LES GUERRES DE LA LIGUE EN BRETAGNE LES MALHEURS DE

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LES GUERRES DE LA LIGUE EN BRETAGNE LES MALHEURS DE
LES GUERRES DE LA LIGUE EN BRETAGNE
LES MALHEURS DE LA GUERRE À PLEYBEN
Maurice CORNEC
Dans certaines localités des Monts d’Arrée d’où partaient, il n’y a pas si longtemps, les
«PILHAOUER» qui s’en allaient collecter à travers toute la pointe Bretagne les vieux vêtements, peaux de lapins et vieux métaux dont les ménagères voulaient bien se débarrasser
en échange de quelque pièce de vaisselle, il se raconte que le pays était autrefois si pauvre
que les corbeaux qui passaient par-là volaient sur le dos pour ne pas voir la grande misère
qui affligeait les habitants de la contrée.
Dans les années 1590, c’est toute la Basse- Bretagne que les noirs volatiles auraient eu des
raisons de survoler sur le dos pour éviter le spectacle de la désolation qui s’était abattue sur
le pays. Partout ce n’était que ruines, villages incendiés et déserts, champs à l’abandon faute
de paysans pour les cultiver, ceux-ci victimes de massacres, pillages, famine et maladies ou
encore dévorés par les loups si l’on en croit certains témoignages de l’époque.
La cause de tout ce désastre ? Neuf années d’une guerre mi-civile, mi-militaire, commencée
en 1589, qui ne s’éteignit qu’en 1598, mais dont les séquelles se firent encore sentir durant
plusieurs années. Cette guerre est restée dans l’Histoire sous le nom de «GUERRES DE LA
LIGUE».
Aucune paroisse de l’évêché de Cornouaille qui englobait à l’époque l’actuel Poher ne fut
épargnée. Mais Pleyben, à cause de sa situation à l’intersection de deux axes importants de
communications entre le nord et le sud ou l’est et l’ouest de la Bretagne et peut-être aussi
à cause du caractère plutôt affirmé de ses habitants qui lui valut son surnom de «rogue
paroisse» a bénéficé d’une sorte de «traitement de faveur» en pertes de vies humaines, destructions et humiliations dont il sera question plus loin.
ORIGINES DE LA GUERRE
ET COMMENT LES BRETONS S’Y SONT LAISSÉS ENTRAÎNER
Les «GUERRES DE LA LIGUE», cela se passait il y a un peu plus de 400 ans et, même si cela
a constitué une des pages les plus dramatiques de l’Histoire de la Bretagne, le temps ayant
fait son œuvre, celle-ci est quelque peu tombée dans l’oubli autant plus facilement que
l’enseignement de cette histoire est totalement ignoré par I’Education Nationale du moins
jusqu’aux classes spécialisées en Faculté. C’est pourquoi un petit rappel historique me parait
nécessaire avant d’aborder le vif du sujet.
A l’origine des Guerres de la Ligue, il y a le développement du protestantisme en France à
partir du milieu du 16ème siècle environ.
Dans le but déclaré de combattre les «hérétiques» un «parti catholique» ,inquiet de voir les
idées de CALVIN gagner des adhérents non seulement dans les milieux bourgeois et commerçants mais également dans la haute noblesse voire jusque dans la famille royale, fonda
en 1576 une Union qui fut nommée : «La Sainte Ligue».
Le Roi Henri III jugé trop accommodant envers les protestants, la Ligue projeta de le renverser et de l’enfermer
pour le reste de ses jours afin de transférer la couronne
de France à la Maison de Guise dont l’un des membres
était à la tête de la dite Ligue.
Henri III
Le Roi, pour tenter de sauver sa couronne et sa propre
personne, chercha à se concilier les Ligueurs en abolissant les édits qu’il avait pris, favorisant les droits des
protestants et en déclarant son successeur légitime
Henri de Navarre, le futur roi Henri IV déchu de ses droits
à la couronne parce qu’il était protestant. Rien n’y fit.
Les Ligueurs voulaient leur roi à eux et aucun autre, bien décidés à se débarrasser de Henri
III sans attendre que la question de sa succession légitime ne se pose.
Sentant que ses jours étaient comptés, Henri III fit assassiner (à titre préventif ?) Henri de
Guise, le chef des Ligueurs, à Blois le 23 décembre 1588.
Ce fut une initiative malheureuse qui eut pour effet de soulever
contre lui toute la classe politique
française. Isolé, le Roi n’eut d’autre
ressource que de se réconcilier avec
Henri de Navarre et de revenir sur
la déchéance qu’il avait prononcée
contre lui, de ses droits à la couronne de France, et le reconnaître
à nouveau comme son successeur
légitime.
Le nouveau prétendant au trône
n’eut pas à attendre bien longtemps.
Réponse du berger à la bergère, le
Assasinat du Duc de Guise (détail)
Par hyppolite Delaroche
Roi assassin Henri III fut assassiné à
son tour par un ligueur le deux août
1589, et Henri de Navarre prit le titre de Roi de France sous le nom de Henri IV, tout protestant qu’il fut, tandis que les ligueurs proclamaient roi un des leurs : le Cardinal de Bourbon
sous le nom de Charles X, si bien que la France se retrouva, situation inédite, avec deux rois
à sa tête.
Durant peu de temps, il est vrai, puisque le Cardinal-Roi Charles X mourut la même année.
Cependant les Ligueurs, moins que jamais, ne voulaient d’un roi protestant et la France
entra en guerre civile, l’armée royale contre celle de la Ligue.
Voilà qui est fort bien me direz-vous ! Mais les Bretons qui n’étaient pas ou si peu concernés
par le protestantisme, qu’avaient-ils à faire dans cette galère franco-français qui allait coûter la vie de tant des leurs et la ruine de leur pays ? La réponse et simple : RIEN ! du moins
n’auraient-ils rien eu à y faire si ... si en 1582 Philippe de Lorraine, Duc de Mercœur n’avait
été nommé gouverneur de la province de Bretagne par le Roi assassin-assassiné Henri III
et si l’épouse de Mercœur n’avait été d’origine bretonne, née à Lamballe en 1562 et n’était
l’héritière de la «Maison» de Penthièvre qui entretenait depuis plus de deux siècles des prétentions sur le trône du Duc de Bretagne.
Arrivé à ce point de l’histoire, il me faut faire un retour en arrière dans le temps de deux
siècles :
Au 14ème siècle, après le décès sans descendance du Duc Jean III, deux clans de la haute
noblesse bretonne se sont disputé sa succession. Cela a été la «Guerre de Succession de
Bretagne» qui a duré de 1341 à 1364.
Les deux clans adverses avaient à leur tête Charles de Blois époux de Jeanne de Penthièvre
nièce du Duc défunt, d’une part, et Jean de Montfort demi-frère du même défunt, d’autre
part.
Au bout de presque un quart de siècle d‘affrontements, le clan des Montfort finit par l’emporter et les ducs qui se sont succédé par la suite jusqu’à la duchesse Anne comprise, avant
le rattachement de la Bretagne à la France en 1532 ont tous été des Montfort.
Mais les Penthièvre, vaincus par les armes, n’avaient jamais fait le deuil de leurs prétentions
au trône ducal. Ils les avaient seulement mises en sommeil et malgré l’extinction du duché,
ils y songeaient toujours deux siècles plus tard. . Si l’occasion se présentait, ils ne manqueraient pas de la saisir.
Or, avec la guerre de succession au trône de France qui s’ouvrait, l’occasion était peut-être
là.
Mercœur le Lorrain se serait bien vu Duc consort de Bretagne à côté de sa femme Duchesse
en titre. Tant par conviction personnelle que par calcul politique, il se mit à la tête de la
Ligue dans sa province de Bretagne, persuadé que pour prix de sa contribution à la victoire
sur le roi protestant, il obtiendrait d’un Roi ligueur et catholique, la remise en cause du
traité de rattachement de 1532 et le rétablissement du duché au profit de sa femme au nom
de la Maison de Penthièvre prétendante.
Avec la perspective d’un prochain retour à l‘indépendance de la Bretagne,
Mercœur n’eut aucune peine à séduire
et à entraîner derrière lui une bonne
partie, la majorité probablement, de la
noblesse bretonne.
L’autre partie, fidèle au serment féodal
d’allégeance «au Roy notre Sire» que
chaque noble était tenu de prêter, rallia
le parti du Roi et ses forces armées.
Voilà comment les Bretons se sont
trouvés divisés en deux camps ennemis : «Ligueurs» contre «Royaux» et
entraînés dans une guerre qui ne les
concernait pas mais qui allait les ruiner
tous et faire perdre la vie à bon nombre
d’entre eux.
Le Duc de Mercœur
LES HORREURS DE LA GUERRE
Chacun ayant choisi son camp, les nobles Bretons, petits ou grands, étaient désormais
condamnés à s’affronter.
Et l’on s’entre-déchira dans toute la Bretagne à partir de l’été 1589. Ligueurs indépendantistes contre royaux fidèles. On se massacra entre voisins, on se détruisit réciproquement
châteaux et récoltes on se vola bétail et réserves de grains. Incendies de villages et massacres de paysans devinrent monnaie
courante . . . Durant la première année
toutes ces horreurs se commirent entre Bretons mais bientôt de nouveaux
Soldat espagnol au 16e siècle
invités arrivèrent.
Mercœur et les siens firent appel au
très catholique Roi d’Espagne qui avait
des visées pour sa fille sur le trône de
France et au mois d’août 1590 sept
mille Espagnols furent débarqués sur
le flanc sud de la Bretagne.
Les anglais qui avaient quelques vieux
comptes à régler avec le Roi d’Espagne envoyèrent deux mille cinq cents
hommes à Paimpol en avril 1591 au
secours du Roi protestant.
L’arrivée de tous ces étrangers fut comme de l’huile jetée sur un feu qui se serait peutêtre éteint tout seul une fois que les Bretons se seraient mutuellement épuisés. Et la
guerre avec son cortège d’horreurs repartit de plus belle : Anglo-Royalistes contre Hispano-Ligueurs- Indépendantistes, sans qu’aucun des partis ne l’emporte durablement
sur l’autre. Faute de mieux, on rivalisa dans l’horreur dans les massacres ; de prisonniers
notamment.
Si un tant soit peu de raison avait animé les parties en conflit, la guerre aurait dû
s’interrompre après que le Roi, en juillet 1593, eut abjuré le protestantisme et fait allégeance à I’Église Catholique et Romaine. «Paris» vaut bien une messe» aurait-il déclaré
pour justifier son revirement.
Si la guerre s’arrêta effectivement dans la plupart des provinces du royaume faute d’ennemi protestant à combattre, il n’en alla pas de même en Bretagne.C’est que le Roi d’Espagne n’avait pas renoncé aux prétentions sur le trône de France qui l’avaient fait entrer
dans le conflit, tandis que Mercœur entendait toujours devenir le Maître la Bretagne.
Et la guerre allait encore se poursuivre chez nous durant cinq ans, jusqu’à la soumission
de Mercœur au Roi en mars 1598 après de multiples tractations. Il était plus que temps
puisque le bilan était bien lourd.
On ne saura jamais en données chiffrées ce que coûta les Guerres de la Ligue à notre
région, combien de morts causées par massacres, famine et maladies, combien de châteaux détruits, de récoltes perdues, etc. . . .
À défaut de chiffres, voici un témoignage direct qui donne une idée de l’état où était
rendu l’Ouest Bretagne à la fin des hostilités. Il s’agit d’un extrait d’un compte fourni au
jeune Seigneur du Rusquec en Loqueffret par son tuteur. Lequel s’excuse et se justifie
de la modicité des sommes qu’il a pu recueillir pour son compte en raison de la guerre
et de ses conséquences :
Le quatorzième octobre mil cinq cent quatre vingt dix sept.
Montant sauf erreur de calcul à la somme de troys centz cinquante sept livres deux soulz,
six deniers tournoy..,
Demande ledit comptable estre excusé de susdites charges des rentes et revenus en enthier des terres et seigneuries, des convenents, moulins en despandant, appartenant audit
Seigneur du RUSQUEC demandeur en compte, d’autant que les meteiérs, colons et serviteurs de ces ditctes terres avoient pour la plupart quitté et abandonné les dixtes terres et
convenants, sestant retirés du pays- La plus grande partie autres morts de famine, peste
autres férocités des loups.
àutres devenus insolvables et rendus en telle extrémité de pauvreté qu’ils n’avoient
la pouvoir de païer aucune chose tant par les malheurs des guerres civiles que maladies
contagieuses qui ont du courir du temps durant ladite charge et de... non seulement en ses
quartiers mais par toute la province, tellement que les terres et convenant de cest évesché
auroient esté pour la plus grande partie entièrement laissés en friche et sans aucune culture,
voire mesme plus de quatre ans après Vinstitution de la dite charge. Chose si notoire que
personne ne peut ignorer...1
Sources : Archives départementale 29, 1 E 800 et 801
Pour la bonne compréhension de ce texte rédigé dans un français archaïque par quelqu’un dont ce n’était pas la langue maternelle, une petite explication ne me paraît pas
superflue :
Ce qui ressort d’abord, c’est que toutes les terres, qu’il s’agisse de métairies ou de convenants à domaine congéable, de même que les moulins, avaient été abandonnés par leurs te-
1
Transcription fidèle. J’ai conservé l’orthographe mais rajouté une ponctuation.
nanciers. Les uns s’étaient enfuis, on se demande pour aller où, tandis que beaucoup étaient
morts de famine, de peste (maladies diverses) ou attaque des loups.
Ce dernier point peut aujourd’hui paraître incroyable mais il est corroboré par le Chanoine
Moreau dans son livre «Ce qui s’est passé en Bretagne durant les guerres de la Ligue» qui,
sur deux pages (250 et 251) relate les méfaits que commirent ces animaux féroces jusque
dans les rues de Quimper où ils n’hésitaient pas à attaquer les habitants :
«Les loups se promenaient toutes les nuits par la ville... Ils blessaient plusieurs personnes... et
sans le secours ils les eussent mangés...»
Fallait-il que le pays ait été vidé de tout bétail ou gibier pour que les loups deviennent
affamés à ce point ?
Deuxième idée, c’est que les calamités invoquées par le scribe n’ont pas seulement touché
les «quartiers» du Seigneur du Rusquec, c’est-à-dire les paroisses de Loqueffret, Brennilis,
Plonévez-du-Faou et Huelgoat mais tout l’évêché de Cornouaille dont les terres avaient été
abandonnées «en friche et sans aucune culture», voire toute la «province».
Voilà en quel état, «si notoire que personne ne peut l’ignorer» le territoire de Cornouaille
était réduit en octobre 1597. Alors que la guerre tirait à sa fin, Mercœur et les siens vaincus
et les royaux devenus les maître du terrain un peu partout, il ne restait plus que La Fontenelle et quelques autres brigands de son acabit à semer encore la terreur dans le pays en
ruines et largement dépeuplé.
Oui, assurément, les corbeaux auraient eu bien des raisons de voler sur le dos au-dessus de
la Basse-Bretagne pour ne pas voir la désolation qui y régnait en cette fin du 16ème siècle.
Au milieu de ce pays désolé, se trouvait la paroisse de Pleyben sur le sort de laquelle on va
maintenant se pencher.
LES MALHEURS DE LA GUERRE SUR PLEYBEN
Pleyben, la «rogue paroisse» ainsi que la qualifie le Chanoine Moreau dans son ouvrage déjà
cité, a vu les premières années du conflit ses hommes impliqués dans des actions violentes
qui causèrent chaque fois des pertes de vies humaines.
La plus connue est l’attaque et la mise à sac de Carhaix par les «Royaux», qu’a relatée le
Chanoine Moreau.
Un samedi de novembre 1590, «une troupe assez gaillarde de royaux» originaires des environs de Guingamp et Saint-Brieuc, dirigée par un Sieur du Liscoët, Seigneur du Bois de
la Roche proche de Guingamp, ayant fait «chou blanc» un ou deux jours plus tôt contre le
château de Kerouzéré près de Saint-Pol-de-Léon, ne voulant pas rentrer en bredouille à la
maison, se rabattit sur la ville de Carhaix qui leur parut une proie facile puisque peu défendue en escomptant y trouver de quoi faire un joli butin et mettre la main sur quelques
riches bourgeois dont ils pourraient tirer de belles rançons. De bon matin, tandis que la
ville dormait encore, du Liscoët et ses hommes y pénétrèrent sans difficulté et entreprirent
aussitôt son pillage en règle.
Tandis que les pillards étaient à l’œuvre, des habitants parvinrent à donner l’alerte et le
tocsin fut sonné dans toutes les paroisses jusque fort loin de Carhaix semble-t-il.
A l’appel du tocsin, partout les paysans prirent les armes : fourches, faux, haches et autres
instruments qu’ils utilisaient pour les travaux des champs. Ils se rassemblèrent et prirent le
chemin de Carhaix.
Ceux de Plonévez-du-Faou, Plouyé, Landeleau et autres paroisses proches de Carhaix, dirigés par un capitaine nommé L’Haridon furent aux portes de la ville dans l’après-midi du
samedi. àu lieu d’attendre du renfort à l’abri de barricades comme leur conseillait le brave et
expérimenté Capitaine L’Haridon, la «paysantaille» (le mot est du Chanoine) se laissa attirer
dans une embuscade où Du Liscouët avec sa cavalerie les attendait. Les malheureux, Capi-
taine compris, se firent massacrer jusqu’au dernier ou presque et les Royaux crurent pouvoir
se reposer. C’était compter sans ceux de Pleyben et quelques autres paroisses.
Un deuxième groupe de paysans réunissant ceux de Pleyben, Lennon, Brasparts et conduit
par un gentilhomme de Pleyben du nom de Kerperennès, Sieur du Birit et un prêtre de Pleyben l’Abbé Leinlouët de la Maison noble du même nom, armé d’une lourde hache, arriva
devant Carhaix le dimanche matin.
Croyant s’être débarrassé de la veille de tous les paysans belliqueux des alentours, les
«Royaux» faillirent se laisser surprendre et n’eurent que le temps de se ressaisir tandis que
les paysans chargeaient comme des furieux.
Hélas pour ces pauvres gens qui n’avaient pour armes que leurs outils de travail, ils ne faisaient pas le poids face à une troupe aguerrie, disposant d’armes à feu et bien commandée.
Tandis qu’il laissait une partie de sa troupe tenir les assaillants en respect sous le feu des
mousquets, du Liscouët accompagné d’une troupe de cavaliers sortait de la ville sans être vu
et prenait les paysans à revers puis entreprit de les massacrer méthodiquement.
Comme leurs compagnons des autres paroisses, les Pleybennois furent presque tous tués.
On ne saura jamais combien de paysans périrent ni à fortiori leurs noms. Le Sieur du Birit fut
tué, de même que l’Abbé Leinlouët mais celui-ci, en rogue curé de la rogue paroisse, trouva
le moyen avant de succomber de combattre face à face le Sieur du Liscouët à qui il trancha
le bras droit d’un coup de sa lourde hache.
Furieux d’être devenu manchot, du Liscouët fit incendier Carhaix jonchée de cadavres avant
de se retirer. Surnommé «le manchot», il fera encore parler de lui en pillant Châteauneuf-duFaou quelques années plus tard avant de se faire tuer à la pointe des Espagnols en 1595.
Autre affaire sanglante où les Pleybennois furent impliqués : le massacre de Roscannou en
Gouézec qui eut lieu un peu avant celle de Carhaix en septembre 1590.
Cette affaire là ne se serait peut-être jamais produite si l’année précédente, vers la fin de
1589 et peu de temps après le début des hostilités des hommes de Pleyben n’avaient tué un
Sieur de Kerguelen, Seigneur du Châteaunoir en Brasparts. Ce Kerguelen, du parti royal, était
le neveu de la dame de Roscannou veuve d’un magistrat de Quimper, royaliste notoire.
La tante furieuse s’en alla clamer partout qu‘elle saurait bientôt faire une vengeance sanglante contre les meurtriers de son neveu. Et quelques mois passèrent...
Au mois de septembre suivant, le baron de Trésiguidy en Pleyben, Claude de Kerlech qui
était du parti des royaux, venant de Rennes avec sa jeune femme qu’il avait épousée quelques temps auparavant, regagnait son château escorté d’une troupe de 60 à 80 cavaliers.
II décida de s’arrête à Gouézec chez la dame de Roscannou pour s’y restaurer et passer la
nuit.
Le sac de Carhaix
pendant la Ligue.
Extrait de «Carhaix
2000 ans d’histoire au
cœur de la Bretagne»
- Éditions ArMen
L’arrivée de cette troupe se répandit dans tout le pays aux alentours de Gouézec, Pleyben,
Lennon, Edern comme une traînée de poudre. Le toscin fut sonné et de partout les paysans
accoururent. Ceux de Pleyben, plus que les autres, avaient de bonnes raisons de se mobiliser
croyant que la dame de Roscannou avait fait venir les cavaliers pour mettre à exécution ses
projets de vengeance comme elle l’avait clamé à qui voulut l’entendre.
Les cavaliers qui ne savaient rien de toute cette histoire de meurtre et de menaces de vengeance, et n’ayant pas ce jour-là d’intentions belliqueuses particulières, n’étaient pas sur
leurs gardes et pendant qu’ils faisaient bombance dans le manoir, les paysans les avaient
encerclés et barré toutes les issues par lesquelles les cavaliers auraient pu faire une sortie
contre eux. Lorsqu’ils se rendirent compte de la situation, il était trop tard ; ils étaient pris
comme rats dans une nasse.
Ayant barré toutes les issues, les paysans mirent le feu au manoir et toutes les personnes
qui s’y trouvaient, habitants comme visiteurs, c’est 80 à 90 personnes au total qui périrent
soit par le feu, soit sous les fourches et autres armes des paysans. Seules échappèrent par
miracle la jeune femme du Baron de Kerlech qui devait être enceinte puisque la baronie de
Trésiguidy a eu pour seigneurs des Kerlech jusqu’au 18ème siècle et la fille de la dame de
Roscannou âgée de 8 ou 9 ans seulement.
Ainsi périt un des Seigneurs de Pleyben, et non des moindres qui avait choisi le parti des
Royaux alors que les paysans et le Clergé étaient du côté des Ligueurs.
Outre la vie, il en coûta au Baron, à titre posthume, son château de Trésiguidy qui fut incendié plus tard. On y reviendra.
Le Seigneur de Trésiguidy pourrait bien n’avoir pas été le seul noble de Pleyben être du côté
des Royaux. En effet, le Sieur de Kerret Seigneur de Quillien fut fait prisonnier par les Espagnols à Crozon et la paroisse dut payer cinq écus pour le faire Iibérer.
Or les Espagnols étaient des alliés des Ligueurs, ce qui implique que leur prisonnier était du
parti adverse.
Quoique, dans cette folle guerre, seul Dieu était capable de reconnaître les siens. Et encore...
Autre fait marquant à Pleyben : en 1595, le tristement célèbre La Fontenelle vint y faire une
visite qui n’avait rien de courtoisie. Ce n’était pas le genre de la maison chez ce personnage
dont on ne compte pas les crimes les plus horribles commis un peu partout en Basse-Bretagne qui avait fait de l’île Tristan à Douarnenez son repaire quasiinexpugnable.
La Fontenelle s’affirmait du parti de la Ligue mais, en fait, il pillait et rançonnait surtout
pour son propre compte.
On ne sait s’il était venu pour cela uniquement, mais il se rendit au château de Trésiguidy
qu’il fit incendier et détruire aussi soigneusement qu’il put non sans avoir, suivant ses habitudes, fait assassiner les habitants du lieu s’il s’en trouvait encore.
Sans doute pour donner du cœur à l’ouvrage à ses hommes, il contraignit le Procureur terrien de Pleyben, Yves Le Page, à lui fournir une pipe de vin qui coûta 23 écus à la paroisse.
Avec le château, sont parties en fumée toutes les archives accumulées par les Seigneurs du
lieu, dont certaines auraient sans doute intéressé les historiens actuels, car les Seigneurs de
Trésiguidy ont souvent occupé dès le 12ème siècle des fonctions d’Ambassadeurs, de messagers et même de Gouverneur de Paris pour l’un d’eux, au service des Rois de France.
Le château de Trésiguidy n’a pas été reconstruit.
Un manoir qui est toujours là en parfait état a été construit au début du 17ème siècle à côté
des ruines que l’on peut voir en partie seulement, car les bases de l’ancien château sont
enfouies sous des ronciers quasi-inextricables qui sont sans doute la meilleure protection
possible en attendant que peut-être un jour des archéologues s’y intéressent et que le site
soit mis en valeur.
Pleyben eut aussi en cette triste période son «Seigneur voyou»
Il se nommait Du Bouëttiez et était le Seigneur de Keranc’hlan (prononcer Ker an Klaon,
qui signifie «le village des malades», c’était en effet une ancienne léproserie). Keranc’hlan
s’appelle aujourd’hui Kerlan et se trouve au nord-est du bourg de Pleyben, près du chemin
qui conduit à Saint Ségal à Plonévez-du-Faou.
Si l’on en croit le Chanoine Moreau, c’était un jeune écervelé qui avait rassemblé autour de
lui vingt cinq ou trente «brigandeaux» avec lesquels il s’était retranché dans le château de
Guengat à quelques kilomètres de Quimper.
«Il pillait et ravageait, prenait prisonniers, violait et tuait comme s’il eut été en terre de
conquête...»
On ne sait pas très bien sous le couvert de quel parti il agissait. Il fut délogé avec sa bande
sous la menace d’un canon, mais laisse libre sous la promesse qu’il se comporterait à l’avenir
comme un honnête et loyal Ligueur.
Promesse qu’il ne tint probablement pas puisque Mercœur, chef de la Ligue, lui fit trancher
la tête à Hennebont dont il était originaire par son père, deux ou trois ans plus tard.
Ce jeune voyou devait être un fils de Jean du Bouëtiez originaire d’Hennebont qui épousa,
le 10 octobre 1553, la fille héritière de «noble homme Yves de Kergoët et de Catherine Du
Dresnay, Sieur et Dame de Keranc’hlan».
Comme quoi la bonne moralité et l’honnêteté ne sont pas des vertus héréditaires !
Voici donc quelques événements et quelques personnages qui ont laissé des traces de ce qui
s’est passé à Pleyben durant les Guerres de la Ligue.
Ce ne sont sans doute que la partie émergée de l’iceberg de ce que connut la «rogue paroisse». Point de passage quasi-obligé pour les troupes ou bandes armées se rendant du sud
au nord ou à l’est vers l’ouest de la péninsule. Pleyben aura sûrement vu passer Anglais, Espagnols, Ligueurs et Royaux plus quelques bandes sans étiquette qui tous ont copieusement
pillé, incendié et massacré un peu partout dans le pays. Et Pleyben ne fut pas épargnée au
point que, ruinée, elle en fut réduite à ne plus pouvoir payer ses impôts et à laisser enfermer
ses notables comme otages lorsqu’un semblant de pouvoir, celui du Roi, se fut mis en place
à Quimper.
IMPOTS, TAXES, PAROISSE INSOLVABLE
Après un siège en règle la ville de Quimper, tenue par la Ligue, fit sa reddition au Maréchal
d’Aumont, commandant des forces royales en Bretagne, suivant un protocole qui fut signé à
Quimper le 20 octobre 1594 et approuvé par le Roi à Saint-Germain-en-Laye le 8 novembre
suivant.
Un semblant de pouvoir émanant du Roi désormais catholique pouvait dès lors s’installer
en l’évêché de Cornouaille. Un semblant seulement car, comme on l’a vu plus haut, La
Fontenelle, au nom de la Ligue, continuait ses exactions encore un an plus tard, incendiant
Trésiguidy et emmenant quelques otages Pleybennois dans son repaire de Douarnenez. Et La
Fontenelle n’était pas seul à ignorer le pouvoir royal...
Néanmoins, à défaut de pouvoir contrôler le pays sur le terrain, la nouvelle autorité entendit
faire usage du droit régalien du souverain : faire payer aux Bretons leurs impôts comme en
temps de paix, plus une «cotisation... pour le payement et solde des gentz, de guerre établis
en garnison dans ce pays».
C’est ainsi que la paroisse de Pleyben reçu l’injonction datée de Quimper le 1er mai 1595,
signée Rousseau, receveur des deniers royaux, d’avoir à payer «deux cent quatre vingt huit
écus à huit deniers pour livre», en deux termes : le premier le 10 mai et le second le 30
septembre sous peine de voir «les plus riches d’entre-vous» contraints d’en faire l’avance ou
«emprisonnement de leur personne...».
La «cotisation» fut payé en un seul terme semble-t-il car quittance en est donné le 13 septembre 1595 par le receveur Rousseau.
Est-ce pour retard de paiement du premier terme ? Il apparaît que des notables de Pleyben
: «Guillaume Parquic, Guillaume Le Bout, Gilles Rannou et autres» avaient éét emprisonnés
à Quimper d’après la quittance donnée par «Georges Rondel syndic et gardien des prisons
épiscopales de Quimper» pour la «despance» et frais de garde des dites personnes, le 12
octobre 1595.
La cotisation des gens de guerre ayant été payée, non sans difficulté il ne restait plus à la
trésorerie paroissiale de quoi payer l’impôt ordinaire du fouage (une sorte de taxe d’habitation due par chaque foyer ou «feu» d’où son nom «fouage») Conséquences : Thomas Paige
(Le Page) est confié aux bons soins du geôlier de Quimper à l’instance du Sieur Rousseau
déjà cité le 22 novembre 1595.
Quelques mois plus tard, le fouage de Pleyben n’étant toujours pas payé, un autre notable,
Jean L’Haridon vint rejoindre Thomas Paige dans sa prison quimpéroise le 16 mars 1596.
Toujours pour le même motif, ce fut Me Guillaume Le Moulin qui rejoignait les deux autres
le 15 septembre 1596.
Pendant que ses notables, l’un après l’autre, étaient emprisonnés pour cause d’insolvabilité
de la paroisse, la dette de Pleyben ne faisait que croître et embellir. Au montant des impôts
impayés venaient s’ajouter les frais de garde et de pension des otages, dont les geôliers de
Quimper réclamaient le paiement par une «facture» du 13 octobre 1596 :
Pour Guillaume Le Moulin 9 livres 10 sous
Pour Thomas L‘Haridon 53 livres
Pour Thomas Paige 13 livres
Etc., etc.
Au total, c’est 143 livres de «frais de pension» qui étaient dues aux geôliers tandis que le
Sieur Rousseau attendait toujours les 192 écus et quelques sous qui lui étaient dus pour le
fouage...
Tous les notables de Pleyben auraient fini par être emprisonnés. On en comptait déjà 7 ou
8, sans que la dette ne se réduisît.
HUMILIATION SUPREME
Enfermée dans la spirale infernale d’un endettement toujours croissant et se désespérant
de voir les siens emprisonnés l’un après l’autre, sans perspective de les libérer à court terme
faute de ressources qui auraient permis de payer les arriérés, la «rogue paroisse» représentée
par son «général» (l’assemblée des chefs de famille) dut se résoudre à l’humiliation suprême
: vendre une partie de l’orfèvrerie de l’église pour tenter de soulager la misère de ses emprisonnés :
La décision fut prise le 13 octobre 1596 après la grand-messe en l’église paroissiale. Je
donne ici les noms des délibérants, cela peut intéresser quelques lecteurs généalogistes
: Yves Le Goasguen, Yves Rannou, Yves Guillou, Guillaume Glevian, Guillaume Queffelec,
Jehan Glévarec, Jehan Le Page, Guillaume Periou, Michel Rannou, Francis Queffelec, Jehan
Paige, Mathurin Louarn.
Fut mandaté comme «procureur exprès» Jehan Le Moulin afin de «mettre et exposer en
vente la croix d’argent et les calices de ladite paroisse étant chez un orfèvre sire Pierre
Tanguy demeurant à Kempertin».
A la lecture de ce petit extrait, il semblerait que les objets en question avaient été déposés
chez un orfèvre de Quimper peut-être pour les mettre à l’abri d’un pillage toujours possible
de Pleyben et de son église.
Les deniers qui proviendraient de la vente devaient être employés «à payer les dettes desdits
paroissiens tant à Kemper et ailleurs et délivrer les prisonniers étant en misère grave tant
audit Kempertin qu’à Douarnenez»
On découvre ici, au détour d’une phrase, que des Pleybennois étaient prisonniers non seulement à Quimper par ordre du pouvoir royal mais également à Douarnenez. Or Douarnenez,
l’île Tristan précisément, c’était le repaire de La Fontenelle. C’est la preuve que ce bandit,
lors de son passage à Pleyben en 1595, ne s’était pas contenté de se faire offrir à boire
pour ses hommes et d’incendier le château de Trésiguidy mais qu’il avait emmené dans son
repaire des otages dont il escomptait tirer rançon.
J’ignore si la vente de la croix d’argent et des calices a suffi pour faire libérer les prisonniers
en acquittant les arriérés d’impôt et les frais de garde cumulés.
C’est peu probable mais, même si cela a été le cas, cela n’aura été qu’un soulagement temporaire car la paroisse demeurerait dans l’incapacité de payer grand chose tant que l’activité n’aurait pas repris, tant dans les champs abandonnés à la friche que dans le commerce
forain qui avait fait la fortune de Pleyben avant les Guerres de la Ligue et qui la refera
encore par la suite. Autrement dit, tant que la population n’aurait pas reconstitué les pertes
subies durant les années de guerre et qu’il n’y aurait pas à nouveau des marchandises et des
animaux à vendre sur le champ de foire qui est aujourd’hui la grand place.
Comment les Pleybennois sont-ils sortis de la spirale infernale de l’endettement? On ne
le sait pas. Le plus probable est que Henri IV, une fois son pouvoir consolidé, aurait passé
l’éponge sur les dettes des paroisses devenues insolvables car ce n’était pas l’interêt des
finances royales que de continuer à exiger le paiement de sommes que de toute façon ces
paroisses ne pouvaient acquitter. C’était au contraire de relancer au plus vite l‘activité économique en commençant par renvoyer les prisonniers-otages chez eux où ils seraient bien
plus utiles que dans les prisons.
A ce point de l’histoire, on peut se demander si Pleyben, à cause de l’engagement de nombre
de ses paroissiens du côté de la Ligue, n’avait pas «bénéficié d’un traitement de faveur» de
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la part des «Royaux» lorsqu’ils ont pris le pouvoir à Quimper. Ils avaient quelque peu surtaxé
au-delà de ses possibilités de paiement, histoire d’humilier la «rogue paroisse» en faisant
goûter la paille humide des cachots à quelques-uns de ses notables les plus riches et les
plus en vue.
Combien de temps Pleyben mit-elle à se relever ? On ne sait pas. Ce que l’on sait, c’est que
la santé économique et la prospérité étaient de retour dans les années 1630.
LA TOUR DE LA REVANCHE
Avec l’arrivée des «Guerres de la Ligue» le chantier de construction de l’église de Pleyben,
commencé en 1564 sous le rectorat de Maître Alain Kergadalen, fut interrompu. Après à peu
près un quart de siècle de travaux, l’édifice était en voie d’achèvement. Restait à achever le
porche sud dont on avait seulement réalisé la base.
La prospérité retrouvée, les Pleybennois auraient très bien pu faire achever le porche sud
de leur église suivant les plans de l’architecte qui avait commencé l’ouvrage. Cela aurait
sûrement donne un très beau porche de style gothique comme on peut en voir dans le pays
du Léon à Guimiliau, Saint Thégonnec ou Sizun.
Les «rogues paroissiens» ont voulu autre chose : une tour plus grande, plus belle, plus haute
qu’aucune autre en Bretagne et ils ont fait appel à des architectes qui ont fait de la grande
tour Saint Germain comme une vitrine de leur savoir-faire en y plaçant statues, colonnes,
lanternes et dômes.
Cette grande tour, visible à des kilomètres à la ronde avec ses 48 mètres de haut, n’aurait
jamais existé s’il n’y avait eu les Guerres de la Ligue avec leur cortège de ruines, de deuils
et d’humiliations.
Les hommes qui ont décidé sa construction ont voulu en faire l’expression de leur fierté
et de leur orgueil retrouvé après les humiliations subies par leurs pères quelques dizaines
d’années auparavant.
Aujourd’hui les Pleybennois sont à juste titre très fiers de leur tour qui est l’identifiant
infaillible de leur commune. Les visiteurs, nombreux, ne sont pas en reste pour admirer ce
monument d’une audace folle, voire quelque peu démesurée pour une paroisse rurale. Mais
combien savent ce qu’elle a représenté pour ses constructeurs : une belle revanche sur toutes les calamités d’une guerre où leur pays s’est trouvé entraîné sans avoir rien à y faire !
Ceux qui liront ces lignes le sauront: cette tour, c’est un bras d’honneur de la «rogue paroisse» à l’adresse des malheurs qu’elle a subis il y a de cela quatre siècles.
Maurice CORNEC
Octobre 2005
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