DOSTOÏEVSKI : ALIOCHA KARAMAZOV
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DOSTOÏEVSKI : ALIOCHA KARAMAZOV
DOSTOÏEVSKI : ALIOCHA KARAMAZOV, MYSTIQUE OU EPILEPSIE DELIRANTE INTRODUCTION L’incomparable lumière, qui jaillit de la lecture des « Frères Karamazov » de Dostoïevski, dans l’atmosphère d’harmonie et d’émotion que crée la musique des quatuors Razoumovski de Beethoven ; l’exposé clair et rigoureux du choix qui s’impose à l’homme devant la croyance en l’existence ou la négation de l’existence, dans l’expression même de l’option pour l’espérance en dépassant par l’Amour le drame de humanisme athée, nous ont rendu nécessaire de parler ici du dernier roman écrit par Dostoïevski, là où se révèle le mieux tout à la fois sa dimension d’écrivain philosophique, religieux, social et même biographique. Nous nous limiterons, ici à tenter d’analyser dans ces différents aspects l’expérience vécue de l’un des personnages Aliocha Karamazov qui nous a tout particulièrement touchée à une époque de notre vie où les choix existentiels ont été pour nous déterminants, et où nous étions préoccupée, en raison de la prise en charge d’une patiente délirante mystique qui pour la première fois nous incombait, d’une distinction possible ou non entre vrai et faux mystique. Mais avant cela il nous est paru indispensable de donner quelques éléments de l’exceptionnelle et fastueuse biographie de Dostoïevski, que ne laissent pas nécessairement soupçonner une œuvre pourtant particulièrement abondante et éclatante. I) BIOGRAPHIE ET RAPPORT DE DOSTOÏEVSKI A SON ŒUVRE LES FRERES KARAMAZOV. Dostoïevski né en octobre 1821, est mort en janvier 1881. La naissance de la psychiatrie française l’a précédé de peu avec Esquirol (1772-1840) Falret (1794-1870) et Baillarger (1809-1890). Il est aussi de 30 ans l’aîné de Kraepelin (1856-1926) et de Freud (1856-1939), de 25 ans celui de Huysmans (1848-1907), de 20 ans celui de Tchaïkovski (1840-1893) et de Moussorgski Il est encore de 50 ans le cadet de Beethoven (1770-1827) d’environ 20 ans celui de Balzac (1799-1850), de Hugo (1802-1885), et de 13 ans le cadet de Nerval (18081855). Exact contemporain de Baudelaire (1821-1867) et de Tourgueniev (18181883), il appartient également au siècle de Ste Thérèse de l’enfant Jésus et de la Sainte Face qui a 8 ans au moment de sa mort. Il n’est pas comme Tolstoï un seigneur dans son domaine. Citadin sans fortune, écrivain qui vit de sa plume, il créa dans l’angoisse et la maladie, avec une énergie surhumaine. Il ne connut la gloire que dans sa dernière année, mais la postérité l’a placé, au-dessus peut-être de Tolstoï, au rang des plus grands génies de la littérature universelle. Il a exprimé avec acuité l’inquiétude métaphysique en même temps que la foi ardente dans le Christ et dans le peuple russe. Il a ainsi renouvelé le roman et inaugure un mouvement de pensée qui, dans le monde, n’est pas près de s’éteindre. 1) Sa vie. Né à Moscou, le 30 octobre 1821, Dostoïevski vécut surtout à SaintPétersbourg, où il mourut le 27 janvier 1881. Il était le second fils d’un médecinmajor, lui-même fils de pope, qui voulait seulement des fils bien instruits, armés pour la vie. La mère, qui appartenait à la classe des riches marchands moscovites, était profondément chrétienne. Dostoïevski nous dit[1]: « Dans notre famille, nous savions l’Evangile dès notre première enfance. » Mais le premier livre de lecture des enfants, Fiodor et son aîné Michaël, vers les 8 ans, fut Cent quatre histoires tirées de l’Ancien et du nouveau Testament avec de belles images. Le petit Fiodor était vif, joueur, [1] (Pierre Pascal, Dostoïevski, p.12, milieu) observateur, très sensible, trop nerveux peut-être. Il était porté vers la littérature (il avait appris à lire sur les genoux de sa mère). Un peu plus tard il devint ainsi, grand lecteur de Pouchkine l’incomparable poète. Son père devenu veuf en 1837 (Fédor a 16 ans quand il perd sa mère), fait entraîner ses deux garçons aînés à la préparation de l’Ecole du Génie à Saint Pétersbourg : un avenir assuré. Voilà Fédor interne, boursier parmi des garçons riches, condamné à la géométrie, à la fortification et aux manœuvres. On deviendrait à moins morose, pâle et renfermé : il est surtout réfléchi et lit beaucoup. Tout le Romantisme est passé en revue : Schiller, Hofmann, Hugo, le Faust de Goethe et bientôt les romanciers : Walter Scott, Balzac, Eugène Sue, George Sand. La mort du père (en 1839, il a 18 ans) assassiné par ses paysans, désole moins le jeune enthousiaste que n’a fait celle de Pouchkine en janvier 1837 juste avant celle de sa mère en février 1837. Pourtant certains auteurs datent à partir de l’émotion alors éprouvée, la survenue de la première crise d’épilepsie constatée médicalement. Cependant il raffole aussi de théâtre, traduit Eugénie Grandet en russe, en bref s’adonne sans réserve à la littérature. Comment rester dans un bureau à dessiner des plans quand on ne pense qu’à la gloire et à la mission d’écrire ? Dostoïevski donne sa démission de lieutenant du génie en septembre 1844, (il a 23 ans)[2] Il a son programme de vie, qu’il a confié depuis quatre ans déjà à son aîné (août 1839) : « J’ai confiance en moi. L’homme est un mystère. Il faut le percer et, si cela demande toute la vie, qu’on ne dise pas qu’on a perdu son temps. Pour moi je travaille ce mystère, car je veux être un homme. »[3] Il est l’auteur entre 1844 et 1849 d’une abondante production littéraire dont émergent parmi d’autres, surtout 2 romans connus sous le titre : Les Pauvres Gens puis Le Double qui paraissent en 1846. C’est alors qu’il prit part aux réunions du cercle fouriériste de Pétrachevski où furent critiqués les actes du gouvernement à [2] [3] (Dominique Arban, Dostoïevski par lui-même, p.182) (art. Dostoïevski, Universalis, p.772, 2ième colonne) savoir l’institution de la censure, et le maintien du servage. Là aussi fut lue par Dostoïevski la lettre de Biélinski à Gogol, contenant des injures contre l’église orthodoxe et le pouvoir suprême,[4] ce qui lui valut dix ans de mise au ban de la société, quatre au bagne d’Omsk et six de service militaire en Asie centrale. En effet condamné à mort en avril 1849, il subit, le 22 décembre de la même année, un simulacre d’exécution. Gracié en toute dernière minute, il part pour le bagne le 24 décembre, n’emportant pour tout bagage qu’une bible, pour atteindre Omsk en Sibérie, en janvier 1850. Il en sort en février 1854 et, comme simple soldat à Semipalatinsk, est reçu chez les Issaev où il tombe amoureux de son hôtesse, qu’il épousera le 6 février 1857, au moment même où il est promu sous-officier, car elle est devenue veuve. Pendant cinq ans, lentement, humblement, il remonte la pente. C’est alors qu’une nuit de Pâques entre 1857 et 1859, il éprouve, en conversant avec un vieux camarade athée, une émotion religieuse extraordinaire qu’il confiera, 10 ans plus tard à Sophie Korvin-Kroukovska, la future mathématicienne Kovalevska, qui la relate dans ses Souvenirs d’enfance. Alors que Dostoïevski et son ami parlaient religion avec chaleur, l’un pour, l’autre contre, Dostoïevski brusquement, comme hors de lui, s’écria : « Dieu existe[5] ! Il existe ! » A ce même instant les cloches sonnèrent pour les matines solennelles. « Et j’eus le sentiment, conclut-il dans son récit, que le ciel était descendu sur terre et m’avait englouti. J’appréhendai Dieu réellement et je fus pénétré de lui. Je m’écriai encore : Oui, Dieu existe ! Je ne me souviens plus de rien ensuite. » Cette extase était l’annonce d’une de ces crises d’épilepsie dont il souffrait depuis longtemps et qui depuis le bagne se faisaient plus fréquentes. Elles étaient précédées d’une aura de bien-être physique et de lucidité mentale : à cause de la fête, et du regret peut-être, de discuter de l’existence de Dieu alors que le peuple célébrait à l’église la Résurrection, cette aura prit la forme d’une enthousiaste profession de foi. On peut voir là le signe du duel, comme une péripétie de ce duel, que le problème de Dieu entretenait dans son âme. [4] [5] (Henri Troyat, Dostoïevski p. 126 2ème paragraphe) (Pierre Pascal, Dostoïevski p. 27) Après le bagne, Saint Pétersbourg. Entre 1859 et 1862 (année où il publie ses Récits de la Maison des morts)[6], la société est divisée : les slavophiles estiment que la Russie doit progresser selon la tradition et libérer de l’Etat, l’église et la commune rurale, tandis que les occidentalistes ne voient en Russie qu’ignorance et inculture et rêvent pour leur pays d’une évolution semblable à celle de l’Occident, mais avec un socialisme athée, qui n’est plus teinté d’un certain christianisme, comme il en avait été dans les années 1840 et suivantes. Entre les deux tendances (la seconde, celle des occidentalistes, était de beaucoup la plus puissante), Dostoïevski ne choisit pas. Son amour du peuple russe et sa piété pour le Christ auraient dû le porter vers les slavophiles, mais ceuxci, comptant trop sur les institutions du passé sans en admettre les réformes pourtant nécessaires, lui semblaient peu réalistes. En 1864, il perd successivement le 15 avril, Maria Dmitrievna son épouse dont il n’a pas eu d’enfant, mais qui lui laisse à charge son beau fils Paul né du premier mariage de Maria, puis son frère Michaël le 10 juillet de la même année. Il fait face courageusement aux lourdes dettes laissées par ce dernier en s’en portant garant, et s’engage à subvenir aux besoins de sa belle-soeur et de ses quatre enfants. Cependant dès janvier 1865, faute d’argent, la revue qu’il avait fondée avec son frère, l’Epoque, cesse de paraître. Fuyant ses créanciers, la saisie de ses biens et la prison pour dettes, l’écrivain part pour l’étranger, avec 175 roubles en poche ; il vit grâce à l’aide financière de ses amis et de Tourgueniev en particulier. Assez vite, de retour en Russie, il publie, en 1866, Crime et châtiment ainsi que Le Joueur, roman qui lui fera connaître Anna Snitkine embauchée comme secrétaire et qu’il épousera le 15 février 1867 (3 ans après le décès de sa première épouse). [6] (Pierre Pascal, Dostoïevski, p.29), Entre 1867 et 1871, il parcourt l’Europe avec Anna, qui lui fut en tout, une aide inestimable et il continue d’écrire : L’Idiot, paraîtra à partir de Janvier 1868 dans le Messager russe. Une petite fille, Sophie, née en février, mourra en mai de la même année. L’année suivante en septembre, naîtra à Dresde une autre fille Lioubov. En 1871, au moment de la Commune à Paris, il brûle ses manuscrits de peur d’être fouillé à la frontière russe lors de son retour à Saint Pétersbourg. En juillet de cette année-là lui naît un fils Fiodor tandis qu’est publié, dans le Messager russe, son roman Les Démons. En décembre 1872, il devient rédacteur principal et responsable du Citoyen, journal réactionnaire où il publie régulièrement en 1873 le Journal d’un écrivain. En Août 1875 naît un second fils Alexeï qui mourra le 16 mai 1878. Dostoïevski n’avait jamais remporté de grands succès. Mais presque subitement, en juin 1880, à Moscou, il atteignit à la gloire avec son discours sur Pouchkine. Il exaltait le poète aimé comme le type de l’âme russe : « Notre vocation est européenne et universelle. Etre Russe, parfaitement russe n’est peut-être rien d’autre qu’être frère de tous les hommes ! » Du coup slavophiles et occidentalistes, conservateurs et révolutionnaires se retrouvèrent réconciliés. Les étudiants se ruèrent sur l’estrade pour toucher l’écrivain national, on l’embrassait, on le portait en triomphe. Sept mois plus tard, après avoir vécu en chrétien, il mourait de même le 27 octobre 1881. Il y eut ruée dans la chambre mortuaire et même unanimité dans l’interminable cortège et à l’église, entre officiers chamarrés et nihilistes aux cheveux ras, jeunesse ardente de la capitale et graves marchands littérateurs des députations provinciales. Après une vie modeste et laborieuse, l’apothéose. 2) C’est en fait dès 1877 qu’il travaille aux Frères Karamazov dont il veut faire le couronnement de son œuvre. Mais ce labeur s’avère plus difficile qu’aucun autre.[7] « J’ai remarqué depuis longtemps écrit-il à son épouse, que plus je vais, plus mon travail me devient difficile » ou bien « je pense toujours à ma mort [7] (Henri Troyat, Dostoïevski, p. 388). et je me demande ce que je laisserai aux enfants et à toi. » Et encore : « Maintenant j’ai sur le dos les Karamazov qu’il faut bien terminer. Il importe d’en faire une œuvre d’art, et c’est une chose difficile et risquée, une chose fatale : elle doit placer mon nom très haut, l’affermir, autrement, plus d’espoir. » Ainsi Les Frères Karamazov paru en 1880, peut être considéré en tant que son dernier roman, comme un résumé de son œuvre entière[8] : il s’agit d’une énigme policière sous la forme de quatre fils dont l’un sera parricide, en face de leur père, la mise en opposition de vertus populaires et de l’égarement rationaliste, la discussion des grands problèmes métaphysiques avec, une fois de plus, la recherche du chrétien russe idéal. Jamais il n’avait jeté dans un roman autant de substance morale et religieuse. L’œuvre quasi symphonique, selon Dominique Arban, se déroule sur 3 plans[9] : « le monastère, la famille Karamazov, les écoliers » --- « Le motif unissant constamment, en mineur, les trois thèmes majeurs, est la mélodie d’Aliocha : ce novice, élu par le starets Zosime et délégué par lui vers le monde des hommes, est lui aussi - il le sait et le dit - un Karamazov ». Dans les Frères Karamazov, Dostoïevski saisit ses personnages, en pleine crise ; tels quels, avec leurs hésitations ou leurs excès, leurs contradictions, leurs rêves, leurs états seconds, leurs actes inexpliqués. Leur inconscient, mieux qu’une conduite logique, trahit leur vraie nature, Dostoïevski pénètre leur tréfonds. Il élabore, bien avant Freud, une remarquable psychologie des profondeurs, dont il puise souvent les éléments dans la substance de son autobiographie[10]. Enfin on s’aperçoit, entre autres, que dans ce roman en particulier un seul problème est toujours posé, selon ses diverses combinaisons : l’homme et Dieu dont la certitude de l’existence, ne peut surgir malgré les doutes, que de l’expérience de la rencontre. Tel Aliocha Karamazov. [8] (Universalis, Dostoïevski, p.775 Ière colonne) (Dominique Arban, Dostoïevski par lui-même, p.175) [10] (Dostoïevski Universalis p.775) [9] II) ALIOCHA KARAMAZOV ET SON EXPERIENCE EXTRAORDINAIRE, MYSTIQUE, OU EPILEPTIQUE ET DELIRANTE ? A) L’EXPERIENCE ELLE-MEME « Il était déjà très tard pour le monastère, lorsque Aliocha arriva à l’ermitage ; --- Neuf heures avaient sonné, l’heure du repos après une journée aussi agitée. Aliocha ouvrit timidement la porte et pénétra dans la cellule du starets, où se trouvait maintenant son cercueil. Il n’y avait personne, sauf le Père Païsius, lisant l’Evangile devant le mort, --- Aliocha s’agenouilla dans un coin et se mit à prier. Son âme débordait, mais ses sensations demeuraient confuses, l’une chassant l’autre dans une sorte de mouvement giratoire uniforme. Chose étrange, il éprouvait un sentiment de bien-être et ne s’en étonnait pas. Il contemplait de nouveau ce mort qui lui était si cher, mais la pitié éplorée et douloureuse du matin avait disparu. --- Il prêta l’oreille à la lecture du Père Païsius, mais finit par somnoler, épuisé… --- Une flamme brûlait dans le cœur d’Aliocha ; il le sentait plein à déborder ; des larmes de joie lui échappèrent… Il étendit les bras, poussa un cri, s’éveilla… De nouveau le cercueil, la fenêtre ouverte et la lecture calme, grave, rythmée de l’Evangile. Mais Aliocha n’écoutait plus. Chose étrange, il s’était endormi à genoux et se trouvait maintenant debout. Soudain comme soulevé de sa place, il s’approcha en trois pas du cercueil, il heurta même de l’épaule le Père Païsius sans le remarquer. Celui-ci leva les yeux, mais reprit aussitôt sa lecture, se rendant compte que le jeune homme n’était pas dans son état normal. Aliocha contempla un instant le cercueil, le mort qui y était allongé, le visage recouvert, l’icône sur la poitrine. Il venait d’entendre sa voix, elle retentissait à ses oreilles. Il écouta encore, attendit… Soudain il se tourna brusquement et quitta la cellule. Il descendit le perron sans s’arrêter. Son âme exaltée avait soif de liberté, d’espace. Au-dessus de sa tête la voûte céleste s’étendait à l’infini, les calmes étoiles scintillaient. Du zénith à l’horizon apparaissait, indistincte, la voie lactée. La nuit sereine enveloppait la terre. Les tours blanches et les coupoles dorées se détachaient sur le ciel de saphir. Autour de la maison les opulentes fleurs d’automne s’étaient endormies jusqu’au matin. Le silence de la terre paraissait se confondre avec la paix du ciel ; le mystère terrestre et celui de la voûte étoilée se pénétraient. Aliocha, debout, immobile, regardait ; soudain comme fauché, il se prosterna. Il ignorait pourquoi il étreignait la terre ; il ne comprenait pas pourquoi il aurait voulu irrésistiblement l’embrasser tout entière ; mais il l’embrassait en sanglotant, en l’inondant de ses larmes, et il se promettait avec exaltation de l’aimer, de l’aimer toujours. --- « Arrose la terre de larmes de joie et aime-les… » Ces paroles retentissaient dans son âme. Sur quoi pleurait-il ? Oh ! dans son extase il pleurait même sur ces étoiles qui scintillaient dans l’infini et il « n’avait pas honte de cette exaltation ». C’était comme si les liens qui réunissaient les mondes innombrables de Dieu, avaient tous soudain convergés en lui. Et son cœur frémissait au contact des autres mondes. Il aurait voulu pardonner à tous et pour tout, et demander pardon, non pour lui, mais pour les autres et pour tout ; « les autres le demanderont pour moi », ces mots aussi lui revenaient en mémoire. De plus en plus il sentait d’une façon claire et quasi tangible qu’un sentiment ferme et inébranlable pénétrait dans son âme, qu’une idée s’emparait à jamais de son esprit. Il s’était prosterné faible adolescent et se releva lutteur solide pour le reste de ses jours, il en eut conscience à ce moment de sa crise. Et plus jamais par la suite il ne put oublier cet instant. « Mon âme a été visitée à cette heure » disait-il plus tard, en croyant à la vérité de ses paroles. Trois jours après, il quitta le monastère, conformément à la volonté de son starets, qui lui avait ordonné de « séjourner dans le monde. »[11] » [11] « Les Frères Karamazov », Les noces de Cana. p.385-389] B) CETTE EXPERIENCE PEUT-ELLE ETRE QUALIFIEE DE MYSTIQUE Selon Teilhard de Chardin (1881-1955) dans son[12] « Comment je crois », « La préoccupation du Tout a ses racines dans le fond le plus secret de notre être ---. Le Monde vrai intelligible ne saurait être qu’un Monde unifié qui nous enveloppe de partout sans que nous arrivions à trouver ni son visage, ni son coeur. Or le texte précédent, extrait du chapitre « les noces de Cana », du roman Les Frères Karamazov de Dostoïevski, exprime bien que cet événement qui jaillit de la vie d’Aliocha traduit le vécu, l’éprouvé de cette aspiration au Tout : « il étreignait la terre. » C’est bien de cela qu’il s’agit pour Aliocha pour qui « c’était comme si les liens qui réunissent les mondes innombrables de Dieu avaient soudain tous convergés en lui. Et son cœur frémissait au contact des autres mondes. » Et chez Aliocha cette aspiration vécue au Tout, apparaît tout à fait comme « fondamentalement religieuse », ainsi que le dit plus loin Teilhard[13], en tant qu’il y passe un souffle d’adoration c'est-à-dire de respect et d’Amour : « il s’agenouilla et se mit à prier » écrit Dostoïevski, et plus loin « il se prosterna –-- il se promettait avec exaltation de l’[la terre] aimer, de l’aimer toujours. » En ce sens, si avec Saint Thomas lui-même, dans sa Somme théologique, on définit l’événement mystique comme « vue simple et intuitive de Dieu et des choses de Dieu qui procède de l’Amour et qui tend à l’Amour », on peut dire que l’événement vécu par Aliocha est mystique car la lumière passe chez lui de sa raison à son cœur. L’Amour, « quel autre mot pourrait en effet, venir donner une enveloppe verbale adaptée » de la spiritualité d’Aliocha, et comme dit Bachelard le philosophe[14], de « l’intime accord qui compose la nature des choses et [le] rythme grave et grand qui réalise tout l’Univers » : et notre texte lui, exprime : « son âme exaltée avait soif de liberté, d’espace. » --- « Le mystère terrestre et celui de la voûte étoilée se pénétraient. » C’est cet Amour qui féconde le génie d’Aliocha. Car le génie [12] «Teilhard, Comment je crois, p.74 » (idem p.77) [14] (l’intuition de l’instant p.91) [13] n’est soi-même qu’en tant que frémissement, continue Teilhard,[15] « à quelque apparition de l’Absolu, de l’Universel se révélant dans l’une ou l’autre de ses manifestations humaines. » Or Aliocha qui « s’était prosterné faible adolescent, se releva lutteur solide pour le reste de ses jours. » C’est alors que « le terme de Dieu ou d’Absolu reçoit de cet événement tout son sens plutôt qu’il ne fournit des repères à l’expérience. »[16] « Comme c’est vrai », Aliocha le mystique n’a « rien d’autre à dire sous le coup qui tout à la fois le blesse et le rend heureux. L’inouï et l’évident coïncident. »[17] Et sans doute est-il impossible à Aliocha de « nommer ce qui survient et semble pourtant, comme l’écrit Michel de Certeau, [un des auteurs préférés du Pape François] remonter de quelque insondable de l’existence comme d’une mer qui a commencé avant l’homme. »[18] Le silence, cet acte intérieur où l’esprit se recueille pour accueillir le sens des choses a pour caractéristique d’ouvrir un espace sans lequel le mystique ne peut plus vivre désormais : « et plus jamais par la suite Aliocha ne put oublier cet instant. » Et Aliocha au moment où jaillit de lui l’extase, est baigné du silence de la mort du starets et du silence de la terre : « le silence de la terre paraissait se confondre avec la paix du ciel. » L’instant d’Amour, le moment mystique est donc nécessairement complexe. Il émeut, il prouve, il invite, il console, il est étonnant et familier. Et de plus, pour Aliocha, il apparaît bien, ainsi que l’exprime Romano Guardini[19], que «ce sentiment ferme et inébranlable qu’il vient d’éprouver est quelque chose qui appartient à la catégorie de la vérité ». Et encore : « cette chose solidement fondée, indestructible, bâtie comme une voûte embrassant tout ; » --- « cette éternité du firmament, cette chose qui s’impose avec une évidence absolue, c’est la vérité. » [Ainsi nous voyons à travers les pages précédentes, que le phénomène rapporté ici, dont nous avons dit précédemment qu’il était possible de le qualifier de mystique, est indissociable de son vécu pour Aliocha. Et la preuve même de cette [15] (Comment je crois, p.76 milieu de page.) (M. de Certeau, Universalis Mystique p. 524, 1ère colonne en haut) [17] (idem p.524) [18] (idem p.524) [19] (Guardini, L’univers religieux de Dostoïevski, p.104 au milieu) [16] indissociabilité réside d’une part en son indicibilité : Aliocha ne sait pas parler, au moment même où il le vit, de ce vécu pourtant si important qu’ « il ne put jamais par la suite oublier cet instant » ; il sanglote, il étreint la terre, et même plus tard, il ne sait en dire que ceci : « mon âme a été visitée à cette heure » ; d’autre part en l’ambiguïté même du mot mystique : « le » mystique, c’est aussi bien le phénomène mystique que celui qui en est le sujet. Inséparable de l’assentiment qui en est le critère, une naissance tire de lui une vérité qui est sienne sans être de lui ni à lui : il ignore, il ne comprend pas pourquoi. Aussi est-il hors de lui, (« le Père Païsius se rendit compte que le jeune homme n’était pas dans son état normal »), dans le moment où s’impose un Soi[20].] C) CETTE EXPERIENCE PEUT-ELLE ETRE QUALIFIEE D’EPILEPTIQUE ET DELIRANTE ? En effet l'affirmation par certains que l'expérience mystique n'est qu'une expérience pathologique, et par d'autres que l'expérience épileptique délirante est une expérience de communication divine, tient à son paradoxe : par l’un de ses aspects, dit Michel de Certeau[21], elle est du côté de l’anormal ou d’une réthorique de l’étrange, par l’autre, du côté d’un « essentiel » que tout son discours annonce mais sans parvenir à l’énoncer. En fait tout le problème dont la solution est laissée en suspens, est celui de la valeur qu'a pour l'existence, l’état de conscience précurseur à ces deux expériences. Et il est difficile de ne pas songer, sans vouloir y insister, à ce que dit Henri Ey l’illustre psychiatre français du siècle dernier, dans son étude sur l’épilepsie[22], (cité par Dominique Arban dans son « Dostoïevski par lui- même ») des caractéristiques de l’état crépusculaire, l’une des formes cliniques délirante de l’épilepsie. Tout d’abord il y distingue : [20] (Mémoire maîtrise de philo p.8) (Universalis, Mystique, p.523, 2ième colonne) [22] (cité par Dominique Arban dans son Dostoïevski par lui- même p. 167) [21] - une structure négative dont la symptomatologie comprend : * l’obnubilation de la conscience, « cette dissolution dramatique de la vie psychique, non point assez profonde pour abolir la conscience, mais assez bouleversante pour ébranler le sujet et le contraindre impulsivement à l’action » dit H. Ey, se retrouve chez Aliocha : « soudain Aliocha se tourna brusquement et quitta la cellule. » Auparavant il venait de « heurter de l’épaule le Père Païsius sans le remarquer. Celui-ci leva les yeux mais reprit aussitôt sa lecture se rendant compte que le jeune homme n’était pas dans son état normal. » Mais reprend Ey[23] « cette déstructuration n’est ici qu’ébauchée et à l’état naissant et elle n’atteint que peu la conscience en tant que celle-ci est organisatrice de l’ordre temporo-spatial du champ phénoménal » c'est-à-dire du vécu. « Le sujet est « conscient », si l’on exprime par là que sa conscience est encore assez intacte pour ne pas être devenue toute entière conscience délirante »--- « onirique » : et justement, écrit Dostoïevski, Aliocha « en eut conscience à ce moment de sa crise ». *L’aspect chaotique de la pensée. « C’étaient écrit encore Henri Ey, « le tumulte et l’anarchie qui résonnaient en lui et précipitaient sa pensée dans une succession kaléidoscopique d’évènements fulgurants. » Et dans le roman : « la capacité de sa conscience de s’ordonner efficacement relativement à une fin, était altérée » : Aliocha « ignorait pourquoi » --- « ne comprenait pas pourquoi. » --- « Ses sensations demeuraient confuses, l’une chassant l’autre. » *La forme oniroïde de la conscience Henri Ey la traduit ainsi : « ce que la pensée perdait en faculté de déploiement dialectique et d’intégration conceptuelle ou en travail d’abstraction, les images tendaient à le gagner en intensité et en exclusivité. » Et à propos d’Aliocha on retrouve cela : « son âme exaltée, --- oh ! dans son extase il pleurait même sur ces étoiles qui scintillaient dans l’infini --- et il n’avait pas honte de son exaltation --- son âme frémissait toute en contact avec les autres mondes. [23] Etudes psychiatriques, vol.III p.590 et suivantes Mais l’état crépusculaire de l’épilepsie selon Henri Ey est aussi un drame, une action, qui suppose « son mode d’organisation dramatique et fantasmique » c'est-àdire non seulement la structure négative décrite ci-dessus mais aussi - une structure positive caractérisée, comme le vit aussi Aliocha dans sa conscience crépusculaire, par : * « une atmosphère lyrique et métaphysique. Comme si l’horizon existentiel se rapprochait jusqu’à occuper le centre même de sa conscience, comme si les grands problèmes de l’au-delà des fins dernières, du destin se concrétisaient, écrit H. Ey, en vécu immédiatement dramatique » : tandis que Dostoïevski nous assure : « c’était pour Aliocha, comme si les liens qui réunissent les mondes innombrables de Dieu avaient tous soudain convergé en lui » . *jusqu’à l’élément oedipien constant dans l’état crépusculaire est, pour Aliocha aussi, présent de par la mort du starets Zozime, son père spirituel, dont il n’a tout d’abord pas accepté la disparition, qui vient ainsi bousculer tout l’univers oedipien affectif d’Aliocha déjà fortement perturbé par la mort de sa mère dans sa première enfance, et les circonstances, à son propos, de la survenue d’une première crise. En effet, nous apprend Guardini,[24] « comme un jour son père racontait devant lui, avec une vantardise répugnante, comment il avait accoutumé de traiter sa femme jusqu’à ce qu’elle soit saisie d’une sorte d’attaque, voici qu’Aliocha, vivante image de sa mère, tomba brusquement lui aussi dans la même crise nerveuse. » Ainsi le début soudain, la brièveté relative de l’accès, l’évolution mnésique ultérieure, la violence impulsive du vécu, peuvent permettre de qualifier le phénomène relaté au début de cet exposé, tout aussi bien d’épileptique dans le cadre d’un vécu pathologique, que de mystique, en raison de son enracinement dans le sentiment du Tout commun à tous, qui, en tant qu’il y passe un souffle d’adoration, devient, nous l’avons signalé, une préoccupation fondamentalement religieuse. [24] Romano Guardini, l’univers religieux de Dostoïevski, p.94-95. C'est pourquoi certains auteurs ont pu établir quelques caractéristiques de l'état de conscience mystique, à savoir, l'unité intérieure et extérieure profondément ressentie de cet état de conscience, le sens du sacré, la transcendance du temps et de l’espace, ET SURTOUT LES EFFETS POSITIFS PERSISTANTS SUR LE COMPORTEMENT ET LES ATTITUDES DE L'EXISTENCE. Est-il besoin de souligner maintenant qu’ici se trouve résolue la question finalement inutile, du caractère pathologique ou non de l’évènement vécu par Aliocha. D’après ce que nous venons de voir en effet, il nous est possible de dire que, même si le phénomène vécu par Aliocha, résulte d’une dissolution de la conscience liée à un état épileptique, l’important pour fonder l’authenticité de son vécu mystique instantané, est la manière dont ce vécu se donne à voir dans sa propre histoire. A ce sujet le texte cité en début de ce travail ne laisse aucun doute : « une idée s’emparait à jamais de son esprit. Il s’était prosterné faible adolescent et se releva lutteur solide pour le reste de ses jours, il en eut conscience à ce moment de sa crise. Et plus jamais par la suite, Aliocha ne put oublier cet instant. » Et ainsi l’expérience du novice (c’est ce qui pour nous en signe l’authenticité) devient source d’énergie spirituelle versée sur le monde et l’éclairant de l’intérieur : en effet les dernières phrases d’Aliocha qui constituent la fin même du roman sont l’expression des trois aspects essentiels d’une véritable vie chrétienne rejaillissant sur son milieu : la foi : « nous ressusciterons, d’entre les morts »[25], l’espérance qu’exprime le futur, et la charité bien concrète : « et maintenant assez discouru, allons au repas funèbre. Ne vous troublez pas de ce que nous mangerons des crêpes. C’est une vieille tradition, qui a ses bons côtés, dit Aliocha en souriant. Eh bien ! Allons maintenant la main dans la main. -Et toujours ainsi, la main dans la main reprit Kolia avec enthousiasme, et tous les enfants répétèrent son acclamation ». [25] (Les Frères Karamazov Pleiade, p.810) CONCLUSION Le dernier point qu’il nous faut maintenant aborder, est celui de l’accession de Dostoïevski lui-même en tant que créateur d’Aliocha le mystique, à la modalité mystique de construction de sa propre vie. C'est-à-dire qu’il nous faut, à partir de ce que nous venons de dire sur la modalité d’existence mystique, tenter de savoir si malgré sa maladie, c’est la foi de Dostoïevski chrétien orthodoxe, opérant par l’espérance et la charité qui a directement une incidence dans son histoire au moment où nous la considérons, quand elle est presque achevée : en effet, nous l’avons dit au début de cet exposé, Dostoïevski est mort quelques mois seulement après la parution des Frères Karamazov, son dernier roman. Peut-t-on dire de Dostoïevski qu’à la fin de sa vie il a la foi ? Il répète à cette époque (car il l’a déjà exprimé) : « si on me démontrait mathématiquement que la vérité est hors du Christ, je choisirais de rester avec le Christ plutôt qu’avec la vérité ». C’est la définition même de la foi toute pure : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Cependant en s’exprimant ainsi Dostoïevski montre clairement qu’il ne sait pas après tout si le Christ est ou non la vérité. Mais ce doute n’est-ce pas justement le signe du décalage entre la foi et l’inauguration d’une vie mystique fondée sur le maintien du désir de la foi qui permet l’espérance, fidélité de la foi au Christ dans le temps ? Car il ne faut pas oublier l’état extraordinaire par où est passé Dostoïevski, comme Aliocha, à la veille d’une crise convulsive, où il a vécu d’une manière actuelle le sentiment intime de l’existence de Dieu. « Ce n’est pas en enfant que je confesse le Christ. Mon hosanna est passé par un creuset de doute. »[26]. Ce creuset de doute en effet, c’est la souffrance du décalage entre le vécu immédiatement englobé dans le temps, c'est-à-dire devenant passé ne coïncidant plus exactement avec le nouveau vécu, donc ne pouvant plus se manifester que par le désir. Et ainsi c’est de ce désir en référence à un instant de foi que naît la fidélité de Dostoïevski au Christ le sommet, l’idéal, le modèle éternellement indépassable de la perfection humaine. En effet, son humilité naturelle le disposait à la soumission malgré la souffrance et cette soumission a su abolir en lui l’orgueil. [26] (Pierre Pascal, Dostoïevski, l’homme et l’œuvre, p.361) Quelle différence avec la découverte de l’Evangile par Nietzsche qui devient, lui, jaloux du Christ. En écrivant son Zarathoustra, Nietzsche reste tourmenté par le désir intellectuel de s’opposer à l’Evangile. A propos de la doctrine du surhomme, partant du même problème, Nietzsche et Dostoïevski proposent des solutions différentes : pour le premier qui parle du second en ces termes : « il est le seul psychologue de qui j’ai appris quelque chose », il voit dans l’affirmation de soi le but de la vie. Dostoïevski propose, lui, l’humilité et le pardon dans l’Amour de charité parce qu’il a été jusqu’au bout de sa découverte : la nature de l’homme étant corrélative de la nature de Dieu, si Dieu n’existe pas, non pas tout est permis, mais l’homme n’existe pas non plus.» Car c’est par le renoncement à soi-même, qu’il obtient la félicité du détachement puisque, de l’avis même de ses contemporains, Dostoïevski ne s’est jamais cherché. Il s’est éperdument donné dans son œuvre et à cette époque de sa vie dans son Amour pour Anna Grigorievna son épouse. Et l’on peut dire que nul ne sut mieux que Dostoïevski mettre en pratique cet enseignement de l’Evangile : qui veut sauver sa vie, la perdra, mais celui qui donne sa vie, celui-là la rendra vraiment vivante. Cependant, s’il nous apparaît nettement que Dostoïevski est un chrétien dans sa vénération du Christ, dans sa conception de l’homme, dans sa morale personnelle, il est pourtant moins sûr qu’il le soit dans sa métaphysique : nous ne pouvons pas ne pas remarquer en effet avec quelle ténacité il se refuse à appeler le Christ Fils de Dieu et Dieu lui-même. Mais pour nous, c’est justement cette appropriation du Christ dont il se fait le témoin, qui, en dépit de ses approximations dogmatiques, le rendent si proche de nous malgré la maladie, et par là plus crédible quand il affirme : « si vous croyez ou si vous désirez beaucoup croire, LIVREZ-VOUS AU CHRIST TOTALEMENT. »[27] D’ailleurs lui-même croit en l’existence, chez l’homme, d’une âme immortelle sans cela prendrait-il congé de nous par cette parole finale des Karamazov dite avec la simplicité des enfants du Royaume : « certes nous ressusciterons, nous nous reverrons tous et nous nous raconterons joyeusement tout ce qui s’est passé. [27] (idem)