Joseph Blatter, les raisons d`une démission surprise
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Joseph Blatter, les raisons d`une démission surprise
UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES SUPPLÉMENT Jeudi 4 juin 2015 71e année No 21890 2,20 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry GRÈCE ALEXIS TSIPRAS ET SYRIZA AU PIED DU MUR Joseph Blatter, les raisons d’une démission surprise → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 SOMMET DU G7 ANGELA MERKEL AU « MONDE » : « L’ESPOIR D’UN ACCORD SUR LE CLIMAT » → LIR E ▶ Le président de la FIFA a démissionné, PAGE 1 6 NSA : UN PREMIER PAS POUR LES LIBERTÉS PUBLIQUES mardi, quatre jours après sa réélection ▶ Selon les médias américains, M. Blatter serait désormais directement visé par le FBI dans l’enquête sur la corruption → LIR E P A GE S 2 E T 3 → LI R E P A G E 24 SYRIE LA RUSSIE S’ÉLOIGNE DU RÉGIME DE BACHAR AL-ASSAD A Zurich, en mai 2008. JEAN REVILLARD/REZO POUR « LE MONDE » Collège : les pistes de refonte des programmes d’histoire → ▶ La concertation sur ▶ Le CSP envisage ▶ L’instance indépen ▶ Les projets de nouveaux les programmes d’histoire se poursuit avec une série de forums organisés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) de supprimer le distinguo en histoire entre les enseignements obligatoires et ceux pré sentés comme facultatifs dante envisage de faire étudier l’islam dès la 6e, en même temps que le christianisme et le judaïsme programmes sont aussi vi vement critiqués en fran çais et en sciences, notam ment en mathématiques LE LABORATOIRE FUTURISTE DE FACEBOOK À PARIS L’ISLAM, VARIABLE ÉLECTORALE DE NICOLAS SARKOZY par cécile chambraud et matthieu goar C’ est l’histoire d’une grande ambition qui s’est peu à peu dégonflée. Annoncée le 7 fé vrier par Nicolas Sarkozy devant le conseil national de l’UMP, la « journée de travail sur l’islam » aura certes lieu jeudi 4 juin au siège des Républicains. Mais elle se tiendra à huis clos, en « petit comité, avec les élus du mouvement intéressés », selon une source du parti. Autant dire en toute discrétion… Le président du parti a d’abord rencontré une vive opposition interne. Sa viceprésidente délé guée, Nathalie KosciuskoMorizet, avait dénoncé, le 10 mai, « une mauvaise idée, parce que cette question, ce n’est pas le seul sujet ». Aucun des prin cipaux rivaux de M. Sarkozy, comme Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire, ne devrait d’ailleurs être présent jeudi. Les participants ne pourront pas non plus comp ter sur la présence de nombreuses personnalités musulmanes. Mardi soir, une source évoquait seu lement « quelques membres des fédérations », sans citer de noms. LE REGARD DE PLANTU → LIR E L A S U IT E PAGE 8 A Hawaï, le poison des multinationales de l’agrochimie ENQUÊTE Située au milieu du Pacifique et bénéficiant d’un climat qui lui permet trois récoltes dans l’année, Hawaï est un paradis pour les multinationales de l’agrochimie, qui y testent des semences OGM résistantes aux pesticides. Une culture intensive qui génère une pollution à grande échelle et d’importants problè mes de santé publique. Les habi tants de l’archipel, malades, se révoltent contre le sort infligé à leur terre ancestrale, désormais surnommée « Poison Valley ». → TECHNOLOGIE LIR E PAGE 1 1 → 8NOMINATIONS Aux OScArS LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 7 PrIxdelAMeIlleure AdAPTATION “ Benedict cumBerBatch, royal, campe un turing intense. ” L’OBS hhhhh hhhhh femme actueLLe téLé 7 jOurS © 2014 BBP IMITATION, LLC. Distributed by STUDIOCANAL LIMITED. Tous droits réservés. Conception graphique © 2015 Studiocanal. FRANCE → LIR E PAGE 4 hhhh hhhh Le jdd Le pariSien hhhh hhhh StudiO ciné Live OueSt france Benedict Keira c u m B e r B atc h Knightley imitation game EN DVD, BLU-RAY & VOD PLUS DE 30 MIN DE BONUS ExcLUSIfS LIR E PAGE 1 5 Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 2 | international 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 L A C O R R U P T I O N À L A F I FA Joseph Blatter, après l’annonce de sa démission de la présidence de la FIFA, mardi 2 juin, à Zurich. VALERIANO DI DOMENICO/AFP FIFA : la chute de Joseph Blatter Acculé par les accusations de corruption, le Suisse a démissionné de la présidence de la fédération L es journalistes assis dans l’auditorium du « Home of FIFA », imposant bâtiment de béton et de verre perché sur les collines de Zurich, ont vite compris qu’ils allaient vivre un moment historique. Mardi 2 juin, à 18 h 45, le président de la Fédération internationale de football, Joseph Blatter, est entré, le visage fermé, dans cette grande salle réservée aux conférences de presse. Debout face à son pupitre, celui qui tient d’une main de fer les commandes de l’institution depuis 1998 a annoncé son abdication prochaine. Le 29 mai, soit quatre jours auparavant, cet animal politique doté d’une habilité qui confine au funambulisme avait pourtant été triomphalement réélu pour un cinquième mandat de quatre ans lors du 65e congrès de l’institution. Entré à la FIFA en 1975, comme directeur des programmes de développement, secrétaire général puis successeur du Brésilien Joao Havelange (19741998), le dirigeant âgé de 79 ans a indiqué qu’il démissionnerait après un « congrès électif extraordinaire », programmé entre décembre 2015 et mars 2016. « Ce mandat n’a pas le soutien de l’intégralité du monde du football », a-t-il gravement observé, rappelant ses « quarante années passées à la FIFA. » Le Suisse a précisé qu’il ne serait pas candidat lors du prochain scrutin et se concentrerait d’ici là « sur la mise en œuvre de réformes ambitieuses et profondes », évoquant la nécessité d’une « restructuration » du gouvernement du foot mondial. Après avoir lu sa déclaration d’une voix posée, il a rapidement quitté l’auditorium sans répondre aux questions des médias. Sans un mot sur le scandale de corruption qui secoue la FIFA depuis une semaine et qui aura finalement eu raison de lui. « Campagne de haine » Avant l’arrestation mercredi 27 mai, à Zurich, sur ordre de la justice américaine, de sept de ses dirigeants, dont son vice-président Jeffrey Webb, puissant patron de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes (Concacaf), « Sepp » Blatter paraissait pourtant fermement assis sur son trône. Comme indéboulonnable. S’il ciblait neuf sommités de la Fédération internationale pour 150 millions de dollars de dessous-de-table versés depuis 1991 dans le cadre de la commercialisation des droits médias et marketing de plusieurs compétitions, l’acte d’accusation déposé le 27 mai par le tribunal fédéral de Domenico Scala, le réformateur Après l’annonce de la démission du Suisse Joseph Blatter, son compatriote Domenico Scala, 50 ans, a été chargé de mettre en œuvre un programme de réformes institutionnelles tout en supervisant cette phase de transition. Patron de la commission d’audit et de conformité de la Fédération internationale, ce natif de Bâle a pris la parole lorsque son président a quitté l’auditorium du « Home of FIFA ». Il a annoncé la mise en place prochaine d’une limite des mandats pour le président et ses 24 collègues du comité exécutif, jusqu’alors désignés par les six confédérations continentales. Inconnu du grand public, il avait supervisé le processus de candidatures pour le scrutin présidentiel de 2015. En marge de la FIFA, il occupe le poste de directeur non exécutif de Basilea Pharmaceutica Ltd., une entreprise suisse de biotechnologie. « Ce mandat n’a pas le soutien de l’intégralité du monde du football » JOSEPH BLATTER président démissionnaire de la FIFA Brooklyn ne visait pas personnellement le roué valaisan. L’enquête du parquet suisse sur le vote d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar, et l’audition programmée de dix des vingt-deux membres du comité exécutif qui avaient participé, le 2 décembre 2010, à ce scrutin ne découlaient-elles pas d’une plainte déposée par la FIFA, en novembre 2014 ? Avant le congrès, Blatter avait ignoré les appels à la démission formulés par son ancien ami Michel Platini, le patron de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Promettant de « ramener le bateau de la FIFA à bon port », le septuagénaire avait rassemblé sur son nom 133 suffrages au premier tour, contre 73 pour son adversaire, le prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, soutenu par une quarantaine de pays de l’UEFA. Comme à chaque fois, « Sepp » a gagné dans les urnes. « Vous m’avez gardé à la FIFA », avait-t-il clamé victorieusement dans la grande salle de l’Hallenstadion, récoltant les fruits d’un système redistributif (plus de 1 milliard de dollars investi dans l’aide au développement entre 2011 et 2014) qui profite d’abord à ses électeurs africains, caribéens et asiatiques. Au lendemain de son triomphe, il avait réglé ses comptes avec la séditieuse UEFA, dont certains membres comme l’Angleterre ap- pelaient à boycotter le prochain Mondial. « Je pardonne, mais je n’oublie pas », avait-t-il tonné dans un entretien à la Radio-Télévision suisse, fustigeant « la campagne de haine » menée par Platini. « Pourquoi démissionnerais-je ? Cela signifierait que je reconnais être fautif ». Seul face à la tornade judiciaire, il a fait porter la responsabilité de cette litanie de scandales aux responsables désignés par les confédérations. « LA FIFA ne peut pas tout contrôler », s’était-il justifié le 30 mai lors d’une conférence de presse glaçante. Seul un élément relevé par les enquêteurs de Brooklyn pouvait inquiéter l’inamovible patron du foot mondial : le versement en 2008 de 10 millions de dollars, effectué par un « responsable de haut rang de la FIFA », à Jack Warner, l’ex-patron controversé de la Concacaf, démissionnaire de la FIFA en 2011 et qui fait partie des neuf dignitaires inculpés par la justice américaine. « Je n’ai pas 10 millions de dollars, avait lancé sèchement Blatter aux médias. Ce n’est définitivement pas moi. » Le 1er juin, c’est pourtant son numéro 2, Jérôme Valcke, le secrétaire général français de la FIFA, qui est désigné par le New York Times comme le hiérarque ayant supervisé cette transaction, initiée par le comité sud-africain d’organisation du Mondial 2010 « C’est un bon jour pour le football mais cette démission juste après le congrès est une surprise » KAREN ESPELUND membre du comité exécutif de l’UEFA (Le Monde daté mercredi 3 juin). « L’argent n’était pas un pot-de-vin mais un paiement légitime dans le cadre du développement des Caraïbes », s’est défendu Danny Jordaan, le patron de la Fédération sud-africaine. Selon la FIFA, celui qui avait donné son accord à ce versement était le président de sa commission des finances, l’Argentin Julio Grondona… mort en juillet 2014. « Réaction de panique » L’étau s’est resserré sur Joseph Blatter. Quelques heures après l’annonce de sa démission, les médias américains évoquaient sans plus de détails une enquête du FBI visant « personnellement » le septuagénaire. « Cette démission, c’est une réaction de panique », témoigne un ex-compagnon de route de Blatter. « Le dossier sud-africain était trop lourd. Blatter n’a pas pu le contrôler ou dire qu’il était extérieur à la FIFA. Il a su comment avaient été utilisés ces fonds par Trinidad-et-Tobago [le pays de Jack Warner]. Tous les dossiers et informations ont dû être donnés aux enquêteurs », explique un ancien cadre de la FIFA. A l’instar des sponsors de la FIFA (Coca-Cola, McDonald’s), les dirigeants de l’UEFA ont salué la démission du patriarche, tout en s’interrogeant. « Que s’est-il passé ces quatre derniers jours pour que M. Blatter change de décision ? », se demande le patron de la Fédération polonaise Zbigniew Boniek, proche de Michel Platini. « C’est un bon jour pour le football mais cette démission juste après le congrès est une surprise », glisse, songeuse, la Norvégienne Karen Espelund, membre du comité exécutif de l’UEFA. « Il y a eu quelque chose ces trente-six dernières heures qui a contraint Blatter à démissionner. Il se doutait de ce qui allait se passer. Les futures révélations nous permettront d’assembler les pièces du puzzle. Il était VERBATIM “ Si l’Europe doit présenter un candidat, ça ne peut être que Michel Platini (…). Je ne vois pas au niveau mondial un homme d’une envergure comparable pour un poste aussi élevé. S’il veut y aller, c’est le moment. » Noël Le Graët, président de la Fédération française de football. Il s’était pourtant affranchi des consignes de M. Platini et avait voté pour Joseph Blatter lors du 65e congrès de la FIFA. pourtant provocateur il y a quarante-huit heures, tirant à boulets rouges sur l’UEFA. Et maintenant, il est comme un agneau prêt à s’égorger », ricane un autre dirigeant d’une fédération européenne. En pleine implosion du « système Blatter », le prince Ali s’est officiellement lancé dans la course à la succession de l’Helvète. Le Jordanien pourrait bientôt être imité par l’ancienne star brésilienne Zico et par l’ex-joueur français David Ginola, qui n’avait pas réussi à faire valider sa candidature en janvier, faute des parrainages de cinq fédérations nécessaires. Qu’en est-il de Michel Platini, qui avait renoncé, en août 2014, à affronter son ancien mentor dans les urnes ? « Je ne pense pas que l’UEFA prendra le pouvoir », glisse un ancien membre du comité exécutif de la FIFA, rappelant que cinq confédérations sur six étaient jusqu’à présent restées fidèles à Blatter. « Platini n’a aucun intérêt à postuler aujourd’hui, estime le patron d’une fédération du Vieux Continent. A l’avenir, les choses pourraient changer. » p rémi dupré international | 3 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 La justice américaine, terreur du monde du sport Après le cycliste Lance Armstrong, les enquêteurs américains ont fait tomber le président de la FIFA C’ est toujours un peu la même histoire. La plume puis l’enclume. Preuve en est le coup de filet, comme au cinéma, de la police suisse mandatée par la justice américaine qui a arrêté, mercredi 27 mai à Zurich, sept hauts dignitaires de la Fédération internationale de football (FIFA) pour corruption présumée. La presse fait les trois-huit, donne des coups de pied dans la fourmilière, sécrète quelques éclaboussures de fiel, essuie les plâtres, publie des révélations, parfois accablantes… qui n’ont souvent d’autre rôle que de préparer le terrain pour les vrais « pros », ceux qui prononcent les avis de démolition, les super justiciers américains. Frustrant pour les journalistes ? Non, répond l’Irlandais David Walsh, journaliste au Sunday Times. Cet auteur de nombreuses enquêtes sur le système Lance Armstrong dans le cyclisme – dont le livre L.A. Confidential, coécrit avec le journaliste français Pierre Ballester (La Martinière, 2004) – mesure la différence de combativité judiciaire de part et d’autre de l’Atlantique, tout en soulignant l’apport des médias à la justice américaine : « Si la presse n’avait pas sorti ces affaires, le parquet de New York aurait eu sans doute moins de données pour lancer ses enquêtes, et l’opinion publique aurait été moins sensibilisée. Le Britannique Andrew Jennings, de même que certains journalistes allemands, a publié de bonnes enquêtes sur la FIFA. Les autorités américaines se servent de ce travail, elles prennent la suite des bons journalistes. » De fait, depuis le début du XXIe siècle, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’ont été portés quelques-uns des coups les plus rudes jamais encaissés par des sportifs. En 2003, l’opiniâtreté de Jeff Novitzky, agent de la Food and Drug Administration (FDA), qui réglemente les produits alimentaires et pharmaceutiques aux EtatsUnis, a fortement contribué à la déchéance, pour dopage, de la triple championne olympique Marion Jones, et de toute une série d’athlètes américains dans l’affaire dite Balco. En 2013, ce sont les enquêtes du chef de l’agence américaine antidopage (Usada), Travis Tygart, qui ont poussé Lance Armstrong, septuple vainqueur du Tour de France, à passer aux aveux et à reconnaître que ses habitudes médicamenteuses n’étaient pas étrangères à sa domination sur le cyclisme mondial des années 2000. Et ce 27 mai, donc, c’est sur décision du parquet de New York que la police suisse a pu s’attaquer à la plus opulente des institutions sportives internationales, la FIFA, et pousser son indéboulonnable patron, Joseph Blatter, à la démission, quatre jours après sa réélection. « Aucun état d’âme » Alors, comment se fait-il que les Américains parviennent à fourrer leur nez dans des affaires qui ne les concernent parfois que de loin alors que la vénérable justice de la I Image de « candidat de l’Ouest » Lors du 65e congrès, le prince Ali a bénéficié du soutien de Michel Platini, le patron de la puissante UEFA, la confédération européenne, et de celui des Etats-Unis. Mais s’il veut faire de sa jeunesse un atout, celui qui est vice-président de la FIFA seulement depuis 2011 doit faire face à un manque d’expérience au sein des instances du football international. Face à M. Blatter, il n’a même pas eu un soutien total de sa propre confédération, l’Asie. Les derniers événements ont renforcé sa position de principal opposant au « système Blatter ». Fils du roi Hussein et demi-frère du roi Abdallah II, Ali préside depuis 1999 la Fédération jordanienne de football avocat Vieille Europe ne bouge pas le petit doigt ? « La justice des EtatsUnis n’a aucun état d’âme, assène Thibault de Montbrial, qui en tant qu’avocat d’une compagnie d’assurances américaine a combattu Lance Armstrong pendant des années. Je n’écartais pas la possibilité d’une telle intervention depuis que le rapport Garcia [consacré aux dérives supposées de la Fédération internationale de football] avait été enterré par la FIFA. Des suites pénales étaient à attendre. Ils ont voulu créer une onde de choc, un état de sidération. L’unité de lieu et de temps de ce coup de filet, en marge du congrès de la FIFA, était voulue. Si ce n’est pas coor- A la pointe du front anti-Blatter, les dirigeants du football anglais ont salué la démission du dirigeant suisse. « C’est le début de quelque chose de nouveau. La FIFA dans son ensemble a besoin de se restructurer » se félicite Greg Dyke, le président de la Fédération anglaise. Battue par la Russie dans la course à l’organisation de la Coupe du monde 2018, l’Angleterre entrevoit désormais une possibilité de venger cette défaite. « Si l’on découvre que cela repose sur des comportements répréhensibles, alors ils doivent regarder s’il est possible de rouvrir les dossiers », indique Simon Johnson, chargé de la candidature anglaise pour 2018. S’il estime qu’il est « trop tard pour changer » l’attribution du Mondial 2018, M. Johnson considère, en revanche, qu’il en va autrement « pour 2022 au Qatar » et espère « un autre regard sur cette candidature ». Candidat malheureux face à Joseph Blatter, Ali Ben Al-Hussein, 39 ans, brigue de nouveau la présidence la FIFA Ces derniers mois, le prince Ali s’est présenté comme le candidat du renouveau, prônant la transparence et une gouvernance plus éthique, sans livrer beaucoup de détails sur son programme. Un discours qui revient, en creux, à critiquer l’action de M. Blatter. Un à un, les candidats déclarés à l’élection – l’ex-footballeur portugais Luis Figo puis le président de la Fédération néerlandaise Michael van Praag – se sont ralliés au Jordanien. Ce dernier est devenu la figure de proue du front anti-Blatter. THIBAULT DE MONTBRIAL Londres espère une nouvelle chance pour l’attribution du Mondial 2022 Le prince Ali de Jordanie se verrait bien sur le trône l n’a pas tardé à proposer de nouveau ses services. Mardi 2 juin, le prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, candidat malheureux du récent congrès de la FIFA, a déclaré, sur la chaîne de télévision américaine CNN, qu’il restait « à la disposition de toutes les associations qui veulent un changement, y compris tous ceux qui avaient peur de faire un changement ». En langage footballistique, on appelle cela un appel de balle. Moins d’une heure après l’annonce de M. Blatter, le vice-président de la Fédération jordanienne de football, Salah Sabra, a fait savoir, pour être encore plus clair, que le prince Ali serait candidat « dans le cas de nouvelles élections » et même disposé « à prendre la présidence dans l’immédiat si on le lui demande ». Qu’on se le dise : le prince jordanien, amateur de lutte gréco-romaine, souhaite faire savoir qu’il est prêt à mener une nouvelle bataille. Il y a cinq jours, lors du 65e congrès de la FIFA, à Zurich, le « jeune » prince – il a 39 ans – semblait pourtant avoir jeté l’éponge sans avoir combattu jusqu’au bout. Distancé par M. Blatter au premier tour, il décide alors de se retirer avant le second. Une défaite loin d’être une déroute : en cinq élections pour la présidence de l’instance, jamais un candidat n’avait donné autant de fil à retordre à M. Blatter. Sur les 206 voix exprimées, les 73 bulletins en faveur du prince le placent certes à distance très respectable du Suisse (133 voix), mais ils rendent nécessaires un second tour. Le retrait du prince peut être interprété comme une façon de montrer qu’il ne cautionne pas pleinement le processus électoral. « Aux Etats-Unis, la justice ne se pose pas la question de savoir s’il faut protéger les puissants » Le prince jordanien a beau présenter des traits tout en rondeur sous un crâne légèrement dégarni, il réserve quelques piques acérées à l’encontre du Suisse et ne manque pas de réagir aux scandales qui ont ébranlé la FIFA. « Aujourd’hui est un jour triste pour le football », avait-il déclaré le 27 mai, jour de l’arrestation de sept responsables de la FIFA à Zurich. Avant d’en tirer les conclusions : « La FIFA a besoin d’un leader qui gouverne, guide, protège et assume ses responsabilités, ne rejette pas la faute sur les autres et restaure la confiance. » Fils du roi Hussein et demi-frère du roi Abdallah II, aujourd’hui au pouvoir, le prince Ali Ben Al-Hussein préside la Fédération jordanienne de football depuis 1999. Auparavant, il a étudié aux EtatsUnis, il est diplômé de la Salisbury School en 1993, où les frais de scolarité peuvent dépasser les 40 000 euros. L’année suivante, il rejoint l’académie royale militaire de Sandhurst, en Angleterre, avant de devenir chef de la sécurité spéciale du roi, en 1999. Un parcours qui, ajouté au soutien de l’UEFA, lui a donné l’image du « candidat de l’Ouest », comme il a parfois été présenté dans la presse. Rompu à l’exercice médiatique – ce père de deux enfants est marié à une ancienne journaliste algérienne –, le prince Ali a profité de la démission de M. Blatter pour répéter son discours sur le changement. « La FIFA agit comme une sorte d’entreprise, plus que comme une organisation de service qu’elle est, a-t-il proclamé mardi. Elle est supposée être une organisation à but non lucratif. » p yann bouchez donné, il y a des risques de destruction de preuves. De plus, cela provoque un effet de peur pour ceux qui n’ont pas encore été arrêtés. » Il faut sans doute être un justicier américain mal élevé pour oser interpeller au petit matin des viceprésidents de la FIFA dans un palace 5 étoiles suisse et leur faire subir une humiliante et redoutable extradition. « Aux Etats-Unis, si la justice a des éléments tangibles, elle ne se pose pas la question de savoir s’il faut protéger les puissants, poursuit Thibault de Montbrial. En France, il y a une déférence, une sacralisation autour du sport. Le public est assez indifférent à ces affaires, beaucoup de politiques sont amis avec des sportifs. Sauf dans des cas où les preuves sont flagrantes ou bien s’il y a une volonté politique de créer une impulsion, il est impossible d’aller au bout des choses. En 1998, si Marie-George Buffet [alors ministre des sports] ne s’était pas battue pour son projet de loi sur le dopage, il n’y aurait pas eu l’affaire Festina. » Qui, de ce côté-ci de l’Atlantique, demeure l’exception qui confirme la règle. Une autre affaire de tricherie potentielle, qui aurait pu se transformer en une véritable bombe, ne fit finalement qu’un joli « pschitt », rappelle l’avocat : « Avant la Coupe du monde 1998, au plus haut niveau de l’Etat, on s’est employé à ne pas faire de misères à l’équipe de France de football autour des contrôles antidopage. Des livres évoquent même l’intervention personnelle du président Chirac. Le simple fait de rappeler que Zinédine Zidane et Didier Deschamps évoluaient alors à la Juventus de Turin, prise dans un scandale de dopage organisé, judiciairement établi et dont les faits ont été débattus en audience publique, reste tabou. » p LES DATES 2015 Mercredi 27 mai Sept hauts responsables de la FIFA, soupçonnés de s’être enrichis illégalement, sont arrêtés dans la matinée à Zurich, à la demande de la justice américaine. Quelques heures plus tard, le département de la justice américain annonce l’inculpation de neuf élus de la FIFA et de cinq partenaires de la Fédération internationale. Vendredi 29 mai Joseph Blatter, à la tête de la FIFA depuis 1998, est réélu avec 133 voix, contre 73 pour son opposant le prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, qui se retire avant le second tour. Lundi 1er juin Le New York Times affirme que le secrétaire général de la FIFA, le Français Jérôme Valcke, aurait supervisé le versement de 10 millions de dollars (9,1 millions d’euros) à Jack Warner, ex-patron de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes, et ancien vice-président de la FIFA. Mardi 2 juin M. Blatter annonce sa démission en fin d’après-midi. Le matin même, la FIFA avait reconnu le versement de 10 millions de dollars, tout en dédouanant M. Valcke. eric collier et laurent telo ALAIN BESANÇON Problèmes religieux contemporains ÉDITIONS DE FALLOIS “Comment le catholicisme a-t-il compris les grands événements contemporains, le communisme, l’islam ? Dans son dernier ouvrage, Besançon répond en historien. Iconoclaste et brillant.” “Il ose décrire ce que l’Église n’ose pas dire et que les médias n’osent même pas savoir. Il déconstruit les lieux communs lénifiants sur les ‘trois religions du Livre’.” Eric Zemmour, Le Figaro 4 | international 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Moscou prend ses distances avec Damas La Russie évacue ses ressortissants tandis que les troupes de Bachar Al-Assad accumulent les revers moscou - correspondante L’ avion, un Iliouchine76 transportant 80 per sonnes, s’est posé sur l’aéroport de Domode dovo, à Moscou, le 29 mai. Affrété par le ministère russe des situations d’urgence, il avait décollé quelques heures plut tôt de Lattaquié, sur la côte syrienne, bastion de la communauté alaouite et du régime de Bachar Al-Assad. Le signe, pour beaucoup, qu’en évacuant ses ressortissants, ainsi que quelques autres, Biélorusses, Ukrainiens et Ouzbeks, quelques jours à peine après la chute de Palmyre aux mains de l’organisation Etat islamique (EI), Moscou commencerait à prendre en compte l’affaiblissement du pouvoir à Damas. De Lattaquié, le port de Tartous, où la Russie dispose d’une petite base navale – la seule à l’extérieur de ses frontières en dehors des pays de l’ex-URSS –, n’est qu’à 90 kilomètres de distance. « Qui sont ces rapatriés ? Pas de simples civils, mais les familles de militaires et de conseillers », affirme Anatoli Nesmian, un spécialiste russe du Moyen-Orient. « Il existe plusieurs indices qui montrent que la Russie s’éloigne de Bachar, et celui-ci est en un », affirmet-il. Depuis Londres où il est édité le journal Asharq Al-Awsat, contrôlé par les Saoudiens, s’est montré encore plus catégorique, allant jusqu’à affirmer le 31 mai que « le Kremlin a commencé à se détourner du régime syrien ». LE CONTEXTE TARTOUS Le port syrien de Tartous, à 160 kilomètres au nord-ouest de Damas, est devenu une base navale logistique russe à la suite d’un accord signé en 1971. Quasi démantelé en 1992, le site est par la suite réhabilité, et, en juin 2013, un groupe permanent de la marine russe rattaché au commandement de la flotte de la mer Noire s’y établit. Selon Viktor Ozerov, chef de la commission défense et sécurité du Conseil de la Fédération de Russie, Tartous « ne constitue pas une base militaire à part entière », faute d’« un climat paisible ». Le nombre de militaires russes sur place est gardé secret mais, pour le ministère de la défense, il s’agirait principalement de « conseillers ». Un point de contrôle des forces loyales à Bachar AlAssad, le 14 mai à Babila, dans la banlieue de Damas. WARD AL-KESWANI/ REUTERS Sans doute, la rencontre, quelques jours plus tôt, le 12 mai, à Sotchi, entre le président russe, Vladimir Poutine, et le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a-telle constitué un autre de ces « indices » scrutés avec attention. Selon plusieurs sources, les deux hommes auraient en effet évoqué l’« après-Bachar ». A l’issue de ces entretiens, Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, s’était borné à évoquer « des discussions sur les moyens de régler le conflit en Syrie ». Le chef de la diplomatie russe avait toutefois ajouté, après avoir fait le constat que les djihadistes continuaient d’étendre « leur influence au Moyen-Orient et même au-delà » : « Nous sommes convaincus que pour lutter contre cette menace, il vaut mieux unir les efforts des grandes puissances. » Jusqu’ici, Moscou a toujours affiché un soutien indéfectible à son allié Bachar Al-Assad, en s’opposant à tout recours à la force en Syrie – en 2013, la Russie avait ainsi négocié un habile compromis sur les armes chimiques pour éviter les frappes américaines –, comme à toute condamnation des massacres commis par le régime dans un conflit qui a fait plus de 200 000 morts. La Russie n’a d’ailleurs jamais cessé de livrer de l’armement à la Syrie depuis que M. Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, a redynamisé des relations bilatérales. Pragmatisme Mais le pouvoir de Bachar Al-Assad vacille et la Russie n’a pas l’intention de perdre de son influence dans un pays stratégique pour elle. Les deux réunions organisées à Moscou, en janvier, puis en avril entre des émissaires du président syrien et les seuls opposants tolérés par Damas, ont eu valeur de test. Aucune « solution politique » n’a pu être esquissée, ni même abordée. La tentative de médiation, destinée à maintenir coûte que coûte le régime, a tourné court. Le pragmatisme pourrait s’imposer. Recevant, le 21 mai, le premier ministre irakien Haïder AlAbidi, et alors qu’il avait com- S’il n’est pas question, pour Moscou, de changer de régime, Assad, lui, apparaît de moins en moins comme la « solution politique » mencé la discussion sur les échanges économiques, M. Poutine avait été ramené sans détour à la situation de la région par son interlocuteur : « Nous voudrions que cette visite serve à encourager une plus forte coopération à combattre le terrorisme, pas seulement en Irak, mais dans toute la région. » S’il n’est pas question, pour Moscou, de changer de régime, Bachar Al-Assad, lui, apparaît de moins en moins comme la « solution politique ». Inquiet, le président syrien avait pris les de- vants en lançant fin mars cet appel à travers huit médias russes : « La présence russe dans plusieurs régions du monde, en Méditerranée orientale et le port de Tartous notamment, est nécessaire pour rétablir un équilibre que le monde a perdu après le démantèlement de l’Union soviétique. Pour nous, plus cette présence est importante, mieux c’est pour la stabilité de cette région. » « Oui, il y a une évolution de la Russie, un mouvement de consultation avec les partenaires occidentaux et de la région », relève Alexandre Choumiline, directeur du Centre d’analyse des conflits au Moyen-Orient à Moscou. En cas de chute du pouvoir syrien, ajoute-t-il, « cela servira juste la propagande du Kremlin sur le thème “on vous avait prévenus”, mais Moscou ne lèvera pas le petit doigt pour aider Bachar, sauf peutêtre pour un exil comme Snowden [l’informaticien américain à l’origine de la divulgation des écoutes de la NSA, réfugié en Russie]. » Plus mesuré, Salman Sheikh, directeur du Doha Brookings Cen- ter, qui suit de près l’affaire syrienne, et qui a récemment rencontré Mikhaïl Bogdanov, viceministre russe des affaires étrangères, observe : « Les Russes ont le sentiment qu’ils perdent de l’influence et que la désintégration de l’Etat syrien n’est pas dans leur intérêt. Ils disent : “O-K, le régime ne contrôle plus que 50 % du territoire.” Mais ils demandent aussitôt : “Qui contrôle les 50 % restant, qui peut remplacer Assad ?” » Là est toute la question. p isabelle mandraud avec benjamin barthe (à beyrouth) TURQUIE SYRIE Lattaquié Tartous Palmyre LIBAN IRAK Damas 100 km JORDANIE L’Iran sème le trouble en augmentant son stock d’uranium enrichi Ce « problème d’infrastructure » pourrait compliquer les négociations avec les pays occidentaux sur l’arsenal nucléaire de Téhéran U n couac ou une provocation ? Alors que les négociations sur le nucléaire iranien sont entrées dans une phase décisive à l’approche de la date butoir du 30 juin, l’information a semé le trouble : l’Iran a accru son stock d’uranium enrichi, indispensable à la fabrication d’une bombe nucléaire, selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique cité, mardi 2 juin, par le New York Times. Le sujet est hautement sensible à un moment où les experts iraniens et ceux des pays du « P5 + 1 » (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine et Allemagne) mènent des négociations épineuses, à Vienne, sur les annexes techniques d’un accord final, destiné à museler le programme nucléaire iranien. Or, la capacité de l’Iran à acquérir une arme nucléaire dépend, en partie, du volume de son stock d’uranium enrichi. Selon le quotidien américain, le stock iranien d’hexafluorure d’uranium, la forme la plus préoccupante car immédiatement utilisable pour des enrichissements de qualité militaire, aurait augmenté de 20 % depuis la signature de l’accord intérimaire entre l’Iran et les pays occidentaux, en novembre 2013. Autrement dit, Téhéran ne respecterait pas l’engagement pris de ne pas augmenter ce stock, tandis que les Occidentaux cherchent précisément à « serrer les boulons » d’un texte pour éviter toute fuite en avant. Toutefois, ces révélations ont été accueillies avec prudence, y compris par des acteurs du dos- Si l’Iran ne démontre pas qu’il est en mesure de tenir ses promesses, les Occidentaux hésiteront alors à lever les sanctions sier prompts à dénoncer les dérapages iraniens. « On ne peut pas exclure un calcul politique pour peser sur la négociation, mais, à ce stade, il n’y a pas de violation avérée par l’Iran », juge un diplomate occidental. Cet interlocuteur estime qu’il s’agit avant tout d’un « problème d’infrastructure », l’Iran ne disposant pas des moyens techniques pour convertir en une forme posant moins de problèmes de prolifération d’importants volumes excédentaires d’uranium. Au terme de l’accord de Genève, en 2013, l’Iran s’était engagé à démanteler son stock d’uranium déjà enrichi à 20 %, un seuil qui lui permet d’atteindre rapidement une finalité militaire. Sur ce point, les experts s’accordent pour dire que l’Iran a, pour l’essentiel, tenu parole. Téhéran avait également accepté de ne pas augmenter son stock d’uranium enrichi jusqu’à 5 %. Il était évalué à l’époque à 7,6 tonnes, soit assez pour fabriquer, au prix d’un enrichissement supplémentaire, environ cinq bombes atomiques. Depuis, la production iranienne a connu des « zigzags », note un expert, mais l’objectif, dit-il, a tou- jours été que le volume final ne dépasse pas 7,6 tonnes à l’issue des négociations de juin. Pour maintenir son stock à ce niveau, l’Iran a construit une unité de conversion à Ispahan, mais sa mise en route a pris du retard. « Les opérations n’ont commencé qu’en juillet 2014, car l’Iran avait manifestement du mal à maîtriser le processus », observe François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. Obstacle technique Cet obstacle technique a toutefois une portée politique, car il risque de fragiliser tout compromis final. A l’issue de l’accord-cadre, laborieusement conclu, le 2 avril, à Lausanne (Suisse), l’Iran se serait engagé à réduire son stock global d’uranium légèrement enrichi à 300 kg pendant quinze ans, selon les Occidentaux. Des chiffres qui n’ont toutefois jamais été confirmés par Téhéran. Si l’Iran ne démontre pas qu’il est en mesure de tenir ses promesses dans les délais convenus, les pays du « P5 + 1 » hésiteront alors à remplir leur part du contrat : la levée des sanctions internationales, qui demeure l’objectif prioritaire des Iraniens. Ce blocage technique vient compliquer encore davantage des négociations qui devront surmonter de nombreux obstacles dans les prochaines semaines. « Les pourparlers menés en ce moment sont un travail de précision, note un diplomate. Il ne faut rien oublier car ces discussions vont dessiner le cadre futur des relations entre l’Iran et la communauté internationale. » p yves-michel riols international & europe | 5 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Le Sénat américain limite les 55 % pouvoirs de surveillance de la NSA Le USA Freedom Act ne changera rien aux activités de l’agence à l’étranger P ar 67 voix contre 32, le Sénat américain a adopté, mardi 2 juin, le USA Freedom Act, un projet de loi qui limitera certains pouvoirs de surveillance de la NSA, l’Agence nationale de sécu rité américaine, en contrepartie d’une prolongation de certaines dispositions du « Patriot Act ». Quelques heures après, en promulguant le texte, le président Barack Obama a jugé qu’il protégeait mieux les libertés civiles et la vie privée tout en assurant « notre sécurité nationale ». « C’est un moment historique », a estimé le sénateur démocrate Patrick Leahy. Cette réforme est « le premier remaniement majeur depuis des décennies de la législation sur la surveillance par le gouvernement », at-il ajouté. Base légale insuffisante Le Patriot Act, adopté aux EtatsUnis après les attentats du 11 septembre 2001, octroie de très larges pouvoirs aux organismes de lutte contre le terrorisme – et a notamment servi de justification à la NSA pour mettre en place de vastes systèmes de surveillance des réseaux téléphoniques, y compris aux Etats-Unis. Un système dont l’ampleur avait été révélée par Edward Snowden, ancien consultant de la NSA. En raison d’un délai technique, la NSA ne peut d’ores et déjà plus collecter les métadonnées téléphoniques (les informations entourant un appel ou un SMS : destinataire, heure d’appel, géolocalisation…) des Américains depuis le 1er juin. Le texte adopté par le Sénat – qui avait été largement voté par le Chambre des représentants – la privera définitivement de cette capacité, sauf pour les enquêtes ayant débuté avant ce lundi. Le gouvernement se fondait sur la section 215 du Patriot Act pour demander, et obtenir, de la part d’un tribunal secret dit « FISA » un mandat obligeant les opérateurs de téléphonie à lui fournir l’intégralité des métadonnées téléphoniques de leurs clients américains. Récemment, un tribunal avait jugé que la section 215, désormais caduque, n’était pas une base légale suffisante pour une telle demande. Le USA Freedom Act met fin à cette collecte massive, automatique et indiscriminée. A la place, les métadonnées resteront stockées chez les opérateurs téléphoniques et les autorités pourront demander à y avoir accès au coup par coup. Elles conserveront la possibilité de se les faire fournir en temps réel, mais selon des « critères spécifiques » liés au terrorisme, visant des individus, des comptes ou des terminaux uniques. Les autorités devront pour cela justifier d’un lien « raisonna- Certains estiment que cette réforme fait entrer dans la loi une pratique récemment jugée illégale ble et détaillé » avec le terrorisme (sauf en cas d’urgence). La loi prévoit également une petite réforme de la FISA Court, notamment en lui permettant de nommer cinq personnes extérieures pour l’aider, si besoin, à se prononcer sur des interprétations nouvelles de la loi. La défense n’est pas représentée dans cette cour de justice. Le directeur du renseignement doit se prononcer sur l’éventuelle déclassification de toute décision contenant une interprétation nouvelle de la loi, notamment le « critère spécifique ». Elle est soutenue par une partie des opposants à la surveillance, la NSA et la Maison Blanche – ces deux dernières estimant qu’il s’agit d’une porte de sortie honorable pour préserver certaines capacités de surveillance de la NSA. Certaines organisations en pointe dans la contestation de la surveillance mise en place par la NSA, comme l’American Civil Liberties Union (ACLU) ou l’Electronic Frontier Foundation (EFF), étaient opposées au texte, le jugeant trop timide. Le projet a divisé au sein du Parti républicain : certains élus s’y opposaient vivement au nom de la lutte contre le terrorisme, d’autres considéraient qu’il s’agissait d’un compromis acceptable. Garde-fous insuffisants Parmi les opposants, certains estiment que, loin de mettre fin à la surveillance de masse, cette réforme fait entrer dans la loi une pratique récemment jugée illégale, tout en l’accompagnant d’un nombre insuffisant de garde-fous. Ils craignent notamment que les « critères spécifiques » soient très larges et aboutissent de facto à une collecte de masse. Que changera le texte pour la surveillance du Web et la surveillance hors des Etats-Unis ? Rien. Le texte mentionne spécifiquement les métadonnées téléphoniques. Surtout, il ne concerne que la collecte d’informations aux Etats-Unis : le Freedom Act ne changera strictement rien à la surveillance pratiquée par la NSA à l’étranger avec l’aide de ses partenaires anglais, australiens, néo-zélandais et canadiens. p damien leloup et martin untersinger des Britanniques veulent que le Royaume-Uni reste dans l’UE Selon l’institut Pew Research, l’opinion du public vis-à-vis de l’Union européenne se « revitalise » au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Italie, en Pologne et en Espagne. Les résultats d’une étude, publiés le 2 juin, indiquent que le niveau médian d’opinion positive envers l’Union européenne atteint désormais 61 % dans ces pays. Soit 9 points de plus qu’en 2013. Une médiane de 46 % juge aussi que l’intégration économique européenne a renforcé leur économie, contre 32 % deux ans plus tôt. U N I ON EU R OPÉEN N E Réplique du Parlement à la liste noire russe Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a annoncé, mardi 2 juin, que désormais seul l’ambassadeur de Russie auprès de l’Union européenne aurait accès à son Assemblée en représailles contre l’interdiction faite par le Kremlin à 89 citoyens européens d’entrer en Russie. Le Parlement a également suspendu « ses engagements vis-à-vis de la Commission parlementaire de coopération UE-Russie et va examiner au cas par cas les demandes de visite (…) déposées par des députés russes », a indiqué M. Schulz. sition de gauche. Celle-ci accuse le gouvernement de corruption, tandis que le pouvoir profère des accusations d’« espionnage » à l’adresse de ses détracteurs. – (AFP.) ALLEMAGN E Helmut Kohl à nouveau hospitalisé L’entourage de l’ancien chancelier allemand, Helmut Kohl, 85 ans, s’est voulu rassurant, mardi 2 juin, après son hospitalisation à la suite de deux opérations. Selon l’agence allemande DPA, l’ancien dirigeant, qui a conduit la réunification allemande, affaibli depuis 2008 par une série de problèmes de santé, se trouve « dans un état très grave ». – (AFP.) MAC ÉD OI N E Des législatives anticipées en avril 2016 La Macédoine organisera des législatives anticipées avant la fin avril 2016 pour mettre fin à la crise politique qui secoue cette ex-république yougoslave, a déclaré, mardi 2 juin, Johannes Hahn, commissaire de l’UE chargé des négociations d’élargissement, après avoir rencontré les dirigeants de la droite au pouvoir et de l’oppo- N I GER I A Treize morts dans un attentat-suicide Treize personnes ont été tuées et vingt-quatre blessées, selon la Croix-Rouge, dans un attentat-suicide mardi 2 juin à Maiduguri (nord-est du Nigeria). La capitale de l’Etat de Borno avait déjà été la cible, samedi, d’une attaque attribuée à Boko Haram. – (AFP.) Paris reçoit Felipe VI, ambassadeur d’une monarchie espagnole fragilisée La popularité de la formation de la gauche radicale Podemos est préoccupante pour la couronne, qui s’est appuyée sur le bipartisme madrid - correspondance U n an après l’abdication de son père, Juan Carlos, le roi d’Espagne Felipe VI, accompagné de la reine Letizia, a repris, mardi 2 juin, sa première visite d’Etat en tant que monarque, à Paris. Commencée le 24 mars, celle-ci avait été suspendue après le crash de l’Airbus de la Germanwings dans les Alpes françaises. Après avoir été accueilli à l’Elysée par le président François Hollande, accompagné de la numéro trois du gouvernement, Ségolène Royal, Felipe VI a réaffirmé l’amitié entre les deux pays lors du dîner d’Etat, et insisté sur leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme djihadiste, « la forme la plus cruelle de totalitarisme » et contre la crise économique. « Nous devons obtenir un projet européen plus proche des citoyens, en travaillant à une plus grande croissance économique qui favorise la création d’emplois et une plus grande cohésion sociale », a défendu le roi, dix jours après la percée électorale du parti antiaustérité Podemos aux élections municipales espagnoles. Mercredi 3 juin, le souverain espagnol âgé de 47 ans devait réaffirmer ces priorités devant l’Assemblée nationale, où il a été invité à prononcer un discours comme l’avait fait son père en 1993, alors premier souverain étranger convié à s’exprimer devant le Palais Bourbon. Malgré le faste et les honneurs à Paris, le roi ne pourra oublier le malaise pesant sur la couronne espagnole. La montée de nouveaux partis est préoccupante Discret, prudent, le roi a baissé son salaire de 20 %, à 234 000 euros par an pour la monarchie, dont la restauration, après la mort de Franco en 1975, s’est appuyée sur le bipartisme. L’affaiblissement des socialistes et conservateurs pourrait remettre en cause le pacte de la transition démocratique (19751982) sur lequel se fonde la monarchie. Podemos, le nouveau parti de la gauche radicale, défend des principes républicains. Ironique, son chef de file, Pablo Iglesias, a demandé une audience auprès de Felipe VI, pour lui dire qu’il aurait « de grandes chances d’être élu à des élections comme chef d’Etat ». En avril, il lui a offert la série télévisée Game of Thrones, avant de déclarer à la presse qu’« elle peut lui permettre de comprendre la crise politique en Espagne. » « Exemplarité » Quant au parti de centre droit Ciudadanos, autre nouveau venu dans le paysage politique espagnol, il défend la Couronne à condition qu’elle « apporte plus d’exemplarité et de stabilité qu’un élu public à la tête de l’Etat, a déclaré son chef de file, Albert Rivera. Une chose est claire : le roi est roi en Espagne parce qu’ainsi le veulent les Espagnols, non par la grâce divine ». Felipe VI en a conscience. Proclamé le 19 juin 2014, il s’est efforcé durant sa première année de règne de récupérer le cœur des Espagnols, d’effacer les scandales de son père – parti chassé l’éléphant au Botswana en 2012 en pleine crise et en charmante compagnie –, mais aussi ceux de sa sœur, Cristina de Bourbon, qui doit être prochainement jugée pour délits fiscaux, et de son beau-frère, Inaki Urdangarin, accusé d’avoir détourné 6,1 millions d’euros d’argent public. Discret, prudent, Felipe VI a baissé son salaire de 20 %, à 234 000 euros par an, et interdit officiellement à tous les membres de la famille royale d’accepter faveurs et cadeaux. En Catalogne, où il a multiplié les voyages, il a défendu l’unité de l’Espagne face à l’indépendantisme, l’autre menace qui plane sur la Couronne. Dans ses discours, il s’est attaqué aux grands maux de l’Espagne : la corruption, le chômage et l’augmentation des inégalités. En un an, il est ainsi parvenu à améliorer l’image de la Casa Real (Maison royale). Selon le baromètre d’avril du Centre de recherche sociologique (CIS), 57,4 % des sondés considèrent que le travail de Felipe VI est « positif ». Néanmoins, l’institution monarchique obtient encore une note médiocre, de 4,34 sur 10 (contre 3,72 en avril 2014). Pis, un Espagnol sur cinq lui donne un zéro. Dans un article paru le 2 juin, le quotidien El Pais considère que « la consolidation de la monarchie passe par une consultation populaire afin de la soumettre à la volonté de ceux qui sont nés après la mort de Franco ». Un défi, quand l’indifférence et le désamour envers la monarchie sont particulièrement marqués chez les jeunes. p sandrine morel PRIX ALBERT LONDRES 2015 VOYAGE EN BARBARIE Un documentaire de Delphine Deloget et Cécile Allegra, lauréates du prix Albert Londres 2015 Une coproduction Memento / Public Sénat Prix Prix du Meilleur Documentaire DIFFUSION JEUDI 4 JUIN À 22H30 SUR CANAL 13 Disponible en replay sur publicsenat.fr RETROUVEZ PUBLIC SÉNAT SUR LE CANAL 13 DE LA TNT, LE CÂBLE, LE SATELLITE, L’ADSL, LA TÉLÉPHONIE MOBILE ET EN SIMULTANÉ SUR INTERNET : WWW.PUBLICSENAT.FR 6 | international 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Drame du Rana Plaza: vers un procès des responsables En 2013, l’effondrement d’un immeuble abritant des ateliers textile, au Bangladesh, avait fait 1 134 morts LE CONTEXTE new delhi - correspondance L e Bangladesh a annoncé, lundi 1er juin, avoir engagé des poursuites contre 41 personnes impliquées dans l’effondrement, il y a deux ans, du bâtiment Rana Plaza qui abritait, près de Dacca, cinq ateliers de confection textile. Cette tragédie, la pire de l’histoire industrielle du Bangladesh, a fait 1 134 morts et près de 2 000 blessés. L’enquête de deux ans, au cours de laquelle près de 1 200 témoins ont été interrogés, aura connu de nombreux rebondissements, et les associations de défense des victimes craignaient qu’elle n’aboutisse jamais, tant l’influence des industriels du textile est considérable dans le pays. De nombreux parlementaires et ministres, s’ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires d’usines de textile, comptent au moins un membre de leur famille qui en possède. La commission anticorruption, initialement chargée de l’enquête, avait écarté de la liste des inculpés Sohel Rana, le propriétaire du Rana Plaza, au motif que son nom ne figurait pas dans les titres de propriété, avant de revenir sur sa décision. Puis il a fallu attendre plus d’un an pour que le gouvernement bangladais valide l’inculpation d’une douzaine de fonctionnaires. Les 41 inculpés encourent la peine de mort pour meurtre, ou plusieurs années de prison si leur responsabilité se limite à la violation du code de la construction. « Cela a été un assassinat de masse. Tous ont une responsabilité collective dans cette tragédie », a déclaré lundi Bijoy Krishna Kar, chef des enquêteurs. B ra h m a p o u t re Ga ng e BANGLADESH INDE Dacca 100 km Golfe du Bengale BIRMANIE INDE SÉCURITÉ Seules deux usines ont été déclarées sûres et mises aux normes requises par l’accord sur la sécurité des bâtiments et les mesures anti-incendie au Bangladesh. Cet accord regroupe 200 donneurs d’ordre européens, dont H&M ou Primark. Au total, quelque 2 500 usines ont été inspectées depuis la tragédie, mais les syndicats regrettent que les nouvelles mesures de sécurité tardent à être mises en place. FERMETURES 218 ateliers textile ont été fermés, et le secteur a été contraint de faire le ménage en son sein, selon l’Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh, qui représente 4 500 fabricants. Ces fermetures ont entraîné la disparition de dizaines de milliers d’emplois et un ralentissement des exportations inquiétant pour le Bangladesh. Des parents de victimes, le 20 avril, sur les lieux du drame du Rana Plaza. A. M. AHAD/AP Sohel Rana, soupçonné d’avoir voulu s’échapper du pays, a été arrêté quatre jours après le drame, à la frontière avec l’Inde, puis incarcéré. C’est lui qui avait fait pression sur ses ouvriers pour qu’ils regagnent leurs postes de travail malgré leur réticence. La veille, des inspecteurs avaient recommandé la fermeture de l’édifice après avoir constaté l’apparition de fissures sur les murs. Il a suffi d’une coupure de courant, le 24 avril 2013, et la mise en marche des générateurs posés sur le toit, pour que l’immeuble s’effondre. Le procès attendu cet été devrait mettre à jour un vaste réseau de corruption, où des fonctionnaires acceptaient des pots-de-vin des industriels pour fermer les yeux sur les entorses à la réglementa- tion, aux normes de sécurité, et laisser construire neuf étages au lieu des six autorisés par le permis de construire. Fonds d’indemnisation Les marques d’habillement ont financé un fonds d’indemnisation des victimes, géré par l’Organisation internationale du travail, pour couvrir les frais médicaux et les pertes de revenus des familles ayant perdu un de leurs membres. Mais sur les 30 millions de dollars (27,2 millions d’euros) dont le fonds a besoin, les marques de textile n’ont apporté que 27,6 millions de dollars (25 millions d’euros). Les entreprises françaises comme Camaïeu ou Auchan, dont une partie de la production était sous-traitée au Rana Plaza, ont accepté d’y contribuer. Seul le géant de la distribution Carrefour, dont une étiquette de sa marque Tex a pourtant été retrouvée dans les décombres du bâtiment, et qui s’approvisionne dans le pays depuis de longues années, a refusé d’y verser le moindre euro. Le groupe maintient qu’ils n’ont rien Il a suffi de la mise en marche des générateurs posés sur le toit pour que l’immeuble s’effondre commandé à Rana Plaza. Mais, pour les ONG, il est possible que leurs sous-traitants aient confié une partie de leur production à Rana Plaza. Au lendemain du drame, ces entreprises ont également formé deux organisations chargées de vérifier la qualité de construction des ateliers de leurs fournisseurs. Sur les 3 500 usines que compte le pays, plusieurs dizaines ont été fermées. D’autres doivent être rénovées, ce qui entraîne des coûts élevés et surtout un suivi important. La Banque mondiale a proposé de financer des emprunts à condition que leurs clients se portent caution. Mais l’amélioration des fondations et des normes de sécurité ne suffira pas, loin de là, à assurer des conditions de travail décentes aux ouvriers dans un secteur qui représente 10 % du PIB du pays et 80 % de ses exportations. Quelques mois après le drame, le gouvernement bangladais a légèrement augmenté le salaire minimum, qui frôle désormais les 70 euros mensuels, et a autorisé la création de syndicats indépendants. Des mesures qui demeurent insuffisantes. Comme le révèle un rapport de Human Rights Watch, publié en avril, les ouvriers qui souhaitent se syndiquer sont souvent victimes d’intimidations, de violences, et leurs plaintes sont ignorées par la police. Seuls 10 % des ateliers textiles du pays comportent des syndicats indépendants. p julien bouissou Tiananmen : le « J’accuse » d’étudiants chinois Basés à l’étranger, ils dénoncent, dans une « lettre ouverte », le silence entourant le massacre PRIX SACRIFIÉS MATELAS - SOMMIERS ixes ou relevables - toutes dimensions TRECA - TEMPUR - DUNLOPILLO - EPEDA - SIMMONS - STEINER - BULTEX... CANAPES - SALONS - RELAX CONVERTIBLES - CLIC-CLAC ouverture manuelle ou électrique pour couchage quotidien DIVA - NICOLETTI - BUROV - SITBEST... 50 av. d’Italie 75013 PARIS 247 rue de Belleville 75019 PARIS 148 av. Malakof 75016 PARIS 262 bd du Havre 95 PIERRELAYE 01 42 08 71 00 7j/7 Livraison gratuite en France - Détails sur mobeco.com pékin - correspondant E tudiants chinois à l’étranger et nés dans les années qui ont précédé, ou suivi, le massacre de Tiananmen qui a eu lieu dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, à Pékin, ils ont choisi d’en perpétuer la mémoire : dans une lettre ouverte adressée à leurs « camarades étudiants en Chine », l’étudiant en chimie Gu Yi, de l’université de Géorgie, à Atlanta, et dix cosignataires, tous étudiants chinois aux Etats-Unis, en Australie et au Royaume-Uni, ont brisé un tabou, celui de parler ouvertement de l’intervention armée et de ses conséquences. Diffusée en Chine sur les réseaux sociaux, la lettre, datée du 27 mai, a recueilli à ce stade deux cents signatures de Chinois à l’étranger, nous dit Gu Yi, joint, lundi 1er juin, au téléphone aux Etats-Unis, où le militant en herbe va de séminaires en manifestations (devant l’ambassade de Chine à Washington le week-end dernier). Et elle a bénéficié d’une publicité inattendue après un éditorial du Global Times, le porte-parole ultranationaliste du régime, accusant les « forces hostiles » de « cibler la jeune génération ». « Ces jeunes gens ont subi un lavage de cerveau à l’étranger », affirme le quotidien, qui ajoute que la « société chinoise a choisi par consensus de ne pas débattre de l’incident de 1989 ». Rien n’est moins vrai : la censure et la répression déployées en 2014, pour les 25 ans du 4 juin, ont confirmé la tendance du régime, sous le président Xi Jinping, à voir dans toute remise en cause du dogme historique une attaque directe à son encontre. Signe de ce malaise, le texte du Global Times, daté du 25 mai – une première version de la lettre circule depuis le 20 mai –, a été censuré dans sa version chinoise. « Plus nous en savons, plus nous sentons le poids de lourdes responsabilités sur nos épaules », écrit ainsi Gu Yi, l’auteur de la lettre, dans son préambule, avant de rappeler certains des faits avérés – parfois rapportés à l’époque par la presse chinoise –, ainsi que les témoignages de divers protagonistes toujours vivants, des « mères de Tiananmen » à l’athlète Fang Zheng, blessé par un char puis amputé des jambes. « Le 4 juin est désormais devenu chaque année une période sensible, un jour qu’on ne peut absolument pas évoquer », écrit le jeune homme, qui interroge la puissance et la richesse cé- lébrées par le régime. « De quelle prospérité s’agit-il ? Nous sommes sans cesse surpris par le fait que, chez les responsables d’en haut comme d’en bas, le mariage du pouvoir et de l’argent contre lequel les étudiants s’étaient soulevés il y a vingt-six ans est devenu le modèle de l’économie étatique actuelle », écrit-il. Il fustige « les clans de Deng Xiaoping et de Li Peng, dont les mains sont couvertes du sang des étudiants, devenus d’une richesse écœurante ». « Mais nous avons un rêve », conclut l’étudiant, en référence au « rêve chinois » du président Xi, « celui qu’un jour pas trop lointain, chacun d’entre nous vivra dans un pays libre de toute peur, dans lequel l’histoire est rétablie et la justice rendue ». Prise de conscience Gu Yi et ses camarades ont, par leur geste, compromis leur perspective de mener une carrière en Chine, ainsi que la tranquillité de leurs proches sur place. Le jeune chimiste n’a pas prévenu ses parents, « pour qu’ils ne s’inquiètent pas », nous dit-il. Sa mère est retraitée et son père, ingénieur, a quitté le secteur public pour rejoindre le privé. Mais les parents d’au moins un des cosignataires ont déjà reçu un avertissement. Originaire de Luzhou, dans la province du Sichuan, Gu Yi a fait des études de chimie à Hefei, dans l’Anhui – là même où l’astrophysicien Fang Lizhi avait embrasé les consciences des jeunes générations par ses appels à la démocratie dans les années 1980. « J’avais entendu parler de lui quand j’étais à Hefei », nous dit Gu Yi, qui décrit l’intellectuel, décédé en 2012 en exil aux Etats-Unis, comme une « légende » pour lui et ses pairs. Depuis son arrivée aux EtatsUnis, il y a trois ans, l’étudiant y a découvert plus en détail un événement de la brutalité duquel il n’avait que vaguement conscience : « J’ai pensé que c’était ma responsabilité de m’exprimer. J’avais accès à toutes sortes d’information, j’ai parlé à des survivants. Ça m’a choqué de voir comment tout cela était caché en Chine. » Il a écrit la lettre en trois heures, après des échanges avec d’autres étudiants par Internet. Cette première version a été enrichie. Puis ils ont signé, apposant leur nom et celui de leur université, vingt-six ans après la rébellion d’autres étudiants chinois qui ont aujourd’hui l’âge de leurs parents. p brice pedroletti planète | 7 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 La RDC, eldorado du commerce illégal de bois L’ONG Global Witness publie un rapport accablant et met en cause la France, deuxième client de la RDC F aut-il encore importer du bois de République démocratique du Congo (RDC) ? L’ONG Global Witness publie, mercredi 3 juin, un rapport accablant intitulé « L’impunité exportée » sur les pratiques des grandes entreprises forestières opérant dans ce pays d’Afrique centrale où le contournement des lois se fait avec la complicité notoire de l’administration. L’ONG britannique s’est appuyée sur le travail de l’Observatoire de la gouvernance forestière (OGF) en compilant les cas d’infractions relevés entre 2011 et 2014 par cet organisme indépendant, mandaté par le ministère des forêts pour suivre les fonctionnaires dans leurs missions de contrôle. Dans une moindre mesure, elle a aussi tenu compte d’enquêtes réalisées par des « observateurs forestiers issus des communautés » ou d’ONG. Les conclusions sont sans appel : chacune des 28 concessions inspectées – soit la moitié des concessions industrielles congolaises réalisant la grande majorité des exportations – présentait des entorses au code forestier. Exploitation en dehors des zones autorisées, dépassement des volumes de coupe, collecte d’espèces protégées exportées avec de faux permis Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction), marquage frauduleux du bois, non-paiement des redevances, non-respect des engagements de compensation économique et sociale pris auprès des communautés reviennent en priorité dans ce catalogue d’illégalités. « L’extrême faiblesse des contrôles gouvernementaux est aggravée par l’isolement et l’immensité de la forêt tropicale congolaise. Les atteintes documentées à ce jour ne constituent probablement que la partie visible de l’iceberg, écrit Global Witness. La totalité du bois récolté de manière industrielle en RDC et commercialisé à travers le monde devrait être considéré comme risquant fort d’être illégal. » Contacté par Le Monde, le coordonnateur de l’Observatoire de la gouvernance forestière, Essylot C. Lubala, confirme le tableau dressé par l’ONG britannique. « Les violations du code forestier sont fréquentes. La gouvernance en RDC est très faible et l’impunité généralisée. La corruption gangrène le pays, car chacun cherche à manger », explique ce juriste de formation, en se plaignant du peu de moyens dont dispose son équipe de six personnes. Le brûlot de Global Witness est loin d’être le premier avertisseRÉP. CENTRAFRICAINE CAMEROUN SOUDAN DU SUD Bandaka OU. RÉP. DÉM. DU CONGO RW. CONGO BUR. Kinshasa TAN. Matadi ANGOLA 300 km Lubumbashi ZAMBIE Des grumes de l’entreprise Sicobois sur une rive du fleuve Congo, en RDC. AMELIA JONES/GLOBAL WITNESS ment. Il y a moins d’une semaine, Greenpeace pointait le cas particulier de Cotrefor – une société libanaise opérant depuis 2011, mais connue bien avant sous le nom de Trans M. Et vendredi 5 juin s’ouvrira à Bandaka (province de l’Equateur), au terme d’une longue instruction, le procès mettant en cause la société Siforco pour des cas de viols et de destructions dont a été victime la population de Yalisika en 2011. Ce sera la première fois, dans la longue histoire des conflits entre les communautés et les exploitants forestiers en RDC, qu’une plainte arrive jusqu’à la barre d’un tribunal. « Le cœur de la forêt africaine » Le « grand Congo » possède plus de 150 millions d’hectares de forêts denses et humides, soit près de 60 % du bassin forestier d’Afrique centrale. Dix millions d’hectares sont exploités dans le cadre de grandes concessions accordées à des entreprises industrielles. « Les violations du code forestier sont fréquentes. La gouvernance en RDC est très faible » ESSYLOT C. LUBALA Observatoire de la gouvernance forestière Jusqu’à présent, l’agriculture et le bois utilisé comme combustible restent les deux moteurs principaux de la déforestation. « C’est le cœur de la forêt africaine, sa préservation est cruciale », argue Frédéric Amiel, de Greenpeace, pour expliquer le tir groupé des ONG internationales. La France, 2e client de la RDC (d’où elle a importé 13 350 tonnes de bois) derrière la Chine, porte une responsabilité particulière. Elle importe la moitié des quanti- tés écoulées vers l’Europe, et les ports de Caen et de La Rochelle font partie des principaux points d’entrée du bois congolais. Selon les manifestes de navires déclarés au port de Matadi et que Le Monde s’est procurés, plusieurs entreprises françaises sont clientes des principaux exploitants forestiers mis en cause. Peltier Bois, une entreprise bretonne qui fabrique, entre autres, des terrasses et des parquets et achète des grumes à la Sicobois, a refusé de répondre à nos questions. Laurent Angot, gérant de la société de négoce Angot bois, qui importe du bois de Cotrefor par le port de Caen et par le Portugal, récuse les allégations des ONG : « Cotrefor possède une concession attribuée par l’Etat. Elle exploite en suivant un plan d’aménagement validé par une société d’audit reconnue et avec laquelle nous travaillons. Le règlement bois de l’Union européenne (RBUE) nous impose d’être en mesure de prouver l’origine légale du bois que nous achetons. Nous sommes responsables pénalement, on ne va pas faire n’importe quoi. » Depuis mars 2013 en effet, un règlement européen reposant sur le principe de la « diligence raisonnée » est entré en vigueur pour juguler les importations massives de bois qui contribuent à la déforestation tropicale. En France, le gouvernement a cependant tardé à transposer ce texte et à adopter un régime de sanctions qui prévoit jusqu’à 2 ans de prison. Les premiers contrôles viennent à peine d’être lancés. Ils sont menés par le ministère de l’environnement, celui de l’agriculture, mais aussi par « Le Commerce du bois », l’association qui regroupe les entreprises du secteur. Eric Boilley, son délégué général, défend la fiabilité du système et promet que « si Siforco est condamnée, elle sera rayée de la liste des exploitants congolais avec lesquels il est possible de travailler ». p laurence caramel La Corée du Sud touchée par un coronavirus C LI MAT T RAF I C La moitié des éléphants de Tanzanie tués en cinq ans Une épidémie due au MERS coronavirus (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), contre lequel il n’y a pas de vaccin, progresse rapidement, suscitant la panique dans la population Le Maroc et le Japon publient leur contribution climat Le Maroc a annoncé, mardi 2 juin, sa volonté de diminuer d’au moins 13 % ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Le Japon a, pour sa part, approuvé un plan de réduction de 26 % de ses émissions de gaz à effet de serre entre 2013 et 2030. – (AFP.) tokyo - correspondance L a hausse rapide en Corée du Sud du nombre de cas de syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) suscite une inquiétude grandissante. Le 3 juin, le ministre de la santé et des affaires sociales a confirmé cinq nouveaux cas, portant le total de personnes atteintes à 30. Le premier cas a été identifié le 20 mai. Le 2 juin, les autorités avaient annoncé le décès de deux patients, une femme de 58 ans et un homme de 71 ans. Ces deux morts et la découverte de premiers cas de transmission non plus directs par le premier malade, mais par des personnes ayant par la suite contracté le MERS coronavirus (MERS-CoV), ont poussé la présidente Park Geun-hye à convoquer, le 3 juin, une réunion d’urgence. Les autorités sud-coréennes cherchent en outre à rassurer la population. Elles rappellent que la contamination se fait par contact prolongé avec un malade et que les personnes décédées souffraient de problèmes respiratoires avant de contracter le MERS-CoV. Elles multiplient également les mesures d’endiguement. Des mesures de confinement de tous ceux ayant été en contact avec les malades ont déjà été décidées. 750 personnes seraient pour l’instant concernées, mais le nombre pourrait rapidement augmenter. Les malades et les personnes en isolement n’ont pas le droit de quitter le pays. Cette décision fait suite à l’affaire du Coréen du Sud qui a choisi de prendre fin mai l’avion pour la Chine, malgré 38 °C de fièvre et l’avis négatif des médecins. L’homme a été hospitalisé le 29 mai dans la province chinoise du Guangdong après confirmation de sa contamination au MERS-CoV. Près de 70 personnes l’ayant approché ont été placées en quarantaine. « Négligence du gouvernement » Le 3 juin, le ministère de l’éducation a annoncé la fermeture de 209 établissements scolaires de tout le pays, 1 % du total. Dans la province de Chungcheong du Nord (centre), quatre écoles primaires l’ont été, car l’un des enseignants aurait été en contact avec un malade. Les autorités de la province de Gyeonggi, près de Séoul, ont pris une décision similaire pour 22 écoles primaires proches de l’hôpital de Pyeongtaek, qui a traité le premier cas de MERS et qui a enregistré l’un des deux décès. L’hôpital de Pyeongtaek a été fermé le 26 mai et devrait rouvrir C’est en Arabie saoudite que le premier patient sud-coréen aurait contracté, début mai, la maladie le 10 juin. 84 membres de son personnel sont en isolement. Les zoos sud-coréens ont également placé en quarantaine les chameaux qui peuvent transmettre le virus à l’homme. Ces réponses interviennent pourtant tardivement, et le gouvernement est aujourd’hui sous le feu de vives critiques pour la lenteur de sa réaction. « Quand une maladie se répand en raison de traitements et de contrôles inadéquats, déplorait dans un éditorial du 1er juin le quotidien proche de l’opposition Kyunghyang, le problème vient de l’incompétence et de la négligence du gouvernement. » Inquiets, les Coréens du Sud multiplient les achats de masques. A l’étranger, l’inquiétude grandit. Plusieurs centaines de Chinois ont annulé des voyages prévus en Corée du Sud. L’inquiétude ne semble pas près de retomber. « De nouveaux cas sont attendus », estime l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui n’a, pour l’instant, pas recommandé de restriction sur les voyages en Corée du Sud. Selon des sources citées par le quotidien Korea Times, l’OMS pourrait envoyer une dizaine d’épidémiologistes en Corée du Sud. Ils interviendraient en réponse à une demande des autorités sud-coréennes, le 31 mai, pour réaliser un séquençage du virus, une opération importante afin de freiner sa diffusion. Le séquençage doit aussi permettre d’établir un lien avec la souche identifiée en Arabie saoudite. C’est dans ce pays que le premier patient sud-coréen aurait contracté, début mai, la maladie. C’est également en Arabie saoudite que le MERS-CoV a été identifié en 2012. Depuis, selon les données de l’OMS, 1 154 personnes l’ont contracté dans le monde. 434 en sont mortes. Aucun traitement ou vaccin n’existent pour ce virus, qui appartient à la même famille de coronavirus que le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, dont l’épidémie, en 2002-2003, avait fait près de 800 morts en Chine. p philippe mesmer En Tanzanie, sur les 109 051 éléphants recensés en 2009, il n’en restait plus que 43 330 en 2014, selon les chiffres rendus publics par le gouvernement. Selon l’ONG Traffic, les braconniers exportent l’ivoire principalement depuis les ports de Dar es Salaam et de Zanzibar. – (AFP.) s n i t a m s le TION C A D É R A L ET ET H C 0-9H N 3 I H O 6 V / C I R D A E M ENDR n Birnbaum V U A I D N e Jea DU LU hronique d la c Retrouvez à 8h55 di chaque jeu riat avec e ancecultur ure.fr / @Fr en partena francecult 8 | france 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 L’islam, variable électorale de Sarkozy Les Républicains consacrent, jeudi 4 juin, leur première journée de travail à la deuxième religion de France suite de la première page Les deux organisateurs, les députés Henri Guaino (Yvelines) et Gérald Darmanin (Nord), espéraient pourtant faire venir une myriade d’intellectuels, des représentants d’associations, des responsables de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et du Conseil français du culte musulman (CFCM), institution créée en 2003 par M. Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. Aucun d’entre eux n’a finalement voulu cautionner cette journée, malgré des textos d’invitation de plus en plus pressants. « Les conditions ne sont pas réunies pour une participation sereine » à la journée de travail du parti de droite, affirme au Monde l’un des dirigeants du CFCM. « Il est inacceptable d’aller à cette convention », estime Abdallah Zekri, membre du bureau exécutif du CFCM. Les relations entre l’ancien président de la République et le CFCM se sont nettement dégradées ces dernières semaines. Peu après son retour à l’UMP, les représentants de l’institution chargée de représenter les musulmans avaient eu un aperçu de son état d’esprit lors d’une rencontre au siège du parti. « Il nous a dit que s’il avait été battu à la présidentielle, c’était parce que nous avions fait voter pour François Hollande », témoigne M. Zekri. Une ligne de plus en plus dure M. Sarkozy a néanmoins tenté de les enrôler dans son projet de convention sur l’islam. Le 3 mars, à la sortie d’un déjeuner à la Mosquée de Paris avec le bureau du CFCM élargi à l’UOIF et aux représentants de plusieurs mosquées, il affirme publiquement vouloir obtenir un « texte commun » entre son parti et le CFCM. Pendant le repas, il n’avait pourtant pas été question de ce texte. Peu désireux de se laisser embarquer dans une initiative partisane, les responsables musulmans publient le lendemain un communiqué affirmant leur intention d’éviter « toute instrumentalisation ». C’est surtout la ligne adoptée par l’ex-chef de l’Etat, de plus en plus dure à l’égard de l’islam, qui indispose les responsables musulmans. Lors du déjeuner du 3 mars, « dans une ambiance franche », selon un proche du président du parti, M. Sarkozy a déclaré que certaines « pratiques » des musulmans devaient évoluer. Il a cité comme exemple le port du voile par les étudiantes à l’université, jugé problématique. Il a aussi affirmé que la notion d’intégration était « dépassée » et qu’il fallait maintenant parler d’« assimilation ». Le climat s’est encore détérioré, en avril, après une série de déclara- Nicolas Sarkozy lors d’une rencontre avec des représentants musulmans, dont Dalil Boubakeur (assis face à l’ancien chef de l’Etat), à la Grande Mosquée de Paris, le 3 mars. MARTIN BUREAU/AFP tions « stigmatisantes » de la part de dirigeants de l’UMP, selon la formule d’Anouar Kbibech, qui prendra la présidence du CFCM le 1er juillet. Le 26 avril, le maire de Nice, Christian Estrosi, a par exemple affirmé sur France 3 que la France devait faire face à des « cinquièmes colonnes » islamistes et qu’une « troisième guerre mondiale » était déclarée à la « civilisation judéo-chrétienne » par « l’islamo-fascisme ». « Il est entouré d’idéologues de l’islamophobie qui pensent récupérer les voix du FN », accuse Abderrahmane Dahmane, qui fut conseiller pour la diversité à l’Elysée avant d’être limogé, en mars 2011, pour désaccord sur le débat sur l’islam et la laïcité. « Il est inacceptable d’aller à cette convention » ABDALLAH ZEKRI membre du bureau exécutif du CFCM Remonter les méandres de la pensée sarkozyste sur l’islam et la laïcité peut donner le tournis. En 2004, dans son livre La République, les religions, l’espérance (éd. Cerf), celui qui est alors ministre de l’intérieur expose sa vision d’une « laïcité positive » où les religions sont décrites comme « le support d’une espérance ». « Aujourd’hui, l’islam (…) a un nouveau rôle à jouer. Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête, comme seule “religion”, celle de la violence, de la drogue ou de l’argent », écrit-il. Arrivé à l’Elysée en 2007, M. Sarkozy n’abandonne pas ce plaidoyer en faveur du fait religieux. Mais un glissement sémantique se dessine, puisqu’il va peu à peu y ajouter la prédominance de la chrétienté. « La laïcité positive (…) ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout », déclare-t-il lors de son discours à la basilique du Latran à Rome, le 21 décem- bre 2007, où il s’enthousiasme pour la « profondeur de l’inscription du christianisme dans notre histoire ». En janvier 2008, lors d’un voyage en Arabie saoudite, il choque durablement les défenseurs de la laïcité en estimant que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Incarner la rupture Rien à voir avec le Nicolas Sarkozy version 2015. De meeting en meeting, il se dresse en défenseur d’une République forte qui ne survivra que par l’application d’une laïcité rigoriste. « Ce sont les religions qui s’adaptent à la République, pas la République qui s’adapte à la religion », déclare-t-il à chacun de ses discours avant de longuement évoquer la question de l’islam. « Ce débat-là, il faut qu’on l’ait pour avoir un islam de France qui intègre les valeurs de la République », déclare-t-il lors d’un meeting à Dammarie-les-Lys (Seine-etMarne), le 20 mars, faisant luimême le deuil de l’action du CFCM. « Celui qui nous rejoint doit s’assimiler, adopter notre mode de vie, notre culture. (…) Garde-t-on ses chaussures quand on visite une mosquée à l’étranger ? », lance-t-il aussi lors de ce discours prononcé à deux jours du premier tour des élections départementales. Même s’il n’est pas pratiquant, Nicolas Sarkozy s’est toujours dit « intéressé et intrigué » par le fait religieux, selon son entourage. Mais ses analyses sont souvent conditionnées par le contexte dans lequel il s’exprime. Entre 2002 et 2007, figure montante de son parti cherchant à incarner une rupture par rapport à la droite classique, il préempte la thématique de la discrimination positive et du respect de l’islam, des thèmes assez novateurs dans sa famille politique. Un pragmatisme teinté parfois d’électoralisme. A l’approche des élections départementales de mars 2015, il durcit son discours sur l’islam « qui ne doit pas se vivre dans les caves et les garages » et se prononce contre les repas de substitution dans les cantines. Un appel du pied peu discret aux électeurs du FN. « Il ne m’apparaît pas comme un homme pétri de religion, mais il en a une vision bonapartiste, c’est-à- Lydia Guirous, porte-parole d’une laïcité intransigeante PROFIL E lle est devenue membre de l’UMP en janvier. Elle n’est pas élue. Mais elle est dorénavant l’une des deux porte-parole du parti Les Républicains. A 30 ans, Lydia Guirous n’a pas tardé à se faire une place auprès de Nicolas Sarkozy. « Il a toujours à cœur de faire monter de nouveaux profils. Elle est énergique, on va observer comment elle se révèle dans ce rôle très politique », explique l’entourage de l’ancien chef de l’Etat. A l’automne 2014, c’est Sébastien Proto, conseiller de Nicolas Sarkozy pour les questions économiques, qui glisse le nom de Mme Guirous à celui-ci. A cette époque, cette Française d’origine kabyle, ancienne candidate aux législatives sous les couleurs du Parti radical, émerge médiatiquement avec la publication de Allah est grand, la République aussi (éd. JC Lattès). Dans cet ouvrage, qui relève autant de l’autobiographie que de l’essai, la jeune femme raconte son parcours, de l’Algérie à l’Ecole supérieure de commerce de Paris. Elle y dresse un réquisitoire très personnel des renoncements de la France face à la montée du communautarisme. Et décrit les pressions islamistes qui gangrènent sa ville d’enfance de Roubaix (Nord), où l’on prêche « un islam fait de haine de l’autre, haine de la femme et de la France ». Assimilation stricte « Des quartiers entiers étaient devenus des provinces étrangères où il était recommandé de parler arabe et d’être vêtu selon certains critères, surtout quand on est une femme d’origine maghrébine », écrit Mme Guirous, qui s’insurge contre le thème « colla-beur » employé, selon elle, par certains musulmans pour dénoncer ceux qui vivent avec un « mode de vie français ». Inspirée dans sa jeunesse par Rosa Parks, militante pour les droits civiques américains, l’auteure accuse les immigrés d’utiliser l’argument de la « colonisation, qui devient une excuse aux échecs », et se prononce en faveur du port de l’uniforme ou pour une charte de la laïcité en entreprise. Une conception très stricte de l’assimilation. « NKM » tient à son « autonomie » Nathalie Kosciusko-Morizet a réussi à sauver sa place à la direction des Républicains. Selon un communiqué du parti, publié mardi 2 juin, la députée de l’Essonne reste numéro deux, à la fonction de vice-présidente déléguée. Mais elle ne s’occupera plus du projet, dont hérite l’ancien ministre Eric Woerth. Laurent Wauquiez reste secrétaire général. D’après l’entourage de Nicolas Sarkozy, « NKM » s’est engagée à ne plus exprimer des positions contraires au président du parti. « Je tiens absolument à conserver mon autonomie d’expression. Je souhaite continuer à défendre une ligne politique qui, je le sais, n’est pas forcément la ligne majoritaire », a-t-elle affirmé au Monde. M. Sarkozy a lu le livre, qui lui a plu. Après un simple entretien sollicité par l’auteure, le 21 janvier, il la nomme secrétaire nationale aux valeurs de la République et à la laïcité. Elle envoie alors de nombreux communiqués, par exemple pour défendre l’interdiction du voile à l’université, et ce alors même que le bureau politique n’a pas tranché sur le sujet. Lydia Guirous pourfend également « les associations communautaristes relayées par les médias ». Chez Les Républicains, certains jugent trop rigoriste une telle défense de la laïcité. « Elle est marquée par son histoire et c’est tout à fait respectable. Mais la France est aussi un pays de libertés », confie une dirigeante du parti. p m. gr Selon ses proches, Nicolas Sarkozy a surtout été marqué par ses rencontres avec des élus qui constatent un « durcissement de l’électorat sur la question » dire qu’il y voit un fait social important dont il faut tenir compte pour diriger les Français », analyse un de ses anciens conseillers à l’Elysée, où son entourage a toujours beaucoup pesé dans ses orientations. Patrick Buisson l’a incité sans relâche à faire référence aux racines chrétiennes de la France. Henri Guaino, qui défend une ligne assimilatrice, l’a convaincu de l’importance de la loi contre la burqa alors qu’il était plutôt dubitatif lors des premières réunions sur le sujet en 2010. Pourquoi M. Sarkozy a-t-il encore accentué son discours depuis son retour à la vie politique ? Entre 2012 et 2014, l’ancien chef de l’Etat rencontre plusieurs fois des jeunes catholiques lors de réunions informelles organisées par le médiatique abbé Grosjean. Mais il consulte peu sur le sujet de l’islam. Ses proches disent aujourd’hui qu’il a surtout été marqué par ses rencontres avec des élus qui constatent un « durcissement de l’électorat sur la question ». Il lit également le livre Allah est grand, la République aussi (JC Lattès, 2014), de Lydia Guirous. Cette jeune femme d’origine kabyle y décrit une France qui a abdiqué face à la montée du communautarisme musulman. « Le prétexte de la stigmatisation est devenu le cache-misère des républicains lâches », écrit Lydia Guirous, promue mardi 2 juin porte-parole des Républicains. p cécile chambraud et matthieu goar france | 9 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Pacte de responsabilité : le coup de pression du gouvernement L'HISTOIRE DU JOUR A l’Assemblée, Les Républicains refusent d’être appelés « LR » Stéphane Le Foll n’exclut pas une réorientation des crédits F aut-il y voir l’effet des mauvais chiffres du chômage ou l’imminence du congrès du Parti socialiste ? Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement a laissé entendre mardi 2 juin sur Europe 1 qu’une réorientation du pacte de responsabilité, pierre angulaire de la politique économique de François Hollande, était dans les tuyaux. « Il va y avoir un rapport d’évaluation du pacte de responsabilité qui va arriver avant l’été. (…) Il y aura bien sûr des décisions et des conclusions à en tirer », LES CHIFFRES 41 MILLIARDS Annoncé, le 31 décembre 2013, par François Hollande, le pacte de responsabilité prévoit, pour 2015-2017, 41 milliards d’euros d’allégements d’impôts et de cotisations sociales en faveur des entreprises, en contrepartie d’embauches, de formations, etc. 20 Nombre de branches qui ont signé un accord, selon le Medef (8 millions de salariés) ; 56 autres ont engagé des négociations. a expliqué ce proche du président, en référence au rapport PisaniFerry qui doit être remis au cœur de l’été. Les propos de M. Le Foll font écho à ceux du chef de l’Etat, estimant dans son discours de Carcassonne, le 19 mai, que le temps de la redistribution était venu. Ils traduisent surtout l’agacement du gouvernement face au Medef et à la CGPME, après la publication lundi 1er juin de nouveaux chiffres catastrophiques sur le front du chômage. Mardi, M. Rebsamen a fustigé les « postures nationales » des « organisations patronales ». Leurs critiques incessantes – par exemple du projet de loi sur le dialogue social – sont liées au fait qu’elles se disputent les voix des petites entreprises pour calculer la représentativité patronale, estime M. Rebsamen. Réorientation La menace est à peine voilée. Si les grandes entreprises ne font pas des efforts supplémentaires pour répercuter les chiffres de la croissance en création d’emplois, une partie des 15 milliards qui restent à distribuer dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et du pacte de responsabilité pourrait être davantage ciblée en faveur de l’investissement public et privé et vers les PME et TPE. C’est ce qui figure peu ou prou dans la motion de M. Cambadélis en vue du congrès de Poitiers, signée par l’ensemble du gouvernement : « Les engagements ne semblent pas, à ce stade et par toutes les branches professionnelles, respectés. Si cette situation est confirmée par l’évaluation nationale, nous estimons que les 15 milliards du pacte qui restent à utiliser devraient dorénavant l’être plus directement pour favoriser l’emploi, l’investissement privé productif et les investissements publics. » La réorientation dépend donc avant tout du rapport de M. Pisani-Ferry. « On sait déjà ce que va contenir le rapport, pas besoin d’être grand clerc pour voir que des secteurs comme la grande distribution ou les banques ont moins besoin du dispositif que les PME », confie un pilier de la majorité. Evoquer la redistribution est aussi une façon, à trois jours du congrès, d’acheter la paix sociale avec l’ensemble du PS, frondeurs compris. « On va proposer de réorienter les 15 milliards, mais s’il y a un compromis sur 7 ou 8 milliards on sera d’accord », estime l’un d’eux. Du côté des ministères concernés, on se fait cependant beaucoup plus prudent. A Bercy, on indique qu’en attendant le retour de l’évaluation de M. Pisani-Ferry, « aucune piste de travail n’a été ouverte ». Dans l’entourage du mi- nistre du travail, François Rebsamen, on indique ne pas avoir d’informations nouvelles à apporter. « Ce n’est pas un sujet dont on parle », glisse un autre conseiller, très au fait de ces dossiers. « Prudence » Le monde patronal, lui, fronce les sourcils en prenant connaissance des propos du porte-parole du gouvernement. Si le dispositif est remanié, « ça va être dramatique pour la confiance », prévient un haut gradé du Medef. « On leur a dit à plusieurs reprises de ne pas modifier la trajectoire du pacte de responsabilité, ajoute cette source. Il est impossible d’attendre des chefs d’entreprises qu’ils embauchent et de ne pas leur donner de la visibilité. » Le président de la CGPME, François Asselin, est un peu étonné. Il raconte que, lors de son audition, mardi, par des députés socialistes, ceux-ci lui ont indiqué que « pour l’instant, il n’était pas question de faire bouger les choses ». « Prudence, exhorte-t-il. Le sujet est sensible car il concerne l’environnement fiscal des entreprises. Quand on y touche, ça peut entraîner des catastrophes. Nous ne pouvons pas nous permettre, compte tenu de notre situation, de nous lancer dans des expériences malheureuses. » p bertrand bissuel et nicolas chapuis D éferlement de lettres à l’Assemblée nationale. Du jour au lendemain, elles ont envahi tous les documents officiels de la maison, les fiches des déroulés de séance, les écrans de télévision, les étiquettes… Adieu les appellations SRC, RRDP, GDR, Ecolo, UDI et UMP ; bienvenue aux noms complets pour les Socialistes, républicains et citoyens, les Radicaux, républicains, démocrates et progressistes, la Gauche démocrate et républicaine, les Ecologistes, l’Union des démocrates et indépendants et… Les Républicains. Car c’est bien à ces derniers, nouvelle appellation de l’UMP, que les députés des cinq autres groupes parlementaires doivent d’être désormais officiellement présentés dans leur intitulé complet et non par une abréviation, comme le veut la coutume parlementaire. Si la bataille sémantique peut apparaître insignifiante en dehors des du Palais-Bourbon, elle tenait à PUISQUE LES DÉPUTÉS murs cœur aux députés de l’opposition. Le DE DROITE NE VEULENT président du groupe de l’ex-UMP, Christian Jacob, n’a pas lâché le morPAS D’ABRÉVIATION, ceau lors de la conférence des présidents, mardi 2 juin, qui statuait sur la IL N’Y EN AURA question : pas question pour l’élu de Seine-et-Marne de laisser son POUR PERSONNE, groupe se faire appeler LR. Pendant un long moment, les préONT RÉPLIQUÉ LES sidents des groupes ont donc déAUTRES GROUPES battu de la question, le socialiste Bruno Le Roux expliquant notamment qu’il se refuserait à appeler le groupe d’en face « Les Républicains ». « J’étais à deux doigts de quitter la conférence », a rapporté dans la foulée à la presse Christian Jacob, furieux. Puisque les députés de droite ne veulent pas d’abréviation, alors il n’y en aura pour personne, ont répliqué les responsables des autres groupes autour de la table. L’opposition n’aura donc pas le monopole du label « républicain » à l’Assemblée. Le message politique est passé, du moins à l’écrit : avec les six noms de groupes systématiquement déclinés au long, on ne peut plus ignorer que trois d’entre eux se qualifient déjà de « républicains ». Mais, dans les faits, cette pratique que tout le monde s’accorde à trouver plutôt ridicule ne tiendra pas, et l’utilisation des diminutifs reviendra forcément dans les usages. Reste à savoir si LR s’imposera ou si Les Républicains de l’Assemblée ne finiront pas tout simplement par s’appeler « Les Rep ». p hélène bekmezian Jean-Marie Le Pen dénonce les « méthodes staliniennes » du FN L’ancien président du Front national conteste en justice la procédure ayant abouti à sa suspension du parti « Voie de fait » Depuis l’éclatement du conflit qui les oppose, le père et la fille, avocate de son état, se préparent à cet affrontement judiciaire. Dès le lendemain de l’annonce de sa suspension par le bureau exécutif, Jean-Marie Le Pen est notifié de cette décision par un courrier envoyé à son domicile. Considérant l’attitude de ses contempteurs comme une « voie de fait », il fait savoir, lui aussi par courrier, au secrétaire général du FN, Nicolas Bay, qu’il se réserve « toutes voies de droit ». Le même Nicolas Bay lui transmet dans la foulée la réponse de Marine Le Pen : « Ce seront donc les tribunaux qui seront amenés à trancher. » « Il n’y a pas besoin d’être adhérent d’une association pour en être le président d’honneur » FRÉDÉRIC JOACHIM avocat de Jean-Marie Le Pen Dans son assignation, M. Le Pen met en avant l’illégalité, selon lui, de la déchéance de ses droits en tant que président d’honneur. Ces dernières semaines, il n’a plus été invité à siéger dans les instances de direction. Il ne dispose plus, non plus, d’une carte de crédit pour régler ses frais personnels. Rien de plus normal, assure-t-on à la direction du FN, où l’on explique que la suspension de sa qualité d’adhérent vaut suspension de sa qualité de président d’honneur. Une donnée qui justifierait aussi le fait que le nom et la photo de Jean-Marie Le Pen aient été effacés du site Internet du FN. « Cette assignation n’est pas fondée juridiquement, elle tourne autour du fait qu’il a été privé de carte bancaire, ça le perturbe beaucoup », raille-t-on dans l’entourage de Marine Le Pen. « Il n’y a pas besoin d’être adhérent d’une association pour en être le président d’honneur », assure pourtant Me Frédéric Joachim, conseil de Jean-Marie Le Pen. L’avocat dénonce la pression exercée sur son client, et l’influence que la situation exercerait sur les adhérents : ces derniers sont invités à voter par courrier, dans les semaines à venir, sur la suppression du statut de président d’honneur dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire. Jean-Marie Le Pen conteste par ailleurs la procédure qui a abouti à sa suspension. Il nie la compétence du bureau exécutif en la matière, et note que les articles soulevés dans les statuts du FN pour appuyer la décision ne sont pas les mêmes dans le courrier qui lui a été envoyé et dans le communiqué transmis à la presse. De plus, M. Le Pen dit ne pas reconnaître la légitimité de l’assemblée générale à se prononcer sur le statut de président d’honneur. Il réclame dès lors l’organisation d’un congrès physique. « J’y serai » Pour soutenir le caractère urgent de cette procédure, la défense a mis en avant le fait que la santé de l’ancien président du FN, qui fête ses 87 ans le 20 juin, est chancelante. Ce dernier a été hospitalisé pendant trois jours en avril pour une artère coronaire bouchée ayant provoqué une embolie. « Il ne va pas très bien, tout ça l’affecte », confirme son amie MarieChristine Arnautu. Cela ne devrait pas l’empêcher d’être présent à l’audience le 12 juin. « J’y serai, en personne… », a-t-il assuré. Ce jour-là, le bureau politique du FN doit se réunir pour fixer l’ordre du jour exact de l’assemblée générale extraordinaire. « Le Pen, c’est le passé, c’est fini. On a fait une croix dessus », veut croire un dirigeant frontiste. Mais quand le procédurier s’en mêle, les certitudes peuvent être mises à mal. p olivier faye festival 2 juin - 2 juillet musique théâtre danse vidéo SAMEDI 6 JUIN 15h-21h 20h30 Portes ouvertes à l’Ircam Fado Venez expérimenter par la pratique et le jeu les dernières innovations pour la musique et le son Centre Pompidou, Grande salle PLACE IGOR-STRAVINSKY Fado errático, création de Stefano Gervasoni d’après Amália Rodrigues Percussions avec Daniel Ciampolini (Xenakis, Reich, Ciampolini) Ping Song : le tennis de table musical Avec Cristina Branco et l’Ensemble Cairn À L’IRCAM manifeste.ircam.fr 01 44 78 12 40 Performances, démonstrations, conférences… BelleVille 2015. Tomás Saraceno, Sunny Day, Airport City, 2006. © Photography and collage by Studio Tomás Saraceno, 2006 J ean-Marie Le Pen est un procédurier. Du temps où il dirigeait le Front national, le parti d’extrême droite quittait rarement les prétoires, trop occupé qu’il était à porter devant la justice le moindre cas supposé de diffamation ou d’injure. « On avait deux ou trois procès par semaine, ça n’arrêtait jamais », se souvient avec amusement un cadre du parti. Cette manie, l’ancien président du FN la retourne aujourd’hui à la fois contre son parti et contre sa fille, Marine Le Pen. Le député européen a annoncé, mardi 2 juin, avoir déposé une assignation à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour faire annuler la suspension de sa qualité d’adhérent du FN, décidée le 4 mai. « Je veux que cesse l’infamie de ma suspension », a réclamé M. Le Pen, dénonçant les « méthodes staliniennes » utilisées selon lui par la direction du parti. L’audience doit avoir lieu le 12 juin, a-t-il annoncé. EVRY - BUREAUX JOURS DUVIVIER LIQUIDATION JUDICIAIRE KALKALIT GENEVRY/SELAFA M.J.A. 102, rue du Faubourg St Denis - CS10023 – 75479 PARIS Cedex 10 Tél : 01.44.24.65.65 – [email protected] DU 3 AU 13 JUIN 10 JOURS QUI CHANGENT LA NUIT ! Ensemble immobilier bureaux/activité (2003), 1, rue Pierre Fontaine, Evry (91), au cœur du technocentreGENOPOLE,2 986 m²env.parkingsextérieurs et intérieurs. Locataire unique bail de douze ans dont neuf ans fermes. Toute proposition d’acquisition devra être déposée préalablement sous pli cacheté en l’Etude de Maître Van Kemmel, huissier de justice au TC Paris - 1, quai de Corse, PARIS 4e, avant le 15 juin 2015 à 17 heures. Date d’audience : 16 juin 2015 à 14 heures. 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C’est aussi que la discipline, prompte à exacerber les passions, vient d’être soumise à un flot de critiques. Les détracteurs des nouveaux programmes y ont vu un enseignement de l’islam aux dépens de la chrétienté, une logique de repentance privilégiée aux Lumières ou à la Renaissance, et également critiqué les thématiques laissées au libre choix des enseignants… Une instrumentalisation politique sans rapport avec la réalité de ces nouveaux programmes, annoncés pour la rentrée 2016. Si la logique chronologique est désormais acquise, les projets de programmes sont amenés à évoluer. Le CSP ne l’a jamais caché : ils sont « perfectibles ». Dévoilés mimars, ils seront amendés après la phase de consultation des enseignants, qui doit s’achever mi-juin. Une deuxième version est promise en septembre. Parmi les inflexions qui se devinent, la disparition – au moins sur la forme – du distinguo entre des thématiques « obligatoires » (en gras dans le document initial) et d’autres « facultatives ». Cette nouveauté, sur laquelle les milieux conservateurs avaient focalisé le débat, inquiète aussi les enseignants. « On peut craindre une inégalité territoriale entre les établissements quant aux sujets choisis », résume Hubert Tison, de l’Association des professeurs d’histoiregéographie, conviée à l’une des tables rondes le 3 juin. L’inquiétude existe aussi parmi Les Clionautes, autre association d’historiens et de géographes de terrain invitée au forum. « Faire le tri entre ce qui est facultatif et ce qui est obligatoire, cela revient à établir une hiérarchie de valeurs, ce qui nous laisse circonspects, témoigne La place de l’islam dans les nouveaux programmes n’est pas remise en question, mais il n’est pas exclu de le traiter dès la 6e plutôt qu’en 5e Bruno Modica, enseignant à Béziers et président des Clionautes, tout en soulignant que « donner de la latitude aux professeurs en fonction de leur formation et de la réalité de leur classe semble nécessaire ». Pour « sortir du cercle infernal des programmes impossibles à boucler », comme le dit Michel Lussault, le président du CSP, l’instance entend « valoriser les choix historiographiques plutôt que thématiques ». L’objectif, lui, reste le même : « Aider les enseignants à choisir ce qu’ils vont abandonner dans le cadre de la scolarité obligatoire », assume ce géographe de métier. Pas sûr qu’il apaise ainsi les craintes d’un « nivellement par le bas » brandi par les opposants aux réformes engagées. La place de l’islam dans les nouveaux programmes n’est pas remise en question. Ce qui l’est, semble-t-il, c’est le « moment » auquel cet enseignement sera abordé : il n’est pas exclu de le traiter dès la 6e (plutôt qu’en 5e , comme aujourd’hui), c’est-à-dire en même temps que le christianisme et le judaïsme, pour constituer un bloc sur les monothéismes. De ce choix pourraient en découler d’autres. Parmi les pistes explorées, l’abandon de la préhistoire en 6e et le fait d’avancer en classe de 4e l’enseignement de la première guerre mondiale. Celle-ci est souvent abordée en fin d’année, quand les enseignants préféreraient le faire plus tôt et plus sereinement. « Jusqu’où aller dans l’histoire contemporaine ? Quand faire commencer l’histoire ancienne ? Pourquoi ne pas inclure l’histoire de la Chine ? Pourquoi ne pas miser sur des programmes plus internationaux ? Les interpellations d’historiens sont aussi nombreuses que variées, reconnaît le président du CSP. Mais il nous faut lutter contre la tendance naturelle à rajouter de nouveaux chapitres. » Quant à la polémique sur une histoire enseignée sous la forme d’un « roman national » ou « Un signal d’apaisement » N’en déplaise à Michel Lussault, qui assure que ce forum était prévu de longue date – « Pas dans une perspective de négociations, mais d’échanges et de débats », dit-il –, les discussions programmées mercredi ressemblent fort à une opération déminage du ministère de l’éducation nationale. D’autant que la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, doit venir les ouvrir. « Ce n’est pas la première fois qu’un colloque sur l’histoire est convoqué par le pouvoir politique », rappelle l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, citant notamment celui organisé à la demande de François Mitterrand en 1984. « Evidemment que la ministre donne ainsi un signal d’apaisement, mais je n’y vois pas, bien au contraire, un signe d’affaiblissement du CSP, insiste l’historien, ni un démenti des changements introduits. » L’instance indépendante créée par la loi de refondation de juillet 2013 n’entend pas revenir sur l’essentiel : la présentation des programmes par cycles – sur trois ans plutôt que sur un seul –, fixant les objectifs à atteindre, plutôt que le niveau à acquérir, selon une « logique curriculaire » en vigueur chez nombre de nos voisins européens… Une formule qui peine à s’enraciner en France. Michel Lussault reconnaît « avoir probablement sous-estimé la difficulté intrinsèque » à concevoir de tels programmes, « et la rupture culturelle » qu’ils induisent. p mattea battaglia et séverin graveleau SAMEDI 6 JUIN 2015 10H-17H s. gr © aetb - Fotolia.com S PART DE AIRES EN « Manque d’ambition » De son côté, l’Académie des sciences ne mâche pas ses mots pour dire tout le mal qu’elle pense d’un projet dont la partie scientifique sera mise au débat vendredi : « Ces programmes ne sont pas satisfaisants pour des raisons structurelles. » Ses membres n’ont pas apprécié de ne pas être sollicités en amont de la rédaction des nouveaux programmes. Dans un avis rendu le 27 mai et intitulé « L’excellence pour tous », ils dénoncent « le manque d’ambition » et la « perte significative » de contenu dans ces documents construits « autour de compétences plutôt que de connaissances ». La lecture des textes concernant les disciplines scientifiques en cycle 4 tempère un peu leur propos. Ces programmes sont en effet organisés en termes d’« attendus de fin de cycle », donc de compétences, mais, pour chaque thème étudié – « nombres et calculs » en maths, par exemple, « la terre et le vivant » en SVT –, les « connaissances associées » ou les « contenus scientifiques » correspondants sont bien précisés. Alors que l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public estime « l’esprit global de la réforme (…) assez conforme aux revendications de l’association », l’Académie des sciences juge négativement la nouvelle approche sur les mathématiques. La discipline serait « isolée » des autres sciences et aurait même perdu « presque entièrement ce qui fait [sa] substance : la capacité de démontrer ce qu’on affirme ». Récemment invité de la Chaîne parlementaire (LCP), Cédric Villani, Médaille Fields 2010, ne disait pas autre chose : « A cet âge-là, au collège, la découverte mathématique la plus importante est d’apprendre à faire un vrai raisonnement et une démonstration. Or (…) il manque dans ces programmes tout ce qui peut faire l’excitation intellectuelle. » Une critique difficile à évaluer pour le néophyte. Le président du CSP a justement prévu de mettre cette question « difficile » au menu du prochain forum consacré à cette discipline. p RCLE CE Mais en pariant sur le fait que, étant spécialistes de leur discipline, ils connaissent parfaitement les grands auteurs pour les avoir abordés pendant leur formation, on enlève à certains une « béquille » pédagogique, craint l’Ecole des lettres. Elle évoque aussi un risque de « dispersion des œuvres étudiées ». Oral, écriture, lecture, étude de la langue ; les composantes du travail en français sont structurées dans quatre grands thèmes : « Se chercher, se construire », « Vivre en société, participer à la société », « Regarder le monde, inventer des mondes », « Agir sur le monde ». L’Association des professeurs de lettres dénonce « une large évacuation des contenus au profit de simples savoir-faire ou, pire, de “savoir-être”, parfois proches de l’endoctrinement et du formatage de l’individu et qui transparaissent dans [ces] thèmes bien-pensants ». La Liberté guidant le peuple Eugène Delacroix D ans les prochaines semaines, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a prévu d’autres « séances de réflexion » que son colloque du mercredi 3 juin sur l’histoire. Objectif : recueillir les avis d’experts, de scientifiques, d’intellectuels, sur certains aspects disciplinaires de ces projets. « Ce n’est pas une manière de mettre la poussière sous le tapis, plaide Michel Lussault, le président du CSP, mais d’aller plus loin dans la logique de discussion (…) pour trouver les meilleurs choix d’écriture et de présentation [des nouveaux programmes] afin que l’évolution soit irréversible. » Reste que ces tables rondes sont surtout organisées dans les disciplines focalisant les critiques. Lors de la journée de réflexion sur les programmes de français, le 17 juin, le CSP sera sans aucun doute interrogé sur la suppression de la liste d’œuvres en fin de cycle 3 (classe de 6e) et pendant tout le cycle 4 (de la 5e à la 3e). « Où sont les œuvres ? » s’interroge l’Ecole des lettres, la revue pédagogique des professeurs de français. Si les genres littéraires à étudier sont bien précisés – « récits autobiographiques », « poésie lyrique », « épopée », « théâtre » –, aucune recommandation d’ouvrages ou d’auteurs n’est de fait apportée dans la première mouture. C’est toute la question de la liberté pédagogique accordée, dans les nouveaux textes, aux enseignants, véritable leitmotiv du CSP, qui y voit une réponse à leur plainte, historique, de programmes « impossibles à boucler ». IHEDN/Service communication / 2015 Mathématiques, français… les autres points de crispation IHEDN AGENCE D’IMAGES DE LA DÉFENSE ÉCOLE MILITAIRE, 21 PLACE JOFFRE PARIS 7 e – ENTRÉE LIBRE – WWW.IHEDN.FR 12 | france 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Outreau : « Les faits, vous en avez trouvé alors ? » Mardi, cinq acquittés ont témoigné pour réaffirmer l’innocence de Daniel Legrand I ls sont venus, tous, les treize acquittés de l’affaire d’Outreau, prêts à défiler l’un après l’autre à la barre des témoins devant la cour d’assises de Rennes. Mais sitôt ce chiffre écrit, il faut le rectifier. En fait, ils sont deux de moins. L’un a été fauché par une crise cardiaque en 2009, l’autre par un cancer en 2012. On s’apprêterait à en compter onze. On aurait encore tort. Dix viennent donner leur témoignage le temps d’une journée, tandis que le onzième comparaît, lui, dans le box depuis deux semaines déjà. Mardi 2 juin, l’incroyable loterie judiciaire de l’affaire d’Outreau joue son va-tout : d’un côté, les acquittés-témoins qui repartiront en train le soir même ; de l’autre, l’acquitté-accusé qui risque vingt ans de prison. Ni preuve ni élément nouveau n’ont pourtant été découverts : c’est un coup de procédure, comme on dirait un coup de dés, qui a séparé l’un d’eux de tous les autres, quinze ans après le début de l’affaire. « C’est tombé sur Daniel Legrand : ça aurait pu être moi », raconte un des dix autres. Aux portes de la cour d’assises, les gens qui se bousculent ont renoncé à comprendre – pour la plupart – les raisons de ce nouveau procès. Trop compliqué. « Aucune importance, Outreau c’est la folie depuis des années, non ? », lance un retraité. Il est venu « pour les têtes d’affiche, les fameux acquittés », égrenant sur ses doigts « l’huissier, le curé, le taxi, la boulangère ». Derrière lui, une enseignante applaudit déjà à la parade des innocents triomphants « qui ont tous été indemnisés avec les excuses de la République ». C’est l’inverse qui va se produire. « La première fois que j’ai vu les autres ? » Alain Marécaux répète la question du président Philippe Dary. « Aux assises de SaintOmer. » C’était en 2004, la grande époque d’Outreau, si l’on ose dire : 17 accusés dans le box, 17 enfants à la partie civile (tous mineurs), un réseau pédophile international avec un berger allemand dressé pour les sévices, une ferme en Belgique et des petits enfants de pauvres livrés à des notables. Marécaux appartient à cette catégorie, un huissier possédant manoir, gros 4×4 et un enfant dans la même classe que Dimitri Delay. Comme ses trois frères, Dimitri a dénoncé ses parents, Myriam Badaoui et Thierry Delay, puis s’est mis à accuser des gens, jusqu’à plus de 70 de leur « faire des manières ». L’huissier et sa femme sont sur une de ses listes. Marécaux, 51 ans, n’était sûr que d’une chose en s’asseyant dans le box à Saint-Omer : « Mon innocence et celle de ma femme. » Et les autres accusés ? A l’époque, il préfère ne pas leur adresser la parole. Comment imaginer un juge d’instruction assez fou pour arrêter autant de monde sans une enquête solide ? Le réseau existe et eux doivent en faire partie, Marécaux en est sûr. Il mettra plusieurs semaines à l’audience pour se rendre compte qu’il n’y a ni berger allemand ni Belgique et que chacun d’entre eux vit, en réalité, la même chose. C’est toujours le cas aujourd’hui. L’huissier parle de ses deux fils, placés en foyer après son arrestation. L’aîné habite dans un camion, touchant le RSA, aucun n’a voulu faire des études. L’huissier va pleurer. L’huissier pleure. On n’en est qu’au début. A voir passer les acquittés l’un après l’autre, c’est le dossier en accéléré qui commence par défiler. « Nous allons parler des faits », annonce le président à Dominique Wiel, prêtre-ouvrier à la retraite. Et lui lève son sourcil de vieil em- Le cas à part Daniel Legrand La comparution de Daniel Legrand dans le procès Outreau 3 ressemble à une question d’examen pour étudiant en droit. Legrand a, en effet, fêté ses 18 ans en 1999, passant de mineur à majeur au milieu de la période des faits poursuivis, de 1997 à 2000. Le cas arrive régulièrement. En général, les magistrats tranchent au plus simple : les accusés concernés sont renvoyés devant les assises des mineurs. Mais ce détail de minorité échappe, à l’époque, au juge d’instruction. Pour rattraper l’affaire, la chambre d’instruction de Douai prend une autre option, légale mais ahurissante : disjoindre le cas Legrand. Il sera bien jugé avec les autres – et donc acquitté – pour les faits postérieurs à sa majorité, mais comparaîtra seul devant les assises des mineurs pour la période précédente. L’HISTOIRE DU JOUR Prostitution : l’Assemblée refait ce que le Sénat avait défait L a « longue, longue route de la lutte contre le système prostitutionnel » qu’a empruntée la députée socialiste de l’Essonne Maud Olivier arriverait-elle à son terme ? Mardi 2 juin au soir, la rapporteure pouvait en tout cas se féliciter d’avoir fait adopter sa proposition de loi sur la prostitution en deuxième lecture par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, en rétablissant ce que le Sénat avait défait. Si le président de la commission, Guy Geoffroy (Les Républicains, Seine-et-Marne) a plusieurs fois rappelé qu’elle n’est « pas le premier objectif du texte », la disposition visant à pénaliser les clients d’actes sexuels est sans conteste la mesure de la loi qui, depuis le début, cristallise le plus les débats. Supprimée par les sénateurs, elle a été rétablie en commission – assortie d’un stage de sensibilisation obligatoire pour le client – à l’écrasante majorité des présents, les députés de l’opposition ayant déserté les lieux depuis un moment déjà. A gauche, seul Sergio Coronado, député des Français de l’étranger (EELV), a voté contre, jugeant que l’« efficacité de la mesure n’a pas été démontrée ». Suppression du délit de racolage passif L’élu écologiste a en revanche suivi les voix de ses collègues socialistes – et du président de la commission – pour supprimer le délit de racolage passif. Introduit dans le code pénal en 2003 par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, celui-ci avait été abrogé par l’Assemblée lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi fin 2013 puis rétabli en mars par le SéSUPPRIMÉE PAR nat, repassé à droite à l’issue des élections de septembre 2014. TouteLES SÉNATEURS, fois, les députés de la commission spéciale ne se sont pas contentés de LA PÉNALISATION défaire le travail de leurs collègues sénateurs, puisqu’ils ont maintenu DES CLIENTS la possibilité de bloquer administraA ÉTÉ RÉTABLIE tivement les sites Internet proposant un accès à la prostitution, alors EN COMMISSION qu’ils s’étaient refusés à la voter lors de l’examen en première lecture. Enfin, les élus ont renforcé les mesures d’incitation pour encourager les femmes à sortir de la prostitution et, surtout, à témoigner contre leur proxénète. Ils ont, là encore, suivi leurs collègues sénateurs en maintenant à un an la durée du titre de séjour provisoire accordé aux personnes étrangères voulant sortir de la prostitution – et non six mois, comme le souhaitait la rapporteure, Maud Olivier. Cette « loi très attendue », selon les mots de Catherine Coutelle, présidente PS de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée, devra encore passer l’épreuve du débat en séance, prévue pour le 12 juin au matin. Soit plus d’un an et demi après le dépôt de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. p hélène bekmezian merdeur : « Les faits, Monsieur le Président ? Vous en avez finalement trouvé alors ? » Karine Duchochois est passée chez le coiffeur, tenue particulièrement soignée. « Je suis venue en me disant je suis superforte, ça ne me fait rien. » Elle a voulu montrer à tous qu’on peut sortir d’Outreau par le haut, faire d’un malheur sa chance, devenir chroniqueuse judiciaire elle, cette mère de 18 ans qui avait 20 kilos de trop et passait ses journées à la Tour du Renard, dans le même HLM que Myriam Badaoui. « On était les pions du juge Fabrice Burgaud, il n’écoutait rien. Et puis… » Et puis, elle craque, brusquement secouée de sanglots. « Je tremble devant vous » C’est le moment où la saga judiciaire se noie dans les larmes. Roselyne Godard, apparaît, la boulangère. Elle raconte l’euphorie des premières années après son acquittement, les études de droit pour devenir avocate, comme Eric Dupont-Moretti, son défenseur. Il allait la prendre en stage, elle le lui avait fait jurer. Elle donnait des conférences sur les erreurs judiciaires. Elle a tout arrêté, sans même pouvoir se l’expliquer vraiment, parlant juste « des regards insistants » quand elle disait « Outreau » et de sa brusque envie de « disparaître ». Aujourd’hui, « je vis recluse, aucune vie sociale. L’idée de ce témoignage à la barre a déjà été un cauchemar ». Et puis, arrive une autre acquittée qui doit se raccrocher au micro pour ne pas tomber. Tout de « On était les pions du juge Fabrice Burgaud, il n’écoutait rien » KARINE DUCHOCHOIS acquittée du procès Outreau suite, elle crie : « Je tremble devant vous, regardez-moi, j’avais tant de choses à vous dire, je ne le peux plus. On vit avec Outreau jusqu’à la mort. Sans mon traitement, je ne serais pas là. Ce qui se passe est une horreur : Daniel, ils t’ont mis dans le box, c’est dégueulasse. » D’un coup, l’acquitté Daniel Legrand, 33 ans, sursaute sur le banc des accusés, tiré de son propre brouillard de médicaments. Les faits qu’on lui reproche remontent à plus de quinze ans, déjà débattus par deux cours d’assises, trois commissions d’enquête et sont pour partie couverts par un non-lieu. Quelques heures plus tôt, après un interrogatoire, un avocat de la partie civile rappelait qu’un journal avait annoncé à l’époque la saisie de cassettes vidéo avec des scènes de viols. « Pourquoi ne pas avoir dit au juge d’instruction “visionnez-les, vous verrez que je ne suis pas dessus” ? » Et l’acquitté Legrand avait répondu, sérieux comme un accusé : « C’était une bonne solution, mais je n’y ai pas pensé. J’avais 19 ans, j’étais perdu. » La situation prêterait à rire si elle ne faisait pas si peur : aucune cassette de ce Didier Lebret, un diplomate pour coordonner le renseignement Il remplace à ce poste Alain Zabulon parti chez Aéroports de Paris U n diplomate remplacera un préfet pour coordonner les activités de la communauté du renseignement français. Le conseil des ministres de mercredi 3 juin devait nommer Didier Le Bret, directeur du centre de crise au ministère des affaires étrangères, au poste de coordinateur du renseignement, fonction rattachée au président de la république. Il succédera à Alain Zabulon. Alors que la discussion parlementaire bat encore son plein sur la future loi sur le renseignement et que le préfet Zabulon avait été, ès qualités, l’une des chevilles ouvrières du texte gouvernemental, son départ inattendu, « à sa demande » a-t-il tenu à préciser, rappelle que le contrôle politique sur l’activité des services secrets est encore en chantier. Préfet de Corrèze M. Zabulon avait pris ses fonctions le 19 juin 2013. Nommé pour ses liens de confiance avec le chef de l’Etat, il avait notamment été préfet de Corrèze en 2008, puis des Landes en 2011, avant de devenir directeur adjoint du cabinet de François Hollande à l’Elysée en 2012. Lundi 1er juin, les Aéroports de Paris (ADP) ont annoncé que M. Zabulon arrivait dans l’entreprise au poste de directeur de la sûreté, du management des risques et de la conformité. Le coordinateur national du renseignement (CNR) est une fonction qui a été créée, en 2008, par l’ex-chef de l’Etat Nicolas Sarkozy qui entendait par cette décision contrebalancer, par un contrôle accru sur les services secrets, le pouvoir qu’il leur avait octroyé en moyens financiers et techniques. Mais faute de ressources propres et contraint par des effectifs réduits, le coordinateur n’a encore jamais pu s’imposer face aux puissants directeurs généraux des services secrets, notamment ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la sécurité intérieure (DGSI). Le coordinateur est supposé centraliser les questions de planification des moyens humains et techniques des services spécialisés de renseignement, s’assurer du bon usage des fonds publics et de la bonne entente entre les six services constituant la communauté française du renseignement, DGSE, DGSI, Direction du renseignement militaire (DRM), police militaire (DPSD), les douanes (DNRED) et l’autorité antiblanchiment (Tracfin). Le premier à avoir occupé cette fonction, l’ambassadeur Bernard Bajolet, est aujourd’hui à la tête de la DGSE. Nommé en 2008, il était parti en 2011 faute d’avoir pu installer ce poste dans toute sa légitimité. Ancien policier devenu préfet, Ange Mancini, très proche des services de renseignement, lui avait succédé et s’en était accom- A la tête du centre de crise du Quai d’Orsay, M. Lebret a milité pour que la France cesse de payer les rançons exigées par les ravisseurs modé avant de laisser la place à M. Zabulon. Si le coordinateur doit surtout déposer, tous les soirs, une note de synthèse de l’activité des services sur le bureau du président de la République, il est, en théorie, au cœur d’une évolution fondamentale de la stratégie en matière de défense en France. Depuis les derniers Livres blancs sur la défense, notamment celui de 2008, le renseignement s’est vu reconnaître une place à part entière, voire centrale, dans la protection du pays et de ses intérêts. Rouage essentiel Le départ de M. Zabulon est analysé dans le monde du renseignement comme un aveu de faiblesse face aux services et à leurs relais au sein de l’Etat et du Parlement. Il reviendra à M. Le Bret, qui fut ambassadeur à Haïti, et est considéré comme un proche de M. Bajolet, d’inscrire la fonction de coordinateur dans toute sa plénitude et comme un rouage essentiel de l’Etat, ce qu’il n’est pas encore. A la tête, depuis 2012, du centre de crise du Quai d’Orsay, qui coordonne toute la prise en charge, à l’étranger, des victimes françaises d’attentats, de prises d’otages ou de catastrophes naturelles, M. Le Bret est un interlocuteur régulier des services de renseignement. A ce poste, il avait, avec M. Bajolet, alors ambassadeur en Afghanistan, milité pour que la France cesse de payer les rançons exigées par les ravisseurs de ses ressortissants. Un engagement repris par M. Hollande avant qu’il ne change d’avis lors de la libération des otages français en Afrique. p jacques follorou type n’a jamais été découverte, pas plus que le sex-shop ou la maison en Belgique que l’acquitté Daniel Legrand et son père, également acquitté, étaient censés posséder. Pierre Martel, chauffeur de taxi, 56 ans, s’avance à la barre, le dernier à témoigner, grand sourire, confiant. Dans toute l’affaire, il est le seul à qui une date précise a été reprochée. Le dimanche 28 mai 2000, il aurait convoyé en Belgique une voiture pleine d’enfants. Ce jour-là, il disputait un tournoi au Golfe d’Hardelot. Martel vient de prendre sa retraite. Heureux. « Vous avez reconnu Daniel Legrand lors d’une confrontation en garde à vue pour l’avoir chargé en taxi avec Myriam Badaoui à la Tour du Renard », lui demande Léon-Lef Forster, un des avocats de la partie civile. Pierre Martel : « Je n’en étais pas sûr, mais les enquêteurs m’ont dit : “il faut dire oui ou non. Ici, il n’y a pas de peut-être”. » Le golfeur sourit toujours, paisible. Mais l’avocat tempête. « Vous voulez dire que les policiers ont changé vos propos ? Je demande à ce qu’ils soient convoqués pour vous être opposés. » Martel ne comprend pas, ses mêmes déclarations ont déjà été faites et débattues pendant des heures à Saint-Omer, puis à Paris. « Je l’avais confondu avec un autre, mais je m’en suis rendu compte qu’une fois revenu à la geôle. » Comme un funambule sur le vide du dossier, Me Forster continue : « Ils ont menti donc ? » Alors, Pierre Martel se met à pleurer. p florence aubenas F RAU D E F I S C ALE La justice ouvre une enquête sur Thévenoud Le parquet de Paris a ouvert, mardi 2 juin, une enquête pour fraude fiscale visant le député Thomas Thévenoud. L’ancien socialiste avait dû quitter le gouvernement en septembre 2014 après des révélations sur le non-paiement de ses impôts. Cette enquête fait suite à une plainte de Bercy. – (AFP.) EN T R EPR I S E Le texte sur le dialogue social adopté par l’Assemblée nationale L’Assemblée nationale a adopté, mardi 2 juin, en première lecture, le projet de loi sur le dialogue social qui vise à simplifier les règles de négociations au sein des entreprises. Le texte, qui sera examiné par le Sénat dès le 22 juin, a rassemblé 301 voix (238 contre et 13 abstentions). – (AFP.) POLI C E Démantèlement d’une filière djihadiste présumée à La Réunion Cinq personnes ont été interpellées par la police mardi 2 juin à Saint-Denis dans le cadre d’investigations menées sur les réseaux islamistes à La Réunion. Elles ont été placées en garde à vue pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». R ÉGI ON ALES Le Parti radical de gauche met la pression sur le PS Le président du Parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, déplore, dans une interview au Figaro publiée mercredi 3 juin, que les négociations avec le PS n’aient pas commencé pour les régionales. Il réclame une tête de liste et menace de ne pas soutenir Carole Delga, secrétaire d’Etat PS investie en Midi-PyrénéesLanguedoc-Roussillon, « sans accord global ». campus | 13 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Les étudiants s’essaient aux « FabLab » Universités et grandes écoles proposent à leurs élèves ces laboratoires de fabrication nés aux Etats-Unis U ne odeur âcre de plastique brûlé et de sciure emplit les couloirs de l’université de CergyPontoise sur le campus de Gennevilliers (Haut-de-Seine). « Bienvenue au FacLab, tonne Adel Kheniche, 23 ans. Vous pensiez que nous n’étions qu’un atelier de bidouillage électronique ? Eh bien non ! » Dans ce laboratoire de fabrication de 240 mètres carrés, offrant trois ateliers aux bricoleurs manuels ou numériques, hackers et néophytes, Adel Kheniche est « fab manager » ou « facilitateur ». Sa mission : « fab manager » ou « facilitateur ». Sa mission : « accompagner des projets, créer des synergies entre les utilisateurs du laboratoire et construire un savoir collectif plutôt que de le dispenser », explique Laurent Ricard, cofondateur du lieu. Imaginé aux Etats-Unis, à la fin des années 1990, au sein du Massachusetts Institute of Technology LE CONTEXTE Sous les projecteurs depuis 2013 En 2013, le gouvernement avait lancé un appel à projets pour favoriser l’éclosion des « FabLab » (laboratoires de fabrication). Récompensant seulement quatorze dossiers, il avait fait de nombreux déçus. L’un d’entre eux était présenté par l’université de Reims - Champagne-Ardenne (Institut de formation technique supérieur - IFTS) afin de renforcer son FabLab « Smart Materials » consacré aux matériaux intelligents. Des établissements du supérieur étaient aussi partenaires des treize autres projets lauréats, tels le Pôle de recherche et d’enseignement supérieur de Toulouse, l’université du LittoralCôte d’Opale et son école d’ingénieurs, Télécom Bretagne, Polytech Orléans ou bien l’Ecole polytechnique (comme partenaire de la société coopérative d’intérêt collectif Made in Montreuil), qui s’étaient joints aux platesformes de recherche des pôles de développement locaux, des collectivités territoriales, des entreprises ou des chambres de commerce. (MIT), le concept de « FabLab » (laboratoire de fabrication) a essaimé un peu partout dans le monde depuis quelques années. Il a notamment fait école dans des incubateurs et des universités. Compte tenu des exigences imposées – notamment d’ouverture au public – pour être membre du réseau du MIT, peu d’établissements ont un véritable FabLab, tel que celui de Cergy-Pontoise. Mais beaucoup s’inspirent du principe. Traditionnellement, les écoles techniques offrent aux étudiants la possibilité d’accéder à des machines professionnelles. Mais, aujourd’hui, la demande d’un équipement plus complet émane des étudiants comme des enseignants. La fréquentation du FabLab fait parfois partie d’un cursus validé par des crédits d’enseignement (ECTS). Plus souvent, ces ateliers restent un outil au service des étudiants et de leurs projets. Club social 2.0 Au FacLab de Cergy-Pontoise, il faut déposer une bille dans un pot pour notifier sa venue. « Un peu plus de 10 000 en trois ans d’existence », précise Adel Kheniche. Il faut dire que les équipements, ouverts à tous, ont de quoi attirer : tours numériques, thermo-formeuse, outils de découpe laser pour tous les matériaux, du cuir au Plexiglas en passant par l’aluminium et le bois. « On a une expression ici : si tu veux construire une armoire en chêne, tu peux apporter ton chêne et on te prêtera les outils », sourit Adel Kheniche. Mais c’est la multitude d’objets connectés, dont il a permis l’élaboration, qui le distingue : robots téléguidés, veste de cycliste à clignotants en LED, potager urbain qui gère automatiquement l’humidité, la température et l’exposition nécessaires à la croissance des plantes… ou vase numérique construit, de la glaise aux circuits imprimés, par des étudiants en licence pro de développement Web et mobile. Depuis la rentrée 2013, le FabLab propose également trois diplômes universitaires en initiation à la fabrication numérique personnelle, en métier de facilitateur et en développement de FabLab. « A vrai dire, nous avons créé ces diplômes pour montrer aux gens qu’ils n’avaient pas besoin de diplômes, s’amuse Emmanuelle Roux, cofondatrice du lieu. A travers un vé- Au FacLab de Cergy-Pontoise, le 29 mai. MATTEO MAILLARD POUR “LE MONDE”. Ce concept de « fabrique » a essaimé un peu partout dans le monde depuis quelques années ritable apprentissage avec de vrais contenus, nous voulions surtout introduire les étudiants à de nouvelles façons d’apprendre et de se réapproprier les moyens de leurs connaissances. » Derrière ses airs de club social 2.0 à la convivialité affichée, le FabLab est en réalité un « objet pédagogique non identifié », souligne-t-elle. Il s’agit de forger une communauté du savoir où « tout apprenant devient sachant à son tour » et partage sa connaissance. L’Ecole centrale dispose aussi depuis trois ans de sa propre « fa- brique », plus modeste. L’aventure a commencé il y a sept ans avec l’achat d’une machine de maquettage et de prototypage rapide, explique Pascal Morenton, responsable et cofondateur de cette structure. Objectif : créer un cours de mise en situation, inscrit dans le cursus. Des équipes de quatre élèves – deux spécialisés en mécanique et deux en électronique – réalisent « un mini-projet qui part de la conception et arrive à un prototype en trente-six heures », explique l’enseignant en mécanique et informatique. Les élèves travaillent pour une société virtuelle et doivent prendre en compte tous les aspects, y compris économiques, afin de prévoir une industrialisation ultérieure. Ce qui les amène à demander des devis, y compris en Chine, à comparer les prix et à défendre leur offre devant le jury des professeurs, qui jouent le rôle des donneurs d’ordre. Récemment, un projet d’assistance à la conduite d’ambulances a été mené, pour éviter les accélérations trop fortes pour le malade : un boîtier, fixé au brancard, transmet des alertes sur le tableau de bord du conducteur. Opération réussie : le projet a été développé et est en phase de test. Multiplication d’initiatives Cette pédagogie par projet permet de confronter les étudiants au réel et ils s’y investissent beaucoup plus que dans les cours traditionnels, souligne M. Morenton : « Il y a dix ans, je faisais beaucoup de conception assistée par ordinateur (CAO) et une présentation en 3D assurait un silence religieux dans l’amphi. Aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Il faut aller jusqu’au prototype. On a un peu trop oublié les fondamentaux au profit du théorique. Il faut que les élèves aient dans les mains des pièces techniques. » Outil de cours, la fabrique de Centrale Supélec doit prendre de l’ampleur à l’occasion du déménagement de l’école, dans deux ans, à Saclay. Les initiatives continuent à fleurir. Parmi les dernières-nées figure la « Fabric’INSA », qui a démarré ses travaux à Toulouse en mars 2015, dans des locaux mis à sa disposition par l’école publique d’ingénieurs. Estimant qu’un laboratoire de fabrication est aujourd’hui aussi utile qu’une bibliothèque, un groupe d’étudiants de l’INSA Toulouse avait soumis son projet et reçu le soutien de l’école : 20 000 euros ont été investis dans le matériel (imprimantes 3D, poste de développement de circuits imprimés, etc.), financés par la fondation INSA. Si, à Toulouse, les sessions ne sont pas des travaux pratiques et ne donnent pas droit à des ECTS, « le but est de faciliter des échanges encore plus informels entre élèves et professeurs, dans l’optique des cours », explique Henri Cazottes, étudiant en 3e année et président de l’association qui porte cet atelier numérique. p adrien de tricornot et matteo maillard Des entrepreneurs en herbe sur les campus Le gouvernement fait un bilan « positif » du plan « Pépite » après sa première année universitaire de mise en place, malgré un démarrage lent O bjectif : 20 000 entrepreneurs étudiants en 2017. L’objectif fixé par l’Etat au programme Pépite (Pôle étudiant pour l’innovation, le transfert, l’entrepreneuriat) est ambitieux. A l’issue de sa première année universitaire, on n’y est pas encore, mais « le démarrage est très positif », se réjouit Jean-Pierre Boissin, responsable de la mission nationale Pépite. « Neuf mois après le lancement du programme, il est mis en œuvre partout. C’est parti. » Ce plan national, lancé en septembre 2014, est destiné à développer l’esprit d’entreprise et d’innovation sur les campus. La méthode mise en œuvre est novatrice : pédagogie par projet, atelier de créativité, pluridisciplinarité, mélange des étudiants indépendamment des niveaux et des disciplines… « Seuls 3 % des créateurs d’entreprise sont étudiants, regrettait Geneviève Fioraso, alors secrétaire d’Etat chargée de l’enseignement supérieur, en juin 2014. C’est trop peu par rapport aux EtatsUnis, où de grandes entreprises comme Google ou Facebook ont été créées par des étudiants. Il est temps de faire émerger des Zuckerberg à la française ! » Le bilan de cette première année s’établit d’abord en chiffres : 100 000 étudiants sensibilisés à l’entrepreneuriat, vingt-neuf Pépite créés dans toute la France, cinquante lauréats pour le prix national correspondant et, enfin, 643 étudiants dotés du statut d’étudiant-entrepreneur sur 926 candidatures. C’est là un point majeur du plan. Ce statut prévoit un accompagnement par deux tuteurs et la reconnaissance du projet d’entreprise dans les études, lesquelles peuvent être, en outre, aménagées. Quant aux diplômés qui créent une entreprise, ils conservent les avantages sociaux des étudiants pendant un an. Qui sont ces jeunes ? Dans huit cas sur dix, il s’agit d’hommes, d’un vingtaine d’années, qui n’ont pas terminé leurs études. Nicolas Valin, étudiant en deuxième année de master entrepreneuriat à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Grenoble, est l’un d’eux. Avec deux copains d’enfance, dont l’un étudie dans un autre établissement et l’autre est diplômé, il travaille sur un projet de start-up. L’idée : monter une galerie sur le Net pour distribuer les œuvres de jeunes créateurs numériques. Auraient-ils monté le même projet sans Pépite ? « Je ne sais pas », reconnaît-il. Mobiliser les grandes entreprises Mais une chose est sûre : les facilités permises par le statut leur sont très utiles. Ainsi, alors que leurs condisciples effectuent un stage en entreprise, ils peuvent, eux, se retrouver chaque jour dans un espace de « cotravail », situé au sein de l’IAE, pour peaufiner leur idée. « Nous donner du temps, un lieu et deux tuteurs est vraiment un gros avantage », explique le jeune homme. « Nous testons des hypo- « Nous donner du temps, un lieu et deux tuteurs est vraiment un gros avantage » NICOLAS VALIN étudiant en deuxième année de master entrepreneuriat à l’Institut d’administration des entreprises de Grenoble thèses afin de réduire l’incertitude, raconte-t-il. Les résultats sont encourageants, et les pertes acceptables : on y consacre du temps, mais nous restons étudiants. Les portes restent donc ouvertes. » 643 étudiants au total bénéficient du statut pour 2014-2015. C’est modeste, reconnaît M. Boissin. « Mais le programme n’a été lancé qu’en septembre [2014] !, plaide-t-il. Nous aurons davantage de candidats [en 2015]. Nous allons mieux communiquer, notamment en utilisant les réseaux sociaux. » Il annonce d’autres améliorations. Il faudra, dit-il, affiner l’accompagnement des jeunes créateurs. Il faudra également travailler sur les espaces de cotravail, afin qu’ils atteignent la taille critique « de quarante à cinquante étudiants par espace, et non quatre ou cinq »… M. Boissin souhaite, en outre, « trouver une solution pour éviter d’assassiner » ces entrepreneurs en herbe : le paiement des charges sociales, un an après la création d’une société à responsabilité limitée, peut se révéler redoutable pour une jeune pousse encore fragile. M. Boissin espère, enfin, réussir à mobiliser les grandes entreprises. « J’étais persuadé que les banques nous aideraient, explique-t-il. Mais ce n’est pas le cas. Elles ont pourtant un rôle à jouer pour régénérer le tissu économique du pays. » Sur le terrain, la situation est variable, reconnaît M. Boissin : dans le Centre, l’Aquitaine ou à Lyon - Saint-Etienne, des postes ont été débloqués. Ailleurs, les choses démarrent parfois doucement. C’est le cas au sein du Pépite Bourgogne - Franche-Comté. Le montage concomitant de la communauté d’universités et d’établissements (Comue) a perturbé la mise en œuvre du plan. « On a fonctionné avec un peu de gêne », reconnaît Pascale Brenet, coordinatrice du Pépite. L’enseignante regrette que les 100 000 euros promis par l’Etat « aient mis un an pour [leur] arriver ». « Il y a une forte injonction au développement de l’entrepreneuriat, dont je me réjouis, constate-t-elle. Mais nos moyens sont limités et la temporalité de l’entrepreneuriat n’est pas celle de notre institution. » Un début timide, mais prometteur : « Les premiers retours sont riches, explique Mme Brenet. Nous avons mis les étudiants en mouvement. C’est comme si certains d’entre eux sortaient de l’ombre et osaient plus facilement. » p benoît floc’h 14 | sports 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Opération reconquête pour Tsonga Tombeur de Nishikori, le Français accède pour la deuxième fois en trois ans à une demi-finale porte d’Auteuil C omme un adolescent amoureux en bord de mer, il a tracé de ses pieds ces mots doux sur la terre battue : « Roland je t’aime ». Imitant ainsi un vainqueur, le Brésilien Gustavo Kuerten qui avait dessiné un cœur avec sa raquette en 2001. Puis Jo-Wilfried Tsonga s’est étendu sur le dos, achevant de transformer le court Philippe-Chatrier en plage ocre. Pas de rituelle danse des pouces cette fois-ci. A 30 ans, le numéro 3 français (et quinzième mondial) était d’humeur plus sentimentale que festive pour fêter, mardi 2 juin, son accession aux demi-finales des Internationaux de France, la deuxième en trois ans. Il a d’ailleurs franchi un cran supplémentaire dans la distribution de reliques à son public reconquis : le maillot y est passé quand auparavant il s’était limité au jet de poignets-éponges et de serviette. « Vous m’avez soutenu et je ne l’oublierai jamais, a-t-il lancé, solennel, à la foule. Aujourd’hui, je suis un homme comblé. » Avant lui, Henri Leconte (1986, 1988, 1992) demeurait le seul Français à s’être hissé au moins deux fois dans le dernier carré parisien. Pour le rejoindre, Tsonga est revenu de loin, lors d’un match rocambolesque remporté en cinq manches (6-1, 6-4, 4-6, 3-6, 6-3) et 3 h 45 contre le Japonais Kei Nishikori. Les deux hommes avaient entamé les débats avec une demi-heure d’avance sur les autres quarts de finalistes de la journée, les Suisses Roger Federer et Stanislas Wawrinka, programmés sur le Suzanne-Lenglen. Ils sont repartis avec une heure et demie de retard, ce qui semblait inenvisageable en milieu d’aprèsmidi. Des rafales de vent soufflaient à 30 km/h et une tempête s’abattait sur Nishikori, méconnaissable, ectoplasmique, balayé 1-6 et 1-5. Il s’employa à sauver trois balles de set mais seule une intervention du ciel pouvait le secourir. Ce qui advint avec la chute sur des spectateurs d’un objet volant vite identifié. Le directeur du tournoi, Gilbert Ysern, précisa qu’il s’agissait d’« une plaque d’aluminium de trois mètres de Jo-Wilfried Tsonga après sa victoire contre le Japonais Kei Nishikori, mardi 2 juin, en quarts de finale de Roland-Garros. PASCAL GUYOT/AFP long, déposée au-dessus des panneaux de score pour les protéger des actes désagréables des pigeons ». Cela aurait pu être catastrophique. Il n’y eut qu’un blessé léger à déplorer. Outre des cris d’effroi, l’incident provoqua une suspension de 35 minutes pour « sécuriser la zone », comme annoncé au micro, soit l’évacuation puis la réouverture de la tribune. A la reprise, le vent avait tourné en faveur de Nishikori, qui a honnêtement reconnu que l’interruption lui avait permis de discuter avec son coach Michael Chang et d’abandonner sa calamiteuse tactique de départ. « Kei ne trouvait pas forcément les solutions tout seul, a constaté Tsonga. Il est revenu avec des intentions complément différentes et est parvenu à renverser le match. » En jambes, ajustant enfin ses lignes, le no 5 Dans l’ultime manche, il s’appuya sur son arme fatale, la puissance dévastatrice de son service mondial au bandeau de samouraï prenait l’ascendant. Ses fans retrouvaient le sourire en déployant leurs éventails et leurs drapeaux aux couleurs du SoleilLevant. Les locaux ne s’embarrassèrent plus de fair-play, en applaudissant les fautes du Nippon. Pour s’extraire du piège, Tsonga, qui entendait son nom scandé depuis la place des Mousquetaires, s’ap- puya dans l’ultime manche sur son arme fatale, la puissance dévastatrice de son service. Cet atout l’a projeté en demi-finales, comme lors de la « Tsongamania » de 2013, qui coïncidait avec le trentième anniversaire de la victoire de Yannick Noah, dernier Français à s’être imposé ici. Les circonstances ont toutefois changé. « Jo » était alors tête de série no 6 et sa cote au zénith. Elle s’est brutalement détériorée en novembre 2014 lors de la finale de Coupe Davis contre la Suisse à Lille. En raison de son forfait pour blessure après un match perdu contre Wawrinka, puis de sa participation, dans la foulée, à la lucrative International Premier Tennis League asiatique. Plus que jamais, le fantasque et imprévisible Gaël Monfils fut confirmé comme coqueluche d’Auteuil. Il trimballe Andy Murray, le bon élève Comme Novak Djokovic, le numéro 3 mondial est invaincu cette saison sur terre battue S’ il existait un prix de la « révélation de l’année sur terre battue », il serait probablement décerné à Andy Murray. Et si l’on avait dit au Britannique qu’il débarquerait un jour porte d’Auteuil avec un meilleur bilan sur ocre que Rafael Nadal, il ne l’aurait probablement pas cru. Nous non plus, pour être honnêtes. Le numéro 3 mondial est pourtant le seul joueur, avec le Serbe Novak Djokovic, qui disputent tous deux les quarts de finale de Roland-Garros, mercredi 3 juin, à être invaincu de la saison sur cette surface. Longtemps allergique à la terre, il aura fallu dix ans à Murray avant de décrocher son premier titre sur terre. Le 4 mai, il s’imposait à Munich face au héros local, Philipp Kohlschreiber (28e mondial). Sept jours plus tard, le natif de Dunblane récidivait lors d’un tournoi autrement plus relevé, le Masters 1000 de Madrid. Certes en l’absence du Serbe, numéro un mondial, mais en étrillant en finale un client d’un autre calibre que sa victime allemande en la personne de Nadal (6-3, 6-2). Des résultats probants qui ont fait de lui un sérieux outsider à Roland-Garros. Depuis le début du tournoi, le numéro 3 mondial fait moins parler de lui que ses trois acolytes du « Big Four » (Djokovic, Federer et Nadal). Mais il affiche un niveau de jeu et une solidité dignes de son rang. Jérémy Chardy, éliminé par l’Ecossais lundi (6-4, 3-6, 6-3, 6-2), est le dernier à en avoir fait le constat : « Il joue chaque point à fond, je ne suis pas habitué à avoir face à moi un joueur aussi bon en défense. Vu son niveau, il t’oblige à jouer un coup supplémentaire à chaque fois. Et il met beaucoup de pression », a résumé le Français. En huit participations à RolandGarros, Murray a déjà atteint par deux fois le stade des demi-finales, en 2011 et en 2014, écœuré à chaque fois par l’ogre Nadal. Mais à l’instar de Novak Djokovic, qui n’a jamais été aussi près de trouver la clé face à l’Espagnol, l’Ecossais apprivoise de mieux en mieux le Grand Chelem parisien. « Je pense que je comprends mieux la façon dont il faut jouer sur terre battue, ce qui n’était pas le cas par le passé », a-t-il expliqué lundi en conférence de presse – exercice auquel il se plie avec un enthousiasme qui ferait passer Michel Houellebecq pour un turbulent. Les années passent et le joueur de 28 ans y est toujours aussi mollasson. Sur le terrain, en revanche, le spectacle est sacrément plus nerveux, le garçon étant réputé pour ses monologues débités dans un langage fleuri. Un « effet Mauresmo » ? Devenu l’un des joueurs les plus affûtés du circuit, l’Ecossais n’a plus grand-chose à voir avec l’adolescent maigrichon qu’il était à ses débuts. Selon lui, sa progression relève aussi d’une plus grande régularité : « Par le passé, j’ai parfois manqué de constance, ce n’est plus le cas. J’espère pouvoir maintenir cette constance. Même si ces deux ou trois dernières années, j’ai rencontré des problèmes de santé, notamment au dos. » Une blessure qui l’a contraint à se faire opérer en septembre 2013, quelques semaines après son triomphe historique à Wimbledon. Le numéro 3 mondial n’a pas le charisme d’un Federer ou d’un Nadal, mais, dans le sillage de Djokovic, a su se hisser à un niveau suffisamment élevé pour creuser le fossé avec ses poursuivants. Et s’inviter régulièrement dans le dernier carré des tournois du Grand Chelem. Depuis janvier, il signe l’un de ses meilleurs débuts de saison. Après une finale à l’Open d’Australie (perdue contre Djokovic), Murray a enchaîné avec une demie à Indian Wells, une finale à Miami et ses deux premiers trophées sur ocre. Au point de prendre, en quelques mois, une nouvelle dimension. Certains y voient un « effet Mauresmo ». La Française entraîne officiellement le champion olympique des Jeux de Londres depuis juin 2014. Plutôt inattendue, cette collaboration a, sur le moment, suscité pléthore de critiques. « Plusieurs personnes pensaient que c’était une blague », a récemment déploré Murray. De son côté, l’ancienne numéro un mondiale a admis qu’« être critiquée avant même de commencer » avait été « un peu compliqué ». Une victoire de son protégé en quarts de finale face à David Ferrer ferait un peu plus taire les sceptiques. Encore faut-il se débarrasser du coriace espagnol qui, une fois n’est pas coutume, évolue dans l’indifférence quasi générale. p elisabeth pineau une image de surdoué dilettante, plus flatteuse que celle de puncheur besogneux. Revanche Seuls Tsonga et son clan croyaient en ses chances au début de la compétition. Depuis la demi-finale de 2013, gagnée par l’Espagnol David Ferrer, il n’avait plus franchi les huitièmes dans un tournoi de Grand Chelem. On crût à une plaisanterie quand il déclara à Europe 1 penser être « capable d’aller plus loin que les demifinales ». Ce n’en était apparemment pas une. « Mes ambitions, c’est d’aller le plus loin possible, at-il répété. Je ne me mets jamais de barrière en termes de résultats. » Depuis le début de la saison, il n’avait su aligner trois victoires d’affilée. Il vient d’en enchaîner cinq, les deux dernières contre deux membres du Top 5 – le Tchèque Tomas Berdych et Kei Nishikori. Vendredi 5 juin, il a, pour luimême et le public français, une occasion en or d’effacer le fiasco de la Coupe Davis en prenant sa revanche sur Wawrinka. Le 9e mondial s’est montré jusqu’ici impitoyable, y compris avec son patron Federer, corrigé 6-4, 6-3, 7-6. Mais lors de leurs deux confrontations à Roland-Garros, Tsonga l’avait emporté en cinq manches. « Je n’ai plus grandchose à perdre », jure-t-il. Et beaucoup à gagner : une deuxième finale de Grand Chelem après celle de 2008 à l’Open d’Australie, quand la France ignorait encore qui il était. Ensuite, après s’être inspiré de Leconte, il pourra tenter de faire de même avec Noah. p bruno lesprit « J’AI BEAUCOUP TRAVAILLÉ POUR REVENIR » Huit ans après sa victoire à Roland-Garros en 2008, la Serbe Ana Ivanovic s’est qualifiée pour les demi-finales du tournoi parisien, mardi 2 juin, en battant l’Ukrainienne Elina Svitolina (6-3, 6-2) en 1 h 15 de jeu. A 27 ans, l’ex-numéro 1 mondiale, qui pointe actuellement à la 7e place, renoue avec le dernier carré d’un Grand Chelem, stade qu’elle n’avait plus atteint depuis 2008. Sous les yeux de son compagnon, le footballeur allemand Bastian Schweinsteiger, la joueuse affrontera, jeudi 4 juin, la Tchèque Lucie Safarova – tombeuse de l’Espagnole Garbine Muguruza – pour une place en finale. Choc des titans sur le central Williams, grande favorite face à Errani Le Serbe Novak Djokovic et l’Espagnol Rafael Nadal ont rendez-vous, mercredi 3 juin, en quarts de finale de Roland-Garros sur le court Philippe-Chatrier. Une affiche de rêve entre le numéro 1 mondial, en quête cette année du seul titre du Grand Chelem qui manque à son palmarès, et le nonuple tenant du titre Porte d’Auteuil qui vise une dixième victoire de rang. L’autre quart oppose le Britannique Andy Murray, tombeur du Français Jérémy Chardy, à l’Espagnol David Ferrer, bourreau du Croate Marin Cilic. Serena Williams, tête de série numéro 1, est opposée à Sara Errani, mercredi 3 juin, en quarts de finale. Victorieuse en 2002 et 2013 sur l’ocre parisienne, l’Américaine n’a jamais perdu, en huit confrontations, contre l’Italienne, finaliste de l’épreuve en 2012. Le second quart de finale féminin oppose la Suissesse Timea Bacsinszky à la Belge Alison Van Uytvanck, joueuse la moins bien classée (93e) du dernier carré. Grande surprise de ces Internationaux de France, cette dernière a forcé tout son staff à se teindre les cheveux en roux, comme elle. enquête | 15 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Poisons de paradis Les multinationales de l’agrochimie se sont implantées à Hawaï, où le climat permet de tester de façon intensive les semences résistantes aux herbicides. Les habitants de l’archipel, malades, se révoltent contre le traitement infligé à leur terre ancestrale corine lesnes honolulu, waimea (hawaï) - envoyée spéciale T ous les jours, Klayton Kubo, 49 ans, fait le même pèlerinage dans son village de Waimea, sur l’île de Kauai, l’un des confettis de l’archipel d’Hawaï. Il prend la route qui longe la rivière, gare son pick-up sur le bas-côté et escalade la colline qui surplombe l’usine d’agrochimie. Là, il observe. Par-delà les acacias, il voit l’épandage de pesticides, le tracteur aux bras qui se déploient sur 5 m de chaque côté, les employés vêtus de leurs combinaison de protection et il attend la poussière. La pollution ne vient pas tous les jours. Parfois, c’est la nuit ; tout dépend du vent. Waimea est la crique où le Britannique James Cook a accosté et « découvert » Hawaï le 20 janvier 1778, selon la plaque commémorative du monument érigé sous les lauriers. Une bourgade de 2 000 habitants, dotée d’une plage et d’un petit cinéma qui joue SpongeBob. Les touristes viennent visiter la vallée de roches rouges surnommée « le Grand Canyon du Pacifique ». Ils ne se doutent pas que le décor paradisiaque cache une sourde bataille contre Dupont-Pioneer, Syngenta et tous les Goliath des OGM qui ont fait de l’archipel le laboratoire de leurs semences résistantes aux herbicides. Klayton Kubo a toujours vécu à Hawaï, où sa grand-mère a émigré du Japon. Son visage est un testament du métissage des îles et son anglais est mélangé de « pidgin English », le créole de l’archipel. Pour gagner sa confiance, il a fallu s’asseoir sur un banc, à côté de la statue du capitaine Cook, et subir un quasi-interrogatoire. Après quoi, il a acheté un pique-nique à la « shrimp station » (fast-food de crevettes) et a décidé d’aller manger sur le terrain de sport à côté du collège : l’école où une dizaine d’enfants ont dû se rendre aux urgences en 2008, après avoir été atteints de vomissements et de troubles respiratoires. Klayton Kubo vit de pêche et de travaux de peinture et, depuis dix ans, il a pris le sentier de la guerre. Les firmes Pioneer et Syngenta ont installé leurs laboratoires de chaque côté de Waimea, prenant le village en tenaille. Il se méfie de leurs manœuvres et de leurs avocats. « Ils n’ont aucun respect pour nous », se désespère-t-il. Il venait de repeindre sa maison, en 2000, quand elle a été recouverte d’un épais nuage rouge. Il a demandé des explications à Pioneer, qui lui a rétorqué « secret industriel ». Depuis, il se heurte au même mur. « Je n’ai pas de diplôme, je ne parle pas comme leurs ingénieurs mais je sais qu’ils répandent ici des quantités massives de poison. » Le militant soulève ses lunettes noires, pour montrer ses yeux rougis. « Et ne croyez pas que je consomme de la marijuana ! » Klayton Kubo a rassemblé 150 résidents de Waimea qui ont déposé en 2011 une plainte en nom collectif contre Pioneer. Il a gardé la pétition originale dans son coffre-fort. Grâce au procès, les villageois ont pu apprendre que la firme utilise 90 mélanges de pesticides pour Kauai HAWAÏ Maui Honolulu Océan Pacifique 100 km Waimea ses expériences sur les plants de maïs, à base de 63 composants. Selon le département fédéral de l’agriculture qui délivre les autorisations d’utilisation de « pesticides à usage contrôlé », Pioneer a procédé à des épandages plus de 200 jours par an pendant cinq ans, entre 2007 et 2012. Toutes firmes confondues, 18 tonnes de pesticides sont déversées à Kauai chaque année. « C’est plus qu’un fermier pendant toute sa vie ! », s’exclame-t-il. Kauai n’est pas unique. Au milieu du Pacifique, l’archipel d’Hawaï est devenu un paradis pour les multinationales de l’agrochimie. Loin de toute publicité, les cinq compagnies qui dominent le marché mondial des semences s’y sont implantées pour bénéficier d’un climat qui leur permet trois récoltes dans l’année : les américains Monsanto, DuPont-Pioneer et Dow Chemical, le suisse Syngenta et l’allemand BASF. Selon Ashley Lukens, la directrice du Center for Food Safety d’Honolulu, 178 autorisations de tester des substances contrôlées ont été délivrées en 2013, sur 1 124 sites. « Hawaï abrite plus d’essais de laboratoire que tout autre Etat américain », affirme-t-elle, bien que les îles soient minuscules à côté des vastes terres du Midwest. LE « DROIT DE SAVOIR » Depuis les années 1990, les semenciers ont pris la place des plantations de canne à sucre et d’ananas, qui ont fermé les unes après les autres. Quand ils sont arrivés, ils étaient plus que bienvenus : l’emploi de milliers d’ouvriers agricoles était sauvé. La bienveillance a tourné court. Dans un archipel où l’Aloha Aina, l’attachement à la terre nourricière, est enraciné au plus profond, la contestation gronde. De Kauai à Molokai et Maui, les recours en justice se multiplient, à l’initiative d’un rassemblement de petits agriculteurs, de commerçants bio, d’éducateurs, de « mamans contre les OGM » et d’Européens venus installer leurs centres de yoga et de méditation dans ce paradis naturel. En novembre 2014, les électeurs de Maui, haut lieu du tourisme écologique et bastion de Monsanto, ont adopté un référendum imposant un moratoire sur la culture et les essais d’OGM tant qu’une étude d’impact sur la santé publique n’aurait pas établi qu’ils sont sans danger. Une première aux Etats-Unis, où les OGM sont légaux et omniprésents (90 % du maïs et du soja sont transgéniques). Dès le surlendemain, Dow Chemical a attaqué le moratoire en justice, de même que Monsanto (dont l’avocat Ken Robbins a annulé le rendez-vous qu’il nous avait donné à Honolulu). Dans l’attente de la décision du juge fédéral, le moratoire n’est pas appliqué. « C’est triste. Il avait été adopté à l’issue d’un processus démocratique », regrette Vincent Minna, le président de l’association des agriculteurs indépendants, Farmers Union United. A Kauai, les habitants ne demandent pas l’interdiction des OGM mais le « droit de savoir » ce qui est déversé sur leur terre. Baptisée « l’île jardin », Kauai est la plus rurale de l’archipel. Le berceau de la revendication de « souveraineté alimentaire » (Hawaï importe 85 % de ses fruits et légumes !) et du retour à l’enseignement de la langue hawaïenne, menacée d’extinction. La pollution ajoute au sentiment de dépossession. Dans la culture traditionnelle, les éléments ont « leur propre personnalité, explique Molly Ka’imi Summers, professeur d’hawaïen et d’ethnobotanique à l’université d’Hawaï. La langue a des dizaines de mots différents pour chacun ». La pluie, par exemple. Elle occupe toute une page du dictionnaire anglais-hawaïen. L’eau ruisselle à Kauai. Elle descend du mont Waialeale, qui, avec 12,2 m de précipitations par an, est considéré comme l’endroit le plus arrosé de la planète. Traditionnellement, chaque communauté avait la responsabilité de POLINE HARBALI « HAWAÏ ABRITE PLUS D’ESSAIS DE LABORATOIRE QUE TOUT AUTRE ÉTAT AMÉRICAIN » ASHLEY LUKENS directrice du Center for Food Safety d’Honolulu préserver son bassin d’irrigation (Ahupuha’a) depuis le haut de la montagne jusqu’à la mer. « C’était une relation très personnelle. Personne n’aurait voulu faire un mauvais usage de l’eau », relate Malia Chun, qui enseigne la culture hawaïenne à l’université de Kauai. Aujourd’hui, « les gens ont peur de la contamination de l’eau. On ne sait pas ce que les compagnies répandent », explique Elan Goldbart, 23 ans, agronome dans une ferme biologique. Le vent est généralement une bénédiction à Hawaï. Lui aussi a droit à une page entière dans le dictionnaire de Molly Summers. Mais à Waimea, les alizés sont devenus l’ennemi, qui transportent la poussière rouge jusque dans les grille-pains. Malia Chun ne se doutait de rien, jusqu’au jour où ses deux filles ont commencé à souffrir de problèmes respiratoires. Syngenta arrosait de pesticides le champ au bout de son jardin mais elle n’y avait pas prêté attention. D’autant qu’elle n’avait « jamais vu » de maïs, une culture peu répandue à Hawaï. Elle est maintenant asthmatique. Les enfants souffrent de maux de tête, de saignements de nez et d’asthme, eux aussi. Fin octobre 2013, le conseil municipal de Kauai a adopté une ordonnance exigeant des quatre multinationales opérant sur son territoire qu’elles observent une « zone tampon » aux abords des écoles et des hôpitaux. Et qu’elles révèlent quels pesticides sont testés et quand – « pour qu’on ait le temps de fermer nos fenêtres », comme dit Malia Chun. Là aussi, Pioneer, Syngenta et Dow se sont pourvues en justice et le dossier est en appel. L’espoir est faible, selon les anti-OGM, de voir la justice fédérale valider une décision locale prenant le contre-pied de la législation nationale. D’autant que les compagnies ont une défense à toute épreuve : elles ne plantent ni ne répandent rien qui ne soit approuvé et autorisé par les autorités de régulation américaines, telles que l’agence pour la protection de l’environnement (EPA) ou le département de l’agriculture. Le 28 avril, Malia Chun est allée jusqu’à Bâle, en Suisse, porter la voix hawaïenne au siège de Syngenta, le premier fabriquant mondial d’herbicides, d’insecticides et de fongicides, à l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires. A la tribune, Gary Hooser, membre du conseil municipal de Kauai, a demandé à la compagnie de cesser d’utiliser à Hawaï une demi-douzaine de pesticides interdits en Suisse, tel l’atrazine, un herbicide de synthèse suspecté d’être cancérigène, qui a été détecté en 2011 dans l’eau potable du collège de Waimea. « Traitez-nous avec la même dignité que les citoyens suisses. Accordez-nous la même protection. Ne déversez pas sur ma communauté des produits chimiques que vous ne pouvez pas répandre sur la vôtre », a-t-il plaidé. La délégation hawaïenne a présenté à l’entreprise une pétition signée par 7 500 habitants de Kauai, soit plus de 1 sur 10. Là aussi, la firme a eu beau jeu de faire remarquer que les pesticides en question sont autorisés, aux fins de recherche agricole, aux Etats-Unis. A Hawaï, certains ont surnommé la vallée de Waimea « poison valley ». Wendell et Wanda Kabutan se sont réfugiés à Honolulu, à portée d’un hôpital sophistiqué. Enseignante à la retraite, Wanda, 64 ans, espère avoir surmonté un cancer. Son mari, ancien agent au sol de la Hawaiian Airlines, a une toux lancinante. Comme souvent en pareil cas, aucune corrélation scientifique n’a pu être établie de manière irréfutable entre les problèmes de santé des habitants (37 cancers dans un quartier de 800 habitants) et les pesticides répandus. La justice a donc tranché : seule la dévalorisation des maisons par la pollution pourra être prise en compte dans la plainte des habitants de Waimea et non pas l’éventuelle contamination par les produits chimiques. Le 9 mai, le juge a accordé les premières indemnités : 500 000 dollars par foyer pour 15 des résidents affectés. Pioneer a été condamné pour manquements aux réglementations sur les essais agricoles. C’est une première, mais les Kabutan n’ont plus la foi. Ils ont vu l’herbe au pied de leurs maisons devenir brune. Ils ont vu des oiseaux morts tomber sur leur voiture (« Ça fait vraiment bizarre », dit Wanda Kabutan) ; des collègues disparus avant l’heure. Ils sont fatigués de s’entendre promettre qu’il n’y aura plus d’épandages la nuit, ou quand le vent sera trop fort. Ou que les tests se feront dans des serres et non plus à l’air libre. Après l’entretien, ils s’éloignent à petits pas lents, le poids d’un combat trop lourd sur les épaules. Sur le continent, ils auraient peut-être réussi à se faire entendre plus tôt, mais Hawaï est si loin… p 16 | débats 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Les ambitions de l’Allemagne pour le G7 Les 7 et 8 juin, l’Allemagne accueille le sommet du G7. Outre l’économie et la sécurité, la chancelière Angela Merkel fixe deux priorités : lutter contre la faim et contre le réchauffement climatique par angela merkel L LE G7 PEUT ET DOIT ÊTRE UN MOTEUR POUR QUE LA PLANÈTE SOIT VIVABLE À LONG TERME ¶ & CIVIL ISATI ONS Angela Merkel est la chancelière de la République fédérale d’Allemagne. Les dirigeants des sept pays les plus industrialisés se réuniront en sommet les 7 et 8 juin dans la ville d’Elmau, en Bavière es chefs d’Etat et de gouvernement des sept pays les plus industrialisés se réuniront les 7 et 8 juin en Allemagne pour discuter des défis les plus urgents de la planète. Les liens qui unissent les pays du G7 ne sont pas seulement basés sur la prospérité et la force économique. Ils reposent aussi sur des valeurs : la liberté, la démocratie et les droits de l’homme. Si quelqu’un doute du bien-fondé de ces réunions au sommet, qu’il regarde du côté des foyers de crise actuels pour se rendre compte de la nécessité, voire de l’obligation, de trouver activement des solutions ensemble. Qui aurait cru possible, vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, que l’ordre de paix européen pouvait être remis en question par l’annexion de la Crimée ? Que la prolifération du virus Ebola pouvait déstabiliser plusieurs États africains et porter préjudice à leur développement ? Qu’une organisation islamiste terroriste cherche à instaurer au Proche-Orient un « califat » sur le territoire de deux États ? Ces quelques exemples, qui figureront tous à l’ordre du jour du G7, suffisent à montrer que les défis mondiaux exigent des réponses internationales. Ce sommet du G7 est cependant beaucoup plus que de la diplomatie de crise. C’est naturellement, comme toujours depuis les débuts de ce format, l’occasion de discuter de la situation de l’économie mondiale. Nos objectifs sont la croissance durable, guidée par des valeurs, et la prospérité pour le plus grand nombre. Ces objectifs ne peuvent être atteints que dans le cadre de systèmes économiques ouverts, avec un grand nombre d’investissements et un commerce international renforcé fondés sur des normes élevées en matière sociale et écologique. Les pays du G7 soutiennent donc l’Organisation mondiale du commerce pour que le cycle de négociations de Doha puisse être conclu au plus vite. De même, les négociations actuelles sur les accords de libre-échange entre les partenaires du G7 doivent avancer rapidement. L’agenda de la présidence allemande du G7 est fortement axé sur deux grandes tâches auxquelles la communauté internationale doit s’atteler en 2015. La première devra être résolue à l’automne quand les Nations unies fixeront les nouveaux objectifs du développement durable, ce qui déterminera pour de nombreuses années les orientations de la politique internationale de développement. Je suis convaincue que les pays du G7 devraient se prononcer dès maintenant pour une éradication de la faim et de la pauvreté absolue d’ici à 2030. C’est seulement en garantissant l’alimentation d’une population mondiale qui ne cesse de croître que les autres mesures de développement auront une chance d’être mises en œuvre. N° 7 JUIN 2015 NS & C IV IL IS A T IO IRAK ET SYRIE LE SACCAGE 4000 ANS DE PATRIMOINE MENACÉ LE LA KABBA DE AU CŒUR E LA MYSTIQUE JUIV LOO WATER NTENAIRE La seconde grande tâche concerne la protection du climat mondial. La conférence de Paris, qui aura lieu au mois de décembre prochain, suscite pour la première fois depuis des années l’espoir d’un accord sur le climat dans lequel tous les pays, y compris les pays émergents, s’engageront à réduire leurs émissions. Nous pourrions ainsi nous rapprocher de l’objectif de limiter à deux degrés la hausse de la température sur la planète. Ainsi que nous le disent tous les experts, c’est le seul moyen de rester à un niveau de température gérable. LUTTE CONTRE LES ÉPIDÉMIES Les pays du G7 devraient être des précurseurs de la transition nécessaire vers une économie à faibles émissions de carbone. En tant que pays industrialisés, nous devons tenir notre engagement de 2009 à Copenhague qui consiste à consacrer, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an à l’adaptation et à la protection du climat dans les pays en développement. À cette fin, l’Allemagne doublera ses fonds entre 2014 et 2020. J’espère que d’ici la réunion de Paris d’autres pays formuleront des engagements concrets similaires. Les pays du G7 ont toujours assumé des responsabilités dans le domaine de la santé mondiale. Aussi, nous évoquerons également à Elmau la lutte contre les maladies tropicales négligées ou encore la résistance aux antibiotiques qui pose un problème croissant et dangereux. J’ai mentionné au début le fléau que représente Ebola pour plusieurs pays africains et qui n’est toujours pas complètement maîtrisé. À Elmau, avec nos hôtes originaires des pays concernés par ce problème et les organisations internationales, nous allons nous concerter sur les possibilités de mieux nous préparer à de telles épidémies, de les empêcher ou de réagir plus vite et plus efficacement quand elles se déclarent. La mise en place d’une task force mondiale avec un concept global cohérent et dotée d’un financement suffisant est certainement un objectif à moyen terme, mais il conviendrait de l’envisager dès maintenant. Le thème du « bon travail » à l’échelle mondiale figure également parmi les priorités de la présidence allemande. Nous n’avons pas oublié les images tragiques de l’accident qui s’est produit il y a deux ans dans l’usine textile de Rana Plaza au Bangladesh. Je voudrais que le G7 se fixe pour but de réduire significativement le nombre d’accidents du travail dans les entreprises de la chaîne d’approvisionnement et de prendre des mesures en matière de prévention ainsi qu’en vue d’une amélioration de la sécurité au travail. Ces chaînes d’approvisionnement doivent être beaucoup plus transparentes. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir connaître les conditions dans lesquelles sont fabriqués les vêtements et les produits alimentaires et à en tenir compte dans notre décision d’achat. Si nous parlons du travail, nous devons aussi évoquer les possibilités qu’ont les femmes dans le monde d’être indépendantes et de faire carrière en occupant un travail sûr et qualifié. Toutes les informations montrent que la pauvreté et l’inégalité reculent lorsque les femmes sont plus nombreuses à participer activement à la vie économique. Cependant, la proportion des femmes à exercer actuellement un emploi est seulement de l’ordre de 50 %. À cela vient s’ajouter que, dans beaucoup de pays en développement, la grande majorité de ceux qui travaillent ont un emploi précaire ou informel. C’est pourquoi, au sein du G7, nous voulons nous donner pour objectif d’assurer une formation professionnelle à plus de filles et de femmes dans les pays en développement. Les pays du G7 ne sont pas en mesure de relever seuls ces défis. Nous aurons besoin de nombreux autres partenaires. Cela vaut pour tous les thèmes évoqués. Je suis néanmoins convaincue que le G7 peut et doit être un moteur pour que la planète soit également vivable à long terme. Je plaide pour une organisation de l’économie mondiale et de l’intégration mondiale qui améliore les conditions de vie de tous les citoyens du monde, au plan politique, économique, social et écologique. Nous devons nous engager en faveur de la paix, de la liberté et de la sécurité. C’est la plus-value qui peut être exigée du sommet du G7. C’est l’aune à laquelle tous nos actes devraient être mesurés. p NOS OBJECTIFS SONT LA CROISSANCE DURABLE, GUIDÉE PAR DES VALEURS, ET LA PROSPÉRITÉ Un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde Dans chaque numéro, vous retrouverez ■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique renommés ■ six dossiers riches en infographie et en iconographie ■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué notre humanité LE BICE UE D'UNE DÉFAITE ÉPIQ LES VAISSEAUX AONS DES PHAR TE À LA CONQUÊ IL DU NIL ET DU SOLE LA MORT CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX éclairages | 17 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Défense nationale : l’heure de la « vérité des prix » ANALYSE nathalie guibert Service International P FRANÇOIS HOLLANDE A FAIT LE CHOIX D’UNE PRÉSENCE NOUVELLE, VISIBLE ET PERMANENTE DE SOLDATS EN ARMES SUR LE TERRITOIRE lus d’argent, plus d’hommes, plus d’équipements. La nouvelle loi de programmation militaire pour 20152019, discutée à l’Assemblée nationale jeudi 4 juin, est un texte de croissance dans une économie en plein marasme. Elle illustre une perception nationale – celle d’une menace sécuritaire accrue – et un résultat politique – la capacité du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, à obtenir du président de la République des arbitrages favorables, face au ministère des finances. Révisant la programmation quinquennale votée en décembre 2013, le texte sauve 18 700 emplois dans les armées et prévoit de nouvelles commandes de matériels. Après les attentats de janvier, François Hollande a d’abord fait un choix stratégique. Celui d’une présence nouvelle, visible et permanente de soldats en armes sur le territoire, ce qui n’avait pas été assumé de la sorte depuis la guerre froide. La marine assurait déjà la sécurité des approches françaises, et l’armée de l’air la police du ciel, au titre de la « posture permanente de sûreté ». A son tour, l’armée de terre est requise de façon significative, audelà de ses missions ponctuelles, lors des catastrophes naturelles, par exemple. Au nom de la lutte contre le terrorisme, elle doit dé- ployer 7 000 hommes en permanence – ce qui implique un réservoir trois fois supérieur –, jusqu’à 10 000 pendant un mois en cas de crise majeure. Parmi les trois grandes missions attribuées aux armées, la dissuasion, la projection et la protection, la dernière reprend une place éminente. En second lieu, le chef de l’Etat a fait un choix budgétaire. Les ressources de la défense devaient provenir de recettes exceptionnelles aléatoires – 6,1 milliards d’euros courants sur les 190 milliards alloués à la défense sur cinq ans. Elles viendront de crédits budgétaires si les promesses sont respectées (l’essentiel des efforts porte sur la fin de la programmation, soit après l’élection présidentielle de 2017). Par ailleurs, de nouveaux crédits sont ajoutés, pour près de 4 milliards. La défense récupère presque le montant des crédits budgétaires qu’elle avait perdus entre les programmations 2008-2013 et 2014-2019. L’armée change-t-elle pour autant de modèle ? Ni sa vocation – pouvoir entrer en premier dans une guerre – ni ses grands équipements – un porte-avions, quatre sous-marins lanceurs d’engins et six d’attaque, 200 chars lourds, 225 avions de chasse – ne sont remis en cause. Une seule nouvelle priorité, l’aérocombat. Les autres sont renforcées : cyber, renseignement (drones, satellites…), moyens de commandement et de ciblage. La rupture vient des hommes. L’armée de terre a réussi à faire la démonstration qu’en deçà d’un certain effectif, il n’était plus possible de protéger le pays. Elle sera, en 2015, le premier recruteur en France, avec 12 000 embauches. Mais passé la satisfaction des chefs militaires, la situation pose de nouvelles questions existentielles pour les armées. Le doute persiste sur l’adéquation entre le niveau d’ambition fixé par l’exécutif et les moyens qui seront attribués. « Des ajustements sont nécessaires en raison du haut niveau d’engagement des forces françaises », dit l’exposé des motifs de la nouvelle loi. ÉVITER UNE ARMÉE À DEUX VITESSES Le modèle de 2013 avait été calculé au plus juste et les contrats opérationnels ont été d’emblée dépassés. La marine, formatée pour assumer deux engagements majeurs, en est à quatre. L’intégralité des moyens de l’armée de l’air sont sollicités au prix d’un vrai épuisement de ses personnels. Quant à l’armée de terre, elle a dû réduire la préparation des soldats envoyés à l’étranger pour assumer l’opération « Sentinelle », qui a succédé à « Vigipirate ». Parmi les 24 000 réductions d’emplois supplémentaires prévues en 2013, 5 000 étaient en fait jugées impossibles à réaliser. Pour les matériels, même difficulté. Faute de nouveaux avions ou de nouveaux hélicoptères, les responsables assurent qu’ils seront « d’ici deux ans » contraints de renoncer à des opérations. La révision des moyens forme donc en partie une opération « vérité des prix ». Dans ce contexte, une discussion s’ouvre. Certains s’interrogent : est-ce le rôle d’une force de combat de garder des lieux sensibles ? Comment éviter une armée à deux vitesses, avec des soldats ultraprofessionnels prêts à toutes les guerres modernes et des hommes qui auront été formés pour moins cher afin de servir en France ? On ne connaît pas encore le visage des futures « opérations intérieures ». Un travail interministériel a été engagé au secrétariat général de la défense nationale. Pérenniser une troisième force de sécurité intérieure exige de clarifier la doctrine d’emploi des armes de guerre sur le territoire, et la complémentarité des armées avec les forces de police et de gendarmerie. La perspective demeure celle d’une armée française toujours plus ramassée pour être toujours mieux équipée. En une décennie, depuis 2008, elle aura encore perdu plus de 63 000 emplois, 15 % des effectifs environ. Les restructurations, commencées à la fin de la guerre froide, se poursuivent. Elles sont justifiées par l’évolution des crises sécuritaires. En dépit de la résurgence d’une menace aux frontières de l’Europe avec la guerre en Ukraine, nul ne croit plus en la « guerre d’attrition » qui opposerait des dizaines de milliers d’hommes dans un combat interétatique. Mais la réticence partagée des Européens à payer le prix de leur défense, ajoutée à la « fatigue de la guerre » américaine, continue de nourrir les doutes de l’institution militaire. Dans les rangs, certains craignent que l’« armée expéditionnaire » cède ainsi progressivement le pas à une « armée factionnaire ». p LETTRE DE SAN FRANCISCO | cor ine l esnes L’amande, suspecte idéale de la sécheresse californienne C’ est l’exercice du moment en Californie. Il est connu sous le nom d’almond shaming. Honte aux amandes, haro sur les producteurs. Quatre ans après le début de la sécheresse du siècle, c’est le grand déballage. Ou, si l’on ose dire, la grande lessive. Maintenant que l’eau est rationnée, on fait les comptes : qui consomme le plus ? A quel coût pour la société ? Pour les fermiers, les statistiques sont cruelles : l’agriculture « boit » 80 % de l’eau, mais elle ne représente que 2 % du produit brut de l’Etat. Les amandes sont devenues le symbole de la folie des grandeurs californienne. Le bouc émissaire de la pénurie. Les citadins ne voient pas pourquoi ils devraient sacrifier leurs douches et pelouses pour maintenir une production que la Californie ne peut – peut-être – plus s’offrir à l’heure du changement climatique. Pour cultiver une seule amande, il faut un gallon d’eau (3,78 litres). Chaque année, les 900 tonnes d’amandes produites sur les terres arides de la Central Valley engloutissent plus que l’entière population de Los Angeles, San Diego et San Francisco, soit les deux tiers des habitants de l’Etat. Les agriculteurs plaident non coupable. Ils prennent à témoin leurs arbres anémiés et la LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE terre crevassée. Ils assurent qu’ils ont réduit de 30 % la consommation en eau des amandes grâce à leur arrosage de précision. Et ils interpellent les urbains mangeurs de hamburgers. A poids égal, les amandes nécessitent moitié moins d’eau que la viande de bœuf (c’est aussi l’argument de l’association pour le traitement éthique des animaux PETA, qui profite de la crise de l’eau pour vanter les vertus du régime végétarien). Nul doute que les petits producteurs souffrent : sur les 6 500 fermes d’amandes, 70 % sont encore des exploitations familiales. Mais selon les enquêtes publiées ces dernières semaines par la presse, la réalité est plus contrastée. Les principaux producteurs ne sont pas des fermiers éplorés, mais des investisseurs – fonds de pension, hedge funds (fonds spéculatifs) – attirés par la rentabilité faramineuse des amandes, dont le prix de gros a augmenté de 78 % entre 2008 et 2012. Ces entrepreneurs se soucient peu de la redistribution globale de l’eau en Californie. En pleine sécheresse, ils continuent même à planter. Entre 2007 et 2013, la superficie occupée par les amandiers a augmenté de 20 %. En 2014, elle a dépassé pour la première fois le million d’acres (404 700 hectares). « Les journaux parlent de “vallée de la poussière”, mais il faut rouler loin pour trouver la poussière, note Mark Arax, un auteur qui a grandi dans la Central Valley et prépare un livre sur les “guerres de l’eau”. On plante encore beaucoup. » « RUÉE SUR LA NOIX » La Californie produit 80 % des amandes consommées dans le monde. Et l’appétit ne fait qu’augmenter. Dans l’Etat de la ruée vers l’or, on parle maintenant de « nut rush », la « ruée sur la noix ». Les amandes sont plébiscitées dans les régimes à la mode, pour leur haute teneur en protéines, leur faible apport en carbohydrates, etc. Les bobos ne jurent plus que par le lait d’amande, malgré son prix prohibitif. Après avoir dévoré du peanut butter pendant des générations, les Américains consomment maintenant plus d’amandes que de cacahuètes, responsables d’un nombre croissant d’allergies. Même les Chinois se sont pris d’engouement pour les amandes. Les deux tiers de la production californienne sont exportés, principalement vers l’Asie (ce qui revient à « exporter l’eau de la Californie », déplorent les critiques). Le premier producteur (Paramount Farms) appartient à un milliardaire de Berverly Hills, Stewart Resnick, qui a bâti sa fortune sur un jus de grenade et une eau miné- rale haut de gamme, vendus dans les magasins bio. Le deuxième est le groupe Hancock, détenu par le géant canadien des assurances et services financiers Manulife. Le troisième, le fonds de pension new-yorkais TIAA-CREF. Ces producteurs sont à peine dérangés par la sécheresse. Ils ont leurs propres puits. « La pénurie d’eau de pluie et de la fonte des neiges est compensée par la nappe phréatique, indique Mark Arax dans un entretien à la radio publique NPR. Les fermiers pompent à tout-va. » Aucun permis n’est nécessaire pour creuser un nouveau puits dans sa propriété. Ceux-ci sont de plus en plus profonds, jusqu’à 500 mètres sous la surface, au risque de provoquer l’affaissement de la vallée. « La terre s’enfonce. Avant c’était par pouces [2,5 cm]. Maintenant c’est par pieds entiers [33 cm] », dit le chercheur. Les autorités ont commencé à préparer une réglementation des ressources de la nappe phréatique qui n’entrera pas en vigueur avant cinq ans. En attendant, le centre de la Californie continuera de s’affaisser pour satisfaire l’appétit des Chinois, des milliardaires de Beverly Hills et des hedge funds de Wall Street. p POUR CULTIVER UNE SEULE AMANDE, IL FAUT UN GALLON D’EAU (3,78 LITRES) [email protected] Jean Zay, ministre et martyr de la République LIVRE DU JOUR philippe-jean catinchi A uteur d’une thèse consacrée à L’Ecole et la patrie en France dans le premier vingtième siècle, soutenue en 1999, Olivier Loubes ne pouvait que rencontrer la personnalité de Jean Zay, le « Jules Ferry du Front populaire », dont il se fit le biographe inspiré. Héritier d’une double tradition familiale humaniste, juive et protestante, le ministre, assassiné par la Milice avant même d’avoir 40 ans, a beau avoir donné son nom à nombre d’établissements scolaires, il n’en restait pas moins jusque-là L’Inconnu de la République (Armand Colin, 2012). Non content d’avoir naguère établi en universitaire en quoi Jean Zay, « fils de la République radicale », incarne par son engagement et son action la noblesse de l’idéal démocratique, de ses valeurs et de son éthique, Olivier Loubes reprend aujourd’hui la figure du ministre martyr. L’annonce en février 2014 de la panthéonisation de Zay a été déterminante, mais les événe- ments sanglants des 7 et 9 janvier 2015, au moment même où Loubes composait ce bréviaire pour mobiliser le citoyen d’aujourd’hui, ont pesé sans aucun doute dans le titre si martial de l’opuscule : Réarmer la République ! Car il s’agit de se nourrir de ce que l’exemple de Zay a de stimulant. Dans sa préface, Vincent Duclert cite longuement le discours du poète et résistant Jean Cassou, lors de l’hommage en Sorbonne le 27 juin 1947, où Zay est vu comme l’incarnation des vertus du peuple français : « Le jugement critique, le sens du juste, le goût du beau, le culte passionné de la raison et de la liberté ». Le propos est fort, mais pour Zay qui se voulait jacobin, au sens où l’entendaient les patriotes de 1792 proclamant la patrie en danger, il sonne comme l’étendard d’une croisade généreuse à visée universelle. « POPULARISATION DE LA CULTURE » Et Loubes d’interroger l’écho de chaque élément de la devise nationale dans l’action de Zay. Liberté, principe actif qui ne supporte pas la sclérose ni l’essentialisme nationaliste d’un Maurras qui fige les symboles en fétiches, et on ne s’étonne pas, dans ses écrits de prison (Souvenirs et solitude, Belin, 2010), que Zay cite Blanqui : « Les pouvoirs légitimes sont aux mains de qui résiste. » Egalité et la réforme sociale qu’il préconise passent par la « popularisation de la culture » au cœur de ses champs ministériels (enseignement, beaux-arts, recherche, sports et loisirs). Fraternité, comme la morale de l’histoire républicaine contre tous les sectarismes et ostracismes en vogue. Le juste usage des mots reste essentiel, et l’idéal de réforme de Zay pour reconstruire le projet républicain une leçon des plus contemporaines. En marge des illusions générées par une « histoire à thèse », en rupture avec la vogue stérile d’une « histoire à l’estomac » qui captive les médias, mais n’ouvre sur rien, Loubes prône une histoire tonique en ce qu’elle stimule, dynamise, revivifie les valeurs que les acteurs du passé ont préconisées pour fonder l’esprit républicain. Pour cela aussi, la juste place de Zay est au Panthéon. p Réarmer la République ! Jean Zay au Panthéon Essai d’histoire tonique d’Olivier Loubes Demopolis, 140 p., 16 €. 18 | culture 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Cheikh Lô à Keur Massar, dans la banlieue de Dakar, en février. YOURI LENQUETTE POUR « LE MONDE ». Le panafricanisme créatif de Cheikh Lô Licence n° DOS201140718 - Conception : Arc en ciel - Illustration : Marc Dubos - Dpt40 Le chanteur et musicien sénégalais sort, à 60 ans, son cinquième album, « Balbalou » MUSIQUE dakar (sénégal), envoyée spéciale C heikh Lô, c’est une élégance, un éclair de bizarrerie dans une musique assez codée : celle du Sénégal, pays qui fait figure d’îlot de sérénité dans une Afrique traversée de combats fratricides. Taillé comme un fil au vent, le chanteur à la voix gracile s’enveloppe de dreadlocks qui n’ont rien de jamaïcain, mais ont à voir avec son appartenance aux Baye Fall, branche de la confrérie des mourides – fondée par Amadou Bamba – bien antérieure à l’apparition du rastafarisme caribéen. Cheikh Lô, 60 ans, a bâti sa maison familiale à Keur Massar, banlieue dakaroise enveloppée de poussière sahélienne, à l’entrée de la presqu’île du Cap-Vert qui abrite la métropole africaine. A Keur Massar circulent des bus bariolés, des taxis collectifs bondés, des chevaux trottinants et des motos qui slaloment entre étals de légumes et marchandes en boubou. « Cheikh » n’y est pas un inconnu, il y est considéré. Valeur sûre, sans les apparats de la célébrité. Il est salué par de jeunes hommes aussi longilignes que lui, en Nike et égrenant des chapelets maures. Lui porte des tuniques brodées, un manteau redingote en coton tissé sur un jean à déchirures calculées. Et des baskets à motif pop art. « Nangadef », ça va, en wolof : le Sénégal de Cheikh Lô est là, vivant, ironique. C’est celui des bals nourris au mbalax, le rythme typique des Wolof ; c’est aussi celui du rap made in Dakar, que Cheikh Lô le moderniste, et pourtant chanteur issu de la tradition des orchestres des années 1970, porte au pinacle. De ce creuset contestataire est né, par exemple, le parodique « Journal rappé », présenté sur YouTube par un duo percutant, Xuman et Keyti. Tout y passe, l’ex-président Wade et son fils Karim, condamné en mars à six ans d’emprisonnement pour « enrichissement illicite », ou la difficulté des transports en commun, avec proposition d’une application Pousseul ma tok, style Uber pour les taxis clando, souvent délabrés. « bavarder », avec Ibrahim Maalouf à la trompette). Balbalou a été produit par le musicien Andreas Unge et enregistré en Suède pour partie. C’est dans ce Nord lointain que Cheikh Lô croise par hasard l’accordéoniste français Fixi, comparse, en 2013, du chanteur de reggae jamaïcain Winston McAnuff. Ils s’apprécient et s’allient avec la chanteuse brésilienne basée à Paris, Flavia Coelho. Ensemble, ils créent Degg Gui (« la vérité »), titre à la mélodie imparable, tout en grâce, en voix filée, et où l’accordéon s’insinue dans une exploration outre-Atlantique – terrain connu pour le Sénégalais qui avait enregistré pour l’album Lamp Fall, en 2006, à Salvador de Bahia avec le groupe de percussionnistes afro Ilê Aiyê. ENFANT D’UN PANAFRICANISME CRÉATIF A ses débuts, Cheikh Lô était batteur. Il est né en 1955 dans la deuxième ville du Burkina Faso, Bobo Dioulasso. Son père, « un Toucouleur », était bijoutier, eut quatre femmes et onze enfants. Sa mère, « une Sérère, comme le président Senghor », n’eut qu’un fils, lui, le gâta et scella ainsi sa différence. Cheikh Lô débute au sein de l’orchestre Volta Jazz. L’ensemble, un des meilleurs d’Afrique de l’Ouest de l’après-indépendance, revisite la chanson cubaine, les classiques du Congolais Tabu Ley Rochereau. Ils sont douze, derrière le saxophoniste et chanteur Moustapha Maïga, tous d’âges, d’ethnies, de nationalités différentes, « sénégalais, burkinabé, guinéen, béninois… », s’enthousiasme Cheikh Lô, enfant d’un panafricanisme créatif. Il grandit dans le quartier d’Accart Ville « en écoutant le bruit du train » et en en reproduisant le rythme sur sa table d’écolier. Il découvre les congas et les timbales. « A 13 ans, je chantais des covers de tubes occidentaux, en m’accompagnant avec une petite guitare sèche, ou à la batterie. » Son idole, Moustapha Maïga, passe le voir d’un coup de Mobylette, « le bassiste aussi, et on jouait El Manisero », standard cubain. Le soir, c’est concert au Normandie Bar. Il est remplaçant. Le batteur attitré est jaloux : « Il disait : “Il est dangereux là, le petit Sénégalais.” Mais moi, j’ai toujours pensé que jouer, RAY-BAN ANTITIMIDITÉ Tout ce décor nourrit la réflexion de Cheikh Lô et préside au pittoresque de Balbalou, cinquième album officiel de l’énergumène, sourire large et profil aigu, arrondi par des RayBan antitimidité. En wolof et en bambara, Cheikh Lô s’insurge d’une voix haute et flûtée contre les chefs d’Etat africains, grands pourvoyeurs de coups d’Etat (Doyal Naniou, avec la Malienne Oumou Sangaré). Avec un brin de provocation, le Dakarois oppose les contraires, l’eau, le feu, comme métaphores des aléas de la vie quotidienne (Balbalou, EN WOLOF ET EN BAMBARA, CHEIKH LÔ S’INSURGE D’UNE VOIX HAUTE ET FLÛTÉE CONTRE LES CHEFS D’ÉTAT AFRICAINS ce n’était pas se battre. » Mais il lui pique la place. Revenu à Dakar en 1978 pour travailler à la Société des transports du Cap-Vert (Sotrac), passé par la Côte-d’Ivoire, il vit à Paris à la fin des années 1980 l’expérience décalée de batteur de studio avec passage chez Papa Wemba, et disques enregistrés chez Syllart Records. Il passe à la guitare et découvre le reggae jamaïcain, mais surtout le funk, qu’il mélange aux rythmiques sénégalaises du mbalax ou au high-life ghanéen. En 1989, il joue avec Youssou N’Dour, puis enregistre sa première cassette audio, Doxandeme (« immigrants »), résumé de l’expérience d’un Sénégalais à l’étranger : « C’était dur et j’avais besoin d’avoir une croyance profonde dans ma religion. » Aficionado de longue date, propagandiste de l’excellente technique vocale de Cheikh Lô, Youssou N’Dour produit, en 1995, l’album Ne La Thiass sur son label dakarois Jojoli, distribué par World Circuit, la maison de disques de Nick Gold. Il y en aura un second, Bambay Gueej (1998), avant rupture avec le parrain de la pop sénégalaise. Resté chez World Circuit, il publie ensuite Lamp Fall (2006) et Jamm (2010), qui inclut les talents du batteur historique de l’afro-beat nigérian, Tony Allen, longtemps comparse de Fela Kuti. LES FONDEMENTS HUMANISTES DE L’ISLAM La maison de Cheikh Lô a été construite à la moyen-orientale, avec salons, fauteuils kitsch, escalier en colimaçon. On y mange le riz au poisson dans un plat collectif, à côté des bouilloires à thé. Notre hôte porte un large collier de cuir tressé, rempart au mauvais œil, aux mauvaises langues, aux mauvais regards. Il est père de famille et doit protéger les siens « comme la lionne le lionceau ». Il entretient une foi éclairée dans Cheikh Ibrahima Fall (1858-1930), le guide des Baye Fall. « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie Dieu comme si tu devais mourir demain », disait celui qui a imposé les n’djajne (les dreadlocks) comme symboles d’ardeur à la tâche – « Il n’avait pas de temps à consacrer à la coiffure », précise Cheikh Lô. Il y a une abbaye chrétienne à Keur Moussa, fondée en 1961 par des bénédictins de Solesmes. « Les moines de Keur Moussa ont créé une kora en s’inspirant de celles des griots mandingues – un instrument né au nord de la Guinée », explique Cheikh Lô, qui n’en joue pas. En 1963, le Père Dominique Catta fut chargé, tout en restant fidèle à l’héritage grégorien, de composer une musique liturgique inspirée de la musique africaine. L’histoire réjouit Cheikh Lô, « adepte de la spiritualité et des fondements humanistes de l’islam », dit-il. p véronique mortaigne Balbalou, de Cheikh Lô. 1 CD Chapter Two /Wagram culture | 19 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Un Banksy monumental vendu 600 000 euros L’œuvre, mise aux enchères à Drouot, a été réalisée par l’artiste, en 1998, sur un semi-remorque ARTS C e Banksy-là, garé devant l’Hôtel Drouot, à Paris (9e), est atypique en tous points : par son âge, sa taille, son style et son histoire. La maison Digard a proposé aux enchères, lundi 1er juin, une fresque monumentale de près de 10 × 2,5 mètres, réalisée sur un semi-remorque par l’artiste phare de l’art urbain, en 1998. Une époque où l’on ne parlait pas encore de street art, et où le Britannique était un graffeur de Bristol connu des seuls initiés. Nulle trace ici de pochoir, hormis pour son logo de signature : Banksy, qui allait se convertir à cette technique dans la foulée, peignait alors encore à la bombe aérosol. « Mieux vaut ne pas trop compter sur le silence des majorités… Le silence est une chose fragile… Il suffit d’un son et c’est parti. » Cette inscription, en anglais et en capitales, encadre la fresque en haut et en bas. L’ensemble dépeint l’esprit des rave parties, ces fêtes sauvages qui étaient alors à leur apogée, comme une opération militaire. Les personnages, habillés en soldats, prennent d’assaut un site depuis la mer, de nuit, sur des canots gonflables remplis de sound systems. La moitié droite est occupée par le mot stealth (discrétion ), graffé par Inkie, autre figure du graffiti à Bristol. La composition se termine par un personnage accroupi, tenant un mégaphone. Sans reconnaître le style graphique de Banksy, on retrouve ici son sens de l’humour, du détournement contestataire et de la mise en scène. « Chaque année, nous réalisions des décors pour le Festival de Glastonbury sous forme de performances », explique Inkie, venu à Paris pour revoir l’œuvre et assister à la vente. Cette année-là, Banksy avait recherché un camion pour support, lors de ce grand festival de musique et d’arts du spectacle. Domicile et outil de travail L’édition 1998 a pour têtes d’affiche Pulp et Blur et a aussi été particulièrement pluvieuse. C’est devant des festivaliers les pieds dans la boue que les deux amis ont œuvré. Le mystérieux Banksy, l’homme qui a réussi à garder son identité secrète au fil des années, s’était donc produit en public trois jours durant ? « Il préférait se cacher le visage pour travailler », nuance Nathan Welland, le propriétaire du camion, qui a lui aussi fait le déplacement à Paris. Ce grand gaillard blond est alors une connaissance de Banksy, et il a accepté que son camion serve de toile contre un dédommagement de l’équivalent de 300 euros. Le véhicule lui sert à l’époque autant de domicile que d’outil de travail : le circassien s’est reconverti en loueur de chapiteau, sillonnant le pays de fêtes en festivals. L’année suivante, Banksy réitère l’expérience sur l’autre face du camion à l’occasion d’un autre festival. La nouvelle fresque, Fungle Junk, a aujourd’hui disparu. Lorsque Nathan Welland a arrêté la vie itinérante, en 2004, sa remorque s’est muée en mobile home, posé dans la campagne du Norfolk. En 2008, la peinture s’abîme, or Banksy est devenu une star dont les œuvres s’arrachent. Décision est prise de découper les parois pour les vendre. Sans certificat d’authentification. Cet épisode, personne n’est très enclin à l’évoquer aujourd’hui. Visiblement en mauvais état de conservation, Fungle Junk a été scindé en plusieurs morceaux, dont deux ont alors été vendus par une galerie pour près de 140 000 euros. En parallèle, une vente aux enchères a été organi- Sur la fresque, les personnages, habillés en soldats, prennent d’assaut un site depuis la mer, de nuit, sur des canots remplis de sound systems sée pour la première fresque, présentée sous le nom de Fragile Silence. Mais sans certificat, la vente a tourné court. Sept années plus tard, et après une reprise du dialogue, Banksy a accepté de délivrer le précieux certificat Pest Control – son service d’authentification officiel. Et pour cette vente sous de meilleurs auspices, à Paris, l’œuvre a pris un nouveau nom : Silent Majority. « Il a choisi de nous le délivrer, car il aime cette pièce. Et il a considéré qu’il s’agissait d’une commande du festival », et non pas d’une œuvre réalisée pour la rue, confie Nathan Welland. Avant la vente, le doute s’insinue : cette œuvre est-elle « vendable » ? Les grandes pièces ont en effet tendance à partir moins facilement que les petites ; or celle-ci est hors norme. Un galeriste présent à la vente est resté pour le moins dubitatif quant à l’intérêt et à la qualité de l’œuvre, se demandant qui pourrait être intéressé. La fresque est finalement adjugée à 500 000 euros, ce qui devrait permettre à Nathan Welland de réaliser son rêve : « Acheter une vraie maison. » A l’issue de la vente, le quarantenaire est attendu avec sa femme et leurs quatre enfants par les caméras de la télévision britannique pour commenter ce happy end. L’opération est également un succès pour la commissaire- priseur, Marielle Digard : « 500 000 euros, c’est le prix intermédiaire entre l’estimation basse, 400 000, et la haute, 600 000. Deux collectionneurs représentés par téléphone se sont battus pour l’obtenir. » Banksy et Inkie doivent toucher environ 1 % de la vente au titre du droit de suite. L’acquéreur devra pour sa part débourser 625 400 euros au total, avec les frais. Lundi soir, après avoir stationné pendant trois jours devant Drouot, le semi-remorque a pris le chemin d’un entrepôt, en attendant de livrer son œuvre monumentale. Alors que certains se demandent si Banksy n’aurait pas lui-même orchestré cet achat, Marielle Digard a précisé que le camion prendrait la direction du « nord de l’Europe ». L’acquéreur est un collectionneur d’art contemporain et d’art urbain, qui destine son achat à un usage privé, assure la commissaire-priseur. p emmanuelle jardonnet Interdiction de « Saw 3D » : vers un durcissement de la censure ? Le Conseil d’Etat a retiré son visa d’exploitation au film d’horreur sorti en 2010 CINÉMA D ans un arrêt daté du 1er juin, le Conseil d’Etat a retiré son visa d’exploitation à Saw 3D, film d’horreur sorti en 2010 qui avait rassemblé près de 560 000 spectateurs. Il invalide ainsi la décision du ministère de la culture qui l’avait seulement interdit aux moins de 16 ans, avec l’avertissement suivant : « Ce film comporte un grand nombre de scènes de torture particulièrement réalistes et d’une grande brutalité, voire sauvagerie. » Cinq ans après sa sortie, cela pourrait prêter à sourire si l’affaire n’était pas plus retorse qu’elle n’en a l’air. L’interdiction de Saw 3D aux moins de 18 ans est le résultat d’un long combat mené par l’association Promouvoir, qui s’est pourvue en cassation après avoir été déboutée une première fois par le tribunal administratif, puis en appel. Cette association, qui se donne pour objectif de « promouvoir les valeurs judéo-chrétiennes », entend militer « en faveur de la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant » et faire obstacle, entre autres, « au viol », à « l’homosexualité », à « la pornographie », était déjà à la manœuvre dans l’affaire Baise-moi, en 1999, quand fut sortie des oubliettes la catégorie des films interdits aux moins de 18 ans mais non classés X. En 2008, elle a obtenu d’y faire intégrer Quand l’embryon part braconner, de Koji Wakamatsu, et en 2014, à l’issue d’un référé, de rehausser le degré d’interdiction du Nymphomaniac de Lars von Trier, qui passa de 12 à 16 ans pour le premier volet et de 16 à 18 ans pour le second. Agnès Tricoire, déléguée de l’Ob- servatoire de la liberté de création, s’alarme des termes de la motivation de cet arrêt, qui va faire jurisprudence, et surtout de la mention selon laquelle le film serait « susceptible de heurter la sensibilité des mineurs ». « C’est terriblement large, outrageusement subjectif ! La porte ouverte à toutes les interprétations… » L’arrêt, en outre, serait contestable au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui « se fonde sur le fait que les œuvres peuvent heurter, qu’elles ont vocation à nous secouer ». « Au bord de l’implosion » S’alarmant du fait que Promouvoir obtienne de plus en plus souvent gain de cause, elle parle d’un « système au bord de l’implosion ». Un sentiment que partage une bonne partie du milieu du cinéma, comme le distributeur Daniel Chabannes qui constate déjà, depuis trois ans qu’il y siège, un durcissement tendanciel des positions de la commission de classification des films. « Mais si un juge peut décider à notre place, dit-il, je me demande à quoi sert la commission. » Membre de la Société des réalisateurs de films (SRF), le cinéaste Christophe Ruggia se dit « atterré par cette réponse du Conseil d’Etat », qui s’inscrit, selon lui, dans un climat de « droitisation » de la société, où les cas de censure se multiplient – de manière spectaculaire depuis les attentats de janvier. Il note que le cas particulier de Saw 3D – film de genre, sorti il y a cinq ans – risque de ne pas susciter de levée de boucliers. « La question maintenant, s’inquiètet-il, c’est de savoir ce qu’il va se passer quand un nouveau Taxi Driver sortira en salles. » p isabelle regnier Nespresso, partenaire de la Semaine de la Critique à Cannes, félicite le réalisateur Santiago Mitre, lauréat du 5e Grand Prix Nespresso, pour son film PAULINA. SOUTENIR LA JEUNE CRÉATION POUR PERMETTRE À CHAQUE HISTOIRE DE S’ÉCRIRE. 20 | culture 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Les Chedid, à eux quatre, tout un orchestre Autour du père Louis, Anna, Joseph et Matthieu offrent un récital où s’entrecroisent leurs talents CHANSON E n novembre 2014, le Palais omnisports de ParisBercy, qui deviendra à la rentrée, après travaux, Bercy Arena, avait reçu les Vieilles Canailles. Soit Johnny (Hallyday), Eddy (Mitchell) et Jacques (Dutronc), trois copains d’enfance devenus vedettes dans la génération rock des années 1960. Puis ce furent Alain (Souchon) et Laurent (Voulzy) qui, début mai, au Dôme de Paris, ex-Palais des sports, avant une tournée des grandes salles, ont mis sur scène leur amitié et leur collaboration artistique féconde depuis les années 1970. Cette fois, ils sont quatre. Non pas copains-copines, mais en famille. A l’Olympia, à Paris, entre fin mai et début juin, et en route vers quantité de festivals d’été avant retour parisien au – excusez du peu – Palais-Garnier, le 6 septembre. D’un instrument à l’autre D’abord c’est Anna, dite Nach, qui se présente. Puis Joseph, dit Selim, puis Matthieu, dit -M-, et enfin Louis… dit Louis. Trois enfants et leur père, la famille Chedid presque au grand complet (la grande sœur, Emilie, réalisatrice, et la grand-mère, Andrée, poète et romancière morte en 2011, sont évoquées). Tour à tour, ils émergent par la face avant, qui tourne sur un axe, de l’un des volumes rectangulaires servant de décor en fond de scène. Anna au piano, Joseph à la guitare, Matthieu à la basse et Louis à la guitare pour la chanson d’ouverture, Ce qu’ils deviennent, composition de la jeune femme, extraite d’un premier album sous le nom de Nach, publié début avril. Ils sont quatre tout au long de ce plaisant récital mêlant les chan sons de l’une et des autres, sans musiciens additionnels, parce que l’on a là des interprètes complets. Tous plus ou moins poly-instrumentistes qui passent selon les besoins à la basse (que manie plus particulièrement Anna), aux guitares, acoustiques et électriques, aux claviers, à la batterie (poste que Joseph maîtrise mieux et que seul Louis ne va pas occuper). Ce qui fait dire à Louis Chedid : « Quand j’ai besoin d’un orchestre, pas besoin de chercher très loin. » De gauche à droite, Louis, Anna, Matthieu et Joseph Chedid. ROD/DALLE Louis Chedid et -M-, pour des succès plus établis, dominent dans le répertoire Tous auteurs-compositeurs aussi. Et tous chanteurs. En une trentaine de chansons, c’est cet ancrage familial, par sa part de partage artistique, qui est proposé. Au début du concert, tout est simple. Après Anna et sa chanson, c’est Louis qui prend en charge son Tu peux compter sur moi. Joseph présente Paranoïa, tiré de son album Maison rock, et Matthieu l’un de ses plus fameux hymnes, Mojo. Celle-là a cappella, avec des battements de mains pour s’accompagner. Et peu à peu se dessine un jeu d’échanges. La voix principale d’un thème n’est plus celle de son créateur. Louis Chedid chante L’Amour éternel, de Joseph. Ce dernier lui répond avec son Danseur mondain. Louis encore, qui se régale de devenir le Machistador de -M-, à qui Joseph emprunte La Seine… Les arrangements, très travaillés en studio, sont rapportés à une manière plus sobre, pour l’instrumentation à quatre. Tout cela fonctionne plutôt bien. Avec de beaux entrelacs vocaux, la redé- Trop vive allure pour le train des Semianyki Au Théâtre du Rond-Point, le nouveau spectacle des clowns russes ne parvient pas à nous transporter, malgré la fantaisie burlesque de la troupe SPECTACLE D ès le soir de la première, jeudi 28 mai, nombre d’amateurs se pressaient devant le Théâtre du Rond-Point, à Paris, pour tenter d’acheter des places pour Semianyki Express. Tout le monde, en possession ou non d’un billet, avait envie de retrouver l’irrésistible folie comique de ces jeunes clowns russes déjantés, qui avaient signé, en 2003, un spectacle vite devenu « culte », Semianyki (« la famille », en russe), qui pendant plus de dix ans a tourné dans le monde entier, et notamment dans tout l’Hexagone (Le Monde du 16 mai 2007). C’est dire s’il était attendu, ce nouveau spectacle que les Semianyki (c’est aussi le nom de leur compagnie) ont mis des années à roder et à peaufiner. Las ! On dit souvent qu’il est bien difficile de signer une deuxième œuvre après un premier opus marquant, et ce Semianyki Express – dont on pourrait dire méchamment qu’il porte bien son nom – vient le confirmer. On n’y retrouve ni l’inventivité, ni le rythme trépidant, ni la merveilleuse esthétique de bric et de broc qui faisaient tout le prix de cette Famille, ni, surtout, le talent dont les clowns avaient fait montre pour en dire beaucoup – sur la Russie, notamment, et sur la famille, évidemment – sans jamais prononcer un mot. La vie d’un train de nuit Il y avait mille idées à la minute dans ce premier spectacle, il y en a bien peu dans cet Express. Les Semianyki ont passé les dix dernières années à voyager sans cesse, ils ont eu envie de mettre en scène la vie d’un train de nuit, avec son contrôleur, son barman, ses serveuses, ses voleurs, ses divas de passage et ses voyageurs en quête d’aventures, amoureu ses ou autres. Séduisant point de départ. Mais, malgré quelques jolies saillies poétiques, notre famille de clowns a bien du mal à tirer un fil dramaturgique qui se tienne. Les gags paraissent poussifs, et les tableaux se succèdent sans vérita- Malgré quelques jolies saillies poétiques, notre famille de clowns a bien du mal à tirer un fil dramaturgique qui se tienne ble rythme, qui tournent principalement autour des innombrables petits (ou grands) verres d’alcool qu’il faut bien s’enfiler pour supporter l’ennui – du voyage, de la grande steppe russe, de l’existence… Reste que les Semianyki sont des clowns de talent, qui savent faire exister leurs personnages. Notamment la prima donna de la troupe, Olga Eliseeva, qui, dotée d’un abattage hors du commun, offre les moments les plus réjouissants du spectacle, en délirante danseuse de flamenco ou en patineuse très peu artistique. couverte, par une approche acoustique, de certains thèmes. Louis Chedid et -M-, pour des carrières plus longues, des succès plus établis, dominent dans le répertoire. Des chansons de Nach qui commencent à être repérées, comme Je suis moi ou Cœur de pierre, font entendre leurs jolies manières de comptines un rien fantasques. Au crédit de Joseph, vocalement plus incertain par endroits, d’indéniables qualités de rythmicien, dans ces métriques qui emprun- tent aux combinaisons impaires de l’Orient ou de l’Afrique. Un effet de déséquilibre dans la durée du spectacle que -M- et Louis atténuent par l’attention portée aux deux autres. p sylvain siclier Louis, Matthieu, Joseph et Anna Chedid, en tournée. Prochains concerts, Le Bikini, Ramonville, le 5 juin, au JDM Festival, Bulligny, le 7 juin, Ardèche Aluna Festival, à Ruoms, le 19 juin… Dates, lieux et tarifs sur Infoconcert.com. L’Institut du monde arabe organise les Premiers En partenariat avec les Rendez-vous de l’Histoire de Blois Alexander Gusarov, lui, n’a pas son pareil pour incarner l’homme russe dans toute sa dimension alcoolique et égarée. Elena Sadkova, délicieuse de fantaisie, Kasyan Ryvkin et son sens de l’absurde, Marina Makhaeva et Yulia Sergeeva, tous jouent leur partition, plus ou moins burlesque ou poétique, sans démériter, loin de là. On ne peut pas dire que l’on ne passe pas d’agréables moments avec eux. Mais on attendait quand même de vivre des sensa tions un peu plus fortes, dans le train de nuit des Semianyki. p Conférence inaugurale le vendredi 5 juin à partir de 19h Les villes fabuleuses de l’Orient par Nasser Rabat, professeur titulaire de la chaire Aga Khan Entrée libre dans la limite des places disponibles Institut du monde arabe 1, rue des Fossés-Saint-Bernard 75005 – Paris 01 40 51 38 38 www.imarabe.org fabienne darge Semianyki Express, par le Teatr Semianyki. Mise en scène : Yana Toumina. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue FranklinD.-Roosevelt, Paris 8e. Tél. : 01-4495-98-21. Du mardi au samedi à 21 heures, samedi également à 15 heures, dimanche à 16 heures, jusqu’au 5 juillet. De 15 € (moins de 30 ans) à 36 €. Durée : 1 h 30. A partir de 7 ans. Puis tournée en France jusqu’en 2016. 3 jours de débats, conférences, présentations d’ouvrages, projections de ilms, expositions… Les 5, 6 et 7 juin 2015 programme complet sur www.imarabe.org le courrier de l’actualité du Maghreb en Europe carnet | 21 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 en vente actuellement K En kiosque Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu cppkxgtucktgu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Hors-série Naissance Juliette GOUX-LEYMARIE et Jean LEYMARIE ont la joie d’annoncer la naissance de Victor LEYMARIE, Décès Paris. Toulouse. Lille. Eva Bisseuil, Jacques, Michel (†), Bernard, Françoise, ses frères et sœur, Rachel, Stella et Karl ses enfants, Noé, Eliott, Lila, Anna, Louise, César, Emma, ses petits-enfants, font part du décès de M. Jean-Pierre BISSEUIL, architecte DPLG. Hors-série Collections --------------------------------------------------------- 0123 La célébration religieuse de ses funérailles aura lieu le jeudi 4 juin 2015, à 10 h 30, en l’église de Meudon-Bellevue (Hauts-de-Seine). Ses amis Et ses collègues, ont le chagrin de faire part du décès, le 28 mai 2015, à Paris, à l’âge de cinquante-six ans, de Sylvie BOURGOGNE, présidente du Tribunal de grande instance de Reims. L’inhumation aura lieu le jeudi 4 juin, à 14 heures, au cimetière de Thononles-Bains (Haute-Savoie). Dès mercredi 3 juin, le vol. n° 12 TROYLUS ET CRESSIDA BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN Un service à sa mémoire sera célébré ultérieurement en région parisienne. a la profonde tristesse de faire part du décès de Mme Hélène COHEN, née CHAMACHE, épouse de André COHEN, Nos services Lecteurs K Abonnements Tél. : 32-89 (0,34 � TTC/min) www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 Elle a rejoint son mari, La cérémonie religieuse aura lieu en l’église Notre-Dame de l’Espérance, 47, rue de la Roquette, Paris 11e, le jeudi 4 juin, à 10 h 30, suivie de l’inhumation au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Cet avis tient lieu de faire-part. Catherine Eugène, 19, rue Servan, 75011 Paris. David Fontaine, son petit-ils, Isabelle Monod-Fontaine, sa belle-ille et François Rouan, Cécile Schotsmans, sa belle-sœur, Etienne, Claude et Frédérique Hinous, ses neveux, Ses neveux, petits-neveux et arrière-petits-neveux, ont l’immense tristesse de faire part de la mort de Jacques FONTAINE, professeur émérite de langue et littérature latines, à l’université Paris 5-Sorbonne, membre de l’Académie des Inscriptions belles-lettres, docteur honoris causa des universités catholiques de Salamanque, Lublin et Milan, le 31 mai 2015, à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Ils lui associent le souvenir de son épouse, Anne, (1922-1996), et de son ils, Marc, (1944-1995). Après une messe de funérailles en l’église Saint-Germain-des-Prés, à Paris, le vendredi 12 juin, à 10 heures, il sera enterré à leurs côtés, dans le cimetière de Vieux-Port (Eure), à 15 h 30. Les obsèques auront lieu le vendredi 5 juin, à 15 heures, au cimetière du Montparnasse, 3, boulevard EdgarQuinet, Paris 14e. a le très profond regret de faire part du décès, survenu à Châtenay-Malabry, le 31 mai 2015, de ASPCJE, 8, rue des Tanneries, 75013 Paris. ---------------------------------------------------------------- survenu le 1er juin 2015, dans sa quatre-vingt-quatorzième année. L’Académie des inscriptions et belles-lettres Tous les membres de l’association présentent à son époux, ses enfants, petitsenfants, arrière-petite-fille et tous les membres de sa famille leurs condoléances les plus sincères. LE RÉVOLUTIONNAIRE CONSERVATEUR née PÉAN, survenu le 1er juin 2015, à Paris, à l’âge de quatre-vingts ans. « C’était notre amie, forte, discrète et lumineuse. » Actuellement en kiosque le volume n° 16 REAGAN Marie EUGÈNE, Paris. L’ASPCJE Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel des Juifs d’Egypte Dès jeudi 4 juin, le double CD n° 20 ON AIR - LIVE AT THE BBC Volume 2 ont la tristesse d’annoncer le décès de Jacques EUGÈNE, (Bruxelles, † 1971). à Paris, le 3 mars 2015. Hors-série Dominique et Anne Eugène, Claire et Douglas Eugène Wallis, Noëlle Favard, Catherine Eugène, Christophe Eugène, Philippe et Véronique Eugène, ses enfants, Olivier et Aurélie Eugène Marty, Yann Eugène et Anne-Sophie Kolacz, Guillaume Eugène, Margot Favard, Grégoire et Léa Eugène, ses petits-enfants, Stanislas, Adrien, Augustin et Solenn, ses arrière-petits-enfants, Le père Olivier Péan, son frère, Annie et Yves Jullien, sa sœur et son beau-frère et leurs enfants, Ses neveux et nièces de la famille Bossard, Mme Philippe Decourteix, née Florence Walbaum, son épouse, Pauline et Grégoire de Preneuf, Antoine et Hélène Decourteix, ses enfants, Oscar, Félix, Arthur, Edgar et Léon, ses petits-ils, ont la tristesse de faire part du décès de Philippe DECOURTEIX, survenu le 30 mai 2015, des suites d’une longue maladie. La cérémonie religieuse sera célébrée le jeudi 4 juin, à 14 h 15, en l’église SaintClodoald, à Saint-Cloud (à côté de la mairie, place Charles-de-Gaulle), suivie de l’inhumation au cimetière de Saint-Cloud. Ni fleurs ni couronnes souhaitées, mais des dons pour l’Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris Cedex 05, www.curie.fr. Cet avis tient lieu de faire-part. M. Jacques FONTAINE, membre de l’Institut, oficier de la Légion d’honneur, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, ancien membre de la Casa de Velázquez, professeur émérite à la Sorbonne. Une messe de funérailles sera célébrée en l’église Saint-Germain-des-Prés, le vendredi 12 juin, à 10 heures. Marie-Thérèse Giroire, Anne-Claude, Yves, Chloé, Marion Pont, Virginie, Yvan, Margot, Juliette, Tanguy Belleret Et toute la famille, ont le chagrin de faire part du décès de M. Jacques GIROIRE, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 30 mai 2015, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 5 juin, à 10 h 30, en l’église Saint-Charles-de-Monceau, 22 bis, rue Legendre, Paris 17e. L’inhumation aura lieu le même jour, à 12 h 30, au cimetière communal de Clamart, 26, avenue du Bois-Tardieu. Josette Griveau, son épouse, Michel (†) et Germaine (†) Griveau, Monique Griveau, Geneviève (†) et Robert Baguet, Marie-Thérèse et Henri Lecroart, Bernard (†) et Charlotte (†) Griveau, Jean-Claude Griveau, Brigitte Griveau, Jacqueline Plantié (†), ses frères, sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, Yves, François, Maryelle, Dominique, Pierre-Christophe, Laurent (†), Bénédicte, Bruno, Antoine, Emmanuel, Matthieu, Marine, Guillaume, Thomas, ses neveux et nièces, Les familles Torri, Herr, Poncier, Jouanin et Cissé, ont la douleur de faire part du décès de Pierre GRIVEAU, X 44, survenu le 31 mai 2015, à Paris 10e. Une cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 5 juin, à 10 h 30, en l’église Saint-Sulpice, Paris 6e. Un temps de recueillement aura lieu le même jour, à 14 h 30, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. 8, rue de Vaugirard, 75006 Paris. La Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, a la tristesse de faire part du décès de M. André JAGER, survenu le 9 mai 2015. Membre de la direction fédérale des années 1950 à 1977, André Jager a contribué activement à l’élaboration de l’histoire des MJC et de la FFMJC. Ses enfants Et sa famille, ont la douleur de faire part du décès de Françoise-Hélène JOURDA, architecte, chevalier de la Légion d’honneur, chevalier dans l’ordre national du Mérite, chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, membre de l’Académie d’architecture, professeure titulaire de la chaire d’architecture et développement durable de l’université technique de Vienne (Autriche). Les obsèques auront lieu dans la plus stricte intimité. Une cérémonie d’hommage sera organisée ultérieurement. La Cité de l’architecture & du patrimoine Et La Fondation Locus, ont le regret de faire part du décès de Françoise-Hélène JOURDA, architecte, lauréate du Global Award for Sustainable Architecture 2007. Ulla Rasmussen et sa ille, Louise Le Meur Ainsi que tous ses amis, ont la douleur de faire part de la mort de Jacques LE MEUR, ancien chef du service publicité de France Médias Monde, le 19 mai 2015, à l’âge de cinquante-huit ans. Il sera inhumé dans l’intimité, le 6 juin, à Concarneau, dans le caveau familial. Une messe sera célébrée à Paris, le jeudi 11 juin, à 18 h 30, chez les Frères des Ecoles chrétiennes,78, rue de Sèvres, Paris 7e. Véronique LEMAITRE, pédopsychiatre, psychanalyste, est décédée le mercredi 27 mai 2015. Ses amis de la WAIMH-France désirent lui rendre hommage. Sa créativité dans l’art de la clinique des origines restera pour nous une source inépuisable d’inspiration. Corinne, son épouse, Elisabeth et Agnès, ses illes, Glenn et Aminata, son frère et sa belle-sœur, Héloïse, Mathieu, Raphaël, Charles, sa nièce et ses neveux, Sa famille, Ses proches, ont la douleur de faire part du décès de Emmanuel LIMIDO, survenu le samedi 30 mai 2015. La messe de funérailles sera célébrée le lundi 8 juin, à 14 h 30, en l’église SaintHonoré-d’Eylau, 66 bis, avenue RaymondPoincaré, Paris 16e. Cet avis tient lieu de faire-part. Sa famille, Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Jacqueline MARTINET, née GERVAIS, survenu le 31 mai 2015, dans sa quatre-vingt-dix-septième année. La Société française de physique a la tristesse de faire part du décès de Roger MAYNARD, professeur émérite université Joseph-Fourier, président de la SFP, 2004, 2005, Bernard Ribier, son époux, Hervé, Emmanuelle, Luc, Jean, ses enfants, Antoine, Erika, Juliette, Marion, ses petits-enfants, font part du décès de Renée RIBIER, née FILIOL, normalienne, agrégée d’histoire, chevalier de l’ordre national du Mérite, survenu le 30 mai 2015. La célébration aura lieu le 4 juin, à 15 heures, en la chapelle de l’Est, au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. L’inhumation se déroulera le 6 juin, à 11 h 15, au cimetière Saint-Lazare de Montélimar (Drôme). Bernard Ribier, 33, rue des Gâtines, 75020 Paris. Christine Ropers, sa ille, Pierre Conil, son gendre et leurs enfants, Jeanne, Célia, PierreAlain ainsi que leurs petits-enfants, Pauline, Louis, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Marguerite ROPERS, née THEVENET, professeur de Lettres en retraite, oficier de la Légion d’honneur, médaille de la Résistance, croix de guerre 1939-1945 avec Palmes et à la Division, croix du combattant volontaire, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, survenu le 30 mai 2015 survenu le 28 mai 2015, dans sa quatre-vingt-douzième année. et s’associe à la douleur de sa famille et de ses proches. Un hommage lui sera rendu le vendredi 5 juin, à 10 h 30, au crématorium de Rouen (Seine-Maritime). Nous tous, avons apprécié l’énergie et l’élégance de Roger Maynard dans son approche de la recherche et la formation, dans ses interactions avec les collègues, dans ses engagements au service de la communauté scientiique. Le comité d’éthique du CNRS (COMETS), a la très grande tristesse d’annoncer le décès d’un de ses membres Roger MAYNARD, professeur de physique émérite à l’université Joseph Fourier. Sa très grande culture, sa tolérance et sa profonde compréhension des relations entre les scientiiques et la société seront vivement regrettées. L’enterrement aura lieu à la Tronche (Isère), le 5 juin, à 11 heures. La présidence de l’université Joseph-Fourier Grenoble 1, Le CNRS, La direction Et les personnels du LPMMC et de l’UFR PhITEM, ont appris avec une immense tristesse la disparition, le 30 mai 2015, à l’âge de soixante-dix-sept ans, de « C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères. » « Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute. » François Wolff, son mari, Marianne et Nicole, ses illes, André Brégégère, son petit-ils, avec Mirna Lekic, son épouse, Philippe et Nicole Jacob, son frère et sa belle-sœur, Ses neveux et nièces et leurs enfants, ont la douleur de faire part du décès de Lise WOLFF, née JACOB, pharmacienne, survenu le 1er juin 2015. Les obsèques auront lieu le jeudi 4 juin, à 15 h 15, au cimetière du PèreLachaise, entrée principale, 8, boulevard de Ménilmontant, Paris 20e. 37, rue des Longs-Prés, 92100 Boulogne-Billancourt. Communications diverses Roger MAYNARD, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, physicien et professeur émérite à l’université Joseph-Fourier. Ils s’associent à la douleur de sa famille et de ses proches et leur présentent leurs plus sincères condoléances. Co-fondateur et directeur du laboratoire de physique et modélisation des milieux condensés (LPMMC - UMR CNRS/UJF) de 1990 à 2002, Roger Maynard a découvert avec d’autres chercheurs le cône de rétrodiffusion « cohérent » dans les milieux diffus. Eminent scientifique, il a exercé de nombreuses responsabilités dans l’organisation et la médiation de la science et a fortement contribué au rayonnement national et international de la physique grenobloise. Homme de culture et d’ouverture, à la grande générosité, il aura été un modèle et une source d’inspiration pour ses collègues et de nombreux étudiants et jeunes chercheurs. Présentation-dédicace de l’ouvrage de Salma Samar Damluji Une autre architecture, la géométrie, la terre, le vernaculaire The Other Architecture : Geometry, Earth and the Vernacular Leçon inaugurale 2014 de l’École de Chaillot, prononcée par Salma Samar Damluji En présence de l’auteure jeudi 11 juin 2015, à 18 h 30. Entrée libre, inscription citechaillot.fr Cité de l’architecture & du patrimoine Hall About, 7, avenue Albert-de-Mun, Paris 16e (métro Iéna ou Trocadéro). ISF : Déduisez 75 % du montant de votre don à la Fondation du patrimoine Juif de France, pour sécuriser et mettre aux normes nos synagogues et centres communautaires. Tél. : 01 49 70 88 02. [email protected] Sous l’égide de la Fondation du Judaïsme Français. " " # " # " "# #" %. + *0.+ "# # # " ""+ /$ %- "# " *&# $%" % " # " " *$% + %/% "# " " . *%$$* * ** $$"%$. *$. 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Le pacte faustien qu’ont accepté les filles ne constitue pas vraiment une bifurcation essentielle du scénario. Car la seconde partie de Spring Breakers n’est en fait que la continuation de la première par d’autres moyens. La grande débauche des sens, de l’assouvissement infantile des pulsions, y atteint sa vérité cachée, une dimension mortifère et cruelle qui se démasquera progressivement, comme le refoulé putréfié du monde néolibéral. On sent bien que la réalité intéresse moins Harmony Korine que sa représentation fantasmatique, son reflet forgé par la publicité et les clichés sans esprit des industries culturelles. Les personnages veulent entrer dans une image qui n’est que leur propre horizon mental. Le faux devient ici une expression du vrai. p Harmony Korine s’empare du « spring break » pour explorer les abysses de l’hédonisme CINÉ+ CINÉMA JEUDI 4 – 20 H 45 FILM O n aurait tort de voir dans le film d’Harmony Korine une plongée opportuniste et rouée au cœur d’un phénomène social, à la fois excentrique et ba nal. Spring Breakers ne relève pas d’une volonté anthropologique et documentaire de décrire des comportements qui tiennent autant du rituel que du défoulement collectif. Harmony Korine a pris pour objet, et pour contexte, le spring break, ces « vacances de printemps » durant lesquelles les étudiants américains se retrouvent au bord de la mer pour des orgies où l’alcool, le sexe et les drogues diverses servent de viatique à la manifestation d’une réjouissance grégaire et, a priori, déraisonnée. Le dessein du cinéaste n’est pas d’en révéler les mécanismes, mais d’en interroger les significations comme fantasme générationnel et actuel. Tout est dit peut-être dès les premières images du générique, où l’on voit s’ébattre, au ra- lenti, de jeunes hommes athlétiques en bermuda ou maillot de bain et des adolescentes pulpeuses en bikini, monades déchaînées, buvant, fumant, inventant des jeux grotesques qui signalent un rapport d’agressivité et d’émulation triviale entre les sexes. Introuvable raison d’être Le parti pris de monter ces scènes au ralenti est une manière de jouer, justement, la fascination publicitaire pour ce moment dont, très vite, il est démontré qu’il est attendu, convoité, par des personnages qui n’y voient pas seulement le temps d’un plaisir programmé, mais une introuvable raison d’être. Le récit s’attache à quatre filles qui attendent avec impatience de partir pour le spring break. Un soir, elles braquent un fast-food pour réunir l’argent de leur excursion. Arrivées sur leur lieu de villégiature, elles se font embarquer par la police, qui fait une descente dans une chambre où circulent des drogues diverses. Emprisonnées, elles sont libérées par un malfrat, chef de bande local surnommé « Alien » (James Franco), jean-françois rauger Rachel Korine, Selena Gomez, Ashley Benson, James Franco et Vanessa Hudgens. MARS FILMS Spring Breakers, d’Harmony Korine. Avec Selena Gomez, Vanessa Hudgens, James Franco (EU, 2013, 92 min). Une double vie sans relief A travers un drame familial, une mini-série britannique tente d’explorer les années 1990 dans le Manchester ouvrier E n ce 15 juin 1996, à Manchester, peu de temps avant le match décisif entre l’Angleterre et l’Ecosse dans la course à l’Euro de football, Daniel a réuni, dans un pub, son père, Samuel, directeur de la confiserie familiale, et son frère Robbo, gérant d’une boîte de nuit, pour tenter de les réconcilier. Mais une bombe posée par l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, souffle le pub et ses occupants. Le père et les deux frères, sérieusement secoués, s’en tirent tant bien que mal. Daniel, qui a secouru une serveuse coincée sous les décombres, la raccompagne chez elle, dans le quartier ouvrier où il a grandi jusqu’à son adoption. Troublé par cette jeune mère célibataire, qui élève deux enfants dont un est handicapé, il lui rend visite à plusieurs reprises, en lui cachant qu’il est marié. Une double vie qu’il ne pourra pas tenir longtemps, et qui va faire exploser son couple et sa famille. A travers ce drame familial et les interrogations de Daniel, qui cherche à redonner du sens à sa vie après avoir frôlé la mort, cette mini-série britannique tente d’explorer les années 1990 dans le Manchester ouvrier épris de football et déchiré par le conflit de l’Irlande du Nord. Dégâts de la politique de Thatcher Au fil des trois épisodes qu’Arte diffuse à la suite se dessinent les dégâts de la politique ultralibérale menée par Margaret Thatcher dans les années 1980 (chômage, pauvreté, précarité) et les espoirs suscités par la victoire du travailliste Tony Blair, censé re- HORIZONTALEMENT GRILLE N° 15 - 130 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 129 HORIZONTALEMENT I. Rhétoriqueur. II. Héron. Inné. III. Itou. Onc. Fès. IV. Nessos. Ali. V. Or. Scandales. VI. Coder. Orient. VII. Edo. Agueusie. VIII. Rotatives. GR. IX. Oxer. Rê. Sema. X. Serpillières. VERTICALEMENT 1. Rhinocéros. 2. Hétérodoxe. 3. Eros. Doter. 4. Tousse. Arp. 5. On. Ocrât. 6. Osa. Girl. 7. Ion. Nouvel. 8. Cadrée. 9. Ui. Laïusse. 10. Eniles. Er. 11. Une. Enigme. 12. Résisteras. I. Panse et soigne à l’écurie. II. Lui aussi défend et soigne son écurie. Petit bruit à la fermeture. III. Tout ce qui se passe à la campagne. Plume de la Botte. IV. Acclamation en tribune. Deviennent diiciles à contrôler. V. Les premiers à déguerpir en cas de danger. Propos enfantin. Préposition. VI. Disposition de corps et d’esprit. VII. Fâche les cruciverbistes. Fétide, elle est extraite de la férule. Drape la belle Indienne. VIII. Dans la gamme. Ouvriras l’appétit. IX. Délicatement colorée. Modiié chimiquement. X. Préfèrent rester en dehors de tous les problèmes. lancer un peu le partage des richesses. Plutôt sympathique sur le papier, « D’une vie à l’autre » n’est malheureusement pas à la hauteur de ses ambitions. Le réalisateur, James Strong, tombe dans le mélo ennuyeux en s’éparpillant dans des intrigues entre les différents personnages (souvent mal interprétés), qui ne présentent guère d’intérêt. Il est difficile d’entrer en empathie avec Philip Glenister (Daniel) tant il a l’air de ne pas croire en son personnage. Le football et la politique, qui étaient censés structu- rer le récit, sont relégués au second plan. On le regrette, car, depuis de nombreuses années, les réalisateurs britanniques nous avaient habitués à mettre en scène les drames sociaux de l’après-Thatcher (The Full Monty, Les Virtuoses et les films de Ken Loach), où la comédie dramatique n’empêchait pas la férocité du propos. p D’une vie à l’autre, mini-série créée par Peter Bowker. Avec Philip Glenister, Steven Mackintosh (GB, 2014, 3 × 55 min). France 2 20.55 Envoyé spécial Magazine présenté par Guilaine Chenu et Françoise Joly. Les invisibles du Net. 22.25 Complément d’enquête Magazine présenté par Nicolas Poincaré. Affaire Balkany, mariage chinois, le poids du scandale. France 3 20.50 Ronin Thriller de John Frankenheimer. Avec Robert De Niro, Jean Reno (GB/EU, 1998, 120 min). 23.45 Afghanistan, le prix de la vengeance Documentaire d’Alberto Marquardt (2012, 85 min). Canal+ 21.00 Vikings Série créée par Michael Hirst. Avec Travis Fimmel, George Blagden (Irl.-Can., S3, ép. 5 et 6/10). 22.30 Mad Men Série créée par Matthew Weiner. Avec Jon Hamm, Elisabeth Moss, Vincent Kartheiser (S7, ép. 14/14). France 5 20.40 Nus et culottés Magazine animé par Guillaume Mouton, Nans Thomassey et Charlotte Gravel. Objectif Italie. 21.30 La tournée des popottes Série documentaire présentée par Greg Cuilleron. La Réunion. Arte 20.50 D’une vie à l’autre Mini-série avec Philip Glenister, Steven Mackintosh, Saskia Reeves, Bernard Hill, Liz White (S1, 1 à 3/3). 23.35 Le Retour des tomates tueuses Science-fiction, de John de Bello. Avec J. Stephen Peace, John Astin, George Clooney, Michael Villani (EU, 1988, 100 min). M6 20.55 Scorpion Série créée par Nick Santora. Avec Elyes Gabel, Katharine McPhee (EU, S1, ép. 21 et 22/22). 0123 est édité par la Société éditrice SUDOKU N°15-130 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 32-89 (0,34 ¤ TTC/min) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60 VERTICALEMENT 1. Ce n’est que la conclusion d’un long discours. 2. A toujours un bon coup de brosse à passer. 3. Tapis de récupération. Se jette dans plus grand que lui. 4. Chez les Grecs. Introduit une supposition. Démonstratif. 5. Fragilisé mais pas cassé. Faire le bon poids. 6. Risque de vous entraîner bien bas. 7. Russe qui a ini dans les décors. Grand moment de tristesse. 8. Coule en Irlande. Personnel. 9. Cœur de seiche. Se rend. Se mettent à cinq pour ne rien rater. 10. Zénon à fréquenté son école. Met à sec. 11. A belle et grande allure. Passe au plus près. 12. Venues d’Edimbourg et de Glasgow. TF1 20.55 Alice Nevers, le juge est une femme Série créée par Noëlle Loriot. Avec Marine Delterme, Jean-Michel Tinivelli, Guillaume Carcaud (saison 13, ép. 7 et 8/10 ; saison 12, ép. 6/10). 0.10 Les Experts Série policière créée par Anthony E. Zuiker. Avec Ted Danson, Marg Helgenberger (EU, S12, ép. 8 à 10/22). daniel psenny La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. WASHINGTON CORRESPONDANTE D Education UK price £ 1,40 ARTE JEUDI 4 – 20 H 50 MINI-SÉRIE VOTRE SOIRÉE TÉLÉ L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air D Automobile Fiat : objectif Chrysler et qu’ils tentent difficilement d’éteindre avec pieds. « C’est du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. Surles mursde » cetterue,des cesnoirâtres tra- boutique. sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants petite Bonus Les banquiers ont cédé 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Page 14 Edition Au bord de des nations occidentales papier. « C’est la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 2,00 ¤, Belgique et Débats page 5 François Wahl. 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 F CFA, 17 Page Norvège 25 KRN, Pays-Bas Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une aide de l’Etat de 10,5 d’euros. Montantmilliards équivalent à celle accordée fin 2008. Barthes, la polémique 20 L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. Canada 2,00 ¤, Portugal3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 Imprimerie du « Monde » 12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») styles | 23 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 t l u a n e R e u q n i u q e r r a j d a K Le brise identique, trappe à essence s’ouvrant depuis l’intérieur, par exemple), lui a aussi permis de bénéficier des compétences de la marque alliée, en particulier pour proposer une version à quatre roues motrices. Doté d’un grand coffre (527 litres), le Kadjar est suspendu plus confortablement que le Qashqai, mais il dispose au lancement, en juin, d’un éventail de moteurs plus restreint. Seule proposition disponible en essence, le 1,2 litre de 130 chevaux ne fait pas grosse impression : trop juste en performances et gourmand dès qu’on le sollicite un tant soit peu. Le diesel (1,6 litre) développe lui aussi 130 chevaux, mais son couple supérieur lui procure un avantage en matière d’agrément. libré, Design équi en t bi équipemen on rs pensé… Pou × 4 nouveau 4 arque urbain, la m ue au losange jo t tô la sûreté plu e que l’audac AUTOMOBILE I l suffit de considérer le Kadjar pour s’en convaincre ; Renault est sorti de sa période post-traumatique. Au sortir d’années d’errance stylistique (Laguna, Latitude, Koleos, Wind), de non-choix (Mégane et Scénic de dernière génération) et de coups d’épée dans l’eau (Twizy et Zoé électriques), la marque a mené à bien son travail de résilience. Ce n’est pas encore le Losange triomphant des années 1990 mais ce n’est plus le constructeur intro verti et ennuyeux des années 2000, traumatisé par l’échec de ses audaces sur le haut de gamme. SUV (Sport Utility Vehicle, 4 × 4 urbain), de gabarit intermédiaire (4,45 m), le Kadjar n’est, certes, pas le premier à donner le signal du réveil. Conçus sous la baguette de Laurens van den Acker, qui est devenu bien plus que le patron du design, les récents Espace, Twingo, Captur et Clio ont balisé le chemin d’un renouveau, mais le dernier-né affirme plus nettement encore des choix destinés à faire de Renault une marque à la fois plus forte et plus consensuelle. Une certaine stature Destinée à l’Europe, mais aussi à l’Afrique et à l’Asie, cette voiture, qui se conduit comme une berline mais se donne des airs de 4 × 4, ne prétend rien réinventer. Le Kadjar en impose avec son « nez » caractéristique et son capot proéminent. COMPOSITION D’APRÈS J.-BRICE LEMAL/RENAULT Il est loin le temps où Renault s’autoproclamait « créateur d’automobiles ». « Dans cette catégorie, les deux principaux critères d’achat sont, d’abord, le design, ensuite, la capacité de la voiture à exprimer un statut social. Pour asseoir notre crédibilité auprès des acheteurs de SUV, nous savions quelles priorités retenir », souligne Delphine de Andria, chargée du segment des modèles de gabarit intermédiaire. La face avant, qui en impose avec son « nez » caractéristique et son capot proéminent, ainsi que des inserts de chromes horizon- taux qui l’élargissent visuellement, donne une certaine stature au Kadjar. De ce crossover émerge l’impression d’une vraie transversalité dans le style Renault. Sans être le clone d’un autre modèle, il reprend à son compte certaines proportions et caractéristiques de la nouvelle gamme. La surface vitrée contenue, les « muscles » sculptés sur les flancs et les bas de caisse pour allonger la silhouette, ou encore la légère protubérance qui surgit sous la vitre du hayon arrière. Des signes distinctifs définis très en amont dans le cahier des charges, afin de ne pas sortir Destinée à l’Europe, à l’Afrique et à l’Asie, cette auto, qui se conduit comme une berline mais se donne des airs de 4 × 4, ne prétend rien inventer de l’épure et de forger une identité tangible sans être paralysante. L’important, toutefois, n’est pas seulement la cohérence du style, mais aussi son efficacité. Et le résultat n’est pas du tout désagréable à regarder. Le Kadjar (à partir de 22 990 euros), qui s’installe sur un créneau en plein essor non encore occupé par Renault, ne part pas d’une feuille blanche. Elaboré sur la même plate-forme que le best-seller Nissan Qashqai, il en partage 60 % des composants. Ce cousinage, que ne trahissent que quelques détails apparents (pare- Prévenant, consensuel Chez Renault comme ailleurs, l’acheteur ne dispose pas toujours d’un vrai choix entre essence et diesel. En juin sera également disponible un 110 chevaux diesel, qui devrait représenter l’essentiel des ventes, mais que Renault n’a, curieusement, pas jugé bon de nous faire tester. Critiqué à juste titre pour la qualité de présentation très moyenne du Captur, Renault a consenti un louable effort pour le Kadjar, dont l’habitacle est soigné même si la planche de bord et l’instrumentation n’ont rien de très innovant. On y retrouve le – trop – petit écran tactile issu du Qashqai. L’espace intérieur est généreux, mais ne peut être aménagé qu’a minima, sans doute pour ne pas trop piétiner le territoire du Scénic. Prévenant, consensuel, présentant plutôt bien et correctement équipé, le Kadjar devrait tenir son rang face à des concurrents qui s’appellent Peugeot 3008, Volkswagen Tiguan, Kia Sportage ou Hyundai Tucson. On peut regretter qu’il manque d’aspérités mais ce serait oublier que le « fun » n’est pas vraiment la tasse de thé de cette catégorie de SUV. Et puis, chez Renault, personne n’a oublié que l’audace est une notion à manier avec ménagement. p jean-michel normand Retrouvez notre actualité automobile sur Lemonde.fr/m-voiture/ Scooter au carré Mi-moto mi-auto, le Quadro4 et ses quatre roues veulent séduire les urbains prudents A Le Quadro4 s’incline jusqu’à 45 degrés. QUADRO VEHICLE S.A. priori, un scooter à quatre roues, c’est paradoxal. Cela peut même paraître légèrement cocasse. Cela posé, le Quadro4 n’est pas une automobile qui s’ignore. Cet engin inédit explore un territoire où se sont déjà aventurés le défunt BMW C1, l’improbable Renault Twizy ou l’étonnant Toyota i-Road. Il se propose lui aussi de créer le chaînon manquant entre le scooter et la voiture, l’engin qu’attendent les actifs périurbains tentés par l’efficacité qu’offre le premier dans le trafic, mais attachés à la sécurité que garantit la deuxième. Moins orienté vers la performance que la « rassurance », ce quatre-roues conçu par Quadro – petit constructeur italo-suisse qui a lancé depuis 2011 un trois-roues diffusé à 2 700 exemplaires en France – adopte une architecture qui contribue, par définition, à en améliorer la stabilité. A peine l’a-t-on enfourchée que cette machine semble posée sur des rails. L’impression s’explique sans doute par son poids respectable (257 kilos), mais aussi par l’extrême aplomb dont fait preuve le train arrière, avec deux roues écartées de 45 cm. Ce curieux scooter est capable de s’incliner jusqu’à 45 degrés (sensiblement plus qu’un Piaggio MP3) sans sourciller et, surtout, sans qu’il soit nécessaire de le brutaliser. Une caractéristique que l’on appréciera moins dans l’idée de négocier un virage au cordeau que pour réaliser un demi-tour rapide. Imposant, le Quadro4 est à peine plus large qu’un autre gros scooter, à deux ou trois roues, mais il effectue les changements d’appui avec un peu moins de vivacité. Toute la plasticité dynamique de ce scooter s’articule non pas autour de béquilles électroniques, mais d’une solution technique assez simple, basée sur un système pendulaire oléo-pneumatique. A l’avant et à l’arrière, un circuit fermé composé de trois vérins est rempli d’un mélange d’air et d’huile qui circule selon l’incli- naison de la machine. Ces circuits assurent le fonctionnement de la suspension et permettent au Quadro4, une fois les vérins verrouillés, de se tenir droit comme un i à l’arrêt, évitant au pilote de mettre pied à terre au feu rouge ou de devoir basculer son scooter sur une béquille lorsqu’il en descend. Quatre roues donnent aussi plus d’efficacité au freinage (combiné) et présentent l’intérêt de mieux avaler les inégalités de la chaussée. Pas d’accélérations décoiffantes Accessible aux détenteurs du permis B (voiture), ce scooter, dont une bonne partie des composants sont d’origine européenne mais qui est assemblé à Taïwan, est animé par un monocylindre inédit de 346 cm3 (30 ch) installé en position centrale. Exempt de vibrations, il présente un tempérament placide mais suffisant pour circuler sur les voies rapides, à condition de ne pas rechercher d’accélérations décoiffantes. Une double trans- mission par courroie et un différentiel transmettent le mouvement aux roues arrière. La présence de quatre roues impose aussi des contreparties. Le coffre situé sous la selle dispose d’un volume revu à la baisse et ne peut guère accueillir qu’un seul casque. De même, les designers n’ont pas pu réaliser de miracle au regard de la silhouette plutôt massive, voire pataude, à laquelle se condamnent les scooters qui décident de s’offrir une ou deux roues supplémentaires. Surtout, le Quadro4 impose des tarifs qui se rapprochent de ceux d’un véhicule à quatre roues : à partir de 12 490 euros, soit un surcroît de 2 500 euros comparé au plus huppé des Piaggio MP3. Ses promoteurs se disent pourtant persuadés d’aller dans le sens de l’histoire. « Vous verrez, dans deux ou trois ans, nos concurrents suivront notre exemple », assure Philippe Monceyron, directeur commercial de Royal Moto France, importateur de Quadro. p j .-m. n. 24 | 0123 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 par ar naud l e par m e nt ie r Voix désaccordées A u secours, les élections reviennent ! On nous a beaucoup reproché de nous être inquiétés, il y a pile six mois, du retour en scène des citoyens-électeurs en cette année 2015. Au moins ne sommesnous pas déçus : c’est bel et bien la catastrophe annoncée. L’Europe, c’est l’empire éclaté, la révolte des peuples contre un centre si faible qu’il est incapable de donner une direction. Une protestation tous azimuts et contradictoire, de sorte qu’un infléchissement de politique – plus à gauche, moins centralisatrice – n’y suffirait pas. Entre le vote des Grecs et des Espagnols au sud, des Anglais et des Ecossais au nord, des Polonais et des Finlandais à l’est, on y perd son latin. Les vents sont contraires, mais prennent l’Europe dans un tourbillon. Ces élections ont un mérite : elles confirment que les Européens sont en désaccord généralisé sur tous les grands dossiers. Le premier d’entre eux concerne l’euro. Depuis la victoire de Syriza en Grèce aux élections législatives du 25 janvier, les politiques d’austérité sont contestées. La vague s’est poursuivie avec le bon score de Podemos aux élections locales espagnoles du 24 mai, camouflet pour les partis dominants socialiste et conservateur. Mais ce cri du Sud trouve un écho dans l’exaspération du Nord, comme en témoignent les élections finlandaises du 19 avril. Le conservateur très europhile Alexander Stubb a perdu les élections, tandis que les Vrais Finlandais, populistes eurosceptiques arrivés deuxièmes en sièges, sont entrés au gouvernement : leur leader, Timo Soini, est devenu ministre des affaires étrangères de Finlande. Il est plus que critique sur les aides à la Grèce. Et ce n’est pas l’arrogance du premier ministre, Alexis Tsipras, et de son ministre des finances, Yanis Varoufakis, qui va les conduire à plus de bienveillance. Dans une tribune au Monde, le premier a fustigé des Européens « indifférents à l’égard des récentes élections en Grèce », mais ne s’interroge pas sur sa propre indifférence aux élections chez ses partenaires. La guerre des légitimités démocratiques ne fait que commencer, alors que la Grèce n’en finit pas de négocier son sauvetage. Avancée des eurosceptiques Pendant que la zone euro se chamaille, rien ne va plus non plus dans la grande Europe. Les eurosceptiques l’emportent partout, qu’il s’agisse des élections britanniques du 7 mai, qui ont permis la réélection du conservateur David Cameron, ou de la présidentielle polonaise du 24 mai, qui a vu la victoire d’Andrzej Duda, un inconnu qui a grandi dans l’ombre des frères eurosceptiques Kaczynski. On peut se rassurer, en disant que les europhobes anglais du UKIP ont divisé par deux leur score par rapport aux élections européennes de mai 2014 ou que les Européens en ont vu d’autres avec les Polonais sous l’ère des Kaczynski. Il n’empêche, Londres ne veut plus des plombiers polonais et Varsovie ne veut plus des capitalistes européens – allemands et français notamment – LES FRANÇAIS ET LES ALLEMANDS RESSORTENT LEUR POUDRE DE PERLIMPINPIN L’EUROPE, C’EST L’EMPIRE ÉCLATÉ, LA RÉVOLTE DES PEUPLES CONTRE LE CENTRE qui dominent l’économie polonaise. Le Royaume-Uni et la Pologne qui se préparent à torpiller le marché unique cher à Margaret Thatcher, cette Europe réduite aux acquêts qu’on croyait invulnérable, qui l’eût cru ? Troisième désaccord, la Russie. Un petit graphique révélé par le Spiegel montre combien les Européens sont naïfs dans la crise ukrainienne : le commerce des Européens avec les Russes a chuté, en 2014, de 9,7 % (377 milliards de dollars), tandis que celui des Amé ricains avec Moscou progressait de… 5,6 % (29 milliards de dollars). Faites ce que je dis, pas ce que je fais, tel est le leitmotiv d’Obama. Il n’empêche, les Polonais sont de nouveau pris par leurs angoisses et tentés de choisir les Américains protecteurs contre l’Europe continentale, comme lors de la guerre en Irak de 2003. C’est aussi le sens des élections polonaises du 10 mai qui voient le retour de la croyance polonaise en une Amérique mythique, alors que les Allemands sont plus que jamais brouillés avec Obama, coupable de les avoir espionnés. En Europe, la question russe et américaine est de nouveau posée. Une Europe à deux vitesses Quatrième dossier, le modèle social européen, longtemps porté par la gauche sociale-démocrate. Cette dernière est en perdition, en passe de subir le destin des radicaux, qui dominèrent la IIIe République. A tous les coups, elle perd. Elle est éliminée en Grèce, laminée en Espagne, après la terrible crise de l’euro. Mais dans les pays où la crise est plus sourde, elle ne résiste pas à l’exercice du pouvoir : le gouvernement Valls, incapable d’endiguer le chômage, a pris une gifle aux départementales de mars, tandis que le gouvernement réformateur de Matteo Renzi a enregistré un résultat décevant lors des régionales du 31 mai. S’il s’agit de mener une politique d’ajustement à la mondialisation, pourquoi ne pas le faire faire par la droite ?, semblent dire les électeurs. C’est ce qui se passe aussi en Allemagne, où la popularité du Parti so cialdémocrate reste calamiteuse, autour de 25 % des intentions de vote, loin des 40 % d’Angela Mer kel. Quant à la gauchisation du discours, prônée par les frondeurs, elle n’apporte pas de résultats garantis, comme en témoigne l’échec au Royaume-Uni d’Ed Miliband le Rouge, qui croyait l’emporter en faisant du New Old Labour. Dans ce contexte de confusion, les Français et les Allemands ressortent leur poudre de perlimpinpin, la fameuse Europe à deux vitesses, qui serait la panacée. Ce concept, repris par le ministre de l’économie social-démocrate Sigmar Gabriel en Allemagne et son homologue français, Emmanuel Macron, a un mérite : faire croire que si l’Europe est à la peine, c’est parce qu’une périphérie récalcitrante ne voudrait pas aller de l’avant, tandis que la France et l’Allemagne seraient l’avant-garde éclairée de l’Europe. Mesdames et messieurs les Français et les Allemands, vous le savez parfaitement, nul ne vous empêchera d’aller de l’avant : à vos propositions ! p [email protected] Tirage du Monde daté mercredi 3 juin : 262 521 exemplaires NSA : UN PREMIER PAS POUR LES LIBERTÉS PUBLIQUES C’ est un tournant, et il est à porter au crédit d’Edward Snowden. Pour la première fois depuis les attaques du 11 septembre 2001, une loi américaine, le USA Freedom Act, réduit la portée des vastes programmes de surveillance et de renseignement mis en place dans la foulée de ces attentats. A l’issue d’une spectaculaire bataille politique, le Sénat américain a finalement adopté, mardi 2 juin, par une forte majorité – 67 voix contre 32 –, un texte qui met fin à la collecte massive des métadonnées des citoyens américains par la National Security Agency (NSA), procédé qui avait été révélé en 2013 par Edward Snowden, le lanceur d’alerte de la CIA, réfugié depuis en Russie. La loi, qui renouvelle en les modifiant plu- sieurs dispositions du Patriot Act de 2001 arrivées à expiration, a été promulguée quelques heures plus tard par le président Barack Obama. C’est une cuisante défaite pour le chef de la majorité républicaine, Mitch McConnell, puisque 23 sénateurs républicains ont voté avec les démocrates pour limiter les pouvoirs de l’Etat en matière de collecte de données personnelles. L’étendue de ces défections montre à quel point le vent a tourné aux Etats-Unis dans le grand débat sur l’équilibre entre sécurité et libertés publiques depuis le début de l’affaire Snowden. Certes, il ne s’agit pas ici de l’abrogation du vaste dispositif de renseignement mis sur pied à l’ombre du Patriot Act, qui demeure un texte fondateur de la sécurité intérieure américaine au XXIe siècle. Les modifications introduites par le Freedom Act sont limitées. La collecte des données personnelles (facturation détaillée et conversations téléphoniques, échanges de courriels, etc.) sera toujours possible, même si l’intervention des services de l’Etat se trouve réduite. Le Freedom Act ne met pas fin à la collecte par la NSA des données étrangères (notamment européennes) transmises par les entreprises américaines du Net ; il laisse également intactes les gigantesques opérations de renseignement de la NSA à l’étranger, source de fortes tensions entre les Etats-Unis et certains de leurs alliés, en par- ticulier l’Allemagne, depuis deux ans. Mais il est clair qu’outre-Atlantique la dynamique s’est inversée, au point que les défenseurs des libertés publiques voient dans le Freedom Act une étape importante. Le stockage des métadonnées sera désormais assuré par les compagnies privées, et non par la NSA. La nouvelle loi constitue également une avancée en matière de transparence, à la fois pour les compagnies de télécommunications, qui pourront communiquer davantage sur les demandes qui leur sont présentées par les services de renseignement, et sur la publication des décisions de la juridiction de contrôle. L’ironie a voulu que le Sénat américain ait voté sur le Freedom Act le jour même où, au Sénat français, s’ouvrait la discussion du projet de loi sur le renseignement, texte sur lequel le gouvernement a demandé la procédure d’urgence et qui a déjà été adopté par les députés. Sagement, la commission des lois du Sénat a introduit plusieurs modifications au projet de loi, dans le sens d’un contrôle plus étroit des algorithmes de surveillance et de l’utilisation des « IMSI-catchers », valises qui captent les communications de téléphones portables, ainsi que d’un renforcement de la commission de contrôle. Comme le montre l’exemple de leurs collègues américains, les sénateurs français ont raison de veiller de plus près à la protection des données personnelles. p « AUSSI BRILLANT QUE JOUISSIF « EUROPE | CHRONIQUE Augustin Trapenard, France Inter «Yann Moix frappe fort.» Bernard Pivot, Le JDD «L’enfant terrible de la littérature.» Pierre Vavasseur, Le Parisien «Cruel, exaltant, jubilatoire.» Maurice Szafran, Challenges «Ceux qui aiment suivent Yann Moix.» Marcela Iacub, Libération «Les femmes. Un vrai sujet pour ce touche-à-tout génial et éruptif.» Anne Fulda, Le Figaro «Un poète hors pair, un inventeur de formules magiques, un découvreur de nouvelles terres. Bref, un écrivain.» Albert Sebag, Le Point «Il y a du Guitry chez Moix.» Frédéric Beigbeder, Le Figaro Magazine www.grasset.fr www.facebook.com/editionsgrasset www.twitter.com/editionsgrasset Grasset Les créanciers renvoient la balle dans le camp de la Grèce ▶ La Commission euro- ▶ Le premier ministre grec, ▶ Côté créanciers, l’accord, ▶ Comment le FMI est péenne pourrait présenter à Alexis Tsipras, mercredi 3 juin à Bruxelles, une proposition formelle d’accord des créanciers d’Athènes s’il l’accepte, devra convaincre sa majorité parlementaire d’avaliser le texte, ce qui est loin d’être acquis s’il est conclu, devra encore être validé par l’Eurogroupe. Puis par certains parlements nationaux, dont le Bundestag passé en cinq ans du statut de sauveur de la Grèce à celui de créancier le plus intransigeant → LIR E PAGE 3 L’OCDE révise à la baisse ses prévisions de croissance ▶ La crois- sance des pays avancés devrait être de 1,9 %, en 2015, et de 2,5 %, en 2016 ▶ L’organisation dénonce la faiblesse de l’investissement des entreprises et des Etats ▶ Confiant, le danois Maersk commande 11 porte-conteneurs géants → AccorHotels se renforce sur la réservation en ligne S ébastien Bazin continue d’accélérer. Le PDG du groupe hôtelier Accor met son groupe en ordre de bataille, avec pour objectif de faire pièce à l’emprise de plus en plus forte des agences de voyages en ligne. Les Booking.com et autres Expedia. Pour répondre à cette menace, Accor a changé de look – la bernache bleue est passée au miel – et de nom. Le groupe est désormais rebaptisé AccorHotels.com, du nom de sa plate-forme de distribution sur Internet. Une première étape indispensable pour réussir la mue du groupe hôtelier qui veut devenir une « place de marché », à l’exemple du site Amazon.com, a indiqué au Monde, mercredi 3 juin, M. Bazin. En pratique, le groupe va ouvrir « sa plate-forme de distribution AccordHotels.com à une sélection d’hôteliers indépendants », précise M. Bazin. L’objectif est de tripler l’offre d’hôtels proposés par le portail de réservation. D’ici à la fin 2018, les clients devraient avoir accès à plus de 10 000 hôtels dans plus de 300 villes et 92 pays à travers le monde. Une offre répartie à parts égales entre les 5 000 hôtels à l’enseigne des différentes marques du groupe Accor (Ibis, Sofitel, Mercure…) et les 5 000 établissements partenaires de la plateforme de distribution. guy dutheil → LIR E L A S U IT E PAGE 5 10 000 LIR E PAGE 4 HÔTELS Le porte-conteneurs « EdithMaersk », sur le canal de Suez, en octobre 2012. REUTERS/STRINGER FINANCES GUERRE OUVERTE POUR LA PRÉSIDENCE DU FONDS SOUVERAIN LIBYEN → LIR E PAGE 5 MÉDIAS & PIXELS À PARIS, FACEBOOK VA TRAVAILLER SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE → LIR E PAGE 7 J CAC 40 | 4 996 PTS – 0,16% J DOW JONES | 18012 PTS – 0,16% j EURO-DOLLAR | 1,1137 J PÉTROLE | 65,04 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 1,03% VALEURS AU 03/05 - 9 H 30 ACCOR SOUHAITE TRIPLER SON OFFRE POUR PROPOSER 10 000 HÔTELS SUR SA PLATE-FORME INTERNET FIN 2018 PERTES & PROFITS | COCA-COLA - ADIDAS - VISA Le bal des hypocrites A h qu’ils sont beaux ces parangons de vertu que sont les sponsors de la Fédération internationale de football Association (FIFA) ! Ils ont tous, ou presque, salué, mardi 2 juin, la démission de Joseph Blatter de la présidence de l’instance mondiale du ballon rond, en y voyant un grand pas vers la transparence et l’éradication de la corruption. L’odeur du scandale et la crainte des conséquences d’une enquête judiciaire américaine pour corruption, qui n’en est qu’au début, avaient de quoi ternir l’image des principaux sponsors de la FIFA. Ils sont au nombre de cinq : les groupes américains Coca-Cola et Visa, l’allemand Adidas, le coréen Hyundai et le russe Gazprom. Ce dernier est le seul à ne pas s’être bruyamment réjoui de l’éviction de l’indéboulonnable M. Blatter. Faut-il en conclure qu’il serait malvenu de cracher dans la soupe, alors que les faits présumés de corruption portent notamment sur le choix de la Russie pour la Coupe du monde de 2018 ? Les autres mériteraient pourtant de s’imposer un petit examen de conscience avant de se parer de la blanche cape des redresseurs de torts. Vitrine publicitaire Reconnaissons que ces généreux sponsors n’ont pas attendu le 2 juin pour réclamer transparence, éthique et réforme de gouvernance dans la multinationale du foot. Leur puissance financière a sans doute davantage pesé pour sortir M. Blatter du terrain de jeu que le vote Cahier du « Monde » No 21890 daté Jeudi 4 juin 2015 - Ne peut être vendu séparément « démocratique » des instances de la maison. Les sponsors apportent 350 millions de dollars (310 millions d’euros) par an dans les caisses de l’institution installée à Zurich. De quoi se faire entendre. Il est amusant de revenir quatre ans en arrière, où le même sketch nous avait été joué. M. Blatter se représentait en juin 2011 pour un quatrième mandat à la présidence de la FIFA sur fond de scandale de corruption. Les sponsors ont tapé du poing sur la table, alerté la presse, exigé des changements. M. Blatter a été réélu… et ils ont renouvelé leurs contrats. Il y a tout juste un an, c’est une enquête impartiale sur l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar que ces mécènes intéressés ont demandée. L’enquête a eu lieu, ses conclusions ont été censurées… et Adidas a renouvelé, en novembre 2014, son partenariat officiel jusqu’en 2030. Coca-Cola renouvelle le sien de façon ininterrompue depuis 1976. Il se trouve que la compétition la plus regardée de la planète offre une vitrine publicitaire sans égale pour ces marques. L’argent « propre » des sponsors va-t-il chasser l’argent « sale » de la corruption ? Restons prudent. « Couvrez cette corruption que je ne saurais voir », aurait pu écrire Molière s’il était entré dans un stade de football. Dans ce bal des hypocrites, la corruption ne semble déranger que lorsqu’elle est trop visible. Mais, chut, puisque M. Blatter s’en va, tout va déjà mieux… p jean-baptiste jacquin En partenariat avec 1945 Un hors-série du « Monde » 100 pages - 7,90 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 India Mahdavi a aménagé le très chic restaurant I love Paris, de Guy Martin, inauguré, jeudi 4 juin, à l’aéroport ParisCharles-de-Gaulle. Comme ses collègues, elle explique ses succès à l’étranger par le savoir-faire des artisans hexagonaux J e veux bien travailler, mais je ne veux pas souffrir », c’est ainsi que Jacques Grange, l’un des décorateurs français les plus reconnus, a organisé son destin. Celui d’un globe-trotteur dont la mission est, depuis quatre décennies, d’aménager les palais, les appartements luxueux ou encore les yachts d’une clientèle de milliardaires, de princesses ou d’hommes d’affaires aux comptes en banque stratosphériques. Dans ce micromilieu, une petite poignée de décorateurs français s’est forgé une réputation inégalée et porte haut et fort la tradition hexagonale de l’artisanat d’art dans le monde entier. La plus innovante, India Mahdavi, qui a aménagé le restaurant très chic I love Paris de Guy Martin, officiellement inauguré jeudi 4 juin à l’aéroport Paris - Charles-de-Gaulle, assure qu’on vient la chercher « parce que les Français ont une capacité très forte à raconter des histoires, à les mettre en volume, à créer des identités en trois dimensions ». Elle élabore une kyrielle de projets – un luxueux grand magasin à Istanbul, un autre à Rome, un immeuble à Téhéran, un bateau en Grande-Bretagne ou encore une maison aux Etats-Unis… Ses contrats, presque exclusivement à l’international, elle les doit, ditelle, « à la culture française, et au formidable savoir-faire de tous les corps de métier, les ébénistes, les staffeurs, les bronziers »… Sa consœur Dorothée Boissier (Gilles & Boissier) précise que ses clients attendent « cette French touch », qu’elle qualifie plus précisément de « supplément d’âme hérité du XVIIIe siècle, du temps où l’art était partout dans le siècle des Lumières ». Les commanditaires de Gilles & Boissier (80 % à l’international) sont directement liés « au taux de croissance des pays ». Mais aussi au bouche-à-oreille. « Aujourd’hui, nous travaillons davantage aux Etats-Unis qu’en Asie », explique-t-elle. C’est parce que l’agence a décoré une ribambelle de restaurants huppés (dont le Buddakan, à New York, et le Hakkasan, à New York, Miami et San Francisco) qu’elle a gagné l’aménagement du nouvel hôtel Baccarat sur la Ve Avenue à New York. « Il ne faut parfois pas trop intellectualiser le discours avec les clients américains, il est préférable de rester plus simple dans ses idées », prévientelle. Le groupe Starwood, propriétaire de l’hôtel, « voulait [les] emmener vers quelque chose de très clinquant. [Ils ont] joué les garde-fous, en proposant un projet un peu plus glamour que d’habitude ». L’art du compromis. PRINCES ARABES ET MILLIARDAIRES GRECS Joseph Karam, un Libanais qui a fui son pays en guerre, est l’un des rares à avoir ouvert des agences à Paris, Nice, Beyrouth, Monaco et Moscou. Il travaille pour des oligarques russes – avec notamment une imposante villa de 6 000 mètres carrés à Moscou –, des princes arabes, des milliardaires grecs. En suivant à la lettre leurs goûts parfois grandiloquents et sans jamais dévoiler le nom de ses clients. « Nous ne pouvons plus nous vendre qu’à l’export », confirme Jean Huguen, qui travaille à la fois à son compte et pour le studio Alberto Pinto, tout en concédant une exception pour les hôtels et les restaurants dans l’Hexagone. « Sans les très bons artisans, nous ne sommes rien », dit-il, en regrettant qu’ils disparaissent au fil des années. « Depuis trente ans, mon carnet d’adresses [de fournisseurs] a fondu des deux tiers, les artisans ont pris leur retraite, sans former d’apprentis ou sans pouvoir vendre leur affaire », ajoute-t-il. Exit les fabricants d’aiguilles d’horloge, les bombeurs de verre, les ciseleurs sur bronze… Les bons ébénistes ou ver- L’architecture intérieure de l’hôtel Bungalow 8, à Londres, est signée India Mahdavi. VIEW PICTURES/UIG VIA GETTY IMAGES La France exporte ses décorateurs d’intérieur nisseurs se raréfient. Longtemps, dans ce métier, « c’était le goût de madame » qui primait, se souvient Jacques Grange. Ce n’est plus toujours vrai. « Dès qu’il s’agit d’un yacht ou d’un avion, c’est monsieur qui décide de tout et peut passer des heures à veiller à l’aménagement de son jouet, avec une joie d’enfant », raconte Linda Pinto, qui a repris la direction du studio Alberto Pinto après le décès de son frère, en 2012. « Aux Etats-Unis, une fois qu’un propriétaire vous a choisi, il vous fait réellement confiance », ajoute Jacques Grange, qui s’est fait connaître à New York en aménageant le Mark Hotel. Il faut souvent une fée qui joue les intermédiaires et présente au décorateur tout le gratin des milliardaires, aussi bien à Boston, à Londres, à Shanghaï qu’à Moscou. C’est une princesse iranienne qui a confié à Jacques Grange, alors qu’il n’avait que 25 ans, ses deux premiers gros chantiers. Chaque détail doit être parfait pour ces clients exigeants et gâtés. Les prix sont fixés par honoraires ou oscillent entre 20 % et 25 % du prix du chantier d’aménagement du lieu. Ce qui représente généralement plusieurs dizaines de millions de dollars, en comptant la démolition des cloisons existantes, la construction des nouvelles pièces, les boiseries, les parquets, les marbres, les carrelages… La mission des architectes d’intérieur inclut le mobilier, les luminaires, les rideaux, mais s’arrête aux conseils sur l’achat des œuvres d’art. Souvent, ces chantiers sont longs et peuvent durer deux ans. « Nous avons un œil très différent de celui de l’architecte », affirme Linda Pinto. Elle connaît tout de ses clients : leur marque de cigarettes, le nombre d’oreillers qu’ils affec- « AVEC LA CRISE, LA CLIENTÈLE FAIT PLUS ATTENTION, DEMANDE TOUJOURS CE QU’IL Y A DE MIEUX, MAIS POUR MOINS CHER. QUITTE À MARCHANDER, CE QUI NE SE FAISAIT PAS AUPARAVANT » LINDA PINTO Studio Alberto Pinto tionnent, leurs préférences pour les draps en lin ou en coton… La plupart sont devenus des amis. Certains ont commandé jusqu’à sept ou huit chantiers – entre les villégiatures à la campagne, les yachts et les avions. Geoffrey Gelardi, directeur général du palace londonien The Lanesborough (du groupe Oetker Collection, qui détient aussi Le Bristol, à Paris, ou l’Hôtel du Cap-EdenRoc, à Antibes), qui va réouvrir ses portes fin juin assure avoir choisi le studio Pinto parce qu’il apporte « un niveau de luxe qui s’apparente à la haute décoration, comme il existe de la haute couture ». Le cahier des charges qui lui avait été imposé consistait « à refléter l’héritage architectural de l’un des monuments Régence les plus vénérés de Londres, tout en y incorporant le luxe le plus contemporain et en rendant les innovations technologiques les plus discrètes possibles ». Le directeur du palace a commandé du sur-mesure et l’agence française a choisi, à plus de 80 %, des fournisseurs anglais de tissu et de mobilier. Pour des questions de coûts, le studio Pinto n’envoie que des ébénistes, des peintres décorateurs et des tapissiers français sur ses chantiers. Christian Liaigre, qui a, lui, décoré le pavillon de golf d’un des membres de la famille Lee – les propriétaires très secrets de Samsung –, signé le yacht du magnat Rupert Murdoch et différents chantiers pour Karl Lagerfeld ou pour le galeriste Larry Gagosian, assure préférer travailler pour des particuliers. « Réaliser un hôtel oblige à se confronter à de nombreuses contraintes, ce qui peut limiter la créativité », explique Christophe Caillaud, président de Liaigre. Cette entreprise créée voici trente ans par ce Vendéen au goût très janséniste est l’une des rares à avoir cédé 60 % de son capital, fin 2009 à la compagnie financière Edmond de Rothschild. Le reste étant aux mains du fondateur. Cet apport d’oxygène financier lui a permis de mener à vive allure son expansion internationale – avec vingt-sept showrooms dans le monde dont onze détenus en direct – et une diversification dans deux métiers – la décoration d’intérieur et l’édition de meubles. « Le chiffre d’affaires a doublé depuis 2010 pour atteindre 40 millions en 2014, et vise 45 millions en 2015 », assure M. Caillaud. Une dimension rare dans cette profession qui n’englobe que des PME ou des TPE (très petites entreprises). Le studio Pinto est le seul à compter plus de quatre-vingt-dix salariés, pour un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros. Linda Pinto concède qu’« avec la crise la clientèle fait plus attention, demande toujours ce qu’il y a de mieux, mais pour moins cher. Quitte à marchander, ce qui ne se faisait pas auparavant ». Le statut même des maisons a changé : « Avant, on commandait des maisons pour y habiter à vie, aujourd’hui, elles peuvent être revendues, comme un placement », explique Jean Huguen. Si les Français installent les grands de ce monde dans leurs meubles, seule l’agence new-yorkaise de Peter Marino donne, largement, le change. Et cette fois-ci, c’est ce créateur toujours vêtu de cuir noir qui travaille à l’aménagement des boutiques les plus huppées des géants français du luxe. Son carnet de commandes ressemble à une litanie presque exhaustive du secteur. On y trouve, pêlemêle, des marques dans le giron de Bernard Arnault, comme Dior, Louis Vuitton, Loewe, Céline ou Fendi, mais aussi Chanel ou Lancôme (L’Oréal)… p nicole vulser économie & entreprise | 3 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Le choix cornélien d’Alexis Tsipras Les créanciers du pays devaient faire parvenir à Athènes une proposition d’accord formel mercredi 3 juin bruxelles, athènes bureau européen, correspondance, L a Grèce et l’Eurozone vivent à nouveau des jours cruciaux, alors que mercredi 3 juin, les créanciers du pays, – FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne – étaient censés finaliser une proposition commune d’accord destinée à Athènes. Il était question, mercredi matin, qu’elle soit remise en main propre le soir même par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, au premier ministre Alexis Tsipras. Une réunion des experts de l’Eurogroupe – un euro working group – devait aussi avoir lieu par téléphone dans la journée. Cette proposition doit porter sur une série de réformes (des retraites, du droit du travail, de la TVA) que le gouvernement grec est censé mettre sur les rails en échange de prêts restant à verser par les créanciers (environ 7,2 milliards d’euros), dans le cadre du deuxième plan d’aide activé en 2012. Rien de précis n’avait filtré, mercredi. Selon nos informations, les créanciers pourraient proposer au gouvernement Tsipras, en contrepartie de cette liste de réformes, de solliciter une nouvelle prolongation du deuxième plan d’aide, qui doit normalement se terminer le 30 juin (il a déjà été prolongé deux fois…). Prolongation d’au moins trois mois, pour pouvoir commencer une nouvelle négociation, portant, cette fois, sur la restructuration de la dette grecque. Des haies ont certes été franchies ces derniers jours, avec la forte impulsion politique donnée par le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel pour pousser les parties à un accord, lors d’une rencontre au sommet, lundi, à Berlin. « Nous sommes confiants dans les chances d’un accord parce qu’il y a un travail franco-allemand extrêmement intense sur le sujet de la Grèce, les derniers jours l’ont montré et les prochains jours le montreront », a déclaré mercredi Emmanuel Macron, le ministre français de l’économie après un entretien avec son homologue allemand Sigmar Gabriel. Mais pour qu’Athènes s’entende avec ses créanciers, que l’argent soit versé, et surtout qu’on en finisse avec cette incertitude politique délétère pour les finances et l’économie grecques (retombée en récession au deuxième trimestre), il reste encore pas mal de chemin à parcourir. Au ministère grec de l’éducation, à Athènes, le 2 juin. THANASSIS STAVRAKIS/AP « Si les compromis exigés sont plus importants que ce qu’un parti de gauche radicale peut accepter, alors il y a un problème » LOUKAS AXELOS membre historique de Syriza Il y a encore cette échéance de remboursement d’Athènes au FMI, (300 millions dus au 5 juin) qui pourrait poser problème. Le gouvernement Tsipras a répété ces derniers jours qu’il paierait. Mais mercredi, le porte-parole des parlementaires du parti Syriza au pouvoir, Nikos Filis, menaçait de ne pas le faire, « s’il n’y a aucune perspective d’accord d’ici vendredi ou lundi. » Un non paiement serait un premier pas vers un défaut grec, il pourrait entraîner un mouvement de panique des déposants Grecs et, par un malheureux effet boule de neige, conduire rapidement à une insolvabilité des banques hellènes. Autre difficulté, dans les jours qui viennent : essentiellement politique, pour M. Tsipras. Il va devoir convaincre sa majorité parlementaire d’avaliser l’accord. Son parti de la gauche radicale, Syriza, n’a remporté qu’une majorité relative aux élections du 25 janvier (qui ont permis son accession au pouvoir), et ne peut compter que sur 149 sièges sur les 300 que compte le Parlement. Pas de quoi atteindre la majorité (151) et Tsipras s’est donc allié avec le parti des Grecs indépendants (ANEL), soit 13 voix supplémentaires. ANEL s’est jusqu’ici révélé un partenaire plutôt discipliné. On ne peut pas en dire autant des membres de Syriza… Référendum Ces dernières semaines les divisions se sont renforcées au sein du parti. Certains de ses membres n’hésitent plus à menacer de ne pas voter l’accord. Ils reprochent à Tsipras ses concessions par rapport à son programme de campa- gne anti-austérité, qui prévoyait l’arrêt des privatisations ou se refusait à toute réforme du système des retraites. Autant de points sur lesquels M. Tsipras a reculé. « Si les compromis exigés sont plus que ce qu’un parti de gauche radicale peut faire, alors il y a un problème », affirme Loukas Axelos, un membre historique du parti. Lors de la réunion du comité directeur de Syriza, le 24 mai, M. Axelos a déposé une motion de censure contre la stratégie de négociation de Tsipras. Inquiet, ce dernier multiplie les appels à la discipline de parti. Le premier ministre fait un pari : personne chez Syriza ne voudra provoquer la chute du premier gouvernement de gauche de l’histoire récente de la Grèce, ou aller contre une opinion majoritairement opposée à la sortie de l’euro que ne manquerait pas d’engendrer l’échec des négociations avec les créanciers. Mardi 2 juin, le porte-parole de Syriza, Nikos Filis, a proposé de recourir aux élections en cas d’échec du vote au Parlement. Même son de cloche pour le ministre du travail Panos Skourletis : « Si l’accord proposé par les créanciers n’était pas honorable alors le peuple devra être consulté ». Alexis Tsipras a lui même évoqué à plusieurs reprises l’idée d’un référendum en cas d’échec des négociations, afin de se faire clarifier par le peuple grec les contours 300 C’est, en millions d’euros, ce que doit rembourser la Grèce au Fonds monétaire international (FMI) le 5 juin. Les prochaines échéances de remboursement sont le 12 juin : 336 millions ; le 16 juin : 560 millions ; et le 19 du même mois : 336 millions d’euros. de son mandat. Côté créanciers, l’accord, s’il est obtenu avec Tsipras, ne passera pas non plus comme une lettre à la poste. Il doit d’abord être validé en Eurogroupe (réunion des 19 ministres des finances de la zone euro). Puis par certains Parlements nationaux (l’Allemagne, peut-être la Finlande, les Pays-Bas). Et là, tout dépendra des contours de l’accord : s’il s’agit juste d’acter la liste des réformes avec les 7,2 milliards déjà « fléchés » pour Athènes, le Bundestag et les autres hémicycles ne devraient pas faire trop de problèmes. Mais s’il est question d’une nouvelle extension du deuxième plan d’aide, voire, s’il est proposé que les 10,9 milliards d’euros mis de côté il y a quelques années par les Européens pour assurer la recapitalisation éventuelle des banques grecques soient utilisés pour payer les remboursements dus par Athènes à la BCE cet été (plus de 7 milliards), l’aval du Bundestag devrait être plus difficile à obtenir… p cécile ducourtieux et adéa guillot Le premier pays européen aidé massivement par le FMI bruxelles, athènes bureau européen, correspondance L e FMI a toujours joué un rôle à part dans le sauvetage financier de la Grèce. Cela s’est encore vérifié ces derniers jours, alors que l’institution internationale a contribué à bloquer les négociations sur une liste de réformes contre des prêts supplémentaires à Athènes. Il exigeait encore, le week-end dernier, une réforme des retraites avec des baisses supplémentaires du niveau des pensions. Une demande inacceptable politiquement pour le gouvernement d’Alexis Tsipras. Fondé en 1944 pour assurer à l’époque la stabilité du système monétaire international (et en 1976, pour venir en aide aux pays en difficulté), le FMI n’a pas toujours joué le mauvais rôle dans le dossier grec. Au printemps 2010, quand il s’agissait de s’entendre – déjà – sur un sauvetage de la Grèce, qui menaçait de faire faillite et, à l’époque, d’entraîner l’ensemble de l’eurozone dans sa chute, c’était plutôt l’Allemagne qui se montrait la plus dure sur les mesures d’austérité devant être imposées à la Grèce. Le 23 avril 2010, les pays de la zone euro ont fini par activer un (premier) plan d’aide à la Grèce, de 110 milliards d’euros. Dont 80 milliards de prêts en provenance de la zone euro et 30 milliards avancés par le FMI. Une somme énorme pour l’institution, compte tenu de la taille du pays (11 millions d’habitants), au regard des autres interventions du Fonds. C’est la première fois que le FMI intervient dans la zone euro. Si beaucoup d’acteurs à l’époque – Nicolas Sarkozy en France, Jean Claude Junker, à ce moment président de l’Eurogroupe, et maintenant, de la Commission européenne – s’y opposent, la chancelière allemande Angela Merkel y est favorable. Ayant accumulé des dizaines d’années d’expérience comme « pompier » des pays en crise, en Amérique latine, en Afrique ou en Asie, le Fonds dispose des savoirfaire pour négocier puis pour vérifier la mise en place des réformes exigées en échange des prêts accordés. Une expertise dont ne disposent pas encore les Européens en 2010 (depuis, la Commission s’est équipée d’une « task force », d’experts). Profonde aversion La demande officielle d’aide viendra cependant directement du premier ministre grec de l’époque, Georges Papandréou, grand ami de Dominique Strauss-Kahn, à l’époque directeur général du FMI. Est-ce au nom de cette amitié que le Fonds, mené alors d’une main de fer par « DSK », contournera ses propres règles ? Pour intervenir en Grèce, le FMI reverra en effet ses propres statuts, qui stipulent qu’un pays ne peut être aidé que s’il est solvable, ce qui a été très vite mis en doute par les experts. Les Grecs ont développé une profonde aversion à l’égard du FMI, au fur et à mesure que ce dernier, au sein de la « troïka » avec les autres créanciers du pays (Union européenne et BCE), impose, puis pilote au plus près la mise en place de très sévères mesures d’austérité, à partir de 2010. Il y a deux ans, en juin 2013, le FMI avait d’ailleurs fait une sorte de mea culpa, reconnaissant dans un rapport que les mesures préconisées à la Grèce, et qui avaient contribué à une chute du PIB de 22 % entre 2008 Le FMI veut éviter de créer un précédent avec la Grèce, en assouplissant ses conditions de prêts et 2012, étaient en partie inadaptées. « Se débarrasser » du FMI était un des objectifs politiques du conservateur Antonis Samaras, qui a cédé son fauteuil de premier ministre à Alexis Tsipras, en janvier dernier. Dirigé par Christine Lagarde depuis le 5 juillet 2011, le Fonds est aussi régulièrement critiqué à Bruxelles pour son approche, jugée insuffisamment politique et peu adaptée à la réalité de la Grèce. Plus récemment, le fait que le FMI, fin 2014, ait contribué – déjà – à bloquer les négociations qui s’étaient engagées entre Samaras et les créanciers du pays, sur la fin du deuxième plan d’aide à la Grèce, ne passe pas non plus à la Commission européenne. De fait, si un accord avait été trouvé à ce moment-là, le psychodrame de ce printemps n’aurait probablement pas eu lieu. Certains, en Europe, attribuent la rigidité récente du FMI à l’égard d’Athènes à ses règles de fonctionnement. L’institution veut abso- lument éviter de créer un précédent avec la Grèce, en assouplissant ses conditions de prêts. Par ailleurs, parmi les 188 pays présents au conseil d’administration du Fonds, « certains n’ont pas la même obsession de la Grèce qu’en Europe, c’est normal. Et trouvent qu’on a déjà trop prêté au pays », explique une source proche des négociations avec Athènes. L’attitude du FMI va-t-elle changer dans les semaines qui viennent, si un accord est enfin trouvé sur le nouveau programme de réformes exigé par les créanciers d’Athènes ? Pas impossible : cela fait déjà quelque temps que le FMI plaide pour une restructuration de la dette grecque (environ 320 milliards d’euros), une forte revendication du gouvernement Tsipras. Les autres créanciers sont également conscients que cette question ne pourra être éludée dans les mois qui viennent. Pas sûr pour autant qu’ils céderont rapidement… p c. du. et a. gt 4 | économie & entreprise 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 L’OCDE déconcertée par la mollesse de la reprise L’organisation économique a révisé à la baisse ses prévisions de croissance car l’investissement reste faible E n mars 2015, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) exprimait un optimisme tempéré au sujet de la croissance. Deux mois et demi plus tard, elle a révisé à la baisse ses prévisions pour les économies américaine, japonaise et chinoise, et envisage l’avenir avec circonspection. Après un piètre début d’année, la croissance devrait se renforcer dans les pays avancés tout au long de 2015 et de 2016, mais elle resterait modeste (+ 1,9 % et + 2,5 %). L’OCDE relève aussi que l’environnement économique global n’est pas dénué de risques, que les marges de manœuvre monétaire et budgétaire des Etats sont faibles et qu’il existe des « signes d’excès sur les marchés financiers ». Pas de quoi pavoiser. « Les chiffres vont être un peu décevants. Les perspectives d’amélioration restent limitées et fragiles », a concédé son secrétaire général, Angel Gurria, lundi 1er juin, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), au début d’une semaine qui verra pas moins de huit ministres du gouvernement Valls et le président de la République lui-même participer au Forum ou à la réunion ministérielle de l’institution. Dans son rapport sur les perspectives économiques, présenté mercredi 3 juin, l’économiste en chef de l’OCDE, Catherine Mann, décerne un « B – » à une économie mondiale en mal d’investissements. « La reprise économique qui a suivi la crise financière de 2008 a été inhabituellement faible. La croissance a été bien plus lente que dans les douze ans qui ont précédé la crise et cela a eu des conséquences bien réelles sur l’emploi, sur la stagnation du pouvoir Croissance et chômage dans les principales zones développées VARIATION DU PIB SELON L’OCDE, EN % Donnée définitive TAUX DE CHÔMAGE, EN % Prévision de mars Prévision de juin 12 Zone euro Etats-Unis Japon Chine* 6,8 6,9 6,7 8 2,8 2,4 2 2 6 Etats-Unis 1 4 0,7 2016 2014 2016 2015 2014 Vents favorables L’économiste américaine ne dit pas quelle note elle se décerne pour avoir dû réviser à la baisse et pas qu’un peu (– 1,1 point) sa prévision de croissance pour les EtatsUnis. A sa décharge, Mme Mann n’est pas la seule à avoir été surprise par les contre-performances américaines du premier trimestre 2015 sur fond d’hiver rigoureux, de grèves dans les ports de la côte ouest et de dollar fort. Les conjoncturistes ont quasiment tous été surpris par la contraction L’HISTOIRE DU JOUR WikiLeaks offre 100 000 dollars à qui divulguera le TPP new york - correspondant D epuis la conquête de l’Ouest, les Etats-Unis ont une solide culture de la récompense pour retrouver « mort ou vif » un hors-la-loi. Rappelez-vous ces affiches placardées dans les westerns avec le mot « Wanted ! » (« recherché »). Le pays est en train de renouer avec cette tradition. Cette fois, ce n’est pas un homme qui est recherché, mais un traité. Le site WikiLeaks offre 100 000 dollars (89 700 euros) à qui lui fournira une copie de l’accord de partenariat transpacifique (TPP) en cours de négociation, qui veut libéraliser les échanges entre une douzaine d’Etats situés sur les deux rives du Pacifique (dont le Japon, les Etats-Unis et le Mexique). « Nouveau régime juridique international » « L’heure de la transparence a sonné pour le TPP. Stop aux secrets. Stop aux excuses », a appelé Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, qui s’était notamment illustré en révélant des milliers de documents relatifs aux modes opératoires de l’armée américaine en Irak. « Cet accord contient 29 chapitres, dont 26 restent secrets, explique WikiLeaks, qui en a déjà révélé trois. Il couvre 40 % du PIB mondial et il s’agit du plus grand accord du genre dans l’histoire. Le traité vise à créer un nouveau régime juridique internatio« STOP nal qui permettra aux sociétés transnationales de contourner les tribuAUX EXCUSES, naux nationaux, de se soustraire à la de l’environnement, de STOP AUX SECRETS ! » protection contrôler Internet pour le compte des JULIAN ASSANGE fournisseurs de contenus et de limiter fondateur de WikiLeaks la disponibilité des médicaments génériques abordables. » Les négociations sur ce traité, menées dans la plus grande confidentialité, sont de plus en plus contestées aux Etats-Unis, notamment par une partie des démocrates, de nombreux syndicats et associations, qui contestent leur caractère anti-démocratique et redoutent des conséquences sur l’emploi, les normes sanitaires et l’environnement. En quelques heures, Julian Assange avait déjà recueilli un quart de la somme proposée grâce à une opération de financement participatif sur Internet. Reste à savoir si la récompense offerte sera suffisamment attrayante pour inciter un lanceur d’alerte à divulguer ce que WikiLeaks appelle « America’s most wanted secret », « le secret le plus recherché d’Amérique ». p stéphane lauer 3,6 3,5 5,2 3,3 2 2015 2016 2014 2015 2016 * Echelle modifiée par rapport aux autres graphiques. d’achat dans les économies avancées, sur un développement moins vigoureux dans certains pays émergents ou encore sur l’augmentation des inégalités presque partout », écrit-elle dans son éditorial. 6,6 Japon 0 2015 6,9 5,5 1,4 1,4 0,9 2014 7,3 OCDE 6,2 2,1 1,4 1,4 10,5 10 7 3 11,1 Zone euro 7,4 3,1 11,5 En Europe, l’état de certains marchés trop fragmentés, comme celui de l’énergie, n’incite pas à investir du PIB. Les vents favorables qui portent la croissance ne manquent pourtant pas : les conditions monétaires restent très accommodantes, les politiques budgétaires sont moins restrictives, la situation financière s’est améliorée, le bas prix du pétrole devrait être à l’origine de 2014 2015 2016 SOURCE : OCDE 0,25 point de PIB supplémentaire en 2015 et en 2016. Les marchés du travail se portent mieux, à l’exception de celui de la zone euro, qui affiche toujours un taux de chômage moyen à deux chiffres. Le commerce mondial, en revanche, n’a pas retrouvé son dynamisme d’avant la crise. L’amélioration du pouvoir d’achat a eu peu d’effets sur la consommation, et la productivité augmente faiblement (+ 0,7 % par an entre 2011 et 2014, contre un peu moins de 2 % entre 1980 et 2007). Pour qu’elle passe à la vitesse supérieure, il faudrait qu’il y ait davantage d’investissements. Or c’est là que le bât blesse. « Nous avons 18 % à 20 % de flux d’investissements en moins par rapport à la période précédant la crise. Quant aux stocks d’investissements, ils sont toujours infé- rieurs à leur niveau de 2008 », a déploré M. Gurria. Des marchés fragmentés Cette faiblesse de l’investissement, qui pèse sur la productivité, la croissance et l’emploi, a plusieurs causes. Contrairement à ce qui s’est passé lors de précédentes reprises, analyse l’OCDE, les entreprises privées n’ont pas engagé d’investissements productifs, faute notamment d’une demande suffisamment dynamique. De nombreux gouvernements ont différé leurs investissements dans les infrastructures, pourtant jugés prioritaires par le G20, pour cause de consolidation budgétaire. « Aux Etats-Unis, l’investissement productif pourrait être multiplié par deux si les entreprises y consacraient les sommes qu’elles al- louent aux rachats d’actions », a pointé M. Gurria. Ailleurs, notamment en Europe, l’état de certains secteurs ou de certains marchés trop fragmentés, comme celui de l’énergie, n’incite pas à investir. Enfin, malgré des liquidités ultraabondantes et les bas taux d’intérêt, les banques ne prêtent toujours pas aux PME. En conséquence, l’investissement n’augmentera que faiblement en 2015 (+ 2,7 %). Le vrai redémarrage serait pour 2016 avec une progression de 4 %, la plus forte depuis la crise. De nombreux aléas entourent toutefois les prévisions de l’OCDE, qui identifie, entre autres sujets sensibles, la normalisation monétaire américaine, la Grèce, un atterrissage brutal de l’économie chinoise ou encore une escalade dans le conflit russo-ukrainien. L’institution précise que son rapport n’a pas pris en compte les « risques extraordinaires » résultant des effets collatéraux des politiques monétaires ultra-accommodantes adoptées pour stimuler la reprise (quête de rendement, bulles, etc.). L’OCDE – dans laquelle les autorités françaises voient davantage aujourd’hui une organisation de la régulation que le temple du libéralisme – rappelle le rôle central que peuvent jouer les politiques structurelles pour booster l’investissement. Elle appelle ses 34 paysmembres à adopter des politiques monétaires, budgétaires et structurelles qui se renforcent mutuellement pour soutenir la croissance. S’agissant de la France, l’institution prévoit une consolidation de la reprise en 2015 (+ 1,1 %) et 2016 (+ 1,7 %) mais elle pointe aussi la faiblesse de la confiance des patrons qui pèse sur l’investissement et sur les embauches. p claire guélaud Confiant dans la croissance mondiale, Maersk commande onze porte-conteneurs Le danois, leader mondial du transport maritime, va investir 1,6 milliard d’euros dans des navires géants, alors que le secteur, surcapacitaire, est en proie à une intense guerre des prix C’ est l’une des plus grandes commandes jamais vues dans le monde de la mer. Maersk, le numéro un mondial du transport maritime de conteneurs, a officiellement signé, mardi 2 juin, un contrat pour l’achat de onze navires gigantesques, avec une option pour six bâtiments supplémentaires. Tous seront construits dans les chantiers navals du sud-coréen Daewoo. La transaction atteint 1,8 milliard de dollars, soit 1,6 milliard d’euros, pour les onze premiers bateaux. Ces navires, longs de 400 mètres et capables de transporter 19 630 conteneurs chacun, seront les plus grands de la flotte de Maersk. Ce n’est qu’un début, proclamet-on à Copenhague, au siège du premier groupe danois tous secteurs confondus. Dans les cinq années à venir, l’entreprise prévoit d’investir 15 milliards de dollars « dans de nouveaux bâtiments, les économies d’énergie, les conteneurs et d’autres équipements », précisent ses dirigeants. Après quatre ans de régime sec, sans nouvelle commande, ils se sont offert en mars sept navires collecteurs de plus petit tonnage. Une sorte de mise en bouche. De l’extérieur, le lancement de cette impressionnante vague d’investissement peut paraître très risqué. Depuis 2009, le secteur du transport maritime traverse en ef- fet une crise de surcapacité dont les professionnels ne voient pas le bout. Sur la route la plus active, entre l’Europe du Nord et l’Asie, les capacités sont supérieures d’environ 30 % aux besoins, selon le Wall Street Journal. Pendant les années d’euphorie, Maersk et ses concurrents ont en effet commandé des navires en masse. Or, le temps qu’ils soient construits, ces porte-conteneurs ont commencé à être livrés au moment où le marché s’est replié, du fait de la crise économique de 2008-2009. Maersk ne va ainsi recevoir que ce mois-ci le dernier des 20 géants des mers qu’il avait achetés en 2011. Résultat : depuis six ans, la concurrence est très vive, et les prix faséient comme des voiles sans vent. Au premier trimestre, Maersk a vu les siens reculer en moyenne de 5 %, tandis que son volume d’activité fléchissait de 1,6 %. La semaine dernière, le tarif de référence pour expédier des marchandises de Shanghaï à Rotterdam est même tombé à 342 dollars par conteneur, son plus bas niveau depuis la création de l’indice en 2009. Pas sûr que les hausses annoncées par Maersk et ses rivaux pour juin soient suivies de beaucoup d’effet. Dans ces conditions, commander onze, voire dix-sept bateaux géants d’un coup relève du pari. Ils seront livrés entre avril 2017 et Dans les cinq années à venir, l’entreprise prévoit d’investir 15 milliards de dollars mai 2018. Pour peu que la croissance mondiale s’affaiblisse à cet horizon, l’afflux de nouveaux porte-conteneurs ne pourra qu’alimenter la guerre des prix. D’autant que Maersk n’est pas seul à investir. Ses grands concurrents, à commencer par l’italien MSC et le français CMA CGM, ont eux aussi passé récemment d’importantes commandes. Leader incontesté du secteur Soren Skou, le patron de Maersk Line, mise visiblement sur un autre scénario. Il veut croire à une poursuite de la croissance mondiale, en particulier des échanges entre l’Europe et l’Asie. C’est à cette route que ces futurs bateaux sont destinés. Surtout, Maersk tient à défendre sa part de marché. Aujourd’hui, le groupe représente 15 % de la flotte mondiale de porte-conteneurs, ce qui en fait le leader incontesté du secteur. Mais son concurrent immédiat, MSC, n’est pas loin : avec 13 % de part de marché, il pourrait prendre la tête de la compétition dès 2016, selon les estimations des analystes d’Alphaliner. En outre, les dirigeants danois savent que, si le marché n’est pas au rendez-vous, ils pourront toujours utiliser leurs tout nouveaux navires non pour augmenter la capacité de Maersk, mais simplement pour la maintenir, en mettant au rebut des bâtiments plus petits, plus gourmands en carburant, et donc moins rentables. « Ces navires vont nous aider à rester compétitifs sur la route Asie-Europe » et à « croître avec le marché », assuret-on chez Maersk, l’un des groupes les plus rentables du transport maritime. Au passage, cette énorme commande vient à point nommé pour Daewoo. Le conglomérat sud-coréen a beau être l’un des principaux constructeurs de porte-conteneurs avec ses compatriotes Samsung et Hyundai, il souffre. Sa filiale spécialisée, Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering, a essuyé une perte nette de 172 milliards de wons (139 millions d’euros) au premier trimestre. Elle cherche à vendre plusieurs de ses chantiers navals, notamment celui de Mangalia, en Roumanie, l’un des plus grands d’Europe. p denis cosnard économie & entreprise | 5 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Duel sans merci à la tête du fonds souverain libyen Deux hommes réclament le titre de président du fonds, qui détient l’équivalent du PIB du pays londres - correspondance L e premier, stature imposante, débit lent, 64 ans, n’apprécie guère la contradiction et affiche une énorme confiance en lui. Le second, charmeur et ouvert, 42 ans, cherche au contraire à convaincre son interlocuteur, multipliant les documents officiels pour prouver ses propos. Entre Abdulmajid Breish et Hassan Bouhadi, la guerre est déclarée. Une guerre feutrée, qui se déroule dans les tribunaux internationaux et les palaces de luxe, mais sans merci. L’un d’eux est le président du fonds souverain libyen, la Libyan Investment Authority (LIA). Mais lequel ? Les deux en réclament le titre, s’affrontant à coups de documents légaux et de déclarations publiques. Le Monde a pu les rencontrer – séparément, bien sûr – dans cette bataille pour mettre la main sur un fonds de 67 milliards de dollars (61 milliards d’euros), issu de l’argent du pétrole des années Kadhafi. Si l’essentiel de l’argent reste gelé, à la suite des sanctions internationales contre l’ancien Guide de la révolution, cela reste un pactole qui équivaut à peu près au produit intérieur brut (PIB) de la Libye. Un procès à Londres Les deux hommes sont d’accord sur un seul point : cet affrontement est tragique pour la Libye. « Pendant quatre décennies, sous la dictature, les Libyens ont souffert d’avoir des gens qui s’appropriaient des droits qu’ils n’avaient pas, et voilà que ça recommence », dénonce M. Bouhadi. « Cette affaire est un énorme gâchis », réplique M. Breish. La bataille est le reflet logique de l’état actuel de la Libye. Le pays est coupé en deux, avec deux gouvernements parallèles. L’un, reconnu par la communauté internationale, a fui Tripoli devant l’avancée des assaillants et s’est réfugié à Tobrouk, dans l’est du pays. Il est composé d’une coalition d’antiislamistes, d’anciens kadhafistes et de libéraux. L’autre gouvernement est basé à Tripoli. Il est soutenu par les groupes islamistes, mais aussi par les anti-kadhafistes de la première heure. Le plus curieux dans cette af- Le plus curieux dans cette affaire est que M. Bouhadi et M. Breish ont tous les deux raison faire est que MM. Bouhadi et Breish ont tous les deux raison. Tout dépend de quel gouvernement on parle. Le premier a été nommé en octobre 2014 par l’administration de Tobrouk et s’est désormais exilé à Malte. Le second est basé dans la capitale libyenne, au siège historique de la LIA : il semble proche du gouvernement de Tripoli, même s’il affirme en être indépendant. Jusqu’en 2014, la version des faits des deux hommes concorde. Ayant quitté la Libye en 1968, à l’âge de 17 ans, M. Breish a passé l’essentiel de sa vie à l’étranger, travaillant pour une banque de Bahreïn, Arab Banking Corporation. M. Bouhadi a, lui, quitté la Libye à l’âge de 15 ans, suivant une formation d’ingénieur à Londres, avant de travailler au Moyen-Orient pour de grandes multinationales, dont BASF et General Electric. En 2013, deux ans après la chute du régime de Kadhafi, ces deux membres de la diaspora libyenne se retrouvent ensemble au conseil d’administration de la LIA, dont M. Breish est le président. Les conditions de travail sont chaotiques. « A quatre reprises, en 2013 et 2014, des factions armées sont entrées dans mon bureau, raconte M. Breish. Ils m’ont braqué, arme au poing. Il a fallu parlementer. » En juin 2014, coup de théâtre : M. Breish est suspendu de ses fonctions de président de la LIA. Il doit répondre de l’accusation d’avoir collaboré avec le régime de Kadhafi, ce qui est interdit d’après une loi instaurée après la révolution. Le 18 mai, presque un an plus tard, il finit par gagner son procès en appel. « Cette décision me restitue immédiatement à mon poste », affirme-t-il. Sauf qu’entre-temps, le gouvernement de Tobrouk a nommé M. Bouhadi à la tête de la LIA en octobre 2014. Celui-ci a décidé de démé- L’essentiel des fonds de la Libyan Investment Authority (LIA) est gelé depuis 2011. CAREN FIROUZ / REUTERS nager, à Malte, son équipe chargée des investissements : seulement sept personnes, mais qui détiennent les clés du fonds souverain. Pour M. Breish, il s’agit donc d’une institution parallèle, en exil, qui n’existe pas : « Ce groupe est parti à l’étranger, a dupliqué le papier à en-tête de la LIA et a falsifié le tampon officiel. » Faux, réplique M. Bouhadi : « Ma nomination vient du seul gouvernement qui soit reconnu internationalement. C’est très important, parce que c’est la seule façon de protéger les fonds, qui sont essentiellement détenus hors de Libye. » Une version que soutient un observateur occidental indépendant, qui connaît bien les deux hommes. « Mon instinct est de faire confiance à M. Bouhadi. Pour la protéger, mieux vaut transférer la LIA hors du pays. » Cette bataille pour le contrôle du fonds souverain aurait pu rester cachée s’il n’y avait, à Londres, un procès très important pour son avenir. Depuis 2014, la LIA poursuit en justice Goldman Sachs et la Société générale. Les deux banques sont accusées de lui avoir vendu des produits financiers pourris du temps de Kadhafi, qui lui ont fait perdre plusieurs milliards de dollars. Dans le cas de la Société générale, 67 MILLIARDS C’est le montant, en dollars, de la valorisation par Deloitte, fin 2012, de la Libyan Investment Authority (LIA), créée en 2006. Celle-ci comprend pour moitié des participations dans 550 entreprises libyennes, souvent très présentes en Afrique (les stations essence Oil Libya, les hôtels Laico, le fournisseur de téléphonie LAP GreenN…). L’autre moitié est composée d’investissements « liquides » sur les marchés financiers internationaux : la LIA a ainsi d’importantes participations en Italie (Unicredit, ENI, Finmeccanica…), en France (Lafarge, France Télécom…) ou en Allemagne (Siemens, Allianz…). Mais les investissements « liquides » sont pour l’essentiel gelés, suite aux sanctions internationales de 2011 contre le régime Kadhafi. AccorHotels.com riposte à Booking.com Pour parvenir à son but, Accor devra avancer à marche forcée. Aujourd’hui, le groupe compte 3 700 hôtels et il n’ouvre « que » 180 nouveaux établissements chaque année. Cette plate-forme sera disponible dès juillet pour les clients. Avec ce lancement, AccordHotels.com va devoir remettre la main à la poche. Au plan d’investissements sur Internet de 225 millions d’euros sur quatre ans, annoncé à l’automne 2014, vont s’ajouter une vingtaine de millions d’euros. « Soit environ 10 % du montant du plan d’investissements dans le numérique qui seront rentables dès la troisième année », prévoit le PDG. Le groupe veut aller vite ! « Nous avons intérêt à nous réveiller, car les Booking, Expedia et autres Kayak sont en train de prendre une partie de notre valeur ajoutée, donc une partie de notre marge. » Plus encore que d’opposer une force de frappe plus importante à Booking.com et Expedia, la démarche d’Accor est « d’accroître [sa] capacité à mutualiser [ses] coûts sur une base plus large d’hôtels et d’augmenter le trafic clients sur une plate-forme unique de réservation ». A entendre le PDG, AccorHotels.com joue sur du velours. « 70 % des hôteliers dans le monde sont indépendants et 90 % de ces 70 % n’ont pas la réponse à ce monde numérique de demain », explique M. Bazin. En clair, un hôtel ne peut lutter seul face aux agences de voyages en ligne. Pour séduire rapidement 5 000 établissements partenaires, M. Bazin va s’appuyer sur Fastbooking, un site spécialisé dans les réservations en ligne pour hôteliers, acquis en avril par Accor. « Il n’a pas été acheté par accident », se félicite le PDG, selon lequel « un bon tiers des 4 000 hôtels clients de Fastbooking pourraient devenir des clients d’AccorHotels.com ». Pour attirer les établissements indépendants, le groupe hôtelier va se montrer moins gourmand que ses rivaux. AccorHotels.com « Nous avons intérêt à nous réveiller car Booking et autres Kayak sont en train de prendre une partie de notre valeur ajoutée » SÉBASTIEN BAZIN PDG d’Accor prendra seulement de « 12 % à 15 % de taux de commission » sur les réservations qui auront été passées via sa plate-forme. Nettement moins que la concurrence, dont la commission peut atteindre 20 % ou 25 %. AccorHotels.com promet d’être « entre un tiers et 50 % moins cher que Booking.com ». Surtout, à l’inverse des pratiques des grandes agences de réservation en ligne, AccorHotels.com as- échaudé par les ordres contradictoires des deux camps. M. Bouhadi sort alors de son silence, faisant connaître sa colère. La dispute éclate. Et comme par enchantement, quelques jours plus tard, M. Breish gagne son procès, et revient sur le devant de la scène. Chacun est d’une mauvaise foi évidente. Les deux camps reconnaissent avoir continué à négocier entre eux depuis 2014. Initialement, ils avaient trouvé un accord pour continuer les procédures judiciaires, malgré tout. Mais la procédure judiciaire contre la Société générale et Goldman Sachs est sur le point de s’écrouler. Dans cette affaire, les seuls à se frotter les mains sont les avocats des deux banques. Le 22 mai, l’un d’eux, représentant un témoin potentiel dans le dossier de la Société générale, a souligné « l’état chaotique » du plaignant. Difficile de lui donner tort. p F I N AN C E La banque australienne ANZ s’implante à Paris Le groupe français lance sa nouvelle plate-forme de réservation, ouverte aussi aux hôteliers indépendants, avec l’objectif de tripler son offre d’établissements disponibles en 2018 suite de la première page l’accusation fait état de 58 millions de dollars de pots-de-vin. Jusqu’au mois dernier, les préparatifs du procès suivaient leur cours. Preuve que, malgré ses disputes internes, la LIA continuait à payer les frais de justice. Mais le 28 avril, le cabinet d’avocats Enyo Law, qui gérait ce dossier, a annoncé qu’il s’en dessaisissait, sure que les hôteliers indépendants resteront propriétaires de leurs bases de données clients. Toutefois, prévient M. Bazin, « tout le monde ne sera pas éligible » à la plate-forme. Le PDG veut être « sélectif ». Les établissements seront d’abord choisis d’après les commentaires et « les notes laissés par les clients sur Trip Advisor », site américain de recommandations. La sélection promet d’être sévère : « Si les hôtels ne sont pas dans les 10 % les mieux notés dans leur catégorie, ils ne seront pas éligibles à l’offre Accor », annonce M. Bazin. Accor va ajouter « une double vérification ». Les bons point des clients devront être validés par la visite, in situ, des collaborateurs du groupe. Le moyen pour AccorHotels.com de ne proposer que « la crème de la crème » à ses clients. Accor attend désormais de voir la réaction de Booking.com et d’Expedia. « Comment vont-ils réagir ? Vont-ils baisser leurs commissions ? », s’interroge M. Bazin. p guy dutheil Déjà présente en Europe à Londres et à Francfort, la banque australienne ANZ, l’un des principaux établissements du pays, a annoncé, mercredi 3 juin, l’ouverture d’une succursale à Paris pour accompagner le développement des multinationales françaises dans la zone AsiePacifique. « Les flux commerciaux français vers l’Asie représentent déjà 90 milliards de dollars (environ 81 milliards d’euros) et cette tendance va prendre de l’ampleur avec le développement des classes moyennes asiatiques », estime la banque. eric albert Nomad, propriétaire du concurrent Iglo en discussions avancées avec Lion Capital, JP Morgan et HighBridge, actionnaires de Findus. MÉD I A Acquisition de Publicis en Australie Le français Publicis a annoncé, mercredi 3 juin, l’acquisition de l’agence média indépendante Match Media en Australie. Match Media, fondée en 2003, emploie plus de 75 collaborateurs. Elle est spécialisée en stratégie média, achat d’espaces, média planning numérique et achat d’espace sur Internet, moteurs de recherche, médias sociaux et analyse de données. AGR OALI MEN TAI R E Un français candidat à la reprise de Findus Florac, le family-office de Marie-Jeanne Meyer, a déposé, selon Le Figaro du 3 juin, une offre visant à racheter pour 200 millions d’euros les activités de Findus en Europe du Sud, y compris l’usine de Boulogne-sur-Mer (Pas-deCalais). Alors que le fabricant de surgelés tient jeudi 4 juin un comité central d’entreprise, les 200 salariés du site s’inquiètent d’un possible rachat par le fonds américain I N T ER N ET Pinterest lance un bouton de paiement Après les expérimentations menées par Facebook ou Twitter, l’application américaine Pinterest, qui permet d’épingler des photos liées à ses centres d’intérêt, a annoncé mardi 2 juin ses premiers pas dans le commerce en ligne avec l’introduction d’un bouton « acheter » sur certaines photos épinglées sur son site. 6 | idées 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 VU D’AILLEURS | CHRONIQUE par mart in wol f Trop de finance nuit gravement à l’économie E st-il possible d’avoir trop de finance ? Affectés par les conséquences des crises financières, scandalisés par le sauvetage des banques, irrités par les rémunérations généreuses de leurs dirigeants, consternés par leurs malversations à répétition et furieux devant leur impunité, la plupart des citoyens ordinaires n’ont aucune hésitation à répondre par l’affirmative. Les experts du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque des règlements internationaux sont d’accord avec eux. Une société organisée offre deux façons de devenir riche. La façon traditionnelle était de s’assurer un pouvoir de monopole. Historiquement, le contrôle monopolistique du territoire, généralement conquis par la force, a été la principale voie vers la richesse. Une économie de marché concurrentielle offre une alternative socialement plus acceptable : l’invention et la production de biens et de services. Mais, hélas, il est aussi possible de se constituer des rentes sur les marchés. Avec sa complexité et ses sub- ventions implicites, le secteur financier est très bien placé pour ce faire. Or ces pratiques, outre qu’elles transfèrent l’argent d’un grand nombre de personnes pauvres à une poignée de gens riches, causent de graves dommages à l’économie. C’est l’argument développé par Luigi Zingales, professeur à la Chicago Booth School (et ferme partisan du marché libre), dans un discours prononcé devant l’American Finance Association. Ces dommages peuvent être directs, par exemple une bulle insoutenable alimentée par le crédit, et indirects, comme la perte de confiance dans les transactions financières, consécutive aux crises et à la « tromperie » généralisée. M. Zingales explique qu’un cercle vicieux peut se former entre l’indignation publique et l’appropriation des rentes. Quand l’indignation est grande, les financiers, privés de soutien public, recherchent une protection politique. Mais seuls ceux qui bénéficient de rentes importantes peuvent s’offrir ce genre de lobbying. Seule la finance générant des rentes – et en premier lieu, les banques les plus puissantes – survit. Ce qui, inévitablement, augmente encore l’indignation… Il ne s’agit pas de nier ici le fait que la finance est essentielle à toute société civilisée et prospère. Mais c’est l’importance même de la finance qui rend ces abus aussi dangereux. En vérité, une hausse du crédit favorise dans un premier temps la croissance économique. Mais cet effet semble s’inverser à partir du moment où le crédit dépasse 100 % du PIB. Une augmentation rapide du crédit est d’ailleurs un des signes précurseurs d’une crise. DÉFI IMPORTANT Dans une note récente, le FMI fait appel à un indicateur du développement financier plus sophistiqué que le ratio crédit/PIB. Cet indicateur montre que le développement financier a progressé rapidement, notamment dans les pays avancés, mais que, au-delà d’un certain point, la finance fait du tort à la croissance. Elle pèse notamment sur la « productivité totale des facteurs », c’est-à-dire le rythme de l’innovation et de l’amélioration de l’efficacité du travail et du capital. Le FMI montre en particulier que, à un certain point, l’allocation des capitaux et l’efficacité du contrôle d’entreprise se mettent à aller de travers. C’est pourquoi l’influence de la finance sur la qualité de la gouvernance d’entreprise est un défi important. Alors que faire ? En premier lieu, la moralité est importante. Comme le souligne M. Zingales, si ceux qui se lancent dans la finance sont incités à penser qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent à condition de ne pas se faire pincer, la confiance finira par disparaître. Il est très coûteux de contrôler des marchés gangrenés par les conflits d’intérêts et l’information asymétrique. Nous ne surveillons pas les médecins, car nous leur faisons confiance. De la même façon, nous devrions pouvoir accorder notre confiance aux financiers. Deuxièmement, restreindre les incitations aux pratiques financières abusives, dont la plus puissante, et de loin, est la déductibilité fiscale des intérêts. Il faut y mettre un terme. A plus long terme, de nombreux contrats d’emprunt doivent être transfor- més en contrats à risques partagés. Troisièmement, se débarrasser de ce qui est trop gros pour couler ou… pour être emprisonné. Ces deux catégories vont de pair. La façon la plus simple serait d’augmenter de façon substantielle les fonds propres exigés des établissements mondiaux systémiques. Beaucoup choisiraient alors de se morceler. J’irais plus loin en séparant le système monétaire du système financier grâce au principe du « narrow banking » – qui consiste à adosser totalement les dépôts à des réserves auprès de la banque centrale. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de moins de finance, mais d’une meilleure finance. Même si cela débouche sur une réduction substantielle du secteur. p (Traduit de l’anglais par Gilles Berton) ¶ Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times » © FT Marier Jean-Claude Juncker Pour une politique budgétaire et Mario Draghi et salariale européenne La menace de « stagnation séculaire » exige d’orienter l’action de la Banque centrale européenne vers le soutien direct à l’investissement productif par andré grjebine L a légère reprise au sein de la zone euro ne doit pas faire illusion, ne serait-ce qu’en raison de la faible progression des investissements. Il est à craindre qu’il ne s’agisse pas des ultimes soubresauts d’une crise temporaire provoquée par des politiques budgétaires trop rigoureuses, mais bien d’une situation appelée à durer, et que certains appellent une « stagnation séculaire ». Le temps d’une croissance entretenue par l’innovation et le progrès technologique, d’une part, la consommation, d’autre part, paraît révolu. Ce qui veut dire que les politiques conjoncturelles, qu’elles visent à soutenir l’offre ou la demande, ne sont plus suffisantes. Du côté de l’offre, on observe un ralentissement simultané de la croissance démographique et du progrès technologique, celui-ci s’expliquant notamment par des rendements décroissants en matière de recherche et développement. Du côté de la demande, le vieillissement de la population conduit de plus en plus de pays à privilégier l’épargne pour mieux « préparer les vieux jours » : l’Allemagne en est le meilleur exemple. D’où l’excès mondial d’épargne et la difficulté d’un équilibre entre épargne et investissement (taux d’intérêt réel) compatible avec le plein-emploi. Une politique durable, voire permanente, de soutien à la croissance paraît donc nécessaire. Du côté tant de l’offre que de la demande ! La politique d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) permet certes de faire baisser le coût de financement des Etats membres, pour autant que la remontée des taux d’intérêt ne se poursuive pas. Mais il n’est pas sûr qu’elle ¶ André Grjebine est directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po parvienne à susciter une reprise durable. Elle peut conduire à une croissance chaotique fondée sur l’alternance de bulles financières et immobilières et de récessions résultant de leur explosion. Autre hypothèse, plus vraisemblable : en période d’incertitude, les institutions financières ont tendance à privilégier la sécurité et continueront à acquérir des obligations souveraines ou à déposer leurs capitaux auprès de la BCE. Il incombe désormais aux Etats de soutenir la croissance par des investissements publics ou la stimulation publique d’investissements privés, comme c’est le cas aux Etats-Unis. UNE REPRISE MIEUX ASSURÉE Afin d’éviter une aggravation des déséquilibres à la fois budgétaires et commerciaux, cette politique devrait être développée au niveau européen. Les règles communautaires proscrivent l’achat direct d’obligations publiques par la BCE mais, dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, la BCE peut racheter des obligations d’institutions supranationales européennes (dans la limite de 12 % du programme) ou d’agences nationales. Il s’agirait d’orienter ces achats vers des institutions finançant elles-mêmes des opérations ciblées par l’UE. Dans la mesure où la reprise serait impulsée par les pouvoirs publics européens, elle dépendrait moins des incertitudes auxquelles sont confrontés les dirigeants d’entreprise, et serait sans doute mieux assurée. En somme, il s’agirait d’associer la politique de la BCE et le plan Juncker, en étoffant et précisant ce dernier. Ce scénario raffermirait simultanément l’offre et la demande. Plaider pour un raffermissement du rôle des Etats peut paraître étrange quand la réduction des dépenses publiques est partout à l’ordre du jour. Pour éviter qu’une telle politique accroisse les gaspillages déjà dénoncés à juste titre, ce soutien européen aux investissements devrait être soumis à des conditions précises. D’une part, il devrait être ciblé sur des secteurs renforçant la croissance potentielle : nouvelles énergies, recherche, éducation ; d’autre part, il pourrait être conditionné à la réduction des dépenses nationales de fonctionnement qui ne contribuent pas à cette croissance potentielle. Les règles budgétaires européennes trouveraient pleinement leur sens si elles ne portent plus atteinte aux investissements nécessaires à la modernisation du tissu socio-économique des Etats membres, mais restent limitées aux seuls budgets de fonctionnement. p L’Union doit se doter d’instruments supranationaux de contrôle des finances publiques et des différentiels de compétitivité des Etats membres par andré sapir et guntram b. wolff D epuis le début de l’année, les signes de redressement économique de la zone euro se succèdent. C’est évidemment une bonne nouvelle, mais il serait dommage qu’elle ait une incidence négative sur le processus de réforme de la zone euro enclenché au plus fort de la crise. Des avancées majeures, telle l’union bancaire, ont eu lieu, mais celle-ci n’est pas encore achevée. Outre son amélioration, deux autres chantiers doivent être rapidement lancés : la politique budgétaire et la compétitivité. Le volet budgétaire de la zone euro doit avoir deux objectifs : la soutenabilité des finances publiques de ses membres, et une politique budgétaire pour la zone euro dans son ensemble qui soit en phase avec la politique monétaire de la Banque centrale européenne visant à assurer la stabilité des prix. Nous proposons cinq mesures. Primo, plus un pays tend vers une situation budgétaire non soutenable, plus l’intervention européenne devrait être contraignante. A la limite, les institutions européennes devraient pouvoir interdire complètement la capacité d’emprunt d’un gouvernement de la zone euro. Secundo, la zone euro doit pouvoir forcer un gouvernement dont la situation budgétaire est soutenable d’avoir un déficit en cas de récession de la zone euro. Tertio, les deux mesures précédentes nécessitent la création d’un eurosystème des politiques budgétaires C’EST ENSEMBLE QUE LES CAPITALES NATIONALES ET BRUXELLES DOIVENT SURVEILLER LES ÉVOLUTIONS DES BUDGETS ET DE LA COMPÉTITIVITÉ, ET LES CORRIGER LE CAS ÉCHÉANT (EPB) présidé par un ministre des finances de la zone euro et comprenant tous les autres ministres des finances plus cinq autres membres, y compris des représentants de la Commission européenne. Ses décisions, prises à la majorité, prévaudraient sur les décisions nationales en cas de risque important pour la soutenabilité des finances publiques d’un Etat membre ou pour la situation budgétaire de la zone euro dans son ensemble. Quarto, le Mécanisme européen de stabilité devrait être placé sous la responsabilité de l’EPB, qui devrait être en mesure de faire appel aux ressources budgétaires des Etats membres de la zone dans certaines circonstances telle une crise bancaire systémique. RESPONSABILITÉS NATIONALES Finalement, les décisions de l’EPB qui iraient à l’encontre de décisions des Parlements nationaux devraient être validées par une chambre spéciale de la zone euro au sein du Parlement européen afin d’assurer leur légitimité démocratique. En outre, un conseil budgétaire de la zone euro composé de personnalités indépendantes serait chargé de donner son avis sur l’état de soutenabilité des finances publiques des Etats membres, sur la situation agrégée de leurs politiques budgétaires et sur la pertinence pour l’EPB de contraindre certains Etats membres à modifier la politique budgétaire décidée par les Parlements nationaux. L’autre chantier concerne l’évolution de la compétitivité et en particulier le lien entre salaires et productivité, qui ont connu des divergences importantes au sein de la zone euro. La raison profonde de ces divergences tient à des fonctionnements différents des marchés nationaux du travail, dont certains continuent à opérer sans tenir compte suffisamment de leur appartenance à une union monétaire. Une solution serait de créer un marché du travail unique à la zone euro avec une forte mobilité des travailleurs comme aux Etats-Unis, mais cette solution est clairement irréaliste. Une autre solution serait d’harmoniser les systèmes salariaux nationaux, mais cette piste ne semble pas non plus très réaliste. Comment alors assurer que ces diffé- rents systèmes nationaux produisent des évolutions de salaires compatibles avec leur appartenance à la zone euro ? La procédure de déséquilibre macroéconomique instaurée depuis la crise et utilisée par la Commission européenne est un instrument utile pour assurer le suivi de la compétitivité, mais il est clairement insuffisant. Nous proposons la création d’un conseil de la compétitivité de l’eurosystème (CCE), constitué de conseils nationaux de la compétitivité et de la Commission européenne. Les conseils nationaux auraient pour mission de créer les conditions pour que l’évolution des salaires négociée par les partenaires sociaux nationaux tienne compte de l’évolution de la productivité nationale et de l’écart de compétitivité vis-à-vis des autres pays de la zone euro. Le rôle principal du CCE serait de coordonner les actions des conseils nationaux de la compétitivité et de s’assurer que les normes salariales nationales soient compatibles les unes avec les autres. En dernière instance, le CCE devrait pouvoir dicter une norme salariale à un Etat membre dont l’évolution salariale serait soit trop rapide, soit trop faible, eu égard à son évolution de productivité et de compétitivité. Ces deux organes, l’EPB et le CCE, seraient de véritables réseaux composés d’instances nationales et européennes, car c’est ensemble que les capitales nationales et Bruxelles doivent surveiller les évolutions des budgets et de la compétitivité, et les corriger le cas échéant. Ils disposeraient de pouvoirs supranationaux importants. Nos propositions reposent sur le principe que la politique budgétaire et la politique salariale doivent rester principalement des responsabilités nationales. Mais, pour autant, elles reconnaissent que l’exercice de ces responsabilités doit se conformer à l’intérêt commun et partagé de la zone dans son ensemble. L’élément supranational supplémentaire nécessiterait un changement du traité européen ou un nouveau traité intergouvernemental. Cela peut effrayer certains, mais nous sommes convaincus que nos propositions sont nécessaires pour assurer la croissance et l’emploi dans la zone euro. p ¶ André Sapir et Guntram B. Wolff sont membres du think tank Bruegel, Bruxelles MÉDIAS&PIXELS | 7 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Facebook ouvre un laboratoire de recherches futuriste à Paris Cette équipe française travaillera sur l’intelligence artificielle des satellites ou à des avions solaires. Yann LeCun a été lui-même recruté par Facebook, fin 2013, pour développer les techniques d’intelligence artificielle dont il a été l’un des pionniers, le « deep learning » (ou « apprentissage statistique profond »). Le casque de réalité virtuelle créé par Oculus VR, une société rachetée par Facebook en 2014. ERIC RISBERG/AP les exemples les plus frappants de l’efficacité de ces techniques. Dans Nature du 27 mai, Yann LeCun et deux autres pionniers du domaine (Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton) en retracent d’ailleurs les succès et détaillent les défis à venir. Signe de l’intérêt des géants du Web pour ces techniques, Geoffrey Hinton travaille pour Google. « L’intelligence artificielle doit permettre de trier toute l’information dont un utilisateur dispose afin d’améliorer les interactions sociales », estime Mike Schroepfer. Dans cette quête, le monde académique a du mal à rivaliser avec ces entreprises. Des chercheurs du CNRS, de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) ou d’universités sont parmi les dernières recrues des équipes FAIR. En outre, plusieurs autres jeunes cher- cheurs intéressaient aussi des établissements de recherche français. Facebook a également puisé chez ses concurrents Microsoft, Xerox ou le japonais NEC. Yann LeCun estime que la France (et notamment Paris) offre une concentration rare de talents et de cultures variés, en mathématiques et en informatique, les deux disciplines reines du deep learning. « Nous n’avons pas de mal à les convaincre. Ils travailleront avec les meilleurs, sur des pro- 0123 Réseaux de neurones Ces concepts servent dans des programmes de reconnaissance vocale, de reconnaissance d’images, de classification d’objets divers, mais aussi de traduction automatique et de prédiction des effets de médicaments… Ces programmes apprennent, grâce à des banques de données connues, à classer des objets (sons, images, vidéos…) inconnus. Parfois appelés « réseaux de neurones », par analogie avec le fonctionnement cérébral, ils adaptent leurs centaines de millions de paramètres pour produire la meilleure réponse possible. Yann LeCun a été parmi ceux qui ont amélioré l’efficacité de ces calculs dans les années 1990 et permis leur déploiement récent. Formé en France à l’Esiee et à l’université Pierre-et-Marie-Curie, il a ensuite travaillé dans les laboratoires de recherche de l’entreprise américaine AT&T. Les assistants numériques vocaux installés sur les smartphones des Apple, Microsoft ou Google (et son système Android) sont HORS-SÉRIE F acebook a décidé d’installer une équipe de recherche permanente à Paris dans le domaine de l’intelligence artificielle. Six personnes viennent d’être recrutées et six autres devraient suivre d’ici à la fin de l’année. « Nous serons ici 25 à 30 personnes dans quelques années, plus des doctorants et post-docs », indique Yann LeCun, directeur de l’unité de recherche. Son équipe compte aujourd’hui 45 membres, répartis entre le siège de Facebook à Menlo Park (Californie) et New York, où le chercheur est également professeur. Un déménagement, toujours à Paris, est d’ailleurs envisagé pour accompagner la croissance du groupe de recherche. Ce centre, baptisé Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR), constitue le troisième pilier de la R&D futuriste de l’entreprise, avec les interfaces naturelles et la connectivité planétaire. Les premières reposent sur la réalité virtuelle autour du casque créé par la société Oculus VR, rachetée par le géant américain en 2014. Un premier modèle devrait sortir au premier trimestre 2016 pour « favoriser les interactions sociales virtuelles », explique Mike Schroepfer le directeur technique de Facebook. Le second pilier vise à connecter le plus de monde possible à Internet grâce à jets ambitieux et auront les moyens techniques nécessaires », souligne-t-il, restant silencieux sur les salaires. « Nous les incitons en outre à collaborer avec d’autres équipes et à publier leurs résultats de recherche. » Des partenariats devraient notamment se conclure avec l’Inria. Parmi les défis, le chercheur parie que la compréhension du langage naturel sera techniquement possible pour un téléphone relié à des serveurs puissants dans deux ou trois ans. A l’exception peutêtre des traits d’humour. L’installation de cette équipe de recherche permanente en France ne suffira cependant pas à compenser l’écart avec le RoyaumeUni et l’Allemagne. Selon le cabinet EY, 27 centres de recherche et développement de grandes entreprises étrangères se sont implantés en France en 2014 (40 en 2013), contre respectivement 72 et 47 chez nos voisins. p david larousserie Réussir son bac PROGRAMME 2015 avec Les aides à la presse favoriseront davantage l’innovation 0123 NOUVEAU Fleur Pellerin a présenté, mardi 2 juin, ses pistes de réforme. Les subventions représentent plus de 800 millions d’euros par an I l faut aborder le secteur de l’information comme un « écosystème » qui dépasse les catégories issues de l’univers imprimé : telle est la recommandation du sociologue Jean-Marie Charon, auteur d’un rapport intitulé « Presse et numérique, l’invention d’un nouvel écosystème », remis à la ministre de la culture, Fleur Pellerin, mardi 2 juin. L’objet de ce rapport était de proposer un état des lieux du secteur pour permettre aux acteurs politiques de mieux cibler leurs interventions. Les fameuses aides publiques aux entreprises de presse, qui représentent 820 millions d’euros annuels, sont régulièrement accusées d’encourager des modèles établis ou en perte de vitesse plutôt que de favoriser l’innovation. En regard, le Fonds Google (16,1 millions d’euros) a apporté l’exemple d’une aide focalisée sur les nouveaux projets. « L’intervention de l’Etat doit donner toute sa place au binôme innovation-expérimentation », recommande donc M. Charon. La remise de ce rapport a été pour Fleur Pellerin l’occasion de clarifier les évolutions des aides à la presse, mais aussi de rappeler que la première préoccupation de l’Etat reste le pluralisme. Dans Une critique souvent faite aux aides à la presse : elles encouragent des modèles établis ou en perte de vitesse le contexte de l’après-Charlie, marqué par une attention accrue aux lieux du débat public, plusieurs dizaines de titres généralistes (hebdomadaires, mensuels, trimestriels…) vont désormais toucher des aides directes, jusqu’ici réservées aux quotidiens. Ces aides directes s’élèveront dès cette année à 135 millions d’euros, contre 130 millions précédemment. En contrepartie, Mme Pellerin souhaite les conditionner à des critères éthiques ou déontologiques, aux bonnes pratiques sociales ou au respect de la diversité et de la parité. Quant aux aides indirectes (taux « super-réduit » de TVA et tarifs postaux avantageux), elles seront désormais plus sélectives. Seule la presse d’information politique et générale, ainsi que la presse « de la connaissance et du savoir », continueront de bénéficier des aides postales (130 millions d’euros annuels actuellement). La presse de loisir et de divertissement devra s’en passer. Aider les médias en création Les détails de cette réforme des aides postales ne sont pas encore connus, puisque la ministre a lancé des missions qui seront achevées cet été. Mais le ministère compte sur ce resserrement pour dégager de quoi accompagner l’innovation. Il s’agirait de renforcer le Fonds stratégique pour le développement de la presse (en l’ouvrant davantage à des acteurs modestes), mais aussi de créer un fonds d’accompagnement à la création de nouveaux médias. Enfin, Mme Pellerin souhaite favoriser la création d’incubateurs qui, comme le suggère M. Charon, « accueillent les “pure players” d’information, les labs des entreprises de presse, ainsi que les start-up contribuant à la production d’information ». M. Charon propose aussi des formules de « start-up en résidence », où une entreprise éditrice accueillerait une start-up le temps de faire aboutir conjointement un projet innovant, avec une aide de l’Etat. p alexis delcambre HUIT MATIÈRES Toutes les clés pour enrichir votre copie et décrocher la mention • Des fiches de cours détaillées • Des sujets commentés pas à pas • Les articles du Monde en lien avec le programme • Des conseils sur la méthodologie des épreuves En vente chez votre marchand de journaux En coédition avec En partenariat avec DÉBATS RENCONTRES SPECTACLES 25-27 SEPTEMBRE 2015 Le M o n d e.f r/fes t i va l 2 E É D I T I O N Opéra Bastille - Palais Garnier Théâtre des Bouffes du Nord Cinéma Gaumont Opéra universités &grandes écoles ILLUSTRATIONS : GIULIA D’ANNA LUPO Optez pour l’alternance ! L’objectif des 500 000 contrats d’apprentissage ou de professionnalisation reste un vœu pieux. Pourtant, quantité de secteurs, dont le numérique, manquent d’apprentis E tudiants, professeurs, entreprises et pouvoirs publics : tout le monde s’accorde sur les vertus de l’alternance, qu’elle prenne la forme d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation. Suivre une formation diplômante, en partie en cours et en partie au sein d’une entreprise, permet d’appréhender plus rapidement la réalité du monde du travail et facilite une adaptation, pour l’étudiant comme pour l’établissement dont il dépend, aux rapides évolutions technologiques dans quasiment tous les métiers. A l’heure où le chômage des jeunes demeure une plaie sociétale, l’apprentissage constitue en outre un excellent outil d’insertion : 70 % des alternants sont embauchés en CDI six mois après la fin de leur formation. Comment comprendre alors que le nombre d’alternants, qui avait régulièrement augmenté depuis 1994, baisse depuis quatre ans ? Comment se fait-il que l’objectif des 500 000 alternants fixé en 2005 sous la présidence de Jacques Chirac demeure en déficit de quelque 100 000 jeunes ? Le « plan de relance » adopté en 2014, avec pour ambition d’atteindre ce même objectif des 500 000 « d’ici à la fin du mandat du président Hollande », a-t-il de meilleures chances de succès ? Les écoles de commerce et d’ingénieurs, autori- sées à pratiquer l’alternance depuis 1987, sont moins touchées par cette décrue. A titre d’exemple, l’apprentissage a augmenté d’un tiers en quatre ans dans les écoles de l’Institut Mines-Télécom, observe son directeur des formations, Bertrand Bonte, et concerne aujourd’hui près d’un quart de ses 2 700 élèves ingénieurs. Critique de la réforme Mais nombre de chefs d’établissements s’inquiètent des conséquences de la récente réforme de la taxe d’apprentissage prélevée auprès des entreprises, qui finance jusqu’à présent leurs budgets à hauteur d’au moins 10 %. Cette réforme modifie en effet les modalités d’affectation de la taxe au bénéfice des régions, dont certaines baissent cette année leurs budgets consacrés à l’apprentissage. Les nouvelles dispositions privilégient d’autre part les centres de formation d’apprentis (CFA). Les critiques les plus virulentes émanent du Medef, qui dénonce un système de financement de l’apprentissage devenu « illisible » et peu incitatif pour les entreprises. Pour celles qui embauchent plus de 3 % de leurs effectifs en alternance, l’organisation patronale réclame la « pleine liberté d’affectation de la taxe d’apprentissage » aux établissements de leur choix, de manière à mieux adapter les formations aux besoins du Cahier du « Monde » No 21890 daté Jeudi 4 juin 2015 - Ne peut être vendu séparément marché du travail. Notre enquête le démontre : nombre de métiers nés de la révolution numérique ou transformés par elle manquent de profils pointus. Or il faut souvent deux à trois ans pour mettre sur pied une formation en alternance, en collaboration avec les entreprises intéressées et avec la bénédiction des autorités de l’éducation nationale. Une lourdeur qui se retrouve aussi dans les formalités administratives nécessaires avant la signature d’un contrat d’alternant. De nouveau, les regards se tournent vers l’Allemagne, exemple qui a en partie inspiré la France. L’alternance s’y pratique depuis quarante ans, et avec succès, eu égard au faible taux de chômage des jeunes. Or, outre-Rhin, les entreprises sont les opérateurs principaux de la formation des apprentis. Signe des temps ? Les besoins urgents des pouvoirs publics français leur commandent davantage de réactivité et de souplesse : les académies de Créteil, Versailles et Amiens, qui peinent à recruter leurs professeurs, vont expérimenter l’alternance pour les formations en masters des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Pour la rentrée 2016 et peut-être même pour celle de 2015. p martine jacot le paradoxe des formations en alternance Alors que les entreprises peinent à recruter, y compris dans les métiers en pointe, cet excellent dispositif de formation ne fait pas le plein. PA G E S 2 - 3 une forte demande dans les métiers du numérique Aucun travail n’échappe aux technologies. Une formation bien ciblée permet de s’adapter aux nouveaux outils et d’être vite opérationnel. PA G E S 4 - 5 oser approcher des employeurs potentiels Même les entreprises qui ne recherchent pas, a priori, d’apprentis peuvent se laisser convaincre de signer un contrat en alternance. PA G E 8 2| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Alternance 0123 Jeudi 4 juin 2015 Relancer l’apprentissage : une nécessité Malgré de forts besoins, l’alternance peine à se développer, même si elle progresse dans l’enseignement supérieur. Problèmes de financement et complexité des dispositifs bloquent son essor Q ue l’alternance soit un bon, un excellent dispositif de formation, personne ne le conteste. Ses résultats en termes de réussite aux examens, d’insertion professionnelle et de promotion sociale le démontrent amplement. Les politiques de tous bords, tout comme le patronat, ne manquent d’ailleurs pas une occasion de plaider sa cause. Cependant, on aurait tort de voir dans l’alternance l’unique solution aux problèmes de formation et d’accès à l’emploi des jeunes. D’autant que le nombre total d’apprentis est en net recul depuis quelques années. Les effectifs ont fondu de 8 % en 2013, de 3,2 % en 2014, et ils sont encore en repli de 14 % depuis le début de cette année. De nombreuses places restent vides dans certains centres de formation d’apprentis (CFA), faute de candidats. Le flux actuel dépasse seulement 400 000, alors que les pouvoirs publics viennent de remettre une nouvelle fois sur la table l’objectif de 500 000 apprentis à l’horizon 2017. Le constat doit, certes, être nuancé. Dans l’enseignement supérieur, l’apprentissage se porte plutôt bien. La majorité des écoles de commerce proposent désormais une filière de ce type, l’Essec ayant joué un rôle pionnier en la matière. L’Ecole de management de Normandie accueille 315 apprentis (en hausse de 40 % en un an), sur un effectif total de 1 400 élèves ; l’Ecole supérieure de commerce de Pau en compte près de 300 au niveau master (M1 et M2). Les formations d’ingénieurs en apprentissage se sont également multipliées. L’apprentissage pourrait accueillir encore plus d’étudiants si certains acteurs, en particulier au sein de quelques conseils régionaux, n’étaient tentés de concentrer les efforts et les moyens financiers sur les bas niveaux de qualification, du type CAP. « Ce serait une erreur majeure, estime Bruno Goubet, directeur de l’Ecole des mines d’Alès. Car l’essor de l’apprentissage dans le supérieur a fortement contribué à améliorer son image. Il doit être une formation d’excellence, à tous les niveaux. Il ne faut surtout pas en faire une filière pour jeunes en situation d’échec. » Pour aller plus loin, il faudrait résoudre la lancinante question de son financement. Car l’alternance coûte cher à l’entreprise : en moyenne, autour de 8 000 euros par an et par apprenti dans le secteur industriel, par exemple. Et beaucoup plus dans le cas d’une école de management, l’entreprise d’accueil devant aussi couvrir les frais de scolarité de l’apprenti. La récente réforme de la taxe d’apprentissage va sans doute modifier les équilibres. Il y a peu de chances qu’elle apporte une solution pérenne, alors que les contributions des entreprises tendent à diminuer pour cause de faible croissance. Et les régions, autre pilier de l’apprentissage avec l’Etat, ne pourront pas accroître massivement leur soutien financier. Il faut surtout que l’apprentissage soit en phase avec l’évolution des métiers. Certes, cette adaptation se fait de façon assez naturelle, car le dialogue entre l’entreprise et l’université ou l’école est inhérent à l’alternance. Il n’empêche : en dépit de ses qualités incontestées, le dispositif reste complexe. D’abord parce qu’il mobilise de nombreux acteurs (organismes de formation, entreprises et branches professionnelles, régions, organismes collecteurs de la taxe, sans oublier les CFA eux-mêmes). Ensuite parce qu’il est régi par nombre de normes et de règles sur l’organisation des cursus, la répartition des coûts ou les missions confiées aux jeunes. Conséquence, l’apprentissage manque de réactivité : Pour mettre sur pied une formation répondant aux besoins des entreprises, il faut un délai qui peut varier entre deux et trois années pour mettre sur pied une formation répondant aux besoins des entreprises, il faut un délai qui peut varier entre deux et trois années, voire davantage. La lourdeur du dispositif n’empêche toutefois pas une industrie comme l’aéronautique de tisser des liens forts et constants avec l’appareil de formation. On y dénombre quelque 5 900 jeunes en alternance (4 700 en apprentissage et 1 200 en contrat de professionnalisation) pour 180 000 salariés en tout. L’apprentissage se développe aux niveaux ingénieur et master, mais aussi en licence pro et en BTS. « La priorité va aujourd’hui à la production, indique Philippe Dujaric, directeur adjoint des affaires sociales et de la formation au Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Méthodes, qualité, achats, gestion de production… Pour tous ces métiers, nos entreprises affichent de forts besoins de jeunes en alternance. » Le groupe Safran, à lui seul, accueille chaque année 1 500 appren- tis. Mais les grosses PME, et en particulier les équipementiers, peinent à recruter des alternants – notamment en raison de leurs coûts. De leur côté, écoles et universités démontrent qu’elles se sont mises à l’écoute des entreprises. L’Ecole des mines d’Alès, par exemple, forme en apprentissage des ingénieurs avec un profil généraliste, mais destinés à un métier. Elle a mis sur pied deux filières de ce type : informatique et réseaux d’une part, et conception et maîtrise de la construction (avec une orientation vers le bâtiment durable) d’autre part. L’école accueille au total 300 apprentis par année. « Pour que le cursus fonctionne, il faut garantir la qualité de la formation, explique Bruno Goubet. Nous assurons donc un suivi mensuel des apprentis, tout en maintenant un lien fort avec l’entreprise d’accueil. Nous avons très peu d’échecs. Mais cela mobilise 300 tuteurs au sein de l’école, et nécessite un soutien important de la région LanguedocRoussillon. » Même tonalité pour l’ESC Pau : « L’apprentissage donne d’excellents résultats si l’accompagnement est de qualité », affirme Stephen Platt, le directeur, qui envisage de créer un observatoire de ce type de formation. p jean-claude lewandowski « C’est un bon outil d’insertion et de promotion sociale » FRÉDÉRIC TOUMAZET, vice-président de l’université Paris-EstMarne-la-Vallée (UPEM), est chargé des enseignements et de la professionnalisation. A ce titre, il est responsable des formations en alternance, dont les étudiants représentent près du quart des effectifs de cette université. L’UPEM est l’une des universités les plus engagées dans l’alternance. Quelles sont les formations les plus prisées par les employeurs ? Nous avons environ 2 200 étudiants en apprentissage, et 200 à 300 en contrat de professionnalisation. Une centaine de nos formations, sur 180 en tout, sont ouvertes en apprentissage, de bac + 2 à bac + 5. L’alternance est une tradition à l’UPEM. Ce qui fonctionne très fort, ce sont les formations à bac + 5 dans les services : management (à l’Institut d’administration des entreprises – IAE – de Paris), banque et finance, assurance, audit et contrôle de gestion. Dans ces domaines, le taux d’insertion est très élevé et les salaires d’embauche satisfaisants. Idem pour les licences professionnelles dans les services – en management des organisations, par exemple. Avez-vous des difficultés de placement pour d’autres filières ? Ce fut le cas pour une licence pro consacrée à l’automobile, à cause du tassement de l’activité. Mais nous l’avons maintenue. Aujourd’hui, le secteur redémarre et nous avons même élargi le contenu de la formation avec un parcours spécifique à la récupération de véhicules anciens. En revanche, nous avons fermé une formation de commerciaux pour les maisons individuelles. Comment pilotez-vous votre offre de formations d’apprentis ? Nous procédons régulièrement à sa refonte pour prendre en compte les besoins des entreprises. L’apprentissage est un lieu d’échanges entre l’entre- prise et l’université, notamment par les comités de pilotage et de perfectionnement. Nous avons forcément des liens forts avec les employeurs. Combien de temps vous faut-il pour mettre sur pied une nouvelle formation en apprentissage ? Quand une thématique nouvelle émerge, les entreprises nous font part de leurs souhaits. Nous discutons avec elles et avec les syndicats de branche. Il faut aussi que les différents acteurs – notamment le conseil régional – acceptent de nous donner des droits. Entre le montage de la formation et son ouverture, il peut se passer un an et demi, parfois plus. Mais nous pouvons aussi accélérer le processus en ouvrant une formation traditionnelle avec des effectifs limités et, si la demande persiste, en recrutant en contrat de professionnalisation. Cela permet de réagir plus rapidement. L’apprentissage s’est beaucoup développé dans l’enseignement supérieur. Peut-il encore progresser ? Le potentiel reste important. Mais il faut faire évoluer les formations pour qu’elles restent attractives. C’est ce que nous faisons avec notre université sœur, celle de Créteil. Il faut aussi ouvrir davantage l’apprentissage aux PME et aux TPE, qui ont de gros besoins. L’apprentissage est-il la bonne solution pour tous les étudiants ? Ce mode de formation ne convient pas à tous. C’est un bon outil d’insertion et de promotion sociale, certes. Mais certains étudiants auraient du mal dans un cursus de ce type. En outre, l’apprenti doit mener de front sa vie d’étudiant et son emploi. Le rythme est donc très soutenu. C’est une réalité qu’on a tendance à occulter. p propos recueillis par j.-c. l. Alternance | 0123 Jeudi 4 juin 2015 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |3 Les écoles s’adaptent au plus près des besoins du marché du travail Pour inciter les entreprises à prendre des apprentis, des centres de formation n’hésitent pas à se convertir en prestataires de services ou cabinets de recrutement A lors que le gouvernement ambitionne de parvenir à l’objectif de 500 000 contrats en apprentissage par année à l’horizon 2017, les mois de janvier et février ont vu leur nombre chuter de 14 % par rapport à la même période en 2014. Face à la frilosité des entreprises à prendre des apprentis, écoles et centres de formation doivent faire preuve d’écoute, d’ingéniosité et de réactivité pour répondre aux besoins et aux évolutions du marché du travail, et ainsi attirer les candidats. « Je suis en contact permanent avec des DRH d’entreprises pour irriguer de nouvelles tendances dans les programmes de nos formations », explique François-Xavier Thery, directeur du développement et des entreprises à Montpellier Business School (MBS). Si de nombreuses grandes écoles sont aujourd’hui dotées d’un centre de formation d’apprentis (CFA) – Toulouse Business School, l’Essec, l’Ecole des mines, etc. –, peu ont autant investi dans l’alternance et dans l’apprentissage. Avec 830 alternants dans son programme master grande école pour 2014-2015, MBS a vu ses effectifs croître de 30 % en un an. Quinze personnes à temps plein y sont chargées de la supervision des apprentis et des relations avec les entreprises. « Nous fonctionnons comme un prestataire de services et un cabinet de recrutement », résume M. Thery. Il s’agit de répondre en permanence aux besoins de « tel ou tel profil », de présélectionner les candidats correspondants, et d’adapter les formations. Des profils bac + 5 très prisés Pour répondre, par exemple, à la demande d’entreprises impactées par le numérique, une « majeure » en dernière année du cursus ebusiness et e-communication a été créée en 2014. Présence digitale, communication en ligne, stratégie en e-commerce, marketing par Internet : les parcours de spécialisation prennent aussi en compte la révolution cybernétique en cours. Chaque année, un « conseil de spécialisation », composé d’enseignants et de professionnels, évalue l’adéquation de la formation avec le marché de l’emploi pour faire évoluer son contenu ou le réviser. L’innovation et la proximité avec les entreprises passeront un nouveau cap chez MBS à la rentrée 2015 avec la création d’un bachelor accessible en contrat de professionnalisation et consacré à une entreprise spécifique : Adecco (travail temporaire). L’entreprise viendra y coformer, pendant douze mois, les profils dont elle a besoin aux compétences idoines. Au sein du Groupe IGS (Paris, Lyon, Toulouse), poids lourd de la formation continue et de l’alternance, où une classe Randstad (autre entreprise du travail temporaire) du même type existe déjà, un plan de l’alternance a été mis sur pied, en 2014, avec « l’ob- jectif de revoir toutes les formations sous le prisme du numérique », explique Jean-Philippe Leroy, directeur général adjoint du groupe, chargé de l’apprentissage. A la question « Comment le big data intervient-il dans le domaine des ressources humaines ? » posée par et avec les professionnels du secteur, des forma- « En trois ou quatre mois, nous sommes capables de réécrire une formation en matière de contenu, de compétences et d’évaluation » Catherine Lapouge directrice d’activité du Ciefa tions en e-relations humaines ont, par exemple, été mises en place avec succès. Sur le numérique comme sur d’autres problématiques, « notre force est notre réactivité », note Catherine Lapouge, directrice d’activité du Centre interentreprises de formation en alternance (Ciefa), l’une des neuf écoles du groupe IGS. « En trois ou quatre mois, nous sommes capables de réécrire une formation, en matière de contenu, de compétences et d’évaluation », assure-t-elle. Une réactivité surtout possible lorsque les formations sont uniquement certifiées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Car réhabiliter un diplôme reconnu par l’éducation nationale prend plus de temps. « Il faut alors anticiper l’évolution du métier » pour ne pas prendre de retard par rapport au marché du travail, ajoute Catherine Lapouge. Chez Pôle Paris alternance (PPA), seule école de commerce exclusivement accessible en alternance, des comités de perfectionnement, divisés en pôles métier, ont lieu « presque tous les quinze jours », selon Nicolas Stalin, son directeur. De quoi être capable d’adapter une formation d’un semestre sur l’autre. « La Commission nationale de la certification professionnelle [qui établit et actualise le RNCP] peut nous retirer une homologation si l’on ne colle pas au marché du travail », précise-t-il. Le taux de placement des élèves et l’évaluation de l’évolution de leur carrière, entre autres, servent de baromètre. p séverin graveleau business development, human adventure A la rentrée, le principal centre de formation d’apprentis d’Ile-de-France instaurera quinze nouveaux cursus tionnelles (1 300 inscrits en tout), ils ont tendance à stagner. Parmi les métiers les plus porteurs aujourd’hui figure bien sûr le numérique, pour lequel les industriels affichent de gros besoins. Mais aussi les professions du commerce et de la gestion. Le secteur de la banque-finance, à l’inverse, décline légèrement. « Un rôle de facilitateurs » Comment une nouvelle formation en alternance voit-elle le jour ? « Nous sommes gérés de façon paritaire, par les entreprises et les représentants des universités et notamment des IUT, rappelle Laurence Bancel-Charensol. Nous construisons ensemble les filières et les parcours, du DUT au master ou au diplôme d’ingénieur. Nous utilisons pour cela les informations qui nous remontent sur les métiers en tension, les compétences recherchées, les attentes des employeurs, et les missions qu’ils proposent. » A la rentrée, le CFA lancera ainsi quinze nouvelles formations – fruit de plus de deux années de travail. Parmi celles-ci, trois filières mises sur pied avec l’université Paris-Est-Créteil (UPEC) : développement durable, numérique et santé, entrepreneuriat. « A l’origine, ce sont des cadres et dirigeants d’entreprise qui ont indiqué à nos enseignants-chercheurs qu’ils avaient des besoins significatifs sur ces sujets, précise la responsable. Il nous a fallu chercher des partenaires universitaires, élargir le spectre des firmes intéressées, travailler avec le conseil régional d’Ile-de-France… » Le CFA a également trouvé de quoi financer une résidence d’apprentis à Créteil, avec des équipements de domotique évolués. Pour assurer le suivi pédagogique, le CFA dispose de quinze critères de qualité, qui lui permettent de veiller à la cohérence du parcours de chaque apprenti. L’offre de formations peut évoluer : il arrive que le CFA ferme des cursus – DUT en électronique, par exemple – lorsqu’ils ne répondent plus aux besoins. Pour Laurence Bancel-Charensol, les récentes réformes de la formation et du financement sont source d’incertitudes : « Nous entrons dans une période délicate, qui va sans doute durer deux ou trois ans. Mais il est probable que les besoins des entreprises vont se maintenir en Ilede-France dans l’enseignement supérieur. » Autre difficulté : la chute de l’apprentissage dans les PME, pourtant très présentes dans la région. Aussi le CFA Sup 2000 vat-il se rapprocher des réseaux de PME, afin de mieux les informer sur les parcours et les profils d’apprentis. « En réalité, nous avons un rôle de facilitateurs, tant auprès des employeurs que des institutions académiques », conclut la directrice du CFA. p j.-c. l. MBA SPÉCIALISÉS EN ALTERNANCE • Key Account Management • Retail & E-commerce • Conseil en stratégie commerciale et Business Intelligence • Marketing Management • Marketing Digital • International Business Development • Achats, Supply Chain et Développement durable • Développement de projets culturels et évènementiels Journées de sélection tous les mercredis du mois de juin 2015 Venez avec votre dossier et obtenez vos résultats sous 48h Dossier et inscriptions : www.icd-ecoles.com/journees-de-selection-juin-2015 CONTACT Sabine CHOLLET - 01 80 97 66 11 [email protected] www.icd-ecoles.com INSTITUT INTERNATIONAL DU COMMERCE ET DU DÉVELOPPEMENT - CRÉÉ EN 1980 ETABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR TECHNIQUE PRIVÉ RECONNU PAR L’ÉTAT 05/2015 DIRECTION MARKETING ET COMMUNICAITON GROUPE IGS A vec quelque 3 500 étudiants inscrits et près de 130 programmes, c’est le plus important centre de formation d’apprentis (CFA) d’Ile-de-France, et l’un des tout premiers de France. Entièrement voué à l’enseignement supérieur, le CFA Sup 2000 est partenaire de huit universités franciliennes, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et d’une école d’ingénieurs, l’Ecole pour l’informatique et les techniques avancées (Epita), offrant ainsi une large palette de disciplines. Compte tenu de sa taille, l’établissement couvre la plupart des métiers et des secteurs (le numérique, le commerce, la gestion, la banque, l’industrie…), avec 95 % de réussite aux examens et un taux d’accès à l’emploi de 73 % en cinq mois à la sortie. « Les employeurs recherchent de plus en plus des profils à bac + 5, observe d’abord Laurence BancelCharensol, la directrice. Ils sont confrontés à un environnement plus complexe, ils sont engagés à l’international… Ils veulent donc des candidats polyvalents et dotés d’un bagage solide. » Le CFA affiche en conséquence une croissance forte sur les formations de niveau master et ingénieur, qui comptent environ 1 350 inscrits. En revanche, les licences pro (1 250 étudiants) connaissent un relatif tassement – mais après une très forte hausse dans les années 2012 et 2013. Quant aux DUT et licences tradi- L’essor du numérique, une révolution toujours en cours Commerce en ligne, activités liées au big data… Beaucoup de métiers du numérique ont du mal à recruter. A la rentrée, cependant, de nouvelles formations devraient améliorer l’offre et atténuer les pénuries C’ est un fait dorénavant admis, le numérique implique la transformation de presque tous les métiers du commerce et de l’ingénierie que nous connaissons, et continue d’en créer d’autres. Deux points de repère suffisent à mesurer les révolutions en cours. D’une part, le commerce en ligne a crû en 2014 dix fois plus vite que le commerce traditionnel, pour atteindre 57 milliards d’euros en chiffre d’affaires. Un secteur de plus en plus tiré par des PME ou TPE, jeunes pousses à la croissance exponentielle. D’autre part, les activités liées au big data (collecte et exploitation des masses de données produites par les objets connectés) ont représenté environ 1,5 milliard d’euros en 2014 et seront multipliées par six d’ici à 2020, anticipe le comité chargé de piloter le plan big data du gouvernement. « En termes d’emplois, l’enjeu du big data est de créer ou consolider de l’ordre de 137 000 emplois, soit directement dans l’industrie informatique, soit dans des fonctions au sein des entreprises », poursuit le même comité. Premier paradoxe : les métiers tout ou partiellement numériques sont à la fois parmi ceux qui embauchent et embaucheront le plus – environ 36 000 créations de postes de cadres sont attendues dans « Nous cherchons des profils pointus pour des compétences qui viennent tout juste d’émerger » Perrine Grua directrice générale d’Aquent France ce secteur, selon le syndicat professionnel Syntec Numérique – et ceux qui connaissent les plus fortes difficultés de recrutement. La France manque ainsi cruellement de développeurs Web. Et dans le secteur commercial, le poste de « directeur multicanal », qui maîtrise aussi bien les circuits de distribution traditionnels que ceux du Web, est si rarement pourvu qu’il est rétribué à hauteur de 250 000 euros par an. A en juger par les nouvelles formations annoncées pour la rentrée par les écoles – plus que par les universités –, l’offre de cursus dans les métiers numériques devrait se développer sensiblement et contribuer à atténuer les pénuries. Second paradoxe : le numérique affiche un retard important en matière d’alternance, en partie parce que les société de services en ingénierie informatique (SSII) boudent l’apprentissage. Tout au plus 4 500 contrats d’alternance auraient été signés en 2012, d’après une estimation de Syntec Numérique. Ce syndicat professionnel s’est engagé à sensibiliser ses 1 500 membres afin d’atteindre 40 000 alternants d’ici trois ans. Encore faudra-t-il que les établissements d’enseignement supérieur, publics ou privés, ouvrent davantage de cursus à l’alternance dans le numérique. Perrine Grua, directrice générale pour la France chez Aquent, agence internatio- nale de placement dans les secteurs du marketing et du digital, résume une problématique qui pourrait bien se généraliser : « Nous cherchons des profils pointus pour des compétences qui viennent tout juste d’émerger. » Le rythme est si rapide qu’on ne prend plus la peine de traduire : chief digital officer (directeur numérique), data analyst, data scientist, creative technologist, community manager, SEO manager (référenceur Web), media trader Web ou encore, le plus abscons, UX (pour « user experience ») design manager. Caroline Morot, qui occupe cette dernière fonction chez Voyages SNCF, tente une explication : « Au départ, on nous appelait des ergonomes ou des psychologues. Ce nouveau métier est en quelque sorte celui d’un directeur artistique appelé à agir en interface avec la clientèle. » Ce que Christophe Chaptal de Chanteloup, qui a fondé le cabinet de conseil cc & a., a assimilé à une « stratégie pour consommateurs mutants », discipline elle aussi assurée d’un grand avenir. p martine jacot Géomatique, géomarketing et bio-informatique : des nouvelles filières Recherche hackers désespérément Dans des métiers fondés sur des technologies qui se renouvellent sans cesse, l’alternance permet de rester en phase avec les enjeux du terrain Les cyberattaques obligent les entreprises à renforcer leurs équipes de spécialistes en cybersécurité A vec leur triple compétence en mathématiques, en sciences de la vie et en informatique, les diplômés du master en bio-informatique de l’université de Rouen ne connaissent pas la crise. « Depuis 2011, tous ont signé un contrat de travail avant même de soutenir leur mémoire de fin d’études », constate la responsable, Hélène Dauchel. Car la biologie n’échappe pas au big data. Dans le sillage du séquençage du génome humain notamment, la quantité de données disponibles dans chacun de ces domaines ne cesse de croître. Pour les analyser et les gérer, les laboratoires des hôpitaux, les centres de recherche ainsi que les entreprises pharmaceutiques sont à l’affût d’ingénieurs spécialisés. « Au-delà des questions de diagnostic et de choix des traitements en médecine, on voit surgir de nouveaux enjeux dans le secteur des biotechnologies et de la protection de l’environnement », ajoute Mme Dauchel. Mais si les CV de ses étudiants font mouche, c’est dû aussi bien à leur orientation vers un créneau porteur qu’à l’expérience acquise en contrat d’apprentissage. A la pointe de l’innovation Depuis 1999, le master proposé à Rouen a fait de l’alternance l’une des clés de sa pédagogie. « La bio- NOTRE AMBITION : VOTRE RÉUSSITE PROFESSIONNELLE CONTACTEZ-NOUS ! 01 42 40 52 78 91, boulevard Exelmans 75016 Paris - France Métro Exelmans - Ligne 9 SUPCAREER.COM ÉTABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR TECHNIQUE PRIVÉ 15546-06/15 • Marketing • Commercial • Banque - Assurance • RH • International • Communication • Webmarketing © photos : Sup Career 7 ORIENTATIONS PROFESSIONNELLES (BAC+3 À BAC+5) informatique est un domaine très pointu, qui évolue à grande vitesse. En moins de six mois, de nouveaux outils peuvent apparaître », poursuit Hélène Dauchel. Grâce à l’apprentissage, les étudiants sont plongés « au cœur de technologies qu’on ne pourrait leur offrir en formation initiale ». L’alternance garantit d’être à la pointe de l’innovation dans les filières concernées par l’essor du numérique, y compris l’hôtellerie. « Nous donnons à nos étudiants le socle théorique indispensable pour débuter en marketing et dans la gestion des hébergements. Mais nous n’abordons pas de logiciel en particulier », indique Florence Maillet, responsable du master « management des services en hôtellerie internationale » de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Les apprentis se familiarisent en entreprise avec ces outils, parmi lesquels le fameux « yield management » (« gestion du rendement »), qui permet de faire fluctuer les tarifs en fonction des périodes de l’année et des flux de réservation. « En contrat de professionnalisation ou d’apprentissage, les jeunes se voient confier des missions plus importantes qu’en stage », relève, de son côté, Vincent Godard, professeur chargé du master en géomatique, géomarketing et multimédia à l’université Paris-VIIIVincennes-Saint-Denis. Savoir collecter, stocker, exploiter des données spatio-temporelles et les traduire en cartographie sur le Web : tels sont les buts de ce cursus. Ce type de compétences est très recherché à l’heure où téléphones mobiles et autres objets connectés favorisent la géolocalisation. Si l’alternance permet de gagner en expérience, elle alourdit aussi beaucoup la charge de travail, ce qui peut dissuader les moins courageux. « Malgré douze possibilités de contrat, seuls trois étudiants ont choisi l’alternance en 2014 », constate Vincent Godard. Pour le regretter. p aurélie djavadi C herche alternant pour poste d’ingénieur en sécurité des systèmes d’information (SSI) ». Les offres de contrats d’apprentissage de ce type abondent sur la Toile. Que ce soit dans le secteur bancaire, celui de l’énergie ou de la téléphonie, les entreprises cherchent à renforcer leurs équipes en matière sécurité informatique mais ne trouvent pas toujours les spécialistes qu’elles cherchent. En 2012 déjà, un rapport du Sénat signalait le manque de formations dans ce domaine. Pour faire face à cette demande, les écoles d’ingénieurs et les universités ouvrent des cursus, no- Sur la quarantaine de diplômes reconnus par l’Etat, seuls dix peuvent être effectués en alternance tamment en alternance. Les entreprises elles-mêmes le leur demandent, témoigne Charles Préaux, directeur de la formation cyberdéfense à l’Ecole nationale supérieure d’ingénieurs de Bretagne-Sud (Ensibs). Depuis 2013, l’école d’ingénieurs délivre, après trois ans d’études, un diplôme spécialisé de niveau bac + 5. « Nous formons 25 à 30 ingénieurs par an en cyberdéfense. Mais les entreprises auraient besoin de centaines d’étudiants », constate-t-il. En France, une vingtaine d’établissements proposent, avec le système de l’alternance, une troisième année de licence professionnelle spécialisée en cybersécurité. Au niveau master, les cursus en apprentissage sont plus rares. Sur la quarantaine de diplômes reconnus par l’Etat, seuls dix peuvent être effectués en alternance. Sébastien Le Corre, 28 ans, a opté pour le cursus de l’Ensibs de Vannes. Depuis deux ans, il passe un mois à l’école, puis un mois dans son entreprise d’accueil, Orange Consulting, une filiale de l’opérateur français qui propose des services de cybersécurité. Grâce à cette formule, il a l’impression d’apprendre plus vite : « Quand je reviens à mon poste de travail, j’applique directement les nouvelles compétences que j’ai acquises en cours. C’est bien plus efficace. » A l’embauche, Pierre-Yves Popihn, directeur technique chez NTT Com Security France, une entreprise de sécurité informatique d’une cinquantaine de personnes installée à Bagneux (Hauts-de-Seine), donne délibérément la priorité aux alternants. « Ils ont déjà quelques années d’expérience et leurs salaires ne sont pas aussi élevés que s’ils avaient déjà occupé un poste », dit-il. Même les entreprises réfractaires aux apprentis changent d’attitude. « Jusqu’à présent, embaucher des alternants n’était pas dans nos habitudes. Mais face à l’offre florissante de formations avec cette formule, nous étudions de plus en plus de ces candidatures », indique Linda Verzele, chargée des relations avec les écoles chez Lexsi, une entreprise de sécurité informatique basée à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) qui emploie 200 personnes. Les entreprises qui ne sont pas spécialisées dans la cybersécurité y trouvent aussi leur compte. « Quand les étudiants reviennent en cours avec un problème qu’ils n’arrivent pas à résoudre au travail, les professeurs les aident, note Reza Elgalai, responsable des formations en alternance de l’université de technologie de Troyes, qui propose notamment un master en cybersécurité. Et les entreprises apprécient. » p angèle guicharnaud Alternance | 0123 Jeudi 4 juin 2015 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |5 témoignage «On m’a tout de suite fait confiance» Angélique Schlick, 23 ans, en contrat de professionnalisation chez Axance. En troisième année de licence de directeur artistique et de chef de projet Web à l’Ecole multimédia de Paris. Le big data se met à l’alternance Apprendre à traiter et à exploiter des données massives est aussi accessible aux apprentis dans le cadre de la formation continue L es formations liées au traitement et à l’exploitation des données massives (big data) ont fait leur entrée depuis trois ans à peine dans les établissements d’enseignement supérieur mais, déjà, la discipline a sa déclinaison en alternance. Si, pour le moment, seuls quelques acteurs les proposent en fin de cursus, aux diplômés bac + 3 ou 4, ou encore dans le cadre de la formation continue, le secteur pourrait vite surfer sur deux vagues en même temps. En 2014, le gouvernement a lancé un plan « big data » qui vise à créer 80 000 emplois dans ce domaine d’ici à 2020, et le président François Hollande a fixé, en 2013, l’objectif d’atteindre 500 000 alternants d’ici à la fin de son mandat. Le dernier palmarès SMBG, qui classe depuis dix ans les meilleurs masters et MBA de France dans une cinquantaine de spécialités, décerne une médaille de bronze dans la catégorie big data au master mobiquité, bases de données et intégration de systèmes, de l’université de Nice Sophia-Antipolis. Axée sur l’informatique, cette formation pionnière, créée en 1992, est accessible en contrat d’apprentissage. D’autres établissements proposent des formations en alternance qui mettent l’accent sur leurs spécialités. Ainsi, l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) alliée à ParisTech a créé, en 2014, un mastère spécialisé en data science ainsi qu’une spécialisation de son cursus d’ingénieur dans cette nouvelle discipline. Ces deux diplômes, ouverts à l’alternance, « reflètent l’ADN de l’Ensae : la statistique, l’économie, la finance. Avec la donnée pour lien », indique Romain Aeberhardt, directeur des études de l’école. Le programme de mastère est axé sur trois piliers : méthodologie, technologie-logiciel et champs d’application. Les écoles de commerce ne sont pas en reste. A la rentrée 2015, Paris School of Business (ex-Ecole supérieure de gestion) ouvre un master of science (MSc) en data management, en partenariat avec l’école d’ingénieurs en informatique et technologies du numérique Efrei de Villejuif. Labellisé par la Conférence des grandes écoles, ce cursus a pour ambition de « former des profils hybrides avec des compétences techniques en data ». Il s’appuie sur « la La finance se numérise Pour répondre à de nouveaux besoins, les métiers de la banque et de l’assurance proposent des formations en alternance C omptes et services accessibles en ligne, explosion du nombre de données exploitables, utilisation des réseaux sociaux : la révolution numérique transforme les métiers de la banque et de l’assurance. Les formations évoluent en conséquence pour répondre à ces nouveaux besoins Depuis la rentrée 2014, l’Institut de formation de la profession de l’assurance (Ifpass) et l’université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense proposent une licence professionnelle en alternance, intitulée « métiers de l’e-assurance et services associés ». « Elle permet de former des jeunes aux métiers de l’assurance (souscripteur, gestionnaire et conseiller et webconseiller) en intégrant la mutation digitale », détaille Françoise Odau, responsable des licences professionnelles à l’Ifpass. Pour encourager l’émergence de nouveaux cursus, l’Université de l’assurance, une association qui regroupe des professionnels et des formations supérieures du secteur, a lancé un appel à projets jusqu’en octobre, et attribuera un « prix innovation formation digi- tale en assurance ». « Nous voulons développer de nouvelles spécialités dans les universités », précise Eric Lombard, directeur général de Generali France et président de cette association. L’Ecole supérieure de la banque (CFPB) de Nanterre, qui forme 4 000 alternants sur les 10 000 que la profession accueille chaque année, a intégré la révolution numérique à son BTS banque en 2014. « Les clients communiquent sur tablette ou smartphone, ils doivent pouvoir gérer leur relation avec leur conseiller de multiples façons », explique Catherine Jovenel, directrice de l’alternance au CFPB. Partenariats Des banques en ligne développent leurs propres outils pour compléter la formation initiale. « Nous recrutons plus d’une vingtaine d’alternants par an. Nous les formons pendant deux semaines à la communication digitale et à nos produits puis nous les accompagnons tout au long de leur cursus », explique Elise Tricon, responsable développement ressources humaines d’ING Bank France. De son côté, la Société générale a renforcé depuis trois ans l’ensemble de ses partenariats avec des formations en informatique et parraine, cette année, les promotions de trois écoles d’ingénieurs en informatique. Cette banque emploie près de 2 000 alternants, dont 235 dans la filière des systèmes d’information. « C’est là que se concentre une grande partie de nos nouveaux métiers liés à la mobilité, la banque à distance, au digital et à la sécurité », constate Marine Loevenbruck, responsable adjointe du pôle Campus management et communication recrutement. Les banques et les assurances recherchent également des spécialistes de l’exploitation des données massives (big data) et de la cybersécurité. Des formations sont proposées en alternance, comme le master 2 « système d’information de l’entreprise étendue » (audit et conseil) de l’université Paris-Dauphine, ou le mastère spécialisé « data science » de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae ParisTech). p coralie donas collecte et l’analyse de données dans le cadre de la définition de stratégies en marketing », explique Rony Germon, son responsable. « Il y a encore quelques années, on faisait appel à son intuition En 2014, le gouvernement a lancé un plan « big data » qui vise à créer 80 000 emplois dans ce domaine d’ici à 2020 pour capter une tendance et lancer un produit, poursuit-il. Aujourd’hui, avec les masses de données cybernétiques devenues accessibles, nous sommes en capacité de comprendre ce que les consommateurs recherchent. » La formation, organisée pour favoriser l’alternance, pourra être prise en charge par le salarié, son entreprise ou un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) dans le cadre de la formation continue. Les plus gros recruteurs du secteur comme Axa ou IBM se disent intéressés par ces nouveaux spécialistes de la data qui permettent une diversification des profils au sein des équipes, ainsi qu’une fidélisation à l’entreprise et à ses valeurs. Ils louent les atouts de ces futurs collaborateurs potentiels, tout en privilégiant pour le moment les formations classiques… vieilles de trois ans. p séverin graveleau « PASSIONNÉE de graphisme, après une prépa multimédia à l’école Itecom, à Paris, j’ai choisi DR l’alternance, d’abord en BTS puis lorsque j’ai intégré l’Ecole multimédia, en octobre 2014. L’apprentissage présente un avantage réel sur les formations classiques, celui d’être tout de suite opérationnel une fois diplômé. En plus, cela finance mes études et je suis payée… C’est la formule idéale. Le rythme est soutenu : une semaine à l’école puis trois semaines chez Axance, au sein du pôle direction artistique qui compte quatre personnes. Notre rôle est de rendre les sites ou les applications, que nous concevons pour nos clients, esthétiques et faciles d’utilisation. On m’a tout de suite fait confiance et délégué des tâches importantes. Axance compte une quarantaine de salariés mais a de gros clients. Du coup, j’ai pu participer à des projets d’envergure – amélioration du site de la SNCF, une application pour Universal Music –, tout en ayant une tutrice disponible et soucieuse de ma progression. » p propos recueillis par françoise marmouyet 6| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Alternance 0123 Jeudi 4 juin 2015 Quand l’industrie s’organise pour recruter Des groupements d’employeurs mettent en relation des entreprises proposant des contrats en alternance et des personnes en recherche d’emploi. Reportage à Nantes P our Ronan Le Corre, le plus dur a été de se faire aux tournées. « Quand on est du matin, on commence à 5 heures à l’atelier et on finit à 13 heures avec une coupure casse-croûte. On s’est à peine adapté que, la semaine suivante, il faut retourner en centre de formation avec des horaires de cours classiques », soupire le grand gaillard de 20 ans au sourire timide, en blouse grise et grosses chaussures de sécurité. Le jeune homme est apprenti sérigraphe dans l’entreprise Lacroix Signalisation, la première en France dans son domaine (panneaux routiers, feux de chantier, etc.), basée à Saint-Herblain, à côté de Nantes (Loire-Atlantique). Au milieu du bruit des moteurs et des effluves d’encre, il est fier de montrer la grande machine sur laquelle il commence à sérigraphier des pièces simples. A côté, un ouvrier expérimenté lui explique les gestes du métier ainsi que les subtilités dans le mélange des encres. Et chaque vendredi – il alterne avec une semaine en formation –, le chef d’atelier fait un point avec lui. Il y a deux ans, Ronan Le Corre, originaire de Rennes, n’aurait jamais imaginé passer un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) de sérigraphie. Il ne connaissait même pas le métier. Lycéen en filière professionnelle, il avait choisi la comptabilité. « Mon père est comptable, je n’avais pas trop d’idées, je me suis dit qu’il pourrait m’aider », explique-t-il. Très vite, il se rend compte que cette matière ne lui plaît pas. En terminale, pour son stage de cinq semaines, il se retrouve au service comptabilité d’une petite entreprise de sérigraphie. Et là, il accroche. Il cherche alors à se faire embaucher. Mais avec son bac pro compta, il n’a pas la moindre qualification. Il déniche un centre de formation proposant la sérigraphie – Grafipolis, à Nantes. Mais c’est à une centaine de kilomètres de chez lui. Et il ne trouve pas d’entreprise pour le prendre en apprentissage, condition pour s’inscrire. Durant un an, il enchaîne alors les petits boulots, manutentionnaire à l’hôpital, déménageur… Et il a un coup de chance. A Saint-Herblain, le groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) Industrie de Loire-Atlantique recherche un apprenti pour l’un de ses membres, Lacroix Signalisation. Créé en mars 2013, cet organisme met en rapport des entreprises proposant des contrats en alternance – d’apprentissage ou de professionnalisation – et des publics en difficulté, des décrocheurs ayant quitté l’école sans diplôme, des chômeurs ou des personnes en reconversion. Pour le poste de sérigraphe, le GEIQ reçoit des dossiers de candidature de la part de ses partenaires – Pôle emploi, les missions locales, mais aussi des centres de formation comme Grafipolis. Et, parmi eux, celui de Ronan Le Corre. Les deux conseillères du GIEQ , qui suivent au total 21 alternants, effectuent alors un premier tri. Puis elles étudient à fond les dossiers retenus – les profils, les compétences mais aussi le savoir-être et la faisabilité pour chacun d’occuper le poste. « Pour Ronan, il a fallu vérifier s’il était prêt à s’installer à Nantes et s’il avait une voiture pour venir travailler la nuit, on l’a aussi aidé à trouver un studio », explique Bénédicte Véron, conseillère au GEIQ. Aujourd’hui, c’est sa collègue Jésabelle Marchard qui le suit : elle reçoit ses bulletins de notes et fait le point régulièrement avec le chef d’atelier. « Le but est de proposer à l’entreprise des personnes qui vont aller jusqu’au bout, poursuit Bénédicte Véron, afin qu’elles soient embauchées ou qu’elles soient employables et trouvent ailleurs. » Les GIEQ sont environ 160 en France. Une douzaine sont spécialisés dans l’industrie comme celui de Loire-Atlantique dont l’un des fondateurs est l’UIM 44, branche locale de la puissante Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) qui s’est engagée à faire passer de 40 000 à 46 000 le nombre de jeunes en alternance d’ici à 2020, afin de combler des milliers de postes non pourvus. L’intérêt de ces regroupements pour les employeurs est de former du personnel au plus près des besoins de l’entreprise, en particulier pour les « métiers en tension », ceux où la demande des employeurs excède l’offre. Dans l’industrie notamment, certains métiers comme usineur ou ajusteur-monteur, mal connus ou souffrant d’une mauvaise image, n’attirent plus. « Nous avons choisi des publics en difficulté, dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise » Jean Garos président du groupe Garos « Nous recrutons pour des métiers de l’industrie qui évoluent beaucoup avec la technologie. Un technicien d’usinage doit savoir programmer une grosse machine, par exemple », explique Annie Trehondat, directrice générale du groupe Garos, à l’origine de ce GEIQ. Son président, Jean Garos, souligne, lui, la dimension sociale de la démarche : « Nous avons choisi des publics en difficulté, dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise. » Avec son salaire de 1 000 euros net par mois, Ronan Le Corre est content de sa nouvelle vie nantaise : « J’aime l’atelier, on est tout le temps debout, les supports sont variés, on ne s’ennuie pas. » Il songe à aller plus loin, un bac pro et peut-être un BTS (brevet de technicien supérieur). Une chose est sûre : la comptabilité est loin derrière lui. p véronique soulé (nantes, envoyée spéciale) Du bac professionnel à la licence en alternance UNIVERSITÉ DE TECHNOLOGIE DE COMPIÈGNE UTC Au Centre d’innovation de l’UTC, je développe mon idée, je mature mon projet, je réalise des prototypes... Je suis à la recherche d’idées nouvelles J’ai une idée de produit, service... Ça m’intéresse ! J’ai besoin d’une veille technologique J’ai un ancien produit, je voudrais l’adapter Je veux m’installer en Picardie Je veux juste réaliser un proto Je veux rencontrer des experts, chercheurs ... Je veux investir Je veux me dans un protéger vis projet à vis de la innovant concurrence Je veux former mon équipe à l’innovation Je contacte le Centre d’innovation de l’UTC [email protected] 03 44 23 49 54 webtv.utc.fr•interactions.utc.fr• www.utc.fr donnons un sens à l’innovation Parmi les étudiants de l’école Vaucanson de Saint-Denis, 44 % trouvent un emploi six mois après l’obtention de leur diplôme A 22 ans, Arane Ciss a réalisé son vœu : trouver un métier où elle puisse « aider les autres ». Après une licence de management en alternance à l’école Vaucanson de Saint-Denis, elle a intégré, à la rentrée 2014, un master à l’Institut supérieur du transport et de la logistique internationale (Isteli) à Paris. Objectif : travailler dans l’humanitaire. « Je voulais être assistante sociale mais mon niveau scolaire a été jugé insuffisant, raconte-t-elle. J’ai été dirigée vers un bac pro en vente. » Une conseillère d’orientation la met alors sur la voie de Vaucanson. Créé en 2010 par le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), l’établissement s’appuie sur l’apprentissage et la pédagogie par projet, afin de permettre à des bacheliers professionnels d’obtenir l’une des deux licences générales proposées, management ou méthodes et sciences industrielles. Un défi puisque moins de 5 % des bacs pro qui intègrent l’université décrochent un diplôme. « Les enseignements sont abordés en petits groupes, à partir de cas concrets », souligne Thibaut Duchêne, chargé du développement en région (une école Vaucanson a été inaugurée à Saint-Brieuc en 2013 et une troisième ouvrira ses portes à Pointe-à-Pitre à la rentrée 2015). L’accent est aussi mis sur le comportement, l’expression et les savoirs élémentaires, en sus des compétences techniques. Grande volonté d’adaptation « Nous ne proposons pas de licence au rabais », insiste Pierre Rieben, le directeur de l’école. Parmi les diplômés de l’école, 56 % poursuivent leurs études en master et 44 % trouvent un emploi au bout de six mois. Ils sont gestionnaires d’achat, contrôleurs de gestion ou technico-commerciaux et gagnent entre 1 500 et 2 500 euros brut par mois. Les promotions de l’établissement ne comptent qu’une vingtaine d’élèves alors qu’elles pourraient en accueillir le double. « Les entreprises ont des préjugés sur la filière pro, estime M. Rieben. Elles pensent que ces jeunes n’ont pas un niveau académique suffisant ou ne maîtrisent pas les codes sociaux. Notre travail pédagogique consiste à développer ces compétences chez nos élèves, qui montrent une grande volonté d’adaptation. » Etant donné que le contrat d’apprentissage court sur trois ans, les entreprises sont exigeantes avant de s’engager. « Il m’a été plus facile de trouver un contrat de professionnalisation au niveau de mon master que de trouver une entreprise pour mon contrat d’apprentissage en licence, notamment à cause du rythme de l’alternance qui est de sept semaines à l’école, sept semaines en milieu professionnel », souligne Arane Ciss. « Il est compliqué de confier des missions dans la durée aux apprentis avec une aussi longue coupure », constate Antonio Visus, chargé de mission à la direction des ressources humaines d’EDF. Message reçu : à la rentrée 2015, l’alternance se fera sur trois semaines. p nathalie quéruel Alternance | 0123 Jeudi 4 juin 2015 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |7 Les bonnes perspectives liées à l’environnement La multiplication des normes exige de nouvelles spécialisations E n matière d’environnement, le moteur d’un nouveau marché, c’est la réglementation », assène Alain Dumestre, directeur technique de Serpol, entreprise spécialisée notamment dans la dépollution de sites industriels. Depuis une vingtaine d’années, c’est en effet la multiplication des normes qui a contribué à développer de nouvelles spécialisations dans la dépollution des sols, le désamiantage, l’élimination des déchets toxiques, autrement dit dans le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler la responsabilité sociétale des entreprises. « Avant, pour tout ce qui était qualité, sécurité et environnement, on attribuait simplement une nouvelle casquette à un membre du personnel, indique Thierry Dalstein, responsable du master en alternance Ingénierie du développement durable de l’université de Lorraine. Puis, les entreprises se sont rendu compte qu’il leur fallait des spécialistes formés adéquatement. Du fait que la réglementation évolue tous les six mois, il leur faut aussi des gens capables de s’adapter. » Contrat d’embauche Des formations ont été créées pour répondre à ces nouveaux besoins. Le master professionnel « environnement et risques » de l’IG2E (Institut du génie de l’environnement et de l’écodéveloppement) de l’université Lyon-I en est un exemple. Ce cursus propose notamment des cours sur les risques industriels et le développement durable deux semaines par mois, les étudiants travaillant en entreprise les deux autres semaines. « L’alternance est un vrai avantage dans les nouveaux métiers, assure Alain Dumestre, dont l’entreprise Serpol est partenaire du master. Les cours à l’université, très généralistes, ne correspondent pas forcément à nos métiers. L’alternance permet d’entrer dans le détail. L’étudiant acquiert les bases à l’école, et « J’ai décroché un travail avant même d’être diplômé » Boris Dedecker, 24 ans, ingénieur en informatique dans une entreprise d’énergies renouvelables. « ÉTUDIANT à l’école supérieure d’informatique Supinfo de Lille, j’ai suivi pendant près de trois ans des cours en alternance dans une entreprise opérant dans les énergies renouvelables, Boralex, dans le Pas-de-Calais. Durant ma troisième année d’études, j’y ai travaillé deux jours par semaine, revenant ensuite à Lille pour trois jours de cours. Ce qui a nécesDR sité une bonne organisation et du travail scolaire les week-ends. Progressivement, mes supérieurs m’ont confié de plus en plus de responsabilités et m’ont demandé de travailler pendant les congés scolaires. En 2014, un stage de fin d’études de six mois m’a permis de parfaire ma formation, toujours chez Boralex. Durant ce stage, l’entreprise m’a proposé de signer un CDI en tant qu’ingénieur informatique. J’ai aussitôt accepté, fier d’avoir décroché un travail avant même d’être officiellement diplômé. J’apprécie particulièrement de pouvoir accomplir des tâches variées. Je centralise les données des éoliennes et des panneaux solaires, je fais du développement informatique, je contrôle le bon fonctionnement des appareils… Il m’arrive aussi de me déplacer dans la France entière pour effectuer de la maintenance informatique ou pour mettre à jour les réseaux Wi-Fi dans les différents locaux de l’entreprise. J’ai beaucoup progressé depuis la signature de mon contrat d’alternance. Ce métier me passionne. » p INTÉGREZ Les écoles de ce secteur s’efforcent cependant de promouvoir l’alternance LA PROMOTION 2015 -2016 DU E l’entreprise et gagnent en maturité », constate Cyril Georgin, directeur des relations avec les entreprises et responsable de l’alternance au sein d’Isart Digital, une école parisienne des métiers du jeu vidéo. Avec une rémunération entre 65 % et 100 % du smic (selon l’âge et le diplôme de l’étudiant) et la « Depuis la création de notre entreprise, en 2008, nous avons gardé environ 80 % de nos stagiaires ou apprentis » Nicolas Simon directeur de la production chez Dontnod prise en charge totale ou partielle par l’entreprise d’accueil des frais de scolarité (entre 6 900 et 7 500 euros par an selon la for- mation), le contrat d’apprentissage est un véritable argument pour l’école. Et pour des étudiants qui « n’auraient jamais pu se payer une école autrement », poursuit Cyril Georgin. François-René Boulard, 25 ans, suit une formation de chef de projet à Isart Digital, après deux années en conception et programmation de jeux. Il a effectué tout son cursus en alternance et, cette année, il a rejoint Dontnod, un studio de développement de jeux vidéo. S’il est conscient des bénéfices de cette immersion en entreprise et de la belle ligne que cette expérience lui fournira sur son CV, il s’inquiète cependant des débouchés. D’après Nicolas Simon, le directeur de la production au sein de Dontnod, il a toutes ses chances : « Depuis la création de notre entreprise, en 2008, nous avons gardé environ 80 % de nos stagiaires ou apprentis », dit-il, ce qui correspond à une vingtaine d’embauches. p laura buratti erwin canard témoignage Les entreprises de jeux vidéo préfèrent les stagiaires ntre stagiaires ou apprentis, les entreprises ont l’embarras du choix : les étudiants qui rêvent de créer les jeux vidéo de demain sont légion… Aussi, beaucoup de petites ou moyennes entreprises préfèrent-elles le statut de stagiaire, moins coûteux pour elles, à celui d’apprenti. Samuel Boullier, 23 ans, suit des cours à Isart Digital les lundis et mardis et rejoint, les autres jours, les équipes de Bulkypix, la société de développement et d’édition de jeux qui l’accueille. Il gagne 300 euros par mois et a dû payer lui-même les 7 500 euros de son année de formation pour devenir chef de projet. Pour s’en sortir, il habite chez ses parents. Cependant, plusieurs écoles de formation en jeux vidéo s’efforcent de promouvoir l’alternance et s’en font les avocats. « L’alternance dans le milieu du jeu vidéo est une évidence. Les étudiants s’intègrent progressivement dans ne manque pas de débouchés : 95 % des étudiants du master de l’université de Lorraine ont un contrat d’embauche trois mois après avoir obtenu leur diplôme, et plus de 90 % des détenteurs du master de l’IG2E ont un emploi un an après la fin de leur cursus. Etudiant en master 2 à l’IG2E, Maxime Bischoffe a, lui, déjà une promesse d’embauche de l’entreprise dans laquelle il est en alternance. Et, de l’avis général, les besoins dans les métiers liés à l’environnement iront croissant. p nous le formons aux besoins spécifiques de notre entreprise. » « Les problématiques du terrain remontent à l’école presque en direct par les étudiants », constate Thierry Dalstein de l’université de Lorraine. De son côté, Claude Armengaud, directrice adjointe du master de l’IG2E, indique que ce cursus évolue en fonction des nouvelles normes sur le bilan carbone, les certifications et les diagnostics énergétiques. L’alternance pour les formations aux métiers relatifs à la responsabilité sociale des entreprises propos recueillis par matthieu wallart BACHELOR ADECCO & MONTPELLIER BUSINESS SCHOOL BACHELOR EN ALTERNANCE D’UN AN & better work, better life VOUS RECRUTENT ET VOUS FORMENT À DES POSTES À POURVOIR PARTOUT EN FRANCE ! DEVENEZ ATTACHÉ COMMERCIAL OU CHARGÉ D’AFFAIRES EN 12 MOIS CHEZ ADECCO ! CONTACTEZ-NOUS ! 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L’apprentissage relève de la formation initiale et la professionnalisation de la formation continue. Ce dernier contrat n’est pas uniquement ouvert, comme l’autre, aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, mais également aux demandeurs d’emploi ou aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Dans les deux cas, la rémunération dépend de plusieurs facteurs, dont l’âge et le niveau de formation. Elle s’élève au maximum au smic pour un adulte de plus de 26 ans en contrat de professionnalisation. Le simulateur de salaire en ligne Portail de l’alternance permet d’être fixé avec précision. L’école de management Ecema de Lyon est l’un des rares établissements à proposer l’intégralité de ses cursus en alternance. Elle oblige tous les candidats qu’elle recrute à suivre un séminaire de deux jours sur les techniques de recherche d’entreprise, assorti d’un module intitulé « apprendre à négocier une alternance auprès d’une entreprise ». Car négocier s’apprend. Marine Stamper, 24 ans, étudiante en master 2 à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) Lille-I, a été animatrice commerciale en grande surface le temps d’un été, au cours duquel elle n’a pas hésité à aborder le responsable communication d’une marque de spiritueux. « J’y suis allée au culot. Je l’ai supplié de prendre mon CV tout en vantant mes qualités », raconte-t-elle. Quelques semaines plus tard, elle signait le tout premier contrat d’apprentissage pour un poste de chef de secteur dans la grande distribution de cette société. Ce n’est pas parce qu’une entreprise ne publie pas d’offre d’alternance qu’elle n’a pas besoin d’apprentis. Selon Frédéric Sauvage, vice-président de l’Association nationale pour l’apprentissage dans l’enseignement supérieur (Anasup), environ la moitié des apprentis ont obtenu un contrat à l’issue d’une candidature spontanée. Il distingue deux manières de procéder. « La plus courante, explique t-il, est de contacter les entreprises ou les professionnels partenaires de son établissement de formation. Ce dernier est généralement un point d’accroche et un vecteur de confiance pour la négociation. » D’où l’importance de bien se renseigner sur le réseau professionnel des écoles, universités et autres centres de formation d’apprentis (CFA). « L’autre méthode, poursuit Frédéric Sauvage, consiste à se débrouiller complètement seul, sans aiguillage scolaire. Environ 10 % des apprentis ayant recours à la candidature spontanée procèdent ainsi. » Morgan Marietti fait partie de ceux qui ont fait cavalier seul, alors qu’il était étudiant en licence professionnelle. A seule- ment 26 ans, il est aujourd’hui président de la PME Proactive Academy, un organisme de formation basé à La GarenneColombes (Hauts-de-Seine) qui aide à son tour chaque année près de 1 000 jeunes à signer un contrat d’alternance. « Nous encourageons les candidats à abandonner la démarche traditionnelle : “Bonjour, vous cherchez un apprenti ?”, pour adopter une stratégie plus fine », résume Morgan Marietti. Elle passe par dif- « J’y suis allée au culot. Je l’ai supplié de prendre mon CV tout en vantant mes qualités » Marine Stamper étudiante en master 2 férentes étapes : cibler les sociétés du secteur visé (les PME sont moins sollicitées, plus accessibles et plus souples que les grandes entreprises), les questionner afin de montrer son intérêt, et tenter d’identifier les missions possibles. « La négociation arrive en dernier temps. Le professionnel avec lequel vous avez créé un lien ne vous opposera pas une fin de non-recevoir. Au pire, il vous mettra en relation avec quelqu’un et vous finirez par trouver », assure M. Marietti. Proposer ses services à une entreprise qui, a priori, ne cherche pas d’apprenti demande du temps. Alors comment faire quand on est encore bredouille à quelques mois seulement de la rentrée ? Une partie des étudiants que nous avons pu contacter ont rapidement trouvé grâce à leur ancien maître de stage. Les Salons de l’alternance offrent par ailleurs la possibilité de rencontrer des professionnels impliqués dans l’apprentissage. Une aubaine : parvenir à contacter la bonne personne est parfois long, surtout dans les grandes entreprises. Les conférences et autres rencontres professionnelles organisées par les acteurs d’un secteur donné permettent aussi de se tenir informé. Désertées par les étudiants, elles sont un excellent moyen de se distinguer en y participant pour se renseigner et rencontrer les interlocuteurs-clés. p martin rhodes Effectuer son apprentissage à l’étranger : c’est possible Ecoles et centres de formation des apprentis encouragent de plus en plus la mobilité internationale, peu développée actuellement O n ne le sait pas toujours, mais il est possible d’effectuer une partie de sa formation dans une entreprise ou sur un campus à l’étranger pendant son alternance, même si cela exige des aménagements. « Quel que soit le type de cursus, il est aujourd’hui inconcevable de faire l’impasse sur l’international », estime ainsi Marina Galderisi, responsable de l’apprentissage à l’Institut des hautes études économiques et commerciales (Inseec, dont les campus sont à Bordeaux, Paris, Lyon et Chambéry). Bien implantée à l’étranger, cette école de commerce, l’une des pionnières dans l’alternance, impose à ses apprentis de partir au minimum quatre semaines hors de France. Comment s’y prendre ? Première solution : partir en mission pour le compte de son entreprise. C’est ce qu’a fait Clément Cottet, ingénieur de 24 ans, diplômé en génie mécanique de l’université de technologie de Compiègne (UTC), qui a passé trois ans en apprentissage chez Snecma (Safran). En dernière année, en 2014, il a effectué une « mission longue durée » de quatre mois à l’université de Brasilia. « Snecma a un partenariat avec ce campus. J’ai progressé dans un secteur que je ne connaissais pas, celui des vibrations, et j’ai appris le portugais ! », s’enthousiasme le jeune homme, embauché en CDI à son retour. Effectuer son apprentissage dans un grand groupe facilite les choses. Rima Boudrai, en troisième année à l’Inseec, et apprentie chez IBM France, le confirme : « J’ai prospecté en interne pour voir quelles filiales pouvaient m’accueillir à l’étranger et, sans trop de difficultés, j’ai pu partir aux Etats-Unis puis au Brésil », raconte-t-elle. A défaut, il existe également des conventions de « mise à disposition » entre entreprises françaises et étrangères. « Il faut aller plus loin » Compte tenu de sa proximité avec l’Allemagne, l’Alsace a, de son côté, développé un dispositif original : l’apprentissage transfrontalier. « Depuis septembre 2013, un cadre législatif nous permet d’envoyer des jeunes se former dans des entreprises du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat », explique Jean-Claude Haller, directeur du Centre de formation d’apprentis (CFA) de la chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg. Une centaine d’apprentis de la région effectuent leur apprentissage outre-Rhin. Autre solution : non pas travailler, mais étudier à l’étranger. A l’Ecole supérieure d’ingénieurs de l’université Paris-Est-Marne-La Vallée (Esipe), par exemple, les six filières en apprentissage bénéficient en dernière année d’une plage de six mois réservée aux cours. Les étudiants peuvent ainsi consacrer un semestre d’études à l’étranger, ce que l’Esipe encourage fortement. L’école de commerce et de gestion Pôle Paris Alternance (PPA) a, quant à elle, mis en place un accord avec la Millennium City Academy de Londres. Pendant leur premier semestre, les étudiants de quatrième année alternent une semaine de cours sur le campus londonien et deux semaines de travail en entreprise en France. Pour promouvoir les départs, il existe des aides, attribuées par certains CFA et régions, et par le programme européen Erasmus +, qui a financé la mobilité de plus de 11 000 apprentis et stagiaires de la formation professionnelle initiale en 2013. « Il faut aller plus loin, avec un système européen commun de reconnaissance des acquis d’apprentissage », juge Antoine Godbert, directeur d’Erasmus +. Ce système d’équivalences pourrait aider les alternants à faire valoir leur formation auprès d’entreprises européennes. p françoise marmouyet 5e forum du conseil économique, social et environnemental, le 4 juin, à paris Vivre ensemble Changement climatique : l’urgence de la mobilisation D’ordre économique, écologique ou social, les mutations qui s’imposent sont aussi philosophiques C ette fois, il y a le feu au lac. Pas seulement au figuré, pour dire que l’urgence s’impose. Presque au sens propre : le changement climatique s’intensifie et s’accélère, au risque de devenir hors de contrôle. Ses conséquences imprévisibles ne se contenteraient pas de bouleverser l’existence des générations futures, elles menaceraient leur survie. Il va de soi que le pire n’est pas certain. Mais il n’est pas exclu non plus. Certes, la prise de conscience mondiale est en route. Mais elle demeure lente, trop peu efficace au regard des enjeux. Tout le monde sait, désormais, que le climat change. Mais cette représentation reste floue. La métamorphose annoncée paraît lointaine. Ou bien inéluctable. En général, nous ignorons ce qui va bientôt changer dans notre vie quotidienne. Trop souvent, nous n’avons pas d’idée claire et nette de ce que chacun peut faire, concrètement, pour s’adapter. Et aussi pour atténuer, dans la mesure du possible, le processus. C’est pourquoi le Forum annuel du vivre-ensemble du Conseil économique, social et environnemental (CESE) – le cinquième depuis 2011, organisé en partenariat avec Le Monde, et qui se tiendra le 4 juin au Palais d’Iéna –, se veut d’abord pédagogue et concret. Dialogues, expo- sés et débats donneront la priorité aux mesures pratiques qui concernent tout le monde et qui peuvent être efficaces. Car les conséquences prochaines du changement climatique vont toucher – pays par pays, région par région – l’habitat aussi bien que les transports, l’énergie aussi bien que la santé, le travail aussi bien que la consommation, sans oublier l’éducation, le tourisme, l’alimentation… et ainsi quantité de gestes de tous les jours. Intitulé « Vivre ensemble le changement climatique. Entre subir et agir », ce Forum s’inscrit, avec sa spécificité, dans les événements labellisés COP 21. Rencontre interdisciplinaire, il rassemble personnalités, citoyens, collégiens et lycéens autour des membres du CESE, de leurs travaux et recommandations. Comme le vivre-ensemble se construit au milieu des tensions, chaque édition explore un couple d’opposés : « Confiance et défiance » (2011), « Temps court et temps long » (2012), « Richesse et pauvreté » (2013), « Unité et diversités » (2014). Cette année, marquée par la tenue à Paris de la Conférence mondiale sur le climat, les organisateurs veulent mettre en lumière les multiples liens existant entre cette métamorphose cruciale et le vivre-ensemble. Car le changement climatique a un impact direct sur les relations interhumaines. Les attitudes mentales nouvelles Cahier du « Monde » No 21890 daté Jeudi 4 juin 2015 - Ne peut être vendu séparément qu’il requiert, les comportements nouveaux qu’il exige doivent être compris et décidés par l’ensemble des citoyens. Aussi activement que possible. Car vivre ensemble ne signifie pas passer du temps côte à côte. Ni endurer passivement les mêmes situations. Il s’agit, avant tout, de décider en commun, d’organiser démocratiquement la vie collective, à tous les échelons. Idéalement, du village à la planète. Partout, en effet, local et global s’entrecroisent, comportements individuels et décisions collectives s’enchevêtrent. Cette pluralité de registres caractérise tous les défis contemporains. Le changement climatique plus que tout autre. En effet, qu’il s’agisse de s’adapter au changement climatique ou de l’atténuer, il est indispensable de combiner plusieurs gouvernances – locale, régionale, nationale, européenne, mondiale… – sans attendre la solution d’une seule, mais en faisant converger les différents échelons. Ces dernières années, les nombreux avis que le CESE a consacrés à ces sujets l’ont largement souligné. Les Français en prennent conscience, comme le montre le sondage exclusif réalisé à l’occasion de ce Forum par Ipsos – pour le CESE et Accenture, fidèle partenaire de cette manifestation. Face au changement climatique, leur état d’esprit n’est ni lassitude ni indifférence (respectivement 10 % et 11 %) mais inquiétude (37 %) et surtout volonté d’agir (41 %). En effet, 72 % jugent que, dans les dix ans qui viennent, ce changement aura sur leur vie un impact important (très important 28 %, assez important 44 %). Pour agir efficacement, 55 % des Français privilégient les sommets internationaux, 26 % les changements de comportement, 16 % seulement les engagements des collectivités locales. Sur ce point, du chemin reste à faire pour saisir à quel point il faut d’urgence tout combiner : des petits gestes de chacun aux grandes négociations planétaires. En fait, la mutation n’est pas seulement économique, écologique, sociale ou comportementale. Elle est aussi philosophique. Ce sont nos cartes mentales qui sont à revoir, pour bâtir un monde à habiter ensemble de manière durable. Il faudrait par exemple repartir d’un détail oublié, riche de développements possibles : dans économie et écologie, il y a éco, du grec oïkos, la maison. Penser le monde durable comme maison humaine, voilà l’autre face de l’urgence climatique. p roger-pol droit Renseignements, inscriptions, débats retransmis : Levivreensemble.fr Les textes et débats du Forum 2014 : « Entre unité et diversités. Les Forums du CESE sur le vivre-ensemble » (PUF, 294 p., 21 €). 2 | vivre ensemble 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Le changement climatique, entre subir et agir Selon un sondage Ipsos pour Accenture et le CESE, les Français, inquiets des conséquences du réchauffement, pensent qu’on peut agir contre celui-ci Quand vous entendez parler du changement climatique, quelle est la proposition qui correspond le mieux à votre état d’esprit ? La volonté d’agir A votre avis, pour lutter contre les effets du changement climatique, il est plus facile d’agir au niveau*... Diriez-vous que le changement climatique aura un impact dans votre vie quotidienne dans les dix ans qui viennent* ? L’inquiétude 55 % 41 % 37 % International : en favorisant les sommets entre plusieurs pays L’indifférence La lassitude 26 % Individuel : en modifant les comportements de la population National : en favorisant l’engagement des gouvernements 22 % La mobilité au quotidien 31 % Le logement 31 % L’électroménager Le tourisme 80 % 18 % 2 % Ne se prononce pas Local : en favorisant l’engagement des collectivités 16 % On ne peut rien faire, ses effets sont inéluctables 2 % Ne se prononce pas * Total supérieur à 100, car plusieurs réponses possibles 61 % L’alimentation Face au changement climatique, vous vous dites plutôt que... On peut atténuer ses effets si on s’en donne vraiment les moyens 72 % Selon vous, dans quels domaines les conséquences du changement climatique seront les plus importantes dans quelques années ? 10 % 11 % 1% Ne se prononce pas oui, un impact important pour Aucun - ne se prononce pas 16 % 13 % 1% Enquête menée auprès de 1 015 personnes représentatives de la population française âgée de 15 ans et plus, selon la méthode des quotas, réalisée les 17 et 18 avril 2015 SOURCE : IPSOS « VIVRE ENSEMBLE : LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, ENTRE SUBIR ET AGIR » Tous les voyants sont au rouge Au regard de l’évolution des risques climatiques, l’objectif fixé par la Convention climat de limiter le réchauffement à 2 °C semble plus que jamais justifié, affirme le climatologue Jean Jouzel N ous vivons sur une planète où nos activités ont déjà modifié le climat, avec, en premier lieu, les émissions de gaz à effet de serre liées, pour une grande part, à l’utilisation de combustibles fossiles. Paru en 2014, le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) confirme le réchauffement actuel et son lien avec nos activités. Pour l’avenir, notre climat dépendra largement de la façon dont vont évoluer nos émissions de gaz à effet de serre, elles-mêmes déterminées par la taille de la population, l’activité économique, les modes de vie, l’utilisation des terres, le développement technologique ainsi que des politiques climatiques. L’éventail des scénarios d’émission et des impacts qui y sont associés est donc très large, depuis un scénario sobre, qui pourrait contenir le changement climatique dans la limite des 2 °C, à un scénario émetteur correspondant plus ou moins à la poursuite de la tendance observée au cours des dernières décennies. A la fin du siècle, ce dernier scénario conduirait à un réchauffement moyen de 4,5 °C par rapport au climat préindustriel, et à un monde complètement différent de celui dans lequel nous vivons. En effet, ce réchauffement serait du même ordre – mais environ cinquante fois plus rapide – que celui qui a accompagné la dernière déglaciation. Et, poursuivant sa course, il pourrait atteindre de 6 °C à 8 °C au cours des deux prochains siècles. La seule évocation d’un réchauffement de 4 °C à 5 °C fait état de risques élevés à très élevés. Tous les voyants sont au rouge. Il serait très difficile, voire impossible aux populations, mais aussi à la flore, à la faune, aux écosystèmes, de s’y adapter. Demain, le climat sera clairement différent de celui d’aujourd’hui, mais si le monde est solidaire il devrait être possible de s’y adapter Les récifs coralliens soumis au réchauffement et au doublement de l’acidité des eaux océaniques seraient très touchés. Tous les extrêmes climatiques, ou presque, deviendraient plus fréquents ou/et plus intenses. C’est le cas des vagues de chaleur et, dans certaines régions, des sécheresses affectant les ressources en eau. L’intensité des cyclones les plus violents pourrait augmenter jusqu’à 10 % pour les vitesses maximales des vents et 20 % pour les précipitations associées. Le changement climatique devrait provoquer une augmentation des déplacements de population et pourrait accroître indirectement les risques de conflits violents (guerres civiles, violences interethniques) en exacerbant les sources connues de conflits que sont la pauvreté et les chocs économiques. La perte de biodiversité et la disparition des biens et services associés seraient très affectées. Les risques liés à la sécurité alimentaire seraient aggravés aussi bien au niveau de la productivité de la pêche que de celle des principales cultures des régions tropicales et tempérées : blé, maïs, riz et soja. Sur l’ensemble du siècle, ce réchauffement conduirait à une détérioration de l’état de santé dans de nombreuses régions, en particulier dans les pays en développement à faible revenu. Enfin, même si les émissions de gaz à effet de serre étaient stoppées, de nombreux impacts persisteraient pendant des siècles : si les émissions de CO2 se poursuivaient, l’acidité de l’océan continuerait d’augmenter, affectant fortement les écosystèmes marins ; l’étendue du pergélisol serait réduite dans les hautes latitudes du Nord. De façon claire, les risques de ces changements abrupts et/ou irréversibles augmentent avec le réchauffement. L’élévation du niveau de la mer, aux conséquences très importantes dans des régions côtières, où se concentrent très souvent les populations, pourrait atteindre 80 cm en 2100 et se poursuivrait au-delà, jusqu’à 3 mètres en 2300. La calotte du Groenland pourrait disparaître en un millénaire ou plus si la température était maintenue au-dessus d’un certain seuil, ce qui correspond à 7 m d’élévation du niveau de la mer. Cette même analyse de l’évolution des risques climatiques justifie pleinement l’objectif des 2 °C que s’est fixé la Convention climat. Demain, le climat sera clairement différent de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui mais, si le monde est solidaire, il devrait être possible de s’y adapter. Au moins pour l’essentiel, car, en tout état de cause, bien des écosystèmes vont être bouleversés et certaines régions, des petites îles en particulier, sont déjà très sensibles à des élévations du niveau de la mer de quelques dizaines de centimètres. p jean jouzel Jean Jouzel est directeur de recherches au CEA et vice-président du groupe de travail scientifique du GIEC. Il est aussi, avec Anne Debroise, l’auteur du « Défi climatique. Objectif : + 2 °C » (Dunod, 2014). Impliquer la société, un enjeu pour les politiques climatiques Les adaptations fortes que réclame le réchauffement doivent être mises en place en concertation avec les citoyens L orsque l’intérêt général ne semblait incarné que par l’Etat, les politiques publiques étaient définies par lui et les acteurs étaient censés les appliquer. Or, un texte national ne décrète pas le mouvement d’une société. Pour être intégrés, les objectifs doivent être documentés, débattus, partagés. La mise en mouvement s’anime avec une vision, des outils contemporains, une gouvernance renouvelée. Cette recherche de la mobilisation de la société est la constante du Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’approche écosystémique et concertée est au cœur de bien des avis qui révèlent des besoins de démocratisation des enjeux, de transparence, de cohérence, de valorisation des initiatives, d’établissement de la confiance en l’action de chacun, d’évolutions de la gouvernance… Les politiques climatiques ne font pas exception et illustrent la prise en compte nécessaire de la complexité, par leurs aspects sociétaux, environnementaux, économiques. Mais la relation de la société aux différentes formes d’autorité a changé. De crises ou révélations augmentant la défiance à l’égard d’institutions, de décideurs publics et d’administrations – n’incarnant plus seuls l’intérêt général – en technologies multipliant les médias jusqu’à créer des « médias individuels » d’expression continue et instantanée, comment réussir à mettre une société en capacité de changement face à des risques majeurs ? Modifications profondes La société française a besoin d’un cap et d’une confiance dans l’avenir. Il faut notamment, pour chacun, pouvoir davantage situer son action vis-à-vis de celles des autres et voir valorisée notre capacité d’initiatives, tant dans les médias que par les politiques. Le climat à venir modifiera profondément les vies indivi- duelles et collectives. Il nécessitera des révisions et des adaptations fortes, qui ne seront acceptées que si acteurs et citoyens sont associés tôt, avec toutes les clés de compréhension des données physiques du changement climatique. Ainsi, la proposition de créer, en régions, une culture collective préparée aux impacts futurs comme à leurs incertitudes, grâce à un débat informé sur les risques pour les citoyens et la collectivité prenant appui sur des connaissances scientifiques récentes, traduite dans l’action et des scénarios régionaux collectifs. Une autre proposition pourrait voir le jour, celle d’un processus pérenne d’éva- luation d’une région par d’autres régions, de la politique climatique s’inspirant des processus internationaux d’évaluation entre pairs, associant élus, services, représentants de la société civile du territoire, pour déboucher sur un partage de bonnes pratiques, des pistes utiles de progrès pour le territoire et une contagion positive entre régions. Un exemple parmi tant d’autres, de nouvelles voies à inventer, pour que soient entendues les voix de la société. p anne-marie ducroux Anne-Marie Ducroux est présidente de la section de l’environnement du CESE. vivre ensemble | 3 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 « Pour réduire le risque lié au réchauffement, il faut s’attaquer aux inégalités » entretien J | Disparition de la biodiversité, chômage, montée de la violence… C’est en luttant contre les autres menaces mondiales qu’on peut espérer agir sur le climat, explique le philosophe Jean-Pierre Dupuy ean-Pierre Dupuy est professeur à l’université Stanford (Californie). Il est notamment l’auteur de Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain (Seuil, 2004). Pensez-vous que notre monde va à la catastrophe ? Plutôt que de dire que le monde va à la catastrophe tel un train fou se précipitant vers un précipice, je dirais aujourd’hui que nous longeons le précipice et que le moindre écart peut nous y faire tomber. A la question de savoir si la dissuasion avait joué un rôle dans l’évitement d’une guerre nucléaire pendant les quarante ans de guerre froide, le secrétaire à la défense de John F. Kennedy, Robert McNamara, répondit que c’était la pure chance qui a fait qu’une apocalypse n’a pas eu lieu. Des dizaines de fois nous sommes passés à un cheveu près du scénario du pire. Généralisant, on peut dire que la catastrophe est notre destin mais que c’est un accident qui la déclenchera. Or un accident peut ne pas se produire, en tout cas pas dans l’immédiat. Le changement climatique est-il la menace majeure ? Quand on examine l’ensemble des menaces : changement climatique, épuisement des ressources fossiles, disparition de la biodiversité, risques technologiques, inégalités monstrueuses, chômage calamiteux, effondrement du système financier mondial, risques de guerre et apparition d’une violence primale qui se répand par mimétisme, on s’aperçoit qu’elles forment un système. Le changement climatique est un nœud important de ce système et ses conséquences seront dramatiques, mais c’est en chaque point qu’il faudrait agir. Que peut-il arriver de pire ? La guerre, bien sûr. Car on est toujours et encore ramené à la question de la violence. Le déplacement de milliers de migrants qui tentent de nous rejoindre pour fuir la misère ou l’oppression nous est déjà insupportable. Qu’en sera-t-il lorsqu’ils seront des centaines de milliers ou des millions à fuir qui la sécheresse qui le déluge ? Quant aux puissances, elles se battront à mort pour la dernière tonne de pétrole ou la dernière goutte d’eau. Au sujet du climat, quels changements constatez-vous, ces dernières années, dans l’opinion ? Chez les intellectuels ? Chez les politiques ? Je vis une partie de l’année en Californie et, ce qui me frappe depuis une bonne décennie, c’est l’éveil spectaculaire de la conscience américaine à ces problèmes. Certes, on trouve encore dans les franges les plus droitières du Parti républicain une résistance farouche à cet éveil, mais elle est moins, comme chez nous, le reflet d’une idéologie scientiste que la manifestation d’intérêts économiques et financiers puissants. Si bien qu’elle est plus grossière et qu’on peut plus facilement la dénoncer. Des livres le font très efficacement, comme celui de Naomi Klein, qui vient d’être traduit en français, Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique (Actes Sud, 540 p., 24,80 €). La Californie a la chance d’avoir un gouverneur, Jerry Brown, très au fait des questions écologiques. Il vient de prendre des mesures courageuses pour faire face à une sécheresse impitoyable. La fidélité à la pensée d’Ivan Illich nous rapproche depuis une quarantaine d’années et j’étudie pour lui la possibilité de monter là-bas un institut pour la pensée catastrophiste. Pour ce qui est de la France, la volonté de l’exécutif de ne pas faire mauvaise figure lors de la conférence de Paris COP21 semble avoir converti quelques ministres à la cause de l’environnement. Le paradis est parfois pavé d’intentions médiocres. Les processus du climat sont-ils irréversibles ou avons-nous une prise possible sur leur évolution ? A quelles conditions ? C’est sur les modèles mathématiques de l’environnement que la notion de point de bascu- lement (tipping point) ou de catastrophe a d’abord été dégagée. Dans le cas du climat, on sait qu’il existe de tels seuils au-delà desquels des boucles de rétroaction positives et des processus irréversibles sont enclenchés, par exemple l’arrêt du Gulf Stream, la fonte du permafrost qui rejette dans l’atmosphère le méthane enfoui, etc. La sagesse commanderait de ne pas franchir ces seuils. On ne peut hélas en général découvrir où ils se situent qu’après les avoir dépassés. Si les risques climatiques ne sont plus invisibles, ils demeurent mal perçus dans leur étendue et leurs conséquences, notamment en Europe. Quelles sont les actions qui vous paraissent prioritaires ? L’information ne suffit pas, même si elle est nécessaire. Car, je l’ai répété sans cesse, nous savons mais nous ne croyons pas ce que nous savons. On n’agira sur le climat qu’en faisant face à toutes les autres menaces dont nous avons dit qu’elles faisaient système. Il est sans doute plus efficace et plus sûr, pour réduire le risque climatique, de s’attaquer à la question des inégalités mondiales que de lancer dans l’atmosphère des nuages de nanoparticules qui bloqueront les rayons solaires. Quel changement de regard, ou de mentalité, est nécessaire ? Je crains qu’il ne survienne qu’à l’épreuve des premières manifestations du désastre à venir. Elles existent déjà, même si on ne peut pas prouver qu’un événement extrême comme le cyclone Katrina, ou la sécheresse californienne, résulte du changement climatique. Mais nous n’en sommes qu’au commencement. Le changement le plus radical devra être le renoncement à l’optimisme béat de ceux qui croient qu’il y aura une solution technique, type géo-ingénierie, aux effets du réchauffement, comme il y en a toujours eu dans le passé, chaque fois que l’humanité a eu à affronter des menaces qui provenaient d’elle-même. p propos recueillis par roger-pol droit Les entreprises n’ont pas le choix : évoluer ou disparaître Un nouveau cadre doit accompagner les acteurs économiques dans leur adaptation aux défis environnementaux P artout dans le monde, la course contre le changement climatique est lancée. L’espoir commun est de limiter le réchauffement moyen de la planète à + 2 °C. Pays par pays, des mesures sont prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La France veut diviser les siennes par quatre d’ici à 2050. Cette dynamique structure le nouveau paysage économique mondial. Au cours des trois prochaines décennies, les cartes seront largement rebattues. Comme toujours, à moyen terme, les entreprises n’ont pas le choix : évoluer ou disparaître. Le principal moteur du changement est l’attente sociétale, avec deux courroies de transmission. D’une part, la traduction des préférences collectives dans un cadre réglementaire et économique. D’autre part, la demande de solutions à la fois pour limiter la hausse moyenne des températures et pour s’adapter au dérèglement climatique. Face au défi climatique, les acteurs économiques tiennent une part de la réponse. Pour les entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre (fournisseurs et utilisateurs d’énergies fossiles, sidérurgie, cimenterie…), la réduction des émissions est un impératif stratégique. La plupart des grands groupes, concernés notamment par le marché du carbone, l’ont identifié depuis plus de quinze ans. Les entreprises sont attentives à ce que le nouveau cadre offre aux entités qui s’y adaptent et réduisent leurs émissions un avantage compétitif majeur. Au contraire, il ne doit pas donner une prime à ceux qui y échappent. Pour d’autres entreprises, porteuses de solutions, le nouveau contexte mondial ouvre de multiples opportunités. Efficacité énergétique, mobilités douces ou alimentation moins carbonée sont des domaines où la création de valeur est attendue Des besoins apparaissent, une nouvelle demande émerge qui appelle une nouvelle offre. L’efficacité énergétique, les mobilités douces, l’alimentation moins carbonée, sont autant de domaines à investir où la création de valeur est attendue. Les entreprises positionnées sur ces secteurs ont besoin d’un cadre favorable à leur développement en France, et d’appui pour exporter leurs solutions. En phase de transition, le contexte économique est volatil. Le prix de l’énergie fluctue rapidement. Le cadre juridique et fiscal est constamment réadapté. Les acteurs économiques sont soumis aux avancées, aux reculs, aux àcoups. La demande attendue se révèle parfois non solvable ou alors moindre que prévu. Cette situation augmente les risques pour les entreprises. Les positionnements stratégiques de long terme sont confrontés à la réalité de l’instant. A titre d’exemple, alors que le besoin de rénovation thermique des bâtiments est largement partagé, l’offre et la demande peinent encore trop à se rencontrer. Artisans et PME connaissent eux aussi ce nouveau contexte mondial, à l’échelle de leur activité. La petite taille des entreprises offre une souplesse d’adaptation, mais limite la projection stratégique et la capacité à encaisser les chocs. Le besoin d’accompagnement est évident. La visibilité de long terme nécessaire. Mais il n’y a qu’un seul mot d’ordre : être offensif. p gaël virlouvet Gaël Virlouvet est rapporteur de l’avis du CESE « Vingt ans de lutte contre le réchauffement climatique en France : bilan et perspectives des politiques publiques ». 4 | vivre ensemble 0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Favoriser la santé est une clé Pour Jean Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, les efforts pour améliorer la santé humaine constituent un levier pour agir contre la dégradation de l’environnement par les dégâts de santé que leur utilisation entraîne. Dans nos pays riches, pour le moment et malgré les dégradations de l’environnement, l’espérance de vie moyenne à l’âge adulte augmente. Mais c’est au prix d’inégalités croissantes, à l’intérieur de nos pays, et entre pays riches et pays pauvres. Non seulement notre mode de développement économique et social n’est pas durable pour les générations futures, mais il est de plus en plus inéquitable pour les générations actuelles. Dans le monde, 2 milliards de personnes vivent dans l’insécurité alimentaire, 1,2 milliard n’ont accès ni à l’eau potable ni aux sanitaires, 850 millions souffrent de faim et de dénutrition et le développement mental de 250 millions d’enfants est profondément altéré par la pauvreté, la pollution et la sous-alimentation. Les populations dont la vie et la santé sont les plus menacées par les dégradations de l’environnement et du climat – à l’origine de conflits violents, de déplacements forcés, de migrations et de propagation des maladies infectieuses – sont celles-là mêmes qui sont déjà aujourd’hui les plus vulnérables : celles qui vivent dans la pauvreté, les populations urbaines des bidonvilles, les populations rurales des régions arides, celles qui habitent dans des îles ou près des côtes exposées à l’élévation du niveau des mers… « Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes avec la même façon de penser que celle qui les a engendrés », disait Einstein. Il nous faut un renversement de perspective : c’est l’Humanité qui doit être au centre de nos préoccupations. Au lieu de focaliser sur la seule lutte contre le changement climatique, au risque d’aggraver les inégalités et les drames humains, nous devrions concentrer nos efforts sur des mesures qui améliorent la santé humaine en préservant l’environnement : l’utilisation d’énergies propres et renouvelables, la lutte contre toutes les formes de pollution, le changement des modes d’agriculture et de pêche, la diminution de la pauvreté, l’accès de tous aux droits fondamentaux, à la nourriture, à l’éducation et aux soins. Une telle approche aurait, audelà de ses effets favorables sur le changement climatique, des effets bénéfiques majeurs sur la santé humaine. Nous pouvons tous y contribuer, individuellement et collec- le changement climatique : entre subir et agir #ve2015 à suivre en direct sur levivreensemble.fr Plates-formes citoyennes La réussite d’un accord international sur le climat tient à la volonté des Etats et à l’habileté des négociateurs, mais le succès de sa mise en œuvre dépend des acteurs locaux et du changement de comportement de tous, entreprises et individus. C’est aussi pour cela que le CESE a développé des modes collaboratifs au moyen de plates-formes citoyennes et en mobilisant les réseaux européens comme ceux de la francophonie. Au CESE, les membres ont pris conscience, grâce au dialogue, du nécessaire dépassement des intérêts particuliers pour les mettre au service d’une cause qui offre à l’économie de nouveaux débouchés, au social de nouvelles solidarités, à l’environnement la transformation d’utopies en actions. p jean-paul delevoye Jean-Paul Delevoye est président du CESE. Jean Claude Ameisen est président du Comité consultatif national d’éthique. Il a présidé la Conférence française pour la biodiversité et le Comité de révision de la stratégie nationale pour la biodiversité. Un forum organisé par le CESE conçu en collaboration avec Roger-Pol Droit un événement labellisé COP 21 PALAIS D’IÉNA, PARIS 16E 9H15 > 10H45 I CE QUE LE CLIMAT VA CHANGER DANS LE VIVRE ENSEMBLE 9H15 - 9H30 9H30 - 9H45 CE QUI SE PASSE DANS LE CLIMAT Jean Jouzel, Membre du GIEC prix Nobel de la Paix, Chercheur au CEA et Conseiller au CESE LES ENJEUX DE LA COP 21 Nicolas Hulot, Envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète et Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme 9H45 - 10H00 LE NOUVEAU MONDE Dominique Bourg, Professeur à l’Université de Lausanne, Vice-président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme 10H00 - 10H45 INTERACTIONS avec Luc Paboeuf, Président du CESER d’Aquitaine, Delphine Blumereau, Présidente de CliMates et les Conseillers du CESE notamment Marc Blanc 11H00 > 12H45 I UNE AUTRE VIE QUOTIDIENNE : COMMENT S’ADAPTER ? 11H00 - 11H15 EXPOSÉ D’UN CAS CONCRET : L'ADAPTATION DE LA FRANCE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE MONDIAL Antoine Bonduelle, Conseiller au CESE avec Vincent Giret du Monde 11H15 - 11H30 ANALYSE 1 : UN AUTRE REGARD SUR LE TRAVAIL, LA CONSOMMATION, L’ÉNERGIE Dominique Méda, Professeur à l’Université Paris Dauphine 11H30 - 11H45 ANALYSE 2 : L’ADAPTATION DES TERRITOIRES Michel Derdevet, Secrétaire général d’ERDF 11H45 - 12H00 12H00 - 12H45 ANALYSE 3 : PENSER LES RISQUES EXTRÊMES Jean-Pierre Dupuy, Professeur à l’Université Stanford INTERACTIONS avec Christine Bargain, Directrice de la responsabilité sociale et environnementale du Groupe La Poste et les Conseillers du CESE notamment Christophe Quarez 14H00 > 15H45 I AGIR CONCRÈTEMENT DANS TOUS LES SECTEURS APRÈS MIDI R jean claude ameisen 9H00 : OUVERTURE Jean-Paul Delevoye, Président du CESE et Roger-Pol Droit, Philosophe et écrivain Après la prise de conscience, l’heure est au dépassement des intérêts particuliers « Réussir la Conférence Paris Climat 2015 ». Les travaux du CESE retiennent en général l’attention croissante des pouvoirs publics. En témoignent la présence des ministres Ségolène Royal et Laurent Fabius lors de l’examen du dernier avis ou le label COP 21 attribué au 5e forum du vivre ensemble du 4 juin. la santé humaine, la pauvreté et l’environnement, et qui garantisse la stabilité et l’accessibilité des prix des denrées alimentaires. Et en luttant pour les droits des plus démunis, partout dans le monde. Car protéger d’abord ceux qui sont les plus vulnérables n’est pas seulement un impératif éthique, c’est aussi la seule façon de créer, à terme, les conditions qui nous permettront de nous protéger tous. p CONSEIL ECONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL 4 JUIN 2015 > 9H00-17H30 Consensus en construction écemment encore, notre monde croyait aveuglément au progrès technique, garant d’un avenir toujours meilleur. Désormais, il s’interroge sur les fragilités qu’entraîne la surexploitation de la planète. Aux visions à court terme, à la négligence des risques, à l’insouciance généralisée, il substitue la prise de conscience, la mesure des enjeux, l’exigence du développement durable. Par sa composition depuis la réforme constitutionnelle de 2008 qui a établi la parité hommesfemmes et offert aux jeunes et aux environnementalistes d’y être représentés en nombre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a développé des relations nouvelles entre les forces de notre pays. A partir de désaccords plus ou moins réductibles, agriculteurs, syndicalistes, patrons, associations, environnementalistes ont construit patiemment des consensus. Cela s’est manifesté par une série d’avis sur l’environnement qui ont concouru à promouvoir de nouvelles idées. Leur nombre dépasse la quinzaine, et cela, en très peu d’années. En 2015, par exemple, on peut citer : « Vingt ans de lutte contre le réchauffement climatique en France. Bilan et perspectives des politiques publiques », ou encore Il nous faut un renversement de perspective : c’est l’Humanité qui doit être au centre de nos préoccupations tivement. En mettant en commun nos réflexions et nos efforts. En faisant preuve de sobriété, d’inventivité et de solidarité. En réduisant notre consommation inutile d’énergie, en soutenant les produits d’une agriculture et d’une pêche durables et d’un commerce équitable. En œuvrant pour le développement et l’utilisation des énergies propres et renouvelables, des projets d’urbanisation centrés sur les transports publics, l’isolement énergétique des habitations, les espaces verts, et un aménagement des territoires respectueux de l’environnement et de la biodiversité. En exigeant le soutien aux recherches scientifiques indispensables, une aide internationale aux pays pauvres, une régulation de l’économie qui prenne en compte ses effets sur 5e édition du Forum VIVRE ENSEMBLE MATIN N os modes de vie ont causé des dégradations majeures de notre environnement planétaire. « Nous avons brûlé notre pétrole et nos forêts sur notre chemin vers la croissance. Nous avons cru à la consommation sans conséquence. Sur le long terme, ce modèle est une recette pour un désastre, un pacte de suicide global », déclarait en 2011 Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies. La dégradation de notre environnement inclut l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables, l’émission de gaz à effet de serre, la pollution de l’air, des sols, des nappes phréatiques et des mers, la déforestation, l’épuisement des sols et des réserves d’eau par l’agriculture et l’élevage intensifs et des ressources maritimes par la pêche intensive, la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité, l’émergence de maladies infectieuses d’origine animale. Et ces dégradations ont, indépendamment de leur effet sur le changement climatique, des effets négatifs majeurs sur la santé humaine. La pollution est responsable d’un quart des maladies dans le monde. La seule pollution de l’air a réduit l’espérance de vie moyenne de plus de cinq ans en Chine et de plus de trois ans en Inde. En Europe, elle provoque, chaque année, la mort de 600 000 personnes et des dépenses de santé de 1 400 milliards d’euros. Le coût des énergies fossiles, quand on le compare à celui des énergies propres et renouvelables, devrait intégrer ces coûts humains et économiques induits 14H00 - 14H15 14H15 - 14H30 14H30 - 14H45 14H45 - 15H00 15H00 - 15H45 EXPOSÉ D’UN CAS CONCRET : LES DÉFIS LANCÉS AUX ACTEURS ÉCONOMIQUES Gaël Virlouvet, Conseiller au CESE avec Vincent Giret du journal Le Monde ANALYSE 1 : L’ATTÉNUATION PAR LES COMPORTEMENTS Interventions d’écoliers, collégiens et lycéens : Lycée Auguste et Jean Renoir à Angers (49), Collège Saint-François de Sales à Gien (45), Ecole Notre-Dame à Landéan (35) ANALYSE 2 : CHANGEMENT CLIMATIQUE ET SANTÉ Jean Claude Ameisen, Président du Comité National Consultatif d’Ethique ANALYSE 3 : COMMENT SE PRÉPARER MENTALEMENT AU CHANGEMENT ? Hubert Reeves, Astrophysicien, Président de Humanité-biodiversité INTERACTIONS avec les partenaires dont Stéphane Volant, Secrétaire général de la SNCF, Anne-Sophie Novel et les Conseillers du CESE notamment Antoine Dulin et Bruno Genty 16H00 > 17H15 I COMMENT AGIR ENSEMBLE ? QUESTIONS DE GOUVERNANCE 16H00 - 16H30 16H30 - 16H45 EXPOSÉ D’UN CAS CONCRET : COMMENT AGIR TOUS ENSEMBLE ? « IMPLIQUER LES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ : UN ENJEU DU CLIMAT ET DE LA DÉMOCRATIE » Anne-Marie Ducroux, Conseillère au CESE avec Vincent Giret du journal Le Monde « NÉGOCIER AU NIVEAU INTERNATIONAL» Bernard Guirkinger, Conseiller au CESE ANALYSE : QUESTIONS DE POLITIQUE EUROPÉENNE ET FRANÇAISE Sharan Burrow, Secrétaire générale de la Confédération internationale des syndicats 17H00 : CONCLUSION GÉNÉRALE : LA MAISON HUMAINE, UNE MUTATION PHILOSOPHIQUE Roger-Pol Droit, Philosophe et écrivain u n événeme nt l a be ll isé COP21, en p a rten a ri at avec et