Foncièrement riches

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Foncièrement riches
Foncièrement riches
Mosselman, Boël, Goblet d'A/viella ...
« Quand j'étais petit garçon, être millionnaire était un rêve rarement réalisé par les ambitieux de la
pécune. Je me souviens qu'il n y en avait que quelques-uns à Bruxelles. On les montrait avec admiration
quand ils passaient. On appelait leur avoir une fortune 'colossale '. »
Picard Edmond*: Le luxe, les grandes fortunes et la législation. Pandectes belges. t 93. Bruxelles 1908.pp 1-:XXN.
L'astérisque renvoie à l'index en fm de volume où est présentée une biographie élémentaire de la personne.
Exit « le petit patrimoine wallon »••• « en voilà du gros »
« Au printemps 1846, on vit arriver un étranger de distinction se faisant appeler le comte de Ch ...
Il venait, disait-il, visiter une des plus belles propriétés qui se trouvait à vendre et devait séjourner
quelque temps pour pouvoir bien apprécier la valeur des terres et des bois qu'il se proposait d'acquérir.
A peiue arrivé, il accepta l'hospitalité qui lui fut offerte par les principaux iudustriels de la commune et
il y fut traité en grand seigneur pendant plusieurs jours. Il faisait preuve de connaissances approfondies
et déjà on le regardait comme le futur seigneur de l'endroit. Il recevait les visites des sommités de la
commune et un grand nombre de paysans viurent solliciter auprès de lui, la faveur d'obtenir en location,
l'un, une terre, l'autre un étang, un bois ... et le futur acquéreur n'épargnait pas les promesses; tout
le monde était enchanté. Le notaire chargé des iutérêts du vendeur invita le noble comte à un dîner
splendide où rien ne fut épargné, et il était question du lui ménager à son retour une entrée vraiment
triomphale. Mais hélas ! On sut bientôt qu'on avait eu affaire à un frontin d'une nouvelle espèce.
Lorsque le noble comte reviut au village, le bourgmestre lui dit qu'il avait une mauvaise nouvelle à lui
apprendre« vous n'êtes pas le comte de Ch ... , lui dit-il, et la gendarmerie qui vous cherche est chargée
dans un autre domaine que celui que vous prétendez devenir acquéreur». L'autre sans se déconcerter
se récria, disant qu'il ne comprenait rien à cela et qu'il allait tout de suite prendre des informations
directes. En disant ces mots, il disparut, sans que le bourgmestre ait pu s'opposer à son départ » 1•
«Terrien, t'es tout» pourrait-on résumer en une formule, cette anecdote qui nous révèle la fascination
qu'entourait le grand propriétaire foncier en Brabant wallon au 19• siècle. Mais qui sont ces personnages,
ces « propriétaires vénérés à l'égal des dieux », pour reprendre l'expression de Flaubert*? 2
Ils sont sénateurs ! Ils s'appellent dans l'arrondissement de Nivelles : Mosselman*, Coghen*, van
der Liuden d'Hooghvorst*, Robiano*, Vrints de Treuenfeld*, Solvay*, Boël* ... Ils sont éligibles au
Sénat: ils s'appellent Goblet d'Alviella*, De Braux*, d'Auxi de Neufville*, d'Anethan* de Baillet* de
Bethune* de Man de Lennick* de Beeckman de Vieusart* Glibert* ... Rien qu'à prononcer leurs illustres
patronymes, on sent déjà leur influence, leur patte, leur toute-puissance. Une puissance presque féodale
reposant alors sur la grande propriété foncière.
Ces sénateurs, ces éligibles au Sénat de l'arrondissement de Nivelles au 19• siècle, ont tous au moius
40 ans. Ce sont des «gérontes opulents». Ils sont tous de grands notables, «des propriétaires amis de
l'ordre»,« des hommes essentiellement intéressés à la paix publique». Ils paient des impôts. Beaucoup
d'impôts. Des impôts essentiellement fonciers, car il n'y a pas d'impôt sur le revenu à l'époque. Ils paient
le cens. Et pour eux, le cens, c'est le sens. Le sens du notable. Pensez donc que le propriétaire du Château
de La Hulpe (plus de 350 ha de parc et de bois), Antoiue de Roest d'Alkemade* n'est qu'un« éligible
complémentaire». Il ne paie pas assez d'impôts pour être éligible à cens complet (2116 francs). En dépit
de sa grande propriété, il ne s'acquitte en 1880 que de ... 1.549 francs d'impôts fonciers 3• Voici un des plus
beaux exemples qui nous fait toucher du doigt la puissance foncière de ces «messieurs du Sénat». Un
parc de 350 ha (contre 200 ha aujourd'hui), sis en périphérie de la capitale, ne suffit même pas pour être
1 B.J n°50. 24 rnai1846.
« Alors la propriété monta dans les respects au niveau de la reli~on et se confondit avec Dieu. Les attaques qu'on lui portait parurent du
sacrilège, presque de l'anthropophagie... ». Gustave Flaubert: L'Education sentimentale. Troisième partie.!. Presses Pocket. n°6014. 1989. p.
367.
3 Même avec sa contribution personnelle (impôts sur les signes extérieurs de richesse), il n'arrive qu'à... 2.084 francs. Or pour être éligible à
cens complet, il faut payer 2.116 francs (soit l'équivalent de 1.000 florins).
2
éligible à cens complet !4Retenons donc, grosso modo, que pour être éligible au Sénat, il faut posséder
au moins 200 ha de bonnes terres agricoles. Pour le Brabant wallon, on ne compte qu'une quinzaine
d'éligibles au Sénat domiciliés dans la province tant en 1834 qu'en 1873 par exemple 5 • Un peu plus si
l'on prend ceux qui ne sont pas domiciliés dans l'arrondissement de Nivelles.
C'est comme si on avait rapetissé le Royaume à quelques centaines d'éligibles. En fait, moins de
cinq cents personnes répondent dans toute la Belgique à ces conditions d'éligibilité au Sénat 6 . Et
pour cause! 2116 francs d'impôt, c'est une fameuse somme, si l'on songe que pour être électeur,
il faut payer 'seulement' 42 francs d'impôts. Alors 2.116 francs vous pensez! Et dire que certains
grands propriétaires, comme le sénateur stéphanois Mosselman, s'acquittent dans l'arrondissement de
Nivelles ... de 10.000 francs d'impôts !
Mosselman fait, dès lors, partie du« Club des neuf», c'est-à-dire des neuf Belges qui au 19• siècle
ont payé à un moment donné plus de 10.000 francs d'impôts directs au total. Autant dire que ces neuf
Belges sont sans doute, les citoyens de sexe masculin, âgés de plus de quarante ans, parmi les plus
riches du Royaume. Ces Belges richissimes -foncièrement parlant du moins- sont outre Gustave Boël
(qui a succédé à Mosselman), le comte de Flandre *, le comte Gaëtan de la Boessière Thiennes*, le
comte Hemricourt de Grunne* et les barons Michel de Selys-Longchamps* et Claude Blanckart* et
enfin trois noms de l'industrie et de la banque : Georges Brugmann*, Henri Braconnier de Macar* et
Charles Delhoye-Matthieu*. Ce « Club des neuf» Belges n'est pas à confondre avec le « Club des seize
Belges» qui payent le plus d'impôt sur les signes de richesse 7 • Alors est-ce du côté de ces neuf Belges
qu'il faille chercher les plus grosses fortunes du pays? «Le problème en fait», écrit le professeur
Stengers «est impossible à trancher, car ... il y a un élément qui nous échappe presque complètement,
à savoir la fortune mobilière. Comme il n'existe pas encore d'impôt sur le revenu, on ne sait en
général presque rien de ce qu'un Belge très riche pouvait posséder dans son portefeuille d'actions et
d'obligations, sans parler de l'or et des bijoux» 8 .
Ces gens à millions, heureux détenteurs fonciers, aristocrates ou grands bourgeois siègent donc à
la «chambre des propriétaires». Une chambre où les débats se déroulent avec plus de dignité, plus
de pondération que chez les députés. Ces sénateurs évoluent d'ailleurs dans un décorum bien étudié :
une salle tendue de rouge où les huissiers à chaîne sont en bas de soie et en culottes courtes. La plupart
d'entre eux relèvent de la noblesse. Ainsi après les élections de 1848, par exemple, 33 des 52 sénateurs en
faisaient partie9.
Tous ces « Pères conscrits » du Sénat représentent donc avant tout une fortune terrienne, une position
sociale. Ils sont à la tête « de ce morceau d'orgueil... de cette grande propriété ... de cette chose sacrée,
respectée, vénérable, ce pain solide» écrivait en 1868 les Goncourt* dans leur« Journal», en évoquant
la terre de leurs grands-parents 10 • «En acquérant la terre, ce sont des honneurs et du pouvoir que l'on
veut obtenir, non des moissons» écrivait en 1856Alexis de Tocqueville*" .
Les «Pères conscrits» siègent au milieu d'une profusion de calicot rouge. Ils ne reçoivent d'ailleurs
en tant que sénateurs, ni indemnité, ni traitement. Tous appartiennent à cette «institution [le Sénat]
qualifiée par Émile de Laveleye* de « contraire au sens commun, née du hasard, au sein de 1' obscurité
d'une discussion sans suite, au milieu d'une assemblée épuisée ... au milieu d'un débat si obscur que les
orateurs les plus intelligents avaient cessé de comprendre » écrivait en 1851 cet observateur, en évoquant
4 Mais ce sont des hectares de parc et de bois. Pour la terre agricole, dont on peut estimer le revenu en 1865 à 6.000 francs /ha, la possession
de 200 ha de bonnes terres, représente un impôt foncier de 2.100 francs. Sur base de 120.000 francs de revenu annuel, taxé à 7%. A titre
d'exemple, signalons qu'en 1859, le comte Maurice Joseph de Robiano* possédait à Mélinexactement 300 ha pour lesquels il payait un impôt
foncier de 2.740 francs. (CDB. VM. n°723).
5 Mémorial administratifde la province du Brabant. Voir liste des éligibles au Sénat. TI faut choisir 58 sénateurs parmi 450 éligibles
seulement. En 1852, seulement 424 Belges sont éligibles au Sénat. Ils étaient exactement 481 éligibles en 1870. Voir Chambre des
Représentants (Ch des R). Séance du 15 novembre. Session 1870-1871. L'arrondissement de Nivelles n'envoyait au départ qu'un sénateur
siéger. Puis ils furent deux. La somme pour être éligible correspond alors à un revenu immobilier annuel de l'ordre de 20.000 francs ou à
un domaine de plusieurs centaines d'hectares. Le revenu cadastral de la propriété d'Ernest Solvay à La Hulpe (350 ha) s'élève par exemple
en 1897 à 22.789 francs. En d'autres mots, à plus ou moins cinq années de salaire moyen. Autant dire qu'ils ne courent pas les champs et
les bois ceux qui arrivent à s'acquitter d'une pareille somme. Le baron de Roest d'Alkemade paie en 1882, la somme de 1.556 francs de
contribution foncière pour son domaine de La Hulpe de 343 ha. Sans ses contributions personnelles, il ne serait même pas éligible, en dépit
de ses 343 ha. AE (LLN). Archives communales du Brabant. La Hulpe. Double des rôles des contributions directes. n° 28.
6 AE (LLN). Archives communales de Brabant. La Hulpe. Double des rôles des contributions directes. Année 1897. Cela représente un
éligible pour 6.000 habitants. En 1842, il y a 412 éligibles payant un cens minimal de 1000 florins. Un demi-siècle plus tard, ils sont à peine
551.
7 Le Club de seize a été étudié en détail par Éric Meuwissen : Richesse oblige. La Belle Époque des grandes fortunes. Racine 1999.
8 Stengers Jean: Préface du livre d'Éric Meuwissen: Richesse oblige ... op cit; p.lO.
9Stengers Jean :La constitution de 1831 et son application pour le Sénat. Bulletin de l'ARNB. n°243. Juillet 2005. pp.53-70.
10de Goncourt Edmond et Jules: Journal. 19 juin 1868. Laffont. Bouquins. 1989. t 2. pp. 157.
11 de Tocqueville A : L'ancien régime et la révolution.
la création du Sénat par le Congrès national 12 •
Qu'ils soient libéraux ou catholiques, ces grands terriens règnent sur leur village, leur canton, leur
arrondissement. Ils assoient leur autorité sur leurs fermes, leurs bois, leurs étangs, leurs moulins, leurs
bêtes, leurs fermiers et leurs gardes-chasse ... Leurs serfs, pardon, leurs fermiers, font partieintégrante
de la terre, au même titre que les forêts qui la couvrent et les bêtes qui l'habitent. Leurs châteaux et leurs
parcs sont les signes extérieurs de leur magnificence; leurs moulins, les signes de leur puissance. Ils
disposent de la force tranquille de ceux qui régentent« bêtes et gens sans terre». S'ils sont catholiques,
ils ont leur banc de prière à l'église, leur prie-Dieu, leur clou pour y accrocher leur chapeau, leur cloche
dédicacée, leurs vitraux à l'église, leur entrée particulière et leur place à part au centre du cimetière. S'ils
sont libéraux, ils ont leur fanfare, leur kermesse, leur drapeau, leur salle des fêtes ...
Tous possèdent ce qui passe encore pour la seule vraie richesse de l'époque: «la terre». Cette terre
qui dans la Belgique du 19• siècle confère les honneurs. Cette terre qui en fait des «notables», leur
donne de la considération dans l'État, du crédit dans les affaires, du poids dans la fortune, mais aussi via
leurs fermiers, du poids électoral. Comme dit la formule « le système censitaire consacre le règne des
hectares». Et comme il a perduré jusqu'en 1893 ...
Et puis ces « messieurs du Sénat », ces éligibles sont aussi souvent les premiers magistrats de leur
commune. Ils ont « l'écharpe » dans le sang. Ils sont au cœur des réseaux décisionnels. Ils imposent leurs
conceptions politiques à leurs échevins, à leurs censiers qu'ils révoquent pour un oui ou pour un non.
Si le sénateur est d'opinion catholique, gare! Qu'un seul de leurs «sujets» ait l'audace de mettre son
enfant à l'école communale et c'est le renom! Les fermiers se doivent de professer la même philosophie
politique que leur maître. D'autant que ces fermiers sont souvent des électeurs 13 • Et cela à une époque où
seulement 2% de la population accèdent au droit de vote. Autant dire que les tenanciers de « messieurs
les sénateurs » sont bien comaqués. Et il suffit que le sénateur local ou l'éligible « retourne sa veste »
pour que le village change d'opinion politique.
C'est d'autant plus important que dans l'arrondissement de Nivelles, libéraux et catholiques y font à peu
près jeu égal. Les socialistes ne comptent pas à cette époque. Chaque voix compte. Car le corps électoral
est restreint et le scrutin est alors majoritaire. Un scrutin dans lequel quelques dizaines de voix peuvent
faire basculer le résultat d'une élection. Car dans ce système majoritaire, les candidats qui obtiennent
la majorité absolue emportent tous les sièges d'un district électoral et leurs adversaires aucun. Un très
faible déplacement de voix peut donc produire des bouleversements importants. Et l'arrondissement
de Nivelles, à l'instar de celui de Gand ou de Bruges, nous rappelle Jean Stengers, était réputé pour ses
luttes électorales acharnées. On y était élu parfois à une seule voix de différence ! Une voix et tous les
sièges basculent dans un camp! On ne parle pas de scrutin proportionnel de ces temps-là.
Cela montre bien à quel point la lutte était à couteaux tirés. Elle y prenait parfois une tournure d'une
violence et d'une déloyauté inouïes, comme nous le révèle la presse d'alors. Cette lutte mit surtout
clairement en évidence le poids des grands propriétaires fonciers durant les périodes électorales 14•
Au cœur de la richesse foncière avec ces messieurs du Sénat
Dès lors, pour peu que l'on fasse partie de ce petit cénacle des «pâmés de la terre», et que l'on
s'acquitte donc de la somme faramineuse de 2.116 francs d'impôts directs, l'élection n'est vraiment plus
un problème 15 .
Voyons l'histoire de Charles Ferdinand de Macar, *beau-frère de Ferdinand de Meeûs, Gouverneur de
la Société Générale. Ce fils d'un conseiller du prince Évêque de Liège se pique soudain en décembre
12 De Laveleye Émile (de) : Le Sénat belge. Étude politique. 1851. Els Witte écrit : « Les discussions sur le Sénat qui sont très longues et
parfois très véhémentes, montrent bien combien on soigne les intérêts de l'aristocratie et de propriétaires terriens. Siseul de Gerlache*est
encore favorable à une Chambre aristocratique séparée, le souci que ces forces conservatrices soient bien représentées est très présent
à l'esprit de ses collègues. La conception physiocratique qui veut que seuls les propriétaires terriens peuvent être dépositaires de la
pensée étatique et que les biens mobiliers lient trop peu le bourgeois à l'État n'est rejetée que par une faible majorité. Le Sénat compense
doncefficacement la suppression de la chambre aristocratique et peut jouer pleinement son rôle de corps conservateur». La construction de
la Belgique 1820-1847. Tournai. 2008. p.91.
13 En fonction de la loi électorale en application à l'époque, le fermier d'un domaine rural pouvait espérer accéder rapidement à l'électorat
général par le biais du versement de la contribution personnelle. Certains fermiers étaient parfois de plus propriétaires de quelques lopins
de terre, ce qui leur p=ettait d'atteindre le cens requis pour être électeurs aux chambres grâce à la contribution foncière. Les f=iers
pouvaient s'attribuer le tiers de la contribution foncière qui pesait sur l'exploitation rurale qu'ils tenaient en location. Dans la pratique, le
simple fait de donner en location une f=e ou une terre d'une certaine surface à un individu contribuait à faire de lui un électeur. En 1847,
le corps électoral censitaire de l'arrondissement de Nivelles comptait 647 cultivateurs (43,55%). Suite à la réforme électorale de 1848, il en
compte 927.
14 Stengers Jean: Sur l'influence des grands propriétaires fonciers en Belgique au X!Xe siècle. La Belgique rurale du Moyen Âge à nos
jours. Mélanges offerts à Jean-Jacques Hoebanx. ULB. pp. 354-368.
15 La so=e de 1000 florins représente une so=e qui équivaut dès la création du franc belge à 2.116 francs-or (francs belges de l'Union
latine identiques aux francs français).
1839 de devenir un des deux sénateurs de l'arrondissement de Nivelles. Et cela quinze jours avant les
élections. Est-ce possible ? demande-t-il à son tout puissant beau-frère le Gouverneur Meeûs ?
L'historien Jean-Louis Van Belle a retrouvé la correspondance entre les deux hommes:
-' Pourrais-je m'y faire élire?'
-'Voyons d'abord si tu es éligible. Payes-tu le cens requis?' répond Meeûs.
-' Je ne saurais dire le montant exact des cotisations que je paie'.
-'Qu'à cela ne tienne, on va compter. Allez, 107 bonniers ici, 12 là-bas, 77 ailleurs ... Bref cela fait
303 ha dans l'arrondissement de Nivelles. Taxé à 6 francs le bonnier, auxquels s'ajoutent les impôts
payés à Bruxelles et dans la province de Liège. Total: 2.536 francs. Chance ! Les 2.116 francs sont
donc atteints'.
Ferdinand de Macar peut être élu au Sénat. Il fait partie des 403 contribuables que compte le pays qui
peuvent alors y prétendre. Aussi, pour peu qu'il soit candidat, l'élection n'est plus qu'une formalité.
Ainsi allait la vie dans l'arrondissement de Nivelles, où quinze jours avant une élection, on se décide à
devenir sénateur 16.
Avec ces « messieurs du Sénat » (élus et éligibles), nous sommes donc bien au cœur même de la richesse
foncière. Celle qui se prélasse sous les boiseries d'acajou, dans les salons aux fauteuils recouverts
d'écarlate et d'or de l'institution. Leurs noms nous sont connus grâce à« l'Index des éligibles» sorte de
Gotha, de bottin de la propriété immobilière au 19esiècle 17 •
Évoquant ces sénateurs, Paul Hymans* a des mots très durs. A la limite de l'offense. «Le courant des
idées du temps expirait au seuil de cette assemblée close, d'atmosphère tiède, pauvre en talents, riche
d'argent, de préjugés et de morgue, dont le personnel changeait à peine et où d'étroites conditions
d'éligibilité empêchaient en quelque sorte l'air de se renouveler» 18 •
Pour l'arrondissement de Nivelles, nous avons repéré grâce à «l'Index des éligibles» au Sénat saisissante radioscopie de la richesse belge au 19e siècle- un peu moins de 150 éligibles entre 1830 et
1893, mais dont certain ne possèdent que presque par hasard des terres en Brabant wallon, leur centre de
gravité se situant dans d'autres provinces 19 •
« Oh ! La fortune domaniale ! Elle est allée rejoindre les pataches »
Jusqu'en 1850, les choses sont relativement simples. La richesse, c'est la terre, un point c'est tout. On ne
parle pas encore beaucoup à l'époque de la fortune mobilière, du capitalisme industriel et commercial.
Les Meeûs*, Coghen* et autre directeurs de la Société Générale sont des exceptions. Des pionniers. Et
pourtant cette terre ne rapporte pas beaucoup. Ses rendements furent toujours réduits au 19e siècle. 20
Mais voilà jusqu'en 1850, seu1e semble compter la fortune foncière. «La fortune mobilière - le grand
capitalisme- s'il donne la puissance économique n'a pas encore conféré la puissance sur les hommes.
Le grand capital domine les hommes certes - les ouvriers au premier chef- mais des hommes qui ne sont
pas des électeurs» écrit dans l'Index Jean Stengers. L'ouvrier incarne encore «ce zéro social» dont
nous parle Balzac*. Cette« vile multitude» pour reprendre l'expression de Aldolphe Thiers*,« ce nabot
monstrueux qu'a tenu sous son charme pendant plus d'un demi-siècle, la bourgeoisie française». Le
sénateur, le propriétaire, lui, il domine ses électeurs.
Bref jusqu'au milieu du 19e siècle, les grands propriétaires terriens répugnent à confier leur argent à ce
qui ne représente pas la stabilité rassurante des champs, des prés et des bois. Le député catholique de
Tournai Charles Doignon* déplore en 1836 «l'accroissement du nombre des sociétés anonymes qu'ont
voit éclore de tous côtés. Je voudrais voir mettre un frein à l'insatiable avidité de faire des bénéfices sans
16 Van Belle Jean-Louis: De Meeûs à de Meeûs Bruxelles, la foi le feu. Braine-le-Château. Ed de la Taille d'Aulme. 1997. pp 99-102. Pour
un siège vacant, on ne trouvait en gros que 14 éligibles. Certains disaient même 4 ou 5 si on retirait tous ceux qui avaient plus de 65 ans ...
ceux qui sont impropres aux débats politiques ou ceux qui ne veulent pas quitter leurs foyers et enfm les fonctiounaires, tout cela réduit la
liste des éligibles effectifs pour l'année 1851 à 248 noms au lieu de 726, ce qui fait tomber la proportion des élus à 1 pour 4,5 éligibles.
17 Stengers Jean (s dir): Index des éligibles au Sénat. 1831-1893. Bruxelles. Académie Royale des Sciences, des Lettres, des Beaux-Arts
de Belgique. Commission de la Biographie nationale. 1975. 550 p. Voir compte rendu et résumé de la démarche dans la Revue d'histoire
ecclésiastique. 1977. pp. 450-452.
18 Hymans P : Un chapitre d'histoire parlementaire de Belgique. Frère-Orban. Le plan économique et financier de 1848. Les réformes
fiscales. L'impôt sur les successions. Revue de l'ULB. 1902-1903. p.289.
19 Dès qu'un individu paie au moins 500 francs d'impôt dans un village, il est répertorié dans l'Annuaire administratif et judiciaire de la
province. S'il paie par exemple 500 francs à La Hulpe et 2000 francs à Liège, il sera répertorié dans la liste des 150 éligibles du Brabant
wallon.
20 Le professeur Fernand Baudhuin a calculé qu'en 1846, le fermage représentait 2,6% de la valeur vénale, 2,4% en 1856, 2,8% en 1880.
TI fallait en déduire l'impôt foncier. Le rendement net représentait plus ou moins 2,5%. Or les rentes rapportaient, au cours, 5% environ
de 1835 à 1860 et 4%jusqu'en 1880. Quand éclata la Première Guerre mondiale, les terres rapportaient donc environ les deux tiers des
autres placements considérés comme les plus sûrs. Baudhuin Fernand : Placements. Principes permanents d'économie privée. Université de
Louvain. 1943. pp 84-85.
qu'il en coûte travail »21 • «Avidité». Le vilain mot est lâché. Il restera d'actualité jusqu'à aujourd'hui.
Avant 1830, l'industrie et le commerce ne trouvent pas les capitaux nécessaires à leur progression.
Car effectuer des placements sur un avenir qui paraissait lointain ne tentait vraiment pas la plupart des
possédants. Pourtant, l'exemple avait été fourni à la fin du siècle précédent par les Desandrouin*, les
Walckiers*, les Mosselman 22 ... qui investirent des sommes considérables dans l'exploitation des mines
et des verreries du Borinage, de même que par d'autres, dans les hauts-fourneaux et les filatures.
Ces hommes annoncent pour reprendre 1' expression de Charles Morazé les « bourgeois conquérants »
du 19• siècle. Ces derniers accèdent bientôt à la notabilité que leur refusait l'Ancien-Régime. Des
fortunes considérables s'amassent d'abord dans la fourniture aux armées ensuite dans le commerce et
l'industrie. Bientôt le besoin d'ostentation les pousse à imiter l'ancien ordre de la noblesse. Ils copient
le faste de la« vie de château» tout en essayant de procéder à des rapprochements à l'aide d'alliances
matrimoniales. À côté de l'aristocratie traditionnelle (Merode, Arenberg, Robiano d'Hooghvorst,
Liedekerke ... ) éclot bientôt une grande bourgeoisie industrielle et d'affaires qui ne tarde pas à céder par
mimétisme à la« fiction gentilhommière» (Mosselman, Henricot*, Goblet, Boël*, Solvay* ... ) et dont
certains finiront pas être anoblis.
Car posséder un château entouré de vastes biens fonciers, «avoir ses terres», n'est-ce pas associer
l'apparence de l'aristocratie au privilège acquis par la fortune; n'est-ce pas donner du lustre à la classe à
laquelle on est désormais fier d'appartenir?
Le châtelain d'Argenteuil, Ferdinand de Meeûs* donna l'exemple. Il faut dire qu'il était Gouverneur de
la Société Générale. Avec Ferdinand de Meeûs comme porte-drapeau, voici l'époque (1850) où pour
reprendre la formule du professeur Lebrun: «moins d'une cinquantaine de familles, probablement une
trentaine sont réellement au sommet du pouvoir. Il s'agit d'un petit groupe d'hommes appartenant à
la haute société bruxelloise. Il est fait de provinciaux se « bruxellisant », de bourgeois s'anoblissant,
de nobles s'embourgeoisant. Il se structure autour de trois éléments en étroite liaison : le palais, le
gouvernement et la haute banque. Il y a réellement constitution d'une nouvelle aristocratie faite d'anciens
et de nouveaux, plutôt d'une bourgeoisie -aristocratie bruxelloise. Le pouvoir de celle-ci repose sur la
grande propriété foncière et sur la haute banque 23 . Grandes propriétés, ajouterions-nous, se trouvant dans
le «jardin brabançon de la capitale ».
«Je m'imaginais que seule la grande propriété devait nourrir des gens comme nous»
Après 1850, la terre perd donc un peu de son prestige aux yeux des hommes d'affaires de la capitale très
en avance de ce point de vue sur d'autres milieux. Certes, elle offre toujours un bon rapport, la possibilité
d'être sénateur, mais ces capitalistes ont à leur portée des opérations tellement plus profitables.
Balzac est maintenant dépassé. Ses personnages sentent par trop « la boutique, le style rongeur et
gagne-petit». Pour coller à la nouvelle époque (après 1850), il faut maintenant aller chez Stendhal*
auprès de madame Grandet, et de Lucien Leuwen. Il faut aussi se rendre chez le banquier Dambreuse
de Flaubert. Mais pas chez Proust, dont l'argent n'a jamais été le critère.C'est l'époque ou Hippolyte
Castille* écrit : « La cupidité est aussi naturelle à la bourgeoisie que l'envie à la démocratie et l'orgueil à
la noblesse».
En France, le Second Empire pointe son nez. Et avec lui un développement inouï de l'industrie et des
chemins de fer.
-«Je m'imaginais que la terre seule, la grande propriété devait nourrir des gens tels que nous ...
Malheureusement de grande propriété ... il ne nous reste qu'une ferme» se désolait la comtesse de
Beauvillers, une héroïne de Zola* sous le Second Empire
-« Mais Madame » lui rétorquait le fmancier Saccard*, « personne ne vit plus de la terre ... 1' ancienne
fortune domaniale est une forme caduque de la richesse, qui a cessé d'avoir sa raison d'être. Elle était
la stagnation même de l'argent, dont nous avons décuplé la valeur en le jetant dans la circulation ...
C'est ainsi que le monde va être renouvelé, car rien n'était possible sans l'argent, l'argent liquide
qui coule, qui pénètre partout . . . Oh ! La fortune domaniale ! Elle est allée rejoindre les pataches.
On meurt avec un million de terres, on vit avec le quart de ce capital placé dans de bonnes affaires à
quinze, vingt et même trente pour cent » 24 •
21
A.P. Ch des R. Séance du 12 novembre 1836. Cité par Louis Hymans :Histoire parlementaire ... op cit; t.I .p.187.
Sur la famille Walckiers*: voir Bronne Carlo: Financiers et comédiens au XVIII• siècle. Madame de Nettine. Banquière des Pays-Bas.
Bruxelles. 1969.
22
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Lebrun P: La haute banque et la révolution industrielle en Belgique. Revue de la Banque. 1830-1980. Cahier 8/9. Septembre 1980.
Zola Émile: L'argent. Le livre de poche. p.154.
Bref, si la sécurité constituait l'attrait majeur de la propriété immobilière, tout change à partir du moment
où l'industrialisation déprécie les investissements fonciers. Progressivement l'immobilier perd sa fonction
de valeur refuge pour reprendre l'expression du héros de Zola, Saccard, alias Pereire*(?) ou Mires*(?
). Un renversement des valeurs s'opère. Le seul investissement qui permet à long terme de préserver
et même d'augmenter la valeur réelle du patrimoine est désormais de type boursier. Les dividendes et
les plus-values relèguent loin derrière eux la rente foncière. L'industrialisation entraîne une explosion
des valeurs mobilières. Nous sommes là en présence des nouvelles formes de la richesse, de la richesse
dite «mobilière», c'est-à-dire fondée sur l'argent, les valeurs, les «papiers» en opposition avec les
anciennes formes de la prééminence sociale: la possession des terres et l'exploitation agricole, la richesse
dite« foncière».
Pourtant - et le phénomène est très net en Brabant wallon- jusqu'à la veille de la Première Guerre
mondiale- le patrimoine immobilier continue à constituer 1' essentiel des grandes fortunes, même si
ces patrimoines ont tendance à devenir de plus en plus mixte. La tradition est tenace ici. Paris est loin.
Les domaines s'arrondissent encore. Même si la terre n'est plus grand-chose dans la richesse du pays.
Mais qu'à cela ne tienne. La propriété rurale reste une ambition sociale, un idéal sociopolitique, un
style de vie. Et c'est encore en mesurant ses arpents, ses « briques au soleil » que chaque citoyen peut
aisément s'étalonner dans la hiérarchie fmancière. Et cette unité de compte est reconnue unanimement.
L'industrialisation a entraîné une explosion des valeurs mobilières. Mais en même temps, l'urbanisation
a renchéri le patrimoine immobilier. La fortune immobilière fait de la résistance. En Brabant wallon en
tout cas. Et particulièrement à Court-Saint-Etienne et environs.
Mais une chose est sûre. L'attitude des grands propriétaires fonciers à l'endroit de l'industrialisation a
déterminé le sort de leur fortune.
Selon le recteur V. Thiry:« On peut dire qu'à notre époque (1876) les richesses mobilières dépassent les
valeurs immobilières et que la plus grande partie du patrimoine des familles se compose des premières.
Il n'y a guère que les grandes fortunes qui puissent aujourd'hui consister en immeubles, à cause du faible
revenu de la terre et encore ces grandes fortunes, toujours fort rares, ne sont-elles plus exclusivement
immobilières : elles participent dans une certaine mesure au mouvement industriel et commercial » 25 • Le
cas des Boël et des Goblet d' Alviella nous le rappelle si besoin en est.
Dans son roman intitulé« Les Continuateurs», le Belge Armand Thibaut* décrit bien l'état d'esprit qui
régnait à cet égard dans certaines familles à la fin du 19•siècle 26 • Il met le doigt sur cette peur éprouvée
par les grands propriétaires fonciers vis-à-vis d'une richesse d'affaires. Son héros s'exclame:
-«Aujourd'hui les fortunes terriennes réputées princières il y a soixante ans sont à peine suffisantes
pour maintenir un train modeste. Tes ancêtres étaient riches parce qu'ils connaissaient la terre et
savaient en extraire le suc. À la bouche, lui montait une rancœur contre l'argent, ce sale argent à cause
duquel tant de belles traditions s'étaient effritées au martèlement continu des nécessités, tant de beaux
vieux noms devenus lamentables épaves à la remorque de boursiers parvenus. Je pense à notre vieille
Belgique de jadis où tant d'aristocrates tenaient en honneur d'être 'de leur village' et d'y donner le bon
exemple, de soutenir les revendications de leur canton ... La plupart se faisaient aimer des paysans, car
ils partageaient leurs tracas et leurs chagrins. Ils vivaient d'ailleurs toute l'année ou peu s'en faut au
milieu d'eux. Leurs femmes visitaient les pauvres ... »
C'était là, le lot des grandes familles aristocratiques de jadis qui «tenaient en honneur d'être de leur
village», qui se faisaient «aimer» (et parfois détester) de leurs paysans (clientèle électorale oblige).
Mais en Brabant wallon en général et à Court-Saint-Etienne en particulier, une nouvelle aristocratie a
pris le relais. L'aristocratie de l'argent incarnée par la grande bourgeoisie libérale qui a jeté son dévolu
sur la riche terre brabançonne. Une grande bourgeoisie (certes anoblie pour certains) que nous vous
invitons à découvrir à 1' occasion de ce « voyage autour de la terre » stéphanoise.
Mais d'abord, gardons à l'esprit que ces notables brabançons, ces gens de la terre sont souvent « rats des
villes » à travers leur maison de maître du Quartier Léopold, et « rats des champs » à travers leur château
qu'ils rejoignent à la bonne saison.
Une invitation au voyage qui sera« très sonnante et trébuchante », à l'inverse de ce qui se pratiquait alors
et que Jean d'Ormesson* a bien traduite dans son livre« Au Plaisir de Dieu» lorsqu'il écrit:« l'argent, il
n'existait pas évidemment parce que nous en avions. Mais personne n'aurait jamais eu le front d'en
25
26
B.J. 1876. t:XXXIX. t 9. co11094 et suivantes.
Thibaut Armand: Les Continuateurs. Revue Générale. 1921
parler» 27 • Eh bien, foin des délicatesses de jadis, l'argent sera partout dans ce livre, à chaque page. Le
lecteur va s'y prendre les pieds, le retrouver presque à tous les alinéas. À chaque fois, nous avons essayé
de donner le prix des choses, des gages, des traitements, des loyers, des hectares, des funérailles, le
montant des successions 28 et même la contestation des successions. 29 La terre étant la richesse d'alors,
1' argent est là. Au soleil ! Il déborde, il inonde, il écrase. Les privilèges de la naissance... Pfuiit !
Désormais, seul l'argent compte. Le capital économique est au coeur du processus de domination. Le 19•
siècle est le siècle de l'argent. Plus que jamais, il commande. Il est devenu la mécanique même de la
société, comme le remarque Bianchon*, le personnage de Balzac qui s'exclame dans «La Cousine
Bette » : « L'argent, autrefois, n'était pas tout. On admettait des supériorités qui le primaient. Il y avait la
noblesse, le talent, les services rendus à l'État; mais aujourd'hui, la loi fait de l'argent un étalon général;
elle l'a pris pour base de la capacité politique». Mais désormais pour Goriot*, le héros de
Balzac : «l'argent, c'est la vie». Le siècle sacrifie à «l'omnipotence, à l'omniscience et à
l'omniconvenance de l'argent» 30• Le vieux baron de Gerlache déplore au milieu du siècle, la nouvelle
mentalité : «jouir de sa fortune, augmenter sa fortune, voilà la morale du monde» 31 D'où la nouvelle
expression: L'argent« crache» le notable. Ille fait.« C'est un monde nouveau et un monde sans culture
qui envahit les châteaux, les domaines, les hôtels, les vieux quartiers élégants » se désolait au 20• siècle
l'écrivain belge Louis Dumont Wilden*.
Voyons cela plus en détail et commençons par le plus puissant de tous, le plus imposé de
l'arrondissement: le sénateur Théodore Mosselman. À savoir l'arrière-grand-père de la reine Paola.
Nous avons retracé sa fortune foncière, comme d'ailleurs celle de tous les autres, à partir d'une source
fondamentale qui est l'atlas cadastral parcellaire de la Belgique de P.C Popp 32 , ainsi qu'à partir des
déclarations de succession et des actes transcrits au bureau de conservation des hypothèques à Nivelles 33 •
Retenez que le francs-or en 1896 vaut 273 francs belges ou 6,79 euros. Mais pour éviter un texte« trop
statistique » nous avons pris le parti de mettre de la « chair » et parfois « du sang et des larmes » sur tous
ces illustres personnages qui incarnent le règne de la puissance et de la gloire à Court-Saint-Etienne et
environs. Reste à savoir si ce sera pour des siècles et des siècles?
27
Dans ce livre, Jean d'Ormesson, philosophe de formation, romancier, ancien directeur d'un grand quotidien parisien, a décrit la fin d'une
très ancienne famille qui depuis huit siècles habite le même château en servant Dieu et le Roi. La famille ruinée quittera le domaine ancestral,
ses chiens, ses chevaux, ses métayers, pour un cinq pièces à Paris, le métro et la bonne espagnole.
28 On ne parle pas d'argent... Ah bon ? Le dépouillement du Journal de l'enregistrement et du notariat publié chaque année à Bruxelles est
édifiant à cet égard. On y voit au fil des pages, les familles se déchirer autour des testaments et des successions. Voir la succession Joseph
Meeus: 1865. p. 25 et suivantes; celle de Charles Favart: 1866. p.356 et suivantes, celle de Léonie Lefèbvre: 1863. p. 159 et suivantes, celle
des époux Oldenhove: 1865. p.113 et suivantes ...
29 Les déclarations intervenues après la loi de 1851 comportent une estimation fiscale des biens du défunt, mais ne sont pas complètes. Sont
en effet, exclusivement taxés les innneubles situés dans le royaume, les rentes et les créances hypothécaires. Les biens possédés à l'étranger,
les participations dans les sociétés anonymes n'apparaissent donc pas dans les déclarations de succession. Gardons bien cela à l'esprit. Pour le
reste, elles ne sont pas toujours complètes. La famille peut avoir omis de déclarer des biens.
30J3alzac H : La maison Nucingen. Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. t Vl. p.331.
31 de Gerlache: Luxe et indigence. Pensées diverses. Oeuvres complètes. t.VI. p.179.
32 L'ingénieur P.C Popp* se lança vers 1842 dans la publication d'un atlas cadastral parcellaire de la Belgique. Il y travailla jusqu'à sa mort en
1879. Sont ainsi parus les plans cadastraux de presque toutes les communes du Brabant, du Hainaut, de Liège et des deux Flandres. Au total,
quelque 1.700 des 2.566 communes que comptait la Belgique à cette époque. Chaque plan reprend l'ensemble de la commune à l'échelle 11
5000. Chacun de ces plans est accompagné d'une liste dénommée « Tableau indicatif et matrice cadastrale » qui mentionne les noms et les
prénoms de tous les propriétaires avec leur profession, leur domicile et la liste de leurs biens dans la commune. C'est ce tableau qui a servi de
base documentaire à ce livre.
33AE. (ILN). Ministère des fmances. Administration de l'Emegistrement et des domaines. Conservation des Hypothèques (C. Hyp. ). Bureau
de Nivelles. Registre de formalité. Transcription des actes translatifs des propriétés d'innneubles.À partir de la loi du 1er novembre 1798,
tous les achats notariaux et de gré à gré en Belgique doivent être emegistrés au bureau de conservation des hypothèques. L'obligation
d'enregistrement est imposée pour tout transfert de propriété entre personnes vivantes.