DROITS REELS
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DROITS REELS LE POINT SUR LA JURISPRUDENCE FISCALE Christophe LENOIR Avocat au barreau de Namur Chargé de cours à l’UCL Mons Rue Phocas Lejeune, 8 5032 ISNES Tel. : 081/84.94.84 Fax : 081/84.94.85 [email protected] AR-‐CIR Bull. contr. CIR Com. I.R. CDE CDS CTVA F.J.F. Pas. R.G. Abréviations Arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 Bulletin des contributions Code des impôts sur les revenus 1992 Commentaire administratif du Code des impôts sur les revenus 1992 Code des droits d’enregistrement Code des droits de succession Code de la TVA Fiscale jurisprudentie – Jurisprudence fiscale Pasicrisie Rôle général 2 1 INTRODUCTION 1.-‐ Notre réflexion est axée sur la situation suivante : une société et son dirigeant acquièrent un immeuble bâti ou un immeuble non bâti sur lequel ils souhaitent construire un bâtiment. La société et son dirigeant se partagent le droit de propriété comme suit : la société dispose d’un droit réel d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie (acquis auprès d’un tiers ou du dirigeant lui-‐même), tandis que le dirigeant détient le droit résiduaire (la nue-‐propriété ou le tréfonds). La société utilise l’immeuble dans le cadre de son activité et/ou le met à disposition de son dirigeant. A l’expiration du droit réel, le nu-‐propriétaire ou tréfoncier devient propriétaire du bâtiment et ce, sans avoir à payer d’indemnité. 2.-‐ L’administration fiscale accepte difficilement les économies d’impôt que le contribuable peut réaliser à travers la réalisation de cette opération2. Les contrôles fiscaux sont nombreux, tout comme les procédures de rectification qui en découlent. Les premières décisions judiciaires ont été rendues ces dernières années sur le sujet. Il nous a paru intéressant de les examiner en vue de déterminer autant que possible les écueils à éviter dans le chef du contribuable. 1 Merci à ma collaboratrice, Me Claire ROMMELAERE, avocate au barreau de Namur et assistante en droit romain aux FUNDP à Namur, pour son aide précieuse dans la rédaction de ce texte. 2 Ces économies d’impôt peuvent être brièvement résumées comme suit : toutes les charges supportées par la société sont déductibles (précompte immobilier, frais d’entretien et de réparation, charges financières, droits d’enregistrement) ; la société peut amortir l’immeuble sur la durée du droit réel, ce qui permet un amortissement plus rapide que si la société en avait acquis la pleine propriété ; la société supporte (et prend en charge) une partie des travaux nécessités par l’immeuble (l’ampleur des travaux pris en charge par la société dépend du droit réel choisi) ; la mise à disposition de l’immeuble par la société au profit du dirigeant donne lieu à un avantage de toute nature, imposable à l’impôt des personnes physiques, sur une base forfaitaire (souvent inférieure à la valeur réelle de l’avantage) ; à l’expiration du droit réel, le dirigeant retrouve la pleine propriété de l’immeuble sans paiement d’indemnité, et sans taxation d’une quelconque plus-‐value dans le chef de la société ; après avoir récupéré la pleine propriété de l’immeuble, le dirigeant peut le céder sans être imposé sur une quelconque plus-‐value, l’immeuble faisant partie de son patrimoine privé. 3 3.-‐ Dans les pages qui suivent, nous nous attacherons à : -‐ rappeler brièvement les règles civiles qui gouvernent la matière (partie I) ; -‐ décrire les risques de rectification de la situation fiscale du contribuable et ce, à travers l’examen de la jurisprudence récente (partie II). Les écueils fiscaux seront examinés en suivant la vie du droit réel, soit : -‐ lors de la constitution du droit réel (partie II, chapitre I) ; -‐ durant l’écoulement du droit réel (partie II, chapitre II) ; -‐ à l’extinction du droit réel (partie II, chapitre III). 4.-‐ L’objectif de ce séminaire n’est donc pas de fournir une description exhaustive du régime civil et/ou fiscal applicable aux droits réels démembrés. Nous renvoyons à la doctrine autorisée sur le sujet3. 3 En ce qui concerne le régime civil applicable aux droits réels, voy. notamment : Ph. DE PAGE et A. CULOT (dir.), Les droits de jouissance – Aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthemis, 2007 ; H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 1953, pp. 153 et ss. ; J. HANSENNE, Les biens, tome II, pp. 1017 et ss. ; J.-‐Fr. ROMAIN (dir.), Droits réels – Chronique de jurisprudence 1998-‐2005, Les dossiers du Journal des Tribunaux, 2007. En ce qui concerne le régime fiscal applicable aux droits réels, voy. notamment : Th. LITANNIE et S. WATHELET, « Les démembrements de la propriété immobilière : aspects civils et fiscaux », L’optimalisation fiscale du patrimoine immobilier, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, pp. 1 et ss. ; E. SANZOT, Les droits réels démembrés – Aspects civil, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008. 4 PARTIE I BREF RAPPEL DES REGLES DU DROIT CIVIL CHAPITRE I CARACTÉRISTIQUES COMMUNES DROITS RÉELS 5.-‐ L’usufruit, l’emphytéose et la superficie appartiennent à la liste limitative des droits réels4. Par opposition aux droits personnels qui s’exercent vis-‐à-‐vis de personnes – tels les droits de créance – les droits réels créent un lien direct entre le titulaire du droit et la chose (« res »), faisant l’objet de ce droit : les prérogatives reconnues au titulaire du droit réel s’exercent directement sur la chose. 6.-‐ Le droit réel par excellence est le droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit : - d’usage (usus) : droit d’user de la chose conformément à sa destination normale ; - de jouissance (fructus) : droit de percevoir les fruits de la chose (fruits naturels, civils ou industriels5) ; - de disposition (abusus) : droit de disposer de la chose, matériellement (par exemple en la détruisant ou en en modifiant la substance) ou juridiquement (par exemple en la vendant). 4 Propriété, usage, habitation, usufruit, emphytéose, superficie, gage, antichrèse, hypothèque, privilèges, servitude. Les fruits naturels sont produits spontanément par le sol (exemple : fraises des bois), les fruits civils sont les loyers des maisons ou les intérêts des sommes exigibles et les fruits industriels d’un fonds sont obtenus par la culture (exemple : récoltes de froment). 5 5 DROITS RÉELS DÉMEMBRÉS 7.-‐ Plus précisément, les droits d’usufruit, d’emphytéose et de superficie sont des droits réels démembrés, c’est-‐à-‐dire qu’ils s’exercent sur la chose d’autrui. Ainsi, le propriétaire qui concède sur son bien un droit d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie démembre son droit de propriété : il ne sera plus « plein propriétaire », mais simplement « nu-‐propriétaire » ou « tréfoncier », selon les cas. Il se prive d’une partie des prérogatives de la propriété, qu’un tiers – usufruitier, emphytéote ou superficiaire – reçoit le droit d’exercer. DROITS RÉELS TEMPORAIRES 8.-‐ Contrairement à la propriété, qui a vocation à perpétuité, les droits d’usufruit, d’emphytéose et de superficie sont assortis d’un terme extinctif6. 6 Evénement futur certain ayant pour effet de faire disparaître le droit. Exemples : « le 10 août 2015 », « à la mort de l’usufruitier », etc. 6 CHAPITRE II L’USUFRUIT7 SECTION 1 DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES 9.-‐ « L’usufruit est le droit réel qui consiste à user et à jouir temporairement d’un bien mobilier ou immobilier appartenant à autrui, à la charge d’en conserver la substance et d’en jouir en bon père de famille »8. 10.-‐ L’usufruit peut résulter de la loi ou de la volonté des parties. Exemple d’usufruit légal : le conjoint survivant a droit à l’usufruit de l’ensemble des biens du conjoint prédécédé, si ce dernier laisse des enfants (article 745bis du Code civil). Exemple d’usufruit conventionnel : donation avec réserve d’usufruit. Je donne ma maison à mon fils unique mais me réserve l’usufruit, afin de pouvoir y habiter jusqu’à ma mort. 11.-‐ Ainsi que son nom l’indique, l’usufruitier aura le droit d’usage (usus) et de jouissance (fructus), c’est-‐à-‐dire qu’il pourra user du bien conformément à sa destination normale et en percevoir les fruits. L’usufruitier d’une maison, par exemple, peut donc l’habiter lui-‐même (usage) ou la louer afin de percevoir des loyers (jouissance). Par contre, il doit conserver la substance du bien, ce qui signifie qu’il ne pourra pas endommager ou détruire le bien (disposition matérielle) ni l’aliéner (disposition juridique). Dans ces limites, il peut faire des travaux. 12.-‐ L’usufruitier d’un terrain a le droit de construire et sera dans ce cas propriétaire des constructions érigées. L’usufruitier dispose alors de toutes les prérogatives de la propriété sur ces constructions et peut même les détruire, à charge de remettre les lieux dans leur état originaire. L’acquisition de la propriété, par l’usufruitier, des constructions qu’il a lui-‐même érigées implique une renonciation à l’accession (principe suivant lequel ce qui est incorporé à un fonds appartient au propriétaire de ce fonds), dans le chef du nu-‐propriétaire. On parle 7 Articles 578 à 624 du Code civil. N. VEREYDEN-‐JEANMART, O. JAUNIAUX, « Les droits de jouissance, aspects civils », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 11, citant J. Hansenne, Les biens, t. II, coll.scient. Fac. dr. Liège, 1996, p. 1019, n° 997. 8 7 alors de « superficie-‐conséquence » : le droit de superficie (cf. infra) est ici accessoire, il découle inéluctablement de la différenciation entre le propriétaire du fonds (nu-‐ propriétaire) et celui des constructions (usufruitier). Cette « superficie-‐conséquence » n’est donc pas soumise aux conditions de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie9. SECTION 2 OBLIGATIONS PRINCIPALES DE L’USUFRUITIER 13.-‐ Puisqu’il n’a que les droits d’usage et de jouissance (usus et fructus), l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien, c’est-‐à-‐dire à toutes celles qui ne sont pas considérées comme de « grosses réparations ». La notion de « réparations d’entretien » est une notion résiduaire assez large, compte tenu de ce que le Code civil considère comme « grosses réparations » 10. L’usufruitier doit en effet conserver la substance du bien, ce qui implique qu’il l’entretienne. Afin d’avoir une idée précise de cette substance, l’usufruitier doit – avant d’entrer en jouissance – faire dresser en présence du propriétaire un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit11. Il doit en outre « donner caution de jouir en bon père de famille, s’il n’en est dispensé dans l’acte constitutif de l’usufruit »12. L’obligation de conserver la substance du bien s’explique aisément, au regard du caractère intrinsèquement temporaire de l’usufruit : le nu-‐propriétaire a vocation à retrouver la pleine propriété du bien, qui doit donc être géré en bon père de famille par l’usufruitier tout le temps que durera son droit. 14.-‐ Si l’usufruitier néglige d’entretenir le bien, il sera tenu aux grosses réparations rendues nécessaires par l’absence d’entretien. 15.-‐ Enfin, lorsque l’usufruit prend fin, le Code civil prévoit que « l'usufruitier ne peut, à la cessation de l'usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu'il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. Il peut cependant, ou ses héritiers, enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu'il aurait fait placer, mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état »13. 9 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 50-‐51. Cf. infra, « Obligations principales du nu-‐propriétaire » : «les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ; celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier » (Art. 606 C. civ.). 11 Article 600 du Code civil 12 Article 601 du Code civil : « (…) cependant les père et mère ayant l'usufruit légal du bien de leurs enfants, le vendeur ou le donateur, sous réserve d'usufruit, ne sont pas tenus de donner caution ». 13 Article 599 du Code civil. 10 8 La doctrine et la jurisprudence ont cependant fortement tempéré cette disposition, en estimant qu’elle ne portait que sur les améliorations qui peuvent être financées au moyen des revenus de l’usufruit. Les améliorations plus importantes, comme des constructions, feront l’objet d’une indemnisation si elles sont transmises au nu-‐propriétaire à l’expiration du droit d’usufruit (si elles sont susceptibles d’enlèvement mais que le propriétaire a décidé de les conserver ou si elles ne sont pas susceptibles d’enlèvement et constituent des impenses nécessaires ou utiles)14. SECTION 3 OBLIGATIONS PRINCIPALES DU NU-‐PROPRIÉTAIRE 16.-‐ Le nu-‐propriétaire, une fois l’inventaire dressé et les garanties données, doit remettre le bien à l’usufruitier, dont il ne peut troubler la jouissance d’aucune façon15. 17.-‐ Il est en outre tenu aux « grosses réparations », que le Code civil définit comme « celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ; celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien »16. Cependant, il est aujourd’hui reconnu que la portée trop limitative de cet article est due au fait que le législateur de 1804 n’a pu envisager les travaux nécessaires aux bâtiments actuels. Dès lors, à l’heure actuelle, l’importance financière des travaux est généralement retenue pour déterminer leur qualité de « grosses réparations » ou de « réparations d’entretien »17. Quoi qu’il en soit, les dispositions du Code civil relatives aux réparations n’étant pas impératives, il vaut mieux déterminer le plus clairement possible dans l’acte constitutif à qui incomberont les réparations, importantes ou non. 14 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 51-‐52 ; N. VEREYDEN-‐JEANMART, O. JAUNIAUX, « L’usufruit, aspects civils », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐ Neuve, Anthémis, 2007, pp. 22-‐25. 15 Article 599 du Code civil. 16 Article 606 du Code civil. 17 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 53-‐54. N. VEREYDEN-‐JEANMART, O. JAUNIAUX, « L’usufruit, aspects civils », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐ Neuve, Anthémis, 2007, pp. 32-‐36. 9 SECTION 4 EXTINCTION 18.-‐ Le droit d’usufruit s’éteint : - par la mort de l'usufruitier ; - par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé ; - par la consolidation, soit la réunion dans le chef d’une même personne des qualités d'usufruitier et de nu-‐propriétaire ; Exemple : mon père part vivre sa retraite à l’étranger et me cède l’usufruit de sa maison. A sa mort, j’hérite de la nue-‐propriété et deviens donc plein propriétaire, par « consolidation ». Il en aurait été de même si je lui avais acheté la nue-‐propriété. - par la déchéance : l’usufruitier peut être judiciairement déchu de son droit s’il abuse « de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien »18 ; - par la renonciation de l’usufruitier à son droit ; - par le non-‐usage du droit pendant trente ans ; - par la résolution de l’acte constitutif19 ; - par la perte totale de la chose sur laquelle l'usufruit est établi. 19.-‐ Enfin, le droit d’usufruit accordé à une personne morale ne peut être prévu pour un terme supérieur à trente ans20. Cette disposition étant impérative, le nu-‐propriétaire retrouve automatiquement la pleine propriété à l’expiration de ce délai21. 18 Article 618 du Code civil. E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 43. : « Il n’est pas contestable que l’usufruit puisse être constitué sous condition résolutoire [événement futur incertain entraînant la disparition de l’acte], bien que le Code n’en parle pas ». 20 Article 619 du Code civil. 21 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 42. 19 10 CHAPITRE III LA SUPERFICIE22 20.-‐ Le siège de la matière est la très courte – neuf articles seulement – et très ancienne loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. Hormis la disposition relative à la durée maximale du droit de superficie, cette loi est entièrement supplétive : les parties sont libres de déroger aux dispositions légales, qui ne constituent dès lors qu’un régime « par défaut ». SECTION 1 DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES 21.-‐ « Le droit de superficie est un droit réel, qui consiste à avoir des bâtiments, ouvrages ou plantations sur un fonds appartenant à autrui »23. Ce droit se définit également comme une renonciation à l’accession, dans le chef du propriétaire du fonds. Le principe de l’accession veut que la chose accessoire suive le sort juridique de la chose principale. Or, les bâtiments, ouvrages et plantations sont toujours considérés comme des accessoires au fonds (chose principale) et appartiennent donc en principe au propriétaire de ce fonds, au fur et à mesure de leur incorporation. En concédant un droit de superficie, le propriétaire du fonds renonce à invoquer l’accession, avec pour conséquence que les bâtiments, ouvrages et plantations seront la propriété du superficiaire, aussi longtemps que durera son droit. Dès lors, le propriétaire du fonds n’a plus de droits que sur le sol et le sous-‐sol, droits qu’il peut exercer à condition de respecter ceux du superficiaire. 22.-‐ La superficie est un droit réel immobilier24, il ne peut porter que sur un immeuble : les bâtiments, ouvrages ou plantations sont en effet des immeubles par incorporation. Contrairement au droit d’emphytéose, le droit de superficie peut être concédé à titre onéreux ou à titre gratuit. 22 Loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. er Art. 1 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. 24 Il en va de même de l’emphytéose mais non de l’usufruit, dont l’objet peut être mobilier ou immobilier. 23 11 SECTION 2 DURÉE 23.-‐ « Le droit de superficie ne pourra être établi pour un terme excédant cinquante années, sauf la faculté de le renouveler »25. Il s’agit de la seule disposition impérative de la loi, les parties pouvant décider conventionnellement de déroger à toutes les autres. Malgré le libellé de l’article, qui peut prêter à confusion, il faut comprendre qu’une clause prévoyant le renouvellement ne sera valable que si le contrat avait été conclu pour une durée inférieure à cinquante ans et que le renouvellement n’en porte pas la durée (totale) à plus de cinquante ans26. La durée du droit de superficie est donc de cinquante ans maximum. Par contre, la loi n’impose pas de minimum, contrairement au droit d’emphytéose. En cas de dépassement du terme de cinquante ans, la doctrine considère – la loi étant muette sur ce point – que la sanction doit être la nullité absolue de la convention27. SECTION 3 DROITS ET OBLIGATIONS DU SUPERFICIAIRE28 § 1. Hypothèse A : lors de la constitution du droit de superficie, le fonds comporte des bâtiments, ouvrages et/ou plantations 24.-‐ Le superficiaire devient propriétaire de ces bâtiments, ouvrages et/ou plantations. S’il en a payé la valeur lors de l’acquisition de son droit, il est libre de les démolir ou de les arracher. Il doit cependant remettre le fonds dans son premier état. S’il n’en a pas payé la valeur, il a l’obligation de les entretenir afin d’en conserver la substance29, car ils devront être remis au propriétaire du fonds à l’expiration du droit de superficie. 25 Art. 4 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 114. 27 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 113. 28 Art. 5-‐7 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. 29 Certains auteurs estiment que, dans ce cas, le superficiaire ne dispose plus d’un droit de propriété sur les bâtiments, ouvrages ou plantations, mais seulement d’un droit de jouissance (E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 124). 26 12 25.-‐ A l’expiration du droit de superficie, le propriétaire du fonds (ci-‐après, « le tréfoncier ») redevient – par accession – propriétaire des bâtiments, ouvrages ou plantations qui s’y trouvent. Il doit cependant en rembourser la valeur actualisée au superficiaire sauf si ce dernier n’en avait pas payé la valeur lors de la constitution du droit de superficie. S’il est en droit d’exiger une indemnité pour les bâtiments, ouvrages et/ou plantations, le superficiaire bénéficie d’un droit de rétention : il ne sera tenu de remettre au tréfoncier les bâtiments, ouvrages et/ou plantations que lorsque ce dernier se sera acquitté de l’indemnité due. § 2. Hypothèse B : lors de la constitution du droit de superficie, le fonds ne comporte pas de bâtiments, ouvrages ou plantations 26.-‐ Si le superficiaire construit des bâtiments et/ou s’adonne à des ouvrages/plantations, il est libre d’ensuite les démolir ou les arracher, pourvu qu’il remette le fonds dans son premier état. 27.-‐ A l’expiration du droit de superficie, le tréfoncier devient – par accession – propriétaire des bâtiments, ouvrages ou plantations mais doit en rembourser la valeur actualisée au superficiaire, qui aura un droit de rétention jusqu’au remboursement. N.B. : Bien que la loi prévoie un remboursement du superficiaire pour les bâtiments, ouvrages ou plantations, il ne s’agit nullement d’une disposition impérative. Les parties pourront donc librement y déroger et prévoir qu’à l’expiration du droit de superficie, les bâtiments, ouvrages ou plantations deviendront la propriété du tréfoncier et ce, sans aucune indemnité pour le superficiaire. SECTION 4 EXTINCTION 28.-‐ Le droit de superficie s'éteint : - par l’écoulement du temps pour lequel il a été accordé ; - par la renonciation du superficiaire à son droit ; - par la résolution de l’acte constitutif30 ; 30 Il est admis que les parties insèrent à l’acte constitutif une condition résolutoire, une clause résolutoire expresse ou même qu’elles fassent application de l’article 1184 du Code civil (« La condition résolutoire est toujours sous-‐entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfait point à son engagement. Dans ce cas, le 13 - par la confusion, c’est-‐à-‐dire la réunion, sur une seule tête, des qualités de superficiaire et de tréfoncier ; - par la destruction du fonds ; par la prescription de trente ans. - contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances »), E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 118. 14 CHAPITRE IV L’EMPHYTÉOSE 29.-‐ Comme la superficie, le siège de la matière est une loi du 10 janvier 1824, dont les dispositions sont largement supplétives. SECTION 1 DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES 30.-‐ « L'emphytéose est un droit réel, qui consiste à avoir la pleine jouissance d'un immeuble appartenant à autrui, sous la condition de lui payer une redevance annuelle, soit en argent, soit en nature, en reconnaissance de son droit de propriété »31. Le droit d’emphytéose est donc, comme le droit de superficie, un droit réel immobilier. Il porte sur un immeuble, qui peut être un terrain, bâti ou non, un bâtiment seul, le sol et même le sous-‐sol32. 31.-‐ La loi prévoit expressément que l’emphytéose est un contrat à titre onéreux : l’emphytéote doit payer un « canon », une redevance périodique au propriétaire du fonds (ci-‐après « tréfoncier »). Le canon est un élément essentiel du contrat d’emphytéose33. Cela dit, la loi n’étant impérative qu’en ce qui concerne la durée du droit d’emphytéose, les parties ne sont pas obligées de prévoir un canon annuel. La doctrine semble même accepter que l’ensemble des canons soient payés à l’avance, lors de la constitution du droit d’emphytéose. Il vaut cependant mieux prévoir un canon périodique, fut-‐il symbolique, afin d’éviter une requalification de l’opération en un contrat de vente34. 31 er Art. 1 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 58. 33 Cette redevance doit être modique : « Si elle est excessive, l’emphytéose risque d’être disqualifiée en une vente. (…) Si la redevance est dérisoire, elle risque d’être disqualifiée en prêt à usage » (I. DE STEFANI, « Quelques notions civiles relatives au droit d’emphytéose », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 94. 34 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 93. 32 15 SECTION 2 DURÉE 32.-‐ Seule disposition impérative de la loi, l’article 2 prévoit que « l'emphytéose ne pourra être établie pour un terme excédant quatre-‐vingt-‐dix-‐neuf ans, ni au-‐dessous de vingt-‐sept ans ». La durée du droit d’emphytéose est prévue par la loi plus strictement que celle du droit de superficie, pour lequel aucune durée minimale n’est imposée. Si le droit d’emphytéose est prévu pour une durée de moins de vingt-‐sept ans, il sera soit prorogé jusqu’au seuil minimal de vingt-‐sept ans, soit requalifié en contrat de bail ordinaire, selon que les parties ont respecté ou non les autres caractéristiques essentielles du droit d’emphytéose35. A l’inverse, si le contrat est conclu pour une durée excédant nonante-‐neuf ans, il sera simplement ramené à la durée légale maximale. Cela vaut aussi pour les renouvellements : même si le contrat prévoit un droit de renouvellement, la durée totale du droit d’emphytéose ne peut dépasser nonante-‐neuf ans, sous peine de réduction36. SECTION 3 DROITS ET OBLIGATIONS DE L’EMPHYTÉOTE 33.-‐ « L’emphytéote exerce tous les droits attachés à la propriété du fonds, mais il ne peut rien faire qui en diminue la valeur »37. L’emphytéote bénéficie dès lors de larges prérogatives sur le bien grevé du droit d’emphytéose. Il peut ainsi améliorer le bien par des constructions, des défrichements ou des plantations38. Il doit entretenir l’immeuble et y faire toutes les réparations ordinaires. Cette obligation ne porte que sur le fonds, sur les constructions qui s’y trouveraient lors de la constitution du droit d’emphytéose et celles que la convention l’obligerait à faire. Par contre, l’emphytéote est libre de ne pas entretenir les constructions qu’il a lui-‐même choisi d’ériger. L’emphytéote est propriétaire des constructions qu’il érige39. 35 I. DE STEFANI, « Quelques notions civiles relatives au droit d’emphytéose », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 94. 36 I. DE STEFANI, « Quelques notions civiles relatives au droit d’emphytéose », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 95. 37 Art. 3 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. 38 Art. 5 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. 39 Une doctrine minoritaire estime qu’il n’est propriétaire que des constructions qu’il a choisi d’ériger, non de celles qui lui sont imposées par le contrat d’emphytéose (E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 89). 16 L’acquisition de la propriété, par l’emphytéote, des constructions qu’il a lui-‐même érigées implique une renonciation à l’accession (principe suivant lequel ce qui est incorporé à un fonds appartient au propriétaire de ce fonds), dans le chef du tréfoncier. On parle alors de « superficie-‐conséquence » : le droit de superficie (cf. supra) est ici accessoire, il découle inéluctablement de la différenciation entre le propriétaire du fonds (nu-‐propriétaire) et celui des constructions (usufruitier). Cette « superficie-‐ conséquence » n’est donc pas soumise aux conditions de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose40. 34.-‐ L’emphytéote n’est normalement pas tenu aux « grosses réparations ». Cependant, la loi stipulant que le tréfoncier n’est tenu à aucune réparation41, il vaut mieux prévoir conventionnellement à qui incomberont les grosses réparations42. 35.-‐ Conformément à la définition même du droit d’emphytéose, l’emphytéote doit payer le « canon ». 36.-‐ A l’expiration de son droit, l’emphytéote peut enlever les constructions ou plantations qu’il aurait faites, sauf si la convention constitutive du droit réel l’obligeait à ériger des constructions ou à procéder à des plantations. 37.-‐ Si l’emphytéote enlève des constructions ou plantations, il est tenu de « réparer le dommage que cet enlèvement a causé au fonds »43. Il est également prévu que « l'emphytéote ne pourra forcer le propriétaire du fonds à payer la valeur des bâtiments, ouvrages, constructions et plantations quelconques, qu'il aurait fait élever, et qui se trouvent sur le terrain à l'expiration de l'emphytéose »44. Contrairement au droit de superficie, le régime « par défaut » ne reconnait pas à l’emphytéote le droit d’être indemnisé pour les constructions ou plantations qu’il aurait faites et qui deviennent – à l’expiration de son droit – la propriété du tréfoncier. En bref, si l’emphytéote n’était pas tenu de construire ou planter, le tréfoncier ne peut l’obliger à enlever ou à lui laisser les constructions ou plantations, tandis que l’emphytéote ne peut obliger le tréfoncier à lui payer la valeur des constructions et plantations existant à l’expiration du droit d’emphytéose. N.B. : les parties peuvent cependant en convenir autrement, puisque seule la disposition concernant la durée du droit d’emphytéose est impérative. 40 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 64-‐65. Art. 5 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. 42 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 91 ; I. DE STEFANI, « Quelques notions civiles relatives au droit d’emphytéose », Les droits de jouissance, aspects civils et fiscaux, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 98. 43 Art. 7 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. 44 Art. 8 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose. 41 17 SECTION 4 EXTINCTION 38.-‐ Le droit d’emphytéose s’éteint : - par l’écoulement du temps pour lequel il a été accordé ; - par la renonciation de l’emphytéote à son droit ; - par la résolution de l’acte constitutif45 ; - par la confusion, c’est-‐à-‐dire la réunion, dans le chef d’une même personne, des qualités de superficiaire et de tréfoncier ; - par la déchéance de l’emphytéote, « pour cause de dégradations notables de l'immeuble, et d'abus graves de jouissance»46 ; - par la destruction du fonds ; - par la prescription de trente ans. 45 Il est admis que les parties insèrent à l’acte constitutif une condition résolutoire, une clause résolutoire expresse ou même qu’elles fassent application de l’article 1184 du Code civil (« La condition résolutoire est toujours sous-‐entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfait point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances »), E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 78-‐80. 46 Art. 15 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose, rappelant la déchéance de l’usufruitier (cf. supra). La loi relative au droit d’emphytéose est cependant plus souple car l’article 16 stipule que « l'emphytéote pourra empêcher la déchéance pour cause de dégradations ou d'abus de jouissance, en rétablissant les choses dans leur ancien état et en donnant des garanties pour l'avenir ». 18 CHAPITRE V LE CHOIX DU DROIT RÉEL 39.-‐ Le choix du droit réel (usufruit, superficie ou emphytéose) est une question d’opportunité ; elle dépend de la situation dans laquelle se trouvent la société et son dirigeant. Les parties auront tout intérêt à choisir la construction la plus proche de leur situation personnelle, d’une part, pour qu’elle réponde le mieux à leurs souhaits et, d’autre part, pour éviter que le fisc puisse, d’une manière ou d’une autre, requalifier l’opération et rectifier sur cette base leur situation fiscale. Ainsi, à titre exemplatif, on relèvera ce qui suit : - si l’objectif de la société est de bâtir un immeuble sur un fonds appartenant au dirigeant, il sera préférable d’opter pour un droit de superficie puisque l’essence même de ce droit réel consiste à disposer d’un bâtiment sur le fonds d’autrui ; - si les parties souhaitent acquérir ensemble un immeuble (déjà) bâti, qui ne nécessitera pas de travaux importants, on privilégiera l’acquisition de l’usufruit par la société, la nue-‐propriété étant acquise par le dirigeant ; - si le dirigeant est déjà propriétaire d’un immeuble bâti, il privilégiera la constitution, au profit de la société, d’un droit d’usufruit ou d’un droit d’emphytéose : o si d’importants travaux de rénovation ou d’extension sont envisagés, le droit d’emphytéose sera alors, sans doute, plus opportun ; o dans le cas contraire, la constitution d’un droit d’usufruit conviendra parfaitement ; - si les parties souhaitent travailler sur le (très) long terme, elles privilégieront l’emphytéose, l’usufruit (accordé à une société) et la superficie étant respectivement limités à 30 et 50 années. - si le dirigeant, titulaire du droit résiduaire, souhaite ne pas devoir payer d’indemnité à la société, au terme du droit réel, il privilégiera l’emphytéose, voire l’usufruit47, le tréfoncier étant tenu d’indemniser le superficiaire pour la valeur actualisée des nouvelles constructions. Il est vrai que sur ce dernier point, la loi du 10 janvier 1824 est supplétive mais il faut être conscient que plus on déroge à cette loi, plus on augmente le risque de voir le fisc tenter de disqualifier le droit de superficie au profit d’une autre opération qui corresponde mieux à l’intention des parties. Cette dérogation pourrait en outre être considérée par le fisc comme un indice permettant précisément de conclure à l’existence d’un avantage consenti par la société à son dirigeant, avantage imposable à l’impôt des personnes physiques48. 47 Sous réserve de ce qui est indiqué ci-‐dessus, au sujet des grosses réparations réalisées par l’usufruitier. P.-‐Fr. COPPENS, L’entreprise faxe au droit belge, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 627. 48 19 PARTIE II NAISSANCE, VIE ET MORT D’UN DROIT REEL CLIGNOTANTS FISCAUX 40.-‐ Dans cette partie, nous passerons en revue les écueils fiscaux découlant pour le dirigeant de sa décision de faire participer sa société, à travers l’acquisition d’un droit réel, à l’opération d’acquisition de l’immeuble qui sera, dans la plupart des cas, principalement affecté à son logement privé. Ces écueils peuvent apparaître à tous les stades de la vie du droit réel : lors de sa constitution (chapitre I, ci-‐dessous), lors de son écoulement (chapitre II, ci-‐dessous) ou à son expiration (chapitre III, ci-‐dessous). 20 CHAPITRE I NAISSANCE DU DROIT RÉEL SECTION 1 RÉGIME FISCAL APPLICABLE LORS DE LA CONSTITUTION DU DROIT RÉEL § 1. Usufruit A. Droits d’enregistrement / TVA 41.-‐ L’acquisition du droit d’usufruit par la société impliquera la débition du droit de vente, au taux de 12,50% (10% en Région flamande)49. Si le dirigeant acquiert simultanément la nue-‐propriété auprès d’un tiers, le droit de vente sera également dû sur cette cession. Le dirigeant pourrait également faire apport du droit d’usufruit au profit de la société : - si l’immeuble n’est pas affecté ou destiné à l’habitation, l’apport du droit d’usufruit est soumis au droit d’apport au taux de 0% ; - si au contraire, l’immeuble est affecté ou destiné partiellement ou totalement à l’habitation, le droit de vente sera dû au taux de 12,50% (10% en Région flamande)50. 42.-‐ En principe, c’est la valeur conventionnelle, déterminée par les parties contractantes, qui sert de base à la perception des droits d’enregistrement. Elle se calcule en additionnant le prix et les charges. Ces dernières doivent s’entendre comme « toutes les obligations accessoires que le contrat de vente impose à l’acquéreur, en plus du prix, et dont le vendeur profite directement ou indirectement »51. Exemples : obligation de payer certaines dettes du vendeur, d’exécuter des travaux à son profit, etc. Si le gérant d’une société cède à celle-‐ci l’usufruit d’un terrain, en stipulant dans le contrat que la société devra ériger un bâtiment, la valeur des constructions devra être prise en compte pour déterminer la valeur conventionnelle de l’usufruit. Attention donc à ne pas insérer ce genre de clause dans l’acte de cession. 49 Article 44 CDE. Article 115bis CDE. 51 Article 45 CDE. A. CULOT, Manuel des droits d’enregistrement, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 89. 50 21 Néanmoins, la valeur conventionnelle ne peut être inférieure à la valeur vénale de l’usufruit, qu’il faut donc également calculer. L’usufruitier étant une société, dans le cadre de notre hypothèse de départ, il doit nécessairement être constitué pour une durée limitée. Dans ce cas, la valeur vénale est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4 % le revenu annuel (ou, à défaut, la valeur locative), compte tenu de la durée assignée à l'usufruit par la convention, mais sans pouvoir excéder vingt fois ce revenu (ou, à défaut, la valeur locative). En tout état de cause, l’usufruit ne peut se voir attribuer une valeur supérieure aux quatre cinquièmes de la valeur vénale de la pleine propriété52. 43.-‐ La nue-‐propriété d’un bien immeuble est égale à la valeur de la pleine propriété, diminuée de la valeur de l’usufruit. 44.-‐ Si l’immeuble est neuf, la cession du droit d’usufruit est exonérée des droits d’enregistrement, mais soumise à la TVA53. Un bâtiment est considéré comme neuf jusqu’au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au cours de laquelle a lieu la première occupation ou la première utilisation de ce bâtiment54. Il en est de même pour le terrain y attenant lorsque la cession du droit d’usufruit est réalisée simultanément sur le terrain et le bâtiment par la même personne55. B. Impôts sur les revenus 45.-‐ La cession ou l’apport par le dirigeant à la société du droit d’usufruit sur l’immeuble pourra engendrer dans son chef une plus-‐value, imposable à l’impôt des personnes physiques, à titre de revenus divers. Cette plus-‐value sera imposable : - au taux de 33%, s’il s’agit d’une plus-‐value à caractère spéculatif56 ; - au taux de 16,5%, s’il s’agit d’une plus-‐value réalisée à court terme (soit dans les cinq ans de l’acquisition de l’immeuble)57. 52 Article 47, §3 CDE. Article 159, 8°, CDE (W. et RBC) ; article 44, § 3, 1°, b), du CTVA. 54 Article 44, § 3, 1°, b), du CTVA. 55 Article 1, § 9, 2°, du CTVA. 56 Article 90, 1°, CIR. 57 Article 90, 10°, CIR. 53 22 46.-‐ En cas de paiement anticipé du droit d’usufruit, l’immeuble sera repris à l’actif du bilan de la société sous la rubrique « III.A Terrains et constructions » pour le prix d’acquisition du droit. § 2. Emphytéose et superficie A. Droits d’enregistrement / TVA 47.-‐ La constitution d’un droit d’emphytéose ou de superficie impliquera la perception d’un droit d’enregistrement au taux de 0,20 %58. Si le dirigeant acquiert simultanément le tréfonds auprès d’un tiers, le droit de vente sera dû sur cette cession, au taux de 12,50 % (10% en Région flamande). 48.-‐ Le taux des droits d’enregistrement perçus lors de la constitution d’un droit d’emphytéose ou de superficie (0,2 %) est plus attrayant que celui applicable en matière de constitution d’usufruit (12,5 %). Attention cependant à donner à l’acte une qualification juridique correcte et à respecter toutes les conséquences de cette qualification. En effet, s’il ressort des éléments de l’acte constitutif que celui-‐ci a pour effet un autre acte juridique que celui mentionné, l’administration fiscale pourra requalifier l’opération et percevoir, le cas échéant, les droits d’enregistrements au taux prévu pour cet autre acte. Dans le cas d’une simple requalification, la sincérité des déclarations des parties n’est pas mise en cause : elles sont considérées comme s’étant simplement trompées quant à la qualification juridique à donner à leur convention, avec la requalification comme seule conséquence. Exemple : si un acte qualifié de vente a pour contrepartie une rente viagère dont le montant ne dépasse pas sensiblement les revenus du bien « vendu » et que l’intention libérale ressort des circonstances de la vente, l’opération sera imposée comme une donation59. Par contre, si les parties ont conclu une convention dont elles n’ont sciemment pas respecté toutes les conséquences, elles pourront se voir accuser de simulation. Cela signifie que, dès le départ, les parties n’avaient pas l’intention de respecter la convention officiellement conclue : cette convention, bénéficiant sans doute d’un régime fiscal favorable, n’a servi qu’à dissimuler la convention réelle et ce, dans le but d’éluder l’impôt. 58 Article 83 CDE. F. WERDEFROY, Droits d’enregistrement, Waterloo, Kluwer, 2008, p. 529. 59 23 Si la simulation est établie, il s’ensuit non seulement une requalification – selon la convention réelle – mais aussi l’application de l’article 204 CDE, qui prévoit que chaque partie contractante sera redevable d’une amende égale au droit éludé. Exemple 1 : un veuf vend la nue-‐propriété d’un immeuble à ses héritiers, pour la somme de 3.220.000 BEF. L’acte authentique de vente précise que 1.200.000 BEF sont considérés comme déjà payés, en raison de prestations accomplies depuis trois ans par les acquéreurs au bénéfice du vendeur et de son épouse, lorsque cette dernière était encore en vie. Le même acte prévoit que le solde de 2.020.000 BEF est converti en obligations viagères, consistant essentiellement dans la confection de repas, dans des soins à donner au vendeur, dans le transport de celui ci, dans l'entretien de son linge et de son habitation et dans l'accomplissement de tâches administratives. Les droits d’enregistrement sont calculés au taux de 12,5 % prévu en matière de vente. L’administration fiscale a estimé qu'il y avait simulation et que les droits d'enregistrement devaient être calculés au taux prévu en matière de donation. Elle a décerné une contrainte, à laquelle l’usufruitier puis ses héritiers ont formé opposition. Le premier juge a donné raison à l’administration fiscale mais la Cour d’appel de Mons a réformé ce jugement et annulé la contrainte litigieuse, essentiellement pour des raisons de fait (prestations non surévaluées par rapport à la valeur de la nue-‐propriété de l’immeuble, preuves suffisantes de la réalisation effective de ces prestations, …)60. Exemple 2 : le Tribunal de première instance de Liège a admis l’existence d’une simulation dans un cas où le prix de vente n’avait visiblement pas été payé. L’acte authentique de vente de la nue-‐propriété d’un immeuble précisait que le prix avait été payé antérieurement à la signature de cet acte. Or, au décès de l’usufruitier, ses comptes ne révélaient aucune réception du prix de la nue-‐propriété, tandis que le nu-‐propriétaire s’est avéré incapable de démontrer qu’il avait effectivement payé61. 49.-‐ Les droits d’enregistrement sont liquidés sur le montant total des redevances, augmenté des charges, ces dernières devant s’entendre comme les obligations imposées à l’emphytéote ou au superficiaire en plus du paiement de la redevance et qui bénéficient directement ou indirectement au tréfoncier62. 60 Mons, 27 octobre 2005, R.G. n° 2001/RG/174, disponible sur www.fisconet.be. Civ. Liège, 25 mars 2009, R.G. n° 09/6043, disponible sur www.fisconetplus.be et commenté par M. VANDEN EYNDE, J. DEVOS, « Simulation : donation immobilière déguisée en vente », Lettre d’info Actualités Fiscales, n° 09/42-‐01, 25 novembre 2009. 62 Cf. supra. 61 24 Contrairement au droit d’emphytéose, le droit de superficie n’impose pas le paiement d’une redevance périodique exprimée en argent. Les parties peuvent donc prévoir une « indemnité de superficie » consistant en un capital ou une indemnité non exprimée en argent. Dans ce dernier cas, il faudra veiller à respecter l’article 168, §1er CDE : « Lorsque les sommes et valeurs ou autres éléments nécessaires à la liquidation de l'impôt ne sont pas suffisamment exprimés dans un acte présenté à la formalité, les parties ou, en leur nom, l'officier public instrumentant sont tenus d'y suppléer, avant l'enregistrement, par une déclaration complétive, certifiée et signée au pied de l'acte ». Par conséquent, lorsque le droit de superficie est concédé sans redevance ou contre une redevance symbolique, le transfert sans indemnité des constructions érigées par le superficiaire, au terme du contrat, sera considéré comme « indemnité de superficie »63. La déclaration complétive dont mention à l’article 168, §1er CDE devra alors mentionner la valeur de ces bâtiments, à la fin du contrat64. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que si le superficiaire a payé au tréfoncier la valeur des constructions existant au moment de la constitution du droit de superficie sur le terrain65, il s’opère un transfert « à titre onéreux de propriété de biens immeubles »66, soumis au droit de vente de 12,5 %. 50.-‐ Si l’immeuble est neuf, la constitution du droit de superficie ou d’emphytéose est exonérée des droits d’enregistrement, mais soumise à la TVA67. Un bâtiment est considéré comme neuf jusqu’au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au cours de laquelle a lieu la première occupation ou la première utilisation de ce bâtiment68. Il en ira de même pour le terrain y attenant lorsque le droit réel est constitué simultanément sur le terrain et le bâtiment par la même personne69. B. Impôts sur les revenus 51.-‐ Les sommes perçues par le dirigeant, en sa qualité de tréfoncier, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un droit d’emphytéose ou de superficie, sont imposables au titre de revenus immobiliers70. 63 Circulaire n° 8/2004 (Dos. E.E./97.387) du 13 mai 2004. Circulaire n° 8/2004 (Dos. E.E./97.387) du 13 mai 2004 ; F. WERDEFROY, Droits d’enregistrement, t. II, Waterloo, Kluwer, 2008, pp. 325-‐326. 65 Cf. supra, loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. 66 Article 44 CDE. 67 Article 159, 8°, CDE (W. et RBC) ; article 44, § 3, 1°, b), du CTVA. 68 Article 44, § 3, 1°, b), du CTVA. 69 Article 1, § 9, 2°, du CTVA. 70 er Article 7, § 1 , 3°, CIR. 64 25 La base imposable est composée des redevances perçues par le tréfoncier, augmentées des avantages qu’il aura recueillis (le montant de ces avantages étant déterminé conformément aux règles du CDE – cf. supra)71. Attention donc à pas insérer de clause prévoyant l’obligation pour la société (superficiaire) de construire un immeuble d’une valeur minimum de x euros ! Le CIR précise encore que les redevances et avantages prévus dans la convention d’emphytéose ou de superficie sont imposables en une fois durant l’année de leur perception ou de leur attribution72. 52.-‐ Le droit de superficie ou d’emphytéose doit être porté à l’actif du bilan, sous la rubrique « III.A Terrains et constructions », pour sa valeur d’acquisition. SECTION 2 VALORISATION DU DROIT RÉEL § 1. Importance d’une valorisation correcte du droit réel 53.-‐ Lorsqu’une société acquiert un droit réel sur un bien immeuble dont la nue-‐propriété ou le tréfonds est simultanément acquise par son dirigeant, il est capital de valoriser le droit réel de façon objective et correcte. On pourrait être tenté de faire supporter à la société un prix plus élevé que le prix « normal » de cession du droit réel, mais les conséquences éventuelles de cette petite tricherie dissuaderont les plus audacieux : l’administration ne manquera effectivement pas de relever que le droit réel acquis par la société a été surévalué et qu’il a donc été accordé au dirigeant un « avantage de toute nature »73. Or, la société doit déclarer les avantages de toute nature qu’elle octroie74, sous peine de se voir infliger une « cotisation sur commissions secrètes », au taux de 309 %75. Par conséquent, la différence entre la valeur normale du droit réel et le prix payé par la société lors de son acquisition peut sérieusement préjudicier la société. Mais comment déterminer la « juste valeur » du droit réel lors de son acquisition par la société ? 71 er Article 10, § 1 , al. 2, CIR. er Article 10, § 1 , al. 3, CIR. 73 Sur cette notion précise, cf. infra. 74 Plus précisément, ces avantages doivent être repris dans des fiches individuelles et des relevés récapitulatifs, conformément à l’article 57 du CIR 75 300 % de taux de base tel que déterminé à l'art. 219 CIR 1992 et trois centimes additionnels de contribution complémentaire de crise instaurés par l'article 463bis CIR 1992. 72 26 § 2. Usufruit 54.-‐ La valorisation du droit d’usufruit acquis par la société est particulièrement délicate dans la mesure où règne en la matière une grande insécurité juridique76. La valorisation d’un usufruit ne fait l’objet d’aucune disposition dans le CIR Les contribuables se tournent dès lors généralement vers des modes d’estimation issus d’autres branches du droit fiscal. 55.-‐ Ainsi, selon une pratique notariale bien établie, l’évaluation de l’usufruit sur un immeuble, pour l’application de l’impôt sur les revenus, se fait généralement sur la base de l’article 47, alinéas 2 et 3 CDE qui fixe la base imposable pour le calcul des droits d’enregistrement en cas de cession d’un droit d’usufruit sur un immeuble. Pour rappel, cette disposition prévoit ce qui suit : « Si l’usufruit est établi pour un temps limité, la valeur vénale est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4%77 le revenu annuel, compte tenu de la durée assignée à l’usufruit par la convention, mais sans pouvoir excéder […] le montant de vingt fois le revenu, si l’usufruit est établi au profit d’une personne morale. En aucun cas, il ne peut être assigné à l’usufruit une valeur vénale supérieure aux quatre cinquièmes de la valeur vénale de la pleine propriété ». En d’autres termes, quand un droit d’usufruit est établi pour un temps limité, sa valeur vénale est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4% le revenu annuel (ou, à défaut, la valeur locative), compte tenu de la durée assignée à l’usufruit par la convention, mais sans pouvoir excéder vingt fois le revenu (ou la valeur locative), puisque l’usufruit est établi au profit d’une personne morale. Elle ne peut en outre excéder 80% de la valeur vénale de la pleine propriété. 76 Voy. notamment à ce sujet, P.-‐Fr. COPPENS, V. DECKERS, « Développements récents en matière d’utilisation des « constructions usufruit » à des fins fiscales », J.T., pp. 215 et 216. 77 Tableau de capitalisation à 4% Valeur actuelle de 1 € à recevoir pendant : 1 an : 0,961538 11 ans : 8,760476 21 ans : 14,029159 2 ans : 1,886094 12 ans : 9,385073 22 ans : 14,451114 3 ans : 2,775090 13 ans : 9,985647 23 ans : 14,856840 4 ans : 3,629894 14 ans : 10,563122 24 ans : 15,246961 5 ans : 4,451821 15 ans : 11,118387 25 ans : 15,622078 6 ans : 5,242136 16 ans : 11,652295 26 ans : 15,982767 7 ans : 6,002054 17 ans : 12,165668 27 ans : 16,329584 8 ans : 6,732744 18 ans : 12,659296 28 ans : 16,663061 9 ans : 7,435331 19 ans : 13,133938 29 ans : 16,983712 10 ans : 8,110895 20 ans : 13,590325 30 ans : 17,292031 27 56.-‐ Cependant, la méthode d’évaluation de l’usufruit prévue dans le CDE est de plus en plus sérieusement remise en cause. Elle n’est en tout cas pas exclusive. On remarquera tout d’abord que tout comme le CDE, le CDS comprend également un certain nombre de dispositions permettant d’évaluer un usufruit. Ainsi, l’article 21 du CDS est rédigé comme il suit : « Par dérogation à l’article 19, la valeur imposable des biens dépendant de la succession est déterminée comme il suit : […] IV. Pour l’usufruit constitué sur la tête d’un tiers, par le revenu annuel des biens calculé au taux de 4 p.c. de la valeur de la pleine propriété multiplié par le nombre indiqué sous le numéro V. V. Pour les rentes ou prestations constituées pour un temps limité, par la somme représentant la capitalisation à la date du décès au taux de 4 p.c. des rentes ou prestations, sous cette réserve que le montant de la capitalisation ne peut excéder, selon le cas, la valeur imposable telle qu’elle est déterminée aux numéros IV et V. La même règle est applicable s’il s’agit d’un usufruit constitué pour un temps limité, sauf à prendre pour base de la capitalisation le revenu des biens comme il est dit au numéro VI ». En d’autres termes, la valeur de l’usufruit est égale à la somme représentant la capitalisation du revenu annuel produit par l’usufruit, revenu annuel qui est fixé à 4% de la valeur de la pleine propriété. A priori, rien ne permet d’exclure ces dispositions au profit de celles applicables en matière de droits d’enregistrement. Ainsi, dans un jugement du 28 juin 2006, le Tribunal de première instance de Namur a suivi la thèse de la société demanderesse, qui avait procédé à une augmentation de capital par apport, notamment, d’un usufruit viager. Le notaire instrumentant avait valorisé cet usufruit par la méthode prévue à l’article 21, VI du CDS. Le Tribunal précise que la société n’avait pas l’obligation de recourir à cette méthode mais ajoute que : « (…) rien ne pouvait l’en empêcher dès lors que cette méthode permet d’arriver à une évaluation objective (ce qui n’est pas le cas de l’article 47 C.D.E qui aboutit à une estimation spécifique destinée à l’application des droits d’enregistrement). Rien ne permet au tribunal de mettre en doute l’adéquation de la valeur globale de 40.617.000 BEF déterminée par le notaire instrumentant, qui s’est lui-‐même référé aux données du marché immobilier de son ressort. 28 Il y a donc lieu de dire la demande fondée pour ce qui concerne la valorisation de l’usufruit litigieux »78. 57.-‐ Au lieu de faire usage de ces méthodes d’évaluation juridique de l’usufruit, on constate que la doctrine, les cours et tribunaux du Royaume et même l’administration fiscale tendent à préférer des méthodes d’évaluation économique de l’usufruit. Ainsi, à l’occasion d’une réponse à une question parlementaire, le ministre des Finances a déclaré que « pour évaluer l’usufruit, le produit actualisé des locations est, le cas échéant l’un des éléments et qu’en matière d’impôts sur les revenus, il ne faut pas nécessairement se référer aux règles mentionnées dans le Code des droits d’enregistrement ou de succession »79. Le Service des décisions anticipées a confirmé la position du ministre des Finances, dans un avis général concernant l’usufruit : « La valorisation d’un usufruit temporaire doit être effectuée à sa valeur réelle. Une surestimation de la valeur de l’usufruit pourra donner lieu à l’attribution d’un avantage (de toute nature, anormal ou bénévole) au nu-‐propriétaire. Pour l’application des impôts directs, les méthodes de valorisation forfaitaires utilisées en matière de droits d’enregistrement et de droits de succession ne sont pas appropriées. La valorisation doit être examinée au cas par cas et devra entre autres tenir compte de l’état dans lequel se trouve le bien immeuble, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit (frais de notaire, droits d’enregistrement,…), ainsi que de l’affectation donnée par la société au bien immobilier (utilisation propre, mise en location, usage intensif, usure,…) »80. S’inspirant d’une telle position mais aussi d’une étude de M. J. VERHOEYE consacrée à la valeur économique d’un usufruit, le Tribunal de première instance de Mons a rendu, le 28 février 2005, un jugement rejetant la valorisation retenue traditionnellement dans le contexte des « constructions usufruit »81. Selon le juge, les règles d’évaluation qui figurent dans le CDE ne peuvent tout simplement pas être transposées en matière d’impôts sur les revenus car « ces règles ne visent précisément qu’à déterminer la valeur de l’usufruit et la valeur de la nue-‐propriété dans le seul cadre des droits d’enregistrement ». Se basant sur l’analyse de J. VERHOEYE, le juge considère, comme l’auteur, que la valeur de l’usufruit doit correspondre à la valeur économique de ce droit réel qui doit être déterminée soit sur la base de la valeur locative soit sur la base des revenus locatifs réels. Concrètement, le juge estime que pour calculer la valeur économique d’un usufruit, il convient de partir du produit actualisé du rendement locatif brut pendant la durée de l’usufruit, dont on déduit ensuite les frais estimés que doit supporter l’usufruitier. 78 Voy. à ce sujet Civ. Namur, 28 juin 2006, R.G. n° 678/2001, à consulter sur www.fisconet.fgov.be ; commenté in Le Courrier fiscal, 2006, liv. n° 671. 79 Q.R., Ch., question n° 654 du 23 février 2005 de L. VAN DER MAELEN, sess. ord., 2004-‐2005, pp. 12.738 à 12.740. 80 Avis général à consulter sur www.ruling.be. 81 Civ. Mons, 28 février 2005, R.G. n° 02/1887/A, à consulter sur www.fisconet.fgov.be, commenté in Le Courrier fiscal, 2005, liv. n° 374. 29 Concrètement, le Tribunal de première instance de Mons détermine donc la valeur (économique) de l’usufruit en multipliant le loyer annuel net qu’il produit par le nombre d’années de l’usufruit restant à courir. 58.-‐ La doctrine autorisée en la matière, notamment sous la plume de M. P.-‐Fr. COPPENS, approuve cette approche économique de l’usufruit, tout en précisant que le raisonnement tenu par le Tribunal de première instance de Mons est quelque peu réducteur car il « limite la valeur d’un droit d’usufruit à la seule perception de revenus d’un immeuble sans prendre en compte cette autre composante de l’usufruit qu’est le droit d’usage de l’immeuble par la société »82. Reprenant ensuite l’examen réalisé par M. J. VERHOEYE, sur lequel s’était fondé, du moins pour principe, le Tribunal de première instance de Mons, M. COPPENS décrit la formule appliquée par M. VERHOEYE pour déterminer la valeur actualisée de l’usufruit : « Cette valorisation économique, qui consiste à calculer le produit réel actualisé de l’usufruit, peut, en tout cas, réduire substantiellement la valeur d’un usufruit, et par conséquent les avantages fiscaux liés aux « constructions usufruits ». Prenons en effet l’exemple d’un immeuble ayant un revenu brut de 14.000 EUR par an. Les frais et charges annuels incombant à l’usufruitier s’élèvent à 4.000 EUR. Le taux du marché est de 3 %. Si l’on applique la formule retenue par J. Verhoeye ([produit annuel brut – frais] x 1-‐1/[1+i]n/i), la valeur d’un usufruit de vingt ans s’élève à 148.774,75 EUR (10.000 x 1-‐1/(1,03)20/0,03) »83. 59.-‐ La Cour d’appel de Mons a récemment confirmé la position du Tribunal de première instance, dans une affaire où une société avait acquis un usufruit pour une période de huit ans sur un bien dont la nue-‐propriété avait été acquise simultanément par ses administrateurs et une autre société84. La société usufruitière avait payé 80 % du prix total, ce que l’administration jugea excessif. Elle en déduisit qu’un avantage de toute nature avait été octroyé aux administrateurs et, puisque cet avantage ne respectait pas les conditions de l’article 57 du C.I.R, elle voulut le soumettre à la cotisation spéciale sur commissions secrètes. La Cour refuse tout d’abord de se baser sur la méthode d’évaluation prévue à l’article 47 CDE, au motif que cette méthode « n'a pas pour vocation de déterminer la valeur réelle d'un usufruit, laquelle doit s'attacher à la valeur économique du marché ». La Cour, ayant expliqué en quoi la situation de l’usufruitier diffère fondamentalement de celle du locataire, applique ensuite la méthode d’évaluation proposée par l’auteur J. 82 Voy. notamment à ce sujet, P.-‐Fr. COPPENS, V. DECKERS, « Développements récents en matière d’utilisation des « constructions usufruit » à des fins fiscales », J.T., p. 216. 83 Ibid. 84 Mons, 30 novembre 2009, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Quelle est la valeur d’un usufruit ? », in Le Fiscologue, n° 1211, 25 juin 2010, p. 4. 30 VERHOEYE85 : la valeur économique de l’usufruit est égale au montant net (diminué des frais que l’usufruitier devra prendre en charge) actualisé (application d’un taux d’intérêt raisonnable) des revenus locatifs du bien. Elle en déduit que l’usufruit n’a pas été surévalué dans le cas qui lui était soumis. 60.-‐ Trois récents arrêts de la Cour d’appel d’Anvers donnent également gain de cause aux contribuables86 : l’administration fiscale estimait qu’une société qui avait acquis l’usufruit d’une partie d’immeuble, ses gérants et leurs épouses en ayant acquis la nue-‐propriété, avait octroyé à ces derniers respectivement des avantages de toute nature et des avantages anormaux ou bénévoles. Or, les contribuables avaient confié la mission de déterminer la valeur économique de l’usufruit à un géomètre-‐expert immobilier, dont les conclusions avaient été corroborées par un réviseur d’entreprise. Selon la Cour, la valeur économique réelle de l’usufruit a donc été correctement évaluée et il ne peut être question d’un quelconque avantage de toute nature ou avantage anormal ou bénévole. 61.-‐ Enfin, le Service des décisions anticipées87 a récemment rendu un ruling qui l’a forcé à se pencher sur la question, notamment, de la valorisation de l’usufruit. S. VAN CROMBRUGGE résume les faits – toujours très importants dans l’appréciation du SDA, mais rarement simples – d’une façon limpide : « une SPRL dispose, en vertu d'un droit de superficie et d'un contrat de location, d'un terrain qui est la propriété de son gérant Y. Ce terrain est contigu à un terrain bâti qui est la propriété de Z (le père de Y) et qui est actuellement à usage d'habitation. Ce dernier terrain bâti est grevé d'une servitude de passage en faveur du terrain exploité par la SPRL. La servitude est une source potentielle de futures disputes entre voisins. Z souhaite donc vendre son terrain bâti. Les parties se proposent de réaliser cette vente par le biais d'un démembrement réel du droit de propriété : l'usufruit sera acquis par la SPRL pour une période de 25 ans; la nue-‐propriété sera acquise par Y; la SPRL mettra le bâtiment en location au prix du marché. Il est précisé que le locataire potentiel ne sera pas membre de la famille qui contrôle la SPRL »88. 85 J. VERHOEYE, «"Recht van opstal, erfpacht, vruchtgebruik en wetboek inkomstenbelastingen", Zakelijke rechten en fiscaliteit, Anvers, Maklu, 2004, 175-‐176. 86 Anvers, 2 novembre 2010 (trois arrêts), commentés par S. VAN CROMBRUGGE, « Montage d’usufruit : pas nécessairement un avantage », in Le Fiscologue, n° 1233, 14 janvier 2011, p. 6. 87 Décision n° 900.432 du 27 avril 2010, disponible sur www.fisconet.be : « Pour définir le rendement financier, le demandeur a pris comme référence le taux des OLO d'une durée de 25 ans majoré de 1% (soit …%), taux supérieur au taux auquel la SPRL empruntera la somme de (…) EUR nécessaire à l'acquisition de l'usufruit.Pour tenir compte de l'inflation, le demandeur a pris la moyenne de l'inflation des dix dernières années (soit …% par an)». 88 er S. VAN CROMBRUGGE, « Montages d’usufruit : pas d’avantage de toute nature ? », in Le Fiscologue, n° 1220, 1 octobre 2010, p. 2. 31 Dans sa décision, le SDA accepte la formule d’évaluation économique de l’usufruit utilisée par le demandeur et empruntée à l’auteur J. RUYSSEVELDT89 : VU = (H/(r-‐i)) x (1-‐(1+i/1+r)n), où VU = valeur actualisée d’un usufruit temporaire H = revenu locatif annuel net n = durée de l’usufruit en années r = rendement financier pour une durée n i = taux d’inflation attendu pour la durée n Le Service des décisions anticipées estime que la valeur économique de l’usufruit a ainsi été correctement déterminée. Il refuse cependant d’en rester là et vérifie, en outre, si l’opération – envisagée entre une S.P.R.L (acquérant l’usufruit) et son gérant (acquérant la nue-‐propriété) – aurait pu intervenir entre parties totalement indépendantes. Pour ce faire, il compare le rendement de l’opération pour la société usufruitière et pour le gérant nu-‐propriétaire et en déduit que l’usufruit, prévu pour une durée de vingt-‐cinq ans, doit être porté à trente ans : « afin d'arriver à un rendement acceptable dans le chef de la SPRL et ainsi pouvoir conclure qu'un tiers aurait également pu procéder à un tel investissement, il conviendrait de prolonger la durée de l'usufruit de 5 ans, portant celle-‐ci à 30 ans ». Comme le souligne très justement S. VAN CROMBRUGGE, « c’est le prix à payer pour la sécurité juridique » 90. Si l’on peut se fier aux principes dégagés par la jurisprudence et le Service des décisions anticipées pour déterminer la valeur économique réelle d’un usufruit, les contribuables les plus avisés prendront également la précaution de confier cette tâche à un expert. 62.-‐ Notons que la valorisation correcte de l’usufruit lors de son acquisition par la société présente également l’avantage – considérable – d’éviter la taxation d’un avantage dans le chef du nu-‐propriétaire, au terme de l’usufruit. La décision de « ruling » citée ci-‐dessus91 a d’ailleurs pour origine une requête en ce sens : le demandeur souhaitait savoir si le transfert du bâtiment (existant lors de l’acquisition de l’usufruit par la société) en faveur du gérant à l’échéance du droit d’usufruit ne donnerait pas naissance à un avantage de toute nature imposable dans le chef de celui-‐ci. 89 J. RUYSSEVELDT, "De waardering van het tijdelijk vruchtgebruik, anders bekeken", Notarieel en Fiscaal Maandblad, 1999, er cité par S. VAN CROMBRUGGE, « Montages d’usufruit : pas d’avantage de toute nature ? », in Le Fiscologue, n° 1220, 1 octobre 2010, p. 2. 90 er S. VAN CROMBRUGGE, « Montages d’usufruit : pas d’avantage de toute nature ? », in Le Fiscologue, n° 1220, 1 octobre 2010, p. 2. 91 Décision n° 900.432 du 27 avril 2010, disponible sur www.fisconet.be. 32 De manière assez logique, le Service des décisions anticipées a commencé par examiner la question de savoir si l’acquisition de l’usufruit par la S.P.R.L ne constituait pas d’emblée un avantage de toute nature dans le chef du gérant, mais il ne faut pas négliger le second enseignement de la décision : « Dès lors que l'usufruit sera acquis à sa valeur réelle par la SPRL X, que la durée de l'usufruit sera portée à 30 ans (au lieu de 25 ans initialement), que seuls les travaux incombant à l'usufruitier seront pris en charge par la SPRL et que celle-‐ci, dans ses relations avec M. Y, se comportera comme une partie indépendante, le transfert, sans indemnité, du bâtiment à l'échéance du droit d'usufruit en faveur du gérant ne donnera pas naissance à un avantage de toute nature imposable dans le chef de celui-‐ci »92. Les questions des travaux à prendre en charge par l’usufruitier et de l’avantage à imposer dans le chef du nu-‐propriétaire ou tréfoncier à l’expiration du droit réel seront examinées plus en détails ci-‐dessous. § 3. Emphytéose et superficie 63.-‐ La question semble moins se poser que pour l’usufruit, sans doute essentiellement pour des raisons d’opportunité. Généralement les constructions juridiques fondées sur le droit d’usufruit concernent un immeuble bâti acquis simultanément par la société (pour l’usufruit) et son dirigeant (pour la nue-‐propriété), tandis qu’un droit de superficie ou d’emphytéose sera plus souvent concédé à la société par son gérant sur un terrain lui appartenant. Dans ce dernier cas de figure, le tréfoncier ne sera pas tenté de surévaluer le droit réel, il le cèdera d’ailleurs souvent contre une redevance minime : de la sorte, le transfert de propriété – sans indemnité – des bâtiments érigés par le superficiaire ou emphytéote, au bénéfice du tréfoncier, lors du remembrement de la propriété, ne sera pas considéré comme un avantage de toute nature dans le chef de ce dernier mais comme la « compensation de la perte de jouissance du fond » tout le temps qu’aura duré le droit réel. Ce raisonnement sera davantage expliqué ci-‐dessous. 92 Décision n° 900.432 du 27 avril 2010, disponible sur www.fisconet.be. 33 SECTION 3 SOCIÉTÉS TITULAIRES DE DROITS RÉELS : DEUX ÉCUEILS À ÉVITER § 1. Objet social et activité immobilière 64.-‐ Avant de devenir titulaire d’un droit d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie, une société doit veiller à agir en conformité avec son objet social. Il importe donc de vérifier si les statuts prévoient la possibilité pour la société d’acquérir un droit réel immobilier ou, plus largement, de s’adonner à une activité immobilière accessoire. La façon de rédiger une telle clause sera examinée infra, sous le point concernant la déductibilité des frais relatifs à l’acquisition d’un droit réel immobilier. § 2. Acquisition d’un droit réel et conflit d’intérêt 65.-‐ Il arrive qu’une société acquière un droit réel sur un immeuble appartenant à son gérant. Survient alors un conflit d’intérêts, dès lors que le gérant ou administrateur a, directement ou indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou à une opération relevant de l’organe de gestion93. La notion d’ « intérêt de nature patrimoniale » doit se comprendre comme « tout avantage mobilier ou immobilier susceptible de faire l’objet d’une estimation précise et objective »94. Il faut donc veiller – préalablement à l’acquisition du droit réel – à respecter les règles légales relatives au conflit d’intérêts95, telles que traduites dans les statuts et/ou prévues par le Code des sociétés. 93 Code des sociétés, art. 259 (s.p.r.l) et 523 (s.a). J.-‐P. RENARD, Guide du gérant de la SPRL, Liège, Editions des Chambres de Commerce et d’Industrie de Wallonie SA, 2005, p. 85. 95 Art. 259-‐261 C. soc. pour les s.p.r.l et 523 C. soc. pour les s.a. 94 34 SECTION 4 LES AVIS DU SERVICE DES DÉCISIONS ANTICIPÉES96 § 1. Avis concernant l’emphytéose 66.-‐ L’avis du S.D.A traite d’une « construction emphytéose » spécifique, consistant en la constitution d’un droit d’emphytéose suivie de la cession du tréfonds à un tiers. Exemple : une société A dispose d’un patrimoine immobilier important, qu’elle souhaite sortir de la société opérationnelle afin de le mettre à l’abri des créanciers. Elle concède alors un droit d’emphytéose au profit d’une société immobilière B, constituée pour l’occasion, et cède ensuite le tréfonds au gérant de la société immobilière B. Les créanciers de la société A ne pourront dès lors plus se saisir de l’immobilier, dont la société B est emphytéote et qui, au terme du droit d’emphytéose, deviendra la pleine propriété du gérant de cette société B. L’avantage de la formule est évidemment de bénéficier de droits d’enregistrement au taux de 0,2 % pour une partie très importante de la pleine propriété. Le droit d’emphytéose sera en effet généralement valorisé à 90 ou 95 % de la valeur de la pleine propriété. Par conséquent, les droits d’enregistrement au taux de 12,5% (« droits de vente ») perçus lors de la vente du tréfonds à un tiers ne seront calculés que sur la valeur du droit résiduaire, qui se situe généralement entre 5 et 10 % de valeur de la pleine propriété. 67.-‐ Le risque majeur d’une telle opération est bien sûr la requalification en vente, en vertu de la disposition générale « anti-‐abus » contenue à l’article 18, §2 CDE : « N'est pas opposable à l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'enregistrement et des domaines, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu'à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l'administration constate, par présomptions ou par d'autres moyens de preuve, que cette qualification a pour but d'éviter des droits, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique ». 68.-‐ Le S.D.A a été assailli de demandes de ruling et a donc pris le parti de publier des avis sur ce point. L’avis actuel est malheureusement beaucoup plus frileux que le précédent, qui indiquait clairement les conditions à respecter pour que la requalification ne soit pas possible. 96 A consulter sur www.ruling.be. 35 Après avoir précisé qu’une demande de ruling ne concernant pas un « projet concret » était irrecevable, le SDA rappelle que le projet doit être décrit le plus complètement possible. Sur la base de cette description, le SDA décidera que la qualification d’emphytéose est erronée (que l’opération soit simulée ou non) ou « que les parties ont effectivement établi un droit d’emphytéose et ont transmis les droits grevés du droit d’emphytéose ». Dans ce dernier cas, « sur base des projets d'acte soumis au SDA, on peut décider qu'une requalification de la construction d'emphytéose en une vente n'est pas possible en application de l'article 18, § 2 C. Enr., à condition que les caractéristiques juridiques propres à l'emphytéose produisent leurs effets in concreto ». Pour éviter l’application de l’article 204 du CDE (amende pour cause de simulation), « l'évaluation du canon unique et des droits grevés du droit d'emphytéose doit être effectuée d'une manière correcte »… On s’en serait douté ! Le SDA précise également les engagements qui « peuvent être repris par les demandeurs dans leur demande ». Notons que selon l’ancien avis, ces engagements « devaient » être pris, avec pour corollaire la garantie de non requalification. Il y a donc lieu de se demander si, aujourd’hui, ces engagements suffisent à exclure toute possibilité d’une telle requalification. En substance, les engagements « pouvant » être pris sont les suivants : - le canon unique ne dépassera pas 95 % de la valeur de la pleine propriété, tandis que la valeur des biens grevés d’emphytéose atteindra au moins 5 % de la valeur de la pleine propriété ; - la détermination de la valeur des droits d'emphytéose et des biens grevés d'emphytéose sera faite par un tiers expert indépendant (l'évaluation sera vérifiée par le SDA) ; - l'acte de constitution du droit d'emphytéose et l'acte de vente des biens immeubles grevés d'emphytéose seront passés à au moins 15 jours d'intervalle ; - s’il n’existe pas de lien entre les acquéreurs des biens grevés d’emphytéose et le ou les emphytéotes, les parties ne peuvent faire en sorte de créer un lien entre ces personnes (par la constitution de nouvelles sociétés, par exemple) ; - s’il existe un lien entre les acquéreurs des biens grevés d’emphytéose et le ou les emphytéotes, des engagements complémentaires « peuvent » être pris : o l'emphytéote et le nouveau propriétaire des biens immeubles grevés d'emphytéose s'engagent à ne reconstituer d'aucune façon la pleine propriété des biens immeubles (objet de la demande) pendant la durée de l'emphytéose ; o si l'emphytéote et le nouveau propriétaire des biens immeubles grevés d'emphytéose sont des sociétés qui n'ont pour actif principal que ces droits réels, elles s'engagent pendant une durée de 5 ans à partir de la date d'e 36 l'enregistrement des actes de constitution du droit d'emphytéose et de vente des biens immeubles grevés d'emphytéose à ne pas changer de contrôle au sens des articles 5 à 9 du codes des sociétés ; o le ou les mêmes administrateurs des deux sociétés ne peut (peuvent) pas, seul ou ensemble, pendant toute la durée de l’emphytéose, ni constituer la majorité du conseil d’administration, ni s’engager vis-‐à-‐vis des tiers. 69.-‐ La formulation plus prudente utilisée par le SDA dans ce dernier avis permet de douter de l’intérêt intrinsèque d’un tel avis : si même en prenant les engagements mentionnés ci-‐ dessus, les contribuables ne sont pas certains d’exclure toute requalification, ils n’auront d’autre choix que de solliciter un ruling, en bonne et due forme. § 2. Avis concernant l’usufruit 70.-‐ Cet avis se distingue de celui concernant l’emphytéose, en ce qu’il traite de plusieurs questions ayant trait à une « construction usufruit » ordinaire : une société acquiert l’usufruit d’un bien dont la nue-‐propriété est acquise simultanément par son gérant. La société assume les frais relatifs à l’immeuble et, au terme de l’usufruit, le gérant recueille la pleine propriété. L’administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de requalifier cette opération en bail, en vertu de l’article 344, §1er du C.I.R : « N'est pas opposable à l'administration des contributions directes, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu'à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l'administration constate, par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 340, que cette qualification a pour but d'éviter l'impôt, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique N'est pas opposable à l'administration des contributions directes, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu'à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l'administration constate, par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 340, que cette qualification a pour but d'éviter l'impôt, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique ». Ce raisonnement a toutefois été condamné par la jurisprudence. Le 22 novembre 2007, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Gand, rejetant la requalification de l’usufruit en bail pour la simple raison que les effets juridiques non fiscaux des deux opérations sont fondamentalement différentes. 37 En l’espèce, des contribuables – associés d’une S.A – avaient acquis la nue-‐propriété d’un appartement, tandis que la S.A en avait acheté l’usufruit, pour une période de dix ans. La société usufruitière était tenue d’effectuer des améliorations mais également les « grosses réparations » et il était prévu qu’au terme de l’usufruit, l’appartement deviendrait sans indemnité la pleine propriété des associés. L’administration décide alors de requalifier les opérations d’achat de la nue-‐propriété et de l’usufruit en acquisition de la pleine propriété par les associés, suivie d’une location à la société. La Cour d’appel de Gand donne raison aux contribuables : en effet, les conséquences juridiques de la location et de l’usufruit sont très différentes et le fisc, en requalifiant, modifie le contenu même de l’acte97. La Cour de cassation a confirmé cet arrêt : « En application de [l'article 344, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992] l'administration des contributions directes peut requalifier dans son ensemble l'opération qui a été artificiellement décomposée en actes distincts et modifier ainsi la qualification qui a été donnée par les parties à chaque acte distinct lorsqu'elle constate que les actes visent la même opération d'un point de vue économique. Elle peut établir l'impôt sur la base de cette nouvelle qualification, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique. L'administration ne peut toutefois procéder à la requalification de l'opération que si la nouvelle qualification a des effets juridiques non fiscaux similaires résultat final des actes juridiques posés par les parties. Les juges d'appel ont constaté en fait que la qualification de bail qui a été substituée à la qualification d'usufruit choisie par les parties n'a pas les mêmes effets, que le rapport de propriété a été considérablement modifié et que les relations juridiques entre le tiers vendeur et la société sont aussi négligés. Ils ont considéré sur cette base que les actes contestés ne sont pas susceptibles de faire l'objet de différentes qualifications de sorte que l'article 344, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne peut s'appliquer. L'arrêt justifie ainsi légalement sa décision »98. L’avis du SDA vise donc, entre autres, à faire le point sur les possibilités de requalification de l’usufruit en location. Après avoir fourni les mêmes indications qu’en matière d’emphytéose concernant la recevabilité de la demande, le SDA indique que – si la qualification d’usufruit n’est pas erronée – « sur la base de la description dont question au point 2 et du(es) projet(s) d'acte(s) qui 97 Gand, 13 septembre 2005, R.G. n° 2004/ar/2248, disponible sur www.fiscalnetfr.be. Cass. , 22 novembre 2007, R.G. n° F.06.0028.N, disponible sur www.juridat.be. 98 38 sera(ont) fourni(s) au SDA, il sera décidé qu'une requalification de la construction d'usufruit envisagée en location, par application de l'article 344, §1er CIR92, n'est pas possible pour autant que les caractéristiques juridiques propres à l'usufruit (l'usufruit est un droit réel temporaire qui emporte notamment pour l'usufruitier le droit de suite et de préférence, le droit de céder ou d'hypothéquer son usufruit) produisent leurs effets in concreto. A défaut, en effet, l'opération projetée reste, à tout le moins, susceptible de faire l'objet de plusieurs qualifications ; il pourrait même, le cas échéant, être question de simulation ». Mais encore ? De nouveau et plus encore qu’en matière d’emphytéose, nous déplorons le caractère timoré de cet avis, qui ne dit rien de ce que l’on ne savait déjà, à savoir qu’une opération juridique dont les conséquences normales ne se produisent pas est certainement mal qualifiée et peut donc être requalifiée, éventuellement pour cause de simulation. Sur la requalification, l’avis ne dit rien de plus. Les points suivants concernent en effet la valorisation de l’usufruit99, la déductibilité des charges inhérentes à l’usufruit100 et la possibilité d’introduire une demande concernant les travaux à réaliser par l’usufruitier101. En conclusions, nous sommes d’avis qu’en matière de « construction usufruit », la jurisprudence s’avère meilleur guide que le SDA. Le Tribunal de première instance de Namur s’est ainsi véritablement indigné d’une tentative de requalification d’un usufruit en bail : « Ce [que l'Administration] a fait, ce n'est pas requalifier un acte qui aurait reçu une qualification abusive au sens de l'article 344 [§ 1] C.I.R. 1992 : c'est substituer à un acte qui entraînait légitimement une exemption d'impôt, un acte fondamentalement différent, dans le but de rendre taxable un avantage financier légitime qui ne l'était pas ! C'est, en pareille hypothèse, le comportement de l'Administration qui est abusif et non celui du contribuable »102. Plus récemment, le Tribunal de première instance de Mons a confirmé qu’il n’y avait pas lieu à requalification, dès lors que les contribuables avaient « accepté toutes les conséquences juridiques de la convention d’usufruit et de nue-‐propriété » qu’elles avaient conclue et que l’administration fiscale restait en défaut de démontrer l’existence d’une simulation103. 99 Cf. supra. Cf. infra. 101 Cf. infra, sur la taxation éventuelle d’un avantage à l’expiration du droit réel. 102 Civ. Namur, 27 février 2008, commenté par J. VAN DYCK, « Location suivie d’usufruit », in Le Fiscologue, n° 1107, 14 mars 2008, p. 11. 103 Civ. Mons, 18 février 2010, R.G. n° 08/3134/A_08/3135/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 100 39 CHAPITRE II VIE DU DROIT REEL SECTION 1 RÉGIME FISCAL APPLICABLE DURANT LA DURÉE DE VIE DU DROIT RÉEL § 1. Dans le chef de la société, titulaire du droit réel 71.-‐ Les investissements immobiliers doivent être amortis104. Conformément au commentaire administratif du C.I.R, la durée d’amortissement des immeubles est normalement de trente-‐ trois ans105. Faut-‐il dès lors considérer que l’amortissement d’un droit réel immobilier devrait toujours s’étaler sur une période de trente-‐trois ans ? « Oui », a dit l’administration fiscale. « Non », a répondu la jurisprudence, appuyée par deux avis de la Commission des normes comptables (ci-‐après, « C.N.C »)106. L’administration fiscale a en effet été tentée d’imposer une durée d’amortissement de trente-‐trois ans pour les droits réels d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie, ou pour les constructions érigées en vertu d’un tel droit réel. Un important arrêt de la Cour d’appel d’Anvers a rejeté la position administrative : le juge a estimé que l’amortissement d’un immeuble doit uniquement se baser sur la durée d’utilisation normale de cet immeuble, à déterminer concrètement. Or, pour le titulaire d’un droit réel immobilier (en l’occurrence, d’un droit de superficie), la durée normale d’utilisation de l’immeuble correspond à la durée du droit réel, par essence temporaire. C’est donc bien la durée conventionnelle du droit réel concédé qui détermine le taux de l’amortissement annuel107. D’autres cours et tribunaux ont confirmé ce point de vue. Ainsi, le Tribunal de première instance de Namur a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point, dans une affaire où un usufruit viager avait été apporté en société. La société savait qu’elle ne bénéficierait de ce droit que jusqu’au décès de la personne physique au profit de laquelle l’usufruit avait été originellement constitué. La société avait donc logiquement 104 Article 61 CIR. Com. IR, n° 61/118 à 61/135. 106 P.-‐F. COPPENS, V. DECKERS, « Développements récents en matière d’utilisation des « constructions usufruit » à des fins fiscales », J.T., 2007, p. 213 ; Avis n° 150/3, Bull. C.N.C., n° 19, juillet 1986, pp. 20-‐21 et Avis n° 162/2, Bull. C.N.C., n° 26, mars 1991, p. 16. 107 Anvers, 6 décembre 2005, F.J.F, 2006, n° 169. 105 40 amorti l’usufruit en fonction de l’espérance de vie de cette personne, ce que l’administration refusait : selon elle, un usufruit constitué au profit d’une personne morale étant limité à trente ans, la société aurait nécessairement dû amortir ce droit sur trente ans. Après avoir rappelé l’article 61 du C.I.R, le juge procède à l’analyse suivante : « L’amortissement est une opération comptable qui consiste à compenser la perte progressive de la valeur d’un bien investi au service d’une entreprise, par la reconstitution d’un capital qui doit correspondre -‐ à terme -‐ à la valeur initialement investie (Voir dans ce sens Corn. IR., 61/9). Il est de l’essence même d’un amortissement que sa durée corresponde à celle de la dépréciation du bien investi (Cam. IR , 61/13, 3°). C’est pour cette raison que certains biens s’amortissent plus vite que d’autres et que ceux qui ne se déprécient pas ne peuvent être amortis (Corn. IR, 61/13, 4°). L’administration elle-‐même considère que « bien que tout amortissement soit, par essence, forfaitaire et approximatif, il faut cependant qu’il soit raisonnable, c.à.d qu’il corresponde à une dépréciation qui doit être estimée rationnellement en tenant compte de tous les facteurs, quels qu’ils soient, qui contribuent à cette dépréciation et qui ont agi sur une période déterminée » (Com IR, 61/15). Dans le cas d’espèce, le bien à amortir est un droit réel lié à la durée de vie de la personne physique qui en a fait l’apport à la société demanderesse et il était donc logique que la demanderesse évalue la durée pendant laquelle elle pourra bénéficier de ce droit par référence à l’âge de la personne qui conditionne son existence. La date de naissance de celle-‐ci n’est pas mentionnée au dossier, mais le coefficient « 11 » retenu dans le calcul de valorisation opéré par le notaire de la demanderesse correspond à la tranche d’âge de 55 à 60 ans. Le tribunal considère donc que la demanderesse a fait preuve de « prudence, de sincérité et de bonne foi » en étalant l’amortissement de l’usufruit litigieux sur une durée de 20 ans et qu’il n’y a aucune raison de le ré-‐étaler sur 30 ans. Le tribunal adopte et fait siens, pour le surplus, les arguments que la demanderesse a invoqués à ce sujet »108. 72.-‐ A noter qu’il en va de même pour les constructions érigées par la société (en sa qualité de superficiaire ou d’emphytéote) durant la durée de vie du droit réel109. 108 Civ. Namur, 28 juin 2006, R.G n° 678-‐2001, disponible sur www.fiscalnetfr.be; à titre d’exemple complémentaire : Bruxelles, 29 septembre 2005, R.G n° 96-‐fr-‐125, disponible sur www.fiscalnetfr.be (où il n’est pas contesté que la requérante applique un taux d’amortissement de 5,5 % pour un immeuble sur lequel a été acquis un droit de superficie de 18 ans, alors que la société avait précédemment amorti ses immeubles au taux de 3%). 109 Th. LITANNIE et S. WATHELET, « Les démembrements de la propriété immobilière : aspects civils et fiscaux », L’optimalisation fiscale du patrimoine immobilier, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, pp. 51 et 52, citant l’Avis n° 150/3 de la Commission des normes comptables, Bull. C.N.C., n° 19, juillet 1986, p. 2O, ainsi que les décisions de jurisprudence suivantes : Civ. Namur, 26 juin 2002, F.J.F., n° 2002/257 et Bruxelles, 5 décembre 2003, inédit. 41 73.-‐ Les éventuels loyers que la société perçoit, durant la durée de son droit réel, sont imposables à titre de bénéfices. § 2. Dans le chef du dirigeant (nu-‐propriétaire ou tréfoncier) 74.-‐ La plupart du temps, la société mettra tout ou partie de l’immeuble acquis ou construit à disposition de son dirigeant. Cette mise à disposition constitue un avantage de toute nature, imposable à l’impôt des personnes physiques. Cet avantage est calculé forfaitairement par la loi fiscale110. - - - revenu cadastral de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble inférieur ou égal à 745 EUR o habitation meublée : RC indexé x 100/60 x 1,25 x 5/3 o habitation non meublée : RC indexé x 100/60 x 1,25 revenu cadastral de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble supérieur à 745 EUR o habitation meublée : RC indexé x 100/60 x 2 x 5/3 o habitation non meublée : RC indexé x 100/60 x 2 Immeubles non bâtis o RC indexé x 100/90 75.-‐ Le fisc tente parfois de défendre que cet avantage ne constitue pas un avantage de toute nature dans le chef du dirigeant, mais un avantage anormal ou bénévole au sens de l’article 26 du CIR. Dans une affaire ayant donné lieu à un récent jugement du Tribunal de première instance de Gand111, une société avait acquis l’usufruit d’un bâtiment tandis que ses deux associés (dont la gérante) en avaient acheté la nue-‐propriété. La société utilisait la moitié du bâtiment pour son activité professionnelle et mettait l’autre moitié à disposition de ses associés, à des fins privées. L’administration fiscale estimait que cette mise à disposition gratuite constituait, dans le chef des deux associés – y compris la gérante – un avantage anormal ou bénévole et non un avantage de toute nature. Le Tribunal a suivi la thèse de l’administration fiscale : « Comme les deux intéressés sont tous deux nus-‐propriétaires du bâtiment, et qu'en outre, ils sont tous deux associés, le tribunal estime que l'on ne peut conclure que la 110 Article 18 AR-‐CIR. Civ. Gand, 23 juin 2010, inédit, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Mise à disposition gratuite d’une habitation : avantage anormal ? », in Le Fiscologue, n° 1227, 19 novembre 2010, p. 5. 111 42 mise à disposition (de la moitié) du bâtiment serait uniquement la conséquence du fait que l'un d'entre eux est dirigeant d'entreprise de la société. Le lien causal entre l'avantage perçu et l'activité professionnelle n'est pas démontré. Le tribunal en déduit que la mise à disposition de la moitié du bâtiment au ménage formé par l'associée gérante et l'associé ordinaire doit être considérée comme un avantage anormal ou bénévole au sein de la société. Le tribunal estime manifestement qu'un avantage dont bénéficie également un associé ordinaire (ou un tiers) ne peut être considéré dans le chef du dirigeant d'entreprise comme ayant sa cause dans l'activité professionnelle. Pareille conception se trouve déjà dans une jurisprudence antérieure (Liège 29 juin 1988, FJF n° 89/148; Fisco. n° 282, 10), encore qu'elle conduisît à l'époque à la conclusion que l'avantage ne pouvait pas être imposé du tout dans le chef du dirigeant d'entreprise puisque, jusqu'avant la loi du 22 décembre 1989, l'article 26 CIR 1992 s'appliquait uniquement dans un contexte international d'entreprises et de personnes associées »112. Le point de vue du Tribunal semble contestable. En effet, pour qu’il y ait un « avantage de toute nature », la loi n’impose pas que l’avantage soit obtenu uniquement en raison de l’activité professionnelle mais simplement en raison ou à l'occasion de l’exercice de cette activité. Dès lors, le Tribunal aurait dû se contenter de vérifier si l’avantage obtenu par les associés aurait été obtenu de la même manière par des tiers à la société et, dans la négative, accepter la qualification d’ « avantage de toute nature ». La Cour d’appel de Mons, dans un arrêt récent, ne prête en outre aucune attention au fait que l’avantage – consistant en l’acquisition des bâtiments transformés par l’emphytéote, lors de la résiliation du droit d’emphytéose – ait été octroyé à l’épouse du gérant de la société emphytéote aussi bien qu’au gérant lui-‐même113. Dans cette affaire, le fisc estima que la valeur totale des travaux effectués par l’emphytéote constituait un « avantage de toute nature », sans même relever qu’il s’agissait – sans doute au moins pour moitié – d’un « avantage anormal ou bénévole ». Un arrêt du 21 décembre 2010 de la Cour d’appel de Gand ne s’y attarde pas davantage, bien qu’il soit particulièrement détaillé quant à l’appréciation du lien entre l’avantage octroyé et la qualité de gérant de l’un des tréfonciers114. Si cette solution résulte sûrement d’une erreur, en ce qui concerne l’avantage obtenu par l’épouse du gérant, elle nous conforte dans l’idée que pour le gérant lui-‐même, il est nécessaire mais suffisant que l’avantage trouve sa cause principale dans son activité 112 Civ. Gand., 23 juin 2010, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Mise à disposition gratuite d’une habitation : avantage anormal ? », in Le Fiscologue, n° 1227, 19 novembre 2010, p. 5. 113 Mons, 12 novembre 2010, inédit mais commenté par S. Van Crombrugge, « Avantage de toute nature à l’expiration d’une emphytéose ? », in Le Fiscologue, n° 1230, 10 décembre 2010, p. 4 ; cf. infra. 114 S. VAN CROMBRUGGE, “Avantage de toute nature à l’expiration du droit de superficie ? », in Le Fiscologue, n° 1236, 4 février 2011, p. 4. Arrêt non (encore) publié. Cf. infra. 43 professionnelle. La Cour de cassation, enfin, a déjà confirmé ce point de vue : « Attendu que, d'autre part, en vertu des articles 26, alinéa 2, 2°, du Code des impôts sur les revenus, modifié par l'article 5 de la loi du 8 août 1980 relative aux propositions budgétaires 1979-‐1980, et 27, alinéa 1er, alinéa 2, 2°, de ce code, les rémunérations taxables au titre de revenus professionnels comprennent notamment les avantages de toute nature que l'administrateur obtient en raison ou à l'occasion de l'exercice de son mandat; Attendu qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 août 1980 que le législateur a entendu taxer tous avantages obtenus sous quelque forme que ce soit et trouvant directement ou non leur origine dans l'exercice de l'activité professionnelle du bénéficiaire et, s'agissant d'un administrateur de société, dans l'exercice de son mandat d'administrateur; qu'il n'est point nécessaire que la rémunération versée à l'administrateur soit la contrepartie d'une prestation professionnelle »115. 76.-‐ Par nature, le nu-‐propriétaire ou tréfoncier ne perçoit aucun revenu locatif durant la vie du droit réel. Il n’y a donc pas matière à imposition. S’il cède la nue-‐propriété ou le tréfonds, la plus-‐value qu’il réalisera pourra être imposée : - au taux de 33%, s’il s’agit d’une plus-‐value à caractère spéculatif116 ; - au taux de 16,5%, s’il s’agit d’une plus-‐value réalisée à court terme (soit dans les cinq ans de l’acquisition de l’immeuble)117. SECTION 2 DÉDUCTION DES AMORTISSEMENTS ET AUTRES FRAIS LIÉS AU DROIT RÉEL § 1. Base légale : l’article 49 du C.I.R « A titre de frais professionnels sont déductibles les frais que le contribuable a faits ou supportés pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie la réalité et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'est pas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun, sauf le serment. 115 Cass., 16 janvier 1992, R.G. n° F1124F, disponible sur www.juridat.be. Article 90, 1°, CIR. 117 Article 90, 10°, CIR. 116 44 Sont considérés comme ayant été faits ou supportés pendant la période imposable, les frais qui, pendant cette période, sont effectivement payés ou supportés ou qui ont acquis le caractère de dettes ou pertes certaines et liquides et sont comptabilisés comme telles ». 77.-‐ De cet article – rendu applicable aux sociétés par l’article 183 du C.I.R – on déduit généralement quatre conditions à la déductibilité de dépenses à titre de frais professionnels : - les frais doivent nécessairement se rapporter à l'exercice de l'activité professionnelle (critère de causalité) ; - les frais doivent être faits ou supportés pendant la période imposable ; - les frais doivent être faits ou supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables (critère de finalité) ; - le contribuable doit justifier la réalité et le montant des frais. 78.-‐ On sait aujourd’hui que le caractère imposable de tous les bénéfices d’une société n’a pas pour corollaire la déduction à titre de frais professionnels de toutes les dépenses consenties par la société118. Dans ce cadre, la jurisprudence récente s’est penchée plus particulièrement sur le critère du rattachement à l’objet social, précisément dans de nombreux cas où la société avait acquis un droit réel immobilier sur un bien appartenant à son gérant. Il convient de reprendre l’hypothèse de départ, mentionnée au début de cet exposé, en l’affinant quelque peu : une société acquiert un droit d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie sur un immeuble, dont la nue-‐propriété ou le tréfonds est acquis par son gérant. L’immeuble est ensuite mis à la disposition du gérant et sert principalement, voire totalement, d’habitation privée. Notons qu’il existe de légères variantes: acquisition par la société du droit réel sur un terrain, où elle construit un bâtiment qu’elle met ensuite à disposition du gérant nu-‐propriétaire ou tréfoncier, acquisition de l’usufruit d’un appartement dont le gérant est nu-‐propriétaire, dans le but de le donner en location à des tiers, etc. Les frais liés à l’acquisition du droit réel immobilier constituent-‐ils dans ces cas des frais professionnels déductibles ? A priori, il est vrai, la solution semble simple : les frais engendrés par l’acquisition d’un droit réel immobilier sont déductibles s’ils sont nécessaires à la réalisation de l’objet social, tel que défini dans les statuts. 118 Cass., 18 janvier 2001, R.G. n° F990114F, disponible sur www.juridat.be. 45 Simple ? Ce n’est pas ce qui ressort de la jurisprudence… § 2. Droits réels, frais professionnels et objet social : aperçu de jurisprudence récente A. Position de la Cour de cassation (arrêt du 12 décembre 2003) 79.-‐ Le 12 décembre 2003, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle indique confirmer qu’il est impératif de rattacher les frais à la réalisation de l’objet social119. En l’espèce, les gérants d’une société de médecins avaient cédé à cette dernière un droit d’emphytéose sur un terrain leur appartenant. La société y érigea un bâtiment qu’elle loua ensuite aux gérants. La Cour de cassation confirme en ces termes l’arrêt de la Cour d’appel de Liège : « Attendu que, de la circonstance qu’une société est un être moral créé en vue d’une activité lucrative, il ne se déduit pas que toutes ses dépenses peuvent être déduites de son bénéfice brut ; Attendu que les dépenses d’une société peuvent être considérées comme des frais professionnels déductibles lorsqu’elles sont inhérentes à l’exercice de la profession, c’est-‐à-‐dire qu’elles se rattachent nécessairement à l’activité sociale ; Attendu que l’arrêt, qui constate, sans être critiqué, que la demanderesse est une société "constituée en vue de l’exercice de l’activité de (médecin)" dont les statuts lui permettent de réaliser toute opération susceptible de favoriser son objet social, [y] compris l’acquisition, la location [et] la construction d’immeubles ", justifie légalement sa décision de rejeter la déduction des dépenses litigieuses comme ne se rattachant pas nécessairement à l’activité sociale de la demanderesse par la considération, qui gît en fait, que la cour [d’appel] " n’aperçoit pas en quoi la réalisation d’un immeuble d’habitation de quatre cent quatre-‐vingts mètres (carrés) de surface utile à la charge exclusive de la [demanderesse] et dont il n’est pas démontré qu’il serait effectivement affecté pour une part aisément déterminable à l’objet social plutôt qu’à d’autres activités [...] ne rentrant pas dans l’activité médicale mise en société " répondrait à cette condition »120. 80.-‐ On ne peut cependant déduire de cet arrêt que l’administration aurait désormais toujours le droit de rejeter la déduction des frais relatifs aux immeubles d’habitation, dans le chef des sociétés. 119 Arrêt rendu dans la droite ligne de sa jurisprudence, après les arrêts du 18 janvier 2001 et 19 juin 2003. Cass., 12 décembre 2003, n° F.99.0080.F, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 120 46 En effet, la précision des statuts semble avoir été déterminante : les investissements immobiliers sont possibles dans la mesure où l’opération est « susceptible de favoriser l’objet social », à savoir l’exercice de la médecine. Si le bâtiment est entièrement affecté à l’habitation, on ne voit effectivement pas en quoi l’opération favoriserait l’activité professionnelle. Faudrait-‐il donc toujours, par précaution, préciser dans les statuts que la société peut procéder à des investissements immobiliers, afin de s’assurer des revenus complémentaires ? 81.-‐ La Cour constitutionnelle a en tout cas confirmé la légalité de l’exigence de rattachement des dépenses à l’objet social, suite à une question préjudicielle posée par le Tribunal de première instance de Liège : « Les articles 49 et 183 du Code des impôts sur les revenus interprétés comme signifiant qu’une dépense n’est déductible comme charge professionnelle que lorsqu’elle se rattache nécessairement à l’activité de la société ou à son objet social alors que tout revenu quelconque généré par la même société a un caractère professionnel et est en principe imposable violent-‐ils les articles 10 et 11 de la Constitution ? »121. La Cour y répond en ces termes : « B.3. De ce que l’ensemble du patrimoine d’un contribuable soumis à l’impôt des sociétés forme une masse unique affectée à l’activité de la société, il suit que c’est le montant total de ses bénéfices qui constitue la base de l’impôt. Il ne se déduit cependant ni de cette circonstance ni de ce que la société est une personne morale constituée en vue d’une activité lucrative que le montant de toutes ses dépenses peut être déduit de celui de ses bénéfices. B.4. En effet, l’article 49 du CIR 1992 subordonne la déductibilité en cause à la condition que les frais qu’il vise soient faits ou supportés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables, ce qui exclut les frais faits ou supportés à d’autres fins telles que celle d’agir dans un but désintéressé ou de procurer sans contrepartie un avantage à un tiers ou celles, compte tenu du principe de la spécialité des personnes morales, étrangères à l’activité ou à l’objet social de celles-‐ci; le législateur a pu à cet égard considérer qu’il ne se justifiait pas d’accorder un avantage fiscal aux contribuables à l’impôt des sociétés qui engagent des frais à des fins étrangères à leur objet social. C’est au juge qu’il appartient de vérifier si la dépense a été exposée en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un revenu et est en rapport avec l’activité de la société ou son objet social. 121 Civ. Liège, 5 mars 2009, R.G n° 04/1114/A_08/2938/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 47 B.5. La question préjudicielle appelle une réponse négative »122. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2003 n’est pas suivi de manière uniforme par les juridictions de fond. B. Décisions judiciaires refusant la déductibilité 82.-‐ Certaines juridictions de fond se basent manifestement sur le principe dégagé par l’arrêt du 12 décembre 2003 pour rejeter la déduction des dépenses relatives à un immeuble sur lequel la société a acquis un droit réel. 83.-‐ Ainsi, le Tribunal de première instance de Bruges, dans un cas similaire : une société de médecins a acquis l’usufruit d’un appartement à la côte. La nue-‐propriété est vendue conjointement au médecin gérant et à son épouse. L’objet social est l’exercice de la médecine et les statuts précisent que la société, pour pouvoir réaliser cet objet social, peut accomplir toutes opérations mobilières ou immobilières. Le tribunal refuse la déduction des frais relatifs à l’appartement, au motif qu’il n’existe pas de lien suffisant entre l’objet social et l’opération immobilière réalisée123. Une remarque intéressante du Tribunal mérite d’être soulignée : il relève que la société a contracté un emprunt pour acquérir l’usufruit de l’appartement, pour en déduire que l’opération ne peut pas non plus être considérée comme liée à l’objet social en ce qu’elle constituerait un placement de bénéfices et de réserves taxées. Paradoxalement, cet argument supplémentaire en faveur de l’administration pourrait entraîner cette dernière sur une pente savonneuse : est-‐il réellement justifié d’établir ainsi une distinction entre différents investissements opérés par une société, selon qu’ils sont réalisés au moyen de fonds propres ou grâce à un financement ? L’opération ne semble pas plus liée à l’objet social dans un cas que dans l’autre, le but étant chaque fois d’accroître le bien-‐être financier de la société, en lui procurant des revenus124. En outre, dans une décision anticipée du 14 juillet 2005, la Commission de ruling refuse la déduction de frais relatifs à l’acquisition d’un immeuble par une société, dont le but était pourtant d’utiliser « les réserves constituées dans son chef et placées en banque en vue d'améliorer la rentabilité de ces réserves »125 . Le Tribunal de première instance de Bruges confirme cette jurisprudence dans un jugement du 18 juin 2008126. Une fois de plus, il lui suffit de constater qu’ « on peut lire dans les statuts 122 C. C., 26 novembre 2009, R.G. n° 191/2009, disponible sur www.const-‐court.be. Civ. Bruges, 12 novembre 2007, Rol nr. 06/1354/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 124 Le fait qu’au terme de l’usufruit, l’appartement reviendra en pleine propriété au gérant ne peut jouer à ce stade, ainsi que le défend le Tribunal de première instance de Namur (cf. infra). 125 Décision n° 500.051, disponible sur www.fisconet.be. Notons que, dans ce cas, la société avait acquis la pleine propriété du bien. 126 Civ. Bruges, 18 juin 2008, RG n° 07/3162/ A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 123 48 de la société commerciale, qu’elle a pour objet social ’l’achat et la vente, en gros et en détail, d’appareils et de matériel de bureau; la société peut en outre réaliser toute opération mobilière et immobilière de nature à promouvoir la réalisation de l’objet social’ », pour rejeter la déduction des frais lié à l’acquisition par la société de l’usufruit d’un appartement à Coxyde. 84.-‐ La Cour d’appel de Liège semble également se rallier à cette jurisprudence127, dans un cas où une société a, en vertu d’un droit de superficie, construit un bâtiment sur un terrain appartenant à son gérant, bâtiment qu’elle a ensuite mis à disposition du gérant et de sa famille : « Attendu qu’en l’espèce, la construction et l’aménagement d’une partie importante d’un bâtiment destinée à l’habitation privée par une société dont l’objet social est l’exercice par son associé unique de son activité médicale dans le domaine de la rhumatologie n’apparaît pas a priori avoir pour finalité l’acquisition ou la conservation de revenus ou se rattacher nécessairement à l’activité sociale et ce, même si les statuts de l’appelante prévoient que dans le cadre de son objet précité, elle peut accomplir toutes opérations civiles, mobilières ou immobilières ». La Cour ajoute que « cette construction et ces aménagements ne sont du reste pas destinés à rémunérer par l’octroi d’un avantage de toute nature le gérant de l’appelante, lequel occupe le bien dans le cadre d’un bail dont il est le preneur avec son épouse et paie un loyer calculé conformément aux règles d’évaluation de l’avantage de toute nature prévues à l’article 18 de l’Arrêté Royal d’exécution du C.I.R. ». Sur ce point, on peut difficilement lui donner tort. En effet, à partir du moment où le gérant paie un loyer équivalent à l’avantage que constituerait la mise à disposition gratuite de l’immeuble, il « neutralise » le mécanisme de l’avantage de toute nature et ne peut dès lors plus prétendre avoir bénéficié d’un tel avantage. Il ressort également de l’arrêt que la société exerce partiellement ses activités dans le bâtiment construit, ce dont la Cour ne semble pas faire grand cas : « Que l’appelante exerce par ailleurs ses activités dans l’immeuble construit mais également "dans d’autres implantations" dans des proportions non précisées et qu’il n’est pas démontré que la location d’une partie importante du bien en cause à son gérant et sa famille aurait un impact significatif sur la réalisation de l’objet social et se rattacherait nécessairement à l’activité sociale ». 85.-‐ Enfin, la Cour d’appel de Gand a tenu le même raisonnement128, face à une société de médecins qui avait acquis pour vingt ans l’usufruit d’un appartement à la côte. La société 127 Liège, 22 février 2008, n° 2007/RG/552, disponible sur www.fiscalnetfr.be. Gand, 27 octobre 2009, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Usufruit : en dehors de l’objet statutaire », in Le Fiscologue, n° 1193, 19 février 2010, p. 13. 128 49 avait déclaré comme charges professionnelles l’ensemble des frais liés à cet usufruit (frais d’achat, intérêts de l’emprunt, amortissements,…), dont la déduction avait été refusée par l’administration, faute de lien avec l’objet social (exercice de la médecine, dans le domaine de la radiologie). La Cour a rappelé que le but de lucre de l’opération – la société voulait donner l’appartement en location – ne suffisait pas à justifier la déduction de frais : « Les dépenses engagées "en vue d'acquérir ou de conserver des revenus" doivent s'entendre des dépenses qui, de par leur nature ont pour objectif l'acquisition ou la conservation des revenus professionnels et qui présentent un lien causal nécessaire avec l'exercice de l'activité professionnelle »129. C. Décisions judiciaires acceptant la déductibilité 86.-‐ Certaines juridictions tentent de contourner la jurisprudence de la Cour de cassation par un raisonnement tenant à la confusion des conditions de finalité et de causalité reprises à l’article 49 du CIR. 87.-‐ Ainsi le Tribunal de première instance de Bruges : « Les dépenses constituent des frais professionnels lorsqu’elles sont exposées en vue d’acquérir des revenus imposables. En l’espèce, il est satisfait à cette condition. Par l’acquisition de l’usufruit, la société de médecins a obtenu la jouissance de l’immeuble. La société a ainsi pu octroyer un avantage de toute nature à son gérant en mettant l’usage de l’immeuble à sa disposition. Le fait que l’appartement ne soit pas utilisé professionnellement en tant que tel (c’est-‐à-‐dire utilisé dans le cadre précis de l’activité de la société), est sans incidence en l’espèce. Le fait que l’appartement soit mis par la société à la disposition de son associé/gérant pour le rémunérer suffit pour justifier la déduction. Les rémunérations peuvent, en effet, consister non seulement en de réels paiements, mais également en l’octroi d’avantages en nature. Les dépenses qui y sont liées constituent dans les deux cas des frais professionnels déductibles ».130 129 S. VAN CROMBRUGGE, « Usufruit : en dehors de l’objet statutaire », in Le Fiscologue, n° 1193, 19 février 2010, p. 13. Sommaire Civ. Bruges, 17 juin 2008, n° 07/1191/A, disponible sur www.fisconet.be. Pour rappel, c’est le même Tribunal, mais dans une autre composition, qui a rendu le lendemain un arrêt rejetant, notamment sur base de l’arrêt de la Cour de Cassation du 12 décembre 2003, la déduction des frais liés à l’usufruit d’un appartement acquis par une société à Coxyde au moyen d’un crédit d’investissement garanti par le gérant. Tribunal schizophrène s’il en est ! 130 50 Il est remarquable que ce jugement justifie plus la déduction sur base du critère de la finalité (frais engendrés pour obtenir des revenus imposables) que sur celui de la causalité (frais liés à l’objet social). Certes, les conditions prévues à l’article 49 CIR sont cumulatives, mais les critères de finalité et de causalité semblent en réalité très fortement imbriqués l’un dans l’autre : « On peut déduire de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces deux critères sont sans doute liés. Ils agissent comme des conditions convergentes qui forment un tout. Si l'on prend la jurisprudence plus traditionnelle de la Cour de cassation, on constate que le critère de finalité (l'intention de conserver ou d'acquérir des revenus imposables) signifie simplement que les frais doivent se rattacher nécessairement ou être propres à l'exercice de l'activité professionnelle (voy. également S. VAN CROMBRUGGE, Beginselen van de vennootschapsbelasting, Kalmthout, Biblo, 2006, p. 98-‐100). Le critère de finalité serait ainsi intégré dans le critère de causalité et pourrait former un indice de l'existence du lien de causalité avec les activités de l'entreprise (H. VERSTRAETE, "Cash-‐drain : fiscaal aftrekbare beroepskost ?", R.A.G.B. 2003, n° 18, p. 1028) »131. 88.-‐ Un jugement du Tribunal de première instance de Namur mérite également que l’on s’y arrête. Les faits sont les suivants : une société a acquis l’usufruit d’un immeuble, la nue-‐ propriété ayant été acquise conjointement par le gérant. La société a réalisé des travaux dans l’immeuble afin d’y installer ses bureaux et d’y fixer son siège social, le surplus étant mis à disposition de son gérant à titre d’habitation privée. Suite à la rectification opérée par l’administration fiscale, un jugement est rendu le 21 janvier 2009, qui – en substance – dit ce qui suit : « Il paraît évident que si la demanderesse avait acheté la pleine propriété de l’immeuble litigieux, le litige n’aurait pas existé… Il est fréquent en effet qu’une société achète un immeuble pour y établir son siège social et y loger son dirigeant à titre privé, au titre d’avantage de toute nature. Ce qui a déclenché l’opposition de l’administration à la déductibilité des amortissements pratiqués par la demanderesse, c’est essentiellement le fait que la demanderesse n’a acquis – en l’espèce – qu’un usufruit de 15 ans. Il va de soi que cette formule est de nature à avantager doublement le gérant de la demanderesse puisque, non seulement il est logé gratuitement dans la partie privée de l’immeuble, mais il en deviendra en outre plein propriétaire au terme de l’usufruit. A quoi s’ajoutera encore le bénéfice de la clause conventionnelle qui le dispense de tout dédommagement à raison des investissements que sa société y aura réalisés pendant son usufruit. 131 H. VERSTRAETE, « Changer l’objet social n’est pas nécessairement une solution », in Le Fiscologue, n° 1104, 22 février 2008, p. 4. 51 L’administration a néanmoins tort de faire un amalgame de ces avantages pour en déduire que les frais supportés par la demanderesse pour l‘acquisition de cet usufruit et ses suites constituent des libéralités et non des charges professionnelles déductibles. Il faut en effet distinguer l’avantage que le gérant de la demanderesse tire de l’occupation de la partie privée de l’immeuble et ceux qui résultent de sa situation de nu-‐propriétaire. Le premier de ces avantages n’en est, en réalité, pas un : il correspond à une fraction de la rémunération à laquelle il peut prétendre en contrepartie de ses prestations de gérant. Ce n’est donc pas une libéralité, mais un avantage en nature qui a d’ailleurs été déclaré et imposé comme tel dans le chef de l’intéressé. Du côté de la demanderesse, l’octroi de cet avantage en nature à son gérant constitue une charge professionnelle incontestable et le fisc n’a aucun droit d’en rejeter la déduction. (…) Pour ce qui est des avantages liés à la qualité de nu-‐propriétaire du gérant de la demanderesse, le Tribunal renvoie à ce qu’il a déjà retenu dans le cadre de son jugement du 26 juin 2002, cité par cette dernière (Cas similaire, mais pour un contrat de superficie, R.G. n° 2053/1999, F.J.F, 2002, n°2002/257). La circonstance que Mr E. C. doit recevoir, à l’échéance de l’usufruit de la demanderesse, un avantage substantiel en devenant propriétaire de l’immeuble litigieux et des améliorations y apportées par cette dernière sans bourse délier ne peut exercer aucune influence sur le traitement fiscal de l’opération dans le chef de celle-‐ci ; C’est seulement au moment de l’échéance de l’usufruit et dans le chef de ce Sieur E. C. que les conséquences fiscales éventuelles de cet avantage devront être examinées, que ce soit sous l’aspect d’un avantage de toute nature lié à son activité professionnelle ou sous l’aspect d’une libéralité. Les rectifications litigieuses ne sont donc pas fondées »132. Le débat sur le critère de la causalité se déplace donc vers la notion d’avantage de toute nature, avantage qui semble répondre par nature aux différentes conditions de l’article 49 du CIR. Certes, dans le cas soumis au Tribunal de première instance de Namur, la société avait établi son siège social et ses bureaux dans l’immeuble litigieux. On ne voit cependant pas ce qui empêcherait de tenir un raisonnement semblable en présence d’un immeuble entièrement mis à la disposition du gérant à titre d’habitation privée : il peut en effet également s’agir 132 Civ. Namur, 21 janvier 2009, R.G n° 822-‐06, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 52 d’un avantage de toute nature, puisque l’article 18 A.R/C.I.R prévoit une évaluation forfaitaire des avantages de toute nature obtenus autrement qu’en espèce, et notamment la « disposition gratuite d’immeubles ou de parties d’immeubles ». Par ailleurs, ce jugement nous met la puce à l’oreille quant à la motivation réelle de l’administration et de la jurisprudence qui lui donne raison : finalement, plus que le non-‐ respect des conditions établies par l’article 49 CIR, c’est la perspective de reconstitution de la pleine propriété dans le chef des associés personnes physiques, au terme du droit réel démembré, qui insupporte les autorités administratives. La solution proposée par le Tribunal de première instance de Namur paraît pourtant ménager les intérêts : l’administration ne peut rejeter la déduction des frais relatifs à l’acquisition du droit réel démembré, mais elle sera éventuellement fondée à imposer un avantage de toute nature dans le chef du bénéficiaire, lors de la reconstitution de la pleine propriété133. 89.-‐ La Cour d’appel de Mons vient de confirmer la tendance à déplacer le débat sur l’objet social vers la possibilité, pour une société, d’octroyer un avantage de toute nature à ses dirigeants134. Une société avait acquis l’usufruit d’un immeuble appartenant à son gérant, pour une durée de quinze ans. Elle y exerçait son activité dans le secteur technologique et mettait à disposition de son gérant une partie de l’immeuble, à des fins privées. Cet avantage de toute nature était déclaré par le gérant, conformément aux prescriptions de l’article 18 AR/CIR. La quotité d’utilisation privée du bien avait été évaluée à 35 % par l’administration fiscale, qui rejetait dès lors 35 % des frais relatifs à l’usufruit, au motif que cette partie des dépenses ne se rattacherait pas à l’activité de la société. L’administration se basait, bien sûr, sur les arrêts précités de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle. La Cour d’appel de Mons commence par rappeler ces deux arrêts ainsi que les conditions de l’article 49 du C.I.R, pour ensuite déclarer ce qui suit : « L’ETAT BELGE fait, en l’espèce, une mauvaise application des principes dégagés par la jurisprudence précitée dès lors que l’acquisition de l’usufruit de l’immeuble litigieux se rattache directement et nécessairement à l’activité sociale de la S.P.R.L. BT qui y exerce son activité, ne disposant d’aucun autre siège social ou d’exploitation. Les statuts de la S.P.R.L. BT prévoient expressément (article 3 b et alinéa 3) que la société peut faire l’achat de tous biens immeubles…, négocier tous accords se rapportant à des droits immobiliers…et accomplir toutes opérations immobilières se rapportant directement ou indirectement à son objet social. 133 Sur la question précise de l’imposition d’un avantage à l’expiration du droit réel, cf. infra. Mons, 15 novembre 2010, R.G. n° 09/1821/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 134 53 L’interprétation extrêmement restrictive de l’administration visant à exclure des achats immobiliers une cession d’usufruit et à contester le caractère professionnel de toute opération immobilière dans le chef de la société dont l’objet principal n’est pas à caractère immobilier ne peut en aucun cas être admise. Il est de jurisprudence constante que l’administration ne peut se faire juge de l’opportunité d’une dépense. Le fait pour une société de supporter des frais immobiliers pour permettre la rémunération en nature de son dirigeant par la mise à disposition d’un logement privé -‐ particulièrement au lieu même du siège social et d’exploitation -‐ plutôt que d’assumer des frais de rémunération en espèces relève de sa liberté de gestion dans laquelle l’administration n’a pas à s’immiscer. Il ne peut être raisonnablement contesté que les rémunérations du dirigeant d’entreprise constituent des frais professionnels déductibles. C’est précisément parce que l’occupant est dirigeant d’entreprise que les dépenses liées à la mise à sa disposition d’un logement ont un caractère professionnel dans le chef de sa société. Le contribuable ne doit pas aller jusqu’à établir le caractère obligatoire ou nécessaire de la dépense et à justifier d’une contrepartie immédiate dès lors que le lien avec son activité professionnelle ou son objet social est démontré et que le montant ne peut être qualifié de déraisonnable. Une société peut parfaitement acquérir l’usufruit d’un immeuble en vue de le mettre en partie à la disposition de son gérant ce qui représente un avantage en nature inclus dans la rémunération du dirigeant d’entreprise, dont la taxation est d’ailleurs expressément prévue par l’art. 32 alinéa 2 2° CIR 92 et par l’article 18 AR/CIR 92 »135. L’administration a essayé de faire valoir que la structure mise en place dénaturait l’institution de l’usufruit, argument que la Cour a rejeté en quelques phrases : la société use effectivement de son droit de jouissance, en occupant elle-‐même le bien et en le mettant partiellement à disposition de son gérant. Il n’y a là aucun « montage immobilier suspect », d’autant moins que la valeur de l’usufruit a été déterminée de manière correcte, par un réviseur d’entreprise. La Cour en conclut que l’ensemble des frais relatifs à l’usufruit acquis par la société sont déductibles, selon l’article 49 du CIR 135 Mons, 15 novembre 2010, R.G. n° 09/1821/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 54 D. Que retenir de cette jurisprudence ? 90.-‐ Après une période assez obscure pour le contribuable, il semble permis de reprendre espoir en la déduction des frais liés à l’acquisition d’un droit réel sur un immeuble utilisé partiellement à des fins privées. La nécessité de rattacher une dépense à l’objet social ne doit pas empêcher une société de décider librement de la façon dont elle rémunère ses dirigeants, d’autant que la loi elle-‐ même prévoit cette forme de rémunération. S’il est vrai que toute dépense doit présenter un lien nécessaire avec l’objet social, on ne peut en déduire que seules les dépenses « indispensables » à la réalisation de cet objet sont déductibles. Il faut mais il suffit qu’elles soient « en rapport avec l’activité professionnelle de la société telle qu’elle est définie par l’objet social »136. 91.-‐ Cela dit, afin de se prémunir le plus possible de discussions avec l’administration fiscale, il vaut mieux s’imposer la ligne de conduite suivante : - Le gérant ne doit pas payer de loyer à sa société, pour la mise à disposition gratuite d’une partie d’immeuble, faute de quoi il n’y a pas d’ « avantage de toute nature ». - L’objet social doit permettre à la société d’avoir une activité immobilière. Il est sans doute préférable, en outre, de libeller cette clause des statuts en termes assez généraux, afin d’éviter que ceux-‐ci prévoient eux-‐mêmes un lien obligatoire entre l’activité principale et la gestion d’un patrimoine immobilier. Voici un exemple de clause statutaire d’une société médicale, qui a été acceptée par le Conseil de l’Ordre des Médecins : « I. La société a pour objet : l’exercice de la médecine ayant comme spécialité l’oto-‐ rhino-‐laryngologie par son (ses) organe(s) -‐ médecin(s), lui-‐même (eux-‐mêmes) associé(s), légalement habilité(s) à exercer la profession de médecin spécialisé en oto-‐ rhino-‐laryngologie en Belgique. L'objet social ne pourra être poursuivi que dans le respect des prescriptions d'ordre déontologique, et notamment celles relatives au libre choix du médecin par le patient, l'indépendance diagnostique et thérapeutique du médecin, au respect du secret médical, à la dignité et à l'indépendance professionnelle du praticien. La société peut accomplir toutes opérations civiles, mobilières ou immobilières se rapportant directement à son objet ou de nature à en faciliter la réalisation. La société s'interdit toute exploitation commerciale de la médecine, toute forme de collusion directe ou indirecte, de dichotomie ou de surconsommation. La société ne pourra conclure, avec des médecins ou des tiers, de convention interdite au médecin. 136 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 471. 55 La responsabilité professionnelle du médecin-‐associé est illimitée, quelle que soit la forme de la convention. Tout médecin travaillant au sein de la société doit informer les autres membres ou associés de toutes sanctions disciplinaire, civile, pénale, ou administrative entraînant des conséquences pour l'exercice en commun de la profession. La médecine est exercée par les associés au nom et pour le compte de la société. Tous les revenus générés par l’activité médicale apportée sont perçus pour et par la société comme toutes les dépenses découlant de l’activité médicale sont réglées par la société. En cas de pluralité d’associés, toute l’activité professionnelle de chacun des associés doit être exercée au sein de la société. L’apport de l’activité partielle d’un associé ne peut être accepté que moyennant l’accord du Conseil provincial de l’Ordre. II. La société a également pour objet la gestion d’un patrimoine immobilier et mobilier, ainsi que toutes opérations se rapportant directement ou indirectement à cet objet : l’achat et la vente, la location, la mise en valeur de tous biens immeubles, les opérations financières de nature à favoriser le rapport des immeubles qu’elle possède, l’investissement en valeurs mobilières. Les opérations précitées ne peuvent cependant porter atteinte au caractère civil de la présente société et ne peuvent en aucun cas conduire au développement d’une quelconque activité commerciale ». - La société devrait, idéalement, exercer ses activités au sein de l’immeuble dont elle a acquis l’usufruit, l’emphytéose ou la superficie (et qu’elle met partiellement à disposition de son dirigeant). En effet, même si nous estimons qu’une affectation totale à des fins privées ne devrait pas empêcher la déduction des frais, eu égard au raisonnement basé sur l’avantage de toute nature, l’administration fiscale verra d’autant mieux le « lien nécessaire avec l’objet social » si la société occupe partiellement l’immeuble. Cela pourrait expliquer pourquoi les juridictions du Nord du pays, souvent confrontées à des sociétés acquérant l’usufruit d’ « appartements à la mer », semblent plus sévères. E. Article 49 du CIR v. article 26 du CIR 92.-‐ Comme nous l’avons indiqué ci-‐dessus, la déduction des frais liés à l’acquisition du droit réel par la société doit être examinée au regard de l’article 49 du CIR. 56 Certaines juridictions de fond ont pourtant estimé que la matière devait, dans certains cas, être examinée au regard de l’article 26 du CIR en vertu duquel : « lorsqu'une entreprise établie en Belgique accorde des avantages anormaux ou bénévoles, ceux-‐ci sont ajoutés à ses bénéfices propres, sauf si les avantages interviennent pour déterminer les revenus imposables des bénéficiaires ». 93.-‐ Le 31 octobre 2006, la Cour d’appel d’Anvers a réformé un jugement du Tribunal de première instance d’Anvers137, dans un cas rappelant de façon criante celui ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Gand expliqué ci-‐dessus138 : une société de pharmaciens avait acquis l’usufruit d’un appartement à la côte, tandis que les actionnaires principaux en détenaient la nue-‐propriété. La société avait ensuite mis l’appartement à disposition des actionnaires, à des fins privées. Ces derniers étaient imposés sur l’avantage de toute nature recueilli, mais l’administration avait estimé qu‘il convenait dans ce cas d’appliquer l’article 26 du C.I.R concernant les « avantages anormaux ou bénévoles139, faute de lien entre l’activité des administrateurs au sein de la société et l’avantage octroyé. Or, en vertu de cette disposition, les avantages anormaux ou bénévoles accordés par une société sont ajoutés à ses bénéfices propres, sauf s’ils interviennent pour déterminer les revenus imposables des bénéficiaires. La Cour a donc estimé qu’il serait contraire au principe d’interdiction de double imposition contenu dans l’article 26 du C.I.R de refuser la déductibilité des frais dans le chef de la société. En d’autres termes, « l’imposition de l’avantage dans le chef des bénéficiaires exclut la non-‐déductibilité dans le chef de celui qui octroie l’avantage »140. 94.-‐ L’article 26 du C.I.R, bouée de sauvetage en cas d’octroi d’ « avantages anormaux ou bénévoles » ? C’était sans compter sur la vivacité du législateur, doublée de l’inertie de la Cour constitutionnelle : l’article 81 de la loi-‐programme du 27 avril 2007141 a étouffé dans l’œuf la rébellion naissante, en venant préciser que l’article 26 était « sans préjudice » de l’article 49 du CIR. Qu’à cela ne tienne ! L’argumentation basée sur l’avantage de toute nature poursuit son chemin. 137 Qui, lui, reprenait fidèlement les termes de l’arrêt du 12 décembre 2003 : les statuts autorisaient l’acquisition de biens immobiliers répondant à l’objet social de la société…Critère auquel ne satisfait pas l’acquisition (de l’usufruit) d’un appartement à la mer par une société de pharmaciens. Un autre adepte, donc. 138 Cf. supra, Gand, 27 octobre 2009, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Usufruit : en dehors de l’objet statutaire », in Le Fiscologue, n° 1193, 19 février 2010, p. 13. 139 Plus précisément sur cette notion, cf. infra. 140 J. VAN DYCK, « Appartement à la côte d’une société de pharmaciens : déductible », in Le Fiscologue, n° 1058, 16 février 2007, p. 5. 141 Loi-‐programme du 27 avril 2007, M.B. 8 mai 2007. 57 CHAPITRE III MORT DU DROIT RÉEL SECTION 1 RÉGIME FISCAL APPLICABLE À L’EXTINCTION DU DROIT RÉEL § 1. Droits d’enregistrement 95.-‐ Au terme du droit réel, quel qu’il soit, le dirigeant (nu-‐propriétaire, tréfoncier) redevient plein propriétaire. Le droit de vente n’est pas dû dans ce cas, le transfert ayant lieu en vertu du principe de l’accession. Seul le droit fixe général est perçu. Nous verrons cependant ci-‐dessous que l’administration de l’enregistrement a tenté, dans certains cas, d’appliquer le droit de vente sur l’indemnité payée par le titulaire du droit résiduaire, en cas de résiliation anticipée du droit réel. § 2. Impôt sur les revenus 96.-‐ La question essentielle qui se pose à ce stade est de savoir si le transfert de propriété des constructions réalisées par la société, au profit du dirigeant, constitue dans le chef de ce dernier un avantage de toute nature, imposable à l’impôt des personnes physiques. Ce point sera examiné ci-‐dessous. SECTION 2 TAXATION D’UN AVANTAGE DE TOUTE NATURE OU D’UN AVANTAGE ANORMAL OU BÉNÉVOLE LORS DE LA RECONSTITUTION DE LA PLEINE PROPRIÉTÉ 97.-‐ Pour rappel, l’hypothèse est la suivante : le titulaire du droit d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie a érigé des constructions sur le terrain grevé du droit réel. A l’expiration de ce 58 droit, les constructions deviennent par accession la propriété du propriétaire du fonds, sans que ce dernier ne doive payer d’indemnité à l’usufruitier, superficiaire ou emphytéote142. 98.-‐ Notons qu’un usufruitier n’est normalement pas tenu, selon les règles du droit civil, aux « grosses réparations ». Cette notion doit être actualisée et se comprend donc aujourd’hui comme les « gros travaux de rétablissement ou de reconstruction ayant pour objet la solidité générale et la conservation du bâtiment dans son ensemble »143, ceux-‐ci comprenant les travaux importants comme l’installation de l’électricité ou le remplacement de l’installation de chauffage. Par conséquent, si l’usufruitier s’adonne à de grosses réparations ou transformations, il est admis qu’il doit recevoir une indemnité, selon les règles expliquées sous la première partie de cet exposé144. S’il n’est pas indemnisé pour les travaux supportés, l’administration aura là une arme pour taxer un avantage dans le chef du nu-‐propriétaire, à l’expiration du droit d’usufruit145. Comme en matière de superficie, où l’indemnisation du superficiaire est également de règle, le régime civil supplétif vient conforter la position de l’administration fiscale. L’administration estime en effet, d’une manière générale, que si le nu-‐propriétaire ou le tréfoncier (ci-‐après, « le tréfoncier ») recouvre la pleine propriété sans avoir à payer d’indemnité pour les constructions érigées par le titulaire du droit réel, son patrimoine bénéficie d’une augmentation de valeur qui doit être imposée. Selon les cas, l’imposition se fera dès lors soit dans le chef du tréfoncier (comme avantage de toute nature), soit dans le chef de la société titulaire du droit réel (comme avantage anormal ou bénévole), selon les rapports – professionnels ou non – existant entre les parties. 99.-‐ Cela dit, la jurisprudence actuelle semble n’accepter la taxation d’un avantage que si avantage il y a ! Et plus d’une décision judiciaire donne au contribuable des pistes pour échapper à la taxation de l’ « avantage ». Dans un arrêt du 27 septembre 2005, la Cour d’appel d’Anvers146 refusa de suivre l’administration fiscale qui voulait imposer un avantage de toute nature dans le chef de l’administrateur de la société. Ce dernier avait concédé à sa société un droit de superficie de quinze ans sur un terrain lui appartenant et ce, en échange d’une redevance symbolique d’un franc belge par an. Le contrat prévoyait que les constructions qu’érigerait le superficiaire passeraient sans indemnité au tréfoncier, à l’expiration du droit de superficie. 142 L’absence d’indemnité est généralement prévue contractuellement mais peut également découler de la loi directement, comme en matière d’emphytéose (cf. supra). 143 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 462. 144 L’usufruitier devra être indemnisé pour les travaux constituant plus que de simples améliorations, (comme des constructions) soit parce qu’ils sont susceptibles d’enlèvement mais que le propriétaire a décidé de les conserver soit parce qu’ils ne sont pas susceptibles d’enlèvement et constituent des impenses nécessaires ou utiles. 145 Sauf, en principe, si les gros travaux à prendre en charge par l’usufruitier ont été pris en compte pour déterminer la valeur économique de l’usufruit, lors de son acquisition par la société (cf. supra). 146 Anvers, 27 septembre 2005, Cour. fisc., 2005/599. 59 L’administration estimait, par conséquent, que l’administrateur-‐tréfoncier avait obtenu gratuitement le bâtiment. Le Tribunal de première instance d’Anvers, puis la Cour d’appel, ont estimé qu’en présence d’un droit de superficie d’une durée de quinze ans – qui ne peut donc être considéré comme anormalement court – pour une redevance symbolique, l’absence d’indemnité ne visait qu’à compenser la perte de jouissance subie par le tréfoncier. 100.-‐ En matière de superficie, ce raisonnement est d’autant moins surprenant que l’administration de l’enregistrement a estimé, en 1995, que la contrepartie d’un droit de superficie pouvait être l’acquisition des constructions érigées par le superficiaire, à l’expiration du droit147. 101.-‐ La Cour d’appel de Mons s’est également penchée sur la question148. Il s’agissait cette fois d’un droit d’usufruit, qu’un couple avait concédé pour sept ans à la société dont ils étaient administrateurs. Le droit d’usufruit portait sur un terrain comportant une maison d’habitation. En vertu de son droit, la société avait construit un second bâtiment en 1993. En 1999, le droit d’usufruit a pris fin, entraînant normalement un accroissement du patrimoine des administrateurs de la société, qui redevenaient pleins propriétaires du terrain et des bâtiments, y compris celui érigé par la société. Cependant, en 2001, les administrateurs ont renoncé par acte authentique au droit d’accession, avec effet rétroactif au 1er juillet 1993. La société est dès lors plein propriétaire des bâtiments, depuis le 1er juillet 1993. L’administration a néanmoins voulu imposer un avantage de toute nature dans le chef des administrateurs, pour l’avantage recueilli en 1999, du fait de l’acquisition à titre gratuit du bâtiment érigé par la société usufruitière en 1993. La Cour d’appel de Mons a refusé : dès lors que la renonciation à l’accession est intervenue de manière certaine et l’acte ayant été enregistré avant que l’avis de rectification ne soit envoyé, il est opposable à l’administration. Or, s’il y a eu renonciation à l’accession dans le chef des administrateurs nus-‐propriétaires, ceux-‐ci ne sont jamais (re)devenus pleins propriétaires des bâtiments et n’ont donc bénéficié d’aucun avantage. 102.-‐ Ces deux arrêts sont assez encourageants. Ils permettent d’espérer que, dans certains cas, l’absence d’indemnisation ne doive pas être considérée comme un « avantage » mais comme la contrepartie de la perte de jouissance du fonds pendant la durée du droit réel. 147 Décision du 6 mars 1995, Rec. gén. enr. not., 1995, n° 24505, p. 241, cf. supra. Mons, 17 janvier 2008, commenté par G. POPPE, « La renonciation au droit d’accession », in Hebdo Fiscalnet du 3 juillet 2007, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 148 60 En d’autres termes, le transfert de propriété des constructions sans indemnité peut, dans certains cas, n’être qu’un moyen de compenser la perte de revenus subie par le tréfoncier durant les années où il a concédé un droit réel sur son bien : l’absence d’indemnité est la contrepartie de la perte de jouissance, de la concession d’un droit réel sur le bien. Bien sûr, ce raisonnement n’est possible que s’il y a réellement une perte de jouissance dans le chef du tréfoncier. Dès lors, concernant les droits d’emphytéose et de superficie, il est capital que les parties prévoient une durée suffisamment longue (de minimum vingt-‐sept ans pour le droit d’emphytéose) et une redevance symbolique. 103.-‐ Dans le même esprit, un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles149 a récemment déclenché l’enthousiasme des fiscalistes. Il ne s’agit pas de la concession d’un droit réel mais les principes dégagés par l’arrêt sont aisément transposables à cette matière. Le gérant d’une société avait loué un terrain à cette dernière pour une durée de vingt ans, moyennant un loyer annuel d’1 BEF. Le contrat précisait que cette location devait permettre à la société de construire un bâtiment destiné à l’exercice de son activité, le bailleur renonçant au droit d’usage sur les constructions jusqu’à la fin du bail. Il était également indiqué que le bailleur deviendrait propriétaire de tous les travaux, ornements et améliorations à l’expiration du bail, sans devoir verser d’indemnité au locataire. L’administration estima que le gérant avait donc perçu, à l’expiration du bail, un avantage de toute nature. La Cour d’appel de Bruxelles rejette ce point de vue. Selon elle, l’administration ne démontre pas que l’acquisition de la propriété des bâtiments trouve sa cause dans la qualité de gérant du contribuable. Le contrat de bail constitue une cause indépendante du transfert de propriété des constructions au terme du contrat, l’absence d’indemnité pouvant être considérée comme une compensation de la perte de jouissance subie par le bailleur, compte tenu de la durée du bail et de la modicité du loyer. Selon le rédacteur en chef de Fiscalnet, « Cet arrêt est d’une importance primordiale pour les fiscalistes, car il donne toutes les conditions qu’il faut respecter pour passer au travers des mailles du filet de l’administration fiscale et éviter l’imposition d’un avantage de toute nature lors de la récupération à titre gratuit d’un immeuble dont le coût a été supporté en totalité ou en partie par la société de son dirigeant. Rappelons ces conditions : -‐ Une longue durée est indispensable : espérer tirer parti de ces montages sur une période de moins de 15 ans relève du jeu de la roulette russe. Dans le cas d’espèce cité ci-‐dessus, la durée était de 20 ans ; 149 Bruxelles, 9 septembre 2010, R.G. n° 2005/AR/120, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 61 -‐ Il n’est pas nécessaire de procéder à un contrat d’usufruit ou de superficie, car une location à long terme avec renonciation au droit d’accession peut très bien faire l’affaire ; -‐ La construction édifiée et les travaux réalisés doivent avoir servi à l’activité de la société. Les constructions usufruit qui consiste à faire prendre en charge par une société l’usufruit sur 15 ans d’une maison privée mise à disposition du dirigeant moyennant la déclaration d’un avantage de toute nature calculé sur base de l’art.18 arcir/92 sont des montages haut risque. Non seulement ils ne tiennent pas la route économiquement, mais en outre, ils ont déjà fait l’objet de rejets au niveau fiscal à maintes reprises. Il faut bien avouer que l’argument soulevé par la Cour de Cassation (cette dépense n’a rien à voir avec l’activité de la société et n’est donc pas déductible) est un argument contre lequel il n’est plus possible d’aller ; -‐ Une rémunération modérée perçue pour la mise à disposition de la société de la concession qui lui est faite de s’installer sur un bien appartenant à son dirigeant pour y construire et exercer ses activités. Si toutes ces conditions sont respectées, il n’y a plus de risque fiscal et les arguments développés par la Cour d’Appel de Bruxelles dans son arrêt du 09.09.2010 pourront être resservis indéfiniment pour faire comprendre au fonctionnaire qui se risquerait à contester l’opération de démembrement du droit de propriété menée dans les conditions décrites ci-‐dessus qu’il n’a aucune chance de voir ses prétentions reconnues »150. L’opération imaginée par les parties dans ce cas pose néanmoins question. Il semblerait en effet que le bailleur n’ait pas renoncé à l’accession – ce qui reviendrait à constituer un droit de superficie – mais simplement au droit d’usage sur le bâtiment construit : dans ce cas, le bâtiment est en réalité devenu la propriété du bailleur au fur et à mesure de sa construction, simplement par accession, le bail étant progressivement étendu aux nouvelles constructions. Il ne revenait donc pas à la société locataire d’amortir le bien, comme il ne pouvait être question d’un avantage pour le bailleur gérant à l’expiration du bail, le bâtiment étant en réalité devenu la propriété du bailleur au fur et à mesure de la construction, soit bien avant la fin du contrat de bail. Le rédacteur en chef de Fiscalnet, cité ci-‐dessus, ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’il mentionne qu’une « location à long terme avec renonciation au droit d’accession peut très bien faire l’affaire », ce qui revient selon nous à constituer un droit de superficie sur les bâtiments à construire. 104.-‐ Quoi qu’il en soit, un arrêt de la Cour d’appel de Gand du 21 décembre 2010151 nous oblige à tempérer fortement l’enthousiasme suscité par la décision de la Cour d’appel de Bruxelles. 150 E. MASSET, « Démembrement du droit de propriété et acquisition à titre gratuit par le dirigeant au terme du démembrement », in Hebdo Fiscalnet du 12 mars 2011, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 151 S. VAN CROMBRUGGE, “Avantage de toute nature à l’expiration du droit de superficie ? », in Le Fiscologue, n° 1236, 4 février 2011, p. 4. Arrêt non (encore) publié. 62 Le gérant d’une S.P.R.L avait concédé à celle-‐ci un droit de superficie sur un terrain pour une durée de 15 ans, moyennant un canon annuel de 1.000,00 BEF. La société superficiaire s’était engagée à construire une salle des fêtes dont la propriété serait transférée sans indemnité aux propriétaires du terrain, soit le gérant et son épouse, à l’expiration du droit de superficie. A nouveau, l’administration tenta de faire valoir l’existence d’un avantage de toute nature, dans le chef du gérant. A s’en tenir aux principes dégagés par la jurisprudence mentionnée ci-‐dessus, nous aurions parié sur une décision favorable au contribuable. Ce dernier invoqua d’ailleurs entre autres l’absence d’avantage, compte tenu de la perte de jouissance durant 15 ans moyennant un canon très faible. Mais la Cour ne l’entend pas de cette façon. Concernant l’existence même d’un avantage, elle ne suit pas les arguments habituels relatifs à la durée du droit de superficie et à la modicité du canon. Le droit de superficie ayant expiré au moins 19 ans avant que la salle de fêtes soit entièrement amortie par la société, la Cour considère que le gérant tréfoncier est devenu propriétaire du bâtiment à un moment où la société superficiaire aurait encore pu (longuement) en profiter. Elle balaie également l’argument de la modicité du canon, considérant que le gérant-‐ tréfoncier avait un intérêt personnel au bon développement de la société. Bref, selon la Cour, l’existence d’un avantage est établie. La Cour se penche ensuite attentivement sur le lien existant entre l’acquisition gratuite du bâtiment et la qualité de dirigeant d’entreprise. Cette réflexion distingue véritablement l’arrêt des autres décisions ayant admis l’existence d’un avantage, qui se contentent habituellement d’affirmer qu’un tel avantage n’aurait pas été octroyé à un autre que le gérant. Sur l’origine professionnelle de l’avantage octroyé, la Cour d’appel de Gand relève deux éléments intéressants. Tout d’abord, les termes du contrat révèlent que le gérant tréfoncier avait, dès le départ, le contrôle sur la salle des fêtes que le superficiaire s’était obligé à construire. En outre, l’opération a été réalisée dans le plus parfait mépris des règles relatives au conflit d’intérêts, qui obligeaient le gérant à faire intervenir à la signature du contrat un mandataire ad hoc et ce, conformément à l’ancien article 133 du Code des sociétés. Le gérant ne s’en est pas soucié et a signé le contrat tant en son nom propre qu’en celui de la société, démontrant ainsi qu’il ne craignait aucune action de la société pour violation des règles relatives au conflit d’intérêts. 63 La Cour en déduit que l’avantage octroyé au tréfoncier à l’expiration du droit de superficie n’a pu l’être qu’en raison de sa qualité de gérant de la société superficiaire. Cet arrêt confirme que les choses sont plus complexes que ne le laissait croire la décision de la Cour d’appel de Bruxelles. Cette dernière a toutefois le mérite de sauvegarder le principe selon lequel l’acquisition de la propriété de bâtiments, à l’expiration du droit, peut être considérée comme une compensation de la perte de jouissance subie. Quels enseignements tirer, dès lors, le la décision de la Cour d’appel de Gand ? Sur l’existence d’un avantage, nous doutons que la durée de l’amortissement doive être prise en compte pour juger de la durée du droit réel. En effet, certaines décisions déjà commentées ont admis que le titulaire d’un droit réel amortisse le bien érigé sur la durée de ce droit réel152, ce qui empêche désormais de se référer à la durée de l’amortissement pour juger du caractère normal ou raisonnable de la durée du droit réel. Notons que dans l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, il est dit que la société avait complètement amorti le bâtiment, sans que l’on sache toutefois si cela a réellement influencé la décision de la Cour. Cette dernière mentionne en effet simplement la durée de la perte de jouissance, qu’elle considère comme suffisamment longue pour être compensée par l’acquisition du bâtiment à titre gratuit, compte tenu de la modicité du loyer, de la taille du terrain et de son utilité pour la société locataire. Outre la longueur du droit réel concédé, la perte de jouissance résulte généralement de la faiblesse du canon payé par le titulaire du droit réel. A cet égard, la Cour d’appel de Gand est sans doute trop sévère lorsqu’elle avance que le tréfoncier a, en tant que gérant, un intérêt personnel à ce que la société se porte bien. La qualité de gérant est un élément qui doit intervenir au stade suivant, au moment de connaître la nature de l’avantage, non pour juger de l’existence même de cet avantage. En raisonnant comme elle le fait, la Cour d’appel de Gand renonce sciemment à considérer la société comme une personne juridique distincte : le fait que tout gérant ait un intérêt personnel à ce que sa société fonctionne bien ne devrait pas empêcher de tenir compte de la perte de jouissance consentie par un gérant au profit de sa société. Par contre, concernant les liens entre la qualité de gérant et l’avantage octroyé, l’arrêt de la Cour d’appel de Gand attire l’attention sur certains points intéressants, passés relativement inaperçus jusqu’à présent. Tout d’abord, la constitution d’un droit réel implique un véritable « lâcher-‐prise » du tréfoncier, qui n’est pas censé maintenir le contrôle sur le bien érigé en vertu du droit réel. En poursuivant le raisonnement, on pourrait même soutenir que lorsque le tréfoncier garde un certain contrôle, pendant la durée du droit réel, il n’y a en réalité pas de perte de jouissance… Dans un cas comme celui ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, l’argument valait a fortiori car il s’agissait d’un bailleur et non d’un tréfoncier. 152 Cf. supra, § 71. 64 Enfin, il est très pertinent d’avoir relevé la violation des règles relatives au conflit d’intérêts. Quand un gérant se lance dans une telle opération, la moindre des choses est de réfléchir à ce conflit, évident s’il en est. En guise de conclusion sur ce point, nous ne pouvons qu’exhorter à la prudence : si l’administration, suivie par les cours et tribunaux, conclut à l’existence d’un avantage, il s’agira forcément d’un avantage non déclaré par la société et donc imposable au titre de commission secrète à 309 %, en vertu de l’article 219 du C.I.R/92153. 105.-‐ Concernant le droit d’usufruit, nous avons déjà vu que la valorisation correcte de l’usufruit, lors de son acquisition par la société, permettait d’écarter le risque de taxation d’un avantage, au terme de l’usufruit. Cela dit, il faudra veiller à ce que cette valorisation tienne compte des travaux à réaliser par l’usufruitier, si ceux-‐ci s’apparentent à de « gros travaux » qui incombent normalement au nu-‐propriétaire. La décision de ruling du 27 avril 2010, déjà citée ci-‐dessus, est très claire à ce propos : après avoir admis la méthode de valorisation économique de l’usufruit (qui ne tenait pas compte d’éventuels gros travaux à réaliser par l’usufruitier), elle précise que le remembrement de la propriété, au terme de l’usufruit, ne donnera pas naissance à un avantage de toute nature dans le chef du gérant pour autant que « seuls les travaux incombant à l'usufruitier (soient) pris en charge par la SPRL ». 106.-‐ Enfin, compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel de Mons, la renonciation à l’accession dans le chef du nu-‐propriétaire mérite réflexion. Si cette renonciation a permis, dans le cas d’espèce, d’éviter aux gérants la taxation d’un avantage, force est de constater qu’ils se sont également privés de l’avantage principal offert par la constitution d’un droit réel : l’acquisition, au terme de ce droit, de la pleine propriété des constructions érigées ou améliorées par le titulaire du droit réel. Dans son commentaire de l’arrêt, G. POPPE explique que le risque de taxation d’un avantage de toute nature dans le chef du nu-‐propriétaire gérant peut être évité par la renonciation de ce dernier à l’accession, de telle sorte que « les travaux deviennent immédiatement la propriété définitive de l’usufruitier »154. Nous n’en sommes pas si certains car une renonciation à l’accession implique la concession d’un droit de superficie155 qui se prolongera au-‐delà du terme de l’usufruit. Il ne devrait alors plus s’agir d’une « superficie-‐conséquence »156 mais d’un droit de superficie indépendant, régi par la loi du 10 janvier 1824, dont la seule disposition impérative est le terme maximal de cinquante ans. A l’échéance, la question de l’avantage se reposera ; les parties pourront 153 er Cf. supra note n° 75, et circulaire administrative du 1 décembre 2010 (circulaire n° Ci.RH.421/605.074 (AFER n° 71/2010), disponible sur www.fisconet.be). 154 G. POPPE, « La renonciation au droit d’accession », Hebdo Fiscalnet du 3 juillet 2007, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 155 Cass., 19 mai 1988, Pas. , 1988, I, p. 1142, principe récemment rappelé par la Cour d’appel de Bruxelles, 5 janvier 2007, R.G. n° 1993/FR/288 : « Il n’est pas contesté qu’une renonciation à accession s’analyse en la constitution d’un droit de superficie ». 156 Cf. supra, partie I. 65 encore à ce moment faire valoir l’argument de la compensation de la perte de jouissance, pendant la durée de la renonciation à l’accession. En conclusion, il nous semble beaucoup plus simple de valoriser correctement l’usufruit lors de son acquisition par la société que d’avoir recours à la renonciation à l’accession. SECTION 3 RÉSILIATION ANTICIPÉE DU DROIT RÉEL 107.-‐ Les risques d’imposition sont-‐ils accrus, en cas de fin anticipée du droit réel ? Pour répondre à cette importante question, il convient de distinguer plusieurs hypothèses. § 1. Renonciation de l’usufruitier, superficiaire ou emphytéote à son droit 108.-‐ La renonciation vise l’hypothèse où le titulaire du droit réel met fin à son droit de manière unilatérale. En principe, « une renonciation unilatérale au droit réel est simplement extinctive ; le propriétaire du terrain ne doit pas l’accepter et il n’est pas non plus question d’une quelconque intention de libéralité. L’acte dans lequel l’abandon des droits est constaté est soumis au droit fixe de 25 € »157. 109.-‐ Un jugement du Tribunal de première instance d’Anvers a confirmé la non application du droit proportionnel de vente, en cas de simple renonciation par l’usufruitier à son droit158 : un particulier avait cédé à sa société un droit d’usufruit de vingt ans sur un terrain, droit en vertu duquel la société avait érigé un bâtiment. Lorsque la société a renoncé à son droit d’usufruit, neuf ans plus tard, son dirigeant a recueilli la pleine propriété du bâtiment et a payé à la société l’indemnité qui avait été contractuellement prévue, soit trois millions de francs belges. L’administration fiscale a voulu soumettre cette somme à des droits d’enregistrement, au taux proportionnel de vente (12,5 % à l’époque, en Flandre), ce que le Tribunal a refusé : il n’était pas démontré que le nu-‐propriétaire avait versé un montant plus important qu’une indemnité normale, pour l’acquisition anticipée de la propriété, dès lors que la somme versée à la société usufruitière était celle que le contrat imposait au nu-‐propriétaire de verser, à l’expiration du droit réel. 157 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 162. Civ. Anvers, 22 octobre 2003, commenté par G. POPPE, « Les droits d’enregistrement sont-‐ils dus lors de la cession d’un droit de superficie ? », Hebdo Fiscalnet du 28 février 2004, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 158 66 110.-‐ Un récent ruling confirme que lorsque la renonciation unilatérale ne fait qu’anticiper la situation qui aura lieu à l’expiration normale du droit réel, seul le droit fixe général est dû. Il s’agissait d’un emphytéote, probablement une société, qui souhaitait mettre fin à deux baux emphytéotiques portant sur des immeubles bâtis dont elle ne pouvait plus assurer la gestion financière et ce, quatre-‐vingt-‐six ans après la constitution de ces baux. Voici, en substance, ce que répond le Service des décisions anticipées : « La renonciation unilatérale à un droit d'emphytéose peut donner lieu à la perception du droit fixe général sur base de l'article 11, alinéa 2 du C. enreg., lorsque celle-‐ci s'analyse comme étant purement abdicative (extinctive). Ce type de renonciation relevant de la seule initiative de l'emphytéote. En outre, en l'espèce l'acte de renonciation unilatérale ne comporte aucun élément en contradiction avec l'acte constitutif (ainsi l'acte constitutif ne prévoyait aucune indemnité à l'expiration du contrat et l'acte de renonciation ne contient aucun règlement d'indemnité). Enfin, on ne relève aucune intention libérale dans le chef de l'emphytéote. Les bâtiments existants et les bâtiments réalisés par l'emphytéote font retour dans le patrimoine du tréfoncier via le mécanisme légal de l'accession » 159. L’enseignement de cette décision est clair. La renonciation unilatérale au droit réel ne donne pas lieu à la perception de droits d’enregistrement proportionnels à condition qu’il s’agisse véritablement d’une renonciation unilatérale : l’acte ne peut que constater que l’usufruitier, superficiaire ou emphytéote renonce à son droit réel, sans apporter aucun élément qui aurait pour effet de modifier la convention initiale. En outre, le titulaire du droit réel ne peut agir dans une intention libérale, car la renonciation constituerait alors une opération soumise au droit (proportionnel progressif) de donation. Il faut donc pouvoir justifier objectivement la renonciation unilatérale. Dans le cas ayant donné lieu au ruling cité ci-‐dessus, l’emphytéote n’était plus capable d’assumer les charges financières de l’emphytéose. Lorsque ces conditions sont remplies, le transfert de propriété des constructions érigées par le titulaire du droit réel ne résulte pas d’un acte de vente ou de donation mais de l’application du principe de l’accession160, avec pour conséquence que les droits de mutation immobilière ne sont pas dus. § 2. Résiliation de commun accord 111.-‐ Le droit réel concédé à une société trouve son origine dans un contrat, auquel les parties peuvent donc décider de mettre fin de commun accord. 159 Résumé de la décision anticipée n° 900.167 du 30 juin 2009, disponible sur www.fisconet.be. Cf. supra. 160 67 Lorsque la décision de résilier anticipativement le contrat constitutif du droit réel résulte de l’accord des parties, il convient d’examiner si elles ne modifient pas la convention initiale au point de permettre la requalification de l’opération en vente ou donation. L’administration avait jusqu’il y a peu tendance à exiger le paiement du droit proportionnel de vente dès que l’indemnité versée au titulaire du droit réel excédait l’indemnité prévue par la loi ou par la convention constitutive du droit réel. Or, seule la loi relative au droit de superficie prévoit l’indemnisation du superficiaire pour les constructions érigées sur fonds. Par conséquent, dès qu’un emphytéote se voyait gratifier d’une indemnité pour cause de résiliation anticipée du contrat, l’administration s’estimait en droit de percevoir le droit de vente, au taux de 12,5 %. Il en était de même si un contrat de superficie prévoyait qu’à son terme, le tréfoncier deviendrait propriétaire des constructions sans devoir verser une quelconque indemnité mais que, en raison d’une résiliation anticipée du contrat, le superficiaire obtenait une indemnité visant à compenser sa perte de jouissance161. 112.-‐ Aujourd’hui, suite à une jurisprudence favorable au contribuable, l’administration accepte de vérifier si – en fait – le dédommagement versé au titulaire du droit réel suite à la résiliation anticipée constitue bien une indemnité pour perte de jouissance et non le prix, la contre-‐valeur des bâtiments érigés sur le fonds162. En cas de résiliation anticipée de commun accord, il est en effet normal que le titulaire du droit réel soit indemnisé pour la perte de jouissance qu’il subit, du fait de ne pas pouvoir exercer son droit réel jusqu’au terme initialement convenu. Par contre, si les circonstances de fait entourant l’opération révèlent que l’ « indemnisation » est en réalité un « prix » versé au titulaire du droit réel qui a érigé des constructions sur le fonds, le droit de vente sera dû. 113.-‐ Dès 2002, le Tribunal de première instance de Namur « a estimé que l’application des droits proportionnels n’étaient pas justifiée dans la mesure où les sommes payées n’indemnisaient pas le superficiaire de sa perte de la propriété mais de la privation de jouissance de cette propriété pendant la période qui restait encore jusqu’au terme initialement convenu »163. 114.-‐ Deux arrêts de la Cour d’appel de Bruxelles, respectivement datés de 2006 et 2007, approuvent ce raisonnement. Il s’agissait, dans les deux cas, de la résiliation anticipée d’un droit de superficie : le superficiaire avait reçu une indemnité afin de compenser la perte anticipée de jouissance, bien que le contrat initial prévoyait qu’à l’expiration du droit de superficie, les constructions seraient la propriété du tréfoncier et ce, sans indemnité pour le superficiaire. L’administration fiscale en a déduit que l’indemnité versée au superficiaire lors de la résiliation anticipée de son droit démontrait que les parties avaient modifié leur convention 161 E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 163. Service des décisions anticipées en matière fiscale, décision du 20 novembre 2007, n° E.E./102.338. 163 L’optimalisation fiscale du patrimoine immobilier, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 61 162 68 initiale par une nouvelle convention revêtant le caractère d’un acte translatif de propriété à titre onéreux et que, par conséquent, le droit de vente de 12,5 % était dû. La Cour d’appel de Bruxelles commence par rappeler le principe selon lequel, à l’expiration du droit de superficie, les constructions deviennent la propriété du tréfoncier par le simple effet de l’accession et non en vertu de la convention passée par les parties. Elle refuse ensuite de considérer, comme l’administration fiscale, que lorsque les parties modélisent la résiliation anticipée dans une convention, elles ne peuvent plus se prévaloir de ce principe : « Lorsqu’au terme du contrat, la propriété d’une construction érigée sur un fonds donné en superficie est transférée au tréfoncier en application de la loi, le droit d’enregistrement prévu à l’article 44 du C. Dr. Enr. n’est, dès lors, pas dû sur l’indemnité que le tréfoncier est -‐ en principe -‐ (en vertu de l’article 6 précité) tenu de payer au superficiaire, puisque celle-‐ci ne constitue pas la contrepartie d’un transfert de propriété résultant d’une convention, mais la contrepartie d’un transfert de propriété résultant de la loi. Partant, l’application de l’article 44 précité ne se justifie pas. Cela vaut d’autant plus en l’occurrence, parce que le but de l’avenant, ayant fait l’objet du droit litigieux, était de mettre fin au contrat de superficie liant des époux propriétaires indivis du fonds à une société dirigée par l’un d’entre eux, du fait de la séparation intervenue entre les dits époux. Les parties à l’avenant devaient tenir compte du fait que, par l’anticipation du terme, le superficiaire subissait la perte de l’investissement immobilier qu’il avait réalisé dans le bien en question résultant de son transfert au tréfoncier par l’effet de la loi, soit une privation de la jouissance qu’il aurait dû en avoir pendant environ 12 années jusqu’au terme initialement convenu du droit de superficie. L’indemnité convenue à l’avenant constitue la compensation de la dite perte de jouissance »164. « C’est toutefois à bon droit que M. H objecte que le transfert de la propriété des constructions érigées par les époux S-‐L ne trouve pas sa cause dans la convention des parties mais directement dans la loi, par l’effet de l’accession, suite à la renonciation au droit de superficie. L’article 6 de la loi du 10 janvier 1824 concernant le droit de superficie dispose en effet que "à l’expiration du droit de superficie, la propriété des bâtiments, ouvrages ou plantations passe au propriétaire du fonds, à charge par lui de rembourser la valeur actuelle de ces objets au propriétaire du droit de superficie, qui, jusqu’au remboursement, aura le droit de rétention". Certes, les parties à l’acte du 20 décembre 1989 ont voulu déroger à l’article 6 de la loi précitée, du 10 janvier 1824, mais elles ne l’ont fait que pour le droit à l’indemnité dans les quatre cas de résiliation envisagés, sans toucher au principe selon lequel le transfert de propriété des constructions à la fin de la superficie s’effectue par le seul effet de la loi. L’article 6 de la loi ne fait par ailleurs pas de distinction selon que 164 Bruxelles, 27 septembre 2006, R.G. n° 2002/AR/2003, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 69 l’extinction du droit de superficie procède de l’expiration du terme initialement convenu ou d’une convention ultérieure, fixant un terme anticipé. L’article 44 du Code des droits d’enregistrement ne trouve donc pas à s’appliquer dans le cas de l’espèce »165. Cette jurisprudence doit être approuvée. § 3. Conclusion 115.-‐ Pour éviter le plus possible d’avoir une discussion musclée avec le fisc en cas de résiliation anticipée du droit réel, mieux vaut prévoir dans l’acte constitutif de ce droit les modalités d’une telle résiliation. 116.-‐ Concernant la résiliation unilatérale, nous sommes d’avis que l’acte constitutif doit se contenter d’énoncer la possibilité pour le titulaire du droit réel de renoncer à son droit et préciser que, dans ce cas, il ne s’agit que d’anticiper la situation qui devrait avoir lieu si le droit arrivait à son terme. En d’autres termes, en cas de renonciation unilatérale par le titulaire du droit réel, ce dernier ne pourra prétendre à une indemnité supérieure à celle qui aurait éventuellement dû lui être versée à l’échéance prévue, en vertu du contrat, et ce même s’il se prive anticipativement de son droit. 117.-‐ Quant à la résiliation anticipée de commun accord, il est par contre conseillé de compenser la perte de jouissance anticipée du titulaire du droit réel mais en précisant un mode de calcul de cette indemnité qui évitera toute confusion avec un prix de vente des constructions érigées par le titulaire du droit réel. Exemple tiré d’un dossier où le droit d’emphytéose était résilié anticipativement, de commun accord : il était convenu que l’emphytéote privé anticipativement du bien recevrait une indemnité destinée à compenser cette perte de jouissance, mais comment la calculer ? Une perte de « jouissance » s’analyse en une perte de loyers. En l’espèce, le bâtiment était loué par l’emphytéote à un tiers mais le raisonnement serait également valable en cas d’occupation du bien par l’emphytéote lui-‐même. D’après le nombre de mois restant à courir avant l’échéance initialement prévue du droit réel et les charges matérielles (gestion de l’immeuble) et fiscales (impôts), il est possible de déterminer le montant approximatif des loyers nets perdus et, donc, de la « perte de jouissance » : 165 Bruxelles, 5 octobre 2007, R.G. n° 2005/AR/2664, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 70 o [loyer mensuel x nombre de mois restant à courir jusqu’au terme du droit réel (initialement prévu)] = loyers bruts perdus ; o loyers bruts perdus – [(charges mensuelles liées à la gestion de l’immeuble × nombre de mois restant à courir jusqu’au terme du droit réel) + (loyers nets x 33,99 %166) = loyers nets perdus ; Ce calcul doit en outre être affiné car il ne tient pas compte des charges qui sont liées à l’immeuble (frais d’entretien, précompte immobilier, etc.). Celles-‐ci doivent être inclues, ce qui devrait diminuer le montant de l’indemnité. 118.-‐ Enfin, bien que la résiliation anticipée du droit réel ait de bonnes chances de n’être soumise qu’au droit d’enregistrement fixe général, mieux vaut ne pas perdre de vue d’autres conséquences fiscales éventuelles: - La renonciation anticipée déforce l’argument selon lequel l’acquisition des constructions sans indemnité vient seulement compenser « la perte de jouissance » subie par tréfoncier. Il sera sans doute moins aisé d’éviter la taxation d’un avantage de toute nature (ou d’un avantage anormal ou bénévole) dans le chef du tréfoncier (ou de la société titulaire du droit réel). Ainsi, la Cour d’appel de Mons167 a très récemment donné raison au fisc dans un cas où un droit d’emphytéose avait été constitué par l’unique associé et gérant d’une S.P.R.L au profit de cette dernière, pour une durée de vingt-‐sept ans et moyennant une redevance annuelle de 180.000 BEF. La S.P.R.L effectue d’importantes transformations du bâtiment donné en emphytéose. Cinq ans plus tard, le contrat d’emphytéose est résilié anticipativement et les tréfonciers (le gérant et son épouse) (re)deviennent pleins propriétaires des bâtiments. Dans ces conditions, la Cour d’appel admet l’existence d’un avantage de toute nature au bénéfice du gérant : jamais une telle opération n’aurait été réalisée entre parties indépendantes. En outre, vu la brièveté du droit de superficie et le montant du « canon », on ne peut considérer l’acquisition des bâtiments transformés comme la compensation d’une quelconque perte de jouissance. - Si la renonciation intervient dans les 15 ans de la construction d’un immeuble par la société usufruitière, emphytéote ou superficiaire, cette dernière s’expose à une régularisation de la T.V.A. 166 Charge fiscale. Mons, 12 novembre 2010, inédit mais commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Avantage de toute nature à l’expiration d’une emphytéose ? », in Le Fiscologue, n° 1230, 10 décembre 2010, p. 4. 167 71 - Les parties n’ayant pas « accepté toutes les conséquences de leurs actes », il se pourrait également que l’opération soit requalifiée en vente ou donation, par exemple si le délai entre la constitution du droit réel et la renonciation est particulièrement court. L’arrêt de la Cour d’appel de Mons mentionné ci-‐dessus porte cependant à croire que la jurisprudence n’est pas prompte à requalifier l’opération, pour la seule raison que le contrat a été résilié anticipativement. Il faut souligner qu’à l’heure actuelle le risque n’est pas particulièrement important en cas de renonciation anticipée à un droit d’emphytéose avant la durée légale minimale de vingt-‐sept ans. Selon certains auteurs, peu importe que la résiliation anticipée du droit d’emphytéose intervienne avant vingt-‐sept ans, pourvu que la convention initiale ait prévu une durée d’au moins vingt-‐sept ans et que son contenu ne dénature pas le droit d’emphytéose168. En effet, si les caractéristiques majeures du contrat d’emphytéose n’étaient pas respectées, il y aurait lieu à requalification, éventuellement pour cause de simulation. La Cour de cassation a confirmé ce point de vue : « En vertu de l'article 2 de la loi du 10 janvier 1824, l'emphytéose ne peut être consentie pour un terme inférieur à vingt-‐sept ans. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que les parties prévoient dans leur bail la clause que l'emphytéose pourra prendre fin, même avant l'expiration du terme minimum de vingt-‐sept ans, en cas de procédure en constatation d'insolvabilité ou en dissolution de la personne morale qui est l'emphytéote »169. SECTION 4 ACQUISITION GRATUITE PAR UNE SOCIÉTÉ D’UN BÂTIMENT CONSTRUIT PAR UNE AUTRE SOCIÉTÉ, EN VERTU D’UN DROIT RÉEL : BÉNÉFICE IMPOSABLE ? 119.-‐ L’hypothèse visée est différente de celle qui a guidé l’ensemble de cette étude ; elle nous semble néanmoins intéressante au regard de l’évolution récente de la jurisprudence : une société A acquiert un droit réel sur un terrain appartenant à une société B. Au terme du droit réel, la société B devient propriétaire du bâtiment érigé par la société A et ce, sans indemnité. Comment cette situation se traduit-‐elle fiscalement ? 168 L’optimalisation fiscale du patrimoine immobilier, Louvain-‐la-‐Neuve, Anthémis, 2007, p. 61 ; E. SANZOT, Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 162. 169 Cass., 30 mars 2006, R.G. n° C.04.0486.N, disponible sur www.juridat.be. 72 120.-‐ Un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2001 a (partiellement) répondu à cette question170. L’affaire à l’origine de cet arrêt est relativement simple : la S.A H. a acquis des droits de superficie portant sur deux terrains appartenant à la S.A. G., les contrats stipulant qu’au terme du droit, les bâtiments érigés par le superficiaire reviendraient sans indemnité au tréfoncier, soit à la S.A. G.. Quelques années plus tard, la S.A H. a renoncé à ses droits de superficie et a comptabilisé un amortissement exceptionnel à concurrence de la valeur résiduelle des bâtiments qui, par accession, devenaient la propriété de la S.A. G. Cette dernière n’a pas porté la valeur de ceux-‐ci dans son bilan au 31 décembre de l’année concernée. Le receveur de l’administration de l’enregistrement a évalué la valeur des immeubles à la somme de 20.000.000 francs belges. Considérant cette somme comme un bénéfice d'exploitation dans le chef de la S.A. G., l'administration des contributions directes a établi une imposition sur cette somme de 20.000.000 francs belges, diminuée d'un amortissement de 3%. La Cour de cassation donne raison au fisc. Elle semble estimer que lorsque l’indemnité de superficie a tenu compte du transfert ultérieur des bâtiments à titre gratuit, il ne s’agit pas d’une transaction purement gratuite mais bien d’une opération commerciale, dont le bénéfice est imposable : « (…) suivant les juges d'appel, les indemnités de superficie ont été calculées de manière à inclure la cession gratuite ultérieure dans l'indemnité de superficie ; Attendu que les sociétés anonymes sont imposables sur le montant total de leurs revenus imposables, y compris les revenus distribués à titre de dividendes, tantièmes ou autres revenus similaires ; Attendu qu'en vertu de l'article 21 du Code des impôts sur les revenus 1964, les accroissements de la valeur des éléments d'actif affectés à l'exercice de l'activité professionnelle, y compris les accroissements résultant de la réalisation de plus-‐ values, servent d'assiette à l'impôt sur les revenus professionnels ; (…) Que lorsque, à l'expiration du contrat de superficie, l'immeuble construit par le preneur revient gratuitement au bailleur, la valeur de cet immeuble constitue non pas un accroissement de la valeur des éléments d'actif affectés à l'exercice de l'activité professionnelle mais un ajout aux éléments de l'actif ; Que, lorsqu'elle constitue une opération commerciale conclue par le bailleur dans l'exercice de son activité professionnelle et que les parties contractantes ont tenu compte de son caractère gratuit lors de la détermination du montant de l'indemnité annuelle, l'acquisition gratuite donne lieu à un bénéfice d'exploitation ; 170 Cass., 18 mai 2001, R.G. n° F.00.0009.N/7, disponible sur www.juridat.be. 73 Attendu que les règles comptables qui requièrent d'une part que les comptes annuels constituent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l'entreprise et disposent d'autre part que les éléments de l'actif sont en principe évalués à leur valeur d'acquisition ne font pas obstacle à ce que, dans un cas tel que celui qui a été soumis à l'appréciation des juges d'appel, la valeur de l'immeuble fasse partie du résultat de l'exploitation et fasse l'objet d'une imposition en tant que bénéfice (…) »171. 121.-‐ En novembre 2001, la Commission des Normes Comptables (ci-‐après, « CNC ») a publié un avis concernant la « détermination de la valeur d'acquisition d'actifs obtenus à titre onéreux ou à titre gratuit », posant notamment le principe suivant : « D'une part, en effet, les comptes annuels doivent donner une image appropriée des éléments du patrimoine de l'entreprise et de leur utilisation; d'autre part, le principe de prudence ne peut être invoqué pour reporter la reconnaissance des résultats, étant donné que l'acquisition à titre gratuit entraîne une augmentation immédiate de patrimoine dont l'entreprise acquiert le droit de disposition intégral. L'augmentation de patrimoine réalisée à titre gratuit est évaluée à la "juste valeur", celle-‐ci devant être comprise comme le montant pour lequel un élément d'actif peut être négocié ou un passif réglé entre des parties indépendantes, bien informées, qui concluent une transaction de leur plein gré. Le bénéficiaire doit, au moment de l'acquisition, reconnaître un résultat à concurrence de cette "juste valeur" »172. Cette thèse est critiquée et ouvertement contestée par une partie de la jurisprudence et de la doctrine. Cependant, les jugements et arrêts rejetant l’application de cet avis ne s’opposent pas pour autant à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2001. 122.-‐ Ainsi, le Tribunal de première instance de Louvain a rendu un jugement favorable à la société tréfoncière173. S. CROMBRUGGE résume les faits de la façon suivante : « Une SA C avait accordé à une SA française, contre paiement d'une somme indexée de 2.500.000 BEF, un droit de superficie de dix ans sur une parcelle de terrain qui était sa propriété. Le contrat stipulait qu'à la fin du contrat de superficie, le superficiaire n'obtiendrait aucune indemnité pour les constructions érigées. Alors que le contrat de superficie était en cours, la SA C apporta la parcelle de terrain en question à la SA ZI. Ce fut dès lors cette dernière qui, à l'expiration du droit, devint gratuitement propriétaire des bâtiments érigés par le superficiaire. La valeur de ces bâtiments devait valoir la peine, car la SA ZI pouvait les donner en location pour 552.300,00 171 Cass., 18 mai 2001, R.G. n° F.00.0009.N/7, disponible sur www.juridat.be. Avis CNC n° 126/17, novembre 2001, disponible sur www.bibf.be. 173 Civ. Louvain, 11 septembre 2009, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Acquisition gratuite de bâtiments à l’expiration d’un droit de superficie », in Le Fiscologue, n° 1184, 4 décembre 2009, p. 7. 172 74 EUR. En raison du caractère gratuit de l'acquisition, la SA ZI n'inscrivit pas les bâtiments dans sa comptabilité et ses comptes annuels. Le fisc imposa la valeur des bâtiments au titre de sous-‐évaluation d'actifs »174. L’administration fiscale s’appuyait bien évidemment sur l’avis 126/17 de la CNC et sur l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2001. L’application de cet arrêt au cas d’espèce est cependant rejetée par le Tribunal : selon ce dernier, l’arrêt de la Cour de cassation ne concernait pas une véritable acquisition à titre gratuit, dès lors que la Cour avait constaté que « les indemnités de superficie avaient été calculées de manière à inclure la cession gratuite ultérieure dans l'indemnité de superficie ». Or, en l’espèce, il s’agit selon le Tribunal d’une acquisition purement gratuite et non d’une acquisition résultant d’une opération commerciale. En effet, la S.A ZI n’était pas le tréfoncier initial mais l’était devenue suite à l’apport par la S.A C du terrain grevé du droit de superficie. Par conséquent, lors de la reconstitution de la pleine propriété dans le chef de la S.A. ZI à l’expiration du droit de superficie, cette dernière a acquis les bâtiments érigés par la S.A. superficiaire sans avoir fourni la moindre contrepartie. Le Tribunal écarte également l’avis 126/14 de la CNC et conclut que l’acquisition des bâtiments à titre gratuit par la S.A ZI ne donne pas lieu à un bénéfice imposable. 123.-‐ Ce jugement se situe dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour d’appel de Bruxelles175. Celle-‐ci a rendu deux arrêts dans lesquels il n’est plus question de droits de superficie mais qui méritent d’être soulignés, en raison de l’analyse qu’ils font de l’avis 126/17 de la CNC et de l’arrêt du 18 mai 2001 de la Cour de cassation : « Certes, l’avis n°126/17 de la Commission des Normes Comptables sur lequel s’appuie l’Etat voit, dans une opération similaire à celle de l’espèce, un cas exceptionnel obligeant la substitution de la valeur réelle au prix historique, mais comme l’ont souligné de nombreux auteurs, l’avis 126/17 de la Commission des Normes Comptables manque en droit dans la mesure où les dispositions de l’arrêté comptable du 8 octobre 1976 évaluent tous les actifs lors de leur entrée dans le patrimoine d’une entreprise en fonction des moyens qu’il a fallu céder en contrepartie pour les obtenir. L’avis précité de la Commission n’est donc une référence que pour un droit comptable futur, mais pas pour le droit comptable positif (voir notamment L. Pinte, " Jurisprudence récente de la Commission des Normes Comptables : apport en nature et actif acquis à titre gratuit ou partiellement gratuit ", in " Le droit fiscal des entreprises en 2003 -‐ Législation et jurisprudence ", p. 141 et suivantes). (…) En vain, l’Administration se réfère à l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2001 (TFR, 2001, 969). Cet arrêt ne se prononce pas sur la problématique d’une acquisition d’un actif à titre gratuit ou partiellement gratuit. En effet, les faits 174 S. VAN CROMBRUGGE, « Acquisition gratuite de bâtiments à l’expiration d’un droit de superficie », in Le Fiscologue, n° 1184, 4 décembre 2009, p. 7. 175 Bruxelles, 29 octobre 2008, R.G. n° 2006/AR/1627, disponible sur www.fiscalnetfr.be ; Bruxelles, 31 mars 2010, R.G. n° 2008/AR/2060, disponible sur www.fiscalnetfr.be. 75 soumis à la Cour concernaient une opération immobilière mise sur pied par un professionnel de l’immobilier dans laquelle les parties avaient, dès le départ, tenu compte de l’acquisition de l’immeuble sans indemnisation pour déterminer le montant des canons payés par le superficiaire au propriétaire du terrain. La Cour de cassation s’est donc prononcée dans l’arrêt de 2001 précité sur une transaction à titre onéreux dans laquelle une partie du prix fut payée en nature sous forme du transfert de propriété de l’immeuble sans indemnité, à la fin du contrat »176. 124.-‐ Cette appréciation de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2001 nous semble correcte. Ce n’est cependant pas l’avis de la Cour d’appel de Gand177 qui donne raison à l’administration fiscale dans un cas similaire à celui traité par le Tribunal de première instance de Louvain. Alors que la Cour d’appel de Bruxelles déduisait de l’absence de contrepartie à l’acquisition des bâtiments la non application de l’arrêt de la Cour de cassation, la Cour d’appel de Gand suit le raisonnement inverse. Elle constate que l’acquisition des bâtiments à l’expiration du droit de superficie est une opération purement gratuite, car l’indemnité de superficie ne tenait pas compte de l’acquisition ultérieure des bâtiments, sans indemnité, par la société tréfoncière. Par conséquent, selon la Cour, l’acquisition de l’élément d’actif a entraîné un accroissement du patrimoine social du contribuable, ce qui constitue une plus-‐value imposable. Les Cours d’appel de Bruxelles et de Gand tirent donc toutes deux des conséquences différentes de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mai 2001. Ne s’applique-‐t-‐il que lorsque l’acquisition de bâtiments à l’expiration du droit réel résulte d’une opération commerciale178, comme l’estime la Cour d’appel de Bruxelles, ou s’étend-‐il aux opérations purement gratuites, comme semble le considérer la Cour d’appel de Gand ? La Cour de cassation n’a donc pas vidé le litige. A quand un nouvel arrêt ? * Christophe LENOIR Septembre 2011 176 Bruxelles, 31 mars 2010, R.G. n° 2008/AR/2060, disponible sur www.fiscalnetfr.be. Gand, 12 octobre 2010, commenté par S. VAN CROMBRUGGE, « Acquisition gratuite de bâtiments à l’expiration d’un droit de superficie », in Le Fiscologue, n° 1229, 3 décembre 2010, p. 2. 178 Par exemple lorsque l’indemnité de superficie versée par le superficiaire « englobe » l’acquisition ultérieure des bâtiments par le tréfoncier, sans que ce dernier ait à verser une indemnité. 177 76 PLAN INTRODUCTION .......................................................................................................... page 3 PARTIE I – BREF RAPPEL DES RÈGLES DU DROIT CIVIL ................................................. page 5 Chapitre I – Caractéristiques communes .................................................................... page 5 Chapitre II – L’usufruit ................................................................................................ page 7 Section 1. Définition et caractéristiques ........................................................................... page 7 Section 2. Obligations principales de l’usufruitier ............................................................ page 8 Section 3. Obligations principales du nu-‐propriétaire ...................................................... page 9 Section 4. Extinction ....................................................................................................... page 10 Chapitre III – La superficie ........................................................................................ page 11 Section 1. Définition et caractéristiques ......................................................................... page 11 Section 2. Durée .............................................................................................................. page 12 Section 3. Droits et obligations du superficiaire ............................................................. page 12 Section 4. Extinction ....................................................................................................... page 13 Chapitre IV – L’emphytéose ..................................................................................... page 15 Section 1. Définition et caractéristiques ......................................................................... page 15 Section 2. Durée .............................................................................................................. page 16 Section 3. Droits et obligations de l’emphytéote ........................................................... page 16 Section 4. Extinction ....................................................................................................... page 18 Chapitre V – Le choix du droit réel ............................................................................ page 19 PARTIE II – NAISSANCE, VIE ET MORT D’UN DROIT RÉEL – CLIGNOTANTS FISCAUX ... page 20 Chapitre I – Naissance du droit réel .......................................................................... page 21 Section 1. Régime fiscal applicable lors de la constitution du droit réel ........................ page 21 Section 2. Valorisation du droit réel ............................................................................... page 26 Section 3. Sociétés titulaires de droits réels : deux écueils à éviter ............................... page 34 Section 4. Les avis du Service des décisions anticipées .................................................. page 35 Chapitre II – Vie du droit réel ................................................................................... page 40 Section 1. Régime fiscal applicable durant la durée de vie du droit réel ........................ page 40 Section 2. Déduction des amortissements et autres frais liés au droit réel ................... page 44 77 Chapitre III – Mort du droit réel ............................................................................... page 58 Section 1. Régime fiscal applicable à l’extinction du droit réel ....................................... page 58 Section 2. Taxation d’un avantage de toute nature ou d’un avantage anormal ou bénévole lors de la reconstitution de la pleine propriété .............................................................. page 58 Section 3. Résiliation anticipée du droit réel .................................................................. page 66 Section 4. Acquisition gratuite par une société d’un bâtiment construit par une autre société, en vertu d’un droit réel : bénéfice imposable ? .............................................................. page 72 * 78