Jacques-Etienne Bovard

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Jacques-Etienne Bovard
Médiathèque Valais St-Maurice
Lundi 7 avril 2008
12.30-13.30
Jacques-Etienne Bovard
« De manière générale, je me sens de plus en plus
comme un écrivain dans tout ce que je fais. Il m’a fallu
au moins cinq livres pour m’avouer que ce n’était pas
simplement un intérêt ou un goût, mais que c’était
viscéralement attaché à moi-même. » (Entretien avec
M. Audédat, 23 novembre 2006)
Jacques-Étienne Bovard est né à Morges en 1961.
Licencié en lettres, il est maître de français au Gymnase de
la Cité, à Lausanne.
Couronné par de nombreux prix : Prix Bibliothèque pour
tous 1992, Prix littéraire Lipp, Genève 1992, Prix Rambert
1995, Prix des Auditeurs de "La Première", 1999
Parmi ses œuvres, des nouvelles : Aujourd'hui, Jean,
1982 et Nains de jardin, 1996 ; des romans : La griffe,
1992, Demi-sang suisse, 1994, Les beaux sentiments,
1998, Une leçon de flûte avant de mourir, 2000, Le pays de
Carole, 2002, La pêche à rôder, 2006, Ne pousse pas la
rivière, 2006.
Les deux recueils de nouvelles ont mêmes ambitions:
observer et suggérer le trait significatif d’un être ou d’une
situation ; pourtant les tonalités sont fondamentalement
différentes : Aujourd’hui, Jean, recueil de 12 courtes
nouvelles, un regard réaliste parfois crû sur les gestes, les
comportements, les propos d’un monde humble, frappé par
le destin parfois désespéré, souvent obscure. Nains de
Jardin, recueil de sept nouvelles, ayant pour cadre
l’espace mythique du bonheur et de la respectabilité
helvétiques, et qui offre un regard aigu et ironique sur les
travers de l’esprit suisse.
La griffe
(1992)
Le récit d’une mémorable expédition entreprise à travers le
Jura, par un groupe de participants, décidés à se guérir du
tabac
: « Les principes du plan Délivrance venaient des
Etats-Unis, où il faisait merveille aussi pour le traitement
des obèses. Conçu pour offrir aux fumeurs désireux de
renoncer à leur funeste habitude l’occasion de faire dans
des conditions idéales, le plan les faisait bénéficier
1)
d’un conseil médical permanent, 2) d’une excellente
dynamique de groupe, 3) d’un contexte optimal, 4 ) d’une
nutrition adaptée. » (p. 19)
Au centre une habitude devenue un interdit et qui révèle
l’être au plus profond de lui-même : « J’avais présumé de
mes forces, et surtout sous-estimé les effets du manque,
beaucoup plus insidieux que je ne pensais. Plus attentif,
j’aurais fait tout de suite le rapprochement : l’envie de
fumer ne s’était pas dissipée, mais déguisée, et déplacée
sur un autre objets. De quoi on dépendait !» (p. 111)
Occasion donc pour Jacques-Etienne Bovard, de dresser
les portraits psychologiques de chacun des
personnages avec, au premier plan le narrateur, Michel
Grin et Marisa, dont il tombe amoureux…. et de décrire
par touche, l’évolution d’un sentiment et la difficile
approche de deux êtres, cristallisée autour d’un geste qui
explique le titre : la Griffe : « J’ai à peine vu sa main
monter vers mon visage, mais j’ai senti ses ongles se
planter autour de ma tempe, et creuser tendrement leur
brûlure dans ma joue » (p. 264-65)
Pourtant au moment de l’adieu …« Je l’avais eu tout
entière et je n’avais rien eu, rien acquis, toujours à sa
merci, ayant donné seulement un tout de plus au lacet qui
m’étranglait. » (p. 268)
Demi-Sang Suisse
(1994)
Un roman en quatre parties, chacune centrée sur un
animal qui « métaphorise l’écriture » : la taupe, maladroite,
le renard, rusé, la hyène, figure de la tentation et le
centaure, qui symbolise la fusion de l’homme et du cheval.
Au centre du roman l’enquête menée par un inspecteur à la
dérive qui, en même temps qu’il résout l’énigme, fait le
point sur sa vie, « découvre et apprend à aimer le cheval
et… l’écriture.
Julien Chapart est mort dans les bois. Le rapport de police
conclut à l’accident de cheval. Pourtant on s’interroge.
Ainsi, la police envoie au manège Abt : « Une taupe venue
sans dissimuler sa profession…» (p. 11)
C’est alors la rencontre entre : Atlas, magnifique cheval,
blessé dans l’accident, et qui « donne » son titre au
roman… « La race suisse, le sang suisse n’existent
pas !… Il n’y a que des chevaux qui naissent en Suisse,
que cette appellation vague de demi-sang suisse est
censée regrouper, quelle que soit l’origine des géniteurs,
c’est tout…» (p. 217) et Abt, sans estime de soi … « qui
a bousillé sa vie d’homme, sa vie de couple, sa vie de
père… Né planqué, né pour éviter avant de vivre, né pour
me faire plus petit, tout en restant à la bonne place,
(…)…Mon effrayante prudence ! » (p. 144)
C’est aussi la renaissance d’Abt qui se révèle à lui-même
grâce à la relation qu’il tisse avec le cheval :« Il est vrai
que, du jour au lendemain, Atlas est devenu le centre
autour de quoi tourne sa vie, désormais attachée à un lien
très court et inextensible.» (p. 106), et grâce à l’écriture
« Un livre pour prendre possession de moi-même, pour
brûler au soleil, à la neige, pour me soûler de forces vives,
pour décupler….» (p. 300)
Les Beaux sentiments (1998) racontent …
Les préoccupations et les angoisses d’un maître de collège
– Aubort- face aux devoirs de distance imposés par le
métier, face aux attentes et aux besoins qu’il perçoit chez
ses élèves, face enfin à son idéal, ses propres convictions
et aussi ses lâchetés.
C’est ainsi, aux contacts de ses élèves que le jeune
professeur va pouvoir s’élever au-dessus de lui-même, à
hauteur d’homme et s’initier, mais non sans remise en
question ?
« Moins que jamais il ne s’agit de devenir le
copain de ses élèves, mais d’apprendre à les connaître. A
regarder, donc, à sentir, à peser le monde avec leurs yeux,
leurs idées, leur sensibilité, pour arriver peut-être un jour à
leur dire quelque chose d’opportun…. » (p. 107)
Trois circonstances alors interviennent, qui dessinent très
précisément les contours du malaise qui habite le maître et
qui justifie les questions lancinantes qu’il se pose : Le
suicide de Frank …ou l’impact sur l’élève, des textes
choisis par le maître, Le désespoir de Cédric … ou le
droit de « passer les limites de son cahier des charges »
Ses sentiments pour Anne-Sophie… ou les dangers de
la reconnaissance.
Une leçon de flûte avant de mourir
(2000)
Gilles, universitaire larguée par son amie, emménage dans
un immeuble délabré. Il se lie d’amitié avec son voisin,
vieux musicien qui apprend le violoncelle. Gilles se remet
au violon, et ensemble, ils redécouvrent la musique... La
concierge, Mme Malamondieu, s’y oppose et entre en
guerre, à coups de mesquineries.
Occasion pour Bovard de présenter une galerie de
personnages parmi lesquels la concierge, femme aigrie,
maîtresse des lieux et hostile à tous les habitants : « Il ne
faudrait jamais priver un être de sa dose indispensable de
mesquinerie, et je me demande encore s’il n’aurait pas suffi
à Mme Malamondieu, comme à tant d’autres, d’avoir pu
juste un peu empoisonner la vie des autres pour exister
pleinement. » (p. 93) et le vieillard musicien « Non,
l’insurmontable, le dernier cercle du désespoir, c’est le
sentiment de n’être plus d’aucune utilité, pire encore de
n’avoir plus aucun sens pour personne…..» (p. 42)
… et tout le roman devient leçon de musique :
« Regarde, écoute les plus grands : pas un qui ne soit
encore en train de chercher quelque chose de plus fin, de
plus haut, de plus juste, que ce soit au niveau de la
technique ou de l’interprétation…. Ce son parfait qu’on
entend en soi et qui ne sort pas, tout simplement parce que
ces damnés articulations, que ces maudits doigts ne
suivent pas… » (p. 51)
Le geste barbare de Madame Malamondieu précipite
l’issue… « Lui affaissé dans mon fauteuil, tête basse,
inerte à mes appels, mais ses doigts qui bougeaient,
tremblants, comme piqués par des aiguilles, essayant
encore de faire tenir ensemble des morceaux de bois
sombre sur ses genoux serrés…Son violon…Ce
massacre…»(p. 176)
Quelques semaines plus tard, Edouard meurt… pourtant
en paix…
Le pays de Carole
(2002)
Une histoire d’amour qui s’achève pour mieux renaître ;
les deux personnages –Paul et Carole- se séparent pour
retrouver, grâce à l’absence de l’autre, le sens de leur être
profond. C’est aussi l’évocation d’un pays de paysans,
que Paul tente de sauver grâce à son art, la photographie.
Se détache ainsi toute une galerie de portraits vivants que
Paul fixe sur la pellicule. Le journal de Paul, racontant son
évolution, aux prises avec l’usure des choses et de
l’amour, contre laquelle il lutte pour se sauver; journal qui
témoigne également du pouvoir libérateur de l’écriture.
Paul et Carole, mariés depuis huit ans : Carole est médecin
au CHUV, sur le point de passer son dernier examen de
spécialiste en gynécologie. Paul, 34 ans, est photographe,
mais s’occupe principalement des travaux du ménage….
Leur projet, approuvé par tous, ouvrir un cabinet, faire deux
ou trois enfants que Paul s’occupera d’élever. Bref, le
couple exemplaire….
Et pourtant…. Carole s’éloigne et Paul qui l’aime toujours,
cherche les raisons : « Ce que c’est drôle. J’aurai passé
ces huit années à craindre chaque jour de n’être pas
assez, et j’ai été trop, trop tout, d’année en année plus
irréprochable, plus étouffant….» (p. 87)
Finalement, Paul apprivoise la solitude, y trouvant même
la chance d’une redécouverte de soi … « De plus en plus
sûr qu’il nous fallait, nous faut cette espèce de mort pour
renaître, peut-être.»(p. 111)… et la compréhension de
l’autre : « J’ai épousé l’indépendance, et c’est vrai, je le
savais…. » (p. 203)
Mais… Carole revient. Elle a bien changé et compris
aussi beaucoup de choses…. et Paul !
Repartie en
Amérique jusqu’à Noël, comme prévu : lorsqu’elle
reviendra, elle aura gagner la certitude d’être libre et plus
belle, éprouvée par les choses et par le temps, elle sera
aimée au-dessus des choses et du temps : « Non, moi je
veux, depuis le début je veux qu’à travers mois, qu’en moi,
grâce à moi, cette femme s’aime enfin elle-même, je veux
que cette femme rayonne au-delà de ce qu’elle a jamais
rayonné… …» (p. 259)
La pêche à rôder
(2006)
« Il y est question de l’impatience du pêcheur à l’heure de
l’ouverture, des traques bien ou mal récompensées, du
temps qui se métamorphose au fil de l’eau, de la
psychologie propre à l’homme qui cherche la « touche ».
Mais aussi de l’auteur qui est depuis son plus jeune âge
une espèce de rôdeur impénitent et qui publie ici, par le
détour de la pêche, son texte le plus personnel. Ce dernier
s’accompagne de photographies dont Bovard est
également l’auteur… » (Michel Audetat, 23 novembre
2006)
Magnifique éloge de la pêche, Ouvrage peut-être le
plus personnel de Bovard, puisqu’il y est question
également de son enfance, où se situe la naissance de
passions qui ne l’ont plus quitté : Rôder et écrire.
« La rôdade, puisqu’il fallait inventer le mot aussi, se créait,
s’imaginait, se vivait de tous les petits morceaux de
surprises saisis au hasard de la rencontre….Le crétin avaitil trouvé un espace où il perdait le sentiment d’être un
crétin complètement seul et détestable à soi-même.
Rôder : de là viendraient mes petites sœurs jumelles à moi,
rien qu’à moi : la pêche et l’écriture, indissociables. » (p.
95-96)
Ne pousse pas la rivière…
(2006)
« Ils se retrouvent tous les quatre, au manoir de Clairvauxsur-Loue. C’est le banquier suisse Maximilien Reuth,
personnalité ambiguë, qui invite ses amis dans son « petit
paradis », en plein pays de Gustave Courbet. Entre deux
parties de pêche à la mouche, on écoutera de la musique,
on lira Maupassant, on cuisinera, on se laissera vivre…. Le
lendemain à l’aube, le paradis est crevé. Crime, enquête,
soupçons. Qui est Max ? Qu’a-t-il fait ? Philippe Sauvain,
qui comptait sur ce séjour pour achever un roman
historique inspiré par l’énigme d’Un Enterrement à Ornans,
célèbre tableau de Courbet, cède à l’urgence d’un autre
texte : enquête sur Max qui se tourne très vite en enquête
sur lui-même… »
Ainsi, Ornans devient : Le lieu d’un drame, le viol de
Viviane, le lieu d’une passion, la pêche, le lieu d’un livre qui
ne sera jamais écrit , Un enterrement à Ornans, le lieu d’un
retour, la mort de Max.
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