HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE Les
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HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE Les
ENDOCRINOLOGIE HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE Les adolescents ont-ils été dépistés en 2015 ? La prise de conscience médicale de l’origine précoce, dès les premières années de vie, de la maladie athéromateuse est récente. Les études longitudinales ont montré l’impact cumulé des facteurs de risque cardiovasculaire et l’efficacité Dr Hervé Lefèvre Maison des adolescents de Cochin, Paris de la prévention et de la prise en charge thérapeutique de la maladie coronarienne. S’il s’avère que la prescription de traitement hypolipémiant semble excessive chez l’adulte, il est une indication où elle a toute sa place, à condition d’être dépistée, comme dans l’hypercholestérolémie familiale. L e dépistage dès l’enfance des sujets à risque de maladie cardiovasculaire en cas d’antécédents familiaux de dyslipidémie ou de maladie cardiovasculaire précoce (âge < 55 ans chez les hommes et < 65 ans chez les femmes) permet de prévenir ce risque évolutif (1). Cette attitude thérapeutique réduit la progression de l’athérosclérose et retarde l’apparition des complications cardiovasculaires. Les dyslipidémies sont des désordres du métabolisme des lipoprotéines associés à une élévation anormale du cholestérol total, du LDL-cholestérol, des triglycérides et/ou un abaissement du HDLcholestérol lors d’un bilan lipidique à jeun. La cause d’une dyslipidémie est souvent idiopathique (polygénique ou multifactorielle), avec une prévalence en augmentation avec l’âge et l’obésité, parfois secondaire à une maladie chronique (diabète, syndrome néphrotique, dysfonction thyroïdienne, syndrome des ovaires polykystiques, lupus, infection à VIH…), plus rarement génétique. Si l’hypercholestérolémie concerne 5 % de la population générale, son origine est le plus souvent multifactorielle. Les hypercholestérolémies génétiques sont beaucoup plus rares mais associées à un risque cardiovasculaire certain. Elles sont classées en hypercholestérolémie essentielle et hyperlipidémie mixte. Nous nous intéresserons ici à l’hypercholestérolémie d’origine génétique chez l’adolescent. HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE DOMINANTE L’hypercholestérolémie familiale (HF) est une maladie génétique dominante. La forme hétérozygote, la plus fréquente (prévalence de 1/200 à 1/250, soit 2 fois plus élevée qu’imaginé il y a quelques années), se caractérise par une atteinte coronarienne dès 40 ans. La forme homozygote, rare et très sévère, réduit l’espérance de vie à moins de 30 ans et est traitée par LDL aphérèse. L’HF dominante est due à un désordre monogénique du métabolisme des lipides responsable d’une élévation du cholestérol-LDL. Les mutations ont d’abord été décrites sur le gène du récepteur au LDL (bras court du chromosome 9), et sont très majoritaires en fréquence et en nombre (plus de 1 300 mutations) (2). Il existe une grande variabilité interindividuelle et intrafamiliale du phénotype et de la présentation clinique, attribuable à la sévérité de la mutation et aux autres facteurs de risque cardiovasculaire associés. L’hétérogénéité génétique de l’HF dominante a été établie par la découverte d’autres gènes mutés (mutation Arg3500Gln du gène de l’ApoB, PCSK9). L’HF dominante est donc une dyslipidémie athérogène à diagnostiquer devant une hypercholestérolémie > 3 g/l due à l’élévation isolée des LDL-c. Elle est suspectée à partir d’une concentration d’un LDL-c > 1,6 g/l et très probable si LDL-c > 1,9 g/l. L’hyper-LDL-cholestérolémie est alors à recontrôler à distance, 3 à 4 semaines plus tard avant de débuter toute prise en charge. Ce dosage s’accompagne de celui du cholestérol total, du HDLcholestérol et des triglycérides. L’origine génétique de cette hypercholestérolémie se fait par élimination des autres causes d’hypercholestérolémie et par l’enquête familiale clinique et biologique chez les parents du premier degré. Cette démarche s’accompagne de la recherche d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, obésité, HTA, tabagisme, traitement... PRESCRIPTION THÉRAPEUTIQUE L’amélioration de l’hygiène de vie est indispensable et un prérequis à tout traitement médicamenteux hypocholestérolémiant. Elle passe par un régime diététique adapté, malgré un impact relatif sur le lipidogramme. Il associe une alimentation pauvre en graisse saturée, en cholestérol ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 1011 ENDOCRINOLOGIE et limitée en acides gras insaturés trans et en sucre. La consommation de margarines riches en stérols peut diminuer la concentration du LDLcholestérol de 5 à 10 %. Ces modifications sont sans conséquence sur le déroulement de la croissance et de la puberté. La pratique régulière d’exercice physique permet d’augmenter les valeurs du HDL-cholestérol protecteur et de diminuer le risque cardiovasculaire global. Il est conseillé de réaliser cette activité régulièrement (3 fois par semaine) à une intensité et une durée suffisante (30 min par séance), tout comme de limiter le temps passé devant un écran (3). Ces mesures s’accompagnent de l’arrêt du tabac et des prescriptions thérapeutiques agissant sur le métabolisme des lipides (pilule contraceptive, stéroïdes, rétinoïdes). bbLes statines Après des années de prescription de première intention, surtout chez l’enfant, de la cholestyramine, sa tolérance médiocre associée à des problèmes de compliance fait préférer aujourd’hui la prescription de statines en cas d’HF caractérisée chez l’adolescent. Le traitement par statines n’est débuté qu’après modifications des règles hygiéno-diététiques pour agir sur l’ensemble des facteurs de risque pendant quelques mois (2 à 6). Les molécules autorisées en Europe et aux USA chez l’enfant sont la simvastatine, lovastatine, atorvastatine, pravastatine, fluvastatine, et la rosuvastatine (4). À l’adolescence, la question de l’âge de prescription ne se pose pas compte tenu de sa limite établie à 10 ans, voire 8 ans dans certains pays (5). Cette prescription précoce permet d’agir sur les paramètres vasculaires (épaisseur de la paroi carotidienne) et de restaurer une fonction endothéliale normale, en cas de dépistage précoce d’enfants à risque (4, 6). Cependant, il n’y a pas d’urgence à prescrire et il est plus utile d’évaluer au préalable le risque en fonction de la sévérité de l’histoire familiale (Fig. 1), des valeurs 12 Tableau 1 - Valeurs lipidiques normales chez l’enfant de plus de 10 ans et l’adulte. Enfants de + de 10 ans Adulte g/l mmol/l g/l mmol/l Cholestérol total < 1,7 < 4,4 < 2,0 < 5,2 LDL-cholestérol < 1,1 < 2,9 < 1,6 < 4,1 HDL-cholestérol > 0,4 > 1,03 > 0,4 > 1,03 Triglycérides < 0,9 < 1,02 < 1,5 < 1,7 Tableau 2 - Objectifs thérapeutiques : valeurs attendues du LDLcholestérol. g/l mmol/l En présence d’un facteur de risque < 1,9 <5 En présence de 2 facteurs de risque < 1,6 <4 En présence de plus de 2 facteurs de risque < 1,3 < 3,5 En cas d’antécédents cardiovasculaires < 1,0 < 2,6 lipidiques et de l’existence d’une dysfonction vasculaire, puis de prescrire dans un cadre structuré au long cours pour en favoriser la compliance (7, 8). Les statines agissent en diminuant modérément la synthèse de cholestérol intracellulaire par action inhibitrice compétitive et réversible de la HMG-CoA-réductase responsable d’une augmentation du nombre de récepteurs LDL à la surface des cellules, ainsi qu’un catabolisme via ces récepteurs et une clairance du LDLcholestérol circulant renforcée. Les études cliniques conduites chez des enfants et adolescents atteints d’une HF traités par inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase ont observé la bonne tolérance sur la croissance et le déroulement de la puberté sur des cohortes randomisées d’enfants et d’adolescents. bbContre-indications Parmi les contre-indications, on retiendra : une maladie hépatique évolutive, une myopathie, et chez l’adolescente, l’absence de contraception efficace compte tenu du risque tératogène. Parmi les effets secondaires les plus fréquents, on observe la toxicité musculaire et hépatique. Une précaution est nécessaire en cas d’utilisation de médicaments inhibiteurs de l’activité des cytochromes P450 et des transporteurs membranaires (macrolide, antifongiques azolés, ciclosporine, acide valproïque, antirétroviraux, éthynilestradiol, fluoxétine…). D’autres mécanismes d’interactions médicamenteuses existent selon la molécule considérée. bbPosologie et surveillance Les statines seront débutées si le LDLcholestérol est > 1,9 g/l (5 mmol/l) ou > 1,6 g/l (4 mmol/l), en cas d’antécédents familiaux ou la présence de 2 facteurs de risque cardiovasculaire. La posologie initiale est la posologie minimale conseillée et adaptée au bout de 4 à 6 semaines selon l’efficacité et la tolérance clinique et biologique. L’objectif thérapeutique est d’atteindre une concentration de LDL-cholestérol au moins < 1,6 g/l (4,1 mmol/l) et visant idéalement < 1,3 g/l (3,35 mmol/l), moins par augmentation des doses à risque de mauvaise tolérance que par l’adjonction de l’ézétimibe, inhibiteur sélectif de l’absorption du cholestérol au niveau intestinal (9, 10). La surveillance régulière du bilan lipidique, des transaminases et des CPK est nécessaire. Elle est réalisée avant traitement puis à 6 semaines ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 10 Hypercholestérolémie familiale puis régulièrement selon l’efficacité et la tolérance (tous les 3 à 6 mois). Les statines seront interrompues en cas d’élévation des valeurs de CPK de 5 à 10 fois la normale selon la statine utilisée et/ou d’élévation des valeurs des transaminases à 3 fois la norme supérieure. La consultation permet aussi de veiller à la poursuite des bonnes règles hygiéno-diététiques et de prévenir l’apparition de nouveaux facteurs de risque cardiovasculaire (obésité, tabac). DÉPISTAGE La découverte d’une dyslipidémie familiale chez un adolescent ou tout autre patient doit conduire au dépistage des apparentés du premier degré. Cette démarche est très efficace, mais souvent oubliée (11). Elle se justifie Évaluation vasculaire lle est réalisable à partir de 6 ans (collaboration du patient) par la technique de E flowmediated, dilatation pour évaluer la fonction endothéliale, signe des anomalies initiales qui précède l’augmentation de l’épaisseur de la paroi intima media de l’artère carotide commune (10 % des enfants atteints d’HF). par la relative fréquence de la maladie, sa gravité par des complications sévères et précoces, bénéficiant d’une méthode de dépistage simple et d’un traitement efficace. Les modalités de dépistage en France ont évolué : du dépistage ciblé en cas d’histoire familiale (cardiovasculaire, d’hypercholestérolémie connue > 2,4 g/l, ou de traitement hypolipémiant) considéré comme l’approche la plus consensuelle mais d’efficacité médiocre, au dépistage systématique depuis 2010 après l’âge de 2 ans et avant 10 ans. Il s’effectue sur 2 prélèvements à jeun, à 1 mois d’intervalle, et s’accompagne du contrôle lipidique de la famille chez les premiers degrés en cas d’anomalie. Le risque familial est évalué. Un arbre généalogique précise les antécédents d’hypercholestérolémie, de traitement hypolipémiant, et d’infarctus (âge de survenue). ✖✖L’auteur a déclaré ne pas avoir de liens d’intérêts avec la rédaction de cet article. MOTS-CLÉS Hypercholestérolémie familiale, Statines, Dyslipidémie familiale RÉFÉRENCES 1. Wiegman A, Gidding S, Watts GF et al. Familial hypercholesterolaemia in 7. Charakida M, Masi S, Lüscher TF et al. Assessment of atherosclerosis : children and adolescents: gaining decades of life by optimizing detection The role of flow-mediated dilatation. Eur Heart J 2010 ; 31 : 2854-61. and treatment. Eur Heart J 2015 ; 36 : 2425-37. 8. Narverud I, Retterstol K, Iversen PO et al. Markers of atherosclerotic 2. Usifo E, Leigh SE, Whittall RA et al. Low density lipoprotein receptor development in children with familial hypercholesterolemia: a literature gene familial hypercholesterolemia variant database: update and review. Atherosclerosis 2014 ; 235 : 299-309. pathological assessment. Ann Hum Genet 2012 ; 19 : 362-8. 9. Reiner Z, Catapano AL, De Backer G et al. ESC/EAS Guidelines for 3. Expert panel on integrated guidelines for cardiovascular health and risk the management of dylipidaemias. The Task Force of the management reduction in children and adolescents : Summary report. Pediatrics 2011 ; of dyslipidemias of the European Society of Cardiology (ESC) and the 128 ; S213-56. European Atherosclerosis Society (EAS). Eur Heart J 2011 ; 32 : 1769-818. 4. Watts GF, Gidding S Wierzbiki AS et al. Integrated guidance on the care 10. Van der Graaf A, Cuffie-Jackson C, Vissers MN et al. Efficacy and of familial hypercholesterolaemia from the international FH Foundation. safety of coadministration of ezetimibe and simvastatin in adolescents Int J Cardiol 2014 ; 171 : 309-25. with heterozygous familial hypercholesterolemia. J Am Coll Cardio 2008 ; 5. McCrindle BW, Urbina EM, Dennison BA et al. Drug therapy of high-risk lipid 52 : 1421-9. abnormalities in children and adolescents. Circulation 2007 ; 115 : 1948-67. 11. Nordestgaard BG, Chapman MJ, Humphries SE et al. Familial 6. Masoura C, Pitsavos C, Aznaouridis K et al. Arterial endothelial function hypercholesterolaemia is underdiagnosed and undertreated in the and wall thickness in familial hypercholesterolemia and familial combined general population: guidance for clinicians to prevent coronary heart hyperlipidemia and the effect of the statins. A systematic review and disease : Consensus Statement of the European Atherosclerosis Society. meta-analysis. Atherosclerosis 2011 ; 214 : 129-38. Eur Heart J 2013 ; 34 : 3478-90a. ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 1013