes économiques ou sociales. Elles se tournent vers des pays où les salaires sont faibles, la réglementation peu contraignante et la protection sociale le plus souvent inexistante. La DIPP développe le commerce intrafirme. La recherche de compétitivité par les FTN se traduit par la création de filiales ateliers et la mise en œuvre d'une décomposition internationale de du processus productif (DIPP). Ceci donne lieu à un commerce intrafirme, véritable commerce captif entre filiales. Ce commerce représente plus de la moitié des échanges entre les pays de l'OCDE et un tiers du commerce mondial. Les ventes de marchandises par les filiales des FTN sont devenues plus dynamiques que le commerce international classique. Une grande partie du commerce mondial est alors organisé hors marché, au sein des FTN qui se structurent en réseaux mondiaux pour obtenir une plus grande flexibilité de leurs opérations mondiales. Pour autant, les FTN ne sont pas indépendantes de leurs bases nationales car une partie importante du commerce intrafirme consiste à rapatrier des produits vers les filiales de distribution nationales. Ce serait le cas de deux tiers des importations et de près d'un tiers des exportations intrafirmes américaines à la fin des années 1990. Transition: ces explications traditionnelles correspondent à l'ère de l'internationalisation des entreprises. La stratégie multinationale, ou multidomestique, correspond, selon M.E. Porter, à une firme multinationale qui vend et produit sur de nombreux marchés étrangers, mais qui a une vision multidomestique de l'économie mondiale. La stratégie globale, ou mondiale, correspond à « l'entreprise mondiale ». Celle-ci a une vision directement internationale, mondiale, du marché, de la concurrence et de la stratégie à adopter. Cela suppose donc de nouvelles grilles d'analyse de la stratégie des firmes. II. ... peuvent être complétées par de nouvelles analyses qui sont plus adaptées au monde actuel. A. Des analyses intègrent les spécificités des firmes et de leur marché initial... Une internationalisation fondée sur un ancrage local et une forte présence sur le marché intérieur. La condition essentielle qui permet à une entreprise de s'internationaliser est son ancrage local. En effet, il faut posséder une base nationale suffisante pour partir conquérir des nouveaux marchés Travaux de Linder. Grâce à cette base, l'entreprise possède un savoir-faire et commence à réaliser des économies d'échelle qui la rendent concurrentielle à l'étranger. L'internationalisation est alors conçue comme une extension du marché d'origine. Elle est facilitée par l'existence d'accords internationaux qui limitent les droits de douane (OMC) ou par les aides que certains États peuvent accorder à leurs entreprises exportatrices. Mais l'internationalisation est aussi une stratégie nécessaire face à l'évolution du cycle de vie des produits. Selon Raymond Vernon, les entreprises commencent par exploiter un avantage spécifique sur leur territoire initial, puis l'entreprise exporte pour utiliser son avantage sur un marché étranger. Elle peut alors être concurrencée par des firmes étrangères, ce qui nécessite de faire baisser les coûts en produisant sur des territoires étrangers où les coûts salariaux sont faibles. L'implantation à l'étranger se substitue alors aux exportations. Un avantage spécifique indispensable. La condition sine qua non de l'internationalisation est donc l'existence d'un avantage spécifique supérieur aux coûts de l'internationalisation. En effet, toute firme qui s'implante à l'étranger subit un désavantage (en termes d'image, de connaissance des habitudes locales, de coûts d'implantation, etc…) qui doit être compensé par un avantage spécifique. Cette compensation a été théorisée par R. Coase et O. Williamson à travers la théorie des coûts de transaction: une firme qui doit se fournir en matières premières ou en produits intermédiaires a intérêt à se détourner des marchés et à internaliser ses productions si les coûts de transaction sont trop importants et si les coûts de contrôle sont faibles. L'augmentation des coûts de transaction conduit donc à des modes d'internationalisation de plus en plus forts: les exportations, puis les modes de production internationaux sans participation au capital comme les licences, les franchises, et en dernier les IDE, qui aboutissent à l'internationalisation de la production ou des ventes. Une analyse synthétique: la théorie éclectique ou paradigme OLI de John H. Dunning. Cette approche synthétise les explications justifiant l'internationalisation des firmes. Selon lui, l'internationalisation des firmes s'explique par trois avantages: l'avantage spécifique de la firme (ownership advantage) l'avantage à la localisation (location advantage), qui explique le choix d'une localisation sur le marché international pour la réalisation d'activités spécifiques de la FMN, l'avantage à l'internationalisation (internalisation advantage), qui est lié à l'organisation des activités de la FTN à une échelle internationale à l'intérieur d'une structure multinationale. Or, il apparaît nettement que les grandes firmes multinationales sont capables de cumuler ces avantages. B. ... tandis que d'autres mettent l'accent sur les innovations et les effets de la crise contemporaine. Les travaux théoriques de Posner et Vernon ont mis en lumière le rôle important de l'innovation et de la compétitivité dans le commerce international. Dans ce contexte, les firmes sont engagées dans une "fuite en avant technologique" dont l'objectif est de parvenir à la taille critique et de détenir, par la R&D, des situations de monopole via les brevets. On assiste aujourd'hui à une véritable course dans ce domaine des brevets, voire à une véritable guerre (donner des exemples récents, notamment la lutte entre Apple et Samsung sur le marché des tablettes numériques et des smartphones). Pour acquérir de la compétitivité, les firmes outre la course à l'innovation, peuvent recourir aux nouvelles formes de production permises par les NTIC et favorisées par la globalisation financière; il s'agit essentiellement, comme nous l'avons vu plus haut, de la DIPP qui permet de forts gains de compétitivité en éparpillant le process de production en fonction de tel ou tel avantage comparatif exemple de l'informatique ou des chaussures de sport (chez Nike, par exemple, seul le design reste implanté aux Etats-Unis), ou l'exemple des centre d'appel délocalisés en Afrique du nord. Conclusion Les stratégies des FTN ont évolué au fil du temps et des évolutions économiques. Au départ, ces firmes obéissaient surtout à des impératifs d'approvisionnement des usines implantées dans les pays d'origine. Puis, elles se sont implantées dans d'autres pays pour bénéficier d'une meilleure compétitivité. Mais cet impératif ne suffit plus à expliquer les échanges et les localisations des FTN. Actuellement, elles se constituent en réseaux pour profiter au mieux de la DIPP qui leur permet de limiter les coûts aux différentes étapes de la production. En même temps, elles s'implantent de plus en plus dans les pays dans lesquels la croissance est la plus forte afin de bénaficier d'un marché porteur, délocalisant du même coup leur recherche-développement, situation inquiétante pour les pays de la "vieille Europe", et qui pose le problème de leur attractivité.