les origines chretiennes du carnaval

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les origines chretiennes du carnaval
Pastoralia n° 2 – Février 2011
LES ORIGINES CHRETIENNES DU CARNAVAL
Il serait abusif d'affirmer que le carnaval est une création autonome du moyen âge
chrétien. Néanmoins des preuves irréfragables autorisent à penser que le carême,
période d'austérité et de rigueur introduite au fil du temps parmi le peuple, a contribué,
par un phénomène d'équilibre ou de compensation, à enfermer en un moment privilégié du
calendrier la mascarade des jours gras.
LA MASCARADE
La fête masquée n'a généralement pu être dissociée d'antécédents préchrétiens. Des
préfigurations hypothétiques du carnaval se retrouvent dans les fêtes de Mésopotamie,
d'Egypte, de Perse, de Grèce (les dionysies) et de Rome (les bacchanales, les saturnales,
les calendes de janvier, les lupercales, les matronales, la fête d'Isis) et dans la
célébration de Pourim chez les Hébreux. On tient pour peu vraisemblable que notre
carnaval tire son origine des fêtes de la Rome antique, ainsi que l'ont soutenu des
humanistes. Quelques manifestations païennes subsistent durant le haut moyen âge,
telles les calendes de janvier. Toutefois les anathèmes prononcés par les autorités
ecclésiastiques - les sermons de Césaire d'Arles (t 542) - finissent par avoir raison des
« monstruosités » pratiquées à l'occasion des cérémonies masquées jugées ridicules et
superstitieuses. Les « saints canons » proscrivent aux prêtres de participer aux
amusements abominables avec l'ours et aux danses ainsi que de se trouver en présence
de masques de démons. En dépit de la répétition des interdits, dans plusieurs villes, le
clergé ne cessa pas de respecter les usages facétieux traditionnels. La fête des fous
(de l'âne, des innocents, des sous-diacres, mués en diacres soûls) resta longtemps en
honneur chez les clercs quand durant les douze jours, de Noël à l'Epiphanie, la liesse
emplissait les cathédrales et les collégiales. De même, il serait vain de nier qu'une sorte
de paganisme survit dans le divertissement carnavalesque contemporain.
La fête masquée dénommée carnaval s'inscrit dans le cycle des réjouissances profanes
de la période hivernale qui se déroulent la veille ou le jour d'une fête religieuse, plus
particulièrement celle d'un saint : la Saint-Martin (11 novembre), la Saint-Nicolas (6
décembre), la Sainte-Luce (13 décembre), la Noël (25 décembre), la Saint-Étienne (26
décembre), les Saints-Innocents (28 décembre), la Saint-Sylvestre (31 décembre), la
Saint-Basile de Césarée (1er janvier), l'Epiphanie (6 janvier), la Saint-Antoine, l'ermite
ou l'abbé (17 janvier), la Chandeleur (14 février, déplacée au 2 février).
LE CARNAVAL
La différence essentielle entre les fêtes masquées et le carnaval proprement dit
s'explique par le fait que ce dernier est relié au carême pascal et se distingue
totalement des autres réjouissances d'hiver auxquelles on a attribué le nom de carnaval
par corruption sémantique. Ainsi le carnaval rhénan dont on dit qu'il débute le onze du
onzième mois à onze heures onze minutes n'apparaît sous cette forme qu'à la fin du 19e
siècle. En quelque sorte les fêtes masquées d'hiver au caractère bien spécifique ont été
englobées dans l'appellation de carnaval. Ce n'est pas neuf : le Dictionnaire universel des
sciences ecclésiastiques (1760) précise que le carnaval est un « temps de réjouissance
qui commence le lendemain des Rois, ou le 7 janvier, et dure jusqu'au carême. » En des
localités comme Malmedy, il prend son véritable départ le samedi veille de la
quinquagésime.
Carnaval de Binche
Le terme carnaval, dans son sens premier, ne s'applique qu'aux
fêtes européennes se célébrant soit à la date ancienne du début du
carême, la quadragésime, fêtes appelées le « vieux carnaval », le «
grand carnaval » ; soit à la date actuelle du carême, qui s'est
diffusée progressivement en Europe occidentale depuis les 7e et 8e siècles, le « petit
carnaval », les jours gras actuels.
LE CAREME
Le carême pascal n'est pas attesté avant le 4e siècle. Il comprenait six semaines ou
quarante-deux jours et commençait à partir du dimanche (en réalité le lundi) de la
quadragésime jusqu'à Pâques. Le jeûne était levé le dimanche de sorte que le nombre de
jours de jeûne s'élevait à trente-six. Le mot quadragesima, le carême, désigne le
quarantième (jour) et symbolise la période des quarante jours de jeûne de Jésus dans le
désert après son baptême. Telle était la situation au temps du pape Grégoire le Grand
(t604).
Carnaval de Malmedy
Plus tard, pour mettre fin à cet illogisme et atteindre le nombre de quarante jours de
jeûne, quatre jours furent ajoutés. La période du jeûne commençant le mercredi des
cendres ou de la quinquagésime, apparue au 8e siècle, se généralisa probablement vers la
fin du 11e siècle excepté dans le rite ambrosien (Milan) et la liturgie mozarabe (Espagne).
La cérémonie de l'imposition des cendres aux fidèles en signe de pénitence ne devint une
obligation pour les chrétiens que par une prescription du pape Urbain II, lors du concile
de Bénévent (1091).
La date du mardi gras, veille du mercredi des cendres, dépend de celle de Pâques, c'està-dire du calendrier lunaire. Pâques est fixé au premier dimanche qui suit la première
pleine lune de l'équinoxe de printemps (21 mars). La date de Pâques varie entre le 22
mars et le 25 avril. Le mardi gras tombe au plus tôt le 3 février, ou le 4 les années
bissextiles, et au plus tard le 9 mars.
« CARNAVAL » : L'ORIGINE DU MOT ?
L'étymologie du mot carnaval a ouvert le champ à de multiples thèses. La graphie
quarnivalle dans un texte français du duché de Bouillon, daté de 1268, a égaré maints
linguistes réputés ne s'apercevant pas que l'ancien français du document avait été
transposé de manière peu correcte en français plus ou moins classique du 17e siècle. Dès
le milieu du 19e siècle, le rapprochement de carnaval et de carrus navalis, le char naval,
connut un grand succès. Plus récemment, la littérature a proposé d'attribuer l'origine du
nom à la déesse Carna, personnage mythique évoqué dans les Fastes d'Ovide.
Moins bizarres et plus sérieuses, du moins en apparence, restent les explications
coutumières développées au 17e siècle. Faut-il entendre en carnaval l'adieu à la chair
(carne, seu caro vale) ? Étymologie de savants italiens. Ou faut-il lui préférer l'étymon
carn-a-val, « parce qu'on mange alors beaucoup de viande pour se dédommager de
l'abstinence qui doit suivre » ?
Le mot viendrait plutôt de carnelevamen issu de la basse latinité qui désignait à l'origine
le mardi gras, le temps de « l'abandon de la viande ». A première vue contradictoire
cette conjecture devient logique si on la rapproche des origines quand le début du jeûne
du carême, annoncé le dimanche de la quadragésime, commençait le lundi. D'autres
interprétations prétendent enrichir encore le corpus carnavalesque.
Jean Fraikin
Docteur en anthropologie