Bulletin CHS n°33-34 2010-2011 - Université Paris 1 Panthéon

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Bulletin CHS n°33-34 2010-2011 - Université Paris 1 Panthéon
Université Paris 1 • Panthéon-Sorbonne
Centre national de la recherche scientifique
Bulletin n os 33-34
2010-2011
Centre d’histoire sociale du
xx e
siècle
9, rue Malher • 75181 Paris cedex 04 • tél.: 01 44 78 33 84
e. mail : [email protected] • http://CHS.univ-paris1.fr
Directeur de publication : Michel Pigenet
Secrétariat de rédaction et fabrication : Sylvie Le Dantec
© chs du xxe siècle umr 8058 • université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • 4e trimestre 2011
éditorial
Une nouvelle étape
Ce Bulletin inaugure, après une malencontreuse interruption de deux ans,
la nouvelle série de la publication annuelle du Centre d’histoire sociale du
xxe siècle. Avec lui, et après 32 numéros sous support papier, nous allons franchir le pas de l’édition électronique. En attendant sa mise en œuvre effective,
nous proposons une solution médiane, ie une version PDF du bulletin. Il donnera les bilans des années 2010 et 2011 et préfigurera le contenu de la version
électronique.
Là n’est pas, toutefois, le seul changement opéré. Compte tenu des ressources offertes par notre site web (http://CHS.univ-paris1.fr), lui-même en
évolution, nous avons choisi d’y reporter une partie des informations autrefois
données par le Bulletin afin d’ouvrir davantage ce dernier à des articles plus étoffés, consacrés aux premiers bilans des journées d’études et colloques intervenus
depuis la dernière livraison, à l’exposé des problématiques et des programmes
de recherches en cours, à la publication de résumés des HDR, thèses et des
meilleurs mémoires de M2 soutenus dans notre centre. Une plus grande place
est dévolue, par ailleurs, aux relations internationales du CHS, anciennes avec
nos partenaires européens, en voie d’élargissement, dorénavant, vers l’Afrique
et l’Amérique du Sud. Les contacts établis avec divers partenaires extérieurs et
les compétences de Sylvie Le Dantec autorisent, maintenant, la réalisation de
Suppléments au Bulletin, en clair la publication électronique de travaux qui, après
examen par un comité de lecture, pourront trouver un lectorat plus large que
celui habituellement réservé à la littérature grise.
Ces mutations participent de la volonté explicite d’accroître la visibilité
des recherches menées au sein du Centre, à laquelle concourt désormais le
partenariat développé récemment avec Médiapart. En un an, nous avons pu
diffuser par ce canal le contenu intégral de huit entretiens et tables rondes de
chercheurs invités à fournir, sur des questions d’actualité, un éclairage historien ou sociologique. Ces innovations, modalités de la propagation des savoirs,
accompagnent les indispensables échanges et confrontations scientifiques.
Elles prolongent en les amplifiant les relations entretenues avec les autres institutions de la recherche comme celles maintenues avec les acteurs sociaux.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Au lecteur d’évaluer la portée des recherches et des initiatives scientifiques
présentées. S’il est trop tôt pour les confronter aux orientations et thèmes du
projet quadriennal qui s’achèvera à la fin de 2013, nous savons que leur réalisation sera l’affaire de tous. Telle était l’une des conclusions tirées de la journée
de réflexion tenue le 21 juin 2010, à Bourg-la-Reine, sous le regard critique,
mais amical, de Philippe Boutry et de Patrick Fridenson.
Pour la part qui lui revient, l’équipe directoriale formée avec Philippe Rygiel, en place depuis janvier 2010, a clairement misé, dans cette perspective,
sur la transversalité et la collégialité. La première entend faire en sorte que la
vitalité de chaque pôle se nourrisse du dynamisme des trois autres au moyen
d’échanges et de programmes partagés. Plusieurs journées d’études et colloques, le séminaire commun des doctorants, celui des chercheurs du laboratoire expérimenté avec succès en 2010-2011 donnent à penser que le cap sera
tenu. La collégialité concerne plus particulièrement le conseil de laboratoire.
Elle repose, notamment, sur des réunions plus fréquentes – quasi mensuelles
– et l’attribution à chaque membre de responsabilités précises. Il y va de notre
capacité à gérer le présent au plus près des attentes des individus, équipes et
pôles du CHS, de maîtriser au mieux, aussi, notre avenir proche ou plus lointain. En prévision des périmètres à redéfinir et des recompositions souhaitables
du point de vue des problématiques que nous voulons privilégier, le laboratoire est résolu à approfondir sa politique de coopération et de rapprochement
avec certains de ses homologues de Paris 1 et du PRES HESAM en relation
avec la création du Campus Condorcet. Ce qu’illustrent, parmi d’autres, le
programme sur « les services publics à l’épreuve de l’égalité et des marchés »
conduit avec l’IDHE, l’atelier d’histoire du contemporain initié en collaboration avec l’IHTP, ou le séminaire commun de recherche CEMAf-CHS sur les
mouvements sociaux en Afrique.
Bien des choses, cependant, nous échappent. À commencer par nos conditions d’hébergement (4,58 m² de bureau par membre permanent du Centre)
et nos dotations financières, en baisse constante (- 30 % depuis 2008) du côté
du CNRS. La qualité des contacts noués et l’écoute dont nous bénéficions
auprès de nos interlocuteurs du CNRS et de Paris 1, nos deux tutelles, ne sont
pas en cause quand les choix budgétaires et scientifiques des pouvoirs publics
procèdent surtout, à l’égard des laboratoires SHS, de la RGPP. Dans un tel
contexte, nous nous félicitons que le CHS soit associé à l’Equipex Matrice
que dirige l’un de nos collègues, Denis Peschanski. Les résultats ont été plus
décevants, en revanche, pour les projets de Labex que nous avions contribué à monter dans l’urgence d’échéances inadéquates. Nous savons gré au
rapport d’activité
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CNRS d’avoir pris la mesure de la perte provoquée par la disparition aussi
soudaine que douloureuse de Françoise Tétard, qui a tant contribué à l’essor
des recherches sur l’éducation populaire. Le détachement de Jeanne Menjoulet nommée en qualité d’ingénieur d’études vient heureusement renforcer nos
activités de documentation et de valorisation. Il faut cependant s’inquiéter de
l’absence d’affectation de chargés de recherches et de directeurs de recherches,
et, plus encore, du non-remplacement de collègues partis ou près de partir à
la retraite. Outre la déstabilisation probable de thèmes parmi les plus forts du
Centre, un risque pèse, désormais, sur le maintien de la mixité institutionnelle
de notre unité.
Au chapitre des mouvements heureux de personnels, signalons l’arrivée,
en septembre 2010, de Julie Verlaine et de Charlotte Vorms (cf. p. 000-000).
Élues sur des postes de maîtres de conférences, elles ont su, très vite, s’intégrer
à nos équipes. Nous avons également accueilli, à la rentrée 2010, Lucie Cognet, plus particulièrement en charge, pour le CHS, du secrétariat du Master
recherche Histoire des sociétés occidentales contemporaines, cependant que
Christelle Frappier nous rejoignait dans le cadre d’un contrat post-doctoral et
que Paul Boulland obtenait du CNRS un CDD longue durée.
Par sa bibliothèque et ses fonds d’archives, le CHS figure au nombre des
centres de documentation de premier ordre en histoire sociale. Rossana Vaccaro a joué un rôle essentiel dans la prise en compte des besoins des laboratoires par les responsables du Grand Équipement Documentaire du futur
Campus Condorcet. Les fonctions exercées par Françoise Blum dans la coordination de la partie française du programme européen Hope confirment,
après d’autres coopérations, nos acquis collectifs dans la gestion des archives
numériques ou la conception de portails d’accès aux sources documentaires
de l’histoire sociale.
Changement ? Continuité ? Les deux ensembles, sans doute, mais l’on
comprendra que ce premier éditorial de notre nouveau support privilégie le
premier terme au moment de conclure.
Michel Pigenet
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Le 17 septembre 2011, une journée a été dédiée à notre collègue Françoise Tétard.
Son ami Mathias Gardet a écrit ce beau texte.
Françoise TéTard était une femme d’archives… Tous ceux qui sont allés
chez elle au 29 rue Gabrielle et ont monté les deux étages de son escalier en
gardent un souvenir vertigineux et impérissable ; une atmosphère qu’elle décrit
elle-même avec humour par le biais d’une citation d’un livre que je lui avais
offert, sans avoir gardé en mémoire ce passage, il s’agit d’un texte de Philippe
Beaussant, intitulé Le Biographe, qui raconte le métier d’historien :
… L’histoire est ma vie. Je n’ai pas d’autre vie, je vis d’elle chaque jour, depuis toujours. J’ai amoncelé jour après jour ce rempart autour de moi de fiches, de notes,
les voici à ma droite. Devant moi, derrière moi, jusqu’au plafond, livres, documents,
photocopies, archives… Mon œuvre. Ce mur d’écriture. Ce rempart, cette citadelle
de papier. Un aquarium rempli d’ombres où les choses glissent sans se heurter. De
loin en loin, à la lumière de mes lampes, naît un objet dans le silence. Rien ne peut
couvrir la voix de l’ombre et celle de la grande horloge paysanne là-bas, qui bat son
temps…
C’est en ayant été chargé après sa mort et selon ses dernières volontés de
sauvegarder sa propre citadelle de papier que je suis tombé sur une dizaine de
cahiers d’où est tirée cette citation, qui pourrait ressembler au premier abord
à un journal intime : des notes éparses parfois très personnelles qui s’étalent
sur plus de dix ans de 1998 à 2010, renvoyant justement au malaise de l’historien parfois à la frontière du voyeur qu’évoque avec brio l’ouvrage de Philippe
Beaussant. Ce serait sans compter sur le rapport très particulier qu’entretenait
Françoise Tétard avec les traces et la postérité. Très souvent, elle évoquait avec
l’un d’entre nous ce qu’elle aimerait écrire plus tard quand elle aurait le temps,
quand elle serait vieille, sur ses méthodes, sur sa façon de faire l’histoire, sur la
manière d’appréhender les témoins, de traquer l’événement dans l’actualité
et, malgré l’apparence hâtive et brouillonne de ces notes jetées sur le papier
dans cette dizaine de cahiers, ces écrits apparaissent très vite, quand on les
lit – comme je l’ai fait attentivement cet été – comme un premier canevas,
puis bien comme une ébauche de testament construit et destiné à des lecteurs
qu’elle imagine explicitement en train de consulter un jour ses carnets, même
si le ton reste léger et sans prétention. Malgré sa difficulté à se confier dans la
vie de tous les jours comme elle le note dans ses cahiers après avoir reçu les
confidences d’une amie : « Lui parler de moi ? Non, une autre fois. C’est elle
qui parle. Je reste dans la discrétion de moi-même », Françoise Tétard dans ses
écrits a posteriori nous fait ainsi pénétrer dans son intimité tout en ménageant la
nôtre, dans un équilibre parfois sur le fil du rasoir. Chacune des petites notes de
Françoise est ainsi soigneusement datée et les sources qui sont à chaque fois les
rapport d’activité
déclencheurs de ses réflexions
sont très précisément citées.
Le fil conducteur de ces brèves
observations annotées dans ces
cahiers est en effet presque toujours le même et illustre parfaitement une de ses marottes
dont elle avait fini par faire un
de ses principes d’historienne.
Elle part d’une phrase entendue à la radio – sa préférence va
nettement à France Inter – ou à
la télévision – là elle zappe visiblement sur toutes les chaînes
la 1, A2, FR3, Arte – ou encore
lue dans un livre, pour s’interroger sur la fabrique de l’événement, puis par ricochet pour
rebondir sur ses choix et le métier d’historien et alimenter par
confrontation avec l’actualité
les sujets historiques qui plus
particulièrement l’intéressent.
J’ai rangé ma sélection de morceaux choisis de ses notes dans
plusieurs thèmes qui me semblent illustrer ses préoccupations, celles en tout cas qu’elle
faisait partager :
La fabrique de l’événement,
l’exemple choisi est un clin
d’œil à l’actualité brûlante dont elle était si friande :
Lundi 17 septembre 2001 :
[à propos des attentats à New York]
Georges W. Bush, nouvelle déclaration : « Croisade », « première guerre du xxie siècle »,
« afin que nos enfants et nos petits-enfants puissent vivre en paix », « mort ou vif », « il est
recherché ». C’est le western en plein.
L’historien a-t-il une acuité particulière face aux infos qui défilent ? Peut-être, en tout cas, il
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analyse rapidement la construction du discours, la mise en scène improvisée. C’est son métier.
L’historien, c’est comme s’il avait déjà vu les guerres qu’il a étudiées, même s’il ne les a pas
vécues. Il a une intimité, une proximité au « sentiment » de guerre. Parce qu’il a rencontré des
gens qui lui ont raconté, parce qu’il a lu des archives…
La délinquance depuis 5 jours a baissé de 30 % à New York. L’insécurité mondiale apporte
donc de la sécurité urbaine ?
Les invariants de l’histoire, une notion qui lui donnait particulièrement le tournis dans ses recherches sur la délinquance juvénile et provoquait une certaine
lassitude tout en exerçant sur elle une certaine fascination
Samedi 12 janvier 2002 :
Vu à la télé à 13 h 30, « L’hebdo du médiateur » :
Dans le reportage sur les voitures brûlées, reportage annuel où se décompte le nombre de
voitures brûlées à Strasbourg à Noël, chacun se défend (y compris le journaliste) de « jouer
le jeu ». Terme de « quartier sensible »
Je passe sur la 1, reportage sur les flics (policiers) en dépression. La formation de jeunes
policiers est filmée : contact avec un psychologue, jeu de rôle, yoga pour se déstresser.
Le prof : « Chacun est sensible. Moi-même je suis un être sensible. Il faut rester sensible, c’est
important ».
Des flics « sensibles » dans des quartiers « sensibles ». Alors tout va bien ! ?
La traque des nouvelles expressions, à l’inverse des invariants elle le faisait avec
humour et gourmandise
21 août 1999 :
Ce que nous a apporté l’éclipse : un nouveau concept : « la bande de totalité ». C’est une idée
extra !
Ce que nous a apporté le poulet belge à la dioxine ? La nouvelle idée et un nouveau mot :
« la traçabilité ».
Les mécanismes du récit et de la mémoire : tout en n’étant pas une adepte de
l’histoire orale, elle s’interrogeait constamment sur leur fonctionnement, leur
mise en bouche
4 juin 2000 :
Sur France Inter, 12h-13h, invitée Ariane Mnouchkine qui dit à propos d’un séjour en
Angleterre où elle a rencontré Ken Loach : « Je m’en souviens… comme si c’était la semaine
dernière ! »
Ma réflexion sur la mémoire, comment elle fonctionne : des zones de flashs très limpides où
tout se joue, où tout se croise. Alors on se souvient de tout, et toujours on y revient. On pourrait
appeler cela « des nœuds » de mémoires. Comme une boule de fil où les fils s’emmêlent et,
quand on les tire, tout se dénoue.
rapport d’activité
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Histoire de soi : plus qu’une ego-histoire, son histoire ne l’intéressait que comme
une interprétation de son choix de devenir historienne
1er octobre 2001 :
[Réflexion personnelle]
Quand j’étais petite, je n’aimais pas la Vache qui rit, parce qu’une « vache qui rit » ça n’existe
pas. J’aimais la « vache sérieuse », parce qu’une vache, c’est toujours sérieux. J’aimais l’idée
de la réalité… De la même façon, je pleurais à l’opéra quand, après la tombée du rideau, les
acteurs, morts dans le livret, se relevaient. Ça me mettait hors de moi.
Est-ce pour cela que j’ai fait de l’histoire ? Mais l’histoire n’est pas la réalité, c’est des interprétations du passé, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Début 2009
Un essai que je pourrais un jour écrire
Le temps de l’historienne : « Je suis historienne et j’aime ça. Je suis en lutte avec
le temps. Le temps de quand je suis en retard. Le temps de vivre et de ne pas vivre. Le temps
chronologique que j’étudie. Le temps non chronologique de ma propre vie. »
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Master 2 soutenus en 2010 dans le cadre du CHS
Bouaaoui Maryanne, Les neggafat et les moussem : transferts culturels du Maroc en
Ile-de-France des années 1970 aux années 2000, M2 sous la dir. de Patricia Hidiroglou, 2010, 150 p. Cote T 1551 BOU
Bricheux Claire, Quand valeurs républicaines et enseignement féminin font bon ménage :
les Écoles ménagères et agricoles ambulantes, 1905-1941, M2 sous la dir. de Danièle Voldman, 2010, 141 p., Cote T 1532 BRI
delong Marie-Paule, Festivals de théâtre et patrimoines au second xxe siècle : Sarlat,
Blaye, Gavarnie, M2 sous la dir. de Pascale Goetschel, 2010, 238 p., Cote T
1515 DEL
devaine Louise, Le Théâtre 71 ou les paradoxes d’un théâtre de banlieue rouge, M2 sous
la dir. de Pascale Goetschel et Pascal Ory, 2010, 297 p., Cote T 1556 DEV
gauin Maxime, Défendre la République, promouvoir les intérêts agricoles : les dirigeants
de la Société nationale d’encouragement à l’agriculture : de 1880 à 1914, M2 sous la
dir. de Michel Pigenet, 2010, 146 p., Cote T 1572 GAU
halimi Lily, L’évolution de la caricature antisémite dans la presse d’extrême droite en
France, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2010, 159 p., Cote T 1590 HAL
Joanny Matthieu, Le quartier des Pyramides de la ville nouvelle d’Évry, 1965-2009 : du
concours d’Évry I à la zone urbaine sensible des Pyramides : itinéraire d’un quartier, M2
sous la dir. d’Annie Fourcaut, 2010, 134 p., Cote T 1531 JOA
Krause Pierre, La réception de Leonard Cohen en France de 1968 à 2009 : du malentendu politique à la consécration « spirituelle », M2 sous la dir. de Pascale Goetschel
et Pascal Ory, 2010, 261 p., Cote T 1513 KRA
lacroix Joséphine, Du pinceau au logo : le mécénat d’entreprise au Château de Versailles : 1988-2008, M2 sous la dir. de Pascale Goetschel, 2010, 195 p., Cote
T 1557 LAC
massouline Élodie, « Retour à Lilliput » : le jouet français : un périodique professionnel
(1930-1965), M2 sous la dir. de Pascale Goetschel, 2010, 437 p., Cote T
1530 MAS
mioT Claire, L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?, M2 sous la dir. d’Olivier Wieviorka, 2010, Cote T 1568 MIO
rioThon-PanneTraT Lucie, Les ACI : auteurs, compositeurs et interprètes de la chanson rive gauche à travers l’Écluse, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2010, 258 p.,
Cote T 1535 RIO
sainT-Pierre Gaëlle, Représentations du Moyen âge dans la bande dessinée francophone
de 1970 à 2006 : contribution à l’analyse d’une fiction historique, M2 sous la dir. de
Pascal Ory, 2010, 158 p., Cote T 1524 SAI
siassia Amarillys, La Maison du prisonnier de la Seine entre aide et surveillance (19411944), M2 sous la dir. de Danièle Voldman, 2010, Cote T 1533 SIA
rapport d’activité
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TissoT Nathalie, Bovarysme et prostitution dans les grands ensembles de la région parisienne dans les années 1960 : représentations et réalités, M2 sous la dir. d’Annie
Fourcaut, 2010, 166 p., Cote T 1536 TIS
viguier Alain, Renault Billancourt, 1936-1970 : mythe de la « forteresse ouvrière » et
politique du Parti communiste français, M2 sous la dir. de Michel Dreyfus, 2010,
357 p., Cote T 1537 VIG
violeTTe Louis, Sport et politique : le symbole Abebe Bikila, M2 sous la dir. de Michel Dreyfus, 2010, 100 p., Cote T 1528 VIO
Master 2 soutenus en 2011 dans le cadre du CHS
achache Clara, La diffusion de la musique populaire brésilienne dans les médias audiovisuels français de la fin des années 1950 à la fin des années 2000, sous la dir. de
Pascale Goetschel, 2011, 231 p., cote T 1592 ACH
acherar Dounia, Musique en musée : pour une histoire du musée de la musique de Paris,
M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2011, 221 p., cote T 1581 ACH
andré Philippe, Les ambassadeurs de l’ombre : les délégués militaires régionaux (DMR)
du Général de Gaulle : septembre 1943-septembre 1944, M2 sous la dir. d’Olivier
Wieviorka, 2011, 3 vol., 681 p., cote T 1601/3 AND
anglareT Anne-Sophie, Verdun 1966-2011 : la mémoire de la guerre : acteurs, idéologies, pratiques, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2011, 167 p., cote T 1584 ANG
BeKhaled Zohra, L’action culturelle à Nogent-sur-Marne de 1959 à 1995, M2 sous
la dir. d’Annie Fourcaut, Danièle Voldman et Charlotte Vorms, 2011, 92
p., T 1574 BEK
Bonhoure Jean-François, De l’histoire dans de sombres temps : la production historique
éditée pendant l’occupation : 1940-1944, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 201, 239
p., T 1585 BON
Boulanger Cyril, Les ouvriers agricoles en région parisienne : précarité de l’emploi, précarité du travail (1962-1982), M2 sous la dir. de Michel Pigenet, 2011, 277 p.,
cote T 1573 BOU
BousqueT Alice, La naturalisation et l’intégration des sportifs de haut niveau en France :
étude de l’athlétisme, du badminton, de l’haltérophilie et de la lutte de 1980 à 2010, M2
sous la dir. de Michel Dreyfus, 2011, 173 p., cotation en cours
Burgé Mathias, Mémoire de la décadence, décadence de la mémoire : l’incroyable oubli de
René Bazin, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2011, 417 p., Cote T 1597 BUR
daheur Jawad, Les espaces naturels : enjeux du projet colonial en Pologne sous domination
prussienne (Proznanie et Prusse occidentale) à l’époque impériale (1871-1914), M2
sous la dir. de Pascal Ory, 2011, 123 p., T 1577 DAH
dimneT Antoine, Marcel Livian : un expert socialiste de l’immigration, M2 sous la dir.
de Philippe Rygiel, 2011, 151 p., T 1596 DIM
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
guerin-JolleT Jean-Octave, L’autonomie politique en France : itinéraires de groupes et
d’individus entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990, M2 sous la dir. de
Frank Georgi et Michel Pigenet, 2011, 628 p., T 1609 GUE
guinoTTe Astrid, « À la fin on foutrait sa vie pour rien ». Le suicide des « combattants »
pendant la Première Guerre mondiale : sociologie, réactions, mémoires, M2 sous la dir.
de Pascal Ory, 2011, 97 p., cotation en cours.
leBlanc Charlotte, La conversion du Musée des Monuments français en Musée d’architecture au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine : 1993-2007 : la lente et
complexe formation d’un nouveau genre d’institution culturelle, M2 sous la dir. de
Pascale Goetschel, Pascal Ory et Julie Verlaine, 2011, 249 p., T 1582 LEB
lemaire Caroline, Le projet avorté d’une nécropole unique parisienne sous Haussmann :
Méry-sur-Oise (1853-1887), M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut, 2011, 129 p.,
T 1583 LEM
león y Barella Alicia, Le cinéma américain en France (1926-1936) : domination et
résistances, M2 sous la dir. de Pascal Ory, 2011, 252 p., T 1580 LEO
loPuchovsKy Stepan, Le président Jacques Chirac, politique militaire et l’Afrique :
continuité, évolution, changement ?, M2 sous la dir. d’Olivier Wieviorka, ENS
Cachan/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, 153 p., T 1586 LOP
maisonoBe Simon, Politique (s) en ville nouvelle : Noisy-le-Grand : les élus face à
Marne-la-Vallée (1962-1984), M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut et Danièle
Voldman, 2011, 191 p., T 1602 MAI
moignoux Auriane, De Tigery-Lieusaint à Melun-Senart : les élus locaux dans la
préfiguration de la ville nouvelle : 1965-1973, M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut et
Danièle Voldman, 2011, 166 p., T 1579 MOI
noTard Sarah, La bataille de Champagne : mise en histoire et mémoire, M2 sous la dir.
de Pascal Ory, 2011, 352 p., T 1593 NOT
Piesen Alexandra, L’émergence de la question de la monoparentalité dans la politique
publique française : 1970-1990, M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut et Danièle
Voldman, 2011, 131 p., T 1578 PIE
Pineau Éléonore, Les travailleurs de l’assainissement : des ouvriers municipaux de la ville
de Paris, 1890-1940, M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut, 2011, 133 p., T 1576
PIN
Poisson Michel, L’École internationale d’enseignement infirmier supérieur à Lyon :
1965-1995 : une tentative de construction disciplinaire des soins infirmiers en France ?,
M2 sous la dir. de Michel Pigenet, 2011, 146 p., T 1611 POI
renard Benoit, Le général de Gaulle inaugure les grandes réalisations de la Ve République
(1958-1969), M2 sous la direction d’Olivier Wieviorka, 2011, 137 p., T
1594 REN
roumier Jean-Théophane, À la recherche d’une gauche syndicale libertaire : entre po-
rapport d’activité
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litique et syndical : pratiques, stratégies, discours des militants de l’Union des travailleurs
communistes libertaires (UTCL) de 1974 à 1999, M2 sous la dir. de Michel Pigenet, 2011, 206 p., T 1595 ROU
sangam François, Le monde des supporters de football en France, de la fin des années
1970 à nos jours : une étude des associations de supporters, M2 sous la dir. de Michel
Dreyfus, 2011, 226 p., T 1610 SAN
sanson Olivia, Le conflit du Parisien libéré : un tournant décisif dans la modernisation
des imprimeries de la presse parisienne ? D’un conflit d’entreprise à un enjeu professionnel
majeur : les ouvriers du livre face aux évolutions techniques du début des années 1970 au
début des années 1990, M2 sous la direction de Michel Pigenet, 2011, 276 p.,
T 1587 SAN
ToParT Alexandra, Le Quartier latin dans la guerre d’Algérie (1954-1962), M2 sous
la direction d’Olivier Wieviorka et Raphaëlle Branche, 2011, 158 p., T
1600 TOP
Trescases Céline, Le théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis sous la direction de José
Valverde : 1966-1976 : un militant communiste à la tête d’un théâtre populaire de la
banlieue rouge, M2 sous la direction de Pascale Goetschel et Pascal Ory, 2011,
243 p., T 1588 TRE
WyBail Vincent, Prendre la parole ! Le rôle de la contestation dans la rénovation du « secteur Italie », années 1960-1970, M2 sous la dir. d’Annie Fourcaut et Danièle
Voldman, 2011, 100 p., T 1589 WYB
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
séminaire des doctorants du CHS année 2011-2012
Lieu : CHS du xxe siècle, bibliothèque Maitron, de 18 à 20 heures
La première séance du séminaire débutera le mercredi 16 novembre 2011
sur une idée originale de Danièle Voldman « Si j’avais su ».
Il s’agira d’évoquer ensemble les différentes erreurs commises par les uns et
les autres au cours de leurs recherches, afin de donner quelques conseils utiles
aux nouveaux doctorants.
Les dates retenues pour l’année sont :
14 décembre 2011 : Rédiger sa bibliographie
18 janvier 2012 : Participer à un colloque
15 février : Rédiger son argumentaire de thèse
21 mars : La rédaction de la thèse
18 avril : La soutenance et la composition du jury
23 mai : Travaux des doctorants
27 juin : Travaux des doctorants (suite)
portail web
Les doctorants disposent chacun d’une page web sur le site du CHS –
http://histoire-sociale.univ-paris1 – pour présenter leur sujet de recherche,
leurs travaux et leurs publications, afin d’obtenir une visibilité dans leur champ
de recherche et de pouvoir être contactés facilement. Si vous ne disposez pas
encore de votre page, contacter Françoise Blum – [email protected] – qui
vous indiquera la procédure.
association des doctorants Cliopéa
Pour plus d’informations : http://cliopea.univ-paris1.fr/
C’est une association qui se veut un espace de sociabilité et de solidarité
entre les doctorants. Cette année, un nouveau conseil d’administration a été
élu. Cliopédia organisera de multiples événements, conférences pour vous et
de vous, etc. N’hésitez pas à rejoindre l’association (10 € la cotisation annuelle),
à participer aux projets en cours, ou à en lancer de nouveaux. Inscrivez-vous
également à la liste de diffusion !
rapport d’activité
15
pôle 1 • l’État en action
Journée d’études : samedi 27 juin 2009 • bilan
Les archives de Me de Félice : témoignages
d’un engagement au service des droits de l’homme
par Sylvie Thénault
Animé par le souci de rendre ses dossiers accessibles au plus grand nombre,
l’avocat Jean-Jacques de Félice a décidé en 2001 de faire don de ses archives à
la BDIC. Il était convenu que l’achèvement de leur classement donnerait lieu
à une manifestation rendant publique leur existence et témoignant de leurs
richesses pour l’écriture de l’histoire : histoire de l’usage du droit au service
d’engagements politiques, histoire des avocats, de la défense, de la cause des
droits de l’homme, des nationalismes coloniaux ou régionaux, des mouvements
révolutionnaires européens. Jean-Jacques de Félice disparu, nous avons souhaité mener à bien ce projet au cours d’une journée réunissant chercheurs et
témoins, organisée par Bassirou Barry (BDIC), Liora Israël (EHESS) et Sylvie
Thénault (CHS).
Ouverte par Geneviève DreyfusArmand, directrice de la BDIC, la
journée a débuté par une présentation
générale du fonds par Bassirou Barry,
puis elle s’est déroulée en deux temps.
Le premier, « Violence, non-violence… un seul impératif : défendre »,
a été consacré à la conception humaniste que Jean-Jacques de Félice
avait de l’exercice de sa profession :
alors même qu’il se reconnaissait dans
l’éthique de la non-violence, il assista
des hommes et des femmes dont l’action emprunta des voies violentes. Pour
lui, personne n’était indéfendable.
Cette question a été abordée à travers
son engagement dans la défense des
autonomistes bretons, présenté par
Vincent Porhel (maître de conférences,
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
université Lyon 1 IUFM) ainsi que dans celle de l’avocat Klaus Croissant, étudiée par Dominique Linhardt (chargé de recherche, ENSMP) et Liora Israël
(maître de conférence, EHESS). Maria Malatesta (professeur, université de Bologne) a livré un contrepoint particulièrement éclairant : celui de la défense des
révolutionnaires italiens. La discussion a rehaussé la place de la guerre d’Algérie comme moment fondateur de ce type d’engagement dans la biographie de
Jean-Jacques de Félice.
La seconde partie, intitulée « Le droit : un “chiffon de papier ?” », a porté
sur son rapport au droit : « chiffon de papier », comme il se plaisait à le dire,
conception au nom de laquelle il se montra critique à l’égard de pratiques
militantes qu’il estimait trop empreintes de juridisme – c’est ainsi qu’il s’éloigna du GISTI et s’engagea pleinement à la LDH, dont il fut vice-président
de 1983 à 1996, engagement évoqué par Michel Tubiana (avocat, président
d’honneur de la LDH). Cette réticence à l’égard d’un engagement par trop
juridique ne l’empêcha pas, toutefois, de puiser dans les ressources du droit
et de la technique juridique, au profit de causes qui lui tenaient à cœur et qui
prenaient la raison d’État pour cible. Ce fut le cas, entre autres, dans le cadre
du collectif des avocats de la Fédération de France du FLN, exposé par Linda
Amiri (doctorante, FNSP) ainsi que dans la défense des objecteurs, présentée
par Michel Auvray (historien, CAES/CNRS). Son attachement à un idéal de
non-violence, enfin, justifiait la présentation de ce courant, à travers le cas de
l’ACNV (Action civique non-violente), par Tramor Quemeneur (docteur en
histoire, IHTP)
Entre ces sessions a été projeté un montage d’interviews de Jean-Jacques de
Félice, réalisé par Rosa Olmos (BDIC) à partir des entretiens filmés conservés
à la BDIC. Avec la conclusion de Danièle Lochak, cette projection rendait
hommage à Jean-Jacques de Félice.
Journée d’études : vendredi 16 octobre 2009 • bilan
L’éducation spécialisée en Algérie et au Maroc, avant et après
les indépendances (1950-1965)
par Sylvie Thénault
Organisée sous l’égide du CNAHES (Conservatoire national des archives et
de l’histoire de l’éducation spécialisée), en partenariat avec l’université Paris 8
et le CHS, cette journée portait sur les institutions pour jeunes en difficulté et
leur personnel, mises en place au Maroc et en Algérie après la Seconde Guerre
mondiale et qui perdurèrent après l’indépendance de ces colonies françaises.
Trois questions majeures ont sous-tendu la journée :
rapport d’activité
17
• celle, d’abord, de la spécificité de l’éducation spécialisée en contexte colonial, en comparaison avec la métropole. Cette spécificité peut concerner les
structures, comme Françoise Tétard l’a démontré, mais aussi le milieu professionnel, dans sa composition et son organisation, telles que Samuel Boussion
l’a présenté ;
• celle, ensuite, des transferts de représentations, de conceptions et de pratiques qu’opèrent les agents de l’administration par leur circulation, au cours
de leur carrière, entre différents territoires. Mokrane Sifi nous a cependant mis
en garde contre la tentation d’en faire une explication facile en démontrant que
les psychologues observant les enfants à Savigny-sur-Orge et analysant leurs
comportements sans finesse, avec des stéréotypes raciaux, ne venaient pas des
colonies. Ils avaient bien acquis ces stéréotypes en métropole uniquement.
• celle, enfin, des continuités entre la période de colonisation française et
celle de l’indépendance, qu’ont illustrée les témoignages livrés au cours des
deux tables rondes de l’après-midi. Des agents exerçant au Maroc et en Algérie,
en effet, sont restés en poste après l’indépendance, avec des responsabilités dans
la formation des personnels ou dans la création, l’organisation des structures
d’éducation spécialisée. Ces agents pouvaient être de nationalité française, restant au titre de la coopération ou par motivation personnelle mais il pouvait
aussi s’agir d’agents titulaires de la nationalité du pays devenu indépendant
ou d’une double nationalité. Les continuités entre la période coloniale et la
période post-coloniale, en outre, ont pu aussi concerner la métropole : Roger
Bello a raconté qu’il avait mis en pratique en France des principes acquis au
cours de son expérience en Algérie.
Cette histoire de l’administration de l’éducation spécialisée présente aussi
toutes les caractéristiques d’une administration et des législations coloniales,
marquées par une grande complexité. Cette complexité est au premier chef,
pour les historiens, celle des archives, décrites par Louis Faivre d’Arcier. En
effet, les archives de l’Algérie sont éparpillées entre différents centres en France
(mission des Archives du ministère de la Justice, Centre des archives contemporaines de Fontainebleau, Archives nationales d’outre mer à Aix-en-Provence)
mais surtout, des archives sont restées sur place. Car, au moment de l’indépendance, les rapatriements des dossiers des administrations françaises ont été
opérés suivant des possibilités logistiques (main-d’œuvre et transport) parfois
réduites. Cette complexité est aussi celle de la loi : il était difficile de savoir
quels étaient les textes applicables en Algérie, les agents de l’administration
eux-mêmes ne le sachant pas, comme cela a été évoqué par Éric Pierre.
Enfin, la guerre d’indépendance de l’Algérie a fait l’objet d’un traitement
très différencié au cours de la journée. Relativement absente le matin, dans
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
les interventions fondées sur les archives publiques, elle a été extrêmement
présente dans les témoignages de l’après-midi. Ceux-ci ont notamment décrit
l’empathie pour les populations locales, le soutien à la cause indépendantiste
ou au contraire la façon dont cette question divisait les personnels, la fracture
entre ceux qui acceptaient et ceux qui refusaient de participer aux initiatives
des militaires en matière répressive ou en matière d’action sociale, la complexité des identités nées de la situation coloniale qui, tout en produisant de la ségrégation et de la discrimination, créait aussi des contacts et des échanges.
Cette journée a montré l’existence d’un véritable champ de recherche nouveau, qui pourrait éventuellement faire l’objet d’une thèse.
Colloque international : 11-13 mai 2009 • bilan
Les viols en temps de guerre : une histoire à écrire
par Raphaëlle Branche
Le colloque « Les Viols en temps de guerre : une histoire à écrire » a permis
de réunir des historiens et historiennes de la période contemporaine travaillant
sur les viols commis en temps de guerre. Les autres disciplines étaient aussi
présentes (anthropologie, sociologie, droit, sciences politique) et la table ronde
initiale a également permis de dialoguer plus largement sur la question de la
relation du chercheur ou de la chercheuse à cet objet, en faisant appel à une
historienne de l’époque moderne, à un praticien de l’humanitaire ou encore
à une présidente d’association de femmes victimes. L’essentiel de ce colloque
international, qui s’est tenu en anglais et en français avec traduction simultanée, était de réfléchir aux multiples liens unissant guerre et viol et d’éclairer le
plus finement possible les dynamiques à l’œuvre dans la perpétration de cette
violence spécifique dont les femmes constituent la majorité des victimes et les
hommes le plus grand nombre des auteurs.
Au sein de ces dynamiques, le colloque a permis d’identifier l’importance
des discours et plus largement des imaginaires que ce soit avant, pendant ou
après les viols. À ce titre aussi, il est apparu essentiel d’articuler une réflexion
sur les violences avec les définitions existant du viol dans les différentes sociétés
mais aussi dans les codes militaires et disciplinaires, avant même de considérer
la plus récente législation internationale. L’analyse de ces violences est aussi une
voie d’entrée pour l’étude des relations sociales de sexe pendant les guerres : elle
permet d’interroger la porosité des situations de paix et de guerre tout autant
que la nature de la spécificité du contexte de guerre. Élément essentiel de cette
appréciation : le statut social des différents protagonistes après les viols, et, en
particulier, le devenir des enfants.
Premier colloque d’histoire sur ce sujet à l’actualité trop vive, cette ren-
rapport d’activité
19
contre a réuni un public divers dont la
participation ne s’est pas atténuée au fil
des trois jours. Sa vocation exploratoire
s’est confirmée tout autant que la nécessité d’une approche comparative des violences en temps de guerre. Sur ce point,
des éléments ont pu être identifiés : les
temps de la guerre, en particulier, doivent
être distingués pour bien analyser ce qui
se joue dans les violences (temps de l’invasion, temps de l’occupation, temps de
la retraite). De même les lieux semblent
charrier des logiques qu’il faudra approfondir : la détention est apparue comme
un cadre nettement propice au développement des viols et des viols d’hommes
en particulier. Autre élément notable :
cette violence ne connaît pas de limites
d’âge. En outre, si les viols d’hommes restent très minoritaires, ils sont néanmoins une pratique réelle et dont les instruments d’analyse doivent être affinés, ce qui permettra plus largement d’approfondir notre connaissance des modalités et des enjeux de cette violence.
Ce colloque a été enregistré à l’Institut historique allemand qui l’accueillit
généreusement. Une partie des communications devrait être publiée en français en 2011.
Un ouvrage sous la direction de Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili,
Isabelle Delpla, John Horne, Pieter Lagrou et Daniel Palmieri est sorti en novembre 2011 chez Payot, (cf. infra, rubrique publications).
Atelier : 22 juin 2011
On Colonial Violence
par Raphaëlle Branche
S’est tenu un atelier fermé réunissant une douzaine de spécialistes du
monde colonial afin de discuter les usages par les historiens de la notion de violence coloniale. L’atelier s’est organisé autour de trois thèmes (droit et violence ;
guerre de contre-insurrection ; police et contrôle du travail) appuyés chacun sur
le texte d’un des participants. L’atelier s’est tenu en anglais afin de mettre en
contact les historiographies allemande, britannique et française.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Journée d’études : Amsterdam, 14 octobre 2011
La guerre d’Algérie et l’Europe occidentale/The Algerian War and
Western Europe
Co-organisée par l’université d’Amsterdam, le Centre d’histoire sociale du xxe siècle
et l’Institut universitaire de France.
Sont intervenus Raphaëlle Branche (CHS), Inga Brandell (sur la Suède),
Mathilde von Bülow (sur la RFA), Jean-René Genty (sur la Belgique), Fabian
Klose (sur la Grande-Bretagne), Stéphane Mourlane (sur l’Italie), Poul Noer
(sur le Danemark) et Niek Pas (sur Pays-Bas).
Cette journée d’études a été conçue comme le point de départ d’un groupe
de recherche international intéressé par les dimensions transnationales de la
guerre d’Algérie. Elle a montré d’indéniables convergences entre les objets
traités et des points de comparaison intéressants à creuser de manière transnationale. Il a donc été décidé de prolonger la discussion collective, en l’ouvrant
éventuellement, et dans un premier temps, seulement à l’Europe de l’Est.
Colloque international : Paris, 7-9 mars 2012
Espaces perdus – Sujets dérangeants – Mémoires disputées. La nation
et ses “rapatriés” en France après 1962 et l’Allemagne après 1945
Co-organisé par Manuel Borutta (université de Bochum) et Jan C. Jansen (université de
Konstanz), en collaboration avec le CHS, l’Institut historique allemand, et l’IUF.
Lieu : Institut historique allemand de Paris, 8, rue du Parc Royal, 75003 Paris
par Raphaëlle Branche
Ce colloque est né de l’envie de comparer deux situations historiques et
deux historiographies qui s’ignorent le plus souvent. Dans un cas, les Français
« rapatriés » d’Algérie après 1962, dans l’autre les populations allemandes « expulsées » des anciens territoires de l’Est à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré des différences importantes, des ressemblances remarquables rendent
cette comparaison intéressante, y compris en examinant les répercussions à
long terme de la perte de ces régions sur les deux sociétés considérées.
Le colloque est organisé autour de six thématiques : Colonisation et Exode,
Nation et Empire, Rapatriement et Intégration, Organisation et Politique, Médiatisation et Ritualisation, Muséalisation et Internationalisation.
rapport d’activité
21
pôle 2 • identités sociales, mobilisations
et militance
Journée d’études organisée par le Codhos : 8 octobre 2010
Archives « africaines » des syndicats et partis français
par Françoise Blum
Les confédérations syndicales françaises (CGT, CFDT, FO) et les partis
de gauche (parti socialiste, Parti communiste en particulier) conservent leurs
archives, maintenant pour la plus grande part inventoriées. Nombre de chercheurs utilisent ces archives pour faire l’histoire du syndicalisme et de la gauche
française. Dans ces mêmes archives existent des documents qui constituent un
véritable gisement sur les relations avec l’Afrique, coloniale et post-coloniale,
avec les syndicats et partis africains. Ce gisement est largement méconnu et
inexploité. À l’heure du cinquantenaire des Indépendances de 1960, le Codhos
a jugé intéressant de faire le point et de dresser un inventaire de ces fonds, de
leur constitution et de leur histoire. Cette histoire d’archives dit aussi beaucoup
de l’histoire des relations entre l’ex-métropole et les ex-colonies. Il a existé depuis fort longtemps en Afrique des associations et amicales qui tinrent lieu de
syndicats, il a existé des grèves et des mouvements sociaux. Mais l’acte de naissance légale du syndicalisme africain date du Front populaire et son histoire
est aussi une histoire des rapports avec les syndicats métropolitains. Les liens
partisans furent aussi très étroits. Le Codhos a
jugé bon de dresser un état des lieux, de tracer
une sorte de cartographie « africaine » des archives syndicales et partisanes françaises, cartographie qui ne peut qu’aider la recherche
sur le syndicalisme et les partis de gauche en
France comme sur le syndicalisme et les partis
en Afrique. Les plus récentes évolutions historiographiques pensent les Empires et leurs
disparitions, et non plus les seuls États-nations.
Il faut aussi en tenir compte en matière d’archives, d’autant que celles-ci n’existent qu’en
fonction des questions qui leur sont posées.
Le terrain est vaste, et les fonds très variés.
Nous avons choisi de consacrer la journée à
l’Afrique sub-saharienne. Ce choix, raisonnable quant à l’étendue du champ d’investi-
22
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
gation, n’est pas forcément satisfaisant intellectuellement. Mais nous nous réservons de consacrer une prochaine journée à l’Afrique du Nord.
Commémoration oblige, nous privilégions le « moment 1960 ». Quatorze
pays, anciennement sous domination française, devinrent indépendants en
1960. Mais l’histoire syndicale et partisane de ces pays a commencé avant et
continue après cette date. Notre analyse portera donc sur les années qui vont
de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1970, et qui se sont
poursuivies jusqu’à la décennie 1990 ; et qui furent dans l’ensemble placées
sous le signe de l’espoir.
L’organisation de la journée est la suivante : des archivistes des syndicats
et des partis présenteront un fonds spécifique. Ils en feront non point tant l’inventaire que l’histoire. Pour chaque syndicat et parti représenté, un « grand »
témoin interviendra, relatant « son » histoire des rapports avec l’Afrique
La journée sera aussi l’occasion de présenter une base de données en ligne
sur l’ensemble des fonds des partis et syndicats concernant l’Afrique. Cet outil
documentaire d’abord constitué avec l’inventaire de ces archives des syndicats
et partis français sera ensuite amené à être élargi au très vaste continent des archives en Afrique. En effet, l’Afrique, contrairement à l’opinion de certains, n’a
pas seulement une histoire mais elle a aussi des archives. Ce projet documentaire est certes ambitieux mais, nous semble-t-il, nécessaire et ne sera vraiment
opératoire qu’à condition d’être fondé sur l’existence d’un véritable réseau de
correspondants
adresse de la base : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/spip.php?rubrique58
Programme
Accueil par Thierry Merel, président du Codhos
Introduction générale par Françoise Blum, CHS
Intervention d’Ibrahima Thioub, université Cheik Anta Diop, Dakar
Intervention de Catherine Coquery Vidrovitch, université Paris VII
PARTIS
sous la présidence de Pierre Boilley
Les socialistes et l’Afrique noire (1943-1969), réflexions sur les archives « africaines » du Parti socialiste SFIO et quelques fonds privés (Guy Mollet, Ernest Cazelles, Albert Gazier), par Frédéric
Cépède, OURS
Témoignage de Jean-Pierre Biondi
Le PCF et l’Afrique, à travers le fonds Jean Suret-Canale et les archives de la section de politique extérieure, par Pierre Boichu (Archives départementales de Seine-Saint-Denis)
Intervention d’Alain Ruscio
rapport d’activité
23
SYNDICATS
Formation et coopération de la CGT avec les organisations africaines : fonds Maurice Gastaud, 19591965, par Aurélie Mazet (IHS-CGT)
Témoignage de Jean Magniadas
Force ouvrière et les Séminaires africains : contribution au développement d’un syndicalisme libre et
indépendant, par Pascale Rubin (Archives de la CGT-FO)
Témoignage de Bernard Mourgues
La CFTC et les organisations syndicales des travailleurs croyants, par Annie Kuhnmunch
(Archives de la CFDT)
Témoignage de Jean Limonet
Relations franco-africaines dans le syndicalisme enseignant, par Alain Dalançon (Archives du
SNES)
Témoignage de Louis Weber
Conclusion : présentation de la base de données des archives africaines des mouvements
sociaux.
Colloque : Montreuil, les 11 & 12 mai 2011 • problématique & bilan
Pratiques syndicales du Droit en France, xxe-xxie siècles
par Michel Pigenet
Lieu : Confédération générale du travail, salle du Comité confédéral national
Programme
Ouverture, Michel Pigenet
session 1 – Penser et organiser l’intervention syndicale
Présidence : Marcel David – Grand témoin : Pascal Rennes
Michel Dreyfus, L’activité du Comité juridique de la CGT (1920-1939)
Morgan Poggioli, La juridicisation de l’activité syndicale durant le Front populaire
Frédérick Genevée, Les revues Droit ouvrier dans les années 1920
Laurent Willemez, Universitaires et syndicalistes en collaboration : genèse et développement de Droit
ouvrier et d’Action juridique CFDT
Émeric Tellier, Effectifs, moyens et champs d’action des services juridiques des Confédérations syndicales au tournant des années 1968
Gwendoline Colas, La stratégie judiciaire de la CFDT des années 1960 à la décennie 1980
Marcel Caille, Raisons et conséquences de la mise en place du secteur « Droits et libertés » de la CGT
à la charnière des années 1970
=> Projection de l’interview de Francis Sarramito et Maurice Cohen
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
2 – Produire des normes
Présidence : Norbert Olszak – Grand témoin : Marie Jacek
Sabine Rudischhauser, L’autonomie sociale ou le syndicalisme producteur de norme. Les conventions
collectives du travail avant la lettre, 1900-1909
Mathieu Grégoire, La « souveraineté syndicale ». Théorie et pratique d’un syndicalisme producteur et
contrôleur de normes : les syndicats de musiciens (1919-1937)
Patrick Barreau, Le rôle de l’accord CGT-Manpower dans la réglementation du travail temporaire
Gilbert Stoquert, La Fédération des transports et la réglementation du travail
Anne-Sophie Bruno, Les syndicats et l précarité du contrat de travail de la fin des années
1960 au début de la décennie 1980
ASPLAN, La pratique syndicale du droit dans le cadre du mouvement de régularisation des sanspapiers
session
Justice comme recours • 1. Présidence : Elyane Bressol
Manuela Grévy, L’action en justice du syndicat
Jean-Gabriel Contamin/Alexis Spire, La place du droit dans la défense syndicale des salariés
du public
Ismail Ferhat, Le Syndicat national des instituteurs (SNI) face aux recours légaux des instituteurs et
PEGC. De « la défense du corps » au « consumérisme » (années 1960 – fin des années 1980)
Sophie Béroud et Karel Yon, La reconnaissance de la représentativité comme objet de luttes syndicales
Pierre-Jean Rozet, Représentativité des syndicats : Les évolutions des positionnements des acteurs
jusqu’à la loi du 20 août 2008
session 3 – La Justice comme recours • 2. Présidence : Francine Blanche – Grand
témoin : François Clerc
Jérôme Pélisse, Plus de juges ou plus de droit ? Usages et appropriations du droit dans les conflits du
travail contemporains
Franck Petit, Les pratiques syndicales garantissant le respect du droit à la participation
Philippe Masson, La CGT, les juges et les chômeurs recalculés
Nicolas Hatzfeld, La lutte contre la discrimination syndicale à Peugeot-Sochaux : combats judiciaires
et mutations syndicales (1994-2000)
session 3 – La
du droit, usages et contournements. Présidence : Jean-Pierre Le
Crom – Grand témoin : Gérard Gaumé
Laure Machu, Les syndicats ouvriers et le droit de la négociation collective (1919-1940)
Michel Pigenet, Les usages syndicaux d’un principe constitutionnel ou la contestation de mesures de
réquisition : l’exemple du conflit de l’été 1953
Christian Chevandier, Usages et pratiques des textes ministériels : le salaire des travailleurs hospitaliers grévistes au début des années 1980
session 4 – L’arme
rapport d’activité
25
Jean-Philippe Tonneau, Les SAF, le droit social et les syndicats de salariés : relations, stratégies
de défense et problèmes de frontières
Lydia Brovelli, Le droit d’expression dans et hors
l’entreprise à l’épreuve de l’affaire Clavaud
Hélène Michel, Le Comité européen des droits
sociaux et les organisations syndicales françaises.
Usages d’un recours européen
Shin Dongkyu, Quand les ouvriers se déplacent
contre l’entreprise multinationale : stratégie syndicale et conventions internationales dans le cadre
d’une solidarité entre syndicats français et coréens
Conclusion, René Mouriaux
Bilan Les ouvriers français seraient-ils bien, ainsi que le remarquait
Michelle Perrot, « fils du contrat social » ? Telle était, en un sens, l’une
des grandes questions posées par le
colloque « Pratiques syndicales du droit », tenu à Montreuil, les 11 et 12 mai
2011, en présence de plus d’une centaine de personnes.
Son projet a germé, en 2007, au Centre d’histoire sociale du xxe siècle,
mais l’Institut CGT d’histoire sociale a très vite manifesté de l’intérêt pour la
coopération proposée. Les deux institutions n’en étaient pas à leur première initiative commune, occasion appréciée d’échanges entre universitaires et acteurs
des mouvements sociaux, pour le plus grand profit de tous et dans le respect
absolu des spécificités de chacun. La problématique s’y prêtait. À des degrés
divers, le droit fut souvent un domaine privilégié d’ouverture des organisations
syndicales qui, tentées d’en relativiser la portée stratégique, ne pouvaient en
ignorer l’intérêt quotidien pour les salariés et les militants. Très tôt et, parfois,
à l’inverse de leurs pentes idéologiques dominantes, leurs revues et structures
juridiques furent des lieux de collaborations durables entre militants, avocats
et universitaires, sinon magistrats. De ce point de vue aussi, le colloque a tenu
son pari, mêlant syndicalistes - dix avec les « grands témoins » - et chercheurs
de différentes disciplines : historiens (dix), sociologues (neuf), politistes (sept)
et juristes (5). Fait notable et prometteur, l’initiative aura permis de prendre
connaissance des travaux de jeunes chercheurs, encore doctorants ou venant
de soutenir leur thèse.
26
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
L’appel à contributions reprenait à son compte l’invitation, maintes fois
réitérée par le passé, d’une exploration approfondie de la manière dont les
milieux syndicaux ont conçu et conçoivent le droit du travail. Il était entendu
que celui-ci comprenait à la fois les dispositions du Code du travail, à savoir
les relations individuelles et collectives de travail, l’intéressement et la participation, la durée du travail, la sécurité et la santé, l’emploi, la formation, le
contrôle et le contentieux, tout autant que les droits économiques et sociaux,
notamment ceux inscrits dans le préambule de la Constitution. Ces contours
incluaient l’analyse, sous un nouvel angle, de questions telles que les négociations et conventions collectives, le travail précaire, les discriminations, les licenciements économiques, la sous-traitance et jusqu’au périmètre du salariat.
Les organisateurs avaient fait le choix d’un large bornage – les xxe et
xxie siècles –, apte à inscrire la problématique générale dans les temps longs de
l’État social et de la société salariale. Le colloque a très nettement penché pour
l’après 1960. Cinq communications concernent l’avant-Seconde Guerre mondiale quand neuf couvrent les années 1960-1990 et onze la période suivante.
En l’état, le colloque devrait aider à mieux identifier les césures et infléchissements dans les pratiques syndicales du droit, à la jonction des temporalités
distinctes du syndicalisme, des mobilisations et du droit du travail. Ainsi a-t-il
souligné l’importance des changements intervenus au tournant du 19e siècle,
moment d’expérimentation prudente, mais réelle, des ressources législatives et
judiciaires. Il a également dégagé les deux temps forts du Front populaire et
de la Libération, pendant lesquels les syndicats s’affirment en tant qu’acteurs
à part entière du processus normatif que ce soit par la voie des conventions
collectives ou à travers celle de la procédure législative. Il a enfin montré comment les années 1968 virent les organisations de salariés intervenir de façon
plus systématique sur le terrain judiciaire et y développer des stratégies inédites.
Il faut se féliciter de ce que, conformément aux souhaits des organisateurs,
les auteurs ont étendu leurs investigations au-delà de la seule sphère cégétiste sept contributions sur vingt-huit. De la même manière, ils ont pleinement usé
des cadres et échelles d’analyse suggérés : monographies locales ou de branches,
études de niveau national, évaluation de l’influence des normes communautaires et internationales (OIT). L’espace colonial est toutefois resté ignoré.
S’agissant des « pratiques », thème central de la rencontre, les participants
se sont efforcés de dépasser, sans la négliger, l’approche discursive, afin d’accéder aux relations concrètes entretenues par les syndicats avec le droit sur le
double terrain du juridique – celui du droit, des lois, des règlements… – et du
judiciaire - la justice, son administration, son interprétation, sa jurisprudence…
Plusieurs études ont ainsi scruté les modalités par lesquelles, en différents lieux,
rapport d’activité
27
branches ou entreprises, les syndicats ont appréhendé le droit du travail pour
le modifier, recouru aux procédures et institutions du droit, tissé des liens avec
leurs agents et experts, intégré ses ressources, contraintes, voire contradictions,
dans leurs tactiques et stratégies.
Tout au long des interventions et des riches débats qu’ils ont suscités, il
fut donc question des syndicats diffuseurs du droit, coproducteurs de règles,
de conventions, de normes, utilisateurs et agents de contrôle, thèmes autour
desquels étaient structurées les quatre sessions. Chemin faisant, les discussions
ont traité des usages et des conceptions propres, en matière de droit, à la CGT
et à la CFDT, des liens qui unissent action directe et contrôle corporatif du
marché du travail, des luttes engagées pour la régularisation des travailleurs
sans-papiers, des causes et des conséquences du changement des règles de la représentativité syndicale, de la discrimination syndicale, de l’évolution du droit
du travail français à l’épreuve de l’européanisation et de la mondialisation.
En conclusion, René Mouriaux devait insister, pour sa part, sur deux acquis
majeurs des échanges :
• avoir dégagé le fait que le droit du travail n’est pas séparable des autres
domaines du droit. L’homophobie est combattue sur les lieux de travail. La
question des signes religieux est discutée à l’école, dans l’administration, à l’hôpital. La parité hommes/femmes est recherchée jusque dans les conseils d’administration des entreprises industrielles et commerciales. La diversité devient
un enjeu à l’embauche, etc. Par là, le colloque atteste de la centralité du travail
salarié dans la société actuelle.
• avoir mis en évidence l’importance des luttes autour du droit du travail.
Dans une démocratie sociale nullement apaisée, le « vivre ensemble » demeure
surplombé par un antagonisme d’intérêts palpable par les « sans » (sans-papiers, chômeurs en fin de droits, précaires), mais aussi par les fonctionnaires
soumis aux conséquences de la RGPP ou les salariés en CDI du secteur privé
sommés de réaliser des objectifs toujours plus élevés.
Au chapitre des regrets, on relèvera l’absence d’évocation du droit interne
des syndicats et les faibles allusions aux prud’hommes, la plus longue et efficace
expérience syndicale dans le domaine considéré, ainsi que la place modeste
accordée à la fonction publique et au secteur public, hauts lieux des normes et
règles. De fait, le champ proposé était vaste, trop, sans doute, mais c’est là le
défaut des colloques pionniers.
Convaincue de la nouveauté et de la richesse de la rencontre, la revue Labour History a d’ores et déjà sollicité les contributions de plusieurs historiens
pour une publication. Voilà qui augure bien de la phase éditoriale de l’initiative
qui devrait permettre d’atteindre le large lectorat potentiel qu’elle mérite.
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
28
Colloque Paris, BnF, les 7 et 8 décembre 2010
La sociobiographie des militants :
autour du Maitron
ANR Maitron : Biographie collective des acteurs du
mouvement ouvrier et du mouvement social, Centre
d’histoire sociale du xxe siècle UMR 8058 CNRS/Paris 1,
Cultures et sociétés urbaines UMR 7112 CNRS/Paris 8.
lieu : Bibliothèque nationale de France, Petit auditorium,
Quai François-Mauriac, 75013 Paris
Quatre sessions composaient le programme
de ce colloque :
Chantiers biographiques : territoires et événement
De « L’homme communiste » au « sujet stalinien »
Chantiers biographiques : biographies collectives et socio-biographies « individuelles »
Biographie individuelle et sociobiographie.
Le dictionnaire biographique
La grande marche du Maitron
par Paul Boulland et Claude Pennetier
Un nouveau volume du Maitron. Le 69e dans la lignée de l’œuvre entreprise par Jean Maitron (1910-1987), le 7e dans la série du nouveau Maitron
1940-1968. Il couvre les biographies de Ji à Lel, de Jiton Paule à Leloir Paul
pour être plus précis. Sa présentation est conforme aux volumes précédents :
464 pages, 225 biographies intégrales, 123 notices annoncées par un chapeau
et développées dans le cédérom joint, la liste de 2 620 biographies présentes
dans le cédérom DBMOMS 7 et des listes départementales.
Mais, tout en restant dans la continuité du Maitron papier, le Dictionnaire
biographique, mouvement ouvrier, mouvement social fait sa révolution. Tous
les lecteurs pourront accéder à la version électronique des notices du tome 7 sur
le cédérom joint et surtout les souscripteurs accéderont avec un mot de passe à
la base. Celle-ci comprend 130 000 biographies, de 1789 à 1968, sans oublier
plusieurs dictionnaires internationaux. Il s’agit non seulement des biographies
qui figurent dans l’ensemble des dictionnaires papier depuis la parution du pre-
rapport d’activité
29
mier volume en 1962, mais aussi de celles présentes dans le cédérom cumulatif
(1789-1940) publié en 1997, et celles figurant dans les cédéroms des 7 premiers
volumes du nouveau Maitron. De plus, un grand nombre de notices anciennes
sont complétées, de nouvelles sont ajoutées en fonction des sources récentes et
des nouveaux travaux. Le site permet une remise à jour permanente, un dialogue avec les chercheurs, avec les archivistes, avec les familles.
Partant des archives, le RGASPI, un important travail de dépouillement
des dossiers personnels des militants communistes (2 500 dossiers étudiés) se
poursuit dans les fonds de Moscou et permet à la fois l’enrichissement du Maitron pour la période de l’entre-deux-guerres, des éclairages nouveaux pour la
décennie 1940 et alimente un important chantier prosopographique présenté à
l’occasion du colloque La Sociobiographie des militants : autour des chantiers
du Maitron, tenu à la Bibliothèque nationale de France et au Centre Malher
en décembre 2010.
Les fusillés et exécutés font l’objet d’un travail spécifique dirigé par JeanPierre Besse et Thomas Pouty, avec l’aide de la DMPA (Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, ministère de la Défense et des Anciens
combattants) et le soutien de l’AERI (Association pour l’étude de la résistance
intérieure) comme de la Fondation Charles De Gaulle.
La publication, même dans le volume papier, ne marque pas un point final
de la recherche. Nous avons pris le risque, justifié, de traiter des biographies
de militants vivants. Si leur carrière publique est au passé pour ne citer que
des noms de ce volume, Lionel Jospin (Jean-Marcel Bichat) ou Pierre Juquin
(Marco Di Maggio, Jacques Girault) ne semblent pas avoir de nouvelles ambitions politiques, leur évolution intellectuelle et leur activité mémorielle restent
vives. Il faudra en rendre compte grâce à Maitron en ligne. Des archives nouvelles s’ouvrent, ainsi celles consultées par Gilles Morin aux Archives nationales de Fontainebleau ou à l’OURS. Des corpus de la période en cours sont
repris et enrichis de A à Z, ainsi celui de Force ouvrière par Louis Botella, les
chrétiens par André Caudron ou celui des gaziers-électriciens grâce à Paul
Boulland. Dans ce dernier cas, la quête prend une forme nouvelle puisque des
militants sont filmés pendant plusieurs heures, dans des conditions professionnelles, pour produire des archives et des témoignages utilisables dans un DVD
joint au volume thématique.
Notre chance est de pouvoir associer à chaque volume un cédérom qui
multiplie par dix notre capacité d’accueil et de laisser place à des itinéraires
diversifiés régionalement, professionnellement, politiquement, syndicalement
mais aussi dans la notoriété. Le choix du papier laisse une bonne place aux
noms attendus mais, sans négliger des noms plus discrets. La première notice,
30
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
celle de Paule Jiton, employée de bureau et permanente de la JOC rédigée par
Éric Bélouet, donne le ton. Les prêtres ouvriers, chers à Nathalie Viet-Depaule
sont présents avec Jo Lafontaine (André Caudron). D’ailleurs, les militants
chrétiens ne manquent pas : Frédo Krumnow (Léon Strauss) de la JOC et de la
CFDT Hacuitex ; Jean Kaspar (Frank Georgi) de la JOC alsacienne au secrétariat général de la CFDT ; Félix Lacambre (André Caudron), secrétaire général
de l’ACO ; Jeannette Laot présentée par Pascale Le Brouster, de la CFTC au
MLAC. On peut aussi aller de la JOC à Force ouvrière comme Antoine Laval
(Éric Belouet) ou vers la CGT comme Louis Lacaille (Jean-Marie Conraud).
Si Force ouvrière n’a pas de secrétaire général dans ce volume (ils se sont regroupés sur la lettre B : Bothereau, Blondel, Bergeron) des figures importantes
y ont leur place, René Kunel pour l’Alsace ; Maurice Labi pour la chimie avec
un itinéraire complexe qui lui fait jouer un rôle actif en mai 1968 et rejoindre
un temps la CFDT Chimie ; Roger Lapeyre de Fédération générale des Fonctionnaires (Louis Botella, Jeanne Siwek-Pouydesseau) ; Fernand Laurent (Louis
Botella, Marie-Louise Goergen) pour les cheminots ou Raymond Le Bourre
pour le Spectacle.
Mais c’est la CGT qui est représentée par un nom de premier plan, Henri
Krasucki, dirigeant important du PCF et successeur de Georges Séguy à la tête
de la Confédération (Christian Langeois). Les syndicalistes femmes y ont leur
part avec Gisèle Joannès de la Fédération de l’habillement (Jocelyne George) et
Paulette Lagrange (Slava Liszek). Sans oublier Bernard Jourd’hui de l’UD de
Paris (Marc Giovaninetti), Albert Le Guern, secrétaire général de la Fédération
des PTT (Claude Pennetier) ou Pierre Lebrun (René Gaudy). S’y ajoutent les
syndicalistes enseignants chers à Jacques Girault, comme Georges Lauré (Alain
Dalançon), secrétaire général de la FEN.
Parcours syndicalistes et politiques se croisent bien souvent. Plusieurs biographies majeures de ce volume 7 relèvent d’autres rencontres, celle de la
culture et du socialisme avec Jack Lang (Laurent Martin) qui ne rappelle pas le
rôle majeur de ce ministre de la culture dans le soutien au Maitron.
Le Maitron fait place aux artistes : Pierre Laville, directeur du théâtre des
Amandiers de Nanterre (Nathalie Lempereur), au graphiste Jean-Pierre Jouffroy [Anysia L’Hôtellier)]) aux professions libérales (ainsi les avocats comme
Yves Jouffa, président de la Ligue des droits de l’homme, Pierre Kaldor (Frédéric Genevée, Claude Willard) et aux intellectuels. Les historiens y jouent leur
rôle, par leur action comme par leur œuvre : Jacques Julliard (Christophe Prochasson) et Annie Kriegel (Pascal Cauchy) coopéraient au comité de rédaction
de la revue de Jean Maitron, Le Mouvement social et chacun a suivi des chemins
différents marqués par la place du journalisme. Les philosophes sont présents :
rapport d’activité
31
Claude Lefort (Philippe Bourrinet),
Georges Labica (Jean-Numa Ducange),
Jean Lacroix (Bernard Comte)…
Autour du thème de la sexualité et
de la procréation se rencontrent les biographies de la pionnière du contrôle des
naissances, la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé (Sandrine Garcia), de l’introducteur de l’accouchement
sans douleur, le docteur Fernand Lamaze
(Marianne Caron-Leulliez), mais aussi
leur contradicteur, le psychiatre Lazar
Katz (Daniel Grason, Danielle Papiau).
Les biographies des grands noms du
socialisme et du communisme ne pouvaient être négligées : Paul Laurent (Paul
Boulland), Jean Kanapa (Gérard Streiff),
André Lajoinie (Agnès Roche) pour les
communistes, Pierre Joxe (Jean-Marcel
Bichat), Robert Lacoste (Gilles Morin), Francis Leenhardt (Gilles Morin) ou
André Laignel (Gilles Morin) pour les socialistes. À l’extrême gauche Alain
Krivine (Serge Curinier) et Arlette Laguiller (Jean-Guillaume Lanuque) sont
enfin réunis.
Le prochain volume, tome 8, couvrira les lettres Lem à Mel. Douze volumes sont prévus.
32
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
pôle 3 • représentations :
politiques, systèmes, relations
Journées d’études Paris le 26 mai 2010 et Saint-Quentin le 22 novembre 2010• bilan
La sortie au spectacle, xixe et xxe siècles
Organisation : Pascale Goetschel (CHS du xxe siècle, université Paris 1) et Jean-Claude Yon
(CHCSC, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)
Dans la continuité des deux journées d’études organisées en 2003 et 2004
sur les directeurs d’entreprises théâtrales – et qui ont donné lieu à un livre publié aux Publications de la Sorbonne en 2008 –, deux nouvelles rencontres ont
eu lieu en 2010 autour de la sortie au spectacle. Contributions à l’histoire culturelle du spectacle vivant, elles ont privilégié le point de vue des spectateurs.
Comment se déroule la « mise en contexte » (au sens large de l’expression) du
spectacle, comment s’organise la soirée théâtrale, pour quels publics et avec
quel type de réactions ? Notre objet d’étude a été à la fois le désir, l’expérience
et le souvenir du spectacle. C’est donc à une histoire concrète et intime du
spectacle vivant qu’ont invité ces deux journées d’études.
Alors que la première journée avait eu pour champ d’étude la France, la
deuxième journée s’est articulée autour d’études de cas nationales.
Programme
sur le cas français, étaient au programme les interventions de
Solveig Serre (IRPMF), « Capitations », galas, gratis : les représentations exceptionnelles de l’Opéra
de Paris à la fin de l’Ancien Régime.
Delphine Diaz (Centre d’histoire du xixe siècle, université Paris 1), Les étrangers au théâtre
sous la monarchie de Juillet : entre divertissement et politisation.
Susan Foley et Charles Sowerwine (université de Melbourne), Goûts et habitudes théâtrales
d’une « nouvelle couche sociale » : Léonie Léon et Léon Gambetta au Théâtre.
Alexandre Lardeur (Musée du Théâtre forain, Artenay), Le spectacle en campagne : la sortie
au théâtre forain.
René Gaudy (écrivain, critique théâtral), Dormir au spectacle.
Flore Garcin-Marrou (CRHT, université Paris IV), Être ouvreuse dans un théâtre parisien :
velours rouge et précarité
Cyrille Planson (Centre de recherche sur la décentralisation territoriale, Université de
Reims), L’enfant spectateur ou la construction de nouveaux rapports à l’espace et à l’art
Dominique Pasquier (CNRS), « Les bruits de la salle » : les spectateurs contemporains face à
l’ascèse corporelle
rapport d’activité
33
sur les perspectives internationales, ont été entendues les interventions de
La sortie comme espace
de distinction
Pascale Mélani (université Bordeaux
III), La sortie au spectacle à Moscou dans la
seconde moitié du xixe siècle
Jeanne Moisand (université Paris 1,
CRH xixe), La spécialisation sexuelle du
théâtre : genre, publics et programmation à Madrid et à Barcelone à la fin du xixe siècle
Anaïs Fléchet (CHCSC, université
Versailles Saint-Quentin), La sortie au
spectacle à Rio de Janeiro sous la première République (1889-1930) : métissages sonores et
stratégies de distinction
Julian Esteban Gomez (CONICET-Argentine), Les théâtres Politeama et Colon à
Buenos Aires : la spatialisation du débat social
en Argentine entre 1880 et 1914
Pratiques et usages
Florence Fix (université de Bourgogne), La bataille est hors scène. Attendre devant le théâtre à
la fin du xixe siècle
Robert Beck (université de Tours), Sortir au théâtre, selon le journal de F. C. Krieger, maître
passementier bavarois, entre 1821 et 1872
Manuel Charpy (université de Tours), Le spectacle de la marchandise. Sorties au théâtre et phénomènes de mode à Paris et à Londres (1850-1914)
Michel Rapoport (université Paris Est-Créteil, CRHEC), « Demandez le programme ! », évolution de l’objet programme dans les théâtres londoniens des années 1880 à la Seconde Guerre mondiale
Journées d’études : vendredi 1er avril et 6 mai 2011
L’atelier feuilleton
Organisées par l’université Paris 1 (CRH/Isor et CHS) et l’université Paris 3 (CEISME/ANR)
Comité d’organisation : Marie-France Chambat-Houillon, Pascale Goetschel, François
Jost, Myriam Tsikounas • Comité scientifique : Sabine Chalvon-Demersay, Évelyne Cohen,
Dominique Kalifa, Jean-Michel Rodes, Geneviève Sellier
L’histoire des médias a longtemps privilégié l’approche par les aspects
techniques, économiques ou sociaux, tandis que chaque support médiatique
a souvent fait l’objet d’analyses distinctes. L’attention des recherches contem-
34
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
poraines se porte davantage sur les programmes et l’intermédialité. C’est dans
ce contexte que se sont inscrites ces deux journées où se sont mêlées considérations théoriques et études très concrètes, conçues au plus près de la fabrique
des feuilletons, en France comme ailleurs.
La première journée a été consacrée aux multiples manières dont les récits,
les personnages ou les thèmes se transforment au gré des logiques de l’enchaînement et de la série, propres au feuilleton. Il s’est agi là d’enrichir les investigations déjà nombreuses portant sur l’adaptation, en insistant sur les particularités
du format du feuilleton. On a mis au jour les moyens par lesquels la sérialisation
bouleverse les techniques d’écriture traditionnelles. On a insisté sur les passages
d’un média à un autre, les spécificités de chacun d’eux et des différents destinataires auxquels ils s’adressent. Le fait que les auteurs doivent adapter les récits
au découpage, ménager des chutes en fin d’épisode… et surtout travailler vite,
donc à plusieurs, à partir d’une « bible » et de recettes éprouvées, a été particulièrement étudié, tout comme le poids des contraintes auxquels sont soumis diaristes et scénaristes. On a interrogé les liens entre l’évolution de ces « fictions de
l’interminable » et les besoins changeants de la société. On a aussi questionné
les migrations d’une aire culturelle à une autre, les traductions, bien sûr, mais
également les nécessités de satisfaire aux exigences locales. L’accent a enfin été
mis sur les interactions entre les producteurs et leurs publics On a observé notamment comment les commanditaires de feuilletons, les magnats de la presse
du xixe siècle, les directeurs de chaîne aujourd’hui tissent des liens étroits et sans
cesse renouvelés avec des lecteurs, des auditeurs, des (télé) spectateurs.
L’objectif de la seconde journée a été de s’interroger sur les contraintes
multiples – budgétaires, actorielles, de production, de programmation et de
réception – qui grèvent le dénouement d’un récit à épisodes. Indépendamment des choix scénaristiques initiaux, pour quelles raisons une fin devientelle possible ou s’impose-t-elle : une « bible » qui s’use ? Des scénaristes qui
ne s’entendent plus ? Une chute d’audience signalant que les spectateurs ou
les lecteurs n’adhèrent plus aux propositions narratives ? De mauvais choix de
la part des commanditaires ou des programmateurs ? Un contexte historique
déterminant ? Un changement de support qui nécessite un calibrage différent ?
On a observé les formes que peuvent prendre les interventions du public et
leurs répercussions sur la construction et la pérennité du récit initial. On a
cherché à comprendre ce qui se passe quand le « fan » se met à confondre le
comédien et le personnage incarné. On a mis au jour l’incidence des courriers
de téléspectateurs, des pétitions et des forums de discussion sur le dénouement.
On a examiné les cas d’autocensure, par anticipation des limites de ce qui est
rapport d’activité
35
jugé représentable ou pouvant être filmé dans un feuilleton ou une série par un
média particulier, à une époque donnée et pour un public supposé.
Programme
Pages, scènes, écrans : du feuilleton de l’écriture à l’écriture du feuilleton
Judith Lyon-Caen, Écrire de la littérature au jour le jour. Les relations entre deux types d’actualité et
de périodicité au xixe siècle, la politique et le feuilletonesque
André Helbo, Feuilleton théâtral à la télévision et/ou feuilleton télévisé au théâtre ?
Pascale Goetschel, Autour du feuilleton théâtral radiophonique
Béatrice de Pastre et Thierry Lefebvre, Convertir et vulgariser des discours médicaux en séries de
films d’hygiène, dans les années 1910
Table-ronde de doctorants, animée par Pascale Goetschel, avec Anne-Cécile Gaudy, Sébastien Hallade, Muriel Mille
Myriam Tsikounas, Du feuilleton dans le feuilleton judiciaire : scénarisation, par Pierre Desgraupes
et Pierre Dumayet, des comptes rendus d’audience de l’Affaire Beauvallon
Sabine Chalvon-Demersay, La réécriture, par Claude Santelli, des Misérables
Table-ronde animée par François Jost : L’écriture des scénarios TV en ateliers
Claire Aziza, Les ateliers d’écriture dans Plus belle la vie
Vincent Colonna : L’Art des séries
Tatiana Maksimenko, productrice de Pas de secret entre nous sur M6
Élisabeth Duarte, « A grande família » : les différentes formes d’expression de la tonalité. Réflexions
autour de la scénarisation des séries brésiliennes
Gaëlle Philippe, Remake en séries : la réécriture du feuilleton dans le temps et l’espace
Le dénouement
Fins multiples
Jean-Pierre Esquenazi, Le « happy end » comme faux semblant
Laurent Jullier, Barbara Laborde, Une aventure de la personnalité. L’unité des contraires dans la
construction des personnages de Grey’s Anatomy
Pierre-Olivier Toulza Comment se débarrasser d’une super-héroïne ? : les deux fins de Buffy contre
les vampires
Marie-France Chambat-Houillon, Continuités et fins : la gestion des contraintes dans Gossip
Girl
Nathalie Maroun, Poétique de la clausule dans les séries télévisées : clôture, fin ou dénouement ?
Table-ronde de doctorants animée par Marie-France Chambat-Houillon, avec
Mélanie Buisson, Claire Martinet, Élodie Keiflin, Hélène Monnet-Cantagrel
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Fins obligées
Débat, animé par François Jost, sur les écritures de séries télévisées avec des
professionnels
Geneviève Sellier, Le mélodrame télévisuel contemporain : des dénouements pas très roses…
Taline Karamanoukian, Les dénouements du feuilleton sentimental Janique Aimée
Bernard Papin, Quand la fiction télévisuelle s’affranchit de l’Histoire : dénouements, détournements
ludiques et contraintes médiatiques
Synthèse des journées par François Jost, Pascale Goetschel et Myriam Tsikounas
3e journée d’étude : Paris, INA-centre Pierre Sabbagh, 31 janvier 2011
L’histoire de la protection sociale de la presse et du spectacle
Coorganisée par l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et le groupe Audiens, en partenariat
avec l’INA
Présentation des travaux des chercheurs et des comités d’histoire Audiens par Patrick Eveno
Vidéos INA
La protection sociale dans la presse des typographes et imprimeurs à la Belle Époque par Michel
Dreyfus
Vidéos INA
La Caisse Gutenberg par Sylvie Charlier – Témoin Roger Lancry
La question de la retraite chez les journalistes à travers la presse syndicale et les réalisations institutionnelles (Caisse générale de la presse française, CNC Presse, Caisse Renaudot, CRPP et CRPQR) par
Patrick Eveno
Présentation de l’état d’avancement du Guide des sources par Charlotte Siney
Vidéos INA
La protection sociale dans la presse de spectacle dans l’entre-deux-guerres par Pascale Goetschel
La protection sociale à l’ORTF par Elvina Fesneau – Témoin Pierre Bessi
Vidéos INA
La contractualisation à l’Académie de danse et de musique : identité et travail des petits rats de l’Opéra
au xixe siècle par Emmanuelle Delattre-Destemberg
Le griss par Aurélien Poidevin – Témoin Jean Courboulay
rapport d’activité
37
Colloque international 24,-26 novembre 2011
Histoire des festivals, xixe-xxie siècles
http://www.chcsc.uvsq.fr/colloques/index.html
Centre d’histoire sociale du xxe siècle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne & Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
par Pascale Goetschel & Julie Verlaine
« Objet culturel » particulièrement en vogue au début du xxie siècle, les
festivals n’ont, pour l’instant, donné lieu ni à des études collectives ni à de
vastes synthèses historiques. Aussi notre ambition est-elle de rassembler des
chercheurs de disciplines différentes, travaillant sur des aires géographiques
distinctes, bénéficiant d’archives et de témoignages variés, dans une perspective
d’histoire contemporaine qui s’autorise, si nécessaire, à remonter dans le temps.
Plusieurs interrogations ont été au cœur de la réflexion. Comment peuton faire une histoire de ces manifestations artistiques à la fois collectives et
éphémères ? Doit-on écrire une histoire singulière ou plurielle des festivals ?
Comment réfléchir à l’articulation des festivals entre eux et avec les sociétés
dans lesquelles ils se déroulent ? Le pari, ici, est de considérer que le détour par
ces formes artistiques peut, non seulement, contribuer à nourrir la question
des espaces publics mais aussi à faire émerger l’idée de moments publics : les
festivals comme espaces et temps de construction communautaire, d’initiation,
de formation, de contestation, etc.
Le colloque a été ainsi particulièrement attentif aux moments d’émergence,
d’adoption et de diffusion de la « forme » festival, dont il a fallu interroger la
définition et la pertinence même (genre ? catégorie esthétique ? variation du
spectaculaire ?). Au xixe siècle, le terme « festival » ne s’applique en effet qu’au
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
domaine musical, plus spécialement au répertoire choral. Présent en France
par le biais des festivals orphéoniques, le phénomène concerne la Suisse, la
Belgique, la Hollande et surtout l’Allemagne et l’Angleterre. C’est l’étude de
cette « préhistoire » des festivals qu’il convient d’étudier pour mesurer si, et
comment, l’héritage du xixe siècle a influencé les festivals des xxe et xixe-xxie
e siècles. Le colloque a pris en compte toutes les formes de transmission et
tous les domaines de création sans exclusive, relevant de la culture de masse
ou non, y compris celles et ceux jugés les moins légitimes : théâtre, musique,
cinéma, photographie, mais aussi bande dessinée, rire ou chansons. Les différents acteurs, institutionnels ou non, qui contribuent, à un titre ou à un autre,
à la fabrication des festivals ont été étudiés : promoteurs, organisateurs, artistes,
critiques et publics. Les formes adoptées, les fonctions comme la place que les
festivals occupent au sein des sociétés ont été au cœur des interrogations. On
n’a pas hésité à tenter des typologies autour de critères variés (spécialisation,
type de diffusion, d’audience ou de médiation, mise en scène des artistes, etc.).
La perspective de ce colloque, qui se situe dans la continuité des deux
journées d’études organisées par le centre Georges Chevrier à l’université de
Bourgogne en février 2011, se veut à la fois comparatiste et internationale : les
contributions sur les festivals des différents continents ont donc été les bienvenues. Dans ce cadre, les rôles de médiation et de passage joués par les festivals
entre les artistes, les genres ou les sociétés ont été tout particulièrement étudiés.
Les études de cas transnationales comme celles portant sur les transferts ont été
privilégiées. Enfin, la question de l’éventuelle place que les festivals tiennent
dans la constitution d’une culture mondiale a été posée.
Définition et champ
1. Ce qu’est un festival et ce qu’il n’est pas
2. L’invention du festival. Grands ancêtres et festivals matriciels
3. Moments de créativité festivalière. Lieux et modes de diffusion et d’abandon. Mémoire
et nostalgie
Perspective formelle
1. Acteurs. Organisation (acteurs publics ou privés), production (professionnels ou amateurs), réception (critiques, publics)
2. Le festival comme événement : temps forts, mobilisation médiatique et scandales.
Sociabilités et usages festivaliers
3. Les formes esthétiques : inventions, emprunts, métissages
Perspective fonctionnelle
1. Enjeux politiques, économiques et sociaux. À l’échelle locale, régionale et nationale
rapport d’activité
39
2. Enjeux créatifs. Rôle des festivals dans l’histoire d’un artiste ou d’un genre (lancement,
fabrication, consécration…)
3. Enjeux de relations culturelles internationales. Lieux et acteurs de transferts culturels,
migrations et circulations. Relations entre festivals. Contribution des festivals à
une culture mondiale
Colloque : Paris 25-27 janvier 2012
Jean d’Arcy. La communication au service
des Droits de l’Homme (1913-1983)
Organisation : IRICE (Paris 1) et Institut national de l’audiovisuel
Cinq thèmes seront abordés : Engagement,
culture et réseaux ; Jean d’Arcy et la télévision : action, création, information ; De l’Europe culturelle
à l’action internationale ; Le droit de l’homme à la
communication et la régulation politique ; Les postérités de Jean d’Arcy
Journée d’études : Paris, 13 février 2012 « Année des Outre-mer français »
Quelles politiques culturelles pour les départements d’outre-mer ?
Mise en perspective historique
organisée par le CHS du xxe siècle, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avec le soutien du
ministère de l’Outre-mer
lieu : auditorium de la Cité nationale de l’histoire de l’Immigration
Si l’histoire des politiques culturelles françaises depuis 1959 est désormais
bien connue, si se développent aujourd’hui des recherches autour d’une étude
comparée des politiques culturelles internationales, des zones d’ombre demeurent. Les implications culturelles de la départementalisation et, plus encore,
les expériences et les initiatives antérieures souvent proliférantes sont largement méconnues. À l’évidence, les
repères métropolitains ne peuvent
être plaqués à l’identique. On observe ainsi de profonds décalages
entre la création de structures et
d’organismes en métropole et l’implantation dans les DOM, celle-ci
n’obéissant à aucune marche uni-
40
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
forme. La notion même de culture ne peut être posée sans tenir compte d’une
histoire spécifique aux citoyens des outre-mer et de la quête d’une identité
culturelle propre.
Entre préservation d’un patrimoine dont il conviendra de circonscrire
l’étendue et valorisation de la création, on s’interrogera donc sur la définition
et le sens de l’expression « politiques culturelles » appliquée aux départements
d’outre-mer. On tentera d’en identifier les prémices, repérer les moments
d’émergence et les rythmes, d’en observer les acteurs principaux et les manifestations saillantes, d’en comprendre les enjeux passés et contemporains. Sur
ce dernier plan, on ne minimisera pas les débats et les conflits auxquels ont pu
donner lieu ces politiques culturelles. Sur un plan plus pratique, cette journée
d’études a également pour ambition de confronter la parole des historiens, des
témoins et des acteurs.
Le programme de la journée, actuellement en cours d’élaboration, sera mis
en ligne sur le site du CHS.
rapport d’activité
41
pôle 4 • gouverner et habiter les villes contemporaines
Journée d’études : 1er et 2 décembre 2009 • bilan
Les territoires du communisme. Élus locaux, politiques
publiques et sociabilités militantes
par Emmanuel Bellanger et Julian Mischi
Cette manifestation a été organisée par le Centre d’histoire sociale du
xxe siècle avec la collaboration de l’Université Paris 1, la Maison des sciences
de l’homme (MSH) de Dijon, le département des sciences sociales de l’Institut
national de recherche agronomique (INRA), le Ladrhaus de l’École nationale
supérieure d’architecture de Versailles (ENSAV), les archives départementales
de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, les archives communales d’Ivrysur-Seine et la Fondation Gabriel Péri.
L’objectif de ces journées était de réunir des chercheurs étudiant à la fois le
Parti communiste français et la gestion publique locale. Il s’agissait de croiser
des angles d’approches souvent dissociés – l’étude des partis politiques et l’analyse des politiques publiques – afin de contribuer à une meilleure connaissance
des formes et des enjeux de la compétition politique locale et de la gouvernance
des territoires. Impulsée par un historien, Emmanuel Bellanger, et un sociologue, Julian Mischi, la démarche était clairement pluridisciplinaire à l’image
de son comité scientifique.
Ces journées s’inscrivent dans une perspective d’hybridation des sciences
sociales du politique autour des problématiques socio-historiques appliquées
à l’étude du Parti communiste français et de ses élus locaux. L’une des motivations de cette rencontre était de mobiliser, de mettre en perspective et de
confronter les recherches sur le « communisme local » afin de les intégrer dans
une visée plus générale, celle de l’analyse socio-historique de l’action publique
locale et du personnel politique.
Dans cette perspective, l’animation scientifique de ces journées a été assurée par des représentants de différentes disciplines (histoire, sociologie, science
politique, géographie, urbanisme) : Marie-Hélène Bacqué, Catherine Bruant,
Sylvie Fol, Annie Fourcaut, Jacques Girault, Rémi Lefebvre, Olivier Masclet,
Claude Pennetier, Bernard Pudal, Yasmine Siblot, Danielle Tartakowsky et
Serge Wolikow. Les membres du comité scientifique ont souligné la qualité et
l’originalité des recherches présentées lors de ces journées qui se sont déroulées
devant une assistance nombreuse composée d’étudiants, d’enseignants chercheurs, de chercheurs, d’élus, de fonctionnaires territoriaux et de militants.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Les intervenants venaient de différents horizons disciplinaires. Nous avons
entendu les présentations de :
Marie-Fleur Albecker (Globalisation et politiques urbaines locales dans la première
couronne de la banlieue parisienne : une spécificité communiste ?), Nicolas Azam (Légitimités électives contre légitimité partisane. Les communistes de Saint-Denis des années 1980
à la campagne du « Front de gauche » en 2009), Françoise de Barros (Les effets de la
Guerre d’indépendance algérienne sur des espaces politiques locaux métropolitains), Emilie
Biland (Recruter et gérer les agents « à gauche » ? Structuration et déstructuration d’une politique du personnel communal dans une petite ville 1971-2008), Paul Boulland (Les élus
municipaux de banlieue parisienne au prisme de l’encadrement communiste, de la Libération
aux années 1960), Marie-Cécile Bouju (Lecture publique et politique municipale communiste (1920-1970) : une heureuse rencontre politique et culturelle ?), Benoît Breville (L’enfance de la politique de la ville à Saint-Denis, vers une nouvelle géographique du pouvoir
local 1984-1990), Nicolas Bué et Fabien Desage (Les élus locaux communistes et
l’intercommunalité : chronique d’un ralliement non annoncé), Julien Cahon (René Lamps :
un instituteur et un élu communiste amiénois à l’épreuve du pouvoir local et de la gestion
municipale), Vincent Casanova (Faire entendre l’avenir radieux : répertoires et pratiques
musicales dans les municipalités communistes en banlieue rouge pendant la Guerre froide),
Fabien Conord (Les communistes et élections sénatoriales, entre scrutin prétexte et ressource
politique 1920-2008), Catherine Dupuy (Les angles morts de la mobilisation en territoire
du communisme : les déconvenues de l’engagement militant et protestataire à Gennevilliers,
années 1950-1960), Violaine Girard (Les évolutions des politiques urbaines de la municipalité communiste de Pierre-Bénite), Pascal Guillot (L’Union socialiste communiste ou des
dissidences municipales en banlieue parisienne dans l’entre-deux-guerres), David Gouard
(Désaffiliation politique et stratégies de maintien du PCF en « banlieue rouge »), Samir Hadj
Belgacem (Les conditions du maintien d’un pouvoir municipal communiste en « banlieue
rouge ». Retour sur une campagne de succession délicate aux municipales de mars 2008),
Héloïse Nez et Julien Talpin (Démocratie participative et communisme municipal en
banlieue rouge : un modèle de gestion spécifique ?), Benoît Pouvreau (Quand communisme
municipal rimait avec laboratoire urbain 1944-1986), Lina Raad (Politiques de l’habitat
en banlieue rouge : entre mixité sociale et gentrification ?), Jessica Sainty (Le paradoxe électoral des banlieues rouges : le PCF entre ancrage municipal et désaffection nationale. Le cas de
la ville d’Echirolles) et Thibault Tellier (Le Parti communiste et la décentralisation : une
nouvelle manière d’appréhender le pouvoir local ? 1977-1983).
Ces vingt-trois intervenants sont pour la plupart d’entre eux de jeunes
chercheurs, doctorants ou post-doctorants, dont les travaux renouvellent les
connaissances du communisme local.
Ces journées ont favorisé le rapprochement entre des recherches portant
sur l’engagement militant et des études centrées sur la constitution et les recom-
rapport d’activité
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positions du pouvoir local (municipal,
intercommunal, départemental, régional) à l’œuvre au cours du xxe siècle.
Plusieurs communications ont mis
en perspective l’action militante aux
prises avec les institutions publiques.
L’un des intérêts de cette approche
comparatiste et interdisciplinaire est
de situer l’action militante au sein de
l’espace local et d’éclairer son rapport aux institutions publiques et aux
territoires. À l’échelon local, les luttes
politiques se déroulent sur différentes
scènes (associative, syndicale, partisane, etc.) et c’est dans leur interdépendance que peuvent se comprendre
la formation, les délitements et les résistances du pouvoir municipal communiste. Une telle démarche a conduit
les intervenants à ancrer l’action publique dans des réseaux sociaux et militants. La conception et la mise en œuvre
des politiques publiques locales ne sont pas dissociables des rapports plus ou
moins conflictuels qui se nouent entre élus, agents publics (fonctionnaires territoriaux, représentants de l’État) et porte-parole des groupes de pression (partis,
associations, syndicats).
La confrontation et les discussions de ces communications portant sur les
militants, les élus communistes et leurs territoires ont nourri une réflexion
conjointe sur les comportements électoraux, les mobilisations militantes et l’action publique locale.
La plupart des communications présentées lors ces journées d’études ont
été mises en ligne sur le site du CHS, à l’adresse suivante :
http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/spip.php?article192.
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colloque : bilan
150e anniversaire des vingt arrondissements parisiens : 1860 Agrandir Paris
par Annie Fourcaut
La définition des limites actuelles de Paris se joue au cours de la première
moitié du xixe siècle avec la construction des Fortifications. Pendant une vingtaine d’années, les « territoires suburbains » compris entre le mur des Fermiers
généraux et le nouveau mur, entourent la capitale. Leur annexion, à partir du
1er janvier 1860, a permis l’émergence d’un Paris agrandi et intégré, pour une
bonne part en devenir. La Troisième République poursuit, en effet, au-delà
de la chute de l’Empire en 1870, les projets d’aménagement et d’intégration
des arrondissements périphériques, commencés sous la préfecture du baron
Haussmann.
L’annexion pose aussi en termes totalement nouveaux la question de la
banlieue, des seuils de la ville et des rapports de la capitale dilatée avec ses
périphéries. Les axes du développement urbain ignorent la barrière des Fortifications : de part et d’autre du mur devenu barrière d’octroi s’étendent des
activités et des populations semblables, celles des faubourgs. Haussmann n’a
pas pensé la banlieue, mais l’agrandissement de la capitale se conjugue avec
son développement industriel. La question de la répartition des activités entre
la capitale et la banlieue se pose en termes neufs. La banlieue, qui s’étend
maintenant au-delà des Fortifications et de la zone, est livrée à elle-même, ignorée par la puissance publique et ses espaces libres accueillent les entrepôts, la
grande industrie puis le logement des classes populaires urbaines. Pour célébrer
le 150e anniversaire de cet événement fondateur, le Comité d’histoire de la Ville
de Paris a fait appel à Florence Bourillon (UPEC) et à Annie Fourcaut. Elles
ont été les commissaires scientifiques de l’exposition : 1860 Agrandir Paris, en
septembre-octobre 2010 à la galerie des bibliothèques de la Ville de Paris, rue
Malher ; la visite de cette exposition par les étudiants de L, de M et les doctorants a permis une réflexion sur la pédagogie de l’image en histoire urbaine.
Cette exposition, légèrement réduite, sera mise en ligne sur le site paris.fr et
parismetropolitaine.fr à la rentrée 2011. Un colloque international s’est tenu
parallèlement en octobre 2010 pour mesurer, en amont et en aval, en quoi la
décision de 1859-1860 a favorisé, freiné ou orienté la croissance urbaine de
l’agglomération, en poussant l’investigation jusque dans les années 1970 et en
comparaison avec la croissance des autres capitales européennes aux xixe et
xxe siècles. De nombreux chercheurs du pôle 4 ont contribué à ce colloque
(E. Bellanger, D. Voldman, C. Vorms). Ce colloque sera publié au premier semestre 2012, sous le titre Agrandir Paris 1860-1970, sous la direction de Florence
rapport d’activité
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Bourillon et d’Annie Fourcaut, avec la collaboration de Sylvie Le Dantec, grâce
à une coédition entre les Publications de la Sorbonne et le Comité d’histoire de
la ville de Paris, dans la collection Histoire contemporaine, dirigée par nos collègues
Pascale Goestchel (CHS) et Sabine Dullin (université Lille 3). Cette entreprise
confirme le CHS dans sa position d’expertise historique des évolutions de la
métropole parisienne, le souvenir de l’annexion de 1860 étant encore un des
éléments du débat contemporain sur l’avenir du grand Paris.
Napoléon III remettant au baron Haussmann le décret d‘annexion des communes limitrophes
le 16 février 1859. Huile sur toile, 1865, Paris, musée Carnavalet. © Roger Viollet.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
colloque international : Saint-Denis, les 9, 10 & 11 février 2012
Autour des cent ans des Offices d’HLM, de la loi Bonnevay à nos jours
(1912-2012)
avec le soutien de la Fondation Condorcet
Lieu : Saint-Denis, Maison d’Éducation de la Légion d’honneur
En 2012, la loi Bonnevay, créant les offices publics d’Habitations à bon
marché (HBM) municipaux et départementaux, aura cent ans. Ce texte fondateur, voté à une large majorité, a fixé pour longtemps les formes de production
et de gestion des logements sociaux dans les départements et les communes. Si
on connaît assez bien l‘ensemble des conditions de construction de ces logements, la gouvernance des offices par les collectivités territoriales et son évolution reste assez peu étudiée. Ce questionnement s’insère dans ceux du pôle
urbain du CHS, qui travaille à la fois sur l’histoire de la gouvernance de la
métropole parisienne et sur les implications sociales des politiques publiques,
ici celle du logement social.
Voulant commémorer ce moment fondateur, l’office Plaine Commune Habitat a souhaité s’adresser à des historiens pour mettre ce texte législatif en
perspective et donner un éclairage scientifique à un ensemble de manifestations
dont il a pris l’initiative. En réponse à cette demande, qui recoupe nos champs
de recherche, nous proposons la tenue d’un colloque international et pluridisciplinaire, ancré dans le territoire géré par cet organisme, couvrant un siècle
d’histoire du logement social. La Seine-Saint-Denis offre l’occasion d’étudier
un territoire anciennement industrialisé, avec des gros problèmes de crise du
logement populaire, soumis à un renouvellement tant de ses activités que de sa
population. Ce territoire a connu toutes les formes d’industrialisation, puis de
désindustrialisation et de reconversion, ainsi que les diverses vagues de migrations, des Bretons aux Africains. Des communes emblématiques de la banlieue
rouge se sont saisies de l’instrument du logement social qui reste aujourd’hui
une question cruciale sur ce territoire.
Cette approche doit permettre d’éclairer le jeu complexe des différents acteurs impliqués dans la production de logement social : l’État, les collectivités
territoriales, les réformateurs sociaux, la Caisse des Dépôts et consignations, le
Crédit foncier… Pour mieux comprendre les spécificités du système français,
on le comparera à chaque étape à des cas européens en nous attachant en priorité aux épisodes peu connus ou peu traités par la recherche.
Le découpage chronologique en cinq périodes interroge les capacités
d’adaptation du modèle français à diverses conjonctures (Belle Époque, crise
des années 1930, Trente Glorieuses, choc pétrolier).
rapport d’activité
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Quant à la dernière période, le temps présent du logement social, la question posée est celle du choix entre l’universalité du modèle français pensé pour
tous les salariés et un modèle résiduel, logeant des populations ciblées, en
grande difficulté. Le colloque scientifique sera suivi d’une série de témoignages
et débats sur l’avenir du logement social.
Comité scientifique : Emmanuel Bellanger (CNRS), Annie Fourcaut (Paris 1),
Patrick Kamoun (USH), Benoît Pouvreau (Service du patrimoine culturel de
Seine-Saint-Denis), Danièle Voldman (CNRS).
Fondation Toit et moi, Cent ans de logement social
Fonds de dotation (article 140 de la loi du 4 août 2008) présidé par le sénateur
Jack Ralite
Les actes du colloque seront publiés
Programme
Introduction : Annie Fourcaut (Paris 1), Danièle Voldman (CNRS)
Autour de la loi Bonnevay
9 Février 2012
9h-12h : Préparation et vote de la loi, présidence Isabelle Backouche (EHESS)
Le logement social à Saint-Denis avant la loi Bonnevay, Benoît Pouvreau (Service du patrimoine
culturel du conseil général de la Seine Saint Denis)
La préparation de la loi et les débats dans le milieu du logement social, Patrick Kamoun (USH)
La loi Bonnevay et ses effets, Maurice Carraz (directeur général de la Fédération des Offices)
Le logement des classes populaires en Angleterre, Nick Bullock (King’s College, Cambridge)
•
14h-18h : L’entre-deux-guerres, présidence Christian Topalov (CNRS, EHESS)
Les Offices, des coquilles vides ?, Emmanuel Bellanger (CNRS)
Les effets de la loi Loucheur, Annie Fourcaut (Paris 1)
Monographie d’une cité-jardin du Nord Est parisien, Claire Carriou (Paris Ouest)
Les lettres de demande de logement, Hélène Frouard (EHESS)
Loger les employés allemands, Christine Mengin (Paris 1)
10 Février 2012
•
Les offices, instruments de la construction
de masse
9h-12h : Le logement social pour tous ?, présidence Sabine Effosse (université de
Tours, IUF)
Les bénéficiaires du logement social dans les années 1950, Danièle Voldman (CNRS)
Les offices et autres maîtres d’ouvrage, constructeurs des grands ensembles, Gwenaëlle Le Goulon
(Paris 1)
Le modèle socialiste de logement social, Jay Rowell (CNRS)
Les Algériens dans le logement social, Muriel Cohen (Paris 1)
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14h-18h : Les tournants des années 1970-1980, présidence Loïc Vadelorge (Paris 13)
La résorption des bidonvilles de Saint Denis, Cédric David, (Paris Ouest)
Les Offices face à la mutation des populations logées, Benoît Bréville (Paris 1)
La circulaire Guichard et sa réception dans les municipalités, Simon Ronai (Orgeco)
La réforme Barre et ses effets, Sabine Effosse (université de Tours, IUF)
Les Espagnols : tous propriétaires ?, Charlotte Vorms (Paris 1)
10 Février 2012
•
Le temps présent du logement social
présidence Denis Pelletier (EPHE)
9h-12h : Nouveau contexte, nouvelles missions ?
L’implication des locataires dans la gestion du logement, Sébastien Jolis, doctorant (Paris 1)
La création de l’office intercommunal PCH en 1999, Jean-Philippe Brouant (Paris 1)
Les offices face à un nouveau cadre législatif (loi SRU, ANRU, Dalo), Claire Lévy-Vroelant
(Paris 8)
Rénovation urbaine et transformations sociales, Sylvie Fol (Paris 1)
14h-18h : Témoignages pour l’avenir
Conclusions : Christian Topalov (CNRS/EHESS) & Stéphane Peu (maire adjoint de
Saint-Denis, vice président de Plaine Commune et président de Plaine Commune
Habitat)
l’international
L’« internationalisation » : un enjeu décisif pour le CHS
par Frank Georgi
La dimension internationale apparaît à l’évidence comme l’une des clés de
l’avenir de notre UMR. « L’internationalisation de la recherche et des publications », l’inscription dans l’espace européen et international de la recherche
et la visibilité au sein de cet espace sont devenues un enjeu essentiel et une
priorité affichée tant par le CNRS que par Paris 1, malgré le décalage entre
les ambitions proclamées et la réalité des moyens alloués. Cette question peut
difficilement être séparée des autres problèmes qui se posent à nous : budget et
locaux, documentation et bibliothèque, valorisation et affichage de nos activités, restructurations et recompositions en cours, relations avec nos tutelles, formation, financement. Enfin, et peut-être surtout, l’élaboration d’une stratégie
internationale, au-delà d’améliorations ponctuelles, dépend de notre réflexion
sur nos perspectives de recherche, individuelles et collectives, sur la pertinence
des pôles et, en définitive, sur notre « identité » collective en tant que Centre.
C’est pourquoi le conseil de laboratoire du 18 juin 2010 a souhaité engager
une première réflexion sur cette question. Nous résumons ici quelques-unes des
observations présentées dans le rapport préparatoire à cette discussion, nourri
d’échanges au sein du CHS, mais qui n’engage que son auteur.
Où en sommes-nous ?
Nos réseaux historiques
Le CHS, en tant que tel, est membre de deux réseaux internationaux,
l’IALHI et l’ITH, qui se recoupent et s’emboîtent (l’ITH étant affilié à l’IALHI). Ce sont les réseaux « historiques » du CHS. Leurs activités sont les seules
à faire l’objet d’un rapport régulier dans le bulletin (voir plus loin). D’où la
nécessité de leur faire une place à part.
1) L’ITH (à l’origine : Internationale Tagung der Historiker der Arbeiterbewegung/
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
International Conference of Labour Historians). Fondée en 1964 à Vienne, elle organise annuellement un colloque international à Linz. Son objectif premier
était de constituer un lieu de dialogue (un « pont ») entre historiens de l’Est et
de l’Ouest. La chute du communisme a entraîné une réorientation stratégique
de l’ITH vers le Sud et la volonté de promouvoir une approche transnationale et globale de l’histoire sociale. Son changement d’appellation en anglais
(International Conference of Labour and Social History) et en allemand (Internationale
Tagung der HistorikerInnen der Arbeiter und anderer sozialer Bewegungen) traduit également une volonté d’ouverture et d’élargissement. L’ITH regroupe en 2010
plus d’une centaine de membres, sur tous les continents (34 pays). La France
est représentée par le CHS, la BDIC et la MSH de Dijon. Bruno Groppo,
pour le CHS, est membre de son Board of Trustees, a organisé la conférence de
2005 sur la biographie et la proposographie, et a participé à la préparation de
celle de 2010 (Memory of Labour) Il assiste à chacune des conférences de Linz,
en rend compte et s’efforce d’y faire connaître les travaux du Centre.
2) L’IALHI (International Association of Labour History Institutions) a été fondée
en 1970 par des organisations syndicales (DGB, TUC), des partis politiques
(Labour britannique), des fondations, instituts, centres de recherche et d’archives en histoire ouvrière (Institut International d’Histoire sociale d’Amsterdam, Fondation Friedrich-Ebert…) pour favoriser la coopération en matière
documentaire. Elle regroupe aujourd’hui également une centaine de membres,
centres de documentation de syndicats, partis socialistes et communistes, institutions universitaires, fondations privées, associations, musées, répartis dans 26
pays. Si l’Europe occidentale y est majoritaire, elle s’est ouverte à l’Est (Russie,
République tchèque), aux deux Amériques, à l’Afrique (Tunisie, Afrique du
Sud), à l’Asie (Japon), à l’Australie. Pour la France, le CHS est présent aux
côtés d’une douzaine d’autres institutions (dont le CODHOS). Le CHS (Rossana Vaccaro et Françoise Blum) a été l’un des principaux organisateurs de la
conférence tenue en France en 2004. Françoise Blum, au nom du CHS, a été
secrétaire générale de l’IALHI de 2005 à 2010 et a assumé la lourde tâche de
l’organisation des conférences annuelles et tables rondes.
Ce mandat a permis un resserrement des liens, notamment avec les grandes
institutions représentées au bureau, qui sont le plus souvent centres de documentation et de recherche : Institut d’Amsterdam, Amsab-Institut d’histoire
sociale (Gand), ARAB (Stockholm), Fondation Feltrinelli (Milan), FriedrichEbert (Bonn), Senate House Library (Londres), New-York Public Library…
C’est sur cette base, élargie à d’autres organismes, qu’a été lancé le projet
Hope (voir plus loin).
l’international
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Bilan
Les deux réseaux internationaux, qui se rapprochent, ont connu ces dernières années une double évolution commune, parallèle à la nôtre : élargissement des problématiques vers une histoire « sociale » qui déborde de loin
le seul « mouvement ouvrier » et pluralisme des approches (nouveaux mouvements sociaux, genre, ethnicité, mémoire, territoires, représentations…) ;
ouverture volontariste en direction des pays du Sud et recherche des voies
d’une histoire sociale « globale ». Nous y sommes bien présents, aux côtés
d’institutions puissantes, et certains d’entre nous y exercent ou y ont exercé
des responsabilités importantes, ce qui contribue à notre reconnaissance en
tant que Centre. L’image du CHS est, par la nature même de ces réseaux, restée principalement celle d’un centre de Labour history (ce qui correspond pour
partie à l’actuel pôle 2) et la diversification de nos champs et objets d’études
semble encore mal connue.
Sans préjuger des orientations générales du CHS en matière de stratégie
internationale, il paraît important, non seulement de préserver nos relations
avec ces réseaux « historiques » en plein renouvellement, mais de les approfondir en leur donnant un caractère plus collectif. Il serait également utile de
s’appuyer sur eux pour développer et formaliser des partenariats bilatéraux
ou multilatéraux avec certains de ses membres, depuis les grandes institutions
européennes jusqu’aux nouveaux adhérents issus des pays émergents. Cela
permettrait de renforcer quelques-unes de nos orientations récentes.
L’« internationalisation » par pôles
L’introduction de notre projet scientifique pour le dernier quadriennal présentait comme une innovation importante la « globalisation de nos espaces
d’enquête », précisant que le laboratoire était souvent « resté centré par le
passé sur l’hexagone et l’Europe proche », malgré une pratique ancienne du
comparatisme. On peut rapidement esquisser un état des lieux en s’appuyant
par commodité sur les « pôles » qui structurent jusqu’ici nos recherches.
Pôle 1 : l’État en action
Ce pôle apparaît très « internationalisé », dès l’origine, par ses thématiques
et ses approches (politiques comparées, transferts) comme par la diffusion de
ses travaux. Rappelons quelques-uns des objets et terrains étudiés : politiques
d’immigration (Europe, États-Unis, Japon), émigration et diasporas, politiques
d’expulsions et de refoulements (Europe, Australie), dénaturalisations (France,
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Allemagne, R.-U., États-Unis), genre et migrations (Europe), réglementation
internationale des migrations ; discriminations et multiculturalisme ; Etats
européens et relations de travail ; services publics (voir plus loin) ; politiques
pénales et pénitentiaires en France et en Europe ; politiques publiques en territoire colonial ; violences de guerre (approches comparées) ; Empires ; politiques
comparées de la mémoire (France/États-Unis, Europe/Russie/Amérique latine). Le projet-phare de ce pôle est le programme transatlantique MATRICE,
retenu comme Équipement d’excellence (voir plus loin).
Pôle 2 : Socialisations et mouvements sociaux
Ce pôle est l’héritier en ligne directe du Centre d’histoire du syndicalisme,
auquel la dimension internationale (et internationaliste) n’a jamais été étrangère. Le « Maitron » français a favorisé l’émergence d’une « Internationale des
dictionnaires » (certains en voie de révision, d’autres à la veille de paraître).
L’ouverture des archives de Moscou a renforcé les coopérations internationales, en particulier avec la Russie et la Belgique. Des coopérations se poursuivent (Belgique, Amérique latine, Suisse, Canada), d’autres s’amorcent (Italie,
Espagne). Des pistes nouvelles sont ou ont été explorées : les organisations internationales dans le domaine de la coopération ; les mutations du syndicalisme international à l’heure de la mondialisation ; les mouvements sociaux
dans l’Afrique coloniale et post-coloniale (voir plus loin) ; la circulation internationale des contestations et des utopies. Rappelons que les colloques comparatistes sur le syndicalisme, depuis 1995, ont non seulement permis d’entretenir
un réseau européen dense, mais dégagé une méthode originale en matière de
comparatisme. C’est au pôle 2 que se rattache le projet européen Hope.
Pôle 3 : politiques, systèmes, relations
Le pôle 3 a nourri d’importantes recherches sur les relations culturelles
internationales, transferts et acculturation (américanisation) ainsi qu’une réflexion épistémologique à travers la confrontation des approches historiographiques (histoire culturelle/ cultural studies). Certains axes (histoire et anthropologie des mondes juifs) s’inscrivent d’emblée une dimension transnationale et
comparatiste. Le comparatisme représente une dimension importante d’autres
initiatives : journées sur la sortie au spectacle, les directeurs de théâtre, colloque international sur les festivals xixe-xxe (automne 2011). Rappelons que
Pascal Ory est l’un des membres fondateurs de l’International society for cultural
history (ISCH).
l’international
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Pôle 4 : Gouverner et habiter les villes contemporaines
Le pôle entend assumer à la fois son rôle de pôle de recherche et d’expertise pour Paris et l’Ile-de-France et une perspective comparatiste européenne
pour une histoire du phénomène urbain. Plusieurs thèses en cours portent les
circulations internationales (transferts de technologie et de projets, logement
social) ou les comparaisons (politique de la ville). Ces dernières années, Annie Fourca
ut et Danièle Voldman ont fortement contribué à affirmer
l’importance du comparatisme et la visibilité internationale du CHS en histoire urbaine. Un projet phare est porté par le pôle : Se loger en Europe à l’Est
et à l’Ouest 1947-1989 (voir plus loin).
Bilan
Malgré un ancrage national (et francilien) toujours fort, le CHS peut de
moins en moins être considéré comme exclusivement centré sur la France.
Les horizons s’élargissent, le comparatisme tend à devenir un réflexe, les approches transnationales et les circulations s’affirment. Cette tendance ne pourra qu’être renforcée avec les recrutements récents (Julie Verlaine, Charlotte
Vorms…) Nous avons une expérience solide et des approches originales en
matière de comparatisme Il s’agit de l’afficher plus nettement pour faire évoluer une image qui ne correspond plus vraiment à la réalité.
Ces orientations vont de pair avec une pratique accrue de coopérations,
parfois régulières, souvent non formalisées, avec des partenaires étrangers.
Celle-ci se heurte à des problèmes de moyens et de locaux qui obligent à une
recherche très volontariste de financements. Les réseaux qui sous-tendent ces
coopérations sont de nature très diverse, le plus souvent informels, cloisonnés et pas toujours faciles à cerner. Géographiquement, et de manière encore très impressionniste, se dessine un socle constitué de l’Europe occidentale
(avec certains partenaires qui reviennent souvent) et l’Amérique du Nord ; des
contacts avec l’Amérique latine et dans des pays de l’ex-bloc communiste ;
quelques ponts avec l’Océanie et l’Extrême-Orient et une ouverture récente
sur l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.
Propositions et interrogations
Propositions
Quelques propositions concrètes ont été avancées et ont commencé à être
mises en œuvre. En ce qui concerne l’affichage, le site comme le bulletin pa-
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
pier devront donner une visibilité plus grande à nos activités internationales :
rubriques spécifiques régulièrement alimentées, affichages des réseaux et des
invitations, projets, programmes, événements, publications, version en anglais
des textes les plus importants, plaquette bilingue de présentation du Centre…
Une meilleure circulation de l’information en interne, une recherche et une
utilisation plus systématiques des ressources (Paris 1, CNRS…) offrant une
aide technique indispensable pour le montage des projets internationaux,
depuis les financements d’amorçage permettant d’initier et de formaliser des
coopérations modestes jusqu’aux grands projets européens.
Dans un tout autre ordre d’idée a été également été évoquée la possibilité
de postuler à la prise en charge un projet ambitieux, à savoir l’organisation
ou la co-organisation à Paris d’un congrès de la European Social Science History
Conference. Rappelons que l’ESSHC a été créée en 1996 par l’Institut international d’Histoire sociale d’Amsterdam (notre puissant partenaire de l’IALHI
et de l’ITH). Elle réunit tous les deux ans chercheurs en sciences sociales et
historiens « sociaux », autour d’une trentaine de réseaux thématiques (parmi
lesquels le travail, la ville, les femmes et le genre, les inégalités sociales, les migrations et l’ethnicité, la politique, la citoyenneté et les nations, l’histoire orale,
la culture, l’économie, la religion, la justice criminelle, l’éducation et l’enfance,
la santé, l’histoire globale…). Philippe Rygiel y est président du réseau « migrations et ethnicité » et s’est renseigné sur la possibilité d’organiser un congrès
à Paris en 2016 (voire 2014). Il s’agirait d’un gros projet (1 300 participants sur
quatre jours) qui demanderait un fort engagement de notre part, avec le soutien matériel d’Amsterdam. Outre son caractère fédérateur (chacun pourrait
y trouver sa place), les retombées positives d’une telle opération en matière
de visibilité internationale, de publications, de coopérations nouvelles seraient
évidentes. L’investissement matériel et intellectuel, les alliés éventuels à trouver, l’importance d’un projet qui engagerait le centre en tant que tel à moyen
terme, tout cela demande cependant une réflexion approfondie.
Une stratégie internationale ?
Les propositions qui précèdent ne sont que des suggestions d’amélioration
technique à court terme, en ce qui concerne l’affichage et l’information. Seule
la dernière engageait au-delà.
Pour le reste, consolider et étendre les réseaux existants, développer des
partenariats nouveaux, structurer et formaliser davantage les coopérations
en cours, accroître le nombre de cotutelles, recourir davantage aux échanges,
proposer davantage de chantiers internationaux, acquérir une expertise de
manière à mieux répondre aux appels à projets, mieux se faire connaître sur
l’international
55
55
la scène internationale : ces objectifs tiennent du catalogue de vœux pieux - si
forces et moyens ne suivent pas - ou, au mieux, de généralités. Ils ne définissent
pas une stratégie. Or, l’élaboration collective d’une stratégie internationale du
laboratoire, si elle est souhaitable, ne va pas de soi.
Elle suppose résolue une interrogation de fond : le CHS doit-il d’abord se
mettre au service des projets individuels ou collectifs (pôles, équipes) en son
sein ? Doit-il être d’abord un label, une structure de coordination et d’appui ?
Ou doit-il fixer ses propres priorités, thématiques, géographiques ? Si oui, sur
la base de quelle « identité » commune ?
Par ailleurs, jusqu’où peut-on et veut-on s’engager dans l’internationalisation et les grands projets ? Quelle que soit la réponse donnée, on ne peut que
souligner à nouveau la lourdeur et la difficulté de tout programme international d’envergure et la nécessité de soutenir collectivement les collègues qui
décident de les porter.
Enfin, le paysage de la recherche française est très mouvant. Quels effets
attendre ou rechercher de la présence de nouveaux partenaires au sein du
PRES, avec leurs propres réseaux internationaux ? De la « synergie » Condorcet ? Du Grand Emprunt et des « labos d’excellence » ? Quels partenaires privilégier, quelles alliances nouer, pour quels objectifs ? Les sujets de réflexion,
on le voit, ne manquent pas.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Le réseau IALHI (International Association of Labour History Institutions) et le projet
européen HOPE = Heritage of people’s of Europe
par Françoise Blum
Il est difficile de dissocier le projet Hope du réseau IALHI (International
Association of Labour History Institutions), dans la mesure où c’est l’IALHI,
dont Françoise Blum est depuis cinq ans secrétaire générale, qui a véritablement été la matrice de Hope. Le Centre d’histoire sociale avait organisé
en février 2009 une journée d’études intitulée : For an international concerted policy of labour history archives digitisation : international workshop. Au
cours de cette journée, le problème de l’accès aux documents numérisés avait
été soulevé. Les numérisations des ouvrages, périodiques, mais aussi des fonds
d’archives proprement dits sont de plus en plus nombreuses. La BNF, par
exemple, a un très lourd cahier des charges en matière de numérisation – auquel collaborent d’ailleurs le Centre d’histoire sociale et le Collectif des centres
de documentation en histoire ouvrière et sociale (Codhos) pour les questions
ouvrières et sociales. L’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam a
entrepris, avec l’aide financière des grandes compagnies d’assurance, la numérisation intégrale des grands fonds du marxisme et de l’anarchisme. Chaque
institution, petite ou grande, a des photos numérisées, parfois aussi des tracts
(comme c’est le cas pour le CHS avec son iconothèque en ligne et l’opération
de numérisation des tracts de mai 68). La question qui se pose alors avec le plus
d’acuité est celle de l’accès à ces millions de documents.
C’est pour apporter des solutions à cette question de l’accès, que treize
membres de l’IALHI ont présenté un projet dans le cadre du programme européen ICP/PSP : « Best practice network ». Ce projet a
été accepté. Les treize partenaires ont obtenu un financement global de 2 700 000 €. Six pays sont représentés :
l’Allemagne avec la Friedrich Ebert Stiftung, les Pays-Bas
avec l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam, l’Italie avec le CNR-ISTI (Consiglio nazionale delle
Riserce) et la CGIL (Confederazione generale italiana del
lavoro), la Hongrie avec l’OSA (Open society archives), la
France avec le CHS et l’association Génériques, le Portugal avec la Fondation Mario Soares. Le but de ce projet
est de centraliser (et, partant, de faciliter) l’accès aux documents numériques dans le domaine de l’histoire ouvrière
et sociale en enrichissant la bibliothèque numérique européenne Europeana et en construisant un véritable portail
européen spécialisé en histoire ouvrière et sociale. Euro-
57
© Eric Beving
l’international
peana est jusqu’à présent très majoritairement alimentée par la BnF et sa base
numérique Gallica. Il s’agit donc avec le projet Hope de l’enrichir de matériaux plus diversifiés. L’IALHI abrite un embryon de portail (Labour history
portal) qu’il faut développer.
Cela en fait n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Chaque institution, quand
elle numérise, et quand elle donne accès aux données numérisées, a ses propres
logiciels et ses propres règles, puisées généralement aux standards et normes
internationales, mais simplifiés et/ou adaptés. Le premier travail à faire pour
les partenaires de Hope est d’abord celui de l’intégration de toutes les données
numériques dans un même standard, pour les rendre compatibles les unes
avec les autres. Cette normalisation doit aussi être faite sur le terrain juridique
puisque le numérique obéit à des lois nationales qui ne sont pas toujours identiques : il faut compter aussi en ce domaine avec une « prise de risque » qui
diffère selon les institutions.
Il s’agit aussi de construire des tables d’équivalence ou des thesaurus de
noms de personne, de vocables géographiques, voir même des concepts qui
différent en histoire d’un pays à l’autre : le concept « les années 68 » n’existe
pas en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Pour donner un autre exemple,
l’utilisateur doit pouvoir trouver tous les textes concernant Lisbonne qu’il interroge à Lisboa, Lisbon ou Lisbonne, tous les textes de Trotsky, qu’il interroge
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
à Trotski ou Trotskicj… etc. Ce n’est pour l’instant pas le cas quand on interroge Europeana.
Pour réaliser ce qui de l’extérieur peut paraître assez simple, une architecture très complexe doit être mise en place, qui comprend un agrégateur de
métadonnées, des entrepôts OAI, un réservoir numérique partagé. Nous ne
pouvons ici entrer dans les détails. Le schéma ci-dessous présente les grandes
lignes de la structure en construction de Hope.
La finalité du projet Hope est de mettre en place de « bonnes pratiques »
qui pourront ensuite servir à d’autres et seront bien sûr valables bien au-delà
des 36 mois que doit durer le projet. Le rôle du CHS sera aussi de diffuser ces
« bonnes pratiques » à l’Ouest et au Sud de l’Europe – d’abord à l’intérieur
du réseau IALHI –, voir même aussi à d’autres continents : Afrique du Nord,
Afrique sub-saharienne, Amérique latine. Mais pour l’instant, le centre coordonne le travail nécessaire dans les institutions que le projet désigne comme
Content providers, c’est-à-dire fournisseurs de contenu. Pour la France, il
s’agit de la BDIC, de la Maison des sciences de l’homme de Bourgogne (qui a
déjà numérisé la plus grande partie des brochures de l’ancienne bibliothèque
marxiste) et de l’association Génériques. On envisage également la diffusion
des « bonnes pratiques » au sein du Codhos et un portail spécialisé français,
qui serait une sorte de relais pour le portail européen. Le prochain atelier
Hope organisé par le CHS aura très probablement lieu en février.
Pour réaliser le projet, de nombreux ateliers sont nécessaires qui se tiennent alternativement chez les différents partenaires et permettent ainsi de
mieux connaître les institutions en présence et d’enrichir les contacts. L’atelier
de septembre 2011 s’est tenu juste avant la conférence de l’IALHI qui a fêté
cette année les 75 ans d’existence de l’IALHI d’Amsterdam.
Hope (Heritage of the people’s Europe)
• http://www.peoplesheritage.eu/
Hope presents the heritage of the people of Europe and their history in the
process of social change. Hope networks the digital collections of European
institutions in social history and the history of the labour movement. HOPE
unites more than 880,000 digitised objects from the end of the 18 th century
down to the present, making them available through web based platforms like
Europeana and the Labour History portal.
First and foremost, Hope aims to increase the quantity of quality content
available through Europeana. The Hope approach combines consensus buil-
l’international
59
ding and awareness-raising activities with the implementation of an infrastructure for metadata dissemination and digital content delivery functions.
Hope plans to achieve its goals by :
- Promoting the adoption of standards and best practices. Hope will attempt to improve quality of the content, the metadata and the service delivery
through sharing best practices in digitization, metadata harmonization, digital
curation, web service delivery logistics and re-use of content (best practice
network – BPN).
- Working out a social history metadata aggregator that collects the available data (metadata and preview/thumbnails and direct link to digital objects)
and ensures interoperability with the Europeana platform. The aggregator
supplies this data to Europeana by use of the Europeana metadata ingest tools.
- Creating a social history content repository for Best Practice Network
partners who are not able to set up and maintain a sustainable digital collection management facility for themselves, due to lack of expertise and technical resources. The shared repository provides basic storage, management and
access services and ensures the transparent and straightforward location and
delivery of digital content.
- Upgrading and enhancing the existing version of the Labour History
Portal by use of web services ;
- Engaging the community of social history institutions, and more widely
the scientific community, through awareness-raising, best practice sharing,
offering support and access to the BPN-facilities and by taking new content
providers on board as the project proceeds.
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Le programme MATRICE = Memory Analysis Tools for Research 
through International Cooperation and Experimentations
par Denis Peschanski
En janvier dernier, le programme MATRICE a été retenu comme Equipement d’excellence dans le cadre du Grand emprunt. Il est l’un des 4 Equipex portés par les sciences humaines et sociales à avoir été retenus dans cette
première vague.
Il s’agit d’un travail en réseau transatlantique et transdisciplinaire pour
l’étude de l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire sociale (collective). Le défi est épistémologique et sociétal. En effet il confronte, pour la
première fois, des scientifiques d’horizons complètement différents, essentiellement des sciences humaines et sociales, des sciences du vivant et des sciences
de l’ingénierie pour mieux dépasser ce que nous avons diagnostiqué comme
un blocage épistémologique : autant, dans chacun des grands domaines disciplinaires, des progrès essentiels ont été faits ces dernières décennies pour
comprendre les phénomènes mémoriels, qui de la molécule à l’individu, qui de
l’individu au social, autant il semble, dans bien des domaines, qu’on déroule
aujourd’hui plus qu’on innove. Nous postulons que la compréhension des mécanismes complexes de la mémoire passera par une construction transdisciplinaire, dans le sens où il s’agit bien de construire un objet de recherche en
commun et non simplement de mobiliser les disciplines en parallèle.
Nous souhaitons dans le même temps relever le défi sociétal dont témoigne
la place de la mémoire sociale comme construction collective du passé dans les
sociétés postmodernes. Qu’elles imprègnent les discours politiques ou qu’elles
soutiennent des mémoriaux, réels ou virtuels aux fonctions toujours plus diverses et aux dimensions toujours plus imposantes, les références à un passé
construit comme mémoire commune occupent une place centrale dans la vie
de la cité. Nous postulons que toute réflexion sur la mémoire doit déboucher
sur l’analyse de ses effets sociaux et qu’elle passe par la confrontation entre les
scientifiques et les professionnels des musées et des producteurs/conservateurs
de témoignages. Pour relever ce double défi, nous avons besoin de moyens de
calcul et de stockage et de modélisation importants au service de la communauté. Leur mobilisation contribuera à mieux structurer celle des systèmes
complexes. Ce projet s’insère dans la feuille de route nationale de l’Institut des
systèmes complexes (PIF), devenue européenne en 2010.
Il existe des corpus très importants de témoignages (écrits, oraux ou audiovisuels) de ceux qui ont participé aux grandes tragédies de l’histoire très
contemporaine. Nous avons privilégié deux moments clés, deux matrices du
très contemporain : la Seconde Guerre mondiale et le 11 septembre 2001.
l’international
61
Ces corpus sont une mine de connaissances pour
les historiens ou les sociologues et, plus généralement,
ce sont eux qui sont le plus souvent montrés au grand
public et participent ainsi à la construction des grands
récits nationaux.
Nous visons à mettre la plateforme technologique
au service de trois grands ensembles de corpus : les témoignages (écrits, audio et audiovisuels) ; les journaux
télévisés et actualités radiophoniques comme sources
des « grands récits nationaux » sur l’événement référence ; les visiteurs des mémoriaux (par installations
de capteurs et de Eye and Postural Trackers).
Porté par le Pres HéSam et le Centre d’histoire sociale du xxe siècle (UMR 8058), le programme réunit
25 partenaires (Pres HéSam, le CNRS, l’École Polytechnique, l’INA, France Télévisions, une dizaine de
laboratoires, mémoriaux, fondations).
Site internet de l’équipe de recherche :
www.cnrsnyu.com
On January 2011, the program MATRICE was
selected as an Equipement d’excellence. Objective : to
work in a trans-disciplinary network in order to study the relationship between
individual and collective memory using a new type of technological platform.
The challenge is epistemological and societal. In fact, for the first time,
scientists from completely different fields, essentially from the humanities and
social sciences, life sciences and engineering, will come together with the aim
of overcoming what we have identified as an epistemological block : although
major advances in understanding the phenomena of memory – from the molecule to the individual, from the individual to society - have been made in the
main scientific disciplines during the last decades, it seems that today in many
disciplines there is more repetition than innovation. We maintain that instead
of simply doing research in parallel, trans-disciplinary equipment based on a
common scientific project is called for to obtain a deeper understanding of the
complex mechanisms of memory.
At the same time we also want to take up the societal challenge reflected in
the importance of social memory in the collective construction of the past in
postmodern societies. References to a past that has been constructed by a collective memory play an important role in society : in political speeches or in the
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
support of real or virtual memorials, whose functions are increasingly diverse
and whose dimensions increasingly large. We maintain that any reflection on
memory must lead to an analysis of the effects it has on society, and that it calls
for a dialogue between scientists and museum specialists as well as producers/
custodians of witness testimony.
To meet this double challenge, we need major computing, storing and
modeling resources for the various scientific communities all over France and
abroad. With these resources we will be able to achieve an optimal structuring
of the complex systems our approach requires, in the sense that in order to
solve the problems we will be dealing with, a multi-factor, multi-scale and
multi-disciplinary analysis is called for, based on mathematical modeling. This
project is part of the National Roadmap (since 2010 the European Roadmap)
initiated by the Complex Systems Institute (CSI),
There is a substantial corpus of testimonies (written, oral and audio-visual)
from witnesses to the great tragedies of contemporary history. We have selected two dramatic key events : the Second World War and the 11th September
2001.
These testimonies provide a mine of information for historians or sociologists and, in more general terms, they are what is most often presented to the
general public and thus contribute to the construction of the “grand national
narratives”. We aim to put this technological platform at the disposal of three
major corpora : the witness testimonials (written, oral and audio-visual) ; the
television and radio news programs that are a source of these “grand national
narratives” regarding these events ; the visitors of memorials (installation of
intelligent sensors and Eye Trackers).
Partnership : Pres HéSam, Centre d’histoire sociale du xxe siècle University Paris 1, CNRS, École Polytechnique, INA, France Télévisions, twelve labs,
memorials, fondations).
l’international
63
Groupe de recherche européen :
Se loger en Europe dans la seconde moitié du xxe siècle
par Annie Fourcaut et Danièle Voldman
La demande de financement auprès du programme européen cost ayant été finalement
refusée, le projet Se loger en Europe à l’est et
à l’ouest 1947-1989 a été recentré sur une recherche plus ramassée dans le temps et dans ses
attendus. À partir du constat d’un manque généralisé de logement à travers l’Europe dans la
deuxième moitié du xxe siècle, il s’agit désormais
d’étudier les formes prises par cette crise, sur le
plan matériel et quantitatif, mais aussi dans ses
aspects politiques et sociaux et dans ce que l’on
pourrait appeler un « imaginaire européen » de
la crise du logement. La recherche doit déboucher sur un numéro spécial du Mouvement social,
dont le principe a été accepté par le comité de
rédaction pour une publication prévue au second semestre 2013.
Après la première journée d’étude qui s’était
tenue au CHS le 10 mai 2010, une deuxième
journée, réunissant toute l’équipe (Nick Bullock,
Lydia Coudroy de Lille, Flavia Cumoli, Christian Dessouroux, Adriana Diaconu, Annie Fourcaut, Christel Frapier, Frédéric Saly-Giocanti, Joao Nunes,
Danièle Voldman, Charlotte Vorms), a eu lieu le 5 mai 2011 à Cambridge.
Différents thèmes y ont été abordés à travers des mises au point des
membres de l’équipe.
1) Pour analyser la crise du logement après 1945, on ne peut faire l’économie d’un retour sur la moyenne durée, des années 1850-1890 jusqu’à la fin du
xxe siècle. Même si les parallélismes sont frappants, les chronologies sont en
effet différentes selon les pays : par exemple, l’avance en matière de logement
de la Grande-Bretagne s’estompe après les années Thatcher. À partir de ce
moment, il n’y a plus dans ce pays ni diagnostic de crise, ni politique publique
du logement, ce qui n’est pas le cas en France ou en Roumanie.
2) On peut, pour la France, énoncer une périodisation qui distingue trois
grands moments : des années 1850-1890 à la fin du xixe siècle, voire jusqu’en
1914, la crise est celle des loyers, de la cherté des logements ; puis dans les années 1940-1950, quand la question devient un problème politique majeur, il
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
s’agit d’une crise quantitative traduisant le manque de logements confortables
pour la majorité des familles de salariés urbains autochtones ; enfin, dans le
dernier tiers du siècle, à partir du VIe Plan, la question devient celle du logement des exclus, des étrangers et des immigrés, qu’il s’agit de faire entrer dans
le logement social. Au début du xxie siècle, commence peut-être une nouvelle
période caractérisée par l’émergence de la notion de droit au logement pour
tous, symbolisée par la loi DALO (Droit au logement opposable), votée en
2007. La périodisation française est-elle valable ailleurs ?
3) Qui fait le diagnostic ? Qui parle de crise ? D’où proviennent les archives,
les sources qui en sont les traces pour le chercheur ? Il s’agit de délimiter les
discours des savants, des experts, des réformateurs, des démographes. Le diagnostic est-il porté dans les mêmes termes par l’État et l’administration ? Que
disent, de leur côté, la presse, les organisations internationales ? Comment tenir compte des cas particuliers d’expression de la crise en régime dictatorial,
abordée dans le débat à propos du Portugal, de la Pologne et de la Roumanie ?
4) Qui sont les victimes de la crise ? Qui en sont les profiteurs ? Comment
se font les catégorisations ? En France, par exemple, dans les années 1960, les
victimes sont les familles françaises. Les immigrés dans les bidonvilles ne sont
pas considérés comme des victimes. En RDA et en Pologne, la catégorisation
est bien davantage socio-politique. Au Portugal, ce sont les nouveaux urbains
vivant dans les bidonvilles qui sont considérés comme les victimes de la crise.
De ce point de vue, il faut insister sur « l’impensé du rural » ou des ruraux,
qui ne deviennent des victimes de la crise qu’au moment où ils migrent vers
les villes. Reste également le problème des régimes fascistes et de leur rapport
au monde rural. À l’opposé, en Pologne, les privilégiés sont les mineurs et les
fonctionnaires.
5) Les mobilisations contre les crises sont de nature variée : protestations et
grèves en Italie dans les années 1969 ; riots à Londres et Liverpool après 1979 ;
appels des abbés Pierre et Froidure en France et en Belgique. Les mobilisations
se sont également faites par le biais du cinéma de fiction et des documentaires.
6) En apparence prometteur, l’établissement d’une chronologie croisée des
éléments de la « crise » du logement en Europe ne semble pas heuristique.
Sans doute faut-il dans un premier temps s’en tenir aux trois grandes périodes
présentées au point 1 à partir du cas français mais généralisable grosso modo
à d’autres pays d’Europe : au temps de la Belle Époque et de l’entre-deuxguerres, la crise est celle de la cherté des loyers ; pendant les Trente glorieuses,
il s’agit plutôt d’une crise quantitative concernant les salariés, plus particulièrement les salariés autochtones. À la fin du xxe siècle, la crise du logement
l’international
65
concerne avant tout des exclus. C’est aussi à la fin du xxe siècle et au début du
suivant, qu’apparaît parallèlement la question du droit au logement.
On peut néanmoins définir quelques grandes scansions européennes.
D’abord, les deux après-guerres et les reconstructions. Avec des réponses différentes, la plupart des pays ont utilisé les ruines de 1918 et de 1945 pour repenser le logement et le rôle de l’État dans sa gestion (c’est vrai pour la France, la
Belgique, la Pologne, la Grande-Bretagne, la Roumanie, l’Espagne, l’Italie où
l’avènement du fascisme n’influence que marginalement la politique générale
du logement). Ensuite, partout, la période des années 1950 est caractérisée
par une activité constructive relativement intense, avec des constructions à la
périphérie des villes, la standardisation du bâtiment présente en Espagne, en
Roumanie, en France, en Belgique, en Pologne. Pour l’Italie, on peut noter
en 1948 la présentation du Quartiere QT8 à Milan et au Portugal, en 1960
de nombreux reportages à propos des nouveaux quartiers en banlieue. C’est
aussi dans la décennie 1960 que se généralise en Pologne l’utilisation du préfabriqué. Plus précisément, on repère le lancement concomitant en 1953-1954
de grandes politiques de construction en France, en Roumanie, en Italie, et
dans une moindre mesure en Pologne avec la réapparition des coopératives, à
nouveau autorisées à fonctionner en 1954. Toute la question est de savoir s’il
s’agit simplement d’une évolution parallèle à l’augmentation démographique
et à une certaine prospérité économique ou si ce sont des réponses à un déficit
d’habitations.
Par ailleurs, en l’absence de repères chronologiques précis qui auraient une
valeur à l’échelle européenne, quelques thèmes peuvent apparaître comme autant de « moments » chronologiques concomitants.
1) L’apparition du logement comme problème politique et social.
Même si l’on admet que la définition de la crise n’est pas univoque et que
ce n’est peut-être pas le terme à employer, il faut évidemment se poser la question de la différence entre un problème et une crise (pénurie « objective », sentiment d’insolvabilité ou de précarité, danger social…). Il y a, quoi qu’il en soit,
un mouvement général en Europe dans la deuxième moitié du xixe siècle : des
lois sont votées en 1867 et 1889 en Belgique (avec de plus la création, en 1919
de la Société nationale des habitations et logements bon marché), en 1894 en
France. En Italie, c’est la création en 1903 des Istituti autonomi case popolari. Au
Portugal, la législation sur le logement social date de 1918 avec la création des
Casas Economicas. En Pologne, une loi autorise en 1920 le fonctionnement de
coopératives. C’est bien un mouvement européen. Il s’agit de savoir s’il correspond plutôt à la prise de conscience des classes politiques d’un problème du
logement ou davantage d’une réponse à une crise.
66
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
2) La succession de phases de construction massives et de contraction de
la construction, qu’il s’agisse de logements « sociaux » ou relevant du secteur
privé.
3) Les lois sur les loyers. S’il reste à préciser en quoi la réglementation des
loyers par la puissance publique est l’un des aspects de ce qui apparaît comme
une « crise » du logement, l’intervention de l’État dans la fixation des loyers
apparaît de façon récurrente à travers le territoire européen. Exemples : en
France, 1914, moratoire des loyers, 1948, loi sur les loyers ; en Roumanie, 1914,
gel des loyers, 1921-1931, prolongation du gel des loyers ; en Italie, 1918, loi sur
le blocage des loyers, 1978, loi sur l’equo canone, 1998, création du Fonds national pour le soutien à l’accès aux habitations en location ; en Espagne, 1920,
loi sur les baux urbains, favorable aux locataires, 1946, loi sur les loyers urbains, qui renforce la loi précédente, 1985, décret Boyer, libération des loyers ;
au Portugal 1947, limitation des loyers, 1959, HLM à Lisbonne ; en Pologne
1919, blocage des loyers au niveau de 1914, nouvelles mesures en 1945, avec
gel des loyers au niveau du 1er septembre 1939, décret sur les loyers du 28 juillet
1948, ils sont plus élevés dans les appartements neufs ou rénovés par l’État. La
première hausse des loyers après la fin de la Seconde guerre n’intervient qu’en
1965…
4) L’engagement ou le désengagement de l’État. C’est sans doute une des
questions centrale, même si elle n’épuise pas la question de la crise, en particulier dans sa perception et non avec des critères objectifs qui permettraient de la
nommer et de la décrire.
5) Les revendications populaires pour le logement et en faveur des sans-logis. Est-ce que la présence de populations non-logées (vagabonds, populations
errantes, sans domicile fixe, clochards…) est un signe de crise du logement ?
Proche de ce thème, les occupations illégales de logements et les réquisitions
par la puissance publique d’immeubles mériteraient aussi une étude comparative à l’échelle européenne
L’équipe se réunira à nouveau à Bruxelles en mars 2012 pour la mise au
point définitive des contributions avant leur remise au Mouvement social.
Housing in Eastern and Western Europe, 1947-1989
After the Second World War, Europe experienced a housing crisis. The
causes most easily understood resulted from three mixed factors at work in all
countries : wartime destructions, population movements and renewed demographic growth. Despite all European countries were quite rapidly rebuilt, the
housing shortage persisted until the beginning of the 1980s and is still going
in most European countries at the beginning of xxi° century. By examining
the housing issue at a European level, the aim is to study the various ways that
l’international
67
nation-states responded to the housing problem from the separation of Europe
into two blocs in 1947 until the fall of the Berlin Wall in 1989.
The first question to be addressed is the historical approach to be implemented. This will involve determining whether the study will compare the
history of nation-states or have a transnational European focus. How should
the national framework be handled ? Ultimately, is the national aspect an essential one, or is it dissolved in the broader European construction ? Was the
difference in political regime between parliamentary democracies and popular
democracies decisive in apprehending the crisis and in the types of measures
undertaken to resolve it ? Did national traditions in terms of social protection
and support for underprivileged people’s housing persist despite political and
institutional transformations ? Potential political influences on the housing administration modes will form a backdrop to this study, which will also highlight
the social aspects of inadequate housing, by questioning the concept of the
housing crisis, its timeline, definition and differentiated perception in various
countries.
Alongside national histories, which are fairly well documented, there are
now a relatively large number of studies of European housing. However, these
studies have two particular features.
Firstly, most are sociological works. This is why most do not cover a long
time period. Yet while the period covered in our project (1947-1989) is slightly
less than half the 20th century, this project will also rely on longer-term studies.
Reference to preceding decades (after the First World War in the 1920s, or during the Great Depression in the 1930s) is needed to understand the causes of
the housing crisis and national particularities. Thus, to quote just one general
example, the contrast between the housing crisis in France in the 1930s and the
relative comfort of German housing during the same era is attributable both to
the territorial and political effects of the Treaty of Versailles, and to the rise of
the Nazi regime in Germany after 1933.
Secondly, studies of housing have largely focused on social or workers’ housing. While the definition varies from one country to the next, social housing
can be defined, across Europe, as the sector aimed at meeting the needs of underprivileged populations or those that are financially unable to find housing in
the private market, with full or partial funding via public loans. This is a major
part of the housing question, especially as public policy is a dynamic field for
studies in the social sciences. However, on the one hand, social housing can
take on other forms, such as the housing built by German labour unions ; on
the other hand, the housing sector cannot be reduced to social housing alone,
or even to the broader subsidised housing sector. The housing sector has specific national features and the level of housing construction varies. Thus, in the
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early 1950s, housing construction was much lower in France than in the UK
or Germany. Yet to grasp all the factors that lead to a portion of the population having (or considering itself to have) inadequate housing, all segments of
the housing market must be taken into account. This involves considering the
production and use of the entire housing supply, from luxury homes to slums,
from urban to rural or suburban housing.
Our study will encompass all players that play a role in the housing issue.
Some of these are known (State, local/regional authorities and social housing
entities), whereas others – real estate developers and estate agents – have not
been treated in-depth historical studies. We also will measure to impact of interactions between all these players after first identifying them and situating
them in the appropriate national framework. In the example of states, we will
examine whether Eastern and Western European states can be understood
monolithically. Does each state harbour internal contradictions, tensions and
diverging interests ? Are the boundaries between the public and private sector fully identifiable and impermeable ? Thus, we may review the interactions
between the various decision-making scales. We will include inhabitants’ aspirations for a “good home” in the study. These aspirations are built via a process
of interaction between individual aspirations and their political and institutional formalisation, with give-and-take, negotiations and compromises.
Thus, this history of housing in Europe will be addressed in terms of both
use (i.e. how were Europeans housed during the Cold War ?) and means (i.e.
what measures were implemented by the various housing sector players in order to produce an acceptable and diversified supply) ? Now, when Europe becomes a political and social united space, past needs to become a common one.
This European history of housing will focus on transnational questions and on
the hypothesis of housing as a specific European way of life.
Projet de recherche Centre d’histoire sociale du xxe siècle (chs) et Institutions et dynamiques historiques de l’économie (idhe) :
Les services publics à l’épreuve : entre marchés et égalité (France, 
Europe occidentale et espaces coloniaux au xxe siècle)
par Michel Margairaz et Michel Pigenet
Les services publics : débats et avancées historiographiques
L’existence des services publics et leurs modalités font débat depuis plus de
deux siècles, bien avant même la fixation juridique des termes et des principes
au tournant des xixe et xxe siècles. En France, où l’expression prévaut sur celle
de services d’intérêt général, on a pu dire qu’ils relevaient d’une « mystique »
fortement liée à la (Troisième) République, à ses exigences, à ses principes
et à son histoire. Assez, en tout état de cause, pour paraître participer d’une
l’international
69
spécificité nationale dans le même temps où la définition, mouvante, de leur
périmètre et de leurs formes ne cessait de nourrir les clivages politiques, tout
en fournissant le terrain de convergences transpartisanes. Ces questions rebondissent et acquièrent une dimension inédite dans le cadre de l’UE, et plus largement sous la poussée des formes nouvelles de la concurrence internationale
entre services. Outre le degré de correspondance, sinon d’homologie, entre les
réponses françaises et celles retenues par d’autres pays, la construction européenne réactive le problème récurrent de la compatibilité des services publics
avec l’objectif gravé dans les traités d’une concurrence libre et non faussée,
et plus largement avec les dynamiques propres aux marchés du travail et des
services dans l’espace du grand marché unique.
Thème de réflexion familier des juristes, des économistes, des politologues
et des sociologues, les services publics ont moins retenu l’attention des historiens qui les ont surtout considérés à travers des monographies d’entreprises
ou d’administrations. Si le renouveau des travaux consacrés à l’État, son rôle,
ses rouages, ses procédures et ses agents, n’ont pas manqué de croiser nombre
de questions posées par lesdits services, il a fallu attendre 2005 pour lire la première étude collective, au demeurant pluridisciplinaire, de leur évolution dans
la longue durée (n° spécial Le service public, l’économie, la République, 1780-1960,
sous la direction d’O. Dard et de M. Margairaz, Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 52, juillet-septembre 2005). Pionnière, l’approche privilégiait les
services publics économiques et le point de vue des décideurs : entrepreneurs,
ingénieurs et administrateurs, gouvernants et acteurs politiques, mais encore
économistes, juristes et experts sollicités pour interpréter, encadrer et légitimer
les expériences d’activités défiant les règles et les contraintes de l’économie de
marché. L’étude a ainsi permis, avec l’identification de trois configurations successives au xxe siècle de services publics – républicaine libérale, républicaine
régulatrice, puis dérégulée – d’éclairer la genèse socio-historique des principes
et des réalités juridiques et économico-sociales attachées, en France, à leur
fonctionnement et durablement fixés par Louis Rolland : la continuité dans le
temps et dans l’espace, l’égalité d’accès et la mutabilité.
Dans une perspective distincte, le colloque tenu à Nantes en 2008, s’est
penché sur « Les ouvriers et employés à “statut” d’hier à aujourd’hui », soit
l’une des principales particularités associées aux services publics français : l’emploi d’un personnel échappant au droit commun salarial et au système conventionnel. Cette marginalité de masse se traduit par la combinaison de droits et
de devoirs en rapport avec les obligations inhérentes aux activités concernées.
Le colloque a notamment constaté la fluctuation, au gré des contextes économiques, des appréciations portées sur les avantages et les inconvénients liés
aux spécificités de ces emplois. Il a mis à jour le rôle dans la différenciation des
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
classes populaires et les conditions concrètes de sa réalisation en situation de
travail. Plusieurs contributions ont noté comment ce phénomène intervenait
au cœur même des services publics où la tension entre les contraintes fonctionnelles et statutaires s’est généralement résolue par le recours à un personnel de
surnuméraires, auxiliaires ou contractuels maintenus à l’écart des règles et des
protections statutaires.
Le questionnement : publics et agents des services publics à l’épreuve de l’égalité
Fort des acquis de ces travaux, le présent projet se propose de reprendre la
recherche là où ceux-ci l’ont interrompue. Ainsi s’agit-il de s’intéresser désormais aux publics des services publics et à leurs personnels non statutaires au
xxe siècle, double entrée en mesure de mieux appréhender les modalités de
mises en œuvre et de remises en cause du principe d’égalité, au fondement des
activités considérées.
Les services publics ?
On s’en tiendra, pour l’heure, à l’acception la plus large du terme qui,
indépendamment des régimes juridiques, englobe aussi bien les activités régaliennes procédant de la souveraineté de l’État que celles dont l’intérêt général
réclame qu’ils compensent les défaillances du marché. On y trouve des entreprises publiques, nationales ou locales, des sociétés d’économie mixte et des
entreprises privées sous forme de concessions ou de régies affermées.
Les publics ?
Si tous les services n’assurent pas de prestations directes au contact du public, ils trouvent leur justification dans l’activité qu’ils exercent au nom de l’intérêt général et en vue de satisfaire à la règle d’égalité d’accès. À partir de là,
on s’interrogera sur :
• l’évolution des conceptions et vocables par lesquels les responsables et les
agents des services publics se représentent et désignent leurs publics (administrés, usagers, clients…) ;
• la diversité des publics concernés au gré des types de service, de leur nature
technique, économique et juridique, de leurs conditions d’accès et de financement, des contextes géographiques et politiques ;
• les circonstances et procédures de médiations et d’interventions directes par
lesquels les publics, dans leurs différentes composantes, ont contribué à
considérer (ou non) certaines activités comme des services publics, la définition évolutive des attentes et des conditions de leur satisfaction.
l’international
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Les personnels ?
Les contraintes consécutives aux principes censés régir le fonctionnement
des services publics expliquent l’élaboration de normes statutaires propres à
fixer les agents, à s’assurer de leur loyauté tant vis-à-vis de leurs employeurs
qu’envers l’éthique de neutralité et d’impartialité associée à la notion d’intérêt
général. Et cela, non sans tension avec les conditions plus générales provenant
de la nécessité d’ajuster les exigences des collectivités publiques d’un côté et
les dynamiques des marchés de l’emploi et du travail de l’autre. Pour autant,
la réponse à certaines contraintes et l’adaptation aux demandes mêmes des
publics dans leur exigence de continuité et de mutabilité ont entraîné le recours
à un personnel maintenu en dehors du cadre statutaire. Facteur d’inégalités
flagrantes entre salariés, le fait, reconnu, n’a guère fait l’objet d’investigations
que l’on orientera dans quatre directions :
• l’évaluation quantitative des effectifs de non statutaires rapportée à celle des
statutaires, l’analyse de cette répartition et de son évolution selon les services, les qualifications requises et les activités effectives ;
• l’évaluation, plus qualitative, des vocables, procédures, formes de légitimation
et conditions qui président au recrutement et à la gestion de ces personnels ;
• la mise au jour des dynamiques historiques de ces entorses au statut : s’agit-il
de formes d’emploi originelles ? Temporaires et liées à des circonstances
exceptionnelles (deux guerres mondiales, personnel féminin ?…) ou bien à
des mutations durables liées à la dérégulation des années 1980, ou les deux ?
• la manière dont cette dualité pèse sur l’élaboration et l’expression de valeurs
communes, les relations sociales au sein des divers services publics, tant
dans les rapports hiérarchiques que dans les relations développées avec les
agents statutaires, de la conflictualité ou de la représentation collective.
À la croisée des deux problématiques précédentes, on s’efforcera de saisir
la dynamique des relations entretenues par les non statutaires avec les publics
du point de vue des attentes de ces derniers. Il y aura lieu de réexaminer, dans
cette perspective, la place tenue par les syndicats et les agents statutaires des
services publics sur la scène publique et leur mobilisation de la notion d’intérêt
général.
France et Europe occidentale ?
Si le questionnement signale en creux les lacunes de l’historiographie française, le projet envisage d’élargir l’étude aux pays voisins où, malgré l’existence
de services d’intérêt général, la thématique semble avoir été moins explorée.
S’agissant de l’Europe occidentale et du xxe siècle, de récentes avancées historiographiques autorisent et recommandent de prendre également en compte
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les questions soulevées par les services publics en situation coloniale, extensions dont l’intérêt réside précisément dans leur caractère limite, gros d’écarts
révélateurs, voire de contradictions, avec leurs raisons d’être métropolitaines,
notamment pour tout ce qui touche à l’égalité d’accès et aux statuts d’emplois.
Le
xxe
siècle ?
L’hypothèse de temporalités distinctes selon que l’on considère la dimension technico-économique, sociale, politique et juridique des services publics,
justifie le choix, à ce stade, d’une couverture chronologique assez large qui
ne manquera pas de se préciser par la suite. La dualité des statuts d’emploi
déborde largement le xxe siècle et l’on ne doit pas s’interdire, par exemple,
de remonter aux sources du personnel surnuméraire pour en comprendre les
formes ultérieures. Si tout est dit, par ailleurs, dans les années 1960, en matière
de situations coloniales, l’information se densifie, en revanche, au cours des
décennies suivantes pour ce qui a trait aux publics des services publics.
Les apports des précédents travaux encouragent cependant à braquer le
projecteur de l’enquête vers le dernier quart du xxe siècle, celui de la déconstruction idéologique, institutionnelle et pratique des modèles, des principes et des représentations de la légitimité de services publics, désormais en voie de banalisation
sous l’effet d’une « nouvelle gestion publique », partie prenante des politiques
de dérégulation, de déréglementation et de libéralisation, contemporaines de
la remise en cause concomitante des États nations-sociaux, de la construction
européenne et de la mondialisation des marchés depuis la fin des années 1970.
La méthode
Fondamentalement historien par l’attention portée aux dynamiques des
acteurs, à l’articulation des temporalités comme aux cohésions et tensions des
périodes, le questionnement repose sur une ouverture explicite aux approches
et apports de la sociologie, de l’économie, des sciences politiques et du droit.
Il se veut aussi résolument comparatiste à l’échelle de l’Europe occidentale.
Sans préjuger, à ce stade, des résultats des travaux à engager, le programme entend créer, a minima, les conditions d’études qui, saisissant les traits communs
aux systèmes en vigueur pour ce qui regarde les personnels et les rapports aux
publics, doit permettre de circonscrire et d’interpréter les spécificités nationales
dont il reviendra d’apprécier le rôle dans la construction d’habitus nationaux.
Deux réunions préparatoires tenues en juin et en septembre 2010 ont permis d’engager un large débat avec un premier noyau de collègues intéressés, de
mieux cerner les contours du projet, de dresser une liste de chercheurs français
et étrangers à contacter et de discuter du cadre le plus approprié au lancement
du programme.
l’international
73
La xLie conférence de l’International Association of Labour History 
Institutions
Françoise Blum
La 41e conférence annuelle de l’IALHI a eu lieu du 4 au 11 septembre 2010
à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam, qui fêtait en même
temps le 75e anniversaire de sa naissance. L’élection d’un nouveau secrétaire
général avait été organisée en amont de la conférence, Françoise Blum du
Centre d’histoire sociale ayant achevé son mandat et ne se représentant pas.
Le seul candidat était Erich-Yan Zurcher, Directeur de l’IISG et par ailleurs
universitaire spécialiste de la Turquie. Les votes furent décomptés durant la
conférence et Erich Yan Zurcher fut élu, sans surprise, à l’unanimité. L’institut d’Amsterdam étant le coordonnateur du projet Hope, largement porté
par l’IALHI, cette élection confirmait la nécessaire harmonie de l’ensemble
IALHI-Hope.
Outre les habituelles présentations des projets des membres, deux interventions assez pointues furent dédiées à la description des opérations en cours dans
le projet Hope. L’IALHI est effectivement le principal vivier pour de nouveaux
« Content providers » (fournisseurs de contenus numériques).
Les tables rondes thématiques furent cette année consacrée au management des collections et à la global history. Titia van der Werf présenta les nouvelles méthodes de gestion en vigueur à l’Institut, méthodes inspirées des plus
modernes techniques managériales. Quant à la table ronde consacrée à la global history, elle fut introduite par Marcel van der Linden, directeur du secteur
recherches de l’InstitutK. Il présenta une synthèse brillante des enjeux et des
réalisations de la global history. Durant cette partie de la conférence, Françoise
Blum exposa les efforts du CHS et du Codhos dans le domaine des archives
africaines qui ressortent de l’histoire impériale, pour une part, et, partant de la
global history.
Les actes sont accessibles à l’adresse suivante : http://www.ialhi.org/
Archives africaines des partis politiques et syndicats français
Nous reproduisons ici le compte rendu établi par Gwénola Possémé-Rageau, paru dans Vingtième siècle sur cette journée co-organisée par le CHS et le
Codhos.
Les débats ont été ouverts par S.E Papa Momar Diop, Ambassadeur, délégué permanent du Sénégal auprès de l’UNESCO, qui dirigea les Archives
nationales de Dakar. Souhaitant qu’une telle initiative puisse trouver un écho
en Afrique et conduire à des échanges d’informations entre centres d’archives,
bibliothèques et centres de documentation, il a fait état du manque cruel de
moyens dans de nombreux pays, même si des sources existent. En introduction,
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Françoise Blum a fait un rappel historique du contexte social et politique en
AOF et AEF à partir de la conférence de Brazzaville en 1944 jusqu’aux Indépendances. À partir de son propre itinéraire de recherche, Catherine Coquery
Vidrovitch (université Paris VII ) a présenté un bilan bibliographique, d’où il
ressort que bien des pans de l’histoire de la colonisation française en Afrique
noire restent encore inexplorés, la recherche africaine ayant été longtemps délaissée en France, alors que les travaux américains et anglo-saxons sont fréquents. De même, les quelques travaux de chercheurs africains (certains devenus des hommes d’État comme Laurent Gbagbo) ont également été publiés
avec beaucoup de lenteur. Accès souvent difficile aux sources, peut-être, mais
manque d’intérêt également. S’agissant, par exemple, des relations entre la
France et ses « colonies », alors que les archives de l’Assemblée de l’Union française sont classées et accessibles, aucun travail ne semble en cours sur l’activité
de cette instance, ni sur ses membres désignés par les organisations politiques
pour y siéger (les archives de la SFIO conservent les dossiers des candidats à la
candidature pour cette assemblée).
Une chose est sûre, des archives existent et une part se trouve logiquement
conservée en France : l’ensemble des rapports préparés pour cette journée et
remis aux participants offre un aperçu révélateur de ce qui existe s’agissant des
socialistes, des fonds de militants de la CGT, de la CFDT, de FO et des syndicalistes enseignants et notamment des stages de formation organisés par ces
centrales ou associations dans le cadre de l’aide au développement de ces pays.
Pascale Rubin (archives de la CGT-FO) a présenté les archives des séminaires
africains de FO, Annie Kuhnmunch (archives de la CFDT) celles des syndicats croyants et Alain Dalançon ceux des syndicats enseignants. La question
des archives africaines des partis et syndicats français renvoie directement à la
manière dont chacune de ces organisations concevait son rôle et ses relations
avec ces territoires et ces hommes, avant et après les Indépendances… et à la
gestion de leurs archives.
Entre la vision « émancipatrice » des peuples colonisés des socialistes imaginant une vaste association dans une Union française régénérée et l’anticolonialisme des communistes, il y a aussi l’attitude des militants politiques « autochtones » et leur implication dans les partis et syndicats. Force est aussi de
constater que la question « africaine » intéressait moins les partis politiques que
d’autres questions coloniales. Les interventions des archivistes ou historiens (les
présidents de séance Pierre Boilley et Michel Pigenet, mais également Alain
Ruscio, René Galissot… ont participé aux échanges) et des témoins, la plupart
acteurs syndicaux (Jean Magniadas, pour la CGT, Bernard Mourgues pour
FO, Jean Limonet pour la CFDT et Louis Weber pour le SNES) ont montré
l’importance des liens entre la France et ses anciennes colonies, et suggèrent de
l’international
75
nombreux sujets de recherche. Elles éclairent également qu’en ce domaine, si
le rôle des associations, syndicats et partis fut important, c’est encore souvent
par les archives de militants que l’on peut retrouver les traces de cette histoire.
Autant d’itinéraires militants qui expriment une certaine fascination pour
ce continent ; investissement d’hommes et de femmes aux profils très différents,
parfois en « rupture » ou en avance de leur organisation sur la question coloniale. Furent ainsi examinés les parcours de deux militants communistes : Jean
Suret-Canale (1921-2007), géographe, historien de l’Afrique, responsable de la
section de politique extérieure du PCF dont le fonds, présenté par Pierre Boichu, est déposé aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis et Maurice Gastaud, également responsable cégétiste dont les « archives syndicales »,
présentées par Aurélie Mazet, sont déposées à l’Institut d’histoire sociale de la
CGT. Maurice Gastaud, entre 1959 et 1965, en mission pour le CGT, dirigea
la formation syndicale dans le cadre de l’Université ouvrière africaine établie
en Guinée avant d’être chargé, au secteur international, des relations avec les
syndicats des pays en voie de développement. Les archives des conseillers de
l’Union française socialistes (Ernest Cazelles, Marcel Champeix) conservées à
l’OURS furent évoquées par Frédéric Cépède comme celles d’Alain Savary
(Centre d’histoire de Sciences-Po), ou d’Oreste Rosenfeld (Archives nationales).
De même, les « écrits intimes » du socialiste Albert Gazier, militant cégétiste
(jusqu’en 1947) puis FO illustrent-ils les préjugés d’un homme qui découvre
l’Afrique comme représentant de la CGT à la conférence de Brazzaville en
1944 mais évolue rapidement (député de la Seine, puis ministre, il y effectue
plusieurs missions) sur des positions très critiques de la réalité de la colonisation
française.
Cette journée s’était fixé un double objectif. D’abord, dans le prolongement
des missions du Codhos, commencer à rendre plus visibles des sources parfois
enfouies dans des centres en attente de classement ou de chercheurs pour les
exploiter. Une base de données accessible en ligne a donc été mise en place.
Cette base de données recense les archives évoquées au cours de cette journée, et ne demande qu’à être alimentée par tous ceux qui voudront s’associer
à ce projet. Elle devrait permettre de prospecter de « nouvelles archives » en
Afrique (ainsi, au moment des Indépendances, les archives des fédérations et
sections locales du Parti socialiste SFIO n’ont pas été rapatriées en métropole et
peut-être existent-elles encore chez les derniers responsables de ces structures,
ou en d’autres lieux ?) et de recueillir également les témoignages des derniers
acteurs de cette histoire croisée. Conçue comme une première étape, sa réussite
laisse espérer des développements féconds.
Adresse de la base : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/spip.php?rubrique58
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Lisbonne 2011
par Bruno Groppo
Du 16 au 19 mars 2011 s’est tenu à Lisbonne le Colloque international
« Grèves et conflits sociaux au xxe siècle », organisé conjointement par l’Institut d’Histoire Contemporaine (IHC) de l’Université Nouvelle de Lisbonne,
l’Institut International d’Histoire Sociale (IISG, Amsterdam), la Maison des
Sciences de l’Homme (Paris), l’Arquivo Edgard Leuenroth (AEL, Université
de Campinas, Brésil) et le Centre d’Estudis de la Epoca Franquista i Democratica (CEFID) de l’Université Autonome de Barcelone. Les coordinateurs du
colloque étaient Raquel Varela (IHC) et Sjaak van der Velden (IISG). Faisaient
partie du comité scientifique, en plus des deux coordinateurs, Alvaro Bianchi
(AEL), Fernando Rosas (IHC), Marcel van der Linden (IISG), Serge Wolikow
(université de Dijon et MSH) et Xavier Domènech (CEFID). Plus de 150 communications y ont été présentées à ce colloque, qui s’est déroulé sous la forme
d’ateliers (workshops) parallèles, chacun comportant de trois à cinq communications. Les langues de travail étaient l’anglais, le portugais, l’espagnol et le
français. Il y avait une traduction simultanée pour une partie des ateliers.
Le colloque a été ouvert le soir du16 mars par une table ronde consacrée à
« L’actualité de l’histoire sociale du travail », à laquelle participaient Fernando
Rosas, Marcel Van der Linden et Serge Wolikow (université de Dijon et MSH).
Les trois jours suivants ont vu se succéder les ateliers, qui ont traité des sujets
très variés, dont l’axe central était toujours la problématique des grèves et des
conflits sociaux au xxe siècle. Voici les titres de quelques ateliers, qui donnent
une idée des thèmes abordés : les grèves du début du xxe siècle ; dictatures et
conflits ouvriers ; une vision globale des grèves ; grèves et conflits ouvriers dans
la première moitié du xxe siècle ; conflits sociaux, mémoire et histoire orale ;
conflits sociaux dans les campagnes ; théorie et historiographie du mouvement ouvrier ; mai 1968. Parmi les intervenants il y avait des noms connus de
l’histoire ouvrière et sociale, comme Dick Geary, Beverly Silver, Marcel van
der Linden, Michael Hall, Claudio Batalha, mais aussi de nombreux jeunes
chercheurs, dont la présence témoignait de la vitalité de l’histoire sociale du
travail. L’une des particularités de ce colloque, due en grande partie au fait
qu’il se déroulait dans un pays lusophone et en portugais, a été la présence
d’un nombre considérable d’historiens brésiliens. Au Brésil l’histoire sociale
du travail – appelée là-bas simplement histoire du travail – a connu un développement important depuis les années 80 et s’appuie sur l’existence d’un réseau, « Mundos do Trabalho » (« Mondes du Travail »), créé il y a une dizaine
d’années et qui organise régulièrement des colloques, séminaires et autres initiatives scientifiques (parmi lesquelles la publication d’une revue électronique
intitulée Mundos do Trabalho). La plupart des historiens brésiliens présents à
l’international
77
Lisbonne sont membres de ce réseau. Beaucoup d’autres pays, européens (dont
la France) et extra-européens, étaient représentés à la conférence. En revanche,
les pays asiatiques, où pourtant l’histoire sociale du travail est une discipline
en pleine croissance, étaient quasiment absents. Le principal intérêt du colloque a été de présenter un large – quoique non complet - panorama des recherches récentes et en cours dans différents pays en histoire sociale du travail.
La perspective adoptée par la plupart des communications était celle de l’histoire sociale, au sens large, mais il y avait aussi des travaux d’histoire politique
et d’histoire culturelle. Il est difficile de formuler des observations générales à
partir d’un ensemble de communications et de débats si variés mais aussi si
fragmenté. Cela d’autant plus qu’il était impossible d’assister à tous les ateliers,
puisqu’ils se déroulaient simultanément et qu’il fallait donc choisir. On peut
toutefois faire quelques constats. Tout d’abord, le thème du colloque (« grèves
et conflits sociaux ») a suscité un intérêt considérable dans de nombreux pays.
Les organisateurs ont été surpris par la quantité de réponses à leur appel à
communications et ont été obligés d’exclure un certain nombre de propositions qu’ils considéraient pourtant dignes d’attention. D’une manière générale,
l’histoire sociale du travail apparaît donc comme un chantier en pleine activité.
On peut noter ensuite que, si de nombreuses communications ont adopté une
approche comparative, la plupart restent toutefois dans les limites du cadre
national. L’idée d’une histoire sociale globale et transnationale du travail, chère
en particulier à l’Institut d’Amsterdam, co-organisateur du colloque, est un
horizon vers lequel s’orientement de nombreuses recherches, mais reste encore
une pratique minoritaire. Une troisième remarque concerne plus particulièrement l’aspect institutionnel et les politiques scientifiques. De ce point de vue, il
faut souligner surtout le rôle de l’Institut d’Amsterdam, sans lequel le colloque
n’aurait probablement pas eu l’impact et le succès qui l’ont marqué. L’IISG
est depuis longtemps le maître d’œuvre d’une série d’initiatives scientifiques
importantes dans le domaine de l’histoire sociale du travail. Il a construit un
réseau international avec des contacts nombreux et importants dans plusieurs
continents, en particulier en Asie. Notre Centre d’histoire sociale du xxe siècle
n’a pas du tout les moyens pour développer une politique ambitieuse comme
celle d’Amsterdam, mais il a un intérêt vital, à mon avis, à s’ouvrir davantage
aux contacts internationaux et à participer à l’organisation d’initiatives comme
le colloque de Lisbonne, ne serait-ce que pour obtenir une plus grande visibilité
pour le travail scientifique qu’il effectue. Au colloque de Lisbonne, notre centre
a été présent par la communication « Quelques remarques sur l’apport de la
socio-biographie à l’historiographie du mouvement ouvrier en Europe », que
j’ai présenté dans le cadre de l’atelier « Théorie et historiographie du mouvement ouvrier ». D’autres chercheurs français ont présenté des communica-
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
tions : Serge Wolikow (« Les conflits du monde du travail et le champ politique
au cours du xxe siècle. Le cas français : une exception ? »), Laure Pitti et Judith
Rainhorn (« La santé au travail en tant qu’enjeu dans les conflits sociaux »),
Adrien Mazières-Vaysse (« Travailleurs précaires et nouvelles formes de conflits
sociaux à la fin du xxe siècle »), Baptiste Giraud (« Les dynamiques contemporaines des usages confédéraux de la grève en France »), Amandine Tabutaud
(« Militantisme syndical et conflits sociaux féminins entre 1970 et 1985 dans
la Haute Vienne »), Frank Gaudichaud (« Les mouvements sociaux urbains
au Chili 1970-1973 »), Stéphane Le Bras (« Le syndicalisme viticole en France
1935-1949 »).
Le 18 mars 2011 une assemblée générale des participants au colloque a discuté l’idée de créer un réseau international d’histoire ouvrière et sociale (« Vers
un réseau international d’histoire ouvrière et sociale ?/Towards an International Labour History Network ? »). Sur l’opportunité d’une telle création un
accord général s’est rapidement manifesté. Plusieurs intervenants ont souligné
qu’en matière de « labour history » les occasions d’une véritable confrontation
internationale sur les recherches en cours sont assez rares et qu’il existe une
véritable nécessité de faire périodiquement le point sur les avancées de cette
discipline, surtout au moment où l’on assiste à une redéfinition de ses contenus
et de ses méthodes. L’évolution actuellement en cours vers une « labour history » transnationale et globale rend d’autant plus urgent le dépassement du
cadre national, jusqu’ici prédominant dans l’historiographie. Le débat au cours
de la réunion a porté principalement sur la délimitation thématique du réseau
à créer. Certains intervenants ont plaidé pour une définition large, c’est-à-dire
pour un réseau de « labour history » en général, susceptible d’intéresser tous les
chercheurs, indépendamment de leur sujet spécifique de recherche. D’autres
au contraire, comme Marcel van der Linden, ont insisté sur l’opportunité d’une
délimitation plus étroite, centrée sur les grèves et les conflits sociaux. Le comité
organisateur du colloque, se situant dans cette perspective plus restreinte, a
soumis plusieurs propositions qui ont été discutées et finalement adoptées par
l’assemblée. Il a été donc décidé de créer un réseau international pour l’étude
des grèves et des conflits sociaux, qui devrait organiser tous les deux ou trois
ans une conférence internationale comme celle de Lisbonne. Ce réseau, dont
la structure précise reste à définir, devrait également publier une revue électronique semestrielle, où paraîtraient des articles en plusieurs langues, mais
principalement en anglais.
Le colloque s’est terminé de 19 mars par une table ronde sur le thème « Qui
est la classe ouvrière ? » (« Who is the Working Class ? »), avec la participation
de Marcelo Badarò, Jorge Grespan, Carvalho da Silva, Marcel van der Linden,
Ricardo Antunes. L’allocution finale a été prononcée par Sjaak van der Velden.
l’international
79
Le dimanche 20 mars les participants à la conférence ont eu la possibilité
de participer à une visite guidée des principaux lieux des révolutions portugaises du xixe et xxe siècles à Lisbonne, présentés par Fernando Rosas (IHC).
Le lundi 21 mars, après la fin de la conférence, s’est tenue à l’Université
Nouvelle de Lisbonne une réunion, organisée par l’Institut d’Histoire Contemporaine, consacrée spécifiquement au problème des archives des mouvements
sociaux au Portugal et dans quelques autres pays (Brésil, Mexique, Allemagne,
France). J’ai présenté à cette réunion un exposé sur l’évolution et la situation
actuelle des archives du mouvement ouvrier en France.
Vous trouverez dans les pages qui suivent une nouvelle rubrique du Bulletin.
En effet, nous avons souhaité présenter à un lectorat élargi le travail de
plusieurs étudiants ayant mérité pour leur qualité une diffusion plus ample que
le résumé habituel.
Les enseignants-chercheurs du master de recherche « Histoire des sociétés
occidentales contemporaines (xixe-xxie siècles) » ont sélectionné parmi les
master 2 soutenus en 2010, le travail de ces trois étudiants.
Claire Miot a écrit un article sur L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de
reconstitution de l’armée française ?, son travail de master avait été suivi par
Olivier Wieviorka et Raphaëlle Branche
Élodie Massouline, avec « Retour à Lilliput. ». Le Jouet français, un périodique
professionnel (1930-1965), a été accompagnée durant ses recherches par
Pascal Ory et Pascale Goetschel
Amarillys Siassia a travaillé sur la Maison du prisonnier de la Seine, entre aide
et surveillance (1941-1944), elle a été guidée par Annie Fourcaut et Danièle
Voldman.
L’Armée de Lattre de Tassigny
Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
par Claire Miot
mots clefs :
Seconde Guerre mondiale ; armée d’armistice ; armée d’Afrique ; résistance intérieure ;
débarquement de Provence ; unité/amalgame ; Libération.
title : The
First French Army of General de Lattre de Tassigny : symbol of reforming the French army ?
keywords :
Second World War ; Vichy’s army ; French Resistance ; Free French ; Liberation ; Amalgam ; Lan-
ding in Provence.
auteur : Claire
Miot est doctorante en histoire contemporaine à l’ENS de Cachan, à l’Institut des
sciences sociales du politique. Ses recherches portent sur l’histoire du fait militaire au xxe siècle,
l’histoire coloniale, l’histoire de Vichy, des résistances intérieure et extérieure, et de la libération. Sa
thèse en cours est consacrée à la Première Armée française, du débarquement de Provence au
passage du Rhin (1944-1945).
Dans l’introduction de sa thèse de doctorat récemment traduite en français
sous le titre L’armée de Vichy. Le corps des officiers français 1940-1944, l’historien
américain Robert O. Paxton écrivait :
L’Armée de l’armistice fut une des racines de l’armée française de la Libération. La très
pétainiste Armée d’Afrique a été projetée dans la guerre contre l’Axe par le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942. Après une période d’hésitation,
pendant laquelle ses chefs espèrent par leur neutralité épargner à Vichy une occupation
totale du territoire métropolitain par les Allemands, elle contribue de manière décisive à
la victoire alliée de mai 1943 en Tunisie. Fusionnée, non sans difficultés, avec les unités
moins nombreuses des Forces françaises libres et des Forces françaises de l’intérieur, elle
participe brillamment aux campagnes d’Italie, de Normandie et de Provence, libère Paris
et poursuit l’ennemi jusqu’en Allemagne et en Autriche. Le général de Lattre de Tassigny,
84
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
un ancien de l’Armée de l’armistice, représente la France à la cérémonie de la capitulation générale allemande, à Berlin, le 8 mai 1945. L’armée de Vichy forme donc un des
troncs principaux de l’armée française de l’après-guerre, à laquelle elle donna deux de ses
quatre maréchaux de France – Juin et de Lattre1.
Paxton entendait en effet montrer que les officiers de l’armée française,
pris entre un esprit de revanche – bien réel – contre l’Allemagne, et leur fidélité
au Maréchal Pétain, avaient été peu nombreux à suivre le général de Gaulle
en juin 1940. Pour autant, ils avaient été les principaux cadres de l’armée qui,
reconstituée à partir de novembre 1942, avait participé aux côtés des Alliés à
la libération du territoire métropolitain et à l’occupation de l’Allemagne en
1944-1945.
Si la 2e DB du général Leclerc, engagée le 12 août 1944, constitue un apport numériquement minime aux forces alliées débarquées en Normandie, tel
n’est pas le cas pour l’Armée B du général de Lattre de Tassigny, qui, forte de
ses plus de 250 000 hommes, représente environ deux tiers des effectifs débarqués en Provence après le 15 août 1944. Au sein de cette armée, il n’y a qu’une
seule division de Français libres, la 1ère DFL, commandée par le général Brosset. Le gros des troupes est formé par les éléments de l’Armée d’Afrique2. Au
fur et à mesure de la libération du territoire métropolitain sont incorporées les
Forces françaises de l’intérieur (FFI), qui passent donc sous le commandement
de l’Armée B, devenue, à partir du 15 septembre 1944, Première Armée française, et dotée d’une autonomie stratégique au sein du 6e Groupe d’Armées
américain.
On le voit, l’étude de la participation de l’Armée B au débarquement de
Provence et à la libération du sud de la France, qui a été l’objet de notre recherche de Master 2, tend à confirmer les analyses de Robert Paxton. La continuité semble effectivement l’avoir emporté sur la rupture. Encore que cette
armée amalgame autour de son socle « africain » des forces nouvelles – Forces
françaises libres (FFL) et FFI – c’est-à-dire des hommes – et quelques femmes
– à l’expérience combattante, l’identité militaire et aux convictions politiques
souvent radicalement opposées. Certains se sont même opposés par les armes
1. Paxton, Robert O., L’armée de Vichy. Le corps des officiers français 1940-1944, Paris, Tallandier,
« Point Histoire », 2004 (1ère édition américaine de 1966), p. 13.
2. Il s’agit des 1ère Division Blindée (1ère DB), la 3e Division d’Infanterie algérienne (3e DIA), la
9e Division d’Infanterie coloniale (9e DIC), la 2e Division d’Infanterie marocaine (2e DIM), la 4e
Division Marocaine de montagne (4e DMM), et de trois groupements de Tabors marocains.
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
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lors de la campagne de Syrie (juin-juillet 1941) avant de combattre côte à côte,
de la Tunisie (17 novembre 1942-13 mai 1943) à l’Italie (1943-1944).
Or, la reconstitution d’une armée française unifiée est essentielle pour le
projet du général de Gaulle pour trois raisons. Si la France est maintenue dans
la guerre au sein de la coalition alliée, elle doit pouvoir reconstituer une force
armée capable de participer à des opérations d’envergure et, à terme, de libérer le territoire métropolitain pour garder sa souveraineté. Les modestes
– quoique hautement symboliques – effectifs FFL ne suffisent pas pour accomplir ce dessein. De ce point de vue, la participation de l’armée de Lattre au
débarquement de Provence est un enjeu national. Mais l’objectif gaullien n’est
pas seulement une France combattant aux côtés des Alliés, c’est une France
rassemblée « autour d’un seul pouvoir »3. Il s’agit pour le chef de la France
libre de subordonner le militaire au politique, c’est-à-dire d’unir autour de lui
toutes les forces armées du pays, et pas seulement les FFL, dont il est le créateur et le chef depuis l’été 1940. Enfin, la France, victorieuse et souveraine,
doit retrouver son unité, à commencer par l’institution militaire.
À travers notre objet d’étude se dessine au-delà des combats strictement
militaires un conflit larvé franco-français. Réciproquement, le projet gaullien
de restauration de l’unité nationale trouve peut-être sa forme la plus aboutie
dans l’armée, via les différents amalgames que nous avons mentionnés.
Remettre sur pied l’armée française
L’Armée B, instrument d’une France victorieuse
Si l’idée d’un débarquement sur les côtes provençales comme complément
à celui de Normandie résulte d’âpres négociations entre les Alliés soviétique,
britannique et américain4, et s’inscrit plus largement dans l’histoire des tensions et des compromis au sein de la Grande Alliance, le projet de reconstitution de l’armée française et de sa participation à la libération du territoire
métropolitain est le produit des relations complexes entretenues par Vichy, la
France libre et les Alliés.
3. De Gaulle Charles, Mémoires de guerre. L’Unité 1942-1944, Paris, Plon, 1956, p. 8.
4. L’analyse de ces négociations n’est pas à proprement parler le sujet de cet article. Rappelons
seulement que l’opération Anvil se précise aux conférences de Washington (12-25 mai 1943) et de
Québec (14-24 août 1943). Les décisions concrètes ne seront prises qu’à la conférence de Téhéran
(28 novembre- 1er décembre 1943). Pour plus de détails, se reporter à Wieviorka Olivier, Histoire du
débarquement en Normandie. Des origines à la libération de Paris, 1941-1944, Paris, Le Seuil, 2007.
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Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
C’est à la conférence d’Anfa5, le 23 janvier 1943, que les Alliés s’accordent
avec le général Giraud sur un plan de réarmement français : onze divisions
dont trois blindées doivent être équipées par les Américains. Cet accord est largement révisé à la baisse par le plan du 23 janvier 1944, que le Conseil français
de la libération nationale (CFLN) du général de Gaulle accepte contraint et
forcé. Seules sept divisions françaises doivent débarquer en Provence.
Dès l’origine, la reconstitution de cette armée s’opère sous dépendance
logistique et stratégique américaine, ce que déplore le général de Gaulle dans
ses Mémoires :
Étant donné l’enjeu de la partie et les moyens que nous mettrions en ligne au cours de
cette phase du conflit, il eût été normal que nous fussions associés aux principales décisions de la coalition (…). Jamais ils ne nous consultèrent, de gouvernement à gouvernement, sur aucune de leurs dispositions. Par politique ou par commodité, ils cherchèrent à
utiliser les forces françaises pour les buts qu’eux-mêmes avaient fixés, comme si ces forces
leur appartenaient et en alléguant qu’ils contribuaient à les armer6.
Une dépendance qui est encore effective lors de la campagne d’Italie : l’engagement des troupes françaises ne parvient pas à hisser les Français au rang
d’allié à part entière, puisque l’utilisation du terme « Corps expéditionnaire
français » renvoie directement à l’asymétrie des relations franco-alliées7. De
fait, le Corps expéditionnaire français (CEF) ne jouit d’aucune autonomie stratégique puisqu’il est intégré au sein de la Ve armée américaine. Cette subordination est inacceptable pour de Gaulle, dès lors qu’il s’agit de forces françaises
débarquant sur le sol national. Celui-ci négocie donc avec les Alliés pour que
les troupes sous le commandement du général de Lattre de Tassigny ne forment pas un détachement d’armée, mais bel et bien une armée à part entière,
fût-elle sous commandement américain, ce qu’il obtient le 27 décembre 1943.
L’Armée B est alors placée sous le commandement du général Patch commandant la 7e Armée américaine.
Notons enfin que la question du réarmement empoisonne les relations
franco-américaines : les Américains, selon une logique de guerre moderne, ne
5. La conférence d’Anfa (ou conférence de Casablanca) réunit le Premier Ministre britannique
Churchill, le Président des États-Unis Roosevelt, les généraux Giraud et de Gaulle, Staline ayant
décliné l’invitation. Cette conférence a pour but de définir la stratégie alliée en Europe, mais aussi
de réconcilier les deux rivaux français.
6. De Gaulle Charles, Mémoires de guerre…, op. cit., p. 302.
7. Voir la mise au point de Julie Le Gac dans « Le Corps expéditionnaire français et l’armée
américaine en Italie (1943-1944) : une alliance asymétrique », Revue historique des armées, 258, 2010,
p. 57-66.
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
87
sont prêts à équiper une division que si on lui associe une importante proportion d’unités de service et de soutien. A contrario, pour le commandement
français, il s’agit avant tout « de pouvoir jeter dans la bataille de la libération
un maximum de soldats8 ». Côté français, l’enjeu politique semble l’emporter
sur l’exigence d’efficacité.
On constate ainsi que la reconstitution d’une armée la plus nombreuse et
la plus autonome possible forme pour le général de Gaulle un aspect essentiel
de sa politique. Si l’armement et la question de la dépendance vis-à-vis de l’arsenal américain restent une préoccupation constante, celle, plus franco-française, de son unité, qui influe sur sa capacité à combattre, n’en est pas moins
importante.
L’Armée B : l’impossible unité ?
L’unité est pourtant mal engagée. La défaite de juin 1940 et ses conséquences immédiates – la dissidence du général de Gaulle et la création des FFL
– a créé une rupture profonde au sein de l’institution militaire et des conflits
d’obéissance et de loyauté, notamment de la part des officiers. Une situation
qui a atteint son paroxysme lors de la campagne de Syrie, où les forces de Vichy du général Dentz combattent les Forces françaises libres alliées aux Britanniques. De même, en novembre 1942, certaines troupes françaises se battent
contre les Anglo-américains, et déplorent 1 368 tués dans leurs rangs. La campagne de Tunisie, où sont engagés la 1ère DFL, la Force L du général Leclerc
et 80 000 hommes de l’Armée d’Afrique ne met pas fin, malgré l’épreuve du
feu contre l’ennemi germano-italien, à ce « schisme entre gaullisme et maréchalisme9 » qui se prolonge dans le conflit opposant gaullisme et giraudisme.
Fait hautement symbolique, le 20 mai 1943, la 1ère DFL, ainsi que la Force L,
refusent de défiler à Tunis aux côtés des soldats de l’Armée d’Afrique.
Le 20 juin 1943, de Gaulle et Giraud signent un protocole qui doit interrompre les désertions de l’Armée d’Afrique vers les FFL. En revanche,
de Gaulle obtient que les « changements de corps spontanés » antérieurs au
7 juin 1943 ne soient pas sanctionnés. Le 21 juin est créé un comité militaire
permanent pour parvenir à la fusion des forces françaises, mais les tensions
demeurent, si bien que le 22 juin, un décret consacre la coexistence séparée
de deux armées : giraudiste et gaulliste. Le général Juin déclare alors que ce
commandement bicéphale déconsidère l’armée française aux yeux des Alliés
8. Lattre de Tassigny Jean de, Histoire de la Première Armée Rhin et Danube, Paris, Plon, 1949, p. 6.
9. Nous reprenons l’heureuse formule de Jean-Louis Crémieux-Brilhac dans La France libre, de
l’Appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard, 1996, p. 630.
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et démissionne de ses fonctions de chef d’état-major. Une crise ouverte éclate
le 27 juillet et se termine par un partage du pouvoir au sein du CFLN. À de
Gaulle reviennent les questions politiques, tandis que Giraud obtient le commandement des forces armées. Enfin, le 3 août 1943, toutes les forces françaises non métropolitaines sont placées sous le commandement du général
Giraud – les FFL étant dissoutes – et l’amalgame officiellement accompli.
Cependant, la campagne d’Italie et l’éviction définitive de Giraud au printemps 1944 n’effacent pas les tensions. Le choix du général Juin comme chef
du CEF, pur produit de l’Armée d’Afrique, permet certes à de Gaulle de renforcer ses liens avec celle-ci, mais est vivement critiqué par les Français libres.
La concurrence reste très vive entre les Français libres et les soldats de l’Armée
d’Afrique, ce dont témoigne le chef de la 1ère DFL :
Cette réunion de nos forces armées, cette fusion de l’armée française dont on parle depuis
trois mois n’est pas faite ; nous nous sommes acquis des sympathies, nous avons même
absorbé des effectifs, mais si la scission s’est reportée ailleurs, elle n’en subsiste pas moins.
(…) Je pense que l’armée ne sera pas une. Rien ne nous permet d’estimer qu’elle soit en
voie de s’unir. Dans les cadres une sourde opposition à nos tendances à nous les FFL subsiste, faite de honte et de jalousie, honte d’avoir eu tort contre l’honneur militaire, jalousie
de notre attitude et de notre avancement10.
De fait, et malgré une forte hétérogénéité, les soldats de la 1ère DFL cultivent une identité propre qui doit les distinguer au sein de la future armée
de libération, identité fondée sur l’ancienneté de l’engagement armé dans la
résistance, par rapport aux autres éléments souvent qualifiés de « vichystes ».
À la veille du débarquement de Provence, l’unité voulue par Gaulle ne
semble pas accomplie pleinement dans les esprits. Si l’idée d’un combat commun contre l’ennemi germano-italien semble avoir été acquise durant la campagne d’Italie, reste que chacun souhaite que la reconstitution de l’armée française s’opère autour d’un noyau, considéré comme plus légitime que l’autre.
Il est révélateur que le général Monsabert, cadre de l’Armée d’Afrique tardivement rallié à de Gaulle et général de corps d’armée au sein de l’Armée B,
écrive dans ses notes, le 28 mars 1944 :
10. Brosset Diego, « Carnets de guerre, correspondance et notes (1939-1944), 16 décembre
1944 », in Français en résistance. Carnets de guerre, correspondances, journaux personnels, Paris, Robert Laffont, 2009, p. 103-416.
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
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De plus en plus, on voit se fondre les FFL dans le creuset de la veille Armée française, et
c’est avec joie que nous sentons cette union, où ils garderont une place de choix11.
De son côté, le général de Larminat, chef FFL, intégré dans l’Armée B,
sans contester l’union avec l’Armée d’Afrique, rappelle la primauté des premiers :
Naturellement, nous autres Français libres, qui depuis près de trois ans avons choisi la
voie qui s’avère la bonne, nous nous considérons un peu comme des aînés, et nous pensons que c’est sur nos points de vue que doivent s’aligner nos camarades d’AFN…12.
Autant de tensions dont de Gaulle doit tenir compte, surtout dans la perspective d’un débarquement sur le territoire métropolitain. Ce n’est donc pas
un hasard s’il choisit le général de Lattre de Tassigny pour commander cette
armée de libération. Cadre de l’armée d’armistice en poste dans l’Empire puis
en zone sud, celui-ci n’entre en dissidence qu’en novembre 1942, au moment
de l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes. Il est arrêté, puis incarcéré au fort de Montluc, avant d’être condamné à dix ans de prison pour
« abandon de poste sur un territoire en guerre et tentative de trahison ». Il
réussit cependant à s’évader et à gagner Londres le 26 octobre 1943. Le jour
même, il reçoit de De Gaulle un télégramme l’invitant à le rejoindre à Alger
au plus tôt. Le 6 novembre, dans un second télégramme, le chef de la France
libre l’informe de sa nomination à la tête de la future armée française de libération13.
On le voit, de Lattre n’a rien d’un gaulliste, encore moins d’un Français
libre. Mais, comme le souligne Jean-Louis Crémieux-Brilhac14, il arrive à Alger
précédé par une réputation plutôt flatteuse, ayant été l’un des rares divisionnaires, qui se soient distingués lors de la campagne de France de mai-juin
1940. Et, à la différence de Juin, il jouit d’une bonne image auprès de la Résistance intérieure, avec laquelle il entretient d’ailleurs certains liens, dans la
mesure où il a été jugé par le régime de Vichy, s’est évadé et a connu la clan11. Goislard de Monsabert Joseph, Notes de guerre, Hélette, Jean Curutchet, 1999, p. 218.
12. Note du général de Larminat du 15 juin 1943, citée par Le Gac Julie, « En Italie », in Larminat,
un fidèle hors série, Paris, Éditions LBM, p. 131.
13. Télégrammes cités dans Lattre de Tassigny Jean de, Ne pas subir : écrits 1914-1952, Paris, Plon,
1984, p. 93.
14. Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, de l’appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard,
1996, p. 965.
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destinité. Autant d’éléments susceptibles de faciliter de bons contacts entre
l’armée régulière et les forces clandestines après le débarquement.
Intégrer la Résistance intérieure
On l’a vu, le premier amalgame entre les forces de la France libre et celles
de l’Armée d’armistice constitue pour de Gaulle un enjeu diplomatique majeur. Le deuxième amalgame, entre l’Armée B et les FFI, répond avant tout à
un objectif de politique intérieure. L’armée doit former, sinon le fer de lance,
du moins l’un des éléments forts de la reconstitution de l’union nationale derrière le chef de la France libre. Le rétablissement de l’ordre et de la légalité
républicaine au cours de la libération passe par l’incorporation des combattants clandestins que sont les résistants dans une structure institutionnelle, la
nouvelle armée.
Nouvelle armée ? Les résistants s’imaginent volontiers comme une armée
de citoyens en armes, sur le modèle des soldats de Valmy sauvant la Patrie en
danger contre les forces de la Contre-Révolution, matrice d’une nation régénérée. Dans ces conditions, les intégrer dans la « vieille » armée qui a traversé
la IIIe République, le désastre de la campagne de France et l’armistice, et qui
débarque sur la côte provençale, est a priori problématique.
Pourtant, de Gaulle et surtout de Lattre réussissent le pari de la fusion des
forces extérieures et intérieures.
Au moment du débarquement, et lors des premiers combats pour la libération, la défiance entre, d’une part, la Résistance intérieure et de l’autre,
l’armée régulière, est particulièrement perceptible. Dans une note adressée à
la mi-septembre 1944 au général de Lattre, le général Molle, chargé au sein de
l’Armée B du bureau FFI, déplore le lancement d’une véritable campagne de
calomnies contre ses soldats :
Les cadres FFI rattachés à ma division ont reçu un tract anonyme, intitulé “Alerte aux
FF”, dans lequel nous sommes traités “d’Armée de 50 000 coloniaux encadrés d’officiers
vichystes” ! Pas moins ! Je recevais il y a 48 heures un colonel FFI de haute culture, (…)
qui convenait cependant qu’il aurait beaucoup de mal à convaincre ses répondants, parce
que, ajoutait-il, l’armée d’Afrique était considérée comme une armée de “fascistes”15.
Le général Monsabert, qui commande le 2e Corps d’armée au sein de l’Ar15. Note du général Molle au général de Lattre de Tassigny, sans date, cité dans Lattre de Tassigny
Jean de, Reconquérir, 1944-1945, Paris, Plon, 1985, p. 62-63.
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
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mée B et mène l’attaque sur Marseille, raille à cette occasion l’indiscipline et le
manque d’organisation des FFI :
Les chefs FFI reconnaissent leur désordre et le flou de leur organisation. (…) Dans la rue,
c’est pire ! Le désordre, qu’ils montrent et qu’ils créent, peut faire croire, en effet, à une
Révolution. Mais sans danger. Les autos de tourisme, avec drapeaux et fanions, sillonnent
les rues ; un jeune gars, plus ou moins couché sur le toit de la voiture, braquant le pistolet
ou la mitraillette…16.
Le conflit entre l’armée régulière et Résistance se place sur le plan de la
légitimité politique. Les FFI invoquent leur supposé engagement précoce et
sans équivoque contre l’ennemi allemand, en opposition à l’Armée B, issue
de l’Armée d’armistice, placée sous le sceau de la compromission avec Vichy. L’opposition se construit aussi sur une différence de « culture militaire ».
Les FFI se présentent comme des soldats-citoyens ayant pris les armes contre
l’oppression dans le cadre d’une guerre clandestine. À l’inverse, les soldats
réguliers dénient parfois leur qualité de combattant, soit en les assimilant à
des bandits en haillons, soit parfois même physiquement en les désarmant17.
Ce sont également deux structures et hiérarchies militaires qui se rencontrent
(fig. 2) et se heurtent, comme en témoigne un rapport sur le moral destiné au
général Touzet du Vigier qui commande la 1ère DB « Si le manque d’instruction élémentaire, conséquence de l’indiscipline constatée parmi les cadres et
les hommes, la liberté d’action sans contrôle apparent et l’emploi de l’armement dont ils disposent librement est compris des Officiers, il ne l’est pas de la
troupe dont l’étonnement est manifeste.18 »
Pourtant, cette animosité ne saurait être exagérée. Les journaux de marche
et d’opération des unités de l’Armée B tendent à montrer que les soldats réguliers sont globalement impressionnés par l’ardeur au combat des FFI.
L’épreuve du feu peut, dans bien des cas, jeter les bases d’une reconnaissance
réciproque du statut de combattant. Citons le cas du 7e régiment de tirailleurs
algériens qui pousse son offensive d’Aubagne à Marseille en compagnie de
maquisards. Pour traverser la chaîne de l’Étoile, au nord de la cité phocéenne,
les hommes du 7e RTA sont guidés par trois FFI, lesquels accompagnent égale16. Goislard de Monsabert, Joseph, Notes de guerre, Paris, Jean Curutchet, 1999, p. 284.
17. C’est ce que rapporte une note de service du 27 août 1944 de l’état-major de la 3e DIA, Service
historique de la Défense (SHD DAT), 11P61.
18. Rapport sur le moral du colonel Mazoyer à l’intention du général commandant la 1ère DB,
10 octobre 1944, SHD DAT, 11P206.
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ment les tirailleurs lors de l’attaque d’une position ennemie19. De tels exemples
de combats menés côte à côte se retrouvent de façon récurrente.
Au fond, ce qu’acceptent mal les soldats réguliers, c’est la forte porosité
entre fonction militaire et fonction politique chez les FFI. Ces derniers sont
moins vus comme des combattants que comme des militants. Eux se voient à
la fois comme le noyau du futur régime politique et le corps de la future armée,
les deux étant indissociables. Le général commandant l’Armée B résume ainsi
ces tensions et ces visions irréconciliables au sein de l’armée :
Pour nos régiments débarqués, l’extrême variété des organisations FFI, leur discipline
au moins particulière, la diversité de valeur de leur regroupement, la pauvreté de leur
équipement, la criante insuffisance de leur armement et de leur matériel, l’hétérogénéité
de leur encadrement, la facilité avec laquelle avaient été souvent attribués les grades supérieurs et dans certains cas, le caractère ostensiblement politique de leurs aspirations heurtaient le sens militaire classique de beaucoup d’officiers. (…) Quelques-uns estimaient
être qualifiés – et seuls qualifiés – pour doter la France de son armée nouvelle, faite à
l’image des maquis20.
De Lattre a conscience de la forte demande de reconnaissance de la part
des FFI et rend régulièrement hommage aux forces de la Résistance, par
exemple à Lyon, le 9 septembre, dans le journal Le Patriote21. D’un point de
vue symbolique, il met en scène l’union des deux armées lors de chaque revue
d’armes qui suivent les libérations de ville. Les archives photographiques de
l’ECPAD22. sont significatives de sa stratégie de « communication » pourraiton dire, au risque de l’anachronisme. On y voit de Lattre à Toulon, Marseille,
Lyon, ou encore Dijon, au milieu de ses troupes qui défilent côte à côte avec
les FFI. Ces parades sont suivies de remises de décorations, attribuées tant
aux réguliers qu’aux combattants FFI. De telles mises en scène, soigneusement
photographiées ou filmées, exaltent l’union de l’armée autour du chef (fig. 1,
3 & 4).
Mais l’habileté politique du général de Lattre ne tient pas uniquement à
19. Journal de marche et opérations du 7e RTA, août 1944, SHD DAT, 12P56.
20. Lattre de Tassigny Jean de, Histoire de la Première Armée. op. cit., p. 181.
21. Interview cité dans Lattre de Tassigny Jean de, Reconquérir, 1944-1945, op. cit., p. 60
22. Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, Fort d’Ivry.
Nous avons consulté les références suivantes : défilé dans Marseille libérée, Jacques Belin, 29 août
1944 (Terre 271), défilé dans Dijon libéré, Jacques Belin, 15 septembre 1944 (Terre 273), défilé des
troupes à Marseille, Jacques Belin, 29 août 1944 (Terre 277), libération de Beaune et d’Autun, septembre 1944 (Terre 313), photographies de la libération d’Autun, 9 septembre 1944, (Terre 318).
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
93
Fig. 1 – Le général de Lattre de Tassigny arrive à Dijon et salue la foule. © ECPAD, Terre 313.
cette scénographie de l’union, dont les résultats
sont d’ailleurs difficilement mesurables. Pour
l’amalgame institutionnel23, c’est-à-dire l’incorporation officielle des FFI à l’armée régulière,
le général de Lattre bénéficie d’une importante
marge de manœuvre. Le 28 août 1944, il a reçu
des instructions de la part du Commissaire à la
Guerre André Diethelm24 : les officiers de l’Armée B sont autorisés à incorporer les membres
FFI, sans formalité, pour compléter leurs effectifs ou pour créer des unités supplémentaires.
Cette note ne fait que valider une réalité car
nombre de FFI combattent de fait dans les rangs
de l’armée régulière. Vers la fin du mois de septembre 1944, celle-ci est autorisée à incorporer
en groupe ou individuellement des FFI. À la
mi-septembre enfin, le chef de l’Armée B insiste
pour que l’incorporation des FFI dans l’Armée
se fasse dans le maintien de leur identité, afin
qu’il soit plus acceptable :
Fig. 2 – Le général de Lattre de Tassigny
salue le général Touzet du Vigier, commandant la
1ère DB. © ECPAD, Terre 313.
23. Pour une étude complète de cet amalgame, voir en priorité l’article de Roger Michalon,
« L’amalgame FFI-1ère Armée et 2e DB. », in La libération de la France, Paris, Éditions du CNRS,
1976, p. 621-680.
24. Lettre d’André Diethelm au général de Lattre de Tassigny, le 28 août 1944, SHD DAT,
10P225.
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
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Fig. 3 – Le chef de l’Armée B félicite les soldats de la 1ère DFL, que l’on reconnaît au drapeau à la Croix de
Lorraine. © ECPAD, Terre 313.
Ce rattachement comporte le maintien des groupements élémentaires - de la valeur du
Bataillon - avec leur nom, leurs chefs, leur organisation et leurs traditions (…). Il ne s’agit
donc pas, du moins à l’origine, d’une intégration pure et simple dans l’armée, mais d’un
amalgame réalisé par juxtaposition au sein de la même grande unité des éléments de
l’armée et de quelques formations FFI25.
À cette date, les formations FFI intégrées à l’Armée B constituent, selon le
commandement, un total de dix groupements, soit un effectif approximatif de
45 000 hommes26.
Ainsi, on le voit, de Lattre réussit son pari d’amalgamer les FFI avec l’Armée B, grâce à une certaine clairvoyance et prudence politique. Sa méthode
force même l’admiration du colonel Rol Tanguy, qui écrit, certes rétrospectivement dans sa Libération de la France :
Il m’est facile, l’ayant vécu, de rappeler et de souligner la volonté délibérée du commandant en chef de la 1ère Armée, d’y intégrer le plus grand nombre possible des combattants
et d’unités des FFI27.
25. Télégramme du lieutenant-colonel Lassalle, 19 septembre 1944, SHD DAT, 10P225.
26. Note sur l’emploi des unités FFI à l’intérieur de l’Armée B, 18 septembre 1944, SHD DAT,
10P225.
27. Cité dans Delmas Jean, « L’amalgame : forces françaises de l’intérieur, 1ère Armée », in Les
armées françaises pendant la Seconde Guerre mondiale 1939-1945, Institut d’histoire des conflits contemporains, Lavauzelle, 1985, p. 415-426.
Claire Miot : L’Armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française ?
95
Fig. 4 – Des FFI décorés par le général de Lattre de Tassigny. © ECPAD, Terre 313.
Cette réussite tient aussi au choix politique de laisser une certaine autonomie aux commandants d’unités quant aux modalités de l’amalgame. En
revanche, les difficultés liées à ce processus tiennent surtout au manque d’effets
et d’équipements des nouvelles recrues. Si bien que l’incorporation des FFI
n’est réellement effective qu’au cours de l’hiver 1944-1945.
◊
L’analyse des différents amalgames qui, de 1943 à 1945, aboutit à la reconstitution de l’armée française dans la 1ère Armée du général de Lattre de
Tassigny tend, on le voit, à conforter l’argument de Robert Paxton, selon lequel, au sein de l’institution militaire, la continuité l’aurait emporté sur la rupture. Malgré le traumatisme de la défaite de juin 1940 et le discrédit des cadres
de l’armée, malgré la compromission de nombre d’officiers avec le régime de
Vichy, et malgré le prestige considérable dont bénéficient, en 1944 les FFL
et surtout les FFI, ces forces militaires n’ont pas été le noyau de la nouvelle
armée. Mais le général de Gaulle a réussi, à partir d’une armée éclatée politiquement et militairement, à mettre sur pied une force capable de compter
dans la libération du territoire et la campagne d’Allemagne, en intégrant des
composantes aux parcours combattants et aux conceptions politiques parfois
radicalement opposés. Ainsi, cette armée n’est certainement pas le décalque
de l’armée de 1940, et ce pour deux raisons : d’abord parce qu’elle intègre des
forces nouvelles, mais aussi parce qu’une partie des officiers trop compromis
96
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
avec le régime de Pétain en sont exclus. Il n’est pas lieu ici de traiter de l’épuration de l’institution militaire28, mais notons que parallèlement à l’amalgame
avec les FFI se déroule une purge des cadres d’active29. Cette épuration est
réelle, mais mesurée, selon la logique gaullienne de réconciliation nationale,
ce que défend le chef du gouvernement provisoire de la République française
(GPRF) :
Je me permets de vous rappeler qu’à Bir Hakeim, la moitié des soldats que nous y avons
emmenés étaient ceux qui, quelques mois auparavant, tiraient sur nous devant Damas. Et
j’ajoute qu’en Italie, et même en Alsace, une grande partie de l’armée qui s’était couverte
de gloire pour le compte du pays venait de cette Afrique du Nord où il est vrai par suite
de consignes absurdes et criminelles, elle s’était trouvée opposée au pays lui-même et à
ses Alliés. Je rappelle enfin que, par exemple, Le Richelieu, ce cuirassé magnifique qui porte
aujourd’hui en Extrême-Orient le pavillon de la France, est le même bâtiment qui tirait
naguère, près de Dakar, sur des gens que vous connaissez bien. Voilà la victoire de la Résistance, qui n’a de valeur et qui n’a d’avenir qu’à condition qu’elle rassemble la France30.
28. Pour une très bonne synthèse de l’épuration dans l’armée, voir Abzac-Epezy Claude d’, « Epurations, dégagements, exclusions. Les réductions d’effectifs dans l’Armée française 1940-1947 »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 59, 1998, p. 62-75.
29. Dans une note du 27 août 1944, André Diethelm informe de Lattre que « tous les officiers de
carrière n’appartenant pas aux forces armées du gouvernement provisoire de la République, c’està-dire ne servant pas régulièrement dans les unités constituées en Corse ou sur le sol de l’Empire,
ni dans les FFI doivent être considérés comme placés d’office en position de disponibilité. » SHD
DAT, 10P225.
30. Discours du général de Gaulle devant l’Assemblée consultative le 16 juin 1945.
« RETOUR À LILLIPUT. »
Le Jouet français, un périodique professionnel
(1930-1965)
par Élodie Massouline
mots clefs :
jouet, presse professionnelle, syndicat, publicité, éducation, genre, culture de masse.
title : Return
to Lilliput. Le Jouet français, a professional periodical (1930-1965)
keywords : Toy,
professional press, employers’ association, advertisement, education, gender, mass
culture
auteur :
Élodie Massouline poursuit ses recherches sur l’histoire du jouet et l’histoire culturelle
aux xixe et xxe siècles et envisage une thèse sur la culture matérielle à l’époque contemporaine.
Depuis 2009, elle a participé à la préparation de l’exposition « Le peuple de Paris au xixe siècle. Des
guinguettes aux barricades » ouverte depuis le 5 octobre 2011 jusqu’au 26 février 2012 au Musée
Carnavalet – Histoire de Paris.
http://www.exponaute.com/expositions/626-le-peuple-de-paris-au-xixe-siecle/
On a encore trop tendance à considérer que la trivialité de l’objet d’étude
engendrera nécessairement la médiocrité de l’étude elle-même. Il peut paraître
saugrenu et futile d’écrire sur l’histoire des jouets, ces petits objets qui n’amusent que les enfants.
À travers l’analyse d’un périodique professionnel, Le Jouet français, il s’agissait de travailler sur les représentations propres aux fabricants de jouets et plus
largement sur celles de la société dans son ensemble. Le lecteur qui s’aventure
sur ce territoire inconnu, le pays des jouets, se retrouve dans la position de
Gulliver lors de son voyage à Lilliput ; on peut espérer qu’il en retirera, outre
d’amusantes anecdotes sur le pays, une meilleure connaissance de la société
dans laquelle il vit. Ce « nouveau monde » a en effet été peu exploré, du moins
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Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
par les historiens. Les folkloristes et les collectionneurs – dont les plus célèbres
d’entre eux sont Léo Claretie et Henri-René d’Allemagne – s’emparent les
premiers de l’histoire des jouets, à la fin du xixe siècle, à une époque où l’industrialisation de la France fait craindre la disparition d’un monde ancien dont
les jouets traditionnels sont l’apanage. Malgré l’ouvrage précurseur de Philippe
Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, publié en 19601, l’émergence
de l’histoire de l’enfance est fortement liée à l’essor, dans les années 1970-1980,
des travaux des sciences sociales (sociologie, psychanalyse, ethnologie, démographie, etc.) sur le sujet. Cette histoire a surtout été abordée sous l’angle de
l’enseignement ou a été intégrée dans la perspective plus large de la famille.
Pourtant, les jouets, tout comme les livres et les journaux pour la jeunesse, sont
de véritables éléments d’éducation qu’il convient de ne pas négliger. C’est en
tout cas la position de Michel Manson, professeur d’histoire à l’Université Paris-Nord au sein du master de sciences de l’éducation, qui inscrit les jouets dans
les « produits culturels de l’enfance », avec les livres et les bonbons. Cet ancien
conservateur du musée de l’éducation de Rouen a soutenu sa thèse de doctorat
sur l’histoire du jouet en 1999 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la
direction de Daniel Roche2 et publie régulièrement des ouvrages sur le jouet.
Mon mémoire d’histoire culturelle prolonge son travail et étudie, pour la période contemporaine, une source rarement exploitée, la presse professionnelle.
Le Jouet français, les jeux, les sports, étroitement lié au syndicat des fabricants
français de jouets et dont la parution s’étend des années 1930 aux années
1960, a été la source principale de cette recherche (fig. 1). Mais afin de dresser
un panorama relativement complet des périodiques techniques paraissant à
cette époque, ont été intégrés à l’étude d’autres périodiques, et notamment
Nos jouets, nos jeux, revue mensuelle de la chambre syndicale des commerçants
détaillants en jeux et jouets, articles de fêtes, voitures d’enfants et puériculture,
créée en octobre 1951 par Bernard Chevry, et Jouets et Bimbeloterie, l’organe
syndical de la chambre syndicale nationale des grossistes en bimbeloterie et
articles de bazar.
Le Jouet français, qui s’adressait à la fois aux fabricants et aux vendeurs, était
le périodique le plus diffusé parmi les professionnels. Ce périodique bi-trimestriel a été fondé en août 1927 par Michel Fradet, secrétaire de la chambre
syndicale des fabricants de jouets à l’époque, qui devient dans les années 1950
1 Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime, Paris, Plon, 1960, rééd., Paris, Le Seuil,
1973, 316 p.
2 Michel Manson, Jouets de toujours. De l’Antiquité à la Révolution, Paris, Fayard, 2001, 382 p.
Élodie Massouline : « Retour à Lulliput. » Le Jouet français,
français, un périodique professionnel (1930-1965)
99
Fig. 1 – Couverture, Le Jouet français,
français, n° 1 de la nouvelle série, mai 1949 (BnF).
vice-président du Syndicat national des fabricants de jeux, jouets, articles
de fêtes et voitures d’enfants. Sa parution s’interrompt pendant la Seconde
Guerre mondiale ; une nouvelle série débute en 1949 et continue encore aujourd’hui, sous le nom de La Revue du Jouet. En effet, au début des années 1960,
suite à l’entrée de la France dans le marché commun après la signature du
traité de Rome en 1958, le périodique est rebaptisé : la rédaction estime que Le
100
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Jouet français n’est pas adapté au nouveau contexte européen car il s’inscrit dans
une échelle purement nationale. Par ailleurs, Marcel Chapelon, le directeur du
périodique à l’époque, souhaite qu’il se détache des intérêts corporatistes des
fabricants. Cette prise d’indépendance par rapport au syndicat des fabricants
se matérialise en février 1962 par le rachat des parts de marché de la revue
professionnelle des détaillants en jouets, Nos jouets, nos jeux ; il devient alors trimestriel. Ainsi, Le Jouet français, qui est, au départ, l’organe du syndicat des
fabricants de jouets, finira par devenir le périodique de tous les professionnels
du jouet.
La période d’étude choisie permet, par son amplitude, de mettre plus facilement en lumière à la fois les évolutions du périodique, tant sur la forme
que sur le contenu des articles, et les transformations économiques, sociales et
culturelles de la France contemporaine. La coupure de 1965 intervient juste
avant les bouleversements engendrés par mai 1968 et trois ans après la distension des liens entre le périodique et le syndicat des fabricants.
Néanmoins, il ne s’agissait pas de brosser l’histoire de l’industrie du jouet.
La source, paradoxalement, ne s’y prêtait pas vraiment. Certes, en tant qu’organe syndical, Le Jouet français apporte un éclairage sur l’organisation du secteur du jouet ; mais il comporte assez peu de données chiffrées et de textes
théoriques. Sans se contenter de faire de l’histoire économique et sociale de
ce groupe socioprofessionnel, on a cherché à étudier leurs représentations et
à comprendre ce que le jouet signifie dans la société. Cela a été rendu possible par les nombreuses publicités qui occupent jusqu’à la moitié de chaque
numéro. On a postulé que les fabricants étaient sensibles à un certain « air
du temps » : voulant plaire à leur clientèle, ils ont intégré une partie des représentations collectives sur le jouet, qui s’inscrivent sur le long terme. Les
jouets qu’ils fabriquent illustrent la manière dont ils conçoivent l’enfance qui,
elle-même, reflète la manière dont la société la voit. Dans cette étude, on a uniquement pris en compte le jouet industriel, qui est un « jouet du commerce »,
selon la terminologie de Michel Manson, tout comme le jouet artisanal, et qui
se distingue du « jouet écologique », c’est-à-dire le jouet fabriqué par l’enfant
ou par son entourage. Seul le jouet du commerce témoigne d’une prise en
compte par la société des besoins et des désirs de l’enfant. Le jouet industriel,
par sa large diffusion et par son uniformité, participe au développement de
la culture de masse au xxe siècle. Son étude s’inscrit donc dans une réflexion
plus globale sur l’instauration de la société de consommation et sur la culture
de masse.
Tout au long de ce mémoire, on a voulu faire un aller-retour constant
Élodie Massouline : « Retour à Lulliput. » Le Jouet français, un périodique professionnel (1930-1965)
101
entre le texte (articles
du Jouet français) et
l’image (publicités).
Les documents iconographiques, quand
ils sont traités par les
historiens comme de
véritables documents
et pas seulement
comme des illustrations, sont souvent
étudiés à part. Or, il
ne faut pas les séparer, nous semble-t-il,
car il est intéressant
de confronter les discours. Les images en
disent souvent plus
que les textes, où
persistent des nondits. Ainsi, l’image
est souvent plus révélatrice que le texte
sur les rôles respectifs
des hommes et des
femmes attribués par
la société, car plus caFig. 2 – Publicité pour les jouets des Établissements Guy-Givors,
ricaturale et directe. Le Jouet français, n° 7, janvier 1951, p. I (BnF).
On a, par exemple,
dévoilé une certaine
ambiguïté des slogans publicitaires, qui destinent le jouet aux enfants en général, alors que la publicité montre la photographie d’une fillette quand il s’agit
de la publicité pour une poupée et celle d’un garçon pour un jeu scientifique.
Il existe pour les jouets, objets très genrés, des destinataires supposés a priori
(fig. 2). Le genre s’est d’ailleurs imposé comme le fil directeur de la typologie
proposée dans notre mémoire de recherche3.
Comme l’histoire des jouets, surtout pour la période contemporaine, est
3 Élodie Massouline, « Retour à Lilliput ». Le jouet français, un périodique professionnel (1930-1965),
102
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
encore « dans les langes », on a tenté un travail de synthèse en croisant des
disciplines telles que l’histoire, la sociologie, l’anthropologie ou les sciences de
l’éducation, en essayant de se détacher des histoires écrites par les collectionneurs. Ont été privilégiés des axes d’étude transversaux, comme les matières
employées, les catégories de jouets, les destinataires, le sens attribué aux jouets
et la pédagogie, l’américanisation, etc. Globalement au xxe siècle, les catégories traditionnelles de jouets, intemporelles selon certains anthropologues, se
perpétuent, mais se renouvellent ou connaissent – en fonction des périodes
– des fluctuations, passant d’un franc succès à un désintérêt général de la part
des parents et des enfants, celui des premiers entraînant celui des seconds et
vice versa. Les jouets militaires, du soldat de plomb au tank miniature, apparaissent comme tout à fait représentatifs à cet égard. En effet, d’aucuns ont
longuement disserté sur l’intemporalité de cette catégorie, indispensables à
l’enfant. Et pourtant, en feuilletant Le Jouet français, on se surprend à chercher ces fameux jouets qui semblent se faire très discrets durant l’entre-deuxguerres, comme s’il était devenu tabou de faire leur promotion à cause du
traumatisme entraîné par la Grande Guerre. C’est à cette époque que naît le
débat sur la violence engendrée par ces jouets, débat semblable à la polémique
actuelle sur les jeux vidéo. Au-delà du rôle attribué aux jouets, parfois surévalué, les discours produits ne sont pas moins significatifs des évolutions sociales
et culturelles de la société française. Car si le jouet contribue à la diffusion
d’une certaine culture de masse et reste un facteur important de normalisation
chez l’enfant, ce dernier construit sa personnalité par un jeu d’appropriations
plus complexe.
Ainsi, cette recherche avait un triple objet. Le premier s’est attaché à analyser le fonctionnement du journal et son rôle dans l’unité de ce secteur économique. Le deuxième s’est intéressé aux discours et représentations des fabricants français de jouets, discours accessibles grâce aux articles du Jouet français.
Enfin, dans une troisième partie a été esquissée l’étude du jouet industriel. Il
s’agissait de comprendre, à partir de l’évolution des jouets, certaines transformations sociales et culturelles de la société française du xxe siècle.
La Seconde Guerre mondiale apparaît au bout du compte comme une
rupture majeure dans l’histoire du périodique comme dans celle de l’industrie du jouet. Le Jouet français connaît une formidable renaissance après guerre.
Tandis que l’orientation principale du périodique était l’économie et la politique avant guerre, ce dernier s’ouvre progressivement aux questions sociales
2010, 437 p., M 2-Histoire culturelle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de
Pascal Ory, disponible à la bibliothèque Maitron.
Élodie Massouline : « Retour à Lulliput. » Le Jouet français, un périodique professionnel (1930-1965)
103
et s’intéresse davantage aux besoins de l’enfant. Les fabricants de jouets y
consignent, comme dans un journal intime, les problèmes rencontrés par la
profession et les principaux événements économiques, sociaux et culturels. Le
périodique est un instrument de communication entre les différents secteurs
de l’industrie du jouet : les auteurs des articles, sachant qu’ils ne s’adressent pas
aux consommateurs, parlent avec moins de « langue de bois », dans une visée
de légitimation de la profession de fabricant de jouet et de la consommation
de jouets, objets longtemps considérés comme superflus. Les articles du Jouet
français illustrent cette volonté d’autolégitimation, qui passe par la professionnalisation et la modernisation du secteur économique, par l’affirmation de la
spécificité de l’industrie française du jouet par rapport aux industries étrangères, par l’inscription de leur « consommation » dans le temps long et par la
vulgarisation de discours pédagogiques mettant en avant leur utilité dans le
développement de l’enfant. Le but ultime du Jouet français est de faire vendre
toujours davantage…
C’est ainsi que le périodique devient l’instrument des modernisateurs de
cette industrie. Par exemple, les auteurs du Jouet français ne se contentent pas
de faire la promotion du jouet ; ils donnent quelques outils afin que cette promotion soit relayée et diffusée. Plusieurs articles, dans les années 1930, promeuvent la publicité et conseillent aux fabricants d’y recourir de façon plus
systématique. De la même façon, les détaillants sont incités, à partir des années
1950, à consacrer davantage d’efforts à la présentation des jouets dans les vitrines et à soigner les étalages. Les articles sont écrits par des publicistes ou
des étalagistes et font référence à des spécialistes de ces domaines. Les professionnels sont formés aux nouvelles méthodes de gestion et de vente. La lecture
attentive des articles du Jouet français permet de retracer une histoire de la publicité et du marketing qui ne recouvre que partiellement celle des théories sur
la publicité et le marketing, car les mentalités évoluent lentement et la diffusion
de nouveaux procédés de vente se fait progressivement.
De même, le nationalisme des années 1930-1950 se mue en européanisme
à partir de la fin des années 1950, à la faveur de la construction européenne.
Ce protectionnisme illustre les tensions vis-à-vis de l’industrie allemande, très
performante depuis la fin du xixe siècle dans ce domaine et est présent en
filigrane à travers de nombreux articles et publicités, mentionnant l’origine
française des jouets (fig. 3). Si l’on assiste dans les années 1930, années de crise
économique hantées par le spectre de la dépopulation, à une remise en question des professionnels du jouet, qui tentent de moderniser leur industrie, les
années 1950-1960, au contraire, se caractérisent par une forte croissance éco-
104
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Fig. 3 – Publicité pour le jeu
de construction métallique
« Forgeacier » (JeP),
Le Jouet français, n° 46, février 1935,
p. 41. (BnF)
nomique (« Trente Glorieuses ») et démographique (« baby-boom ») et voient
l’avènement de la société de consommation et de loisirs ; les auteurs du Jouet
français sont perméables à cette euphorie de la croissance et à cet optimisme
dans l’avenir, souvent perceptibles dans les publicités, par exemple dans celle
pour les jouets Meccano en avril 1950 (fig. 4).
Paradoxalement, la guerre a permis un renouveau de l’industrie du jouet.
De nombreuses usines furent détruites ou réquisitionnées pendant la guerre,
notamment celles spécialisées dans la fabrication de jouets en métal ; les progrès de la chimie organique rendent possible, dans les années 1950-1960, l’explosion des matières plastiques (rhodoïd, lustrex, nylon) et l’industrie du jouet
bénéficie largement de ces innovations, comme le montrent les nombreuses
publicités (fig. 5) qui en vantent les qualités en terme d’hygiène (ils peuvent être
lavés) et de solidité (ils sont moins cassables donc moins dangereux pour les
enfants). Par exemple, la publicité pour les jouets en peluche de nylon des Établissement É. Lang, reproduite dans le numéro du Jouet français d’avril 1955,
Élodie Massouline : « Retour à Lulliput. » Le Jouet français, un périodique professionnel (1930-1965)
se fait l’écho de cette révolution des matières plastiques et
synthétiques, avec des phrases
comme « Vous vivez l’ère du
Nylon ! », « Le progrès au service de l’enfance » et « Lavabilité garantie ». Par ailleurs,
les qualités – réelles ou supposées – de ces matières vont favoriser la diffusion des jouets
chez les tout-petits. Le jouet
du premier âge est avant tout
en plastique.
D’autre part, il est amusant de comparer les objets
du quotidien et les jouets qui
les imitent. En effet, les objets
modernes comme le cinématographe et le téléphone dans
les années 1930, tout comme
la machine à laver, l’aspirateur, le mixer dans les années
1950 se retrouvent sous forme
de jouets dans les pages du
Jouet français. La commercialisation du jouet suit de très
près celle de l’objet, voire lui
est concomitante. Bien plus,
le jouet ne se contente pas de
refléter l’état d’une technologie mais anticipe une nouvelle ère. Les jouets ont eu
un rôle non négligeable dans
l’adaptation des normes de
consommation des Français
aux normes de production. Ils
ont permis de diffuser de nouveaux produits dans toutes les
105
Fig. 4 – Publicité pour les jouets « Meccano », Le Jouet français,
n° 4, avril 1950, p. I. (BnF).
Fig. 5 – Publicité pour les jouets en peluche de nylon des
Établissements Émile Lang, Le Jouet français, n° 24, avril 1955,
p. 51. (BnF).
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
106
couches de la société et ont parfois contribué au lancement des objets sur le
marché. Les voitures-jouets ont sans doute contribué à imposer un certain modèle de consommation. André Citroën avait bien conscience de l’importance
que pouvait avoir le jouet, puisqu’il a conçu dès 1923, quatre ans à peine après
la création de son entreprise, des voitures-jouets Citroën pour habituer l’enfant à la marque et en faire un éventuel client. Les voitures-jouets, reproductions très réalistes des véritables voitures, sont produites pendant une dizaine
d’années par Albert Migault, fabricant de jouets. Ce dernier a la possibilité
d’établir le prototype d’un jouet avant même la sortie d’un nouveau modèle
automobile et sa présentation au public.
Enfin, le regard porté sur l’enfant évolue, tout comme la place du jouet
dans son éducation : ce dernier apparaît de plus en plus utile à l’épanouissement, au bien-être et au développement. Ainsi, durant tout le xxe siècle, le
jouet industriel se métamorphose, dans sa forme, dans sa matière et dans le
sens que la société lui attribue ; il connaît un complet épanouissement à la fin
de la période.
◊
Cette étude sur le jouet industriel en France n’est pas exhaustive et il faudrait plusieurs travaux universitaires pour l’approfondir. D’autres suivront et
pousseront plus loin la recherche. En 2011, Sophie Soukias, une étudiante
bruxelloise soutiendra un mémoire consacré à la construction de l’identité et
du genre chez l’enfant grâce aux jouets à partir des Trente Glorieuses.
La véritable gageure était de vouloir traiter du jouet en général et non d’un
type de jouet ; cela présentait l’inconvénient d’être bien souvent superficiel et
schématique. On regrette d’ailleurs d’avoir laissé de côté de nombreuses catégories de jouets, comme les jeux de société ou les jouets d’actualité.
D’autre part, aborder des discours sur des objets aussi courants à travers un
seul médium est toujours délicat. Le document introduit un biais dans la représentation des réalités. Si Le Jouet français est apparu comme un observatoire central, il ne faut pas en tirer des conclusions trop hâtives. On a tenté de multiplier
les points de vue en parcourant d’autres types de sources (autres périodiques
professionnels, annuaires, rapports d’expositions universelles ou internationales, enquêtes économiques et livres d’histoire écrits par des folkloristes). Le
Jouet français apparaît ainsi comme le porte-parole des modernisateurs de l’industrie du jouet, des partisans de l’utilisation systématique de la publicité dans
les années 1930 à ceux qui prônent l’emploi des matières plastiques dans la
Élodie Massouline : « Retour à Lulliput. » Le Jouet français, un périodique professionnel (1930-1965)
107
fabrication des jouets dès les années 1950. Il aurait été intéressant de consulter
d’autres sources, et notamment les archives du syndicat national des fabricants
français de jouets, ce qui n’a malheureusement pas été possible puisque, après
avoir été déposées au centre de documentation du département des jouets du
musée des Arts décoratifs de Paris, elles ont été égarées. On aurait pu alors
comparer les débats qui ont eu lieu en interne, peu visibles dans le périodique,
vitrine rutilante du syndicat. On aurait pu mettre en lumière des divergences
d’intérêts, difficiles à repérer dans un périodique où les articles, le plus souvent
anonymes, sont assumés collectivement par le comité de rédaction.
Certes, ce travail est centré sur le point de vue des fabricants de jouets,
mais il ouvre une fenêtre sur la société. Les articles du Jouet français évoquent à
mots couverts les questions politiques, économiques et sociales. Les fabricants
et détaillants sont sensibles à l’avis des consommateurs : les articles abordent la
question des modes de tel ou tel type de jouet ou au contraire s’interrogent sur
la désaffection d’autres. Cela lève donc un reproche qui pourrait être adressé
à ce travail par ceux qui considéreraient que l’on est déconnecté de la « réalité
sociale » en étudiant seulement des représentations, qui plus est les représentations d’une infime portion de la population française, celle des fabricants de
jouets. Cependant, l’histoire ne s’écrit-elle pas toujours d’un point de vue ?
Ainsi, l’exercice est distrayant mais il n’est pas vain. Le jouet était un prétexte. Par le biais d’un objet anodin de la vie quotidienne, en l’occurrence du
jouet, on a tenté de cerner les enjeux et représentations qui gravitent autour
des objets, véritables témoins d’une civilisation. On espère avoir contribué à
alimenter l’histoire culturelle de la France contemporaine, qui aborde encore
trop rarement l’histoire matérielle. Ce mémoire pourrait être une illustration
des propos de Roland Barthes, qui affirmait dès 1957 dans ses Mythologies :
[…] le jouet français signifie toujours quelque chose, et ce quelque chose est toujours
entièrement socialisé, constitué par les mythes ou les techniques de la vie moderne adulte.
[…] Le jouet français est comme une tête réduite de Jivaro, où l’on retrouve à la taille
d’une pomme les rides et les cheveux de l’adulte4.
4 Roland Barthes, « Jouets » (p. 63-65), Mythologies, Paris, Seuil, 1957, 233 p.
LA MAISON DU PRISONNIER  
DE LA SEINE
entre aide et surveillance (1941-1944)
par Amarillys Siassia
mots clefs :
genre, femmes et guerre, France de Vichy, prisonniers de guerre français, secours aux
victimes de guerre et contrôle social.
title : The
Maison du prisonnier of Paris. Support or watching the wives of French prisoners of war (1941-
1944)
keywords :
gender, women and war,Vichy France, French prisoners of war, victims of war assistance,
social control
auteur : Amarillys
Siassia a travaillé sur les identités de genre en temps de guerre au Centre d’his-
toire sociale du xxe siècle et prépare actuellement les concours de l’enseignement à l’université
Paris I Panthéon-Sorbonne.
La capture de plus de 1 600 000 soldats français au lendemain de la débâcle
ébranle la vie politique du pays ainsi que ses structures économiques et sociales. À la fin de l’année 1941, environ 200 000 prisonniers de guerre rentrent
en France. Pour assurer leur réintégration professionnelle, le Commissariat au
reclassement des prisonniers de guerre rapatriés (CRPGR)1 est créé le 2 septembre 1941. Maurice Pinot2 est nommé Commissaire le 21 septembre. Le
1. La loi du 20 juillet 1942 le transforme en Commissariat général aux prisonniers de guerre rapatriés et aux familles de prisonniers de guerre (CGPGR). Désormais, cet organisme sera appelé
par commodité Commissariat.
2. Capturé en juin 1940, près de Châlons-sur-Marne, il est transféré à l’oflag XI-A à Osterode,
dans le Hanovre (Basse Saxe) puis à l’oflag IV-D, près d’Hoyerswerda (Saxe). Il est libéré en septembre 1941. Voir le témoignage de Maurice Pinot dans l’ouvrage de Jean Védrine, Dossier PGrapatriés 1940-1945, 2 volumes, Asnières, Imprimeries Daniel, 1987, vol. II, p. 1-7.
110
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
2 décembre, celui-ci annonce, par voie de presse, la création d’une Maison du
prisonnier dans le chef-lieu de chaque département, destinée à regrouper tous
les services s’occupant des prisonniers de guerre et de leurs familles. Inaugurée à Paris le 15 décembre 1941, la première Maison du prisonnier ouvre ses
portes au public le 22 janvier 1942. D’autres Maisons sont créées rapidement,
sur le même modèle : en décembre 1942, on en compte 122. Le 19 août 1944,
leur statut change. Intégrées au ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, elles deviennent les Maisons du prisonnier et du déporté et restent en
place jusqu’en 1946.
L’histoire de la captivité a été développée à partir des années 1980. Dans
le sillage des travaux d’Yves Durand3, d’autres historiens se sont intéressés à la
constitution d’une identité propre aux prisonniers de la Seconde Guerre mondiale4, au vécu des familles5 ou encore à la mémoire du phénomène6. Néanmoins, bien que plusieurs de ces recherches évoquent l’existence des Maisons
du prisonnier, aucune étude ne leur avait été consacrée spécifiquement, alors
qu’elles ont joué un rôle déterminant dans la prise en charge des prisonniers
et de leurs familles.
Étudier la Maison du prisonnier de la Seine sous le gouvernement de Vichy
permet de déterminer le fonctionnement complexe de cet organisme et son
rôle dans l’encadrement des épouses de prisonniers. En effet, convaincu de
leur inaptitude à prendre en main leur propre destin, le personnel des Maisons
du prisonnier s’est attaché à les soutenir matériellement et moralement. Cette
aide a été accompagnée de la volonté de les surveiller. Dès lors, on peut se demander comment un organisme destiné principalement à aider les prisonniers
et leurs familles a été transformé en instrument de contrôle. À l’aide de documents administratifs, de témoignages d’anciens combattants et d’articles de
presse, nous avons d’abord étudié le fonctionnement des Maisons du prisonnier puis l’action exercée par leurs agents auprès des épouses des prisonniers.
En conclusion, nous présentons les résultats et les limites de leur action.
3. Yves Durand, La captivité : histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945, Paris, Fédération
nationale des combattants prisonniers de guerre et combattants d’Algérie, Tunisie, Maroc, 1980.
4. Christophe Lewin, Le retour des prisonniers de guerre français, Paris, Publications de la Sorbonne,
1986.
5. Sarah Fishman, Femmes de prisonniers, 1940-1945, Paris, L’Harmattan, 1996.
6. Jean-Claude Catherine (dir.), La captivité des prisonniers de guerre, 1939-1945 : histoire, art et mémoire :
pour une approche européenne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
Amarillys Siassia : La Maison du prisonnier de la Seine, entre aide et surveillance (1941-1944)
111
La naissance d’un nouvel organisme
À partir de la défaite, plusieurs structures dispersées et concurrentes s’occupent des prisonniers7. Pour remédier à cette situation, Maurice Pinot lance
la création des Maisons du prisonnier. Il se tourne d’abord vers le Secours
national, créé au début de la Première Guerre mondiale et remis en activité
en 1939, pour financer son projet, puis charge l’équipe du Commissariat de
convaincre différents organismes, comme la Croix-Rouge, de déléguer un de
leur représentant dans chaque Maison.
Maurice Pinot consacre ensuite son énergie à la mise en place de la première Maison du prisonnier à Paris. Cette mission est confiée à Jean Cornuau8.
Après plusieurs semaines de tractations, en particulier à cause de l’opposition
des Allemands, celui-ci obtient finalement de la préfecture de la Seine un immeuble situé au 1 place Clichy, dans le IXe arrondissement. La Maison du
prisonnier de la Seine accueille ses premiers visiteurs à partir du 22 janvier
1942, mais l’ensemble des bureaux n’est installé qu’en février9. Dès lors, s’y
côtoie une multitude de services. Parmi eux, le Secrétariat social chargé de
l’accueil, de l’hébergement, des secours et prêts aux rapatriés, etc. ; la Section
spéciale de placement de l’Office du travail pour le reclassement professionnel ;
la Famille du prisonnier (réglant les questions concernant les femmes, enfants
et ascendants) ; le Comité central d’assistance aux prisonniers de guerre (envois
de livres, d’instruments de musique et de jeux, renseignements sur les associations, les marraines et les Maisons d’accueil pour les prisonniers indigènes ;
collectes pour les colis individuels) ; le Centre médico-social de la Famille du
prisonnier ; les services de la Croix-Rouge française. Par la suite, d’autres services10 sont installés place Clichy.
En raison des circonstances, l’équipe du Commissariat ne prend pas le
temps de définir la nature des Maisons du prisonnier.
Jamais, en temps normal, les pouvoirs publics n’auraient pu tolérer l’existence des
monstres juridiques que constituaient les Maisons du prisonnier, qui n’étaient ni des
7. Marie-Thérèse Chabord, « Les organismes français chargés des prisonniers de guerre sous le
gouvernement de Vichy », Revue d’histoire de La deuxième guerre mondiale, janvier 1960, n° 37, p. 3-14.
8. Jean Cornuau est un prisonnier rapatrié d’un stalag, fondeur typographe à l’Imprimerie nationale et membre avant la guerre du Comité intersyndical du livre (CGT).
9. AN F9/3035. Maison du prisonnier de la Seine (création). Note concernant l’installation des
premiers services de la Maison du prisonnier de la Seine place Clichy à Paris, le 22 janvier 1942.
10. AN F9/3035. Maison du prisonnier de la Seine (création). Documentation à l’usage des responsables des centres d’entr’aide, 1er mai 1942.
112
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
établissements publics, ni des organismes privés agréés, qui n’avaient pas de statut, pas
même d’existence légale et où des fonctionnaires d’État étaient placés sous les ordres
d’agents d’un organisme semi-public et recevaient des instructions du Commissariat,
avec lequel ils n’avaient pas de liens hiérarchiques11.
De fait, les Maisons du prisonnier sont conjointement administrées par
le commissariat et le Secours national. Ce fonctionnement bicéphale devient
rapidement une source de tensions entre les deux organismes qui revendiquent
chacun la paternité des Maisons. Une circulaire du 22 août 194212 remet en
cause la gestion des Maisons du prisonnier par le Secours national. La question
du financement et du coût de l’aide sociale est au cœur du conflit opposant
le Secours national et le commissariat, ces organismes se disputant l’autorisation de la collecte et de la redistribution des fonds. Le commissariat s’oppose
notamment à l’idée que le Secours national fasse des prisonniers de guerre un
thème de campagne, critique ses visées lucratives et lui reproche aussi de ne
pas tout mettre en œuvre pour subventionner les Maisons. Afin de remédier à
cette situation, les Maisons du prisonnier sont transformées en établissements
d’utilité publique et le Commissariat prend seul en charge leur gestion administrative et financière à partir du 1er janvier 194313.
L’organisation des Maisons est précisée par une circulaire datée du 11 mai
194314 qui les rattache au commissariat par l’intermédiaire de la direction
générale des Maisons du prisonnier qui supervise l’action de l’ensemble des
maisons. Dans chacun de ces établissements, le personnel est recruté parmi les
prisonniers de guerre rapatriés et leurs familles. La Maison du prisonnier est
d’abord conçue comme un lieu d’accueil et de renseignements.
Solidement implantée au niveau local et national, la Maison du prisonnier
s’est rapidement imposée comme l’un des principaux organismes chargés des
prisonniers de guerre. Cette organisation a permis à ses agents de consacrer
une partie de leur activité à l’encadrement des familles de prisonniers.
11. Jean Védrine, Dossier PG rapatriés, op. cit., vol. II, Maurice Pinot, p. 30.
12. AN F9/3030. Finances/Financement. Circulaire du 22 août 1942.
13. AN F9/3030. Notes et circulaires des sections. Service central des Maisons du prisonnier.
Contrôle. Circulaire n° 1- comptabilité, 23 février 1943, SDPG.
14. AN F9/3031. Notes et circulaires des sections. Service central des Maisons du prisonnier.
Circulaire n° ZC30, 11 mai 1943.
Amarillys Siassia : La Maison du prisonnier de la Seine, entre aide et surveillance (1941-1944)
113
Fig. 1 – Maison du prisonnier de la Seine située au 1, place Clichy, Paris (9e arrondissment). Photographie non
datée. © AN F9/3035.
Les Maisons et les femmes de prisonniers
Les prisonniers de guerre sont en majorité mariés. C’est pourquoi les
agents des Maisons ont porté leur attention sur leurs épouses. Protéger les
femmes de prisonniers de guerre par un accompagnement sous forme d’aide
matérielle (prêts et secours en nature) ou administrative (intercessions auprès
des différents services pour obtenir des mesures en faveur des épouses de prisonniers) et les soutenir moralement font partie des prérogatives des agents
de la Maison. Il s’agit essentiellement de guider les femmes en les aidant à
surmonter les problèmes liés à l’absence de leurs maris. Le personnel n’hésite
pas à prodiguer des conseils sur la vie domestique, sur l’éducation des enfants
en leur rappelant leurs devoirs de mères et d’épouses. Sarah Fishman souligne
la dimension paternaliste de l’aide dispensée par ces organismes qui cherchent
à se substituer au mari absent15.
Aux difficultés matérielles liées à l’Occupation s’ajoutent celles propres à
la situation des épouses des prisonniers, soit subvenir aux besoins des captifs.
15.. Sarah Fishman, Femmes de prisonniers, op. cit., p. 116-121.
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
114
Ainsi, le 23 janvier 1944, Madame Roger E. s’adresse à la Maison du prisonnier de la Seine pour obtenir des vêtements pour son mari prisonnier.
Il me dit avoir besoin de flanelle dont je suis dans l’impossibilité de pouvoir lui envoyer
j’ai pas les points nécessaires pour les avoir donc M. le Président je vous serais très reconnaissante de bien vouloir prendre pitié de sa grande misère et de lui faire fournir ce
dont il a besoin16.
La plupart des femmes vivent avec peu de ressources. Dans un premier
temps, le régime de Vichy s’est contenté de reconduire les mesures prises pour
soutenir les familles à la déclaration de guerre. Mais, pendant l’été 1942, les représentants des associations familiales et des organismes de prisonniers, après
une rude bataille, obtiennent la création d’une indemnisation supplémentaire :
la délégation familiale. Néanmoins, cette majoration des allocations se trouve
vite engloutie par l’inflation « si bien que, moins d’un an plus tard, les femmes
de prisonniers réclamèrent à Pétain de nouvelles augmentations17 ».
À ces difficultés s’ajoutent les souffrances morales, dues à la séparation.
Plusieurs témoignages de femmes de prisonniers insistent sur la solitude et la
réclusion sociale à laquelle elles sont confrontées18. De plus, elles sont considérées par une partie de la population comme célibataires. Or, à l’époque, le célibat des femmes est mal perçu puisque, selon les idées dominantes, les femmes
ne peuvent s’accomplir que dans et par le mariage. Leur situation suscite donc
un trouble qui se traduit par une méfiance à leur égard. Beaucoup sont assimilées à des femmes de « mauvaise vie ». À deux femmes qui se présentent au
Secours national pour recevoir « un bon de galoches pour une fillette, on leur
a répondu qu’il y avait plus malheureux qu’elles. [Les agents prétendirent] que
tous les bons [avaient] été distribués à des gens bien19 ». Selon Sarah Fishman,
les épouses de prisonniers furent parfois « considérées comme de véritables
héroïnes, ayant travaillé durement et beaucoup souffert pour garder leurs familles unies en l’absence de leurs maris. À d’autres moments, on les a décrites
16. AN F9/3026. Secrétariat général. Maison du prisonnier de la Seine. Lettre de Mme E. transmise au Commissaire général aux prisonniers de guerre rapatriés et aux familles de prisonniers,
Paris, le 23 janvier 1944.
17.. Sarah Fishman, Femmes de prisonniers, op. cit., p. 89.
18. Dominique Veillon, « La vie quotidienne des femmes », in Jean-Pierre Azéma et François
Bédarida (dir.), Le régime de Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 636 ; Sarah Fishman, Femmes
de prisonniers, op. cit., p. 101.
19. AN F9/3035. Maison du prisonnier de la Seine. Direction Guérin. Monsieur Cornuau.
Lettres concernant les femmes de prisonniers de guerre, 5 février 1942.
Amarillys Siassia : La Maison du prisonnier de la Seine, entre aide et surveillance (1941-1944)
115
comme des vamps libérées sexuellement, indignes de confiance et capables de
succomber à la moindre tentation. On les voyait aussi comme des enfants, incapables d’assumer leurs nouvelles responsabilités seules, et ayant besoin d’un
guide et de protection20 ».
Ces éléments permettent de comprendre comment a été organisé un système de surveillance des épouses de prisonniers. Pour contrôler leurs mœurs,
les agents des Maisons du prisonnier procèdent à des enquêtes, qui peuvent, du
reste, être initiées à la demande du conjoint ou de sa famille. Le 6 septembre
1943, l’homme de confiance21 du stalag VI-D explique au chef des Services
diplomatiques des prisonniers de guerre22 qu’« à la demande du camarade, j’ai
écrit le 15 avril 1943, au directeur de la Maison du prisonnier de Montpellier
(Hérault), pour lui demander de faire faire une enquête discrète rapide sur la
conduite de son épouse23 ».
Lorsque des femmes sont soupçonnées d’entretenir une relation adultère
et que ces accusations sont fondées, l’enquête donne lieu à une convocation.
S’ensuit un entretien entre l’épouse et un agent de la Maison du prisonnier
pour tenter de ramener « l’égarée » sur le « droit chemin ». Dans l’affaire G.,
la Maison du prisonnier de la Seine explique au Service diplomatique des prisonniers de guerre, dans une lettre du 25 février 1944, que si les faits reprochés
à Madame G. se confirmaient : « (…) nous convoquerons Madame G. et nous
attirerons son attention sur ses devoirs envers son mari absent, en même temps
que sur les risques auxquels l’expose sa légèreté24 ».
En fait, cette surveillance des épouses de prisonniers de guerre répond à
plusieurs objectifs : rassurer les prisonniers, protéger la « dignité du foyer » et
défendre l’idéal familial du régime de Vichy.
20. Sarah Fishman, Femmes de prisonniers, op. cit., p. 20.
21. L’homme de confiance représente les prisonniers de guerre dans le camp et défend leurs intérêts devant l’administration allemande du camp.
22. Le Service diplomatique des prisonniers de guerre (SDPG) est un organisme créé le 16 novembre 1940, dans le but d’appliquer la Convention de Genève sur le sort des prisonniers et de
négocier les libérations des prisonniers. Installé à Paris, le SDPG a à Berlin une délégation à l’Inspection des camps dite “Délégation de Berlin”.
23. AN F9/2195. SDPG. Correspondance concernant les Maisons du prisonnier. Lettre de
l’homme de confiance principal des prisonniers de guerre français du stalag VI-D à Monsieur le
chef des Services diplomatiques des prisonniers de guerre à Berlin, Stalag VI-D, Dortmund, le
6 septembre 1943.
24. AN F9/2183. Affaire G. Lettre de la Maison du prisonnier de la Seine au Service diplomatique
des prisonniers de guerre, 25 février 1944.
116
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Certains prisonniers ont besoin d’être rassurés sur la conduite de leurs
épouses. Ainsi, l’homme de confiance du stalag VI-D demande au directeur
de la Maison du prisonnier de Bordeaux de faire une enquête sur Madame G.,
le 28 avril 1943, car son mari le prisonnier de guerre Henri G. « est sans nouvelles de sa femme depuis le 4 janvier et a des doutes sur la conduite de celleci25 ». Comme le souligne Yves Durand, la séparation, l’attente, les difficultés et
les souffrances de la vie de captif amènent certains à se focaliser sur la conduite
de leurs femmes. Les faits divers rapportés dans la presse ou les rumeurs sur
l’infidélité de certaines épouses de prisonniers ne font qu’alimenter la suspicion
des moins confiants. Néanmoins, la plupart des prisonniers songent moins à
surveiller leur femme qu’à avoir des nouvelles de leurs proches. La correspondance a alors une importance capitale puisque lettres et colis sont les seuls liens
entre les prisonniers et leurs familles. De fait, dans quelques résultats d’enquête, il apparaît clairement qu’écrire régulièrement à son mari prisonnier est
considéré comme un critère de moralité. À Perpignan, les agents de la Maison du prisonnier constatent ainsi que la « tenue morale » de Madame B. est
« parfaite ». « Elle écrit régulièrement à son mari, se plaignant elle aussi de la
rareté des nouvelles. Elle envoie des colis, continuant la confection de ceux-ci
par ses propres moyens lorsque les envois sont interrompus à la section locale.
Tout ceci est confirmé par des témoins dignes de foi26 ».
En 1941, s’appuyant sur les demandes des prisonniers eux-mêmes, le
Service diplomatique des prisonniers de guerre essaie d’obtenir une loi réprimant l’adultère des femmes de prisonniers. La loi du 23 décembre 1942 doit
« protéger la dignité du foyer, loin duquel l’époux est retenu à cause des “circonstances” de guerre ». Cette loi prévoit des sanctions pénales contre toute
personne vivant en « concubinage notoire » avec l’épouse d’un prisonnier ; le
contrevenant s’exposant à une peine d’emprisonnement de trois mois à trois
ans et à une amende de 1 500 à 25 000 francs.
Les Maisons du prisonnier participent à l’application de la loi. Les directeurs collaborent avec le Ministère public en lui fournissant des informations
complémentaires. Ils peuvent réclamer une sanction plus lourde pour le complice au cas où ils jugeraient les condamnations trop clémentes. Cependant,
une note du service juridique de la Direction générale des Maisons du prisonnier précise que certains agents des Maisons outrepassent leurs préroga25. AN F9/2195. SDPG. Correspondance concernant les Maisons du prisonnier. Lettre de
l’homme de confiance principal des prisonniers de guerre français du stalag VI-D à Monsieur
le Directeur de la Maison du Prisonnier de Bordeaux, Stalag VI-D, Dortmund, le 28 avril 1943.
26. Idem
Amarillys Siassia : La Maison du prisonnier de la Seine, entre aide et surveillance (1941-1944)
117
tives en intervenant dans les procédures de divorce. « Nous avons constaté une
propension dans les Maisons du prisonnier à s’engager dans des poursuites
contre les femmes infidèles. C’est une méprise sur l’esprit de la loi réprimant le
concubinage notoire. Seul le prisonnier doit conserver l’initiative (…)27 ». Les
institutions et les prisonniers de guerre eux-mêmes contestent l’efficacité de la
loi jugée trop clémente envers les femmes adultères.
Outre la protection du « foyer prisonnier », les Maisons s’engagent dans la
défense de l’idéal familial du régime de Vichy en s’efforçant d’empêcher les divorces. Favoriser la conciliation entre les époux est l’une des solutions adoptées
par le personnel des Maisons. L’autre moyen plébiscité par les agents est de
maintenir les prisonniers dans l’ignorance. Le 11 novembre 194328, le directeur général des Maisons du prisonnier fait parvenir une note au directeur de
Cabinet du Commissariat ; elle réclame la diffusion dans les camps d’un avis
interdisant aux hommes de confiance de correspondre directement avec les
Maisons du prisonnier. Dorénavant, le Service diplomatique des prisonniers
de guerre achemine leur courrier vers les camps.
Les femmes de prisonniers de guerre font l’objet d’une suspicion généralisée, ce qui explique pourquoi les agents des Maisons du prisonnier cherchent
à encadrer leur vie en améliorant leurs conditions matérielles et en surveillant
leur comportement. Toutefois, il convient de s’interroger sur les résultats de
leur action.
Portée et limites des Maisons du prisonnier
Il semble que l’aide accordée aux épouses des prisonniers s’est révélée insuffisante. Par ailleurs, les Maisons du prisonnier font à l’époque l’objet de
vives critiques, accusées d’être incapables de protéger toutes les femmes de
prisonniers.
Les agents des Maisons encouragent le travail des femmes de prisonniers à
défaut de pouvoir les aider matériellement. À cet effet, un service de placement
féminin est constitué au sein de la Maison de la Seine, le 28 août 194229. Il a
pour mission de promouvoir la candidature des femmes de prisonniers à cer27. AN F9/3031. Direction générale des Maisons du prisonnier. Service juridique, 9 décembre
1943.
28. AN F9/3033. Direction générale des Maisons du prisonnier. Note du directeur général des
Maisons du prisonnier au directeur de cabinet du CGPGR, Paris, le 11 novembre 1943.
29. AN F9/3057. Direction générale des Maisons du prisonnier. Reclassement professionnel. Circulaires. Circulaire n° 10 du 28 août 1942.
118
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
tains postes et de les protéger contre les licenciements abusifs. Cependant, le
placement des femmes n’est pas la seule solution et la constitution d’ouvroirs et
le travail à domicile présentent aussi des avantages. Cela offre non seulement
une alternative au travail en usine mais permet également de maintenir les
femmes de prisonniers dans la sphère domestique. De plus, le travail dans les
ouvroirs, même à temps partiel, leur permet, en vertu de la loi du 6 janvier
1942, de bénéficier des allocations familiales et des assurances sociales.
La promotion du travail féminin dans le cadre des Maisons du prisonnier souligne ainsi les limites de leur action mais surtout celles de l’État qui,
incapable de soutenir matériellement les femmes de prisonniers, favorise des
mesures en contradiction avec son programme idéologique.
L’objectif des Maisons a été limité par les circonstances politiques et économiques. Qu’en était-il de la volonté de les contrôler ? Les agents des Maisons
du prisonnier ont-ils réussi à satisfaire les attentes des prisonniers ?
Les Maisons ont été accusées par certains prisonniers de ne pas protéger
efficacement la « dignité du foyer ». Dans son rapport d’enquête sur « la protection du foyer conjugal des Prisonniers de guerre30 », le lieutenant J. Launey
explique que lorsqu’un prisonnier a des doutes sur la fidélité de son épouse,
le recours à cet établissement est décevant car « trop souvent les Maisons du
prisonnier ne répondent pas ou répondent d’une façon très vague après une
enquête insuffisante à moins que leur réponse ne soit simplement cynique et
inconsciente ». Il ajoute que « même lorsque les enquêtes sont menées avec
conscience et volonté de déterminer la réalité des faits, les organismes enquêteurs, animés d’un faux esprit de philanthropie et mal informés de leur rôle
s’efforcent de masquer aux yeux du prisonnier de guerre une situation douloureuse (…) ».
Par ailleurs, un « Rapport sur les affaires israélites »31, transmis le 24 mai
1943 au directeur de la Maison de la Seine par la Direction générale des Maisons du prisonnier, a attiré notre attention sur la situation d’une catégorie de
population peu étudiée par les historiens, les femmes juives de prisonniers de
guerre. Ce rapport stipule que « les arrestations de femmes israélites de prisonniers sont nombreuses. Elles sont opérées sans motif ou à la suite d’infractions, même légères, aux règlements intéressant les Israélites » et concernent
30. AN F9/2195. SDPG. Correspondance concernant les Maisons du prisonnier. Rapport du
lieutenant J. Launey, officier-conseil à monsieur le chef de la Délégation des Services diplomatiques des prisonniers de guerre, Berlin, le 28 juillet 1943.
31. AN F9/3025. Commissariat général. Correspondance avec la Direction générale des Maisons
du prisonnier. Le Secrétariat social, Service des renseignements généraux à Monsieur le Directeur
de la Maison du prisonnier/« Rapport sur les affaires israélites », Paris, le 24 mai 1943.
Amarillys Siassia : La Maison du prisonnier de la Seine, entre aide et surveillance (1941-1944)
119
toutes les catégories de femmes juives. Parmi les femmes arrêtées, on trouve
des « femmes israélites dont le mari prisonnier est soit “Aryen et Français” soit
“Israélite et Français” ou encore “Israélite et étranger” ». Par ailleurs, on apprend que la Maison du prisonnier de la Seine est intervenue pour tenter de les
protéger en usant de son influence auprès de différentes organisations. « Depuis quelques mois nous étions parvenus grâce à des démarches conjointes
auprès du Commissariat général aux questions juives, 1, place des Petits Pères
et auprès du commissaire commandant le camp de Drancy à atténuer les rigueurs des lois frappant les femmes israélites des prisonniers de guerre. Nous
étions arrivés ainsi à éviter un assez grand nombre de déportations en présentant chaque cas séparément et spécialement étudié (…) ». Néanmoins, ce
document souligne qu’en dépit des premiers efforts, en faveur de ces femmes,
les agents de la Maison de la Seine se heurtent dorénavant à la politique des
autorités d’occupation qui les ont invités « à ne plus leur soumettre des interventions de ce genre ».
Plusieurs éléments laissent ainsi supposer que les Maisons du prisonnier
ont failli à leur mission en raison de dysfonctionnements observés dans plusieurs d’entre elles, de conditions économiques défavorables et de la politique
du régime, les empêchant de secourir efficacement l’ensemble des familles de
prisonniers.
◊
Étudier les Maisons du prisonnier pose de nombreux problèmes. D’abord,
la structure de ces Maisons est difficile à décrire car leur organisation a varié
au cours de la période. Ensuite, les sources sont inégales. Il existe quantité
de documents administratifs sur l’organisation et la gestion administratives
des Maisons mais très peu sur leur fonctionnement concret et sur les familles
des prisonniers. De plus, il est souvent nécessaire d’« interroger les sources en
creux », pour saisir l’action du personnel des Maisons auprès des femmes de
prisonniers. Pourtant, le genre est ici une grille de lecture pertinente dans la
mesure où il permet de montrer comment une structure, destinée avant tout
à l’aide aux prisonniers et à leur réinsertion dans la société, s’est focalisée sur
les épouses et comment, par principe autant que par nécessité, elle a fini par
accorder une place essentielle au contrôle.
121
publications
La fabrique d’une génération. Georges Valero, postier,
militant et écrivain
Christian Chevandier
Les Belles Lettres, coll. « L’histoire de profil », 2009, 434 p.
Né au temps du Front populaire, Georges Valero grandit dans un
des quartiers les plus déshérités de l’agglomération lyonnaise. Soldat
en Algérie, il se lance clandestinement dans la rédaction d’un roman
antimilitariste. L’écriture devient alors un élément essentiel de son
existence, tout comme le militantisme au sein d’une gauche révolutionnaire. Il s’y engage très tôt et est confronté aux soubresauts
de l’histoire dans la deuxième moitié du xxe siècle : les luttes anticoloniales, le communisme, Mai 1968, le syndicalisme autogestionnaire,
l’anarchie.
Fils d’ouvriers immigrés, Valero entretient un rapport très fort à la culture. Il écrit dans les journaux
lycéens, met en place à Lyon le ciné-club de la CGT dans les années 1960, fait venir le théâtre
de la Cité dans son centre de tri occupé en Mai 68, participe à l’aventure des radios libres. Ses
romans sont fortement imprégnés de cet engagement dans la cité, mais se révèlent également un
témoignage sur un monde populaire où l’on peine à parler de soi à la première personne. En cela,
au-delà de la figure de l’écrivain travailleur, c’est bien l’histoire d’une génération et d’un milieu, pour
lesquels la culture se révélait émancipatrice, qui est ici retracée. Et l’attention portée aux années de
formation, qui fait de cet ouvrage un rare récit d’une enfance et d’une jeunesse en milieu populaire,
insiste bien sur ce qui se révèle la fabrique d’une génération.
Curieux d’un monde qui lui semble poser des questions fort actuelles, Christian Chevandier est parti
au début du xxie siècle à la recherche de son personnage, a parcouru les lieux que le romancier
a fréquenté, a rencontré ceux qui furent ses proches, ses amis tout comme des collègues qui ne
l’appréciaient que modérément. Praticien de la recherche historique, il a su découvrir des archives
inédites : les manuscrits de Georges Valero, des correspondances, les archives syndicales, celles de la
police et de l’armée, des papiers privés.
La guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962
présenté par Raphaëlle Branche
Perrin, coll. « Tempus », 2009, 356 p.
Pour la première fois, un ouvrage présente la guerre d’Algérie à des
lecteurs français en se situant de l’autre côté : du point de vue des
Algériens. Il s’agit de comprendre ce que fut cette « guerre d’indépendance » pour ceux qui l’ont faite ou au nom de qui la guerre fut
menée. En prenant d’abord la mesure de la diversité des attitudes algériennes, alors même que le Front de libération nationale prétendait
parler au nom du peuple entier.
Les lecteurs pourront aussi comprendre comment la mécanique impitoyable de la guerre a peu à peu réduit la réalité à une opposition
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binaire, intimant à chacun de choisir son camp. Ainsi est devenue de plus en plus intenable la position
des personnes « entre-deux ». Certains n’hésitèrent pas à assassiner ces passeurs qui témoignaient
qu’une autre relation était possible entre Français et Algériens.
Redécouvrir cette histoire, c’est aussi mieux cerner ce que fut l’Algérie française et mesurer comment l’ombre de la guerre pèse encore sur les relations entre l’Algérie et la France.
Avec Charles-Robert Ageron, Emmanuel Blanchard, Omar Carlier, Stéphanie Chauvin, François-Xavier Hautreux, James R. House, Neil MacMaster, Chantal Morelle, Guy Pervillé, Laure Pitti, Malika Rahal, Benjamin Stora
et Sylvie Thénault.
L’antisémitisme à gauche.
Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours
Michel Dreyfus
La Découverte, 2009, 346 p. ; nouvelle édition en 2011
Depuis le début des années 2000, en lien avec les événements
du Proche-Orient, on a vu se développer en France l’idée selon
laquelle la gauche serait la principale responsable de la recrudescence d’actes antisémites. Cette vision est excessive et injustifiée,
mais elle traduit un certain malaise. Existe-t-il ou a-t-il existé un
antisémitisme spécifique à la gauche ? Longtemps négligée par les
historiens, cette question délicate est traitée pour la première fois
dans cet ouvrage extrêmement documenté, qui retrace l’histoire
des positions de la gauche française vis-à-vis de l’antisémitisme sur
deux siècles.
Des débuts de la révolution industrielle à nos jours, toutes les
composantes de la gauche ont tenu des propos antisémites, mais sous des formes très différentes
dans l’espace et dans le temps. À l’antisémitisme économique associant les Juifs au capitalisme, exprimé par de nombreux socialistes au xixe siècle, s’est ajouté un antisémitisme racial et xénophobe
à partir des années 1880. Au lendemain de l’affaire Dreyfus, tournant fondamental, l’antisémitisme
n’est plus revendiqué ouvertement dans les rangs de la gauche. Mais il n’y disparaît pas pour autant et on le voit encore insidieusement à l’œuvre, dans l’entre-deux-guerres, à la SFIO et chez les
pacifistes, parfois au sein du Parti communiste, puis, après guerre, à l’ultragauche, sous la forme du
négationnisme.
Une plongée historique passionnante, qui intéressera tous ceux que préoccupe cette question douloureuse – et en particulier les lecteurs de gauche, pour rester vigilants contre un danger toujours
possible.
Genre et travail migrant.
Mondes atlantiques, xixe-xxe siècles
sous la direction de Manuela Martini et Philippe Rygiel
Publibook, coll. « Sciences Humaines et Sociales, sciences sociales », 2009, 198 p.
Accompagnatrices passives d’hommes aux activités variées, gardiennes des codes et des valeurs des
sociétés d’origine, les migrantes du passé ont été souvent dépeintes comme des épouses, des filles
ou des mères confinées à la sphère domestique. Les portraits de femmes migrantes rassemblés ici
ont pour premier mérite de montrer que cette image ne fut jamais qu’un mythe. De la Bretonne
publications
qui gagnait le Paris du xixe siècle, aux infirmières venant des Caraïbes, des Chinoises qui s’implantent en France aux Irlandaises
installées à Québec, toutes travaillent, au sein du ménage comme
à l’extérieur de celui-ci.
Les formes genrées du travail immigré ne sont cependant jamais
tout à fait les mêmes. Et empruntant à la sociologie ou à l’anthropologie, les historiens reconnus qui nous font ici part de leurs
travaux s’interrogent sur les formes, le sens et les conditions de
celui-ci. Le travail salarié est-il toujours pour la femme migrante
la condition de son autonomie ? Favorise-t-il une redistribution
des rôles au sein de la famille ? Et comment comprendre, sur
la longue durée, à la fois les formes pérennes du travail féminin
migrant et ses transformations récentes ?
Ce recueil en effet, qui intéressera les spécialistes des questions d’immigration, permet aussi à tous de mieux percevoir les
gestes des hommes et des femmes qui permettent nos sociétés
contemporaines.
L’embuscade de Palestro. Algérie 1956
Raphaëlle Branche
Armand Colin, coll. « Le Fait guerrier », 2010, 256 p.
Palestro, le 18 mai 1956 : 21 militaires français tombèrent dans
une embuscade. Un seul d’entre eux survécut, les corps des
autres furent retrouvés mutilés. Quelques mois après que le
contingent avait été rappelé pour lutter contre l’insurrection
qui se propageait en Algérie, la nouvelle fit l’effet d’une bombe.
« Palestro » devint vite synonyme de la cruauté de cette guerre
qui ne disait pas son nom. Pourquoi, alors qu’il y eut d’autres
embuscades meurtrières, a-t-on plus particulièrement retenu
celle-ci ? Pour comprendre les raisons de cette persistance dans
l’imaginaire national français, il a fallu enquêter en Algérie et
comprendre ce qu’il en était là-bas. L’action des maquisards de
l’Armée de Libération Nationale était-elle également distinguée ?
Mais l’analyse ne pouvait s’en tenir aux événements de l’année
1956 : il a fallu aller voir plus loin et interroger un passé plus
ancien, là où s’étaient noués les liens coloniaux. Sous les pas des
combattants de 1956 en effet, d’autres Français et d’autres Algériens avaient laissé leurs traces. Ce livre est aussi leur histoire.
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La Babel criminologique. Formation et recherche sur le
phénomène criminel : sortir de l’exception française ?
sous la direction de Pierre Tournier
L’Harmattan, coll. « Criminologie », 2009, 296 p.
Le 3 février 2009, se sont réunis au siège du CNRS plus de 200 personnes de disciplines académiques, de professions et de sensibilités
politiques fort diverses pour débattre, dans le respect de chacune et
de chacun des besoins de notre pays en matière de formation et de
recherche scientifiques sur le phénomène criminel et son contrôle.
Martine Herzog-Evans a bien exprimé les enjeux de cette rencontre :
nous ne savons pas nécessairement ce qu’est un criminologue ; il
reste à définir ce que devrait être l’enseignement minimal ; nous nous
heurtons à de fortes résistances et de la faculté et des praticiens ;
nous ne sommes pas au niveau face aux Canadiens ; nous avons à
lutter contre le risque de politisation ; mais, dans le même temps, il
nous faut éviter tel choix politique ou tel autre ; il y aura une difficile phase de transition, ce qui se
manifestera notamment quant à la pratique, quant à l’organisation des études, quant à la recherche
et aux thèses ; la tentation de demi-mesures s’est d’ailleurs exprimée ; celle d’imposer un contenu,
d’écarter les uns ou les autres, de marquer les territoires aussi, hélas.
Les communications sollicitées et spontanées reproduites ici devraient aider à la mise en place, dans
les mois qui viennent, d’une conférence universitaire de criminologie, permanente, meilleur moyen,
sans doute, de conjurer la malédiction qui semble frapper la criminologie en France.
Contributeurs : Josefina Alvarez, Philippe Bernier, Jean-Michel Bessette, Annie Beziz-Ayache, Philippe Boehler,
Claude Bouchard, Jean-Pierre Bouchard, Stéphane Brézillon, Robert Cario, Jocelyne Castaignède, Jean Danet,
Christian Demonchy, Frédéric Diaz, Isabelle Drean-Rivette, Jacques Faget Aurélie Gauthier, Didier Guerin, Luc
Hébert, Martine Herzog-Evans, Astrid Hirschelmann-Ambrosi, Charles-Édouard Jeanson, Mohamed Jaouhar,
Lucie Jouvet, Anne-Marie Klopp, Alain Laquieze, Eric Marlière, Philip Milburn, Virginie Prud’homme, ChristianNils Robert, Jean-Louis Senon, Nicolas Queloz, Pierre V. Tournier, Jean-Luc Viaux et Loick M. Villerbu.
Figures militantes en Val-de-Marne. Dictionnaire biographique Maitron : un siècle
de militantisme sur le territoire de l’actuel Val-de-Marne, 1870-1970
sous la direction de Claude Pennetier
Les éditions de l’Atelier, 2009, 461 p.
Cette série, qui compte le grand dictionnaire français, de nombreux dictionnaires étrangers et thématiques, s’ouvre pour la première fois à une dimension régionale : la banlieue parisienne considérée comme
un territoire prioritaire. La banlieue rouge industrielle et ouvrière, très présente, mais pas seulement celle-ci.
La banlieue verte des communes rurales de l’ex-Seine-et-Oise, la banlieue bleue des bords de Marne et de
certains bords de Seine. Le Val-de-Marne s’affirme comme un terrain privilégié pour observer la diversité
des acteurs du mouvement social : élus, syndicalistes, militants associatifs et culturels.
Le dictionnaire puise les noms parmi les militants ayant eu une activité marquante dans les communes
de l’actuel Val-de-Marne entre l’effondrement du Second Empire et en allant jusqu’au début de la décennie 1970, avec les temps forts que constituent la Commune de Paris, la constitution de la CGT (1895)
publications
et du Parti socialiste (1905), l’après Première Guerre mondiale, le
Front populaire, la Résistance, la Libération, les protestations contre
les guerres coloniales, mai 1968. Les itinéraires étant suivis jusqu’à nos
jours, c’est une histoire très actuelle qui nous est proposée. Les lecteurs y découvriront les noms de leurs anciens élus, de leurs rues, de ceux
connus ou oubliés qui ont forgé la vie sociale du département.
Evocation rigoureuse et sensible, les biographies se veulent aussi une
base de réflexion sur la complexité et les richesses des vies militantes.
Des vies qui n’ont pas été de longs fleuves tranquilles dans une fin de
xixe siècle qui n’avait de Belle époque que le nom et un xxe siècle
marqué par les guerres mondiales et coloniales, les atteintes aux droits
de l’homme, la taylorisation du travail. Mais aussi un vingtième, qui
vit s’affirmer les acquis sociaux, la Sécurité sociale, l’émancipation
de la femme, le droit à la formation et à la culture. Les militants du
Val-de-Marne y ont pris leur part.
Dictionnaire biographique - mouvement ouvrier mouvement social. T. 5 : E-Ge
sous la direction de Claude Pennetier
Les éditions de l’Atelier, 2009, 462 p. + CD
Le t. 5 s’inscrit dans la nouvelle éétape de la grande aventure
éditoriale qu’est le Maitron, du nom de son créateur. La série
comptera douze tomes, comprenant chacun un volume papier
réunissant plus de 500 biographies et un cédérom proposant
environ 2 500 notices. Le Maitron couvre l’Occupation, la Résistance, la Libération, les guerres marquant l’effondrement du
colonialisme pour aboutir à la coupure majeure de Mai 1968.
La Libération et la Reconstruction modifient le paysage social ; la
deuxième moitié des années quarante et les années cinquante
voient s’affirmer la présence syndicale et politique, notamment
dans la grande industrie. Les années 1947-1963 sont un temps fort
du mouvement ouvrier rythmé par des grèves puissantes, celles des
cheminots (1947), des mineurs (1948 et 1963). Les syndicats élargissent aussi leur influence sociale grâce aux élections aux comités
d’entreprise et à la Sécurité sociale.
Dans le même temps, s’imposent des thématiques comme l’anticolonialisme, l’éducation populaire. Le choix des biographies
inclut ainsi la dimension culturelle, l’action politique ou revendicative des catégories émergentes comme celles des étudiants,
des cadres et techniciens, et s’étend au champ associatif comme au
champ intellectuel.
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De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité ?
sous la direction de Mathieu Flonneau et Vincent Guigueno
Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2009, 331 p.
La mobilité des personnes et des biens est l’un des traits les plus
caractéristiques de nos civilisations urbaines et post-industrielles :
containers, passagers aériens munis de leurs cartes gold, pendulaires au long trajet quotidien, etc. Tous sont devenus l’essence de
la mondialisation ainsi rendue visible. L’actualité la plus quotidienne
se fait l’écho incessant des nouvelles échelles d’une part, des
nouveaux modes et enjeux d’autre part, liés aux déplacements.
Ce livre a pour ambition d’inscrire dans une histoire parfois de
« longue durée » ces éléments constitutifs de notre modernité,
de les rendre lisibles et compréhensibles au présent. L’histoire des
transports existe depuis longtemps en France comme à l’étranger.
À l’écoute des autres sciences humaines, cette histoire a connu
depuis quelques années un profond renouvellement, dans ses objets et ses concepts. Devons-nous faire évoluer l’histoire des transports, souvent découpée
par modes – rail, routes, air – et soumise aux systèmes techniques « dominants » vers une
histoire de la mobilité ? Les enjeux contemporains liés au développement durable invitent à
revisiter l’histoire de nos mobilités, ses controverses, ses « futurs passés », ses pratiques et
ses représentations. Le livre propose un bilan du débat historiographique sur le « tournant
de la mobilité » en histoire, ainsi que des textes explorant les objets de ce nouvel agenda
« démodalisé » : la vitesse, la sécurité, l’expertise, les institutions. Dans ce tableau, les enjeux
politiques et ceux liés au développement économique sont essentiels à l’instar des imaginaires et des représentations.
Les Tsiganes en France, 1939-1946
Denis Peschanski
CNRS éditions, 2010, 176 p.
Plusieurs milliers de Tsiganes ont été internés en France entre
1940 et 1946 pour le seul fait qu’ils étaient nomades. Ils furent ainsi
parmi les plus touchés par les mesures de contrôle et de coercition
promulguées pendant la guerre.
De la Troisième République finissante à la Libération, Denis Peschanski fait le point sur les conditions dramatiques dans lesquelles
ces hommes, ces femmes et ces enfants ont vécu dans la France
des années noires. L’étude de référence sur un drame oublié pendant des décennies.
publications
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L’hôpital dans la France du xxe siècle
Christian Chevandier
Perrin, coll. « Pour l’Histoire », 2009, 490 p.
1911 : le pays est touché par une canicule. Comme lors des grandes
crises (guerres, épidémies), la population hospitalisée est frappée par un
surcroît de mortalité sans que nul ne s’en émeuve hors de l’institution
hospitalière. Aucun ministre ne démissionne, à un moment où il n’y a pas
de ministère spécifique pour la Santé publique qui dépend de celui de
l’Intérieur.
2003 : le pays est touché par une canicule. C’est de l’hôpital que partent
les premiers appels pour alerter la population et, quelques mois plus tard,
le ministre de la Santé publique doit démissionner. Jadis objet d’indifférence, l’hôpital est devenu un thème central de l’action politique.
De la fin du xixe au début du xxie siècle, l’hôpital connaît une formidable
mutation. Alors qu’il était réservé aux indigents, il accueille aujourd’hui l’ensemble de la société. Alors
que l’on y allait parcimonieusement, l’on s’y rend plus communément. Tandis que ces tournants de la
vie étaient situés au domicile, c’est devenu le lieu où l’on naît et où l’on meurt. Les malades étaient
dépossédés de leurs effets personnels à l’entrée dans un établissement hospitalier alors que les
droits des patients sont aujourd’hui systématiquement rappelés. Jadis lieu d’accueil mais de relégation, l’hôpital est devenu un endroit où s’exerce la citoyenneté.
L’on soignait mal et l’on guérissait peu dans l’hôpital des débuts de la Troisième République ; les seuls
médecins présents étaient le plus souvent encore étudiants et le mot « infirmière » désignait un
personnel sans formation. C’est dans les hôpitaux que les Français, sous la Cinquième République,
sont le plus sérieusement pris en charge lorsque les frappe la maladie ou l’accident ; les meilleurs
praticiens y exercent et le personnel paramédical est d’un haut niveau de qualification.
C’est ce siècle d’une formidable mutation hospitalière qui est ici mis en perspective en prenant
en compte les transformations de l’ensemble de la société. Dans sa démarche d’historien, l’auteur
ne néglige pas l’évolution de la médecine, de l’économie et du droit hospitaliers et a recours à la
sociologie des professions et des institutions. Pour comprendre comment l’hôpital est devenu ce
formidable outil au service de la population, il prend en compte tous les acteurs : les médecins et le
personnel des services de soins bien sûr, mais aussi le personnel administratif et les directeurs sans oublier les ouvriers qui ont, jusqu’au milieu du siècle, tenu dans le monde hospitalier un rôle de premier plan.
Les assurances sociales en Europe
sous la direction de Michel Dreyfus
PUR coll. « Pour une histoire du travail », 2009, 261 p.
Longtemps sous-estimée par les historiens la protection sociale est
devenue depuis deux décennies un objet d’étude important, en
France comme en Europe. Pourtant l’histoire des assurances sociales
restait à écrire à travers une démarche comparative internationale et
c’est ce que fait cet ouvrage dont la réalisation a bénéficié du soutien
de la Mission historique de la Caisse des Dépôts et consignations.
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Sur tout le vieux continent, les assurances sociales se sont inspirées du modèle allemand organisé
à travers les trois lois maladie (1883), accident (1884) et invalidité/vieillesse (1889), édictées sous
Bismarck. Ce modèle a été repris dans de nombreux pays mais sous des formes très diverses liées
à leur histoire nationale. Les différences entre ces modèles furent également considérables sur le
plan chronologique puisqu’il fallut attendre près d’un demi siècle pour que la France se décide, en
1930, à adopter les assurances sociales ; elle fut d’ailleurs été le dernier grand pays d’Europe à le faire
Ce livre, propose une histoire comparée des assurances sociales en Europe.Tout d’abord, il présente
trois études inédites sur l’organisation de la protection sociale en Espagne, en Italie et en Grande
Bretagne, de la fin du xixe siècle au terme de la Seconde Guerre. Il était nécessaire d’examiner ces
réalisations au regard des Assurances sociales qui ont fonctionné en France jusqu’à la Libération :
c’est pourquoi un chapitre traite de ces dernières et en particulier des acteurs sociaux – mutualistes,
patrons et syndicalistes – qui, aux côtés de l’Etat, en ont assuré la gestion. Enfin, les liens internationaux noués par les organismes des assurances sociales des différents pays européens, à travers
la Conférence internationale de la mutualité et des Assurances sociales (CIMAS), ont fait l’objet
d’une contribution spécifique. Ecrit à l’heure où la construction politique et sociale de l’Europe est
confrontée aux plus grandes difficultés, ce livre restitue l’histoire méconnue de cette protection
sociale que Léon Bourgeois, le père du solidarisme, fut un des premiers à penser dans toute sa
dimension internationale à la veille de la Grande Guerre
Sceaux et le « Grand Paris ».
Du patriotisme municipal aux solidarités
métropolitaines, xixe-xxe siècles
Emmanuel Bellanger
Ville de Sceaux, coll. « Regards sur Sceaux »,
2009, 145 p.
Ce livre revisite deux siècles d’histoire urbaine et politique
de la cité scéenne. Il donne à découvrir une municipalité
qui défend avec ardeur son identité locale, son « esprit de
clocher ». Ce patriotisme municipal a pour mot d’ordre
la préservation de son patrimoine et l’embellissement de
son espace public.
Cette vision égotiste de l’action publique pourrait laisser
croire que la bonne ville de Sceaux se suffit à elle-même,
que ses élus gèrent, seuls, en bons pères de famille les
intérêts de leur cité sans se soucier de ce que vit le voisin,
proche ou plus lointain, banlieusard ou parisien. La réalité est en dissonance avec cette image d’une
commune repliée sur elle-même, rivée sur ces acquis, incapable de nouer des ententes, des compromis avec les collectivités environnantes qui forment avec elle ce qu’il est convenu d’appeler, à partir
des années 1900, le « Plus Grand Paris ». Au cours des xixe et xxe siècles, la ville de Sceaux est ainsi
passée du statut de commune rurale à celui de ville moderne connectée aux infrastructures et aux
grands réseaux sociaux et techniques du Grand Paris.
Réalisé à l’initiative de Philippe Laurent, actuel maire de Sceaux, spécialiste des finances locales, ce
livre est une contribution à la connaissance de l’environnement urbain, politique et institutionnel de
la ville de Sceaux. Il suit une lecture chronologique. Trois périodes s’y distinguent. La première se focalise sur l’âge d’or de la commune de Sceaux, ville sous-préfectorale « capitale d’arrondissement ».
publications
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La seconde recouvre la période structurante du premier âge des coopérations intercommunales et
départementales de la Belle Époque à l’entre-deux-guerres qui voit, en 1923, la cité scéenne couronnée par la création du domaine départemental de Sceaux, un joyau du Grand Paris. La troisième
partie, ponctuée par les mandatures du ministre socialiste de l’Intérieur Édouard Depreux, un grand
maire bâtisseur (1944-1959), et du conseiller d’État, Erwin Guldner, son successeur chrétien-démocrate (1959-1983), interroge les décennies d’après-guerre à la lumière des transformations urbaines
des Trente Glorieuses et de la réforme administrative fondamentale du 10 juillet 1964 qui met fin à
l’expérience du Grand Paris. L’ouvrage s’achève sur les transformations du paysage intercommunal
et les enjeux de la gouvernance métropolitaine.
Genre, filières migratoires et marché du travail
Dossier dirigé par Philippe Rygiel et Manuela Martini
Migrations Société, vol. 22, n° 127, janvier-février 2010,
176 p.
Les portraits de femmes migrantes rassemblés dans ce
dossier ont pour premier mérite de montrer que cette
image ne fut jamais qu’un mythe. De la Bretonne qui gagnait le paris Paris du xixe siècle, aux infirmières venant
des Caraïbes, des Chinoises qui s’implantent en France
aux Irlandaises installées à Québec, toutes travaillent,
au sein du ménage comme à l’extérieur de celui-ci.
Les formes genrées du travail immigré ne sont cependant jamais tout à fait les mêmes. Et empruntant à la sociologie ou à l’anthropologie, les historiens reconnus qui
nous font ici part de leurs travaux s’interrogent sur les
formes, le sens et les conditions de celui-ci. Le travail salarié est-il toujours pour la femme migrante la condition
de son autonomie ? Favorise-t-il une redistribution des
rôles au sein de la famille ? Et comment comprendre,
sur la longue durée, à la fois les formes pérennes du travail féminin migrant et ses transformations récentes ?
Ce recueil en effet, qui intéressera les spécialistes des questions d’immigration, permet aussi à tous de mieux percevoir
les gestes des hommes et des femmes qui permettent nos
sociétés contemporaines.
L’antifascisme en France, De Mussolini à Le Pen
Gilles Vergnon
Rennes, Presses universitaires de Rennes,
coll. « Histoire », 2009, 234 p.
« Le fascisme ne passera pas. » Ce mot d’ordre, dirigé
contre des adversaires divers et successifs, inscrit sur des
tracts ou des calicots, scandé par des générations tie militants, a traversé, depuis les événements de février 1934, une
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bonne partie du xxe siècle. Le premier mai 2002, après le premier tour de l’élection présidentielle
où Jean-Marie Le Pen était arrivé en deuxième position, il était encore clamé dans les rues des
principales villes du pays par de jeunes manifestants.
Dans cet ouvrage, Gilles Vergnon propose une synthèse sur un objet politique longtemps négligé par
l’historiographie ou, plus récemment, devenu le prétexte à diverses polémiques. Abordée dans une
perspective longue, des années 1920 où s’invente l’antifascisme à l’ombre de Mussolini, aux métamorphoses des années 1970-2000 quand il se colore d’antiracisme, cette étude s’attarde particulièrement sur les années 1934-1936, quand l’antifascisme devient, sous la bannière de la « République
démocratique et sociale », un phénomène de masse et un puissant levier unitaire pour les gauches
françaises. Au-delà, elle permet d’éclairer, sous un angle particulier, plusieurs décennies d’histoire du
système partisan français, ainsi que le rapport des gauches à la République.
Lire, voir, entendre. La réception des objets médiatiques
sous la direction de Pascale Goetschel, François Jost
et Myriam Tsikounas
Paris, Publications de la Sorbonne
coll. « Histoire contemporaine, 1 », 2010, 400 p.
Depuis le texte fondateur de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception,
réception paru en 1967 et traduit en français en 1978,
l’analyse de la réception des oeuvres et plus encore de « l’horizon
d’attente » qui les détermine s’est imposée chez les spécialistes de
l’histoire littéraire, avant de s’étendre aux autres disciplines.
Dans cette perspective, philosophes, sociologues, historiens, spécialistes de littérature, de communication mais aussi acteurs de la
réception et de la création s’interrogent au fil de l’ouvrage sur la
réception des « objets médiatiques », c’est-à-dire l’ensemble des
productions culturelles et/ou artistiques aux xixe et xxe siècles, période qui se caractérise par l’essor des cultures médiatiques.
L’histoire proposée ici est donc celle des écrits, des images ou des
sons mis en forme par les médias les plus divers : roman et presse,
spectacle vivant, cinéma et télévision, internet.
Organisé en trois grands moments : « Les discours de la réception », « Usages et appropriations »
et « La spirale production/réception », ce livre présente un grand nombre d’études de cas – du
compte rendu académique des livres d’histoire aux réseaux de lectrices de littérature sentimentale,
de la réception des paysages peints par Otto Dix aux interprétations journalistiques de la téléréalité
– tout en offrant un bilan historiographique et des approches théoriques renouvelées.
Désirs de toit. Le logement entre désir et contrainte depuis la fin du xixe siècle
sous la direction de Danièle Voldman
Paris, Créaphis, coll. « Lieux habités - histoire urbaine », 2010, 208 p.
La jouissance d’un toit constitue l’une des pierres angulaires de notre société. Au début du xxie siècle,
la crise du logement que l’on croyait réglée depuis les années 1970 semble être revenue. Les temps
publications
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sont à nouveau marqués par l’introuvable équilibre entre
une offre inadaptée et une demande jamais assouvie. Parce
que le logement est à la fois marchandise, socle de la solidarité nationale, objet de désir comme de spéculation et de
tentative de patrimonialisation, il ne peut quitter l’horizon
des politiques comme celui de la vie quotidienne de chacun.
Dans ce contexte tendu qui érode et banalise la « question
du logement », un discours différent est-il possible ? Le pari
de cet ouvrage est de revenir sur les contraintes et les attentes liées au logement pendant plus d’un siècle. L’observation sur la durée permet de faire le lien entre l’actualité
immédiate et le temps plus long de l’histoire du logement
en France depuis la fin du xixe siècle. Que nous disent, sur
le logement ou sur son manque, la visibilité accrue des personnes à la rue ? L’occupation d’immeubles par des familles
et des individus sans domicile ? Les hésitations du logement
social ? L’actualité apparaît souvent irréductible à toute
comparaison avec hier ou, au contraire, sommairement
similaire avec tel ou tel repère devenu lieu commun, au détriment de logiques plus souterraines.
Une réalité complexe dans laquelle contraintes, rêves et désirs restent toujours étroitement mêlés
Histoire culturelle de la France au xxe siècle
Pascale Goetschel
Paris, La Documentation française, 2010, 65 p. ill.
Qu’appelle-t-on « histoire culturelle » ? Comment s’estelle constituée ? Quels domaines couvre-t-elle ? En quoi se
distingue-t-elle de l’histoire des arts, de celle des idées, de
celle des institutions culturelles ? Tout l’enjeu de ce dossier
consiste à définir ce vaste espace historiographique dans sa
cohérence et sa diversité, en s’appuyant sur des exemples
aussi variés que la politique culturelle du Front populaire,
l’évolution de la radio et de la télévision, la cinéphilie, l’histoire de la virilité ou celle de mythes nationaux tels que le
Tour de France ou la Tour Eiffel.
Ce dossier propose donc un panorama, non exhaustif –
comment pourrait-il l’être ? –, d’un domaine qui constitue
aujourd’hui l’un des champs les plus dynamiques de la recherche historique.
La Fédération de l’Éducation nationale (1928-1992) : Histoire et archives en débat
sous la direction de L. Frajerman, F. Bosman, J.-F. Chanet et J. Girault
Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009, 351 p. ill.
La Fédération de l’Éducation nationale occupait une place originale dans le paysage syndical français,
jusqu’en 1992. Elle s’éteint alors en donnant naissance à l’UNSA Éducation et à la Fédération syn-
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dicale unitaire. Elle avait acquis une telle influence politique que les
enseignants étaient associés à la définition des politiques éducatives.
Cette organisation tirait-elle sa particularité de ce qu’on qualifie volontiers de corporatisme, de sa forte représentativité ou encore de
son unité maintenue ? Le dépôt de ses correspondances, comptes
rendus de réunions, photographies, enregistrements sonores au
Centre des archives du monde du travail permet un nouveau regard.
Fruit d’un travail pluridisciplinaire, cet ouvrage reproduit une sélection de documents et comprend une bibliographie exhaustive ainsi
qu’une présentation des archives de la FEN. Historiens, sociologues
et archivistes ont croisé leurs analyses sur les doctrines et les pratiques du syndicalisme enseignant et les ont confrontées aux avis et
témoignages des acteurs, offrant ainsi un éclairage inédit.
Comment la FEN parvenait-elle à préserver un univers et un horizon communs tout en s’accommodant d’une diversité de positions
revendicatives, d’idéologies, de cultures professionnelles en son sein ?
Le jeu des tendances notamment laissait libre cours à un rapport
original aux autres organisations (syndicats ouvriers et étudiants, mutuelle…). Cette histoire de la conquête d’une autonomie de la société enseignante marque
encore les mobilisations contre les politiques actuelles, que ce livre aide à comprendre.
Infirmières parisiennes.
1900-1950. Émergences d’une profession
Christian Chevandier
Paris, Publications de la Sorbonne
coll. « Histoire contemporaine, 2 », 2011, 314 p.
En 1900, les mots « infirmier » et « infirmière » étaient utilisés pour
nommer le personnel non qualifié de l’hôpital et avaient le même
sens que « garçon de salle » et « fille de salle ». En 1950, le terme
n’est plus que féminin et désigne des travailleuses qualifiées dont la
formation initiale assez longue a été certifiée par un diplôme d’État.
Quelles ont été les raisons de cette mutation, qui a accompagné
l’évolution de la médecine hospitalière et du droit de l’assistance ?
Comment ce phénomène s’inscrit-il dans l’évolution de la société
française de la première moitié du xxe siècle ? Pourquoi est-ce dans
les hôpitaux de l’Assistance publique de Paris que cette dynamique a
été forte au point que ses choix ont entraîné l’ensemble du secteur
hospitalier du pays ? Comment cette professionnalisation s’est-elle
effectuée ? Quelles ont été ses conséquences sur la vie de ces femmes ?
Cet ouvrage associe une approche quantitative précise de l’institution hospitalière parisienne à l’étude des destins individuels de seize femmes soignantes. Par un jeu d’échelles,
l’auteur définit le rôle de différents facteurs (l’origine géographique, le milieu social, la formation, le marché du travail, les guerres, etc.) dans la conception d’un métier qualifié.
Afin de préciser les spécificités parisiennes, un chapitre est consacré à un autre grand ensemble hospitalier, les Hospices civils de Lyon, et nous permet de suivre jusqu’à nos jours
publications
un groupe professionnel proche de celui des infirmières créé
dans les années 1930 pour se substituer aux religieuses qui
disparaissaient. L’auteur présente un groupe social de femmes
dynamiques, confrontées aux difficultés de la vie mais aussi à
un exercice professionnel passionnant, dont le tableau nous est
ainsi brossé, sans que soit laissé de côté l’impact de la gestion
menée par l’administration hospitalière.
Écrit du front. Lettres de Maurice Pensuet, 1915-1917
Édition établie par Antoine Prost
Paris, Taillandier, 2010, 383 p.
Alors que le dernier poilu a disparu, l’expérience des soldats
de la Première Guerre mondiale ne cesse de nous fasciner.
Maurice Pensuet a tout juste vingt ans lorsqu’il est mobilisé
en 1915 comme soldat de 2e classe. Pendant vingt-sept mois
de front, il écrit très régulièrement à ses parents. Issu d’un
milieu modeste de commerçants d’une petite ville des bords
de Loire il était apprenti horloger. Et par là même par la voix
de ce « poilu comme les autres », c’est la majorité des jeunes
hommes perdus dans la boucherie de la Grande Guerre qui
se fait entendre. Jour après jour, il décrit son quotidien : désespoir, épuisement physique et moral mais aussi moments de joie
partagés entre soldats. Car bien qu’il ne renâcle pas à monter
à l’assaut, ce pacifiste comprend très vite que la guerre n’est
pas près de finir. Il aspire alors à la bonne blessure, celle qui lui
assurera la vie sauve sans l’amputer gravement.
Ainsi les lettres de Maurice Pensuet à ses parents constituent
un témoignage exceptionnel sur un aspect de la guerre mal
connu : les rapports entre l’avant et l’arrière. Que pouvait
écrire un poilu à ses parents ? Pouvait-il se faire comprendre ?
Manifestement non, ou du moins pas complètement. Là réside
sans doute la qualité majeure de cette correspondance, qui
manifeste à la fois la profondeur de l’amour filial et l’étrangeté
radicale de l’expérience du feu, et nous rend ce jeune soldat
infiniment sympathique.
Sexes, genre et guerres (France, 1914-1945)
L. Capdevila, F. Rouquet, F.Virgili et D.Voldman
Paris, Petite bibliothèque Payot, 2e éd., 2010, 382 p.
En France, de 1914 à 1945, la guerre a obligé les femmes et les
hommes à imaginer de nouvelles relations. Leurs représentations de la virilité et de la féminité se sont modifiées au fur et à
mesure que les états-majors comme les pouvoirs publics, soucieux de les mobiliser, de les enrôler, de les surveiller, faisaient
du sexe une affaire d’État. Centré sur la question des identités
133
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
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de genre, ce livre examine donc la transformation de la place des hommes et des femmes dans les
dispositifs civils et militaires. Il analyse aussi comment les affaires privées du sexe ont été pensées et
contrôlées par l’État. Enfin, il montre comment les individus ont réagi à cette évolution des identités
masculines et féminines qui produit encore ses effets aujourd’hui.
Viols en temps de guerre
sous la direction de Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili,
Isabelle Delpla, John Horne, Pieter Lagrou, Daniel Palmieri
Paris, Payot, 2011, 270 p.
Ce livre pionnier éclaire la place et le sens des viols en temps
de guerre. Parce que les victimes étient majoritairement des
civils et des femmes, les viols furent longtemps relégués au second plan, à la marge du champ de bataille. Ils étaient pensés
entre butin et repos du guerrier, sans effet sur le cours de la
masguerre, marquant l’assouvissement de la pulsion sexuelle mas
culine. Vingt auteurs se penchent ici sur les différents conflits
du xxe siècle, des guerres mondiales aux guerres civiles, de la
Colombie à la Tchétchénie. Pour la première fois, ils tracent
l’histoire de cette violence, en soulignent la complexité et
l’ampleur, présentent la diversité des situations, le poids des
imaginaires, les conséquences sociales et politiques, mais aussi
intimes et émotionnelles.
Avec les contributions de : Raphaëlle Branche, Isabelle Delpla, Anne Godfroid, John Horne, Adediran Ikuomola,
Maude Joly, Pieter Lagrou, Nayanika Mookherjee, Regina Mülhaüser, Marianna G. Muravyeva, Norman M.
Naimark, Tal Nitsan, Daniel Palmieri, Nadine Puechguirbal, Amandine Regamey, Antoine Rivière, Alexandre
Soucaille, Katherine Stefatos, Natalia Suarez Bonilla, Fabrice Virgili.
René Cassin
Antoine Prost & Jay Winter
Paris, Fayard, 2011, 444 p.
Né en 1887, mon en 1976, René Cassin est resté toute sa
vie un soldat de la Grande Guerre. Elle le saisit à la fin de
ses études. Grièvement blessé en 1914, il met des mois à se
remettre. Cette expérience change sa vie : il ne sera pas seulement un grand professeur de droit, mais aussi un militant
des droits des victimes du conflit au sein de la plus grande
association : l’Union fédérale des mutilés. Persuadé que seule la
solidarité internationale peut empêcher le retour de la guerre
et de ses horreurs, il fonde un mouvement international d’anciens combattants, une ONG avant la lettre, ce qui lui vaut
d’être l’un des délégués de la France à la SDN de 1924 à 1938.
Mais l’approche de la Seconde Guerre mondiale ruine ses espoirs. Accablé par la débâcle et la soumission à Hitler, il refuse
l’armistice et rejoint dès juin 1940 de Gaulle qui lui confie de
publications
135
hautes responsabilités. Il joue un rôle central dans le rétablissement de la légalité républicaine, puis
préside le Conseil d’État de 1945 à 1960.
À Londres, puis à l’ONU, il contribue à préciser les buts de guerre alliés pour instaurer un « nouvel
ordre international » démocratique qui limite la souveraineté des États en affirmant la priorité
des droits de l’Homme : l’idée qu’au-dessus des lois il existe des principes généraux du droit qui
s’imposent à tous. En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme couronne cette action
collective. Le Prix Nobel de la paix consacra en 1968 sa notoriété internationale. Onze ans après sa
mort, en 1987, sa dépouille a été transférée au Panthéon. Nourrie d’abondantes sources et pièces
d’archives inédites, cette biographie de René Cassin retrace une vie et une action imprégnées des
espoirs et cauchemars de toute une génération, celle de 1918, qui initia le mouvement de défense
des droits de l’Homme, omniprésent dans le monde d’aujourd’hui.
À chacun son Mai ?
Le tour de France des mai-juin 1968
sous la direction de Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard et Gilles Vergnon
Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2011, 398 p.
Les « événements » du printemps 1968, inscrits dans les
« années 1968 » qui s’étendent sur plus d’une décennie,
ont été vécus et ressentis de manière beaucoup plus
diversifiée que ne le laisse penser une mémoire parisienne étroite bien que dominante.
Comment Mai-68 se déroula-t-il dans les départements
ruraux ou semi-ruraux, dépourvus d’université et peu
industrialisés, ou dans les centres industriels « de province » et les capitales régionales ? Dans les milieux
professionnels aussi opposés que les forces de l’ordre
(elles-mêmes diverses : polices urbaines, CRS, gendarmes mobiles, armée), les cheminots, les enseignants
ou les hospitaliers ? Dans les forces politiques alors au
second plan comme les centristes, les giscardiens, la
« gauche non communiste », l’extrême droite ou les
gaullistes de gauche ?
C’est à ces questions, jusque-là assez délaissées par l’historiographie, que cet ouvrage collectif, issu
d’un colloque tenu à Lyon en mars 2009, essaie d’apporter des réponses à la fois précises et neuves.
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Les meuniers du social.
Force ouvrière, acteur de la vie contractuelle et du paritarisme
sous la direction de Michel Dreyfus et Michel Pigenet
Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, 272 p.
Aux grandes heures de la croissance, Force ouvrière se voulait
le syndicat du « grain à moudre ». La pratique contractuelle
et le paritarisme furent les voies privilégiées d’un réformisme
revendiqué au même titre que l’anticommunisme. Ce livre
veut contribuer à écrire l’histoire de la plus mal connue des
grandes confédérations françaises.
Centré sur deux décennies, l’ouvrage cerne une période décipassive qui voit les relations contractuelles et le paritarisme pas
ser du stade de l’expérimentation de la fin des années 1950
à celui de la banalisation, avant que leur rendement social ne
s’épuise au tournant critique des années 1980. Au cours de ce
cycle, Force ouvrière a concouru pour le titre de partenaire
privilégié du patronat et des pouvoirs publics, soucieux d’acter chaque progrès et de prendre ses responsabilités dans l’administration des multiples caisses et conseils issus des compromis signés. Pourtant, ce
cheminement n’allait pas de soi, notamment en matière de paritarisme.
Confiée aux meilleurs spécialistes – historiens, sociologues, politologues, économistes –, la démarche
adoptée, aux antipodes d’une analyse repliée sur le syndicat, considère ses rapports avec ses interlocuteurs, parfois « partenaires », patronaux ou gouvernementaux sur fond de concurrences intersyndicales.
Par-là, elle donne à comprendre les singularités de Force ouvrière et celles du système français de relations sociales.
Ont contribué à cet ouvrage : Dominique Andolfatto, Valérie Avérous-Verclytte, Guy Brucy, Michel Dreyfus, Danièle
Fraboulet, Laurent Frajerman, Jacques Freyssinet, Frank Georgi, Nicolas Hatzfeld, Dominique Labbé, Bruno Mahouche, Jean-Claude Mailly, Gilles Morin, René Mouriaux, Jean-Marie Pernot, Michel Pigenet, Jeanne Siwek-Pouydesseau, Lucie Tanguy, Georges Ubbiali et Karel Yon.
publications
137
Le mouvement social
par Frank Georgi
2008 avait été pour Le Mouvement social l’année du passage à un nouvel
éditeur et celle de l’adoption d’une nouvelle maquette, avec pour objectif une
meilleure diffusion et une meilleure visibilité de la revue papier. Les deux années qui ont suivi ont vu une amélioration significative de sa présence en ligne,
autre priorité de la rédaction. Depuis le premier numéro de 2009, la revue est
accessible sur le portail scientifique américain Muse, en deçà d’une barrière
mobile de trois ans. Depuis l’été 2010, Gallica, le portail de la BnF, propose
en libre accès une collection complète numérisée du Mouvement social jusqu’à
l’année 2000 (intégrant L’Actualité de l’Histoire depuis 1953). Rappelons que la
revue est également présente sur Cairn.info et Jstor. La création d’un nouveau site (inauguré en 2011 à l’adresse : http://www.lemouvementsocial.net)
faisait aussi partie des projets. Enfin, et nous y reviendrons plus longuement
dans le bulletin suivant, 2010 fut également la dernière année « complète »
pour Patrick Fridenson, directeur de la revue depuis 1982, qui a demandé au
printemps suivant à âtre déchargé de ses fonctions, après plus d’un quart de
siècle consacré à l’animation du Mouvement social. Il a été remplacé à ce poste
par Jean-François Chanet, assisté d’Axelle Brodiez, directrice adjointe, au sein
d’un secrétariat en partie renouvelé.
Huit livraisons de la revue ont régulièrement paru en 2009 et 2010, dont
quatre numéros spéciaux, qui témoignent à la fois de la diversité des terrains
explorés, de la permanence d’une problématique centrale, celle des engagements, et de l’actualité, parfois brûlante, des questions soulevées. Le numéro
227, dirigé par Axelle Brodiez et Bruno Dumons, et emblématique de ce point
de vue, s’est attaché à historiciser les mobilisations « humanitaires », de la fin
du xixe siècle à nos jours. Le numéro 228, dirigé par Patrick Fridenson, a pris
pour objet les organisations, publiques et privées, dans leurs rapports avec les
individus, salariés, consommateurs ou citoyens, qu’ils subissent, innovent ou
contestent. Le numéro 231, dirigé par Leyla Dakhli et Stéphanie Latte Abdallah, paru quelques mois avant le déclenchement des révolutions arabes, a
étudié les engagements féminins contemporains au Moyen-Orient. Le numéro
233, dirigé par Jean-Michel Chapoulie, Patrick Fridenson et Antoine Prost,
sorti quant à lui un an après le grand mouvement universitaire de 2009, a
analysé les mutations de la science et des universités françaises depuis la Libération.
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Quant aux quatre numéros variés, construits autour de plusieurs « ministructures », ils reflètent par définition des thématiques plus diverses, dont certaines recoupent d’ailleurs celles des numéros spéciaux (syndicalisme, travail,
culture, formation…), et d’autres s’aventurent sur des terrains moins balisés,
comme la place du cheval dans l’histoire des sociétés contemporaines. L’ouverture internationale y est aussi particulièrement sensible : Europe, Amérique
latine (fort bien représentée), Japon, questions post-coloniales. La revue se fait
également l’écho de controverses épistémologiques (débat entre Brigitte Gaïti,
politiste, et Gabriel Galvez-Behar, historien, sur la notion d’opinion publique)
et des questions de politique scientifique comme celle de la multiplication des
classements de revues, analysée par Patrick Fridenson, et sur laquelle le Comité éditorial a pris officiellement position dans le numéro 226. Rappelons
pour terminer la présence régulière et active du Mouvement social aux rencontres
de Blois, où elle organise chaque automne une table ronde (« histoire sociale
du corps » en 2009 et « Justice et indigénat » en 2010).
Pour toutes informations complémentaires, voir le site :
http://www.lemouvementsocial.net/
habilitations, thèses et masters
Hommes et guerres en situation coloniale
Raphaëlle Branche, HDR, université Paris 1, 2010, 2 vol., [cote en cours]
Après avoir rappelé l’importance que j’accorde à l’histoire orale et aux relations
avec les témoins pour écrire l’histoire, j’ai développé la manière dont j’avais abordé les
mécanismes de construction sociale de la masculinité dans mon travail sur la guerre.
Travailler sur des hommes doit aussi s’entendre en effet au sens d’une interrogation sur les fluctuations de l’identité masculine que les différentes situations vécues
peuvent engendrer ; le rôle des femmes étant tout aussi important tant elles furent
peut-être plus explicitement que les hommes eux-mêmes prescriptives de masculinité.
L’explicitation de mot « guerres » visait à insister sur le rôle des violences accomplies dans le cadre des affrontements armés. Ce sont en effet les modalités de leur
perpétuation qu’il me paraît important d’éclairer : côté français comme côté algérien,
il s’agit alors d’analyser le fonctionnement des différentes unités militaires, de leurs
relations entre elles comme de leurs règles internes, afin d’approcher les conditions
de perpétration des actes violents comme, plus largement, de l’ensemble des activités
des hommes en armes. La question de la violence met particulièrement à jour les
variations de l’autorité et de l’obéissance, les arrangements individuels avec la gamme
des possibles face à la mort ou face au pouvoir de faire souffrir ou de tuer.
Cependant si la guerre est le premier contexte englobant des violences que j’étudie, elle n’en est pas l’ultime : ces violences sont accomplies dans le cadre de la situation coloniale. Mon travail consiste à prendre la violence comme un outil heuristique
de compréhension des sociétés, un outil particulièrement central en territoire colonial et en Algérie notamment. Comme lors de ma thèse, je défends l’idée, dans mon
travail sur Palestro, de violences en écho : il y a dans cette séquence de la présence
française en Algérie (entre 1954 et 1962) des échos du passé et, en particulier, une
résonance des actes de la conquête – que ce soit celle des années 1840-1860 ou celle
des années 1870-1880 quand se développe la politique de colonisation appuyée sur la
spoliation foncière massive.
Si cette violence structurelle de domination qu’est la violence coloniale est spécifique, c’est sans doute dans son rapport au temps. Elle porte la mémoire de son origine et garde un sens de la fragilité de la domination imposée. Une manière de creuser
cette notion serait d’ailleurs de travailler à l’identification d’un continuum de violences
qui permettrait de saisir les métamorphoses de la violence originelle, en particulier à
travers la loi mais pas seulement, dans l’ensemble de la société coloniale – au moins
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
telle qu’elle se déploie sur le territoire colonisé. C’est ce que j’ai fait avec l’étude du
séquestre imposé dans la région de Palestro après 1871, en privilégiant une variation
d’échelles.
L’articulation des violences avec la construction d’un consensus colonial nécessiterait cependant de plus amples travaux et une discussion de la notion d’hégémonie
telle qu’élaborée par Gramsci et discutée par Ranajit Guha. S’il y a certainement en
Algérie élaboration d’un consensus entre dominés et dominants (hégémonie au sens
de Gramsci), il n’est sans doute pas faux de dire que demeurent des formes d’autonomie des subalternes. Cependant estimer pour autant, comme le fait Guha, que ces
formes d’autonomie échappent à la domination et maintiennent comme un quant-àsoi des dominés (à l’exclusion, si on le suit, des élites qui participent de la domination)
est peut-être plus discutable.
Dans le cas de l’embuscade de Palestro, j’ai travaillé dans une perspective légèrement décalée peut-être mais j’ai voulu montrer comment les violences déployées
par les maquisards algériens comme par les civils en 1956, de même que celles des
villageois de 1871, devaient être analysées dans leur relation avec la situation coloniale
et avec la domination. En proposant, en particulier, une interprétation différente voire
divergente des violences des maquisards et de celles des villageois de Djerrah, j’ai
voulu mettre en avant cette idée d’une autonomie des acteurs sociaux qui, même en
situation de domination – et pour les villageois de Djerrah peut-être même de double
domination (par les Français et par le FLN) -, s’emparent de la violence pour inscrire
leur singularité dans ce qui se joue alors qui, à bien des égards, les dépasse et, assurément, les écrase, au moins temporairement.
Ainsi la violence coloniale me paraît pouvoir être approchée autrement : en y
intégrant l’action des dominés, des subalternes. Je propose de lire leurs actes violents, non pas comme extérieurs au monde colonial – ce qu’une lecture de ces actes
comme des réponses à l’agression coloniale peut produire – mais bien comme participants à la situation coloniale et, in fine, éléments eux-mêmes des violences coloniales.
Si la situation coloniale est caractérisée par une domination des uns sur les autres,
la violence, en tant que langage imposé par les colonisateurs, peut être repris par
d’autres. En bref, une autre piste viendrait des débats sur l’acculturation, l’hybridation,
les accommodements et autres termes utilisés pour décrire et réfléchir aux contacts
entre colonisateurs et colonisés, au départ et sur le long temps colonial : ceux-ci ne
devraient pas, il me semble, être absents d’une réflexion sur la violence qui se déploie
dans ce contexte.
On pourrait, enfin, proposer une autre analyse qui refuserait tout simplement la
question de l’intérieur et de l’extérieur (la société indigène ou le pouvoir colonial
pouvant chacun être décrit comme étant l’un ou l’autre). Dans Il faut défendre la so-
habilitations, thèses, masters
141
ciété, Foucault ne parle pas du colonialisme mais de la guerre et du pouvoir politique
comme guerre. Le pouvoir politique, si on le suit, « aurait pour rôle de réinscrire
perpétuellement [le] rapport de force, par une sorte de guerre silencieuse, et de le
réinscrire dans les institutions, dans les inégalités économiques, dans le langage, jusque
dans les corps des uns et des autres ». Le monde colonial offre une expression particulièrement accomplie de cette définition des liens entre guerre et pouvoir politique.
Cependant, ce qui est sans doute encore plus subversif – et qui m’avait déjà guidée
dans ma thèse sur l’armée française – est la réflexion qu’il propose sur le fonctionnement du pouvoir lui-même en proposant de considérer de manière co-existentielle le
pouvoir et les sujets. En circulant, le pouvoir existe en même temps qu’il fait exister
les individus. Très stimulants pour réfléchir aux agents du pouvoir colonial, ces écrits
de Foucault me paraissent devoir encore être lus pour éclairer les actions des acteurs
subalternes et notamment, puisque ce sont ceux qui vont m’intéresser désormais, les
maquisards de l’ALN et la population algérienne en interaction avec eux.
Inner City montréalais et banlieue parisienne, politiques et stratégies de 
lutte contre la pauvreté urbaine : la politique de la ville à Hochelaga-Maisonneuve (Canada) et Saint-Denis, années 1960-début des années 2000 
Benoît Bréville, Thèse de doctorat, sous la direction en co-tutelle Annie Fourcaut et Paul-André
Linteau, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/université du Québec, Montréal, 2 vol., 997 p.,
cotation en cours
La reconstruction en Tunisie de 1943 à 1947 
Hounaïda Dhouib, Thèse sous la direction de Danièle Voldman, université Paris 1, 2010, 2 vol.
457 p., cote T 1520 DHO
En mai 1943, la fin de l’occupation germano-italienne avait laissé la Tunisie en
ruines. Alors que la France était encore en guerre, et que le statut du pays oscillait
entre la France libre et Vichy, un groupe de professionnels fut recruté par le secrétaire
général Roger Gromand sous la houlette de l’architecte français, Bernard Zehrfuss,
premier grand prix de Rome. Ensemble, ils constituèrent une équipe ayant des accords
contractuels avec l’administration du protectorat tandis que Zehrfuss était nommé à
la tête des nouveaux services d’Architecture et d’urbanisme. Cette création répondait
à la nécessité de construire rapidement, en dehors des règles habituelles, jugées longues et complexes, de l’administration.
En délimitant le domaine d’intervention de chaque service en matière de reconstruction, le secrétaire général prit soin de valoriser le statut des architectes en cantonnant les ingénieurs dans les travaux d’infrastructures industrielles et de transports.
Ces derniers se sentirent lésés. Ils ne manquèrent pas de souligner les imperfections
142
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
de cette nouvelle répartition qui alimentait, par ailleurs, le vieux conflit opposant les
ingénieurs aux architectes. De latente, cette mésentente devint manifeste avec la multiplication des chantiers et le chevauchement des compétences. Conjuguée à d’autres
facteurs, comme la double rémunération des architectes, en tant que contractuels du
gouvernement et en tant que praticiens libéraux, l’impatience des architectes face à
une administration jugée routinière et l’incompréhension de la population concernant
leur politique d’urbanisme, cette mésintelligence aboutit en 1947 au renvoi de l’équipe
des premiers reconstructeurs.
Néanmoins, pendant quatre ans, l’architecture et l’urbanisme du pays furent entre
les mains de Bernard Zehrfuss, qui reçut le titre, qu’aucun texte statuaire ne mentionnait, d’architecte en chef du gouvernement tunisien. La naissance de la section qu’il
dirigeait s’inscrivait dans la volonté de créer un organisme apte à mener toutes les
actions de construction et de planification. De ce point de vue, l’histoire de la reconstruction tunisienne peut se confondre avec l’historique de cette quête, à travers une
succession de réformes, rapides et brouillonnes.
Ces quatre années mouvementées d’un point de vue organisationnel représentent
un travail acharné. Il a cristallisé un effort de conception cohérent qui fit date dans
l’histoire de l’architecture en Tunisie. Toutefois, la planification urbaine qui tendait à
réaliser les formules du Mouvement modernes par l’intégration de paramètres conciliant la pratique à la théorie, ne fut pas une réussite. En effet, l’orientation générale des
plans de reconstruction était dictée par le souci de séparer les espaces d’habitation
des zones d’activité économiques ou militaires et par la volonté de mieux répartir les
fonctions urbaines dans la cité. La reconstruction représentait ainsi un champ d’expérimentation inouï pour de jeunes architectes formés à l’académisme et rêvant de
l’idéal moderniste. Toutefois, leur action procéda tantôt par retouches ponctuelles
— comme à Sfax où le plan d’aménagement fut ramené à une étude de quartier —,
tantôt par l’édification de villes entières sur des terrains vierges. Ainsi, la nouvelle ville
de Zarzouna devait absorber, au rythme de son développement, la vieille cité de Bizerte en partie détruite. Cette approche exaspérait administration et citoyens par ses
préoccupations hygiénistes qui faisaient prévaloir les vues d’ensemble sur les sacrifices
demandés aux sinistrés.
Sur le plan architectural, la cohérente des réalisations découlait principalement du
fait que les services d’architecture et d’urbanisme fonctionnaient comme un atelier, où
les « hommes de l’art » appartenaient à la même tendance artistique et avaient des
convictions proches. Bien que de formation académique, ils n’étaient pas sourds aux
courants qui révolutionnaient la scène architecturale en France, tout en voulant tirer
profit des traditions locales. Naquit ainsi une unité d’architecture, qui bravait les obs-
habilitations, thèses, masters
143
tacles bureaucratiques. En effet, grâce à une organisation spécifique, elle put s’insérer
dans les rouages de l’administration du protectorat.
L’unité architecturale était également le fruit d’une entente entre les différents
membres de l’équipe, tous formés à l’école des Beaux-arts de Paris. Plusieurs d’entre
eux se connaissaient avant même d’avoir été appelés à rejoindre Zehrfuss en Tunisie,
comme Jean Le Couteur et Paul Herbé. La plupart étaient liés par leur formation, leurs
parcours croisés et des amitiés nées durant leurs études, notamment dans l’atelier
d’Emmanuel Pontrémoli. Pour cette équipe homogène animée d’un même esprit, le
programme, la composition, les proportions et l’insertion dans le site déterminaient
le projet. En partant de l’architecture locale, non de sa diversité ou de ses multitudes
expressions colorées, mais de ses formes épurées, de sa blancheur et de ses principales unités typologiques, les architectes avaient à leur disposition des programmes
dictés par l’État commanditaire et les interprétaient dans une architecture tunisienne
moderne. Leur souci d’économie et de rationalisation des constructions dans un
contexte de fortes restrictions budgétaires justifiait à leurs yeux l’abandon du décoratif au profit du constructif.
L’intérêt qu’ils portaient à l’architecture moderne les poussa à voir dans des expressions vernaculaires dépouillées des alliés de la modernité. De ce fait, ils en privilégièrent délibérément certains éléments. S’agissait-il de réactualiser la tradition ou
de l’appréhender dans une perspective de stylisation formelle pour la transformer en
vues conformes à l’architecture moderne ? Il était sans doute aisé de voir des formes
chères au Mouvement moderne dans les murs maçonnés de pierres, enduits à la chaux
et très peu percés, dans la volumétrie élémentaire des voûtes et coupoles, dans la
blancheur teintée d’ombre et de lumière. Toutefois, cet emprunt en partie justifié par
le faible développement du secteur industrialisé n’était pas synonyme de mimétisme
ni de pastiche.
Contrairement à leurs prédécesseurs qui privilégiaient souvent un répertoire
d’éléments décoratifs stylisé et greffé sur les typologies des programmes nouveaux,
les architectes reconstructeurs purent démontrer que la référence à l’architecture
traditionnelle ne pouvait se défaire de sa dimension culturelle. Cet effort leur permit
de marquer l’histoire de la Tunisie par une œuvre, certes controversée sur le plan
urbanistique, mais particulièrement riche sur le plan architectural.
144
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Syndicats, comité de gestion et comité d’entreprise dans  
l’expérience Berliet. Transition des comités sociaux d’entreprise 
aux comités d’entreprise dans la région lyonnaise à la Libération
Shin Dongkyu, Thèse sous la direction de Michel Dreyfus, université Paris 1, 2009, 417 p.,
cote T 1518 SHI
Que s’est-il passé à la Libération lors du passage des comités sociaux d’entreprise
aux comités d’entreprise ? Cette recherche avait pour objectif d’analyser cette transition, en se concentrant sur le cas de l’expérience Berliet (1944-1949) qualifiée rétrospectivement de « gestion ouvrière » ou d’« autogestion ». La complexité de cette
transition réside notamment dans l’extrême diversité des formes de comités constitués à la Libération – comités de gestion, comités consultatifs, comités patriotiques
d’entreprise, etc. – et qui ont par la suite entraîné la création officielle des Comités
d’entreprise (CE). L’agencement des mémoires sur cette période, notamment sur le
rôle de ces comités, y compris celui des comités sociaux d’entreprise de Vichy, accentue encore les difficultés pour saisir cette transition.
Pour clarifier cette complexité, cette recherche s’emploie d’abord à analyser la
double origine des comités d’entreprise : l’idée de la participation ouvrière à la gestion, au lendemain de la Première Guerre et les comités sociaux d’entreprise (CSE)
constitués par la Charte du Travail. L’analyse comparative des différents CSE montre
la diversité des attitudes des patrons lyonnais à leur égard. Quelle que soit la position
patronale – hostile à Berliet ou favorable à la SIGMA –, la réaction des cégétistes est
paradoxale. Ils défendent cet organisme corporatif en en faisant un instrument de
revendications syndicales et aussi en raison de son utilité dans les secours sociaux
pendant la guerre ; même ceux qui participent à la Résistance n’échappent pas à cette
règle. Cette situation explique ainsi la continuité entre les CSE et les CE : ces derniers
reprennent les attributions sociales de ces institutions nées sous Vichy.
La création des CE est aussi liée à la notion de « contrôle ouvrier » que la CGT a
défendu entre les deux guerres pour accorder aux ouvriers une place dans la gestion
de l’entreprise. Cette expression tend à disparaître du discours de la CGT durant les
années 1930 puis l’idée resurgit et en 1944, le programme du CNR prévoit la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Dans cette perspective, différents
comités sont constitués dans des usines à Montluçon, Marseille et Toulouse et dans la
région lyonnaise. Cette recherche analyse le fonctionnement de ces comités dans la
région lyonnaise prise au sens large, à la Biscuiterie Brun et à Chimiotechnic (Lyon), à
Grenoble, à Saint-Étienne (Schneider). Elle montre ainsi qu’à la Libération, la mise en
pratique de la « gestion ouvrière » est d’une grande diversité même si elle se réduit
assez vite à l’idée paritaire, à l’heure où les syndicats collaborent avec l’État et participent à la « bataille de la production ».
Le cas de l’usine Berliet, désignée comme l’« usine sans patron », suite à l’épuration
habilitations, thèses, masters
145
de Marius Berliet pour collaboration, se trouve au premier rang de ces mouvements
qui entraînent la création officielle des comités d’entreprise en février 1945. Pour
comprendre le contexte de la mise sous séquestre de cette usine, cette recherche
s’intéresse au rapport entre les ouvriers et Marius Berliet considéré comme un « inflexible patron de combat ». L’accusation portée alors comme contre lui, liée à la question de la collaboration économique, repose également sur son attitude anti-ouvrière
et son refus du sabotage proposé par la Résistance.Yves Farge, commissaire de la République de la région rhodanienne, décide ainsi d’arrêter Marius Berliet et la mise sous
séquestre de son usine. Ces mesures prises pour maintenir l’« ordre public », sont
soutenues par l’UD-CGT du Rhône dont l’orientation est formulée dans la « Charte
de la démocratie », publiée en octobre 1944 ; elle a été adoptée antérieurement sous
l’influence de Marius Vivier-Merle, son secrétaire général de tendance confédérée. À
la Libération, l’expérience Berliet est soutenue dans l’esprit de cette « Charte de la
démocratie » qui s’inscrit dans le Plan de travail élaboré par la CGT dans les années
1930 et aussi dans une continuité idéologique avec certains aspects de Vichy
Différents comités sont ainsi constitués à Berliet à la Libération : le comité patriotique d’entreprise, le comité consultatif de gestion (comité de gestion dans le langage
quotidien), le comité central d’entreprise, les comités de bâtiment et enfin le comité
d’entreprise instauré par l’ordonnance du 22 février 1945. Leurs relations sont complexes. Ma recherche porte sur la transition du comité social au comité d’entreprise à
Berliet, ainsi que sur les stratégies de la CGT et du PCF à la Libération dans ce changement. Le rôle joué par les militants syndicaux, d’abord les cégétistes, occupe une
grande place dans ces analyses. Elles visent à montrer comment deux notions contradictoires – l’idée de « contrôle ouvrier » et l’esprit de la Charte du Travail – s’articulent dans leurs actions syndicales autour de ces différents comités. On comprend
mieux ainsi comment la CGT valorise ces différents comités. Ainsi, l’expérience Berliet
est mise en valeur par la CGT dans la perspective de la « bataille de production », mais
pas dans celle de la « gestion ouvrière », et les syndicalistes se contentent de gérer les
œuvres sociales comme ils l’ont fait au sein des CSE sous l’Occupation.
À Lyon, surtout à Berliet, la situation existant à la Libération est considérée comme
une « gestion démocratique » qui permet aux ouvriers de contrôler eux-mêmes la
production. La promulgation de l’ordonnance du 22 février 1945 conduit toutefois
la direction de l’entreprise à réorganiser la structure « démocratique » existant dans
l’usine. Sur cette base légale, Marcel Mosnier, administrateur provisoire communiste,
veut jouer sur la marge de manœuvre laissée par la loi, pour poursuivre le fonctionnement du comité central d’entreprise, symbole de la gestion démocratique de l’expérience Berliet. Mais le comité d’entreprise Berliet perd bientôt son esprit initial. Dans
la pratique, il conserve son aspect d’instrument pour la « bataille de la production ».
146
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Il joue également un rôle important dans la défense de la politique gouvernementale
relative au blocage des salaires. Dans l’évolution du CE Berliet vers une « institution
normale », un événement décisif se produit en hiver 1947. La domination communiste
sur la gestion de l’entreprise cesse après la grève des cadres dirigée par Alfred Bardin,
technicien, membre du comité de gestion et ancien trotskyste ; il est soutenu par tous
ceux qui s’opposent au PCF : cégétistes de tendance Force ouvrière, socialistes, trotskystes du Parti communiste internationaliste etc. Aussi la « gestion démocratique »
est reprise par un nouvel administrateur-provisoire nommé par le ministre socialiste.
Les syndicalistes ne contestent guère alors la suppression du comité consultatif de
gestion, symbole de l’expérience Berliet, et acceptent la proposition de ce nouvel
administrateur qui promet des réunions plus fréquentes du CE.
Enfin, cette recherche s’interroge sur les différentes appellations rétrospectives
utilisées pour désigner les événements survenus à Berliet de 1944 à 1947, ainsi que sur
les perceptions et interprétations qui leur sont liées. Considérée alors par la famille
Berliet comme une « soviétisation », cette expérience est présentée par les syndicats
comme une forme de « gestion démocratique » ou de « gestion ouvrière ». Puis elle
longtemps oubliée, y compris dans la région lyonnaise. Elle ne retient pas l’attention
de la CFDT et le PSU lorsqu’ils élaborent la notion d’« autogestion » dans la décennie
1960 mais elle est finalement qualifiée par la CGT-RVI (ancien Berliet) d’« autogestion » dans les années 1980. Cette recherche montre comment l’idée de participation
ouvrière à la gestion a disparu lors de la création des comités d’entreprise. Elle présente ainsi les diverses façons dont a été valorisée l’« expérience Berliet » à travers
un foisonnement d’appellations et de notions telles que gestion démocratique, gestion
ouvrière, soviétisation, autogestion, cogestion etc.
Radio lorraine Cœur d’Acier, Longwy, 1979-1980. Les voix de la crise : émancipations et dominations en milieu ouvrier 
Ingrid Hayes, Thèse de doctorat sous la direction de Michel Pigenet, 2011, 2 vol., 870 p, cotation
en cours
En mars 1980, inspirée par le « mouvement des radios libres », la CGT lance sa
première « radio de lutte » à Longwy, pour amplifier la mobilisation contre le démantèlement de la sidérurgie en Lorraine. En janvier 1981, elle met fin à l’aventure.
Lorraine Cœur d’Acier a constitué un cadre de rencontre, d’alliance et de confrontation entre des journalistes professionnels parisiens, des ouvriers sidérurgistes syndicalistes et divers acteurs attirés par la nature de l’expérience, notamment des femmes
de sidérurgistes, non salariées, et des intervenants versés dans l’animation socioculturelle, issus des couches moyennes intellectuelles. Cette rencontre se produit au point
habilitations, thèses, masters
147
de convergences de crises multiples et imbriquées, qui se déploient pourtant selon des
temporalités différentes, crise économique, crise de la sidérurgie, crise du mouvement
ouvrier, crise politique liée à la rupture du Programme commun, crise de l’engagement.
Lorraine Cœur d’Acier en vient à constituer pour ces crises une caisse de résonance,
dans la période charnière des années 1970-1980.
La source principale utilisée a la particularité d’être constituée d’émissions radiophoniques. Il s’agit d’un mode de propagande et de communication syndicale peu
étudié, qui donne accès, dans le cas d’espèce, à la parole d’acteurs qui sinon seraient
vraisemblablement demeurés silencieux.
L’originalité de cette recherche tient également à la démarche mise en œuvre
qui mobilise, en appui à une approche résolument historienne, certaines ressources
méthodologiques et théoriques de la sociologie et de l’ethnographie. Elle tient enfin à
son objet même : en effet, celui-ci est fondé sur l’hypothèse qu’une approche à la fois
micro-historique et monographique permet d’aboutir à des conclusions qui disent
plus que la singularité de l’expérience.
Ainsi, la thèse analyse, dans le contexte d’une expérience militante singulière, limitée au bassin de Longwy et qui dura 15 mois, de mars 1979 à juillet 1980, au plus près
et rapportés au contexte historique qui les détermine, les rapports sociaux à l’œuvre,
les dynamiques de socialisation politique et l’expression de la crise à l’échelle des
organisations du mouvement ouvrier autant que des microgroupes et des individus.
La première partie de la thèse définit le cadre théorique et méthodologique dans
lequel se déploie la recherche. Elle aborde notamment les notions de crise et d’événement, et définit une approche des rapports de domination qui structurent le champ
social. Sur le plan épistémologique, elle intègre des concepts empruntés à la sociologie et à l’ethnographie, en les articulant à ceux des différents domaines de réflexion
de l’historiographie contemporaine. La première partie est également l’occasion de
présenter les sources et surtout la méthode – en partie inédite - employée pour les
exploiter.
La seconde partie, qui porte sur le contexte, a d’abord pour objet d’articuler
le temps court de l’expérience radiophonique, de la mobilisation, de la conjoncture
politique et sociale, des tentatives de la CGT pour moderniser son approche de la
propagande, au temps long de l’histoire de la sidérurgie, de la constitution du prolétariat sidérurgique et de ses formes de représentation. Elle rend donc compte de
l’exploration de l’historiographie de l’ensemble de ces processus, en tentant là encore
de les articuler. Ainsi, du point de vue de la CGT, les prémisses de la crise qui vient, tant
au niveau de l’évolution de la situation économique et politique qu’en ce qui concerne
sa solidité organisationnelle, donnent lieu à des expérimentations sur différents fronts,
148
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
celui de la propagande, des propositions industrielles, mais aussi à des raidissements
identitaires sur le terrain de la conduite des mobilisations sociales.
Les sources radiophoniques permettent d’identifier, dans la troisième partie, le
type de fonctionnement et les orientations mis en œuvre. Un chapitre essentiellement
statistique fait le point sur les programmes et les intervenants, de manière à établir la
place des différents acteurs impliqués et notamment de la composante ouvrière. Les
chapitres suivants tentent d’identifier d’une part les valeurs et pratiques communes et
leurs rapports avec la matrice idéologique et militante CGT-PCF, d’autre part ce qui
relève de la controverse syndicale et politique. Une telle approche permet d’avancer
des hypothèses sur la manière différenciée dont les référentiels idéologiques portés
par la CGT et le PCF sont appropriés et structurent la culture du milieu qui en est
imprégné, en particulier dans sa composante ouvrière.
La quatrième partie traite des différenciations qui renvoient aux rapports de pouvoir et de domination entre les différents groupes en présence, rapports de classe,
rapports de domination liés au genre, à l’origine, au capital symbolique ou à l’âge.
Certains de ces rapports jouent au sein de la composante ouvrière, d’autres entre
cette composante et les acteurs qui n’en relèvent pas, d’autres enfin se révèlent transversaux. Un premier chapitre aborde la place centrale et incontestée des journalistes
et l’hégémonie culturelle qu’ils mettent en place en alliance avec un groupe de pairs,
membres des classes moyennes intellectuelles. Le chapitre suivant analyse la place des
groupes dominés, enfants et jeunes, immigrés, femmes, et les dynamiques contradictoires à l’œuvre dans l’expérience.
Dans la cinquième partie, nous abordons l’onde de choc de l’événement, du point
de vue de la reprise en main de la radio par la CGT, impliquant d’analyser ses modalités, ses rythmes et ses répercussions, mais aussi de la mémoire des acteurs, insérée
dans un conflit de légitimité permanent. Ainsi nous livrons une approche des effets
concrets de la crise sur la mémoire collective et sur des parcours individuels.
La thèse permet de caractériser l’expérience radiophonique, radio située au croisement de préoccupations différentes, non pas une radio ouvrière du point de vue
de sa conception et de son animation, mais permettant l’expression et l’intervention
concrète du groupe ouvrier. Elle donne également à comprendre et à interpréter
l’expérience comme événement en tant que tel, possédant sa propre dynamique, produisant une mémoire (fragmentée et conflictuelle), mais déterminé par un contexte de
crises imbriquées. Elle renseigne enfin, au-delà de LCA, sur les dynamiques militantes
autour de la CGT et du PCF, les processus de socialisation politique (notamment
l’habitus des militants cégéto-communistes) et l’analyse du couple dominations/émancipations, les rapports de domination étant pour la plupart formulés et explicitement
combattus, mais jamais suspendus.
habilitations, thèses, masters
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Les violences politiques en France métropolitaine entre 1947 
et 1953. Légitimité et illégitimité de la politique en actes
Bernard Herman, Thèse sous la direction de Michel Pigenet, université Paris 1, 2010, 523 p., cote
T 1527 HER
Ce travail développe une réflexion entamée dans un mémoire de maîtrise sur les
représentations des attentats de l’OAS à Paris [Les attentats de l’Organisation armée
secrète (OAS) à Paris et leurs représentations. D’avril 1961 à juillet 1962, université Paris
I, 2003] dans lequel était interrogé et analysé le positionnement des citoyens et des
institutions face à la violence utilisée comme moyen d’expression politique. Il aborde
également le problème de la légitimité et des limites de la violence politique en démocratie.
La période 1947-1953 est celle des « années chaudes » de la Guerre froide. Une
fois rompues définitivement les alliances internationales de la Seconde Guerre mondiale et évanouis les espoirs, nés de la Résistance et de la Libération, de réalisation
dans l’union d’une véritable démocratie politique et sociale, la scène politique française se trouve dominée par l’affrontement violent de trois principaux acteurs : 1) Le
PCF, exclu du gouvernement tripartite, tente de mobiliser les masses en développant
avec la CGT une politique par l’action inscrite dans la culture populaire, mêlant objectifs politiques nationaux et internationaux aux revendications sociales. 2) Le RPF, qui
signe le retour de De Gaulle dans le jeu politique, exige l’avènement d’un État fort et
se présente comme le « rempart » au « totalitarisme » en défiant les communistes sur
leurs terrains, espérant démontrer l’impuissance de l’État à faire régner l’ordre. 3) Les
gouvernements de la Troisième force et leurs successeurs déclarés illégitimes par le
PCF et le RPF, qui, estimant la République en état de légitime défense, sont amenés à
transgresser leurs propres lois et à soutenir des officines (telles que Paix et Liberté ou
les réseaux du préfet Baylot) pour assurer la défense des institutions contre les entreprises communistes également combattues par l’extrême droite renaissante, les trotskystes et le Comité méditerranéen de la Fédération internationale des transports. Les
choix manichéens imposés par la fracture est-ouest, les antagonismes face à la guerre
menée en Indochine et la gravité des problèmes économiques et sociaux confèrent
au politique un rôle de tout premier plan et à la violence un vaste champ d’action,
au sein d’institutions républicaines les plus démocratiques que la France ait connues,
mais discréditées et mal adaptées à la résolution des problèmes de l’heure. A tous ces
titres la période est à même de répondre aux problématiques posées : 1) Quels sont
les fondements du choix de la violence comme mode d’expression politique, quels
sont ses signifiants propres et sa légitimité ? 2) L’offre de violence des organisations
politiques est-elle en adéquation avec la demande des citoyens, qui en sont les acteurs
et les cibles, quelles limites les uns et les autres se sont-ils fixé et sur quels critères ? 3)
150
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
La violence est-elle un mode d’accès au politique ? 4) Quelles informations apporte-telle sur l’histoire de la période et quelles sont ses conséquences ?
Une analyse thématique a permis de préciser les points suivants : 1) Dans une
conjoncture historique propice, des liens se tissent entre les différentes cultures sociales et celles de la Seconde Guerre mondiale avec des composantes plus profondes :
anthropologiques (défense du territoire puissant déterminant identitaire, rites initiatiques d’intégration au groupe social et/ou politique, culte du héros et du martyr
modèles d’action et de don de soi, maîtrise des corps marque du pouvoir…) et émotionnelles (charisme du chef ou du Parti, la peur, la haine, l’indignation, la colère) ;
permettant, entre autres, l’expression politique violente de classes sociales peu enclines à user des pratiques institutionnelles et privilégiant la politique en actes. 2) La
violence de la Guerre froide sert de support à l’extériorisation par l’action d’une forte
demande de justice et de démocratie politique et sociale, mais aussi à un anticommunisme puissant, confinant au niveau de l’État à une forme de maccarthysme. 3) À la
légitimité à exercer la violence, revendiquée par les communistes et les gaullistes dans
une certaine continuité avec les engagements de la Résistance, correspond un discours de légitime défense, seul accepté par la majorité des citoyens mais uniquement
au bénéfice de l’État. 4) La typologie et les modalités opératoires des acteurs varient
avec leur positionnement politique ; il existe une géographie de la violence corrélée
à l’importance de l’électorat communiste. 5) La violence se situe à l’interface entre
le social et le politique : la culture syndicale par l’action se prolonge en mode d’expression politique ; l’irruption du politique dans l’entreprise, par la violence, entretient
la division dans l’action syndicale. 6) Dans une société très politisée, jusque dans les
faits divers, la violence exercée ou subie peut être un mode d’entrée en politique en
renforçant des sentiments identitaires, en créant des solidarités de luttes et de nouvelles représentations. Contrairement aux modes d’expression politique individuels
(tels que le vote), la violence, exercée collectivement, est fortement signifiante et peut
être un gage de visibilité politique. 7) Si la violence a figé le paysage politique, brouillé
les revendications sociales et contribué à la chute de la IVe République, elle a trouvé sa
place et ses bornes au sein du système démocratique grâce à l’existence d’un consensus républicain entre ses principaux acteurs et préparé une réponse républicaine à la
crise institutionnelle par le refus de la guerre civile.
habilitations, thèses, masters
151
Écrire l’architecture, construire l’histoire. Nouveau programme, 
dernier projet. Le Corbusier et le Palais des congrès de Strasbourg
Richard Klein, HDR, université Paris 1, 2009, 3 vol., cote T 1516/1-2-3
Le titre du mémoire de synthèse (volume 1, 102 p.), Écrire l’architecture, construire
l’histoire, évoque la double formation de l’auteur, architecte et historien. Il relate comment le croisement de toutes les dimensions de l’objet architectural a orienté ses
recherches. Il est construit autour des pratiques de l’historien de l’architecture à propos desquelles sont développés les points de vue, les développements scientifiques,
les méthodes et le bilan critique d’un parcours jalonné de publications depuis 1985.
La première pratique est celle du biographe, développée à partir des travaux sur
l’œuvre de l’architecte Louis Quételart. Ce travail correspond aux premiers contacts
avec les archives d’architecte mais également avec le travail de terrain, le recueil de la
mémoire orale, l’analyse des doctrines et des œuvres, les interrogations plus vastes
à propos de la reconstruction et des régionalismes architecturaux. Les pratiques de
l’inventaire et l’arpentage du territoire correspondent ensuite aux travaux sur l’architecture du littoral et à leurs dérivés. L’inventaire permet à la fois de vérifier des
hypothèses scientifiques et de découvrir, par le terrain, des architectures qu’il faut
voir, regarder, identifier et décrire. Cette pratique aboutit à une vision réaliste de
ce que l’objet d’architecture est devenu avec le temps. Elle mène fatalement à des
considérations patrimoniales quand la disparition matérielle d’un édifice enlève au
chercheur un des maillons de la connaissance du bâtiment qu’il étudie et pour lequel
il doit se contenter dès lors de ses représentations figurées. La pratique de l’archive
est décrite à partir du travail sur l’œuvre de Roland Simounet, occasion pour Richard
Klein d’associer recherche et pédagogie, travail scientifique et valorisation par l’exposition. Le chapitre portant sur la monographie d’édifice permet de développer le rôle
de l’architecte-historien et de décrire l’apport de la thèse soutenue en 2003 (Histoire
d’une demeure moderne, la villa C, Robert Mallet-Stevens architecte), démonstration des
possibilités des nouvelles approches de l’histoire de l’architecture et énoncé d’un projet historique porté par l’étude monographique d’un édifice. À partir de l’expérience
de la thèse, l’auteur développe des points de vue complémentaires : la prise en compte
de la durée au-delà du temps de la conception et du temps de l’édification, l’indispensable connaissance matérielle et documentaire des édifices, la prise en compte des
différentes catégories de la réception de l’architecture, la nécessité de créer des documents à partir des entretiens, les formes d’écriture et de narration consubstantielles à
la pratique de l’histoire. Ainsi, l’architecture n’est plus seulement envisagée comme un
objet artistique et les enjeux de sa conception sont relativisés par la prise en compte
des autres critères liés à son existence matérielle : enjeux sociaux, politiques ou culturels, usages et pratiques. Cette partie sur l’apport de la thèse se termine par l’évoca-
152
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
tion de Pierre Joly comme figure modèle de l’historien de l’architecture du xxe siècle.
Le chapitre intitulé « Nouveaux objets d’étude, nouvelles temporalités » concerne les
travaux de recherche sur les architectures de la croissance menés en collaboration
étroite avec Gérard Monnier. Enfin, l’auteur relate à partir de l’exemple des Maisons
de la culture, comment la notion de nouveau programme ouvre, dans la continuité de
ses travaux antérieurs, des perspectives de recherche qui engagent le développement
de ses travaux personnels et l’étude des réalités architecturales du second xxe siècle.
Le mémoire inédit Nouveau programme, dernier projet, Le Corbusier et le Palais des
Congrès de Strasbourg, est l’étude d’un projet non réalisé de Le Corbusier et de ses
suites. Les résultats de cette recherche sont relatés sous la forme d’une chronique,
application des méthodes suggérées dans le mémoire de synthèse. On y trouve l’histoire d’un nouveau programme des années 1960 : le palais de congrès de la capitale
de l’Alsace dont la définition ne cesse de varier et dont la genèse subit les glissements du programme et l’émergence d’une tendance événementielle de l’architecture.
Cette histoire singulière montre comment le monde de la commande publique architecturale bascule pendant ces années 1960 et, d’un point de vue historiographique,
comment l’obsession pour les considérations strictement liées à la conception ou à
l’espace occulte fréquemment les autres dimensions historiques des objets architecturaux. L’histoire de ce dernier projet de Le Corbusier met en lumière le rôle de figures
politiques françaises de premier plan, depuis le commanditaire, Pierre Pflimlin, maire
d’une métropole en développement jusqu’au ministre André Malraux en passant par
Germain Muller, élu municipal et célébrité théâtrale alsacienne, le fonctionnement des
dernières années de l’atelier de Le Corbusier, l’importance des collaborateurs et des
partenaires de l’opération projetée, le poids de plus en plus imposant de l’ingénierie
sur l’architecture. Le rôle de ces acteurs n’a pu être révélé qu’avec l’étude systématique de sources documentaires complémentaires, celles des archives d’architectes et
celles des archives administratives de la maîtrise d’ouvrage. Enfin, le devenir du projet,
après le décès de Le Corbusier et ce que devient le Palais des congrès et de la musique
sous le régime d’une maîtrise d’œuvre municipale pragmatique terminent un récit qui
démontre tout l’intérêt d’une pratique de l’histoire de l’architecture ouverte à l’examen des circonstances politiques, économiques ou techniques qui conditionnent les
formes architecturales du quotidien.
habilitations, thèses, masters
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La résistance du mouvement étudiant brésilien au régime  
dictatorial et le retour de l’UNE sur la scène publique (1969-1979)  
Angélica Müller, Thèse en co-tutelle sous les directions de Michel Pigenet et
Maria Helena Rollim Capelato, université Paris 1 et université de São Paulo, 2010, tome 2 :
résumé en français, PMF cote R10 : 114
La thèse se propose d’évaluer l’importance du mouvement étudiant (ME) brésilien
dans la résistance à la dictature militaire (1964-1985). En raison de l´ampleur du thème,
la période privilégiée est la décennie 1969-1979 pour laquelle j’ai souhaité analyser les
actions du ME dans différentes régions et mettre en relief la situation à l´université
de Sao Paulo (USP) où le mouvement joua un rôle capital grâce à son organisation,
notamment pendant les « années de plomb » (1969-1973). On lui doit, entre autres,
la relance d’institutions autonomes – le DCE [Directoire central d´étudiants] libre de
l´USP fut le premier du genre en 1976 – et d’une lutte ouverte pour la démocratie.
Au cours de ces années, l´histoire du ME se confond avec celle du pays. Après l´Acte
institutionnel nº 5 (AI-5) de 1968 et le durcissement consécutif du régime, l´entité
représentative des étudiantes, l’Union nationale des étudiants – UNE, expérimenta
l’action clandestine au détriment des actions de masse, mais réfléchit simultanément
aux meilleurs moyens d’organiser la résistance à la dictature militaire qu’elle poursuivit jusqu´à la chute du régime.
La recherche part d’une remise en cause de l´historiographie habituelle du
ME, muette sur la participation du mouvement à la résistance dans les « années de
plomb » au motif que la majorité des étudiants contestataires aurait opté pour la
lutte armée, tandis que les autres s’exilaient. Une telle approche revient à exclure
l’université des mouvements sociaux et politiques de résistance pacifique. Nombre
d’analyses considèrent ainsi que le ME ne serait réapparu qu´à la fin de la première
moitié de la décennie de 1970 et participant aux manifestations de rue de 1977 en
faveur des libertés démocratiques. L’analyse présuppose que le ME aurait présenté
plusieurs types d’actions contre le régime pendant les « années de plomb ». Plutôt
que d’insister sur les ruptures intervenues, je me suis intéressée aux continuités qui
firent du Mouvement, à la fin des années 1970, l´un des principaux acteurs de la lutte
pour le retour à la démocratie en alliance étroite avec d´autres forces. Concernant
la conjoncture historique, les analyses de Marcos Napolitano et Maria Paula Araújo
furent des références importantes. S’agissant du ME, les travaux de Renato Cancian et
Mirza Pellicciotta m’ont permis d’approfondir ma réflexion.
Pour réaliser ce travail, j´ai consulté diverses archives en mesure d’offrir le panorama le plus ample du Mouvement et de cerner les relations entretenues par les
militants de Sao Paulo avec les noyaux d´autres régions. Les principaux fonds consultés
se trouvent au Centre de documentation et mémoire de l´UNESP (CEDEM) à São
Paulo. Les deux fonds comptent un total de près de 1850 pièces concernant l´UNE
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et le ME des années 1970 et 1980. Ils contiennent des publications de l´UNE, des
lettres-programmes, des pamphlets et des bulletins internes de plusieurs tendances,
telles Caminhando (En marchant), Mobilização estudantil (Mobilisation étudiante), Libelu (trotskyste), Liberdade et Luta fournissant une grande quantité de documents,
des journaux étudiants variés, des thèses présentées aux rencontres préparatoires
pour la réorganisation de l´UNE et lors des congrès postérieurs. J’ai également exploré les archives des Directoires académiques (D.A´s) des cours de Sciences Humaines de l´université fédérale de Bahia (UFBA), celles du centre de documentation
de l´université de Brasília (CEDOC/UnB). Le fonds du PROMENEU (Projet mémoire
du mouvement étudiant) contient la documentation de divers C.A´s [Centres académiques] de l´université. Mentionnons encore le fonds du Projet mémoire du ME (Rio
de Janeiro) dont j’ai coordonné la constitution, le fonds Edgard Leuenroth (université
de Campinas/SP). Enfin, j’ai réalisé une recherche au sein du fonds DIAL (Diffusion
de l´information sur l´Amérique latine) de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC). Tout au long de ma recherche, j´ai privilégié les archives produites par le Mouvement étudiant, les mieux à même de répondre à une
problématique centrée sur sa résistance au régime et sa restructuration au gré des
conjonctures politiques. Par suite, j’ai laissé de côté les archives des polices politiques,
matériau du DEOPS/SP [Département d´Ordre politique et sociale], déjà exploitées
par d’autres chercheurs. J´ai néanmoins consulté le fonds de documentation de la
police politique des archives publiques de l´État de Rio de Janeiro (APERJ). En plus
des sources écrites, j´ai eu recours aux sources orales, celles issues des témoignages
recueillis par des collègues, ainsi que celles constituées à l’occasion d’entretiens menés
par mes soins avec d’anciens membres du ME. Ce travail d´histoire orale doit beaucoup aux réflexions de Michel Pollak.
La perspective retenue exigeait une explicitation du concept de résistance que
les travaux de Pierre Laborie, Denis Peschanski, François Bédarida, François Marcot
et bien d’autres m’ont aidé à entreprendre. Pour ma part, je pense que la résistance
du ME participait d’une réaction de refus du régime militaire conduite dans la clandestinité pendant les « années de plomb », avant de revêtir un caractère politique et
éthique légitimé par la mémoire des combats des années précédentes. En ce sens, la
résistance fut intérieure et orientée vers la restauration de l´État démocratique. À
partir de là, la thèse montre de quelle manière les étudiants ont résisté au régime de
différentes manières qui, toutes, relevaient cependant de la transgression. L’expérience
acquise et la similitude des objectifs poursuivis permirent aux étudiants engagés dans
les actions clandestines des « années de plomb » d´aller plus loin que les autres mouvements sociaux à l’époque ultérieure de la lutte pour « les libertés démocratiques ».
L’étude met également en évidence la représentativité du Mouvement. L´UNE
habilitations, thèses, masters
155
fut fondée sous « l´État nouveau » de Getúlio Vargas (1937-1945) afin d’assurer la
représentation officielle des étudiants. Prospère, le syndicalisme de l’époque, placé
sous la tutelle de l´État, ne s’interrogeait guère sur les modalités de la syndicalisation.
On ne trouve pas davantage de traces de discussions sur ce point pendant la période
couverte par la thèse. De fait, j´ai considéré l´UNE comme une association politique
dans une acception inspirée notamment des réflexions de Jean-Pierre Rioux, Valérie
Lafont et Danielle Tartakowsky. Les étudiants se sont efforcés, y compris pendant les
« années de plomb », de conserver leur représentativité associative, ce qui passait
par une réorganisation à l’échelon national à l’ordre du jour dès les premiers signes
d´ouverture du régime. La chose n’allait pas de soi alors que les opportunités d’interventions publiques étaient réduites, mais la dissolution des partis reportait vers les
associations les possibilités de pratiques politiques.
L’étude du mouvement au cours des « années de plomb » révèle un ME toujours
actif, y compris dans la clandestinité. Cette façon de « se réinventer » et la permanence des actions de résistance montrent que le ME a pu reprendre son rôle et aider
à la construction d´autres mouvements qui agiront aussi pour la chute du régime. J´ai
essayé de reconstituer la continuité des actions contre le régime, actions qui n´avaient
plus un caractère de masse. J’ai également mis en évidence que le ME n´a pas simplement survécu à la répression, mais qu’il fut le premier acteur à retourner dans les rues
lors de la petite ouverture de 1977, et cela, avant les grandes grèves ouvrières de 1978.
Il convient aussi de mentionner l´énorme effort des représentants du ME dans la
restructuration de leurs entités. En ce sens, l´importance de l´organisation associative
fut clairement l´un des principaux canaux d´engagement, d´élaboration et de diffusion
de l´action politique. En 1979, la reconstruction de l´UNE fut décidée à la suite de la
consultation directe de plus de 250 000 étudiants sur le million dénombré à l´époque.
Elle prit une large part à la renaissance des divers mouvements sociaux qui luttaient
pour le retour de la démocratie, sans aucun doute la principale motivation de ses
militants.
Les grands ensembles en France : genèse d’une politique publique 
(1945-1962) 
Gwenaëlle Le Goullon, Thèse sous la direction d’Annie Fourcaut, université Paris 1, 2010, 2 vol.,
cote T 1525 GOU
L’émergence des grands ensembles en France correspond à une nouvelle politique publique, développée en France à partir des ZUP (1958) pour encourager la
construction et rendre possible l’accès au logement décent pour tous. Selon l’historiographie traditionnelle, la politique des grands ensembles aurait été mise en place
de façon peu rationnelle et brutale, en réaction à la construction pavillonnaire et à
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la crise du logement. Cette thèse explore une nouvelle hypothèse sur l’origine de la
politique des grands ensembles en France : la politique des grands ensembles a été
élaborée progressivement et non brutalement, et en lien avec d’autres politiques publiques de construction développées au même moment et par le même ministère. Les
politiques publiques étant à la fois le fruit d’une autorité centrale et le résultat d’une
coproduction avec d’autres acteurs, cette recherche intègre tous les acteurs impliqués
dans la politique des grands ensembles (ingénieurs, entreprises, organismes d’HLM,
architectes, chercheurs en sciences sociales, responsables politiques). Mais l’étude est
centrée sur un acteur principal, le MRU, et sur un élément historique précis, qui n’avait
pas été étudié systématiquement jusqu’alors : les expériences innovantes menées par
le MRU dans le domaine de la construction de logements entre 1945 et 1962. Les
sources utilisées sont les archives du MRU, de la Caisse des Dépôts et consignations,
des communes et des organismes d’HLM, des entretiens et des études démographiques et sociologiques utilisées par le MRU. De ce fait il s’agit autant d’une histoire politique et sociale que d’une histoire technique et économique et des chapitres
consacrés à la politique publique des grands ensembles à l’échelle nationale alternent
avec des études de cas, permettant de manifester la diversité des opérations et des
structures avec lesquelles le ministère était amené à travailler. À Creil et à Angers le
MRU mena lui-même les chantiers, dont les logements furent gérés par les Offices
locaux d’HBM, alors que les grands ensembles de la Dame Blanche et des Carreaux à
Garges-lès-Gonesse et Villiers-le-Bel furent construits par des acteurs privés (la SCIC
et Baticoop). Les études de cas permettent de comprendre les relations entre le MRU
et ses partenaires et de mesurer quel a été l’impact de ces relations dans la mise en
œuvre des divers programmes de construction puis dans l’élaboration d’une politique
publique des grands ensembles. Dans ces études apparaissent aussi l’accumulation des
projets sur les mêmes terrains et l’articulation des différentes temporalités dans les
questions urbaines : le temps long des idées en matière d’urbanisme et l’architecture,
le temps moyen des projets et des options politiques, le temps court des opérations
de construction et de la conjoncture politico-financière.
Ce travail a permis d’apporter des éléments nouveaux à la connaissance de la
France des années 1945-1962, en particulier concernant l’État des débuts des Trente
Glorieuses et les grands ensembles. Son apport principal est de démontrer que la
construction des grands ensembles ne fut ni imposée de façon brutale par les circonstances et par un modèle préconçu mais qu’elle fut le résultat d’une volonté politique.
Elle a été élaborée par une comparaison minutieuse des avantages et des inconvénients des différentes formules de construction. Par ailleurs, ce choix a été fait en
dépit des nombreuses insuffisances qu’il présentait et dont les responsables publics
et des acteurs privés avaient conscience. Ce choix n’a pas été effectué de façon irra-
habilitations, thèses, masters
157
tionnelle ou incohérente mais semble le fruit d’une méthode de travail pragmatique et
scientifique. Cette méthode, qui est celle des ingénieurs et des industriels, consiste à
expérimenter et à améliorer diverses formules avant d’opter pour la moins mauvaise
et de la développer à grande échelle. Cette politique technique se voulait néanmoins
au service d’idéaux humanistes, hérités des réflexions de l’Entre-Deux-Guerres, de la
Résistance et du christianisme social de nombreux dirigeants du MRU.
Cette thèse vient combler une lacune de l’histoire urbaine contemporaine, entre
les lotissements de l’entre-deux-guerres – Annie Fourcaut, La banlieue en morceaux, la
crise du logement défectueux en France dans l’Entre-Deux-Guerres, Paris, Créaphis, 2000
– et la reconstruction et les villes nouvelles – Loïc Vadelorge (dir), Gouverner les villes
nouvelles : le rôle de l’État et des collectivités locales, 1960-2005, Paris, Le Manuscrit, 2005.
En outre, elle fait remonter vers l’amont la chronologie auparavant utilisée pour les
grands ensembles en France. Ainsi l’après-guerre n’apparaît pas seulement comme le
moment de la Reconstruction mais également comme celui où se mirent en place les
instruments politiques et techniques qui permirent par la suite la construction des
grands ensembles. Les chantiers expérimentaux, qui n’avaient été étudiés que ponctuellement jusqu’à maintenant, sont étudiés globalement et l’étude de cas sur Creil
montre concrètement comment ils furent à l’origine du secteur industrialisé. Ce secteur, qui n’avait pas encore fait l’objet d’une étude historique globale, fut un épisode
majeur de la genèse de la politique des grands ensembles. Enfin l’analyse des enquêtes
et des consultations commandées et/ou utilisées par le ministère à propos des grands
ensembles entre 1955 et 1961 est également neuve et permet de mieux comprendre
les choix et les méthodes du ministère et de certains hommes-clés comme Pierre
Sudreau, soumis à des contraintes et à des aspirations multiples et souvent contradictoires.
Ce travail a mis en lumière la diversité des grands ensembles et permet de sortir
de certains lieux communs. Ainsi le ministère faisait une évaluation très nuancée de
sa propre politique et ses décisions n’ont pas été dictées par le seul souci de limiter
les coûts. D’autres critères de choix, tels que la modernité et la longévité des réalisations, étaient aussi importants que le prix de la construction. De même, alors que
l’on pensait que les grands ensembles avaient dans un premier temps bénéficié d’un
état de grâce de la part des habitants, il ressort que l’insatisfaction vis-à-vis de la
construction industrialisée fut très précoce. De nombreux habitants dénoncèrent dès
le début des logements trop petits et trop fragiles et des quartiers trop anonymes et
mal équipés, en particulier pour les jeunes. La thèse permet de connaître un peu plus
les premiers habitants de ces quartiers et d’éclairer la position et le choix de certains
Offices publics par rapport à la politique du MRU. Enfin, elle montre un nouveau visage
de l’État de cette période : non pas celui d’une technocratie toute-puissante et sûre
158
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d’elle-même mais celui de dirigeants hésitant et partagés et de ministères manquant
cruellement de moyens, contraints de solliciter de nombreux autres acteurs pour
mener à bien leur politique de construction.
Usages et usagers de la route pour une histoire de moyenne durée 
(1860-2008)
Jean Orselli, Thèse sous la direction d’Annie Fourcaut, université Paris 1, 2009, 4 vol.,
cote T 1478/1-2-3-4
Bicyclettes et automobiles pénètrent vers 1900 le marché des voitures attelées.
Des textes spécifiques visant une meilleure sécurité sont refondus dans le Code de
la route de 1921, élaboré avec les associations d’usagers. Après 1920, la mobilité croit
vivement. L’essentiel des règles de circulation est acquis en 1939. Une ordonnance
de 1958 remplace la Loi de 1851. Le développement de l’automobile de masse augmente le nombre des victimes après 1960. Des règles complémentaires, limitation des
vitesses sur route, port de la ceinture de sécurité et du casque, limitation de l’alcoolisation des conducteurs, élaborés à partir de 1959, ne sont édictées qu’après 1970.
Le nombre des tués commence à décroître. Les associations s’étiolent après 1970. La
répression indispensable ne peut s’imposer. Une nouvelle politique vise la responsabilisation des usagers après 1981. Elle fera faillite et un renversement augmentant la
répression divisera par deux le nombre de tués entre 2001 et 2008.
Une impossible tâche ? L’institut de droit international  
et la régulation des migrations internationales (1870-1920)
Philippe Rygiel, HDR, université Paris 1, 2011, cotation en cours
L’Institut de Droit International (IDI), né en 1873, réunit les plus brillants internationalistes d’alors Attentifs aux transformations de l’ordre international, ses membres
y évoquent fréquemment les problèmes juridiques que créent aux chancelleries les
migrations internationales. Ce forum où s’échangent informations et idées en fait un
lieu idéal pour qui entend se prononcer sur la lex lata et repérer les propositions
que la majorité des juristes présents, font alors leurs. L’IDI n’est pas cependant un
forum ouvert à toutes les traditions juridiques, mais une force et une communauté de
projet. Né des bouleversements du monde des associations pacifistes au début des
années 1870, il rassemble d’abord les plus bourgeois, les plus pragmatiques et les plus
conservateurs de ses membres qui entendent bâtir l’ordre juridique qui permettra de
préserver la paix entre les nations européennes Celui-ci sera un ordre libéral, dominé
par un libéralisme de la liberté, attaché, en matière économique, aux enseignements
d’Adam Smith. Animés souvent d’une foi profonde, ces hommes sont profondément
attachés aux droits de la personne, confiants en le règne de la loi, convaincus aussi que
habilitations, thèses, masters
159
le commerce sans entraves entre les nations est facteur de paix et de progrès. Leur
libéralisme est un acte de foi, une éthique, une politique aussi, de même que le droit
international qu’ils entendent instituer est un projet et une idéologie en même temps
qu’une entreprise scientifique.
Beaucoup sont tentés de voir en leurs critiques parfois de la marche du monde,
d’impuissantes protestations. Parce que cependant, cette tradition ne s’interroge pas
sur les inscriptions sociales des acteurs, ne les suit pas sur tous les théâtres où se déploient leurs activités, elle ignore une dimension essentielle de ce qui fait des hommes
de l’IDI une force.
Les plus influents d’entre eux sont de très polygraphes professeurs d’université,
mais aussi des hommes d’influence et de pouvoir, engagés, à l’échelle de l’Europe, en de
multiples combats, dont les champs de bataille sont aussi bien les bureaux des chancelleries, que les amphithéâtres des facultés ou les conférences internationales. Jusqu’en
1914, ces juristes diplomates, souvent dotés de puissants relais politiques, parfois liés
au monde du négoce et de la banque, tenteront d’imposer, puis de défendre, un ordre
international libéral, le règne du droit à l’intérieur de leurs frontières, la paix entre les
nations enfin. Ils sont, avec d’autres, les mains invisibles de la première mondialisation.
C’est par là qu’ils touchent à l’histoire des migrations. L’idée d’un régime spécifique des migrations de travail est loin de leurs conceptions, mais la circulation sans
entraves des hommes est pour eux une nécessité, économique aussi bien qu’éthique,
parce que la liberté de se déplacer est de droit naturel. Elle suppose, pour être effective, que les étrangers soient partout traités comme des sujets de droit. Cela n’est pas
encore le cas partout en Europe pour les étrangers au milieu du xixe siècle. En cela encore, ils poursuivent les combats des juristes de l’Ancien régime et traquent les restes
des régimes juridiques, anciens, qui voyaient le souverain octroyer à chaque groupe, en
fonction des intérêts du moment, un ensemble de droits et de privilèges révocables
et laissait certains incapables de faire reconnaître leurs droits. Ils parviendront en bien
des cas, à faire sanctionner par les États leurs propositions en ce sens.
Internationale juridique, protestante et libérale durant les premiers temps de son
existence l’IDI a tout au long de cette première phase de son existence tenté d’étendre
son influence. Il est cependant, avant 1914, dominé par les représentants de quelques
pays seulement : États attachés au statu quo en Europe et dont l’ordre juridique interne
dérive du code civil français. Le droit international qu’élabore alors l’IDI, qu’elle veut
le droit des nations civilisées, est de fait un droit européen et continental, dont les
propositions sont acceptables surtout dans le cadre d’une Europe juridique latine
quelque peu étendue et pour peu de temps. En effet, l’essor du nationalisme juridique
qui suit la Grande guerre sonne le glas des édifices élaborés par les hommes de l’IDI.
Leurs constructions en effet n’ont de chances de devenir traités ou accords inter-
160
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
nationaux que si les États-Nations en acceptent les termes. La raison n’en vient pas de
ce qu’ils sont incapables de concevoir un ordre juridique dépassant les limites imposées par la notion de souveraineté, mais ils vivent dans un monde d’États souverains.
L’enjeu, pour eux n’est pas de dénoncer les principes qui gouvernent leur monde mais,
au moins pour les personnalités les plus influentes plus attachées à l’effectivité de leur
action qu’au raffinement de la pensée, de trouver les moyens d’y faire vivre les valeurs
et les principes qu’ils défendent.
Cela limite leurs marges de manœuvre quand il s’agit pour eux de défendre la
liberté de circulation des individus et les place de fait sur la défensive, à partir du
milieu des années 1880. Le dernier quart du xixe siècle est en effet marqué à la fois
par une intensification des circulations et par la volonté croissante d’États, dont les
capacités d’action augmentent en même temps que les besoins, de les connaître et
de les contrôler mieux, de les capter à leur profit aussi. Engagés en une compétition
sans merci, les dirigeants des États-Nations qui prennent alors une figure nouvelle
sont, de plus, soucieux du coût d’un État social naissant dont il est fréquent que les
étrangers soient exclus. Ils sont aussi particulièrement soupçonneux à l’égard de toute
« affiliation transterritoriale », susceptible d’affaiblir la loyauté des populations sous
leur empire, vitale alors que nous sommes entrés déjà à l’ère des guerres de masse.
La nécessité de définir plus clairement les contours du corps des citoyens découle de
ce double mouvement, des changements de la figure d’un État qui non seulement fait
des individus des bénéficiaires de son aide, mais entend aussi pouvoir exiger de tous
leur consentement au sacrifice. De ces transformations procèdent tant les entreprises
de nationalisation d’une partie des populations résidentes ainsi que la politisation des
questions liées à la définition de la citoyenneté, devenue statut social en même temps
que gage de participation politique, et à l’immigration.
Cela se traduit par la multiplication des expulsions et l’irruption d’une xénophobie
politique qui généralement exige tant la clôture du corps des citoyens que la fermeture
des frontières. Les victoires cependant de ses tenants ne sauraient être complètes, car
d’autres forces émergent, celles d’un capitalisme industriel en particulier, dont les États
dépendent pour leur puissance, et dont les représentants entendent préserver leur
libre accès à la main-d’œuvre dont ils dépendent, voire en contrôler le recrutement,
impulsant une dynamique qui fait du travail humain une marchandise échangeable pardelà les frontières avec l’assentiment des États. À l’ouest de l’Europe, la traduction de
ces équilibres est l’émergence d’une figure, à la fois juridique et sociale, nouvelle, celle
du travailleur immigré. Les inégalités juridiques se recomposent au sein de l’Europe
occidentale tendant à faire du droit à passer les frontières un privilège de classe et de
race et du travailleur étranger la nouvelle figure du danger social.
Les hommes de l’IDI sont mal armés pour faire face à ces évolutions. Certaines
habilitations, thèses, masters
161
ne peuvent que les horrifier. Cosmopolites par éducation et par fonction, ils sont
porteurs d’un libéralisme éthique dont les valeurs entrent en conflit avec les effets du
développement de l’État-Nation et du capitalisme et la dissociation qu’il opère entre
le travail humain et la personne qui le porte.
Les plus pragmatiques ne peuvent cependant que constater que les États d’immigration entendent régler unilatéralement le franchissement de leurs frontières et le
statut des travailleurs migrants. Pris à revers, l’IDI apparaît en ces matières, à partir
du milieu des années 1880, sur la défensive. Son fondateur arrache à l’assemblée une
condamnation des expulsions de masse, assortie de l’expression du refus que le droit
à la mobilité soit fonction de la race. L’intervention sonne comme une condamnation
morale, au nom de valeurs archaïques, des usages d’un monde nouveau. À partir de la
fin des années quatre-vingt-dix, l’IDI n’intervient plus guère en ces domaines.
Le constat ne diffère guère pour ce qui tient à la protection des réfugiés politiques.
Là encore le libéralisme de principe de ses membres se brise sur les réalités politiques
de la fin du siècle. Les juristes de l’IDI mettent alors en forme le droit d’un ordre
libéral qui refuse asile et statut à ceux qui le contestent.
Les générations ultérieures ont jugé sévèrement ce bilan. L’Institut est cependant,
durant plusieurs décennies, un lieu d’échanges et de dialogue, qui permet, à l’échelle de
l’Europe continentale, l’élaboration d’un langage commun et par exemple une entente
sur ce qu’est l’extradition, ainsi que l’émergence de propositions qui, de fait, modèlent
l’ordre international des circulations du monde d’avant 1914.
Elles offrent aussi, et cela est conforme aux vœux des fondateurs de l’Institut, des
ressources mobilisables à ceux qui mènent des combats locaux, leur permettant de
rejoindre une communauté de valeurs que le droit international, tel que l’entendent
les hommes de l’IDI, a pour tâche de faire advenir.
Les hommes de l’IDI figurent en bonne place dans ces luttes locales. Inamovible
jurisconsulte du quai d’Orsay, Louis Renault nous offre le plus patent exemple de ces
logiques, des ambiguïtés aussi et des contradictions dont parfois elles s’accompagnent.
Il peaufine, ou façonne, dans le cadre de ses fonctions, un argumentaire libéral, qui
contribue tant à fixer les positions de la diplomatie française qu’à fournir à ses représentants un argumentaire, présenté souvent à la Chambre. Il contribue ainsi, avec le petit groupe concret qui l’entoure, à forger un droit dont ils enseignent à des générations
de thésards qu’il est l’ordre international autant que son devoir-être. Ils contribuent
ainsi, jusqu’en 1914, à l’approfondissement et au maintien par la France d’un libéralisme
migratoire – prompt certes à s’accorder, quand les circonstances l’exigent, à la raison
d’État – dont les principes et valeurs imprègnent profondément l’enseignement délivré par les facultés de droit durant plusieurs décennies.
Par cela déjà nous touchons à l’histoire des migrations et de leurs régulations.
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Cette étude nous offre quelques lueurs sur ce qui « precisely went on during the “liberal period” in the decades before the First World War ». Le moment est sans doute
le plus mal connu de l’histoire du contrôle des mobilités. La première conclusion permise par nos travaux est que « l’étrange parenthèse libérale » du milieu du siècle n’est
pas absence d’une politique, ni produit d’un désintérêt ou d’une méconnaissance des
mouvements migratoires. Les formes, l’intensité des flux migratoires, dès le milieu du
siècle, sont pris en compte ainsi par l’appareil diplomatique français.
Cet interlude libéral est le produit aussi d’une politique en ce que certains des
principes qui le structurent sont promus par des forces qu’il est possible de spécifier
socialement et idéologiquement et qui en intègrent les éléments à un projet de civilisation. Il faut chercher cependant les textes qui organisent la liberté de circulation,
tempérée par la pratique fréquente de l’expulsion, moins dans les archives des parlements que dans celle des chancelleries et les clauses des traités de navigation et de
commerce. Elle est un sous-produit de l’édification d’un ordre libéral à l’échelle de
l’Europe.
En matière de migration celui-ci demeure, aux yeux de ses défenseurs, partie d’un
ordre des circulations, rassemblement par nous en un ensemble de certaines des
règles définissant les formes modernes du commerce entre les nations, condition de
la paix entre elles et de la prospérité de chacune.
La volonté, des États, de régler unilatéralement les questions d’immigration, a
conduit parfois à considérer, puisque le contrôle des frontières relevait de la pure souveraineté des États, que les politiques en ce domaine pouvaient s’analyser uniquement
en référence aux luttes politiques internes ou aux traditions nationales. C’est oublier
que l’absolue souveraineté interne des États et la totale autonomie de leurs ordres juridiques sont à la fois des vouloir-être et des fictions, dont ne peuvent s’approcher que
les plus puissants d’entre eux et que les conditions de l’exercice de la souveraineté
interne sont déterminées par les rapports entretenus avec les autres souverainetés.
Or, ce que nous apprennent les hommes de l’IDI est que tout franchissement de frontière, toute présence étrangère, institue alors de facto un rapport entre États. Il prend
à l’époque une dimension nouvelle, du fait de l’affirmation du caractère national des
États. Dans le même mouvement, ceux-ci entendent régler les droits des individus selon une nationalité qui doit être précisément connue et s’affirment patrons et protecteurs, où qu’ils soient, de tous leurs ressortissants. C’est donc la nationalisation même
de la gestion des migrations qui en fait d’évidence une question de droit international.
C’est par là, sans doute, que ces débats retrouvent une actualité à l’heure où des
libéraux influents exigent l’abolition des frontières assimilant « Citizenship in Western
liberal democracies » à « an inherited status that greatly enhances one’s life chances.
Like feudal birthright (…) hard to justify » en de vibrants plaidoyers qui ignorent par-
habilitations, thèses, masters
163
fois tout à fait que le monde n’est pas uniquement constitué d’individus détenteurs de
droits par le fait seul qu’ils appartiennent à une commune humanité et d’États dont la
fonction première est d’instituer la liberté de tous.
Sociétés urbaines en mutation : mobilités sociales et géographiques à Mannheim
et Fribourg de 1871 à 1933
Frédéric Saly-Giocanti, Thèse en co-tutelle sous la direction d’Annie Fourcaut et de Franz
Quarthal, université Paris 1/univ.rsität Stuttgart, 2009, 3 vol., 525 p., cote T 1519 SAL
Quelles transformations structurelles des sociétés urbaines ont été induites par
l’urbanisation accélérée de l’Allemagne entre 1871 et 1933 ? Mannheim, grande agglomération industrielle rhénane du nord du Pays de Bade, et Fribourg, ville centre
du Sud badois, cité archiépiscopale et administrative traditionnelle, de taille moyenne,
constituaient un excellent observatoire. L’exploitation des très riches sources sérielles
de la statistique publique et celle des actes de mariage catholiques et protestants,
contractés en 1882 et en 1925 dans ces deux villes, en particulier grâce à l’utilisation
des techniques d’analyse factorielle (ACM), de régression logistique et des chaînes de
Markov, ont permis d’établir quelques résultats.
La croissance de ces deux villes a été extrêmement rapide, nourrie en permanence par un intense exode rural, très sensible à la conjoncture économique et sérieusement affaibli après 1918. Une des hypothèses à l’origine de ce travail reposait sur
l’idée que la mobilité sociale était plus intense dans une grande métropole industrielle
(Mannheim) que dans une ville universitaire plus traditionnelle (Fribourg). Elle ne s’est
que très partiellement vérifiée. Mannheim est dès 1882 un centre industriel important
caractérisé essentiellement par le poids des industries lourdes (chimie, métallurgie,
etc.), dont la production est orientée vers la demande du marché national. Mais à Fribourg le secteur industriel est loin d’être négligeable, même s’il contribue moins à la
notoriété de la ville que son université. Il est davantage orienté vers la satisfaction des
besoins du marché local (alimentation, textile, produits de l’artisanat, etc.). Ces deux
villes sont donc l’une et l’autre engagées dans des processus d’industrialisation, mais
selon des rythmes décalés et surtout avec des activités de nature différente. Ces processus différenciés ont eu un fort impact sur les transformations sociales, observées
à travers les mutations du marché du travail, la mobilité sociale, les comportements
matrimoniaux et l’origine géographique des migrants.
La comparaison des structures socioprofessionnelles dans les deux villes permet
de s’interroger sur les mutations et de proposer des hypothèses pour différencier
celles qui relèvent des conditions particulières propres à chaque ville et celles qui
témoignent de modifications globales des sociétés urbaines à l’âge industriel. À Mannheim comme à Fribourg, l’emploi féminin a certes progressé pendant la période, mais
164
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reste étroitement cantonné à quelques métiers souvent peu qualifiés. Les couches supérieures de la société sont relativement plus développées à Fribourg qu’à Mannheim
et leurs membres sont très largement originaires d’autres régions d’Allemagne, du
moins en 1882, tandis que les couches populaires sont de recrutement beaucoup plus
local. Au monde ouvrier déjà constitué, homogène et fortement qualifié, de Mannheim
dès 1882, s’oppose celui de Fribourg, faible en nombre et peu qualifié, mais en rapide
essor. Les couches moyennes, à peine existantes en 1882, sont devenues importantes
en 1925, en particulier à la faveur du développement de la fonction publique. L’artisanat s’est effondré. Dans les deux villes l’âge au mariage est étroitement lié au statut
social. Plus ce dernier est élevé, plus on se marie tard.
En comparant Fribourg, très majoritairement catholique, avec Mannheim, ville biconfessionnelle avec une égale proportion de catholiques et de protestants, une des
ambitions de ce travail était d’interroger l’impact de la confession sur les migrations et
les différences sociales. Les comportements migratoires, le choix de la profession, les
perspectives intergénérationnelles d’ascension sociale et les stratégies matrimoniales
sont-ils fortement liés à la religion des individus étudiés ? Il est apparu que celle-ci a
pesé relativement peu, et de moins en moins, sur les processus de transformation à
l’œuvre. Dans le domaine des migrations, les catholiques et protestants migrent vers
les villes dans des conditions analogues. Toutefois Fribourg, bien que ville très majoritairement catholique, attire davantage les protestants et Mannheim, malgré sa légère
majorité protestante, attire un peu plus les catholiques.
La confrontation de la position sociale des pères ou des beaux-pères avec celle des
fils a été riche d’enseignements. L’hérédité dans le métier est faible. D’une génération à
l’autre, pères et fils ont rarement le même métier, mais cette mobilité professionnelle
ne signifie pas pour autant qu’il y ait mobilité sociale. La position hiérarchique dans la
société se perpétue à travers les générations, notamment grâce aux choix conjugaux.
Elle est encore très forte en 1882 et tend à reculer lentement au xxe siècle. La mobilité sociale progresse dans les deux villes, avec des différences sensibles cependant. À
Mannheim, les perspectives de mobilité sociale sont plus importantes, en particulier
dans des catégories intermédiaires (les ouvriers qualifiés, les marchands ou les fonctionnaires et employés). Celles-ci constituent le véritable pivot de la mobilité sociale
ascendante ou parfois descendante. À Fribourg la mobilité d’une génération à l’autre
est importante, mais à l’intérieur de groupes sociaux encore nettement hiérarchisés.
Les fils de grands négociants, d’entrepreneurs, s’ils ne pratiquent pas la même activité
professionnelle que leur père, deviennent des hauts fonctionnaires ou des employés
de haut niveau : le monde des élites reste dans l’ensemble fermé. Les fils de travailleurs
non qualifiés ont peu de chances d’accéder à des emplois qualifiés et presqu’aucune
de devenir membres des couches supérieures
habilitations, thèses, masters
165
La mobilité sociale est étroitement liée aux migrations, très importantes dans la
période étudiée. Il n’y a pas en général de spécialisation régionale forte associée à
des appartenances professionnelles précises. L’hypothèse selon laquelle les citadins
viendraient plus particulièrement de telle ou telle région en fonction du métier qu’ils
exercent n’a pas été vérifiée dans les sources. En revanche, dans les deux villes, il y a
une étroite corrélation entre la région de naissance et le statut social. Les paysans et
les ouvriers peu qualifiés viennent des environs proches. À l’inverse, les employés et
fonctionnaires supérieurs, les entrepreneurs viennent de plus loin et parfois de régions
très éloignées d’Allemagne, mais rarement de l’étranger (sauf d’Alsace après 1918 ou
de Suisse). Les migrants les plus qualifiés étaient déjà citadins avant de s’installer en
ville, ils venaient en général de métropoles grandes ou moyennes.
Ainsi la comparaison des structures économiques et sociales de Mannheim et
Fribourg, éclairée et complétée par celles des différences religieuses, met en évidence
l’universalité des processus de mutation sociale liés à l’industrialisation mais permet
aussi d’observer les nuances qu’introduisent les différences économiques, spatiales et
plus rarement culturelles. L’industrialisation se décline au pluriel.
Race et nationalité dans le droit colonial français. 1865-1955
Yerri Urban, Thèse codirigée par Patrick Weil et Patrick Charlot, université Paris 1/université
de Bourgogne, 2009, Cujas cote M/99.946.36 et R/99.946.36 - Paris 1 Bibliothèque Recherche
africaine cote 21270
Partant du constat que, sous le second Empire colonial français (qui connaît son
apogée sous la IIIe République), la distinction entre colonisateur et colonisé s’exprime
par le biais du droit de la nationalité, cette thèse se propose d’étudier l’histoire du
droit de la nationalité propre aux colonisés (qu’on appelle alors indigènes), plus particulièrement quant à son articulation avec la notion, parfois ambiguë, de race. En effet,
durant un court siècle (1865-1955), le droit français de la nationalité ne se résume pas
à la distinction entre nationaux et étrangers : il comporte trois catégories (le Français,
l’étranger et l’indigène) auxquelles peut s’ajouter, dans de nombreux territoires, une
quatrième (l’étranger assimilé à l’indigène). Soumise aux contraintes du concept juridique et politique de civilisation, du régime législatif, de la conception de la nationalité
exprimée par le Code civil de 1804 et de la situation géographique et géopolitique,
l’histoire de ce droit résulte de dynamiques multiples et constantes.
Entre 1834 et 1916, ce droit de la nationalité, consacré en 1865, est progressivement instauré. Dans une première partie : « Instaurer un droit de la nationalité pour les
colonisés 1834-1916 », on étudie son émergence, tandis que la France établit sa présence en Algérie. Adopté dans le cadre de la politique du Royaume arabe de Napoléon
166
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
III, le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 pose les principes de ce nouveau droit, conçu
comme l’expression d’un compromis entre mission civilisatrice et principe des nationalités. Le terme « nationalité française » y prend deux significations différentes : celui
d’une nationalité de droit public qu’il instaure et dans laquelle s’insèrent la nationalité
française de droit privé du Code et la « nationalité arabe » de l’indigène musulman, qui
peut s’assimiler à la nation française par le biais d’une naturalisation, conçue comme
une « conversion à la civilisation ». Mais le triomphe des thèses colonistes en 1870 va
entraîner une lecture du texte qui en modifie profondément la signification : l’indigène
est présenté comme un non-citoyen dont la nationalité française est incompatible avec
l’existence de sa propre nationalité. La catégorie « indigène » continuera d’exister,
mais on évitera soigneusement de parler de nationalité à son propos. Ce nouveau
droit se développe par la suite, dans le sillage de l’expansion coloniale de la IIIe République, laquelle va préférer recourir au protectorat dès que le droit international
public le permet, ce qui aboutit à un double tournant en 1887 : d’une part, s’agissant de
la naturalisation, les nationaux de protectorats (Annam-Tonkin, Tunisie) peuvent être
naturalisés français dans leur propre pays, mais la naturalisation est cette fois réservée
aux seules élites qui collaborent à la domination française. Cette conception, qui restera d’abord limitée aux protectorats, sera étendue aux colonies dans les années 1910.
D’autre part, en privilégiant une conception réaliste de la domination française qui
implique la mise en place d’un système analogue à celui en vigueur dans les territoires
français, en mettant indigène sujet et indigène protégé sur le même plan, le législateur
créé un nouvel espace dans le droit de la nationalité ou la qualité d’indigène prévaut
sur le statut du territoire d’origine, où l’indigène devient une catégorie autonome qui
se subdivise en deux sous-catégories. Cette tendance à l’accentuation de l’infériorité
de l’indigène, renforcée par les refontes de la législation sur la nationalité française en
Algérie (1889) ainsi qu’en Indochine et dans les colonies (1897), est mise en cause par
la loi de 1916 reconnaissant aux originaires des quatre communes du Sénégal la jouissance des droits des Français tout en étant partiellement soumis au droit musulman.
Dès 1871 émerge une grande question, celle de la race, qu’on se posera le plus
intensément en Indochine jusqu’en 1937 et qui fait l’objet de la deuxième partie : « Le
droit de la nationalité doit-il ignorer la race ? 1871-1937 ». Cette période donne lieu à
de multiples affrontements, doctrinaux, jurisprudentiels, entre justice et administration locales, entre administration locale et administration métropolitaine. Ils ont pour
objet des problèmes juridiques et politiques apparemment secondaires : les étrangers
assimilés aux indigènes et les métis, mais cela revient à poser, en réalité, la question de
la définition de l’indigène. Si, dans la plupart des territoires sous domination française,
celui-ci est conçu de manière purement négative, comme non-Français, non-étranger,
il en va autrement en Indochine où, dès la fin du xixe siècle, on voit apparaître et se
habilitations, thèses, masters
167
développer une conception de l’étranger assimilé et de l’indigène sanctionnant une
lecture de la mosaïque ethnique en terme nationaux et raciaux, où la race est conçue
comme mi-ethnique, mi-biologique. Alors que la Cour de cassation rejette en 1905
une définition raciale de l’indigène, la volonté d’instaurer le droit du sol double dans
les colonies et en Indochine aboutit à ce que les étrangers assimilés se voient interdire
toute possibilité d’accéder à la nationalité française en 1928, puis, à partir de 1930, à
l’adoption de textes spécifiques en Indochine et dans les colonies insulaires (Madagascar, Établissements français d’Océanie, Nouvelle-Calédonie) restaurant le jus sanguinis
afin d’éviter que des étrangers de droit commun originaires d’« États semi-civilisés »
(les Chinois, surtout, qui, en Indochine, deviennent étrangers de droit commun suite à
une convention de 1930) ou de colonies étrangères ne deviennent automatiquement
français. La question des métis d’Européens et d’indigènes nés de parent inconnu qui
se développe surtout dans les années 1920 témoigne d’une nouvelle offensive des
tenants d’une lecture raciale des catégories, le critère de la race biologique étant
préféré ou privilégié par rapport à celui de la socialisation. Les décrets sur les métis
adoptés à partir de 1928 en Indochine d’abord, puis en Afrique noire et dans les
colonies insulaires, qui leur permettent de se voir reconnaître la nationalité française
principalement sur le fondement de leur appartenance raciale ne constituent toutefois
qu’un succès limité au cas des enfants de parent inconnu. Le traitement de la question
des métis sino-indigènes « légitimes ou naturels » dans les années 1930 privilégie au
contraire le critère de la socialisation de l’indigène : après les avoir regardés comme
des Asiatiques étrangers tout en leur reconnaissant un statut proche de celui des
indigènes, le colonisateur, invoquant le danger que représenterait leur allégeance effective à la Chine et leur transformation en étrangers de droit commun, fait en sorte
qu’ils soient automatiquement indigènes et adopte ce faisant les dispositions les plus
complètes définissant ces derniers, organisées autour du jus sanguinis et du métissage.
À partir de 1918, ce droit de la nationalité spécifique connaît un affaiblissement
qui n’ira qu’en s’accentuant : c’est « Le dépérissement d’un droit 1918-1955 » qui est
traité dans une troisième partie. Dès 1918, le droit international organisé autour du
concept de civilisation entre en déclin, avant de disparaître en 1945 ; en 1927, le lien
entre nationalité française et Code civil est rompu ; les revendications politiques des
peuples colonisés sont de plus en plus insistantes ; en 1940 le régime de Vichy instaure
une législation raciale, tandis que la Libération et la IVe République ouvrent la perspective de l’égalité entre peuple français et peuples d’outre-mer. Dans ce contexte, les
textes relatifs à la naturalisation adoptés dans l’entre-deux-guerres demeurent dominés par la perspective de la francisation des élites, notamment à cause de la faiblesse
numérique des Français d’origine européenne dans les « colonies d’exploitation » et
les réflexions théoriques les plus abouties sur l’indigène démontrent en même temps
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
168
à quel point cette catégorie peut être insaisissable, surtout en ce qui concerne les
indigènes protégés. Ce droit de la nationalité spécifique disparaît progressivement par
la suite. L’originaire de l’outre-mer devient peu à peu une sous-catégorie de Français,
sous Vichy parce que le régime tend à transformer l’indigène en catégorie raciale et
sous la IVe République parce que ce droit est considéré comme discriminatoire. La
naturalisation, supprimée en principe par la Constitution de 1946, survivra jusqu’à un
avis du Conseil d’État de 1955.
master 2
•
précédant des entrées de master indiquent, pour l’année 2009-2010, que
Les trois
ces derniers ont été remarqués pour leur qualité. Chacun fait l’objet d’un article dans
ce même bulletin, voir supra p. 83-119.
Acherar Dounia, Musique en musée. Pour une histoire du Musée de la musique
de Paris, M2 sous la direction de Pascal Ory, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 221 p.,
cote T 1581 ACH
Retarder de quelques minutes l’écriture de ce mémoire, le temps d’un lied de
Schubert. Un éternel retour vers l’expérience musicale avant le prolongement de la
mélodie dans les écritures muséographique et historique. Ces premières mesures de
Ständchen, Sérénade dont la mélodie circule de Liszt aux Platters, d’instrumentistes en
allègres siffleurs, sonnent en creux comme un appel à interroger la diffusion, la conservation et les modes
d’appropriation du patrimoine musical. Comment conserver l’objet
musical dans sa double
nature, matérielle et
immatérielle ? Au-delà
de l’instrument, comment conserver l’éphémère portée de la voix
et du son ? L’édification
d’une structure muséale pérenne permet-
habilitations, thèses, masters
169
trait-elle alors de chasser la crainte de la disparition des résonances, matières graciles
de nos subjugations ?
Tant de questions auxquelles ce travail, voué ces deux dernières années à l’élucidation des processus de création du Musée de la musique de Paris, tâchera d’apporter
des premières réponses.
André Philippe, Les ambassadeurs de l’ombre. Les délégués militaires régionaux
(DMR) du général de Gaulle, septembre 1943-septembre 1944, M2 spécialité
Histoire de la Résistance, sous la direction d’Olivier Wieviorka, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, 681 p., cote T 1601 AND
« Je crois qu’on peut comparer le travail historique à un vaste puzzle. L’historien tente de reconstituer le passé à l’aide de traces de toute nature, afin d’en donner une image intelligible. Peu à peu, au
hasard de la découverte, les historiens y apportent des pièces nouvelles et disparates et s’efforcent
de les emboîter pour faire apparaître le motif final » [Cordier Daniel, Jean Moulin. La République des
catacombes, Paris, Gallimard, 1999, p. 841].
Envoyés en France après les arrestations consécutives du chef de l’Armée secrète
(AS), le général Delestraint, et de Jean Moulin, délégué du général de Gaulle en France,
à l’été 1943, les délégués militaires de région (DMR) [on utilisera indifféremment les
termes de délégué militaire régional et de délégué militaire de région, ceux-ci ayant
été usités sans distinction en 1943-1944 et dans l’après-guerre]. Ils incarnèrent la réponse stratégique du BCRA pour pallier cette décapitation. La mission de ces officiers
s’inscrivait dans une perspective nouvelle : mettant un point final à la centralisation
longtemps prônée, les drames de l’été 1943 conduisirent le BCRA, sous la pression
des services britanniques, à envisager la décentralisation des actions paramilitaires aux
échelons de la zone [la délimitation entre les deux zones était matérialisée par la ligne
de démarcation, même après l’envahissement de la zone non-occupée par l’armée
allemande en novembre 1942] et de la région. La mission des DMR revêtit alors un
double rôle : d’une part organiser et coordonner la résistance paramilitaire des mouvements à cette nouvelle échelle, d’autre part mettre en place des plans de sabotages,
conçus par le BCRA et approuvés par les Alliés, en vue de faciliter la réalisation d’un
hypothétique débarquement sur les côtes françaises. Leur directive les définissait donc
à la fois comme des ambassadeurs et des techniciens [organisation paramilitaire de la
Résistance, 25 août 1943, AN 3 AG 2/liasse 227/dossier 1/pièce 4. On trouve également cette instruction en AN 3 AG 2 liasse 188/dossier 3/pièce 10 et au SHD, SHD 13
P 2]. Leur mission traduisit également la volonté de reprendre en main la direction de
la résistance militaire en France, où les chefs de mouvements redoublèrent d’efforts,
depuis les disparitions de juin 1943, pour s’affranchir de la tutelle londonienne.
Déposés en France à partir de septembre 1943 pour installer le nouveau canevas
régional de l’organisation paramilitaire de la Résistance française, les premiers DMR
170
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
durent faire face à des difficultés multiples, les éloignant des directives contenues dans
leurs instructions. Considérés avec suspicion par beaucoup de résistants de l’intérieur,
qui les percevaient comme des nouveaux venus chargés de prendre le contrôle de la
Résistance, ces officiers durent aussi affronter une traque impitoyable de la part de la
Gestapo, à laquelle ils paieront un très lourd tribut. Avant d’être envoyés in the field,
on leur avait clairement annoncé que 50 % d’entre eux seraient arrêtés au bout de
cinq mois de missions en France. Pour remplir leur mission, les DMR disposaient de
moyens matériels considérables – transmissions radios, argent, armes – au regard de
la pauvreté matérielle et financière de la plupart des organisations résistantes. Pendant
les douze mois que dura la délégation militaire régionale, une cinquantaine de DMR
furent acheminés en France ; globalement, une petite centaine d’officiers exercèrent
les fonctions de délégué militaire [DMN, DMR et DMD ] : leur doctrine d’emploi,
élaborée dans l’urgence à l’été 1943, évolua par retouches ponctuelles, de nouvelles
instructions s’ingéniant à combler les zones d’ombre des premières directives.
Après la diffusion à la BBC des phrases de déclenchement des différents plans de
sabotage à partir du 5 juin 1944, ceux-ci furent mis en application et jouèrent un rôle
non négligeable dans le succès du Débarquement en Normandie, en retardant – de
manière parfois importante – l’arrivée des renforts allemands sur les têtes de ponts alliées. De juin à septembre 1944, la plupart des DMR, tout en continuant à coordonner
l’action paramilitaire, participèrent directement aux combats de la Libération, prenant
la tête de groupes résistants ou maquisards pour mener la guérilla et entretenir les
sabotages l’arme à la main.
Considérés alors par bien des Résistants comme les véritables chefs de l’action militaire en France, ces missi dominici de la France libre sombrèrent après-guerre dans un
oubli profond. Noircis par la mémoire de la Résistance intérieure, les DMR survivants
adoptèrent un silence très rarement brisé par la publication de mémoires [Sonneville
Pierre, Les combattants de la Liberté. Ils n’étaient pas dix mille, Paris, La Table Ronde, 1968.
Ce furent les seuls souvenirs publiés par un ancien DMR]. Ils souffrirent également, en
tant qu’agents du BCRA, de la « légende noire » [Albertelli Sébastien, Les Services secrets de la France libre, Le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), 1940-1944,
thèse de doctorat d’histoire, Paris, Institut d’études politiques de Paris, 2006, p. 4] qui
s’abattit sur ce service dans l’immédiat après-guerre. Les représentations enveloppant
la délégation militaire la font ainsi apparaître à travers un double prisme déformant. On
peut s’étonner qu’aucun travail historique n’ait été consacré à cet objet d’étude. Les
rares travaux historiques, qui traitent – la plupart obliquement – des DMR, continuent
de les présenter à travers le regard de la Résistance intérieure, sans soulever la gangue des représentations enserrant la délégation militaire. La trajectoire mémorielle et
historique des DMR, semble – toutes proportions gardées – s’inscrire dans le même
habilitations, thèses, masters
171
mouvement que celle de Jean Moulin. Le « clandestin jusque dans la gloire » [expression utilisée par Georges Bidault, citée in Cordier Daniel, La République des catacombes,
op. cit., p. 15] qu’était Jean Moulin jusqu’à son entrée au Panthéon en décembre 1964,
continua à susciter des « jugements contradictoires [qui] étaient les pièces d’un procès en canonisation entrepris dès la Libération à l’égard de la Résistance et de ses
chefs […]. Le débat était tout aussi vif […] au sein des résistances. La plupart des chefs
des mouvements (au contraire de leurs militants) condamnaient la politique autoritaire que de Gaulle leur avait imposée et se demandaient si Moulin, homme du BCRA,
était qualifié pour représenter la Résistance métropolitaine au Panthéon » [expression utilisée par Georges Bidault, citée in Cordier Daniel, La République des catacombes,
op. cit., p. 16]. Il fallut attendre les travaux historiques de Daniel Cordier pour emboîter
les éléments disparates du « puzzle » Moulin et pour faire apparaître le « motif final »
de l’œuvre résistante de Jean Moulin. La mémoire et l’histoire des DMR, agents du
BCRA, délégués régionaux de la France Libre auprès de la Résistance, souffrent de ce
même syndrome d’une mémoire malade et tourmentée et d’une histoire inachevée :
les « pièces disparates » entourant la mémoire et l’histoire de ces officiers n’ont pas
été encore rassemblées et interprétées pour en faire ressortir le « motif final », qui
seul permettrait d’en donner « une image intelligible » [Cordier Daniel, La République
des catacombes, op. cit., p. 841] et lavée des représentations partisanes. Ce « syndrome
Jean Moulin » pèse encore de tout son poids sur les DMR.
Une histoire parcellaire
Rares sont les travaux historiques abordant en profondeur les délégués militaires
régionaux. Ces derniers demeurent un objet d’étude très flou et mal identifié, auquel
s’accrochent de manière tenace et négative les représentations résistantes.
Le développement récent d’études historiques portant sur l’interface entre Résistance intérieure et France libre a considérablement renouvelé la perception qu’avaient
les historiens de cette période. Étrangement, si ces derniers se sont penchés sur
quelques grands « go-between » [Albertelli Sébastien, op. cit., p. 3] qu’étaient Jean Moulin et Pierre Brossolette à travers des études approfondies [on peut penser à la somme
historique consacrée par Daniel Cordier à Jean Moulin et à l’étude de Guillaume Piketty sur Pierre Brossolette. Cordier Daniel, Jean Moulin. L’inconnu du Panthéon, tome
1 : Une ambition pour la République, juin 1899-juin 1936 ; tome 2 : Le choix d’un destin, juin
1936-novembre 1940 ; tome 3 : De Gaulle, capitale de la Résistance, novembre 1940-décembre 1941, Paris, Jean-Claude Lattès, 1989, 1993 ; Cordier Daniel, La République des
catacombes, op. cit. Piketty Guillaume, Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Paris,
Odile Jacob, 1998], les DMR comme objet d’étude sont restés dans l’ombre de cette
« Résistance des chefs » [Daniel Cordier, La République des catacombes, op. cit., p. 25].
172
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
La place des DMR dans la Résistance continue d’être sous-estimée, quand elle n’est
pas simplement méconnue. Dans le dictionnaire collectif dirigé par François Marcot
et paru en 2006 [Marcot François (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, op.
cit.], parmi les deux cent trente-cinq biographies de résistants retenues dans cet ouvrage, seul un DMR [Il s’agit de Maurice Bourgès-Maunoury. Les motivations retenues
pour sa notice semblent d’ailleurs relever davantage de son parcours politique entamé
après-guerre que de son action en tant que DMR et DMZ, [« Maurice Bourgès-Maunoury », in Marcot François (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, op. cit., p. 374]
possède une notice biographique. Par ailleurs, la brève entrée que consacre cet ouvrage aux délégués militaires fourmille d’imprécisions [Ibid., p. 183. À titre d’exemple,
la notice souligne que les DMR étaient nommés après consultation des forces résistantes : ce qui s’avère entièrement faux puisque les DMR étaient choisis uniquement
par le BCRA, sans en référer à la Résistance intérieure].
Malgré les renouveaux majeurs qu’a connus l’historiographie des Résistances intérieure et extérieure depuis plus de trente ans, les DMR demeurent un des derniers rouages entre la France libre et la Résistance intérieure dont le fonctionnement
demeure inexploré. Trait d’union mouvant entre ces deux Résistances, la délégation
militaire reste un objet d’étude à construire.
Il semble nécessaire d’étudier les DMR en se focalisant sur leur rôle d’interface,
de cheville ouvrière entre la France libre et la Résistance intérieure : en ne considérant qu’une partie de leur spécificité, beaucoup d’historiens ont porté des jugements
péremptoires et souvent contradictoires sur ces officiers. Les analyses historiques
sur leurs rôles divergent diamétralement, témoignant de la faiblesse globale du savoir
accumulé sur les DMR.
Axes de recherche explorés
Notre recherche a été consacrée pour la plus grande part à un travail en archives :
en tout, plus de trois cent quatre-vingts liasses, cartons ou dossiers ont été dépouillés
et analysés, dans les archives françaises mais aussi britanniques. Cette masse d’informations récoltées a permis de combler les nombreuses lacunes des travaux historiques
abordant un tant soit peu la délégation militaire régionale.
Notre étude se décompose en cinq grandes parties. Elle se concentre d’abord
sur la genèse de la fonction de DMR, en retraçant les étapes qui aboutirent à son
émergence, dans le contexte de crise profonde que connut la Résistance française
après les vagues d’arrestation de juin 1943. C’est en quelques mois seulement que
se définit la doctrine d’action des DMR, que se précisèrent leur rôle et leur mission :
la décentralisation de la résistance paramilitaire, la coordination militaire des mouvements de résistance et la mise en place de plans de sabotages. Cette refonte complète
habilitations, thèses, masters
173
de la stratégie pour l’action militaire en France occupée se doubla également d’enjeux
de pouvoir et de contrôle. Après l’arrestation des deux émissaires principaux de la
France libre, Jean Moulin et le général Delestraint, la nouvelle ossature du commandement militaire établie par le BCRA avec l’approbation des services anglais devait
permettre, sinon de replacer sous tutelle, à tout le moins d’encadrer l’action militaire
de la Résistance grâce aux DMR. Cette première partie, qui a constitué notre recherche de M1, s’est enrichie notamment des informations nouvelles apportées par
le dépouillement des dossiers personnels constitués par le SOE, conservés dans les
archives britanniques à Kew.
Le deuxième temps de notre étude embrasse la période s’étendant de septembre
à la fin de l’année 1943, période d’installation, de rodage, de tension pour la nouvelle
organisation militaire régionale. On examine notamment les premiers pas de la délégation militaire régionale et les différentes situations auxquelles ont dû faire face les
DMR à leur arrivée en France. Quels ont été les accueils réservés à ces officiers, par
les résistants, mais aussi par les autres agents du BCRA en mission, au premier titre
les officiers chefs d’opérations ? Purent-ils dès le commencement de leur mission bénéficier des formidables leviers de pouvoir que devaient être l’argent, les liaisons radio
avec Londres et les armes ? Certaines des directives élaborées dans l’urgence à l’été
1943 n’ont-elles pas montré leurs premières limites et inadéquations face aux situations rencontrées sur le terrain par les DMR ? Comment les premiers membres de la
délégation militaire adaptèrent-ils leur action au contexte régional qui leur était échu ?
La troisième partie comprend la période s’étendant de janvier à mai 1944 : période
d’enracinement et de consolidation, ces cinq mois constituent un véritable tournant
pour les DMR, qui prennent progressivement une ampleur et une importance considérables. Période cruciale également pour ces officiers : l’entrée dans l’année 1944
marque aussi le commencement des terribles vagues d’arrestation qui décimèrent
leurs rangs entre janvier et février 1944, laissant aux quelques survivants la tâche
écrasante de sauver la DM d’une implosion faute de combattants. Paradoxalement,
ces épreuves forgent, grâce à l’action des DMR rescapés, la légitimité de la DM en
asseyant progressivement son autorité. C’est pendant ces quelques mois qu’arrivent,
souvent au compte-gouttes, les premiers DMR remplaçants et que la délégation régionale s’installe dans l’ensemble des douze régions militaires. Sur le plan des directives,
cette période concentre l’élaboration d’importantes instructions précisant l’action
des DMR à partir du Jour J. Ces directives comblent également les zones d’ombre
des premières instructions, témoignant d’une maturation théorique de la doctrine
d’emploi des délégués militaires.
La quatrième partie retrace l’action des DMR dans les combats de la Libération,
de juin à novembre 1944, période s’étendant de l’exécution des plans de sabotage à
174
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
la veille du Jour « J » jusqu’aux actions de guérillas menées dans l’Est de la France à
l’automne 1944. La doctrine d’emploi si méticuleusement élaborée par les services
londoniens perd alors presque toute signification : les « anciens » de la DM chapeautant les nouveaux arrivants et mettant à profit l’expérience acquise, adoptent des
réponses pratiques dictées par la situation géostratégique et résistante de leur région.
Ils sont tour à tour saboteurs, chefs de maquis, organisateurs, coordonnateurs, mais
presque toujours diplomates. Démultipliant leur levier de pouvoir, cette période débouche aussi sur un conflit ouvert avec certains organismes de la Résistance intérieure
souhaitant en dessaisir les DMR pour se les approprier. On présentera les éléments
permettant d’esquisser une évaluation globale de l’action des DMR, tant sur le plan
technique – réussite des plans de sabotage notamment – que sur le plan diplomatique
– union et coordination des différents mouvements de résistance dans les FFI.
L’ultime partie de notre étude essaie de prendre de la hauteur en replaçant les
DMR dans une triple temporalité. La première, celle de la guerre, se concentre sur
une sociologie de ces officiers, et fait apparaître plusieurs profils-types parmi les trois
grandes vagues chronologiques d’arrivée des DMR. Elle inclut également l’analyse de
la répression dont ces officiers furent l’objet et établit un bilan global des pertes essuyées par la DM pendant son année d’existence.
Dans une seconde sous-partie, nous suivons les parcours des rescapés dans
l’après-guerre à travers la considération de plusieurs destinées-types, des brillantes
carrières politiques et militaires au retour à la profession d’avant-guerre.
Enfin, la troisième et dernière temporalité examinée est celle de la mémoire, d’une
mémoire résistante oublieuse de l’action de ces DMR. À travers l’étude de plusieurs
cas édifiants, nous essayons de proposer quelques pistes d’explications à ce no man’s
land mémoriel dans lequel sont tombés ces officiers.
Anne-Sophie Anglaret, Verdun1966-2011 : la mémoire de la guerre, M2 sous la direction
de Pascal Ory, 2011, 168 p. cote T 1584 ANG
Avant même la fin du conflit, les champs de bataille de la Première Guerre mondiale deviennent un lieu d’excursion. Parmi toutes les destinations du front, Verdun
figure en bonne place, car la bataille de 1916 est devenue, dans l’imaginaire collectif, la
plus grande de l’histoire. Alors que l’État s’investit peu dans la mémoire de la guerre,
la municipalité fixe celle-ci dans l’espace urbain par la construction de monuments, autour desquels se déroulent bientôt des célébrations destinées à rappeler les combats.
Les champs de bataille, déclarés « zone rouge », deviennent un lieu tout entier dédié
au souvenir, autour de grandes réalisations comme l’ossuaire de Douaumont.
Dans les années 60, Verdun est toujours le lieu emblématique de la Première
habilitations, thèses, masters
175
Guerre mondiale. Les anciens combattants, conscients de ce potentiel pour la perpétuation du souvenir, craignent qu’après leur disparition les lieux et les commémorations ne soient laissés à l’abandon. Avec, à leur tête, la fédération « Ceux de Verdun »
et le Comité national du souvenir de Verdun, ils s’efforcent de laisser un héritage
propre à garantir la pérennité de la mémoire. Sans délaisser totalement les petites
cérémonies, ils concentrent leur attention sur les fêtes de juin, organisées tous les ans
par la municipalité. Celles-ci se font plus axées qu’auparavant sur la paix et la réconciliation franco-allemande.
Ces commémorations, les anciens combattants le savent, ne se maintiendront que
si les générations suivantes comprennent ce qu’a été la Grande Guerre. C’est dans ce
souci qu’est construit le Mémorial de Verdun, lieu de pédagogie qui présente un parcours marqué par l’historiographie de son époque et l’esprit des anciens combattants.
Son succès et ses bénéfices sont mis à profit pour aménager les champs de bataille, les
rendre plus accueillants et plus lisibles aux touristes.
Après avoir réussi cette consolidation du socle mémoriel, les anciens combattants
vieillissants se placent un peu en retrait dans les années 1980. Sous l’impulsion notamment de la municipalité socialiste, on s’éloigne alors du souvenir pur pour s’orienter
vers des actions et des créations totalement dédiées à la paix. René Vigneron, maire à
partir de 1977, va tenter d’en faire le cœur de l’identité de la ville. À travers la création
d’associations de villes et la mise en place de rencontres internationales, les appels à la
paix vont conquérir leur autonomie, sans qu’il ne soit plus nécessaire de les intégrer à
un rappel explicite de la guerre.
Ce basculement mène à la mise en place d’une institution originale, le Centre
mondial de la paix, des libertés et des droits de l’homme, conçu comme un moyen
de faire face à la concurrence d’autres lieux de mémoire et de ramener les touristes
dans le centre-ville de Verdun. Le contenu de son exposition permanente donne lieu à
une longue réflexion, car il est difficile de montrer la paix autrement que comme une
antithèse de la guerre. Le comité scientifique interdisciplinaire met donc en place une
présentation qui explore à la fois les causes profondes des conflits et les mécanismes
et institutions de paix. Les rencontres et expositions temporaires suivent également
cette ligne directrice.
L’apparente domination de la question de la paix cache un paradoxe. Alors que les
initiatives comme le Centre mondial de la paix et les associations de villes s’éloignent
du discours sur la bataille, les spectacles faisant revivre celle-ci ont un succès croissant.
Les reconstitutions, dans le musée de la citadelle souterraine, ou à travers le spectacle
« Des flammes à la lumière » attirent un large public.
C’est pourquoi on assiste, à partir du milieu des années 1990, à un retour vers
les présentations concrètes de l’histoire de la guerre. Le Centre mondial de la paix,
176
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
qui s’en voulait éloigné, présente de plus en plus d’expositions et d’événements sur
1914-1918, tout en continuant à aborder des thématiques contemporaines liées à la
paix. Pris entre ce discours historique et sa vocation initiale, il peine à trouver son
identité et son public. Il n’est pas seul en cause, car le déclin du tourisme est visible sur
toute la zone mémorielle et pousse une institution comme le Mémorial à tenter de
se moderniser, pour acquérir la légitimité scientifique revendiquée, par exemple, par
l’Historial de Péronne.
La chute du tourisme inquiète les acteurs locaux, notamment le conseil général
de la Meuse qui l’impute à la fois à une obsolescence des infrastructures et à une
trop grande diversité des acteurs mémoriels, obstacle à la mise en place d’une offre
touristique cohérente. Le département décide donc de prendre en main la gestion des
principaux sites touristiques. En 2008, à travers la création d’une « mission Histoire »,
il se place à la tête d’une vaste entreprise de rénovation et de modernisation des sites
et des pratiques de mémoire. La zone mémorielle est à présent envisagée au niveau
du département, Verdun étant une « locomotive » pour l’ensemble de la Meuse. Les
projets de la mission Histoire s’articulent autour d’une plus grande lisibilité, de la
modernisation des infrastructures, d’un effort pédagogique et d’un objectif de complémentarité des sites. La définition du programme à mettre en place en vue du centenaire s’est faite à travers une consultation des acteurs, qui ne remet cependant pas
en cause la centralisation de la mémoire par le conseil général.
Le projet, baptisé « Le Temps de l’Histoire », n’est pas accepté par le maire de
Verdun, à la fois parce que celui-ci défend une mémoire traditionnelle et patriotique
s’accommodant mal des aménagements sur le champ de bataille et parce qu’il tient au
rôle central de sa ville dans la gouvernance de la mémoire. Le maire poursuit donc ses
propres projets, tout en ayant recours aux tribunaux pour invalider la domination du
conseil général. Certes, le « Temps de l’Histoire » a été accepté par toutes les autres
zones du département, mais Verdun, en raison de son rôle central, peut remettre en
cause sa possible réussite. Cinq ans avant le centenaire de la bataille, la situation est
en partie bloquée.
Presque un siècle après la Première Guerre mondiale, l’analyse du paysage mémoriel à Verdun débouche sur un tableau paradoxal. La ville et ses champs de bataille ont
bénéficié d’une précocité des pratiques commémoratives et de la mise en place de
parcours du souvenir qui leur ont permis, jusque dans les années 1980, de s’imposer
comme le grand lieu de la mémoire. Cette richesse, qui est incontestablement un
avantage se révèle aussi, peut-être temporairement, une faiblesse. Ainsi, une institution
comme le Mémorial, du fait même de son ancienneté, ne peut pour l’instant se mesurer à l’Historial de Péronne en termes scientifiques, ou au futur musée de Meaux en
ce qui concerne la modernité de la muséographie. S’il est difficile de créer des musées
habilitations, thèses, masters
177
là où il n’y avait rien, il semble encore plus problématique d’adapter des institutions
anciennes tout en respectant leur identité. Ce constat est valable pour l’ensemble de
la zone mémorielle, dont la diversité peut conduire à un manque de lisibilité pour les
visiteurs. D’autre part, l’échec du Centre mondial de la paix à jouer un rôle déterminant dans les pratiques de mémoire a montré qu’il n’était pas possible de concevoir la
modernisation simplement à travers l’ajout de nouvelles créations.
À l’inverse, on pourrait penser que l’ancienneté des lieux et des pratiques confère à
Verdun une aura d’authenticité. Pourtant, les nombreux aménagements sur les champs
de bataille, conçus dès l’après-guerre pour faciliter la visite, semblent rendre ceux-ci
artificiels aux yeux des passionnés de 1914-1918. Verdun et ses champs de bataille se
trouvent ainsi à mi-chemin entre l’authenticité et la modernité, car ils témoignent en
réalité autant de l’histoire de la guerre que de l’histoire des anciens combattants et
de la mémoire.
Bekhaled Zohra, L’action culturelle à Nogent-sur-Marne de 1959 à 1995, M2 sous la
direction d’Annie Fourcaut, 2011, 92 p., cote T1574 BEK
Avec la création d’un ministère des Affaires culturelles, l’année 1959 marque l’entrée d’une nouvelle ère culturelle dans la vie politique du pays. Peu à peu, les pratiques
culturelles traditionnelles et enracinées dans la participation à la vie collective sont
remplacées par une culture administrée par les collectivités locales, l’État et ses services. Les communes se voient alors confier davantage de responsabilités, qui leur
permettent d’ouvrir de grands chantiers, comme en atteste l’action culturelle à Nogent-sur-Marne de 1959 à 1995.
En effet, dès les années 60, la municipalité soutenue par son maire Roland Nungesser, entreprend, au sein d’une vaste campagne de communication politique, la reconquête d’une identité culturelle. Aussi, une même volonté se répand : rassembler
autour de valeurs fondatrices et retrouver de cette manière l’esprit populaire propre
à Nogent. À cet effet, Roland Nungesser entreprend la réhabilitation d’un monument
fondateur, et fait de son invention, le petit vin blanc, un mythe vivant.
C’est une réussite, pourtant, une décision politique va venir renverser la tendance,
c’est « l’effet Baltard », le tournant des années 1970. Loin des fêtes populaires, Baltard
offre à Nogent une nouvelle image plus moderne, plus jeune en contraste avec la
décennie précédente.
Mais à l’aube des années 1980, un nouveau concept apparaît « la patrimonialisation » et pousse les pouvoirs publics à revoir leur politique culturelle. Il traduit, entre
autre, le désir de redécouvrir autrement le patrimoine naturel d’une ville. En même
temps, innover, créer, avancer en matière culturelle reste une priorité pour les Nogen-
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tais. De ce fait, l’action culturelle doit s’adapter entre envies d’hier et d’aujourd’hui,
c’est la fusion des genres. Parallèlement la municipalité prône les échanges et la diversité culturelle, sur un plan national avec Paris, le Val-de-Marne, l’Île-de-France et sur un
plan international avec ses « jumelles ».
Enfin, nos recherches s’appuieront sur de nombreuses ressources à commencer
par les archives municipales, terrain privilégié de notre recherche, où nous avons sélectionné : les délibérations du Conseil municipal, le magazine municipal, les affiches
municipales, les procès-verbaux des réunions des différentes institutions et le fond de
photographies. À cela s’ajoutent les archives départementales et le Centre d’archives
d’architecture du xxe siècle.
Bonhoure Jean-François, De l’histoire dans de sombres temps. La production
historique éditée pendant l’Occupation, M2 sous la direction de Pascal Ory, 2011, 238 p.,
cote T 1585 BON
Il est relativement courant dans les études historiques de s’interroger sur une corporation ou un corps de métier immergé dans un contexte spécifique. Sous l’Occupation, les juristes, l’administration publique, les dramaturges, voire les musiciens se sont
prêtés au jeu de l’enquête historienne. Si le sujet a le mérite d’interroger des écritures
de l’histoire, la diversité de la « tribu historienne » pose d’emblée problème. Il y a
autant d’histoires que d’historiens. Le travail prosopographique permet d’éclairer des
trajectoires personnelles et des variables générationnelles ou professionnelles. Afin
de circonscrire le champ d’investigation, le choix a été fait de partir de la production
éditée en France, de 1940 à 1944. C’est bien un objet culturel, le « livre d’histoire »
qui est étudié ici. L’intériorisation des contraintes et l’accélération de la perception
du temps impactent les représentations historiennes. La contingence spécifique de
l’Occupation vient se heurter aux habitus historiographiques des différents historiens.
De ce contexte et de ces acteurs naissent des écritures de l’histoire différentes. Certains répondent à l’appel d’air vichyste quand d’autres optent pour un attentisme
prudent. Leurs objets d’étude font figure d’échappatoire commode. En se consacrant
pleinement à leurs travaux, les historiens cherchent à se réconforter, à identifier les
bégaiements de l’histoire. La praxis historienne se trouve par ailleurs éclairée par la
médiation éditoriale et les différentes réceptions critiques. La sortie d’un ouvrage historique est articulée autour de différents acteurs : l’historien, la maison d’édition et les
publics. Ici, un sujet sur la guerre de Cent ans sera l’occasion de parallèles entre deux
occupations, espacées de quelque six siècles. Ailleurs, un éditeur convaincra un historien de concevoir un ouvrage sur la défaite napoléonienne contre la Russie, saisissant
les parallèles historiques comme une opportunité économique. En somme, c’est bien
une circulation culturelle que le sujet interroge : la pratique historienne s’étage dans
toutes les strates de la société.
habilitations, thèses, masters
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Bouchenot Matthias, Face au fascisme, tenir la rue. L’autodéfense socialiste en Région parisienne, 1929-1938, M2 sous la direction de M. Pigenet, 2011, cotation en cours
Confrontées à la concurrence agressive du Parti communiste, les fédérations socialistes de la Seine et de la Seine-et-Oise renouent, en 1929, avec les pratiques d’autodéfense et de services d’ordre initiées à la veille de la Grande Guerre. Elles créent
les Groupes de défense (GD), dont l’action strictement défensive s’oriente progressivement contre les ligues d’extrême-droite. À partir de 1934, l’autodéfense socialiste
n’est plus qu’au service de la lutte antifasciste, alors que le Pacte d’union entérine la
trêve entre les deux grands partis marxistes.
Les émeutes du 6 février 1934, mais également la victoire du nazisme en Allemagne et l’écrasement de la résistance sociale-démocrate à Vienne provoquent en
effet une prise de conscience du danger nationaliste au sein de la SFIO. En réaction, le
Parti socialiste organise des groupes de défense et des Jeunes gardes socialistes (JGS)
dans la plus part de ses fédérations. Leur objectif est de préserver les institutions
républicaines et les libertés ouvrières, en cas de coup de forces des ligues d’extrêmedroite. Si le mouvement est national, c’est cependant en région parisienne que les
dispositions défensives sont les plus développées, avec la transformation des GD en
TPPS –pour « Toujours Prêts Pour Servir »- un organisme mieux structuré, mieux
armé et orienté vers l’offensive.
À leur direction comme dans leurs rangs, les militants de la tendance Gauche
révolutionnaire, un temps accompagnés par les trotskystes, prédominent. Les organismes d’autodéfense leur servent de point d’appui et d’expression concrète d’une
orientation révolutionnaire du Parti socialiste. Sous la direction de Marceau Pivert,
les TPPS et les JGS participent alors au renouvellement des pratiques militantes de
la SFIO. Pour cela, ils peuvent compter sur l’arrivée massive de nouveaux militants
– souvent jeunes – entraînés vers le Parti par la dynamique du Front populaire et la
lutte antifasciste.
L’expérience originale d’autodéfense socialiste en région parisienne s’arrête en
1938, avec la dissolution de la Fédération de la Seine. L’action des TPPS et des JGS de la
Seine fait partie des éléments de rupture entre la direction de la SFIO et la Fédération
de la Seine gagnée au pivertisme.
Boulanger Cyril, Les ouvriers agricoles en région parisienne (1962-1982) : précarité
de l’emploi, précarité du travail, M2 sous la direction de Michel Pigenet, 2011, 277 p.,
cote T 1573 BOU
Alors que le statut de salarié se consolide à partir de 1945 (le salaire cessant
alors d’être la rétribution ponctuelle d’une tâche et assure l’accès à des prestations
sociales) et que le pouvoir d’achat enregistre une croissance inédite, les ouvriers agri-
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coles demeurent dans une profonde précarité. Précarité de l’emploi tout d’abord,
lequel renvoie au niveau des salaires, types de contrat, législation sociale, contenu des
conventions collectives… De ce point de vue, les ouvriers agricoles sont défavorisés
par rapport aux salariés de l’industrie et du commerce. Ainsi, les accords Matignon de
1936, qui fixent la durée de travail hebdomadaire à 40 heures, ne s’appliquent pas à
l’agriculture. Jusqu’en 1968, les salariés agricoles ne bénéficient pas du SMIG (salaire
minimum interprofessionnel garanti), mais d’un SMAG (salaire minimum agricole garanti) qui lui est inférieur de près de 20 %. Leur régime de protection sociale, géré par
la Mutualité sociale agricole, est moins favorable que celui du régime général. Dès lors,
les salariés agricoles subissent une certaine insécurité sociale.
La quête de parité sociale auxquels participent les conventions collectives en 19631964 et les accords de Varenne en 1968, couplée à la révolution technique et structurelle de l’agriculture de la période, amènent une tripartition du salariat agricole au
début des années 1970 : d’une part la minorité des ouvriers permanents qualifiés travaillant à temps complet, d’autre part les ouvriers permanents non qualifiés employés
à temps partiel, enfin les saisonniers étrangers auxquels les exploitants ont de plus en
plus recours. Plus hétérogène qu’auparavant, le groupe comprend des sous-groupes
qui ne sont pas exposés de la même manière à la précarité de l’emploi. Néanmoins,
tous connaissent, à compter du début des années 1970, une précarité croissante du
travail. Alors qu’auparavant celui-ci s’effectuait au rythme lent des bœufs, était peu
organisé et ne s’intensifiait que dans les temps de « presse » des récoltes, le recours
aux machines, associé à la baisse des effectifs, que précipite le processus de parité
sociale, a aggravé la pénibilité d’un travail à la fois plus dense et plus dangereux. Bref,
c’est l’évolution de cette précarité, synonyme de fragilité tant au niveau de l’emploi et
du travail, que le mémoire analyse entre 1962 et 1982, en région parisienne, l’une des
plus grandes régions agricoles du pays.
Bousquet Alice, La naturalisation et l’intégration des sportifs de haut niveau en
France. Étude de l’athlétisme, du badminton, de l’haltérophilie et de la lutte de
1980 à 2010, M2 sous la direction de Michel Dreyfus, 2011, 175 p.
Cette recherche interroge le constat de la différenciation des conditions d’octroi de la nationalité française selon les groupes sociaux. Le sport de haut niveau représente un cas particulièrement intéressant pour approfondir cette question. Cette
étude essaie d’y répondre de différentes manières, par le biais d’entretiens auprès de
sportifs – au nombre de huit –, de la presse – nationale et régionale, quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, spécialisée ou d’information générale – et de sites internet –
officiels de certains sportifs et d’institutions d’encadrement. Elle a pour base principale
quatre sports : l’athlétisme, le badminton, l’haltérophilie et la lutte. Plusieurs échelles
habilitations, thèses, masters
181
d’analyse ont été mises en place, au niveau de sport mondial et national. L’examen
de quelques cas précis de sportifs de haut niveau naturalisés a permis de retracer le
parcours de ceux-ci, en passant de la pratique du sport à l’intégration à la vie sportive
et civile française.
Le sport est un microcosme de la société. Cette étude permet à la fois d’observer
le monde des sportifs et celui des naturalisés. Les motivations des sportifs, quant aux
raisons d’émigration et de demande de naturalisation, sont semblables à celles des
personnes « normales » (« normale » est employé dans le sens d’une personne non
sportive de haut niveau). Cependant le traitement médiatique et/ou politique qui leur
est consacré les situe en dehors des autres immigrés.
D’un point de vu international, les changements de nationalité dans le sport posent la question de l’investissement, humain et surtout financier, donné dans la pratique du haut niveau pour certains pays. Dans des pays en voie de développement, le
sport n’est pas toujours une priorité. Par le biais du Comité international olympique,
des Fédérations internationales et des gouvernements nationaux de tutelle est mise
en place une solidarité sportive. Cette dernière, bien qu’ayant un effet positif sur la
pratique, est aussi en partie responsable de « l’exode des muscles ».
Le phénomène des transferts de nationalité est de plus en plus important depuis
la fin des années 1990. Les pays connus pour être des pays d’immigration, comme la
France, ne sont plus les seuls touchés. Cependant ce phénomène, qui intéresse de
manière croissante les classes dirigeantes ainsi que les médias, est encore trop récent
pour en observer les effets, positifs ou négatifs, sur le sport mondial. Le sport comme
dernier bastion des identités nationales est mis à mal face aux naturalisations, chaque
jours plus nombreuses.
Burgé Mathias, Mémoire de la décadence, décadence de la mémoire : l’incroyable
oubli de René Bazin, M2 sous la direction de Pascal Ory, 2011, 417 p., cote T 1597 BUR
René Bazin est un romancier et académicien français né à Angers en 1853 et décédé à Paris en 1932. Considéré comme l’une des plus pures incarnations du milieu
littéraire catholique et traditionnaliste de la III° République, il est souvent rattaché au
groupe des « 4 B », constitué de Paul Bourget, Henry Bordeaux et Maurice Barrès.
Principalement connu pour son éloge de la terre et de ses valeurs, qui lui confère une
place de choix dans la mouvance agrarienne de l’époque (La Terre qui meurt, Le Blé qui
lève), René Bazin s’est aussi illustré dans le roman social (De toute son âme) et la fiction
patriotique (Les Oberlé). Ses nombreux ouvrages – une cinquantaine au total, mêlant
romans, nouvelles, contes, biographies, récits de voyages et essais théoriques – sont
à l’origine de son immense succès et de sa très grande popularité, tant en France
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qu’à l’étranger. Pourtant, l’auteur est aujourd’hui complètement oublié, victime d’un
processus complexe de « décristallisation mémorielle ». C’est là le point de départ
et la raison d’être de ce travail : comment expliquer que l’un des écrivains les plus lus
et les plus reconnus de son temps passe, en l’espace d’une génération, de la célébrité
à l’oubli, de la gloire au mépris, de la lumière à l’ombre, des nuées à l’abîme ? Pour
répondre à cette question, il faut nécessairement lier à la classique analyse idéologique
des romans, qui nous conduit aux portes de l’histoire littéraire et définit l’œuvre bazinienne comme une gigantesque mémoire de la décadence, une étude proprement
culturelle, fondée sur le triptyque fondamental production-médiation-réception et
mettant en lumière la décadence de la mémoire. Il apparaît alors que cet oubli est lié
aux problématiques abordées dans les romans. Les trois seuls thèmes encore évoqués aujourd’hui sont l’agrarisme, le cléricalisme et le patriotisme. Ils éclipsent tous
les autres. L’écrivain est en ce moment réduit à sa dimension la plus conservatrice,
la plus passéiste, la plus démodée. De nos jours, on ne mentionne plus du tout la
problématique sociale – défense des ouvriers, critique de l’attitude scandaleuse de
certains patrons, réquisitoire contre les dérives du libéralisme, appel à une protection
de l’environnement –, pourtant fondamentale et nettement plus moderne et actuelle
que les trois précédentes. On peut dès lors dégager deux grandes causes à cette
décadence mémorielle. La première touche à ses idées politiques. L’écrivain angevin
est trop conservateur pour un lecteur du xxie siècle, mais en même temps il n’est pas
suffisamment extrémiste pour qu’on se souvienne de lui comme d’un repoussoir. Le
second facteur concerne la dimension sociale de ses romans. Pour les conservateurs
comme pour les progressistes, il est utile que cette dimension disparaisse. Pour les
premiers, elle est dangereuse dans la mesure où elle remet en cause le libéralisme et
le modèle bourgeois dominant ; il vaut dès lors mieux insister sur les aspects qui, dans
l’œuvre, défendent l’ordre et la tradition. Pour les seconds, René Bazin est nettement
trop proche du nationalisme pour prendre le risque de mettre en avant son idéal de
justice social, sur lequel ils ont pourtant bâti tout leur projet politique. Le romancier
dérange parce qu’il bouleverse les idées reçues et la bipolarisation, schéma fondamental sur lequel repose l’ensemble de la vie politique française depuis la Révolution : il est
la preuve qu’on peut être à la fois conservateur et social, ni complètement à droite, ni
complètement à gauche. Il paie en quelque sorte le fait de ne pas avoir été « dans le
moule », de n’avoir jamais complètement adhéré à l’un ou l’autre groupe d’opinions
dominant, d’avoir pensé seul, librement, avec pour uniques maîtres le Vrai, le Beau, le
Bien.
habilitations, thèses, masters
183
Coadic Marine, Peuple et Culture. Une avant-garde pédagogique au service de la
démocratie culturelle (1945-1978), M2 sous la direction de Pascale Goetschel, 2011
En 1945, Joffre Dumazedier et ses compagnons fondent l’association Peuple et
culture à Grenoble. Ce mouvement d’éducation populaire se revendique comme héritier des expériences du Front populaire et de la Résistance. Pour clarifier ses objectifs
et ses orientations, l’association publie la même année, un Manifeste. Les membres
de ce nouveau groupement d’éducation populaire veulent construire une grande organisation dont le but est l’éducation des masses et des élites. Il s’agit de réduire les
inégalités culturelles entre les individus et d’édifier une culture populaire, commune à
l’ensemble du peuple. En somme, il s’agit de « rendre la culture au peuple et le peuple
à la culture ». Le projet du mouvement est un véritable projet de révolution sociale :
la résolution des inégalités doit passer par la formation culturelle. Pour assurer cet
apprentissage, les membres de l’association proposent des méthodes d’éducation rénovées, permettant de dépasser les rigidités de l’enseignement traditionnel. La technique de l’entraînement mental, au départ conçue par Joffre Dumazedier, devient la
méthode phare de l’association dans les années 1950. Elle permet de promouvoir la
culture populaire en s’adressant à des cadres et futurs cadres, formés et promus par le
mouvement. Par la suite, ils seront à leur tour chargés de démocratiser la culture. De
la Libération à la fin des années 1970, les militants de Peuple et culture promeuvent
conjointement le développement de l’action culturelle et de la formation permanente.
L’éducation permanente, qui se substitue peu à peu à l’éducation populaire, leur apparaît comme une exigence démocratique car la formation culturelle doit pouvoir se
faire tout au long de la vie, sans distinction d’âge ou de classe sociale. Les membres
de Peuple et culture s’investissent particulièrement dans la formation professionnelle
et participent aux premières expériences qui ont lieu dans le milieu de l’entreprise.
L’association, installée à Paris dès 1946, se démarque dans son action par une volonté
de s’imposer auprès de l’État pour la reconnaissance d’un véritable service public de
la culture et de la formation. Les adhérents, majoritairement enseignants ou universitaires, veulent peser dans la prise de décisions concernant la culture et les loisirs. Leur
participation aux instances de coopération entre l’État et les responsables associatifs,
facilitée par l’expertise acquise dans le domaine de la culture et de l’éducation, leur
permet de participer à la mise en place et à la réflexion sur les politiques culturelles.
Daheur Jawad, Les espaces naturels, enjeux du projet colonial en Pologne sous
domination prussienne (Posnanie et Prusse occidentale) à l’époque impériale
(1871-1914), M2 sous la direction de Pascal Ory, 2010-2011, 123 p., cote T 1577 DAH
Conçu comme un travail préparatoire à un projet de thèse de doctorat, ce mémoire propose une réflexion sur la question de la nature dans l’histoire des relations
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germano-polonaises à l’époque du Kaiserreich, en interrogeant les enjeux idéologiques,
matériels et politiques qu’ont représenté les espaces naturels au moment du « conflit
national » entre Allemands et Polonais au sein du tronçon prussien d’occupation de
la Pologne. La démarche adoptée repose sur un croisement de perspectives, puisqu’il
s’agit de faire non pas une histoire des espaces naturels en tant que tels, ni même une
histoire de leurs perception à travers la question des sensibilités écologiques, mais
davantage une histoire qui combine les approches en termes d´identités, de pratiques
et de représentations des espaces naturels, enfin de conflit social et de domination
politique. En considérant le fait que la confrontation entre Allemands et Polonais s’est
déroulée dans une société éminemment rurale et agricole, où la nature était omniprésente et constituait le cadre de vie d’une partie importante de la population, le travail
proposé vise à déceler les conséquences du conflit national dans l’histoire d’espaces
naturels qui en ont été le théâtre et l’un des principaux objets. Ainsi, à une époque où
le sol devient le plus important motif de lutte entre les communautés allemandes et
polonaises, dans un contexte de fortes tensions ethniques et territoriales, il apparaît
que la nature n’est pas demeurée neutre dans le processus d’opposition des intérêts
nationaux et de construction rivale des identités. Bien au contraire, elle semble avoir
constitué un important défi à relever pour le projet de germanisation des territoires
et de leurs populations, devenant à la fois un instrument et un objectif, un moyen et
une fin de la politique polonaise de la Prusse, et plus généralement, pour la pensée et
l’action coloniale dans ces territoires
Après une courte introduction, qui présente les raisons personnelles ayant conduit
l’auteur à s’intéresser à l’espace de contact germano-polonais, une première partie
expose les principales étapes de l’élaboration du sujet, en présentant brièvement l’histoire du tronçon prussien d’occupation de la Pologne, dont les enjeux restent souvent
mal connus du public français, et en proposant une première formulation de la problématique. Une seconde partie, dédiée au cadre spatio-temporel de l’étude, permet
de justifier le choix des bornes chronologiques (1871 et 1914) et des limites géographiques (la Posnanie et la Prusse occidentale). Afin de compléter ces éléments de définition, une troisième partie engage la réflexion sur la notion d’« espaces naturels » à
travers une première délimitation du terrain de recherche, tenant compte de sa réalité
physique et de son contexte géographique. Consacrée aux enjeux théoriques du sujet,
la quatrième partie s’appuie sur les travaux du géographe et philosophe Henri Lefebvre pour avancer l’idée que les espaces naturels constituent des espaces physiques,
mais aussi mentaux et sociaux, qui sont « produits » par chaque société et révèlent
les conflits qui la traversent. Ces différents éléments de définition et de théorie sont
suivis par une cinquième partie évoquant les principales sources disponibles en langue
allemande, en essayant de les classifier en fonction des acteurs dont elles émanent.
habilitations, thèses, masters
185
Enfin, dans une sixième et dernière partie, les deux grands axes de la problématique
sont expliqués : les espaces naturels comme enjeu de légitimation et comme enjeu de
contrôle social pour le projet colonial allemand. À la fin du mémoire, le lecteur trouvera des annexes composées de diverses cartes, d’un inventaire des sources primaires,
enfin d’une bibliographie et d’une liste de sites Internet.
Dimnet Antoine, Marcel Livian, un expert socialiste de l’immigration, M2 sous la
direction de Philippe Rygiel, 2011, 152 p., cote T 1596 DIM
Le mémoire est une biographie historique de Marcel Livian présentant le caractère
d’expert socialiste de l’immigration de celui-ci. Les différentes parties du mémoire
retracent sa vie et mettent en lumière son engagement militant constant pour l’amélioration de la situation des étrangers en France.
Marcel Livian, originaire de Roumanie, est né en 1901. Il est issu d’une famille de
moyenne bourgeoisie francophile. Il obtient un diplôme de licence en Droit à Bucarest et s’inscrit au Barreau. Lorsque son père décède en 1924, la faillite rapide de
son affaire commerciale contraint la famille à trouver un autre moyen de subsistance.
Elle s’installe en France en 1925. Devenu immigré, Livian va connaître d’expérience la
condition précaire des étrangers. Il travaille au service contentieux d’une compagnie
d’assurances puis chez un avoué, tout en poursuivant ses études en doctorat de Droit.
Il s’installe à son compte, en tant que conseiller juridique en 1934.
Marcel Livian adhère en 1929 à la SFIO dont il devient le secrétaire général de la
« commission immigration ». Il s’occupe jusqu’en 1940 de préparer des propositions
de lois, d’étudier celles en vigueur ainsi que leur application. Il participe sous le gouvernement du Front Populaire au Centre de liaison qui avait pour but d’établir un statut
juridique des étrangers. En tant que rédacteur en chef, il écrit dans la revue pratique
de droit international privé, Les Droits. Il rédige un ouvrage : Le régime juridique des
étrangers en France publié en 1936, expliquant la législation des étrangers.
Dès 1939, il s’engage comme volontaire étranger. Démobilisé, il participe à des activités de Résistance. Il devient conseiller juridique du Centre de documentation juive
et contribue au rassemblement des documents concernant les activités allemandes qui
serviront lors du procès de Nuremberg. Enfin il combat jusqu’en décembre 1944 dans
une unité des Forces françaises de l’intérieur. Naturalisé français en 1947, il obtient
son doctorat la même année. Il participe aux discussions internes de la SFIO, lors de
l’élaboration du statut des étrangers. Il a de nombreuses responsabilités au sein de ce
parti et est nommé délégué permanent de la SFIO auprès des organisations d’étrangers en France. Il publie en 1982 Le Parti socialiste et l’immigration où il prend la défense
186
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
de la SFIO concernant son action en faveur des étrangers de 1920 à 1940. Il continue
de participer à la vie de diverses associations jusqu’à sa mort en 1988.
La biographie historique de Marcel Livian permet d’établir son rôle d’expert socialiste de l’immigration en France.
Gandouin Benjamin, « Social Unrest », « Race Riots ». Les émeutes urbaines en
Grande-Bretagne de 1981 à 2001, M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, 2011, 86 p., cote
T 1575 GAN
Au début des années 1980, de violents désordres se produisent dans les principales agglomérations d’Angleterre : à Brixton dans la banlieue de Londres, à Liverpool, Manchester, Birmingham, la jeunesse des quartiers antillais suscite une alarme
d’ampleur nationale en s’opposant aux forces de police dans des affrontements d’une
grande intensité, pendant lesquels véhicules et immeubles sont incendiés, et les commerces locaux pillés. Des incidents de même nature perdurent ensuite jusque dans les
années 1990, avant que le phénomène ne s’amenuise. À l’été 2001, alors que la page de
ces évènements semblait tournée, de nouvelles émeutes surgissent cependant, impliquant cette fois la jeunesse des communautés pakistanaises et bangladaises.
Ce travail propose une vision d’ensemble, dans une perspective nationale, de ces
différents épisodes. Il restitue chronologiquement les faits tels qu’ils se sont produits,
notamment à Brixton et Toxteth en 1981, à Handsworth et Tottenham en 1985 ou
encore dans les villes de Bradford, Oldham et Burnley en 2001, et dans diverses autres
cités d’Angleterre, et permet ainsi de mesurer l’importance et la signification respective de chaque évènement à l’aune des désordres antérieurs et postérieurs, et
de comprendre les raisons de leur évolution au cours de cette période de vingt ans.
Mais, il les replace aussi dans un contexte historique plus large, propre au RoyaumeUni et marqué par d’autres violences sociales et des violences racistes, contexte qui
ne peut être occulté dans l’étude de ces grandes émeutes. Il les confronte également
à leur réception politique par les partis au pouvoir, les conservateurs de Margaret
Thatcher puis le New Labour de Tony Blair, selon qu’ils mettent en avant une compréhension des faits sous le registre de la loi et de l’ordre ou y voient l’expression d’une
révolte sociale : le mémoire montre de ce point de vue l’oscillation permanente dans
le rapport aux évènements entre question sociale et question ethnique, et la met en
perspective avec les données du contexte socio-économique des quartiers émeutiers
et la trajectoire historique qui fut celle des minorités ethniques impliquées dans les
différentes émeutes.
habilitations, thèses, masters
187
Guérin-Jollet Jean-Octave, L’autonomie politique en France : itinéraires de groupes et
d’individus autonomes de la fin des années 1970 à la fin des années 1990, M2 sous
la direction de Michel Pigenet, 2010-2011, 628 p. + 227 p. d’annexes, cote T 1609 GUE
En dehors de ses apparitions émeutières largement médiatisées à la fin des années
1970 ou du parcours de certains membres du groupe Action directe, l’autonomie est
une aire politique méconnue voire complètement ignorée en France. Rares sont les
travaux de recherche universitaire qui évoquent les autonomes pour ce qu’ils sont ou
pour les questionnements et les problématiques qu’ils soulèvent, préférant s’attarder
sur les dérives qu’ils sont susceptibles de provoquer, alertant au côté de la presse ou
de la police sur la possible émergence d’une situation « à l’italienne » ou « à l’allemande ».
Parler de l’autonomie dans les années 1980-1990 est du reste controversé tant le
phénomène autonome est présenté comme le point final de ce qui semblait constituer les prémices d’un mouvement révolutionnaire, une sorte d’anomalie politique
et historique que seule la fin turbulente de la décennie 1970 permettrait d’expliquer.
Ce mémoire entend prendre le contre-pied de cette « histoire officielle » en
étudiant les « formes de survivance » de l’autonomie, en retraçant les itinéraires de
groupes et d’individus autonomes de la fin des années 1970 à la fin des années 1990
,tout autant que les thématiques et les problématiques qui structurent l’aire de l’autonomie politique.
Dans une première partie, nous abordons l’autonomie sous un angle théorique
en cherchant à proposer une définition de notre objet d’étude. Nous tentons dans
une premier temps d’éclaircir un certain nombre de confusions qui existent entre les
autonomes et d’autres composantes ou courants politiques, de définir ce qu’est l’autonomie en nous attardant sur la dimension individuelle de ce phénomène à travers
le parcours des autonomes que nous avons interviewé, de restituer le point de vue
des autonomes eux-mêmes. Dans un deuxième temps, nous analysons l’importance du
lien entre théorie et pratique chez les autonomes à travers deux thématiques : celle
du communisme immédiat et celle de la violence puis nous revenons sur les différents
terrains de luttes sur lesquels se concentrent l’essentiel de la praxis autonome : la
lutte contre la propriété, la lutte contre le travail et la lutte contre l’État. Enfin, dans
un troisième temps, nous examinons la question de l’organisation chez les autonomes
ainsi que les points et les faiblesses de cette aire politique.
Dans une seconde partie, nous étudions les différentes formes de regroupements
et les luttes auxquelles participent des collectifs et individus autonomes entre 1968
et le début des années 1980. Nous revenons tout d’abord sur les premières formes
d’expressions autonomes dans l’après-68, avant d’aborder l’émergence progressive de
l’« autonomie parisienne » à partir de 1977. Nous aborderons ensuite le rôle joué par
les autonomes lors de la marche des sidérurgistes à Paris le 23 mars 1979 ainsi que
188
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
l’impact de cette manifestation sur l’aire de l’autonomie politique. Puis nous évoquons
les formes de « survivance » de l’autonomie mais aussi la question de la lutte armée à
travers l’itinéraire du groupe Action directe.
Dans une troisième partie, nous examinons les pratiques et les formes de regroupements des autonomes entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990.
Nous traitons dans un premier temps de la fin de la centralité parisienne à travers
l’exemple du quartier de la Croix-Rousse à Lyon et du mouvement d’opposition à
la centrale nucléaire de Golfech, près de Toulouse, mais aussi par l’intermédiaire de
la trajectoire du groupe Os Cangaceiros. Dans un second temps, nous revenons sur
deux terrains de luttes privilégiés qui connaissent des développements importants à
partir de la seconde moitié des années 1980 : la lutte anti-carcérale et le Comité des
mal-logés. Nous examinons deux aspects particuliers de l’autonomie, à savoir la figure
du squatter autonome d’une part et d’autre part le phénomène de décloisonnement
qui intervient dans la première moitié des années 1990. Enfin, nous terminons notre
étude de l’autonomie en évoquant le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998
où les autonomes ont joué un rôle de tout premier plan, avant de proposer une ouverture vers les formes de luttes des autonomes après 1998 et leur réaction face à
l’émergence du mouvement altermondialiste.
Guinotte Astrid, « À la fin on foutrait sa vie pour rien ». Le suicide des « combattants » pendant la Première Guerre mondiale, sociographie, réactions, mémoires, M2 sous la direction de Pascal Ory, 2010-2011, 95 p., cotation en cours
La réflexion engagée porte sur le suicide des « combattants » durant la Grande
guerre et son traitement dans le monde militaire, politique, social ainsi qu’au niveau
individuel, de 1914 à nos jours. Elle s’inscrit dans la problématique de la ténacité combattante [F. Rousseau, 1999 ; A. Loez, 2010] mais cette question de fond a été réinvestie
et élargie.
Ainsi, la population envisagée ne se réduit pas à « ceux qui affrontent effectivement et durablement le danger » – les fantassins – mais à l’ensemble des mobilisés sur
les différents fronts (de l’infanterie à l’aviation et du simple soldat à l’officier supérieur)
afin de rendre compte des multiples expériences de guerre, notamment introduites
par la variété des identités militaires [A. Loez, 2009]. De plus, nous n’avons pas recherché – ou alors indirectement – les ressorts idéologiques et pratiques de la ténacité.
L’accent a plutôt été mis sur les contextes de son absence ainsi que sur les réactions
que les suicides ont suscités pendant et après la Première Guerre mondiale.
Quant à la définition du suicide, puisqu’elle varie selon les époques, les lieux et les
observateurs, elle est volontairement floue au départ. Au niveau théorique, on peut
suivre Maurice Halbwachs lorsqu’il distingue le suicide du sacrifice en montrant que le
habilitations, thèses, masters
189
premier ne relève pas d’une décision de groupe approuvée par la société et souvent
entourée d’un rituel. Il est également possible, contre Emile Durkheim, de ne pas retenir l’idée voulant que le suicidé agisse « en connaissance de cause » puisque, pour la
période considérée, il peut être hagard, atteint de shell shock. Il n’en reste pas moins,
qu’au niveau pratique, nous avons surtout proportionné nos propos aux dimensions
des sources disponibles et tenté de rendre compte des hésitations à qualifier, en 19141918, certaines morts de suicide.
Dans un contexte où l’impératif patriotique est régulièrement énoncé, où le « regard de l’autre » demeure alors que les relations sociales sont constamment redéfinies, où il ne faut jamais perdre la face, même si la perception du temps est modifiée
voire altérée [Jagielski, 2005], quelles sont les configurations qui rendent possible le
passage à l’acte et la constitution de ce dernier en problème suscitant l’intérêt social,
sachant que l’étude des mobilisations, notamment pour la mémoire, est inséparable
d’autres contextes : celui du retour à la vie civile dans les années 1920 ou de l’« activisme 14-18 » [N. Offenstadt, 2010] dans les 1990 et 2000 ?
Pour répondre à cette question, la démarche adoptée est essentiellement comparative [E. Julien, 2004] ; les sources utilisées sont multiples (témoignages combattants,
archives du contrôle postal, journaux de marches et d’opérations des unités, fichier
des non-morts pour la France, dossiers médicaux des armées) et les axes de recherche développés sont au nombre de trois.
La première partie propose d’analyser le suicide en lui-même. Si le chiffre exact de
morts par suicide ne pourra jamais être connu, nous avons considéré que le fichier des
non-morts pour la France permettait néanmoins d’établir des distributions justes [D.
Rolland, 2005 ; C. Baudelot et R. Establet, 1984]. L’enjeu ici est triple. D’une part, nous
aimerions tester la validité de la rupture classique que constituerait la période 19141918 en adossant les données de la composition sociale de notre groupe avec celles
des périodes antérieures. D’autre part, il faudra souligner les corrélations qui peuvent
exister, ou non, entre la position sociale, la position hiérarchique dans l’armée (exposition au danger) et le suicide. Enfin, en analysant le déroulement de l’acte selon une
configuration socio-militaire et spatio-temporelle, nous aimerions éviter une étude en
termes de « causes » et insister sur les conditions de possibilité.
Dans une deuxième partie, on s’interroge sur les réactions qu’un suicide engendre
dans un monde où la mort est partout, en plaçant au cœur de l’analyse la variation
des sensibilités. À travers les discours et les pratiques d’une ronde d’acteurs issus de
la société militaire, civile et religieuse, un retour critique sera opéré sur les séparations trop brutales faites entre les différents grades, les différentes armes et le monde
de l’avant et de l’arrière. Sous cet angle là, on s’intéresse aux moyens énoncés et/ou
utilisés pour éviter le suicide dans l’armée, aux premiers gestes accomplis lors de la
190
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
découverte d’un corps et aux interactions et ressources permettant de donner sens
à l’événement à travers les causes attribuées, les jugements émis et les enterrements.
La troisième partie est consacrée aux traces que ces hommes ont laissées dans
l’espace public, de la fin du conflit jusqu’à aujourd’hui afin d’apprécier la dégradation
sociale dont ils sont susceptibles d’être victimes à l’image du fusillé [N. Offenstadt,
2009] ou du mutin [P. Olivera, 2008]. Quels sont les supports qui accueillent leur mémoire ? Leurs noms apparaissent-ils sur les monuments aux morts ? Dans l’affirmative,
cela relève-t-il d’un acte militant ? La figure du suicidé émerge-t-elle dans les discours
des anciens combattants ? Est-elle concurrencée par celle de l’ancien combattant qui
se suicide ? Existe-t-il des configurations historiques où ils sont plus visibles ? À l’approche du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, la question mérite
d’être posée…
Gustiaux Romain, Prolétaire et Propriétaire. L’accession aidée à la propriété dans
le cadre de la loi Loucheur à Villeurbanne, M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, 2011,
158 p., cotation en cours
Votée en 1928, la loi Loucheur est la première loi programmatique de financement
public du logement social en France. L’État se propose d’avancer aux organismes d’habitations à bon marché des crédits à taux préférentiels pendant cinq années (19281933) avec comme objectif final la création de 260 000 nouveaux logements. Un large
volet du programme est consacré à l’accession aidée à la propriété des classes populaires. La loi prévoit notamment d’étendre le « rêve » de la propriété à un plus large
public, en réduisant les taux d’intérêts des crédits immobiliers d’État et en transformant l’apport proportionnel de capital de la législation antérieure en un apport fixe.
Les emprunteurs peuvent même voir leur apport réduit ou supprimé et bénéficier de
subventions de l’État selon les cas. La loi Loucheur offre, à l’orée des années 1930, de
démocratiser l’accession à la propriété du logement. Tient-elle toutes ses promesses ?
À Villeurbanne, en banlieue lyonnaise, à la suite d’une initiative de la municipalité
socialiste soutenue par les industriels locaux, soixante-seize familles accèdent à la propriété de leur logement dans le cadre juridique et financier de la loi Loucheur. Ce sont
pour la plupart des ouvriers qualifiés constituant la base du savoir-faire industriel local,
aux revenus plutôt supérieurs à la moyenne et appartenant à la frange supérieure du
monde ouvrier. Certains ne sont cependant que de simples manœuvres aux revenus
assez faibles et ne se singularisant pas par leur appartenance à l’aristocratie populaire
des ouvriers de métiers. Ils démontrent par la réussite de leur projet résidentiel que
la loi Loucheur engage véritablement une démocratisation de la propriété. À partir
de 1931, les premiers effets en France de la crise économique internationale viennent
habilitations, thèses, masters
191
tout de même souligner les sacrifices endurés et les difficultés d’une telle aventure. Les
propriétaires restent des prolétaires.
Cette monographie est aussi l’occasion de montrer comment à l’échelle locale la
législation HBM est un outil juridique et financier qui peut être mis par les acteurs
locaux privés ou publics au service d’objectifs polymorphes. À l’échelle locale, il y a
une réinterprétation des objectifs premiers de la législation selon des systèmes de
valeurs, des intérêts particuliers ou des besoins conjoncturels qui n’obéissent qu’à des
logiques locales. À Villeurbanne, le projet des « cottages de Villeurbanne » est autant
l’occasion pour la municipalité socialiste de promouvoir un « poste d’urbanité avancé » aux confins du territoire de la commune que de préparer l’émancipation morale
et matérielle du prolétariat par le logement dans le cadre de l’idéologie politique du
socialisme municipal. L’intérêt des industriels locaux à soutenir le projet relève, dans
un contexte global de pénurie de main-d’œuvre, d’une logique paternaliste destiné à
fixer sur place les ouvriers qualifiés villeurbannais.
Jehanno Émilie, Féminisme et antiféminisme dans l’entre-deux-guerres, France et
Belgique, M2 sous la direction de Danièle Voldman, 2011, cotation en cours
Au début des années 1920, au moment où les mouvements féministes européens
font le bilan des avancées de leurs revendications comme des obstacles à leur satisfaction complète, une partie des actions se concentre sur la question du travail. C’est
dans ce contexte qu’est créé en 1926 à Londres l’Open Door Council puis à Berlin en
1929 l’Open Door International (ODI). Cette petite organisation se donne pour but
d’œuvrer pour l’égalité des hommes et des femmes au travail. Introduite en France
par des figures majeures du féminisme comme Maria Vérone et Andrée Lehmann,
elle reste néanmoins isolée, en opposition avec la plupart des autres organisations
féministes, centrées sur l’obtention des droits politiques. Malgré un regain d’activité
dû à la crise économique et aux menaces sur le droit au travail des femmes, la section
française de l’ODI créée en 1935, n’arrive pas à s’implanter durablement et à faire
aboutir ses objectifs. Le féminisme français reste dominé par la Ligue française pour
le droit des femmes.
Keiflin Élodie, Les adaptations du Rouge et le Noir. La poétique transmédiatique
de ce roman stendhalien (1920-2011), M2 sous la direction de Pascale Goetschel, 2011
Le Rouge et le Noir de Stendhal a connu une considérable fortune médiatique depuis 1920, année où le réalisateur italien Mario Bonnard a proposé la première adaptation cinématographique du roman. Dès lors, l’œuvre littéraire a cessé d’exister sous
192
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
sa seule forme originale pour donner naissance à un déferlement de cinquante-trois
autres adaptations jusqu’à nos jours. Les migrations transmédiatiques, variées et multiples, sont les lieux privilégiés des échanges intimes entre une littérature de la première moitié du xixe siècle et ses arts frères qui se sont développés tout au long du
xxe siècle sous divers supports et formes de diffusion. Une période de près d’un siècle
qui concerne une foule de vecteurs de dissémination offre un espace d’exploration
idéal pour appréhender les mécanismes de l’adaptation à travers les aspects romanesques occultés et préservés et comprendre, en retour, ses effets sur la perception
de l’œuvre originelle et de son auteur. La thèse développée ici est que les adaptations
du Rouge et le Noir sont essentiellement déterminées par le facteur vectoriel mais
que le contexte socio-historique et la personnalité des adaptateurs ne sont pas à
négliger. La première partie de l’ouvrage s’attache au corpus de sources en retraçant
l’évolution des adaptations selon trois axes. Le premier s’inscrit dans la perspective
historique (de 1920 à 2011), tandis que le second s’intéresse au réseau vectoriel, influencé par le septième art, et particulièrement, le film réalisé par Claude Autant-Lara
en 1954 avec Gérard Philipe, Danielle Darrieux et Antonella Lualdi. Le troisième met
sous les projecteurs les professionnels, d’ombre et de lumière, qui contribuent à la vague des œuvres. L’analyse d’un échantillonnage nous éclaire sur les aspects conservés
et ceux occultés par les conquêtes médiatiques à travers trois traits romanesques, à
savoir le récit-chronique, les décors et le texte stendhalien. Le dernier mouvement
esquisse une typologie des prolongements du roman, selon les rôles, les adaptateurs
et les accueils réservés au(x) Rouge et le Noir. En filigrane, le processus qui préside à la
réévaluation de Stendhal, longuement mis à l’index, se dévoile.
Leblanc Charlotte, La conversion du musée des Monuments français en musée d’Architecture au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine, 1993-2007, La
lente et complexe formation d’un nouveau genre d’institution culturelle, M2 sous
la direction de Pascal Ory et Julie Verlaine, 2011, 250 p., cote T 1582 LEB
Dans le contexte de rénovation des musées en France dans les années 1990, le
musée des Monuments français, situé depuis 1937 dans le palais de Chaillot à Paris, fait
également l’objet d’un projet de modernisation. Ses collections de moulages de monuments médiévaux et de copies de peintures romanes et gothiques doivent dès lors
être présentées par un discours plus orienté vers des notions de patrimoine et d’architecture. Depuis les premières réflexions mises en place dès 1993 par la directrice
du patrimoine, Maryvonne de Saint-Pulgent, jusqu’au projet proposé par l’architecte
et historien Jean-Louis Cohen, le musée s’oriente peu à peu vers un nouveau genre
d’institution culturelle : le musée d’Architecture.
Les musées exposant l’architecture et la ville se sont surtout développés depuis
habilitations, thèses, masters
193
les années 1970 à travers le monde. Ces institutions posent un problème muséographique notamment parce qu’il n’est pas possible d’exposer un bâtiment dans un musée. Le musée d’Architecture ne présente donc que des éléments de représentation
de l’architecture : maquettes, photographies, films, éléments grandeur nature, dessins
et plans. En France, certains architectes et historiens réclamaient l’ouverture d’une
telle institution, sans mentionner pour autant son installation au Palais de Chaillot et
une adaptation aux collections historiques du musée des Monuments français.
L’histoire de la conversion du musée des Monuments français en musée d’Architecture est donc celle d’une rencontre entre deux intérêts très différents, un projet
de réorganisation du musée d’une part et un projet de musée d’Architecture évoluant
en dehors du monde des musées de l’autre. La fusion entre les deux projets n’a
pas été sans heurts. Les difficultés rencontrées dans la mise en place du projet sont
frappantes lorsque l’on sait qu’il fallut quatorze ans pour élaborer le projet depuis le
lancement en 1993 jusqu’à la réouverture du musée des Monuments français en 2007
au sein d’une nouvelle institution culturelle appelée « Cité de l’architecture et du
patrimoine ». Les alternances politiques ont notamment eu un rôle important à jouer
dans les ruptures de la mise en place du projet.
Les difficultés rencontrées dans le projet tiennent aussi à l’objet de la représentation. En effet, l’exposition de l’architecture suscite de nombreux débats. L’étude du
paysage des musées d’architecture dans le monde permet de comprendre que les
medias choisis pour représenter l’architecture sont extrêmement variés. L’installation
d’un musée d’Architecture au sein d’une collection existante au Palais de Chaillot va
alors largement déterminer le discours et la manière de représenter l’architecture au
sein du musée. De même, le lien établi entre patrimoine et architecture au sein du
musée des Monuments français semble être une spécificité française.
Faute de soutiens politiques et financiers, la mise en place du chantier culturel d’un
musée d’Architecture au sein du musée des Monuments français s’est donc révélée
lente et complexe.
Lemaire Caroline, Le projet avorté d’une nécropole unique parisienne sous Haussmann : Méry-sur-Oise (1853-1887), M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, 2011, 129 p.
cote T 1583 LEM
Là où la plupart des personnes connaissent la création d’espaces verts, d’hôpitaux,
d’hôtels, de grands boulevards ou grands équipements publics sous le préfectorat
d’Haussmann, un projet peu connu chez les historiens et encore moins du grand public, était envisagé. Il est pourtant des plus passionnants, car il n’aurait pas seulement
changé, comme les autres transformations de Paris, l’aspect physique de la capitale, il
194
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
aurait également touché aux sentiments les plus profonds en bouleversant les mœurs
et coutumes parisiennes.
La loi de Prairial du 12 juin 1804 qui interdit la présence de cimetières dans les
villes, la rapide croissance démographique, et l’annexion de 1860 des communes périphériques, poussent Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, à envisager une
solution de grande ampleur pour résoudre le problème des inhumations parisiennes.
Dès 1853, il conçoit le projet de vaste cimetière parisien et unique de plus de 850
hectares, éloigné de 23 kilomètres du centre de Paris, sur le plateau désert de Mérysur-Oise ; en accord avec les théories hygiénistes de l’époque et la volonté d’égalité
devant la mort voulue par Napoléon III. S’enchaînent dès lors des mouvements de protestations et contre-projets, les morts devaient être enterrés loin de leurs familles et
de leurs paroisses. Autre élément, qui en découle, à la fois colonne vertébrale et point
noir du projet, les défunts et les visiteurs seraient conduits au cimetière par un chemin
de fer spécial, comme cela se passait déjà pour la London Necropolis. Mais Londres n’est
pas Paris. Le projet, estimé à l’origine par le baron à 15 000 000 de francs, survit au
passage du Second Empire à la IIIe République, bien que son concepteur ait abandonné
le navire. Pourtant, ce projet ambitieux n’a, au bout de trente années, pas vu le jour,
alors que tout était planifié et les terrains achetés. Les cimetières périphériques, dénigrés et pourtant conçus pour n’être que provisoires, demeurent la solution retenue.
Leon y Barella Alicia, Le cinéma américain en France (1926-1936) : domination et
résistances, M 2 sous la direction de Pascal Ory, 2011, 252 p., cote T 1580 LEO
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le cinéma américain commence à
asseoir sa domination sur les écrans européen, conséquence du ralentissement – sinon de l’arrêt – de la production européenne. Ce mémoire de master 2, préfiguration
d’une thèse d’école des Chartes, s’intéresse à deux aspects : d’une part, les moyens et
facteurs de la présence concrète du cinéma américain en France, ainsi que ses conséquences sur les relations politiques et diplomatiques entre les deux pays. D’autre part,
nous avons tâché de mettre au jour les répercussions mentales et culturelles de cette
domination. L’hégémonie progressive de Hollywood sur les écrans français nourrit
en effet un discours d’anti-américanisme et de rejet de la modernité que représente
notamment Georges Duhamel.
Nous nous sommes donc efforcée d’analyser les représentations – sous toutes ses
acceptions – du cinéma américain en France. Comment les Américains font-ils représenter leurs films ? Comment les Français se représentent-ils le cinéma hollywoodien ?
Quelles furent les conséquences de cette représentation mentale en termes de fascination et de résistances ? Il s’agira également d’analyser comment cet instrument
habilitations, thèses, masters
195
culturel de masse par excellence qu’est le cinéma fut utilisé par les instances politiques, mais également économiques et sociales, dans le cadre des relations francoaméricaines.
Les sources que notre étude a convoquées sont principalement de deux types : les
archives publiques (ministère des Beaux-arts et des Affaires étrangères notamment) et
les articles de journaux, à la fois professionnel et grand public.
Nous avons opté pour une approche chronologique qui place en leur milieu le moment du passage au parlant. De 1926 à 1929, la France subit encore les conséquences
de la Grande guerre. L’industrie du cinéma français est dispersée et Hollywood en
a profité pour submerger les écrans. Les compagnies américaines bénéficient, dans
leur conquête des écrans français, de l’appui de la Motion Pictures Producers and
distributors of America dirigée par William Hays ainsi que du gouvernement et de ses
ambassadeurs. Dès ce moment néanmoins, la présence du cinéma américain se réduit
progressivement, au bénéfice des productions françaises. Les premières formes de
contestation de l’américanisation des écrans apparaissent, au niveau national comme
européen, mais tardent à se faire entendre des pouvoirs publics. Le décret Herriot, en
1928, marque un point rupture, à partir duquel l’État commence à prendre en considération la protection du cinéma français.
Au moment du passage au parlant (1929-1933), plusieurs facteurs entraînent un
regain de dynamisme de la part de l’industrie française : le parlant provoque un rejet
des films parlant anglais, la crise économique met à mal Hollywood et de nouvelles
personnalités tentent de faire du cinéma une industrie moderne. Par ailleurs, l’État
s’efforce de mieux encadrer l’industrie du cinéma, en particulier par le biais du Conseil
supérieur du cinématographe. Par ailleurs, l’exploitation se renouvelle, d’abord dans
la douleur au vu des dépenses à effectuer pour la sonorisation des salles. Les années
1930 voient également le succès des salles qui se spécialisent dans les films en version
originale, sous-titrée ou non.
Cependant, face à la puissance de l’organisation américaine, ces espoirs sont rapidement déçus. Le cinéma américain, à la fin de la période (1933-1936), retrouve une
place importante sur les écrans. La politique de protection du cinéma français prend
un tour nouveau. Il s’agit désormais moins de défendre le film français contre les cinématographies étrangers que d’encourager le développement de l’industrie française.
Les rapports Petsche et de Carmoy, notamment, sont des manifestations importantes
de ces nouvelles orientations.
Parallèlement, les mesures de protection sont considérablement amoindries, notamment par le biais des accords Marchandeau qui, en 1936, autorisent une pénétration plus large des films américains. La réaction des professionnels à ces accords
montre néanmoins à quel point le discours de défense du cinéma – et par ce biais de
196
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
la culture française – s’est consolidé au long de ces dix années. L’« exception culturelle » qui ne verra sa réalisation concrète que bien plus tard, connait une ébauche de
théorisation dans l’entre-deux-guerres.
Lopuchovsky Stepan, Le président Jacques Chirac, politique militaire et l´Afrique :
continuité, évolution, changement ?, M2 sous la direction d’Olivier Wieviorka, 2011,
153p., cote T 1586 LOP
La politique militaire de la France en Afrique a nettement évolué sous la présidence de Jacques Chirac. Les raisons doivent être cherchées dans la guerre civile
au Rwanda de 1994. Celle-ci a démontré que Paris ne comprend pas aux évolutions
politiques en Afrique. Par conséquent, la France a déclenché le programme RECAMP,
parce qu´il était nécessaire qu’elle ne soit plus entraînée toute seule dans un engrenage militaire africain. De même manière, la volonté de changer la perception État/
régime par rapport aux pays africains était forte. L´Hexagone ne voulait plus être le
garant de la sécurité des régimes au pouvoir. D´ailleurs, il n´a pas disposé des moyens
pour l´être. C´est pourquoi Paris a commencé à dépersonnaliser sa politique africaine.
Le but était la stabilité des pays africains assurée par les Africains, pas la sécurité des
régimes au pouvoir assurée par l´Hexagone. Cela a permis aux Français d´avoir une
politique africaine plus flexible. Néanmoins, ils ne se sont pas retirés militairement du
continent noir. À travers des interventions militaires, la France a cherché à gagner la
crédibilité pour la France aussi comme pour l´Union européenne. D´ailleurs, l´Afrique
continue à être une source de l´identité française.
Maisonobe Simon, Politique(s) en ville nouvelle. Les élus face à Marne-la-Vallée,
1962-1984, M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, spécialité : Histoire urbaine, 2011, 226 p.,
cote T 1602 MAI
Politique(s) en ville nouvelle se propose d’étudier un objet très contemporain, un
objet dont l’histoire reste à faire et où le poids des témoins, acteurs, de la littérature
grise avait guidé une lecture qu’il fallait, si ce n’est déconstruire, au moins vérifier et/ou
nuancer. Par ailleurs, il s’agissait d’un objet qui impliquait une entrée pluridisciplinaire.
Les villes nouvelles peuvent être définies comme des villes importantes, situées
à l’intérieur d’une région urbaine. Elles ont toutes un centre urbain très équipé, elles
visent à un équilibre entre les emplois et le nombre d’habitants, donnent une grande
place aux espaces verts et pratiquent une politique d’animation urbaine. Elles sont
enfin un terrain d’expérimentation pour certaines innovations. Dès lors, les villes nouvelles s’inscrivent dans un contexte spécifique et sont le résultat de la création d’un
ensemble juridique original, qui modèle une nouvelle pratique politique entre les différentes échelles nationale, régionale et locale.
habilitations, thèses, masters
197
Le cadre monographique choisi impliquait un croisement des archives : archives de
différents types : plans, schémas, rapports, presse, bulletins municipaux, conseils généraux et de différentes échelles : nationales, départementales, communales, des syndicats d’agglomération, de l’établissement public, des associations… Dès lors, la problématique se concentre sur l’histoire politique, sur l’histoire d’une politique publique qui
pose la question essentielle des conditions de réalisation d’un projet d’ampleur nationale à l’échelle locale. C’est dans cette perspective que ce terrain d’étude devient le
lieu d’un affrontement essentiel entre « impératifs techniques et légalité démocratique ».
Les résultats soulignent la nécessité d’affiner une lecture rigide des rapports entre les
élus et les instances nationales, la notion de compromis se révèle essentielle et induit
une participation active des élus au projet.
Les bornes chronologiques (1962-1984) permettent de suivre et de mettre en
relation deux chronologies : celle d’un contexte national et d’une histoire locale. Les
trois parties du mémoire Archéologie d’un territoire 1962-1970, La naissance de la ville
1970-1977 et La reconquête de la ville 1977-1984 se structurent autour de cette tension.
•
Massouline Élodie, « Retour à Lilliput. » Le Jouet français, un périodique
professionnel (1930-1965), M2 sous la direction de Pascale Goetschel, 2010, 437 p., cote T
1530 MAS
Cf. article supra, p. 97-107.
•
Miot Claire, L’armée de Lattre, de la Provence à la Bourgogne. Jalons pour
une histoire de la participation de l’armée française au débarquement de Provence (15 août-12 septembre 1944), M2 sous la direction d’Olivier Wieviorka, 2010 , 233
p., cote T 1568 MIO
Cf article supra, p. 83-96.
Moignoux Auriane, De Tigery-Lieusaint à Melun-Sénart, les élus locaux dans la
préfiguration de la ville nouvelle, 1965-1973, M2 Spécialité histoire urbaine sous la direction d’Annie Fourcaut, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, 166 p., cote T 1579 MOI
Tigery-Lieusaint, Melun Sénart : deux projets différents pour nommer une ville
nouvelle singulière de 1965 à 1973.
Derrière un changement de dénomination se cache tout d’abord l’évolution du
parti pris urbanistique de la ville nouvelle : Tigery Lieusaint, projet de centre urbain
sur lequel l’État investit beaucoup devient la ville nouvelle de Melun-Sénart dès 1969,
dispersée sur trois secteurs d’urbanisation. Mais il s’agit surtout à travers cet exemple
de ville nouvelle de s’intéresser à l’accueil local du projet, alors que l’État cherche à
198
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
investir un territoire rural de la région parisienne et à priver les autorités locales de
leur maîtrise du développement urbain. De la contestation à l’appropriation, des élus
locaux, issus d’instances politiques diverses – conseil municipal, conseil général, Sénat
– sont confrontés à un projet d’aménagement du territoire qui porte aussi l’ambition
de réformer la gestion politique locale. Le croisement d’archives administratives avec
des entretiens d’élus locaux permet alors de reconstituer la chronologie du projet et
le portrait d’un territoire et de ses élus.
C’est l’occasion d’étudier les enjeux de la modernisation de la société française
dans les années 1960 à travers l’exemple d’un territoire rural en mutation.
Notard Sarah, La bataille de Champagne : mise en histoire et mémoire, M2 sous la
direction de Pascal Ory, 2011, 354 p., cote T 1593 NOT
Après la guerre, se créé un consensus sur le plan national et sur le plan local pour
s’accorder à dire qu’il faut faire perdurer la mémoire des combattants morts au champ
d’honneur. La nécessité de se rappeler naît donc de l’immensité des pertes et du besoin de « reconnaissance » des endeuillés et survivants. Partout en France, dès la fin
de la guerre, dans chaque commune est érigé un monument aux morts sur lequel est
gravé la liste des soldats morts au combat [Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française 1914-1939, vol. 3 : Idéologies, Paris, FNSP, 1977, p. 111-122. ]. Cela dit, la particularité des régions
directement touchées par la guerre est toute autre puisque ces espaces étaient situés
sur la ligne de front. D’autres signes mémoriels viennent se mettre en place pour
rappeler, en plus des morts, la particularité de ces régions. Ainsi, et le schéma est sensiblement le même sur les différents lieux de combat, se développe dans ces espaces,
encore largement marqués par cette page d’histoire, toute une série de monuments
commémoratifs, de mémoriaux, d’ossuaires, de cimetières, de panneaux indicatifs, etc,
pour rappeler l’aspect unique de la bataille, ses ressemblances avec d’autres dans le
cadre plus général de la Grande guerre, mais aussi ses spécificités.
La bataille de Champagne dont il est question dans cette étude est celle du 25 septembre 1915. Elle fait suite à l’échec de l’armée française lors de la bataille d’Artois
en mai et juin 1915. La Champagne a connu successivement, entre 1914 et 1918, cinq
batailles importantes : la première bataille de la Marne, en septembre 1914, la première
bataille de Champagne de décembre 1914 à mars 1915, la seconde bataille de Champagne, celle du 25 septembre 1915, la bataille des Monts en avril 1917 qui est la continuation géographique de l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames et la contreoffensive du 15 juillet 1918. La bataille du 25 septembre 1915 est assez caractéristique
dans le sens où elle représente un « tournant » dans l’histoire de la Grande guerre. Un
an après le début de la guerre, les soldats sont déjà enterrés dans les tranchées depuis
habilitations, thèses, masters
199
la fin de l’hiver 1915. Mais, avant septembre 1915, tous pensent encore que la guerre
sera courte. C’est avec l’offensive meurtrière de septembre 1915 et son issue peu glorieuse que le commandement de l’armée française, sous la direction du général Joffre,
réalise que la stabilisation du front est en fait le signe inéluctable d’une guerre qui
s’annonce longue [André Ducasse, Jacques Meyer, Gabriel Perreux, Vie et mort des Français, 1914-1918.
Simple histoire de la Grande Guerre, Paris, Hachette, 1965, 540 p.]. Le but de ce projet de recherche
n’est donc pas de se focaliser sur une histoire militaire qui relaterait encore une fois
les grandes étapes de tel régiment, de tel assaut ou de telle attaque. Il s’agit de mettre
en exergue comment la mémoire propre à un lieu et à un événement a pu être mise
en valeur sur un temps donné. C’est pourquoi l’analyse est poussée jusqu’à nos jours
puisqu’il est important de voir comment les acteurs locaux articulent leurs efforts et
leurs actions autour de la Champagne pour que cette région puisse tirer son épingle
du jeu face au « boom mémoriel » auquel on assiste depuis la fin des années 1970.
À travers ce travail de recherche, force est de constater qu’une construction
mémorielle tardive n’a pas autant d’impact sur l’inconscient collectif que lorsque le
processus mémoriel s’opère immédiatement. L’unique bataille de Verdun, victoire défensive, a marqué l’imaginaire collectif parce qu’elle a été médiatisée très tôt ; alors qu’il
apparaît qu’une mémorialisation lente relègue la Champagne, encore à l’heure actuelle,
à un niveau marginal. La sous-représentation effective de la bataille de Champagne du
25 septembre 1915 dans la mémoire globale de la Grande guerre s’explique peut-être
par le fait qu’elle est un échec de l’offensive française annoncée victorieuse. Cette percée tant attendue, porteuse de grands espoirs pour le commandement français mais
aussi pour le simple soldat, n’a en fait été porteuse que d’une déception amère.Ainsi, le
projet qui est le nôtre a été de voir quelles étaient les particularités de cette mémoire,
quel avait été son cheminement. La principale problématique qui a orienté le projet de
recherche ci-présent à été de savoir quelle place tenait la bataille de Champagne du
25 septembre 1915 dans la mémoire globale d’un secteur précis de la Grande guerre,
à savoir la Champagne, sur un plan local mais aussi national.
Dans une première partie, la bataille en elle-même a été abordée, le regard des
acteurs qui l’ont vécue et les première initiatives visant à matérialiser physiquement la
guerre en Champagne. Tout d’abord, une analyse de la bataille du 25 septembre a été
faite. Ainsi, le fait d’avoir mis en perspective l’événement dans le contexte plus large de
l’année 1915 a permis de comprendre quelles ont été les constructions mémorielles
opérées autour de cet épisode. Le regard porté à cette analyse est celui véhiculé par le
discours officiel, celui du commandement français. Les échecs répétés et la désillusion
causée par celui de l’offensive de septembre 1915 ont entraîné une qualification de
cette région relativement négative : « Champagne pouilleuse, Champagne poisseuse ».
Un imaginaire ambigu s’est donc construit autour de la région qui a représenté à la
200
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
fois l’espoir de voir se terminer la guerre mais aussi l’objet de souvenirs néfastes. De
fait, il a semblé important d’appréhender, en second lieu, cette bataille, mais du point
de vue combattant. En effet, ce discours rompt avec l’officiel puisque les soldats ont
été les témoins directs de l’événement. La somme des récits qui a été étudiée a permis
de déceler des points de vue, des ressentis, qui étaient globalement partagés : « à l’enthousiasme de départ succède une cruelle déception ». Le discours combattant sur la
bataille, qu’il soit sous forme de carnets de guerre ou de poèmes, nous a montré que
la bataille de Champagne avait été pour eux un moment important, au même titre que
la bataille de Verdun ou que celle du Chemin des Dames. Dans un troisième temps, le
travail de recherche a montré en quoi ces récits, plus ou moins officiels, avaient contribué à faire émerger une spécificité des combats de septembre 1915 en Champagne et
ont eu un impact dans la matérialisation de la mémoire sur le paysage. Les premières
manifestations mémorielles de deuil et de souvenir sont directement postérieures à
la guerre. Les pratiques comme le tourisme de guerre ont permis de faire naître une
mémoire particulière, celle d’un champ de bataille dont la renommée était diffusée par
les communiqués officiels. Les cimetières militaires ont aussi été les vecteurs d’une
identité champenoise puisque leur organisation spatiale révèle des logiques de regroupement en fonction des secteurs de l’ancien front. De plus, ils sont au cœur des
pratiques commémoratives, et de ce fait, participent à la mise en valeur de la région
dans le cadre du tourisme de guerre. À travers les actions du Père Doncoeur et du général Gouraud, qui ont été les premiers instigateurs de l’érection de monuments, il est
aisé de voir que la mémoire d’un événement, ou d’une région, résulte d’une initiative
volontaire ayant pour principal objectif de transmettre un message et d’éviter l’oubli.
Ainsi, le Père Doncoeur, à l’origine du calvaire de la 28e Brigade, a voulu représenter
l’unité dans laquelle il était affecté. Ce monument est le premier symbole volontaire
de la guerre et des combats de septembre 1915 en Champagne. Néanmoins, le général Gouraud, chef de la IVe Armée en juillet 1918, a aussi été une figure importante
puisqu’il a été l’instigateur du monument de Navarin, dédié aux morts des armées de
Champagne. Ces deux moments fondateurs ont posé les jalons d’un cheminement
mémoriel qui est toujours en œuvre à l’heure actuelle.
La deuxième partie de ce travail de recherche s’est orientée sur la matérialisation
effective de la Grande guerre en Champagne.Ainsi, les traces de la guerre et les acteurs
qui ont contribué à administrer cette ancienne zone de front entre la fin des années
1920 et la fin des années 1970 sont au cœur du propos. Les initiatives qui ont permis
d’intégrer le souvenir de la guerre dans la reconstruction des édifices, d’ériger des monuments commémoratifs ou encore des chapelles et ossuaires sont autant d’actions
qui ont impulsé le mouvement mémoriel autour de la Grande guerre en Champagne.
Tout cet ensemble patrimonial ne forme pas un tout homogène. En effet, dans chacun
habilitations, thèses, masters
201
des cas, diverses allusions sont faites aux différentes batailles qui ont eu lieu dans ce
secteur, à différents régiments, à une catégorie de morts ou à l’ensemble des morts de
Champagne. Cela ne permet pas d’extraire de ce patrimoine commémoratif une seule
identité mémorielle. Néanmoins, au sein de cette multitude d’initiatives individuelles,
un acteur mémoriel tient une place considérable dans le processus mnémonique en
Champagne, l’association du souvenir aux morts des armées de Champagne. Cette
association, fixée sur des bases solides, tire sa légitimité essentiellement dans sa composante militaire. Ainsi, les actions et les moyens de réalisation mis en place par cette
dernière dans cette région montrent qu’elle est un véritable pôle mémoriel de la
Grande guerre en Champagne. Fondée autour du monument de Navarin et de la figure fondatrice du général Gouraud, l’Association est à l’origine de l’organisation de la
grande majorité des manifestations en Champagne. Ainsi, en ayant étudié les discours
produits par ses membres, on se rend aisément compte que son activité mémorielle
est largement orientée autour de la bataille du 15 juillet 1918. Néanmoins, bien que les
discours et les membres de l’Association mettent un point d’honneur à représenter
les événements glorieux de Champagne, elle gère toute l’activité mémorielle de la région, incluant, de fait, les combats de septembre 1915, même s’ils restent quelque peu
marginaux. Enfin, la mémoire de la Grande guerre en Champagne se matérialise dans
l’ensemble des sept villages détruits. Le processus législatif menant à la suppression de
ces communes a été long et a de fait entravé la mise en place d’un patrimoine mémoriel autour de ces villages. Quelques monuments en l’honneur de ces derniers sont
érigés dans les années 1930 et leur nom est rattaché à d’autres communes dans les
années 1950, dans le but de faire perdurer leur mémoire. De plus, l’existence de camps
militaires renfermant ces villages les rend de fait inaccessibles au public. Néanmoins,
une rupture est opérée dans les années 1980 autour de ce patrimoine. Ainsi, ces sites
ont été progressivement ouverts et ont bénéficié, dès lors, d’une grande attention.
Ces villages, témoins et victimes des combats de 1915, font l’objet d’une valorisation
croissante et participent pleinement à la construction d’une identité mémorielle de la
Grande guerre en Champagne. On voit donc très nettement que la tendance qui se
dessine à la lecture de ces lignes est celle d’une mémoire plurielle qui caractérise l’ancien front de Champagne. La multiplicité des batailles et leur matérialisation concrète
rendent impossible l’individualisation d’un processus mémoriel unique. Les différents
acteurs ayant à charge cette mémoire, même s’ils portent leur attention sur un point
plus que sur d’autres, n’en sont pas moins les garants d’une mémoire qui comprendrait
la globalité des événements de la Grande guerre s’étant déroulés en Champagne.
En troisième et dernière partie de l’analyse, il a été intéressant de montrer en
quoi, la tendance qui apparaissait précédemment, à savoir l’existence d’une mémoire
multiple en Champagne, se confirmait à partir de la fin des années 1970. En effet, par
202
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
un travail autour des représentations nationale et locale de la bataille, il a s’agit en
fait d’appréhender la place de la bataille de Champagne du 25 septembre 1915 dans
la mémoire transmise et dans les pratiques mémorielles locales. C’est dans cette optique que s’est insérée l’analyse de la bataille de Champagne vue sous le prisme de
l’enseignement secondaire en France. L’étude sur les manuels scolaires a révélé que le
25 septembre 1915, bien qu’étant présent au sein de ces derniers, ne fait cependant
pas l’objet d’une grande attention puisque la bataille est très peu évoquée en tant que
telle. De plus, elle fait l’objet d’une sous-représentation si l’on établit une comparaison
avec le traitement de la bataille du 15 juillet 1918. Néanmoins, ce qui émerge clairement au regard de cette étude, c’est qu’au-delà d’une prépondérance d’une bataille
par rapport l’autre, c’est la place de la Champagne en général qui reste marginalisée.
Dans la même optique, il a été intéressant, pour voir quelles étaient les représentations locales contemporaines de la bataille, d’analyser le processus commémoratif.
Celui-ci révèle que les commémorations en Champagne restent essentiellement dans
un cadre local, malgré la volonté affichée de la part des acteurs mémoriels de leur
donner une dimension nationale. Ainsi, le moyen mis en place pour tenter d’y parvenir
est la mise au premier plan non seulement de la victoire du 15 juillet 1918 (comme
tournant de la guerre), mais aussi du caractère central de la Champagne durant la
guerre et de l’activité constante du front à cet endroit. Ainsi, une prise de conscience
de la marginalité de la Champagne dans le processus mémoriel global, en pleine expansion depuis ces dernières décennies, enclenche à un niveau local la volonté de pallier
cette sous-représentation et de donner à la région la place qui lui revient. Ainsi, dès
les années 1980, les acteurs locaux déploient des moyens importants pour valoriser
la Champagne. Une nouvelle offre touristique se met progressivement en place, des
partenariats entre les divers acteurs se font, dans le but de créer un « front unique »
pouvant peser sur la scène nationale. La création en 2002 du circuit touristique « Sur
les pas des armées de Champagne » et en 2005, la mise en place de manifestations
sortant du cadre ordinaire pour célébrer le 90e anniversaire des combats de 1915, ont
été les points de départ d’une nouvelle activité et d’une nouvelle offre mémorielles
en Champagne. La création en 2005/2006 du Centre d’interprétation Marne 14-18 à
Suippes suit cette logique et constitue une véritable rupture puisque dès lors, les initiatives mémorielles en Champagne sont canalisées. Le Centre est une véritable plaque
tournante de la mémoire de la Grande guerre en Champagne. Un nouveau tourisme
de mémoire se développe et de nouvelles formes mémorielles se mettent en place (les
reconstitutions de tranchées par exemple). C’est donc depuis 2002 qu’un tournant est
opéré se traduisant par la naissance d’une véritable cohésion mémorielle sur l’ancien
front de Champagne, qui permet désormais à ce secteur d’avoir de puissants atouts
pour concurrencer les autres pôles mémoriels gravitant autour de 14-18 en France.
habilitations, thèses, masters
203
Piesen Alexandra, L’émergence de la question de la monoparentalité dans la
politique publique, 1970-1990, M2 spécialité Histoire urbaine, sous la direction d’Annie
Fourcaut, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, cote T 1578 PIE
Les familles monoparentales, très présentes en France actuellement, sont une catégorie familiale qui n’a été reconnue officiellement que récemment. L’émergence de
la question de la monoparentalité dans les politiques publiques apparait dès les années
1970. A cette époque, la société française connait de nombreux bouleversements dans
des domaines divers : mai 1968, passage de l’autorité paternelle à l’autorité parentale,
autorisation du divorce par consentement mutuel, développement des unions libres…
La cellule familiale évolue et de nouvelles conceptions de la famille apparaissent.
Dès l’émergence de la monoparentalité, cette nouvelle catégorie familiale est
associée à une catégorie de l’action sociale. En effet, la monoparentalité concernait
principalement des femmes seules issues de milieux modestes. Cependant, les politiques et les sociologues ont multiplié les études et les enquêtes de terrain relatives
à cette cellule familiale pour comprendre au mieux ses attentes et besoins. Pourquoi
la famille monoparentale est-elle reconnue à cette période et par quels biais ? Quels
enjeux entrainent cette reconnaissance ? Pour répondre à cette question, ce mémoire
s’est appuyé sur des sources variées : recensements de l’INSEE, extraits de journaux
d’époque, textes législatifs, études de la CNAF… Ces différents documents ont permis
de déconstruire certains préjugés attachés à la monoparentalité.
Différents constats ont pu être observés : les familles monoparentales n’ont pas
obligatoirement des femmes à leur tête, la monoparentalité est une période transitoire et non un statut de longue durée, la monoparentalité touche les hommes et les
femmes à différents âges de la vie et aucune catégorie d’individu n’est à l’abri de se
retrouver un jour en situation de monoparentalité.
Pineau Eléonore, Les travailleurs de l’assainissement, des ouvriers municipaux de
la ville de Paris, 1890-1940, M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, spécialité : histoire
urbaine, 2011, 133 p., T 1576 PIN
Entre 1895 et 1899, les ouvriers municipaux de la ville de Paris obtiennent l’instauration d’un règlement définissant des conditions de recrutement et de titularisation identiques pour l’ensemble des travailleurs des services techniques de la capitale
ainsi que le bénéfice d’un régime de retraite. Ce premier statut, qui garantit en outre
aux ouvriers municipaux un certain nombre d’avantages sociaux, place les travailleurs
des services techniques parisiens dans une situation privilégiée par rapport à leurs
collègues des industries privées. Pour autant, le statut des ouvriers demeure moins
favorable que celui, plus ancien, des employés des administrations de la capitale. L’ins-
204
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
tauration de ce statut s’inscrit dans une dynamique de fonctionnarisation du personnel
municipal qui touche alors de nombreuses villes en France.
Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le statut et le régime de retraite
intègrent progressivement de nouveaux avantages sociaux qui ne sont plus systématiquement propres aux municipaux et évoluent dans le sens d’un rapprochement entre
condition des employés et condition des ouvriers.
Revendication majeure des travailleurs durant les deux premières décennies du
xxe siècle, le statut s’efface cependant peu à peu des priorités des agendas tant politiques que syndicaux dans les années 1930 qui voient dominer les questions salariales.
Les ouvriers du service municipal de l’assainissement sont restés dans l’ombre du
réseau technique qu’ils font fonctionner et demeurent inconnus des historiens. Près
d’un millier de dossiers du personnel conservés par l’actuel Syndicat interdépartemental de l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) permettent pourtant de
dresser un « portrait de groupe » de ces agents de la modernisation et de la salubrité
de Paris. Ouvriers majoritairement peu qualifiés à la recherche d’un emploi stable,
ces travailleurs sont occupés à une grande diversité de métiers, en usine ou dans les
champs d’épandage. Cette diversité de métiers ajoutée à la dispersion physique de
leurs lieux de travail jouent contre la formation d’une identité professionnelle forte.
Poisson Michel, L’École internationale d’enseignement infirmier supérieur à Lyon,
1965-1995 : une tentative de construction disciplinaire des soins infirmiers en
France ?, M2 sous la direction de Michel Pigenet, 2011, 146 p., cote T 1611 POI
À l’initiative de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’École internationale
d’enseignement infirmier supérieur (EIEIS) ouvre à Lyon le 6 septembre 1965 et ferme
30 ans plus tard. Outre son caractère international témoignant de l’envergure du projet, cet événement consacre en France, une première rencontre entre la profession
infirmière et l’université. L’entreprise retient d’autant plus l’attention que l’historiographie de la profession infirmière montre qu’une rencontre de ce type, longtemps
impensable en France, fut beaucoup plus précoce dans d’autres aires culturelles. Aux
États-Unis ou au Canada par exemple, les premiers rapprochements sont observables
dès les années 1920 et aboutissent à la création d’authentiques formations doctorales
en sciences infirmières à la fin du siècle.
Devant ce constat et ce qui est alors devenu un terrain central d’investigation à
nos yeux, nous nous sommes demandé si l’édification de cette école ne constituait
pas une tentative de construction disciplinaire des soins infirmiers en France. Pour
tenter de répondre à cette question, nous avons identifié de nombreuses sources
exploitables : archives à Lyon (EIEIS, Hospices civils, municipales), archives de l’OMS,
ministérielles, sources imprimées contemporaines, acteurs et témoins vivants.
habilitations, thèses, masters
205
Dans un premier temps, nous avons puisé à ces sources pour esquisser le portrait du personnel dirigeant et enseignant fondateur de l’EIEIS, toutes des femmes. Le
parcours, la formation, la personnalité, les choix pédagogiques et les publications de la
plupart des membres de ce groupe consolident la crédibilité de la piste d’une tentative
de construction disciplinaire. Elles apparaissent en effet comme des militantes de la
cause des infirmières et des soins infirmiers, chacune à sa façon. Cette investigation
mérite néanmoins d’être approfondie par la confrontation de ces premières conclusions à la réalité des pratiques, en prenant en compte ce qui se joue du côté des acteurs universitaires et des étudiants eux-mêmes, issus d’un recrutement international
d’une grande diversité.
Mais cette première fréquentation des sources nous a aussi permis de mettre en
évidence que l’enjeu ces années-là porte d’une façon plus large sur la recomposition
des configurations de travail dans le champ de la santé, notamment hospitalier, et
que les infirmières sont loin d’être les seules concernées par l’événement. D’autres
acteurs, parmi lesquels les directeurs et les médecins, sont partie prenante dans ce
qui peut aussi être regardé comme une lutte pour un nouveau partage de territoires,
d’autant qu’il est question, sans ambiguïté, d’une formation supérieure.
Entre le raisonnement strictement sanitaire, au caractère supra national de l’OMS
d’une part, le raisonnement empreint de pragmatisme, voire teinté de corporatisme
des acteurs concrètement interpellés par l’événement au niveau national d’autre part,
il y a des espaces d’interactions à explorer en profondeur, pour mieux comprendre la
problématique des infirmières, ce qui porte ou ce qui freine leur projet. Ainsi s’ouvre
un chantier pour une thèse susceptible de contribuer à l’histoire des infirmières, du
travail des femmes et de la santé publique en France.
Roumier Jean-Théophane, À la recherche d’une gauche syndicale libertaire. Entre
politique et syndical : pratiques, stratégies, discours des militants de l’Union des
travailleurs communistes libertaires (UTCL) de 1974 à 1991, M2 sous la direction de
Michel Pigenet, 2011, 206 p., cote T 1595 ROU
Hiver 1974 : ce sont les « enseignements » de la grande grève des postiers qui vont
engager de jeunes militants ORA des PTT à créer une tendance pour une Union des
travailleurs communistes libertaires au sein de leur organisation. Sous le sigle UTCL,
dix-sept années durant, des militants vont se retrouver sur un constat commun : l’action syndicale est une nécessité pour les révolutionnaires, qui peuvent et doivent
ainsi ancrer leur militantisme au cœur de la classe ouvrière. D’abord rassemblés en
tendance au sein de l’ORA, les militants de l’UTCL en sont exclus en 1976. Tentant
de construire une « organisation ouvrière pour le communisme libertaire », ils développent une intense activité matérialisée notamment par l’édition de « bulletins de
206
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
boîtes ». Ancrée au sein du courant « libertaire ouvrier », l’UTCL ne néglige pas pour
autant son inscription dans des dynamiques unitaires plus large, notamment avec le
reste de l’extrême-gauche. La fin de la décennie 1970 marque aussi celle des années
« d’insubordination ouvrière ». L’espace politique de l’UTCL se rétracte alors que la
perspective d’une victoire électorale de la gauche institutionnelle polarise les attentes
au détriment du développement des luttes en entreprise. L’arrivée des principaux
animateurs de l’UTCL à des postes de responsabilité syndicale – principalement dans
la CFDT – entraîne une mutation de sa forme organisationnelle qui prend de plus
en plus les contours du réseau. Essentiellement présents aux PTT, à la SNCF et dans
l’Éducation, les membres de l’UTCL cherchent alors à construire une intervention
de « gauche syndicale libertaire » dans une CFDT en plein recentrage. « Basistes »,
« assembléistes », les militants de l’UTCL revendiquent un syndicalisme promouvant
l’autonomie ouvrière, la défense intransigeante de la démocratie syndicale et de l’auto-organisation des luttes. Ne négligeant pas le recours à l’action directe lorsqu’elle
est collective, porteurs d’un discours anti-hiérarchique, ils développent par ailleurs
un syndicalisme à vocation majoritaire. Pour les militants de l’UTCL, le syndicat c’est,
dans l’entreprise, lieu central de la lutte de classe, le contre-pouvoir nécessaire à une
perspective de transformation sociale. S’appuyant sur ces pratiques mais se revendiquant aussi les héritiers tout à la fois de la CFDT de 1970, celle de l’autogestion, et
de la CGT d’avant 1914, celle de la grève générale, ils veulent dessiner dans les années 1980 une perspective syndicaliste révolutionnaire refondée. Militants politiques,
ils élaborent alors une proposition d’intervention dans les luttes sociales, celle d’être
des « animateurs autogestionnaires de lutte », alternative à la démarche avant-gardiste. Démarrée à l’hiver 1986 et se poursuivant jusqu’en 1989, la vague de grève de
la seconde moitié des années 1980, qui plébiscite la forme des « coordinations », va
marquer la possibilité pour l’UTCL de faire partager son projet et ses valeurs syndicales. Ses militants postiers sont parmi les premiers déshabilités de la CFDT en 1989
et s’engagent résolument dans la fondation d’un nouveau syndicat : SUD aux PTT. Dès
lors la construction d’un « syndicalisme alternatif » implique de réétudier la position
tenue par l’UTCL de « gauche syndicale » se déterminant par rapport à une « bureaucratie ». Dans cette perspective l’UTCL peut-elle continuer d’exister sous une forme
façonnée par les combats antérieurs ? En 1991, c’est pour répondre aux enjeux d’une
nouvelle période, que ses membres décident d’auto-dépasser le cadre UTCL dans une
nouvelle organisation, Alternative libertaire.
habilitations, thèses, masters
207
Sanson Olivia, Le conflit du Parisien libéré : un tournant décisif dans la modernisation des imprimeries de la presse parisienne ? D’un conflit d’entreprise à un
enjeu professionnel majeur : les ouvriers du Livre face aux évolutions techniques
du début des années 1970 au début des années 1990, M2 sous la direction de Michel
Pigenet, 2011, 283 p. cote T 1587 SAN
Ce travail a pour point de départ le conflit du Parisien libéré, conflit social exceptionnel qui a mobilisé pendant 29 mois, de mars 1975 à août 1977, les ouvriers de
ce quotidien opposés à leur patron, Emilien Amaury. Le sujet initial a été élargi afin
de souligner un aspect essentiel de l’histoire des ouvriers du livre au xxe siècle : leur
adaptation au progrès technique qui, à partir des années 1970, se mue en une révolution technologique profonde. Il vise à comprendre comment le conflit du Parisien libéré
s’inscrit dans cette problématique et la transforme.
Au tournant des années 1960-1970, de nouveaux procédés de composition et
d’impression font leur apparition. Ces évolutions techniques qui conduisent à la disparition progressive de la fabrication au plomb touchent un milieu professionnel caractérisé par des qualifications élevées et anciennes, des habitudes de travail et des relations
sociales marquées par l’importance de l’organisation syndicale. En effet, la Fédération
française des travailleurs du Livre-CGT et son homologue parisien, le Comité intersyndical du livre parisien exercent le monopole de la représentation syndicale. Un
conflit très dur naît en mars 1975 entre Émilien Amaury qui conteste le système de
production propre à la presse parisienne et déplace sa production dans d’autres imprimeries, et les ouvriers de ses anciennes imprimeries qui refusent une telle situation.
La grève des ouvriers du Parisien libéré est remarquable à plus d’un titre : la longueur
du conflit, la mobilisation des différents acteurs y prenant part, les modalités d’actions
parfois très violentes, son caractère éminemment politique et médiatique. Le déroulement du conflit fait apparaître à la fois la solidarité indéfectible d’une profession mais
aussi les relations complexes et parfois ambiguës qui se nouent entre les différents
acteurs syndicaux et politiques. Au cœur d’une période très conflictuelle, en juillet
1976, un compromis est trouvé entre les ouvriers du Livre parisiens et les patrons
des autres quotidiens nationaux qui signent un accord-cadre sur les conditions de la
modernisation et les mesures sociales permettant d’adapter les effectifs sans licenciement.
La conclusion de ce mémoire vise à évaluer l’impact d’un tel conflit sur la poursuite de la modernisation dans les imprimeries de la presse quotidienne nationale. Il
apparaît que le conflit a replacé la négociation au cœur des stratégies d’entreprises
et a conduit à une modération des politiques patronales et syndicales mais il a par
ailleurs consolidé les ouvriers du Livre et leurs syndicats dans leur vision critique de
la modernisation. De ce fait, la modernisation des équipements et la reconversion des
ouvriers professionnels ont été des processus lents et maîtrisés seulement partir de la
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
208
fin des années 1980 à travers de nouveaux accords au moment où les métiers ouvriers
les plus anciens disparaissaient.
•
Siassia Amarillys, La maison du prisonnier de la Seine. Entre aide et surveillance
(1941-1944), M2 sous la direction de Danièle Voldman, 2010, cote T 1533 SIA
Cf. article, supra, p. 109-119.
Topart Alexandra, Le Quartier Latin dans la guerre d’Algérie (1954-1962), M2 sous la
direction de Raphaëlle Branche et Olivier Wieviorka, spécialité : histoire politique, 2011, 158 p.,
cote T 1600 TOP
Le Quartier Latin apparaît souvent comme un quartier intellectuel, universitaire
mais aussi comme un quartier engagé dans les combats de son époque. Cette identité
semble se renforcer lors de la guerre d’Algérie. En effet, bien que le front principal se
situe de l’autre côté de la Méditerranée, un second front se développe : il se produit un
phénomène d’importation de la guerre d’Algérie sur le sol métropolitain. Le Quartier
Latin se trouve alors au cœur de la bataille de Paris qui s’engage entre le gouvernement français et les nationalistes algériens. On peut donc se demander comment cet
espace local participe à un conflit dont les enjeux principaux se situent à l’échelle
nationale. Le Quartier Latin occupe une place particulière dans cette guerre. En effet,
c’est un espace de contact entre de nombreux acteurs politiques et sociaux. On y
trouve une forte communauté algérienne. De plus, de nombreux étudiants et intellectuels y ont élu domicile. Les échanges entre ces groupes sociaux sont quotidiens.
Mais les tensions se renforcent peu à peu car les militants de tous bords cherchent
à s’approprier le quartier. Cette prise de contrôle de l’espace public, voire privé, se
traduit par la multiplication des manifestations et des meetings. La lutte politique devient parfois violente : elle donne lieu à des combats de rue entre étudiants ou encore
à des attentats commis par le FLN ou l’OAS. Le Quartier Latin est donc un espace
sous tension que la police cherche à protéger et à maîtriser en mettant en œuvre une
politique de répression portant atteinte aux libertés et recourant parfois elle aussi à la
violence, comme c’est le cas le 17 octobre 1961. La fin de la guerre apporte à cet espace un bref moment d’apaisement mais ses habitants se remobilisent très vite autour
de nouveaux enjeux politiques et sociaux : la génération algérienne devient, quelques
années plus tard, la génération de mai 68. Son terrain d’action reste le Quartier Latin
qui conserve ainsi son image de quartier rebelle.
habilitations, thèses, masters
209
Trescases Céline, Le Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis sous la direction
de José Valverde (1966-1976). Un militant communiste à la tête d’un théâtre
populaire de la banlieue rouge, M2 sous la direction de Pascale Goetschel et Pascal Ory,
spécialité : Histoire culturelle, 2011, 243 p., cote T 1588 TRE
Ce mémoire consiste en une monographie du Théâtre Gérard-Philipe de SaintDenis sous la direction de José Valverde, de 1966 à 1976. Expérience de décentralisation théâtrale en banlieue parisienne, le Théâtre Gérard-Philipe connaît sous la direction de José Valverde une décennie décisive, destinée à assurer sa pérennité et son
assise locale. Dans le cadre d’une histoire culturelle du spectacle vivant, il s’agit d’être
attentif à l’ensemble des facteurs qui déterminent l’activité théâtrale, qu’ils soient politiques, sociaux, économiques, juridiques, techniques ou artistiques. Dès lors, l’enjeu
est d’interroger les modalités de la rencontre entre une institution théâtrale de la
banlieue rouge, inscrite dans un espace urbain et culturel donné, et un homme de
théâtre militant communiste, marqué par une culture politique et artistique originale.
Ainsi, l’analyse consiste à mettre en lumière la spécificité de la direction de José Valverde au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, en analysant l’empreinte de l’homme
sur l’institution théâtrale et la façon dont il contribue à forger son identité, en tant que
théâtre populaire de la banlieue rouge. Cette dénomination canonique, qui recouvre
à Saint-Denis une réalité singulière, engage l’inscription spatiale, la couleur politique
et la vocation populaire de l’institution théâtrale. Dès lors, le travail explore les trois
principales dimensions constitutives de l’identité du Théâtre Gérard-Philipe de SaintDenis, théâtre de banlieue, théâtre communiste et théâtre populaire.
Le Théâtre Gérard-Philipe s’inscrit d’abord dans un territoire urbain à l’identité
socioculturelle et politique fortement affirmée : la Seine-Saint-Denis en banlieue rouge.
Entre patrimoine historique et pratiques culturelles contemporaines, la municipalité
de Saint-Denis développe une politique qui fait du Théâtre Gérard-Philipe le fer de
lance de l’action culturelle locale et du rayonnement de la ville à l’échelle de la banlieue. L’inscription du Théâtre Gérard-Philipe en banlieue rouge soulève également la
question de son identité communiste, sous l’influence croisée du directeur du théâtre,
de la municipalité, du département et du Parti communiste français, face au pouvoir
étatique. Le Théâtre Gérard-Philipe reçoit ainsi une empreinte communiste singulière,
qui se joue dans l’interaction entre différentes cultures politiques à diverses échelles,
et qui se traduit par une programmation artistique engagée et originale. Finalement,
c’est la spécificité du théâtre populaire développé par José Valverde à Saint-Denis qui
est à questionner. Revenant aux sources du divertissement populaire, José Valverde
donne à sa création artistique une orientation résolument festive qui contribue à
renouveler le théâtre populaire et à conquérir la population locale.
210
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Wybail Vincent, Prendre la parole : le rôle de la contestation dans l’opération Italie
13, années 1960-1970, M2 sous la direction d’Annie Fourcaut, 2010-2011, 100 p., cote T
1589 WYB
On a souvent qualifié les Trentes Glorieuses comme l’âge d’or de la rénovation
urbaine, à une époque où les bulldozers étaient le principal instrument de cette politique. L’opération de rénovation « Italie 13 », dans le 13e arrondissement de Paris
(1966-1974), est un exemple emblématique de ces opérations de promotion immobilière qui ont eu lieu dans la capitale à la même époque que la rénovation du quartier
Montparnasse, le Front de Seine ou la Place des Fêtes.
Pour autant, ce mémoire n’est pas une monographie d’une opération immobilière
mais une étude des oppositions à sa réalisation. Comment s’applique une politique publique dans le contexte des présidences de De Gaulle ou de G. Pompidou ? Comment
s’oppose-t-on à l’administration, aux promoteurs durant cette période ? Qui sont les
acteurs de la résistance ? Voilà le questionnement que le chercheur s’est posé pour
rendre compte de la diversité des structures impliquées par « Italie 13 ».
À travers une étude approfondie des archives de plusieurs associations et des archives des sections locales de partis nationaux, l’historien parvient à dresser le tableau
d’une opposition très diversifiée dans ses formes, à voir comment elle marque son territoire et à mettre en évidence les mécanismes internes au processus de rénovation.
Le rôle de la contestation ne se traduit pas par la mise en échec d’« Italie 13 », le
choc pétrolier et la raréfaction de la demande de logements dans le secteur ont raison
de celle-ci. Pourtant les méthodes utilisées pour l’opération se révèlent de plus en plus
décriées, entraînant un changement d’échelle dans les opérations urbanistiques, une
réorientation plus « sociale » de la rénovation urbaine dans la capitale.
prix
Le département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai
Branly encourage et soutient les travaux de recherche dans les domaines des
arts occidentaux et extra-occidentaux, des patrimoines matériels et immatériels, des institutions muséales et de leurs collections, de la technologie et
culture matérielle.
En 2010, il a distingué la thèse de Sophie Jacotot (Entre deux guerres, entre deux
rives, entre deux corps. Imaginaires et appropriations des danses de société des Amériques à
Paris - 1919-1939), dirigée par Pascal Ory et soutenue en 2008 dans le cadre
du CHS.
prix Jean Maitron
Liste des mémoires pour le Prix Maitron 2009
alonzo Anne, Une mutation si discrète… Toulouse à la veille de la Première Guerre
mondiale, Master 2, Dominique Barjot, univ. Paris 4, 2008, 238 p.
cionini Valentin, Solidarité internationale antifasciste. Une organisation « proto-humanitaire » dans la guerre d’Espagne. 1937-1939, Master 2, Isabelle Renaudet,
univ. De Provence, 105 p.
duParc Camille, Les femmes des tirailleurs sénégalais de 1857 à nos jours, Master 2,
John Barzman et Abdoul Saw, université du Havre, 2009, 201 p + 165 p
de sources.
gimel Josué, Mémoire ouvrière, mémoires d’ouvriers. Une analyse sociologique des pratiques mémorielles. Des ouvriers de l’usine Metaleurop, Master, Alain Chenu, IEP
de Paris, 2008, 149 p.
grancher Romain, La violence fratricide. Etude des conflits entre ouvriers en France
durant la première moitié du xixe siècle, Master, Dinah Ribard, EHESS, 2008,
230 p.
Kherraz Ahmed, Les jeunes et la politique. Particularité des nouvelles formes de participation à la vie publique. Une expérience du Conseil jeune de Roubaix, du CDJSVA
Nord et de l’association Carrefour des jeunes, Master, Julien Frétel, IEP de Lille,
2009, 95 p. + annexes 6 p.
mommeJa Adèle, Mémoire en marche. Une analyse sociohistorique des rapports entre mémoire militante et usages publics de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, Master
2, Annette Becker et Stéphane Dufoix, univ. Nanterre, 2009, 211 p.
212
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
PollacK Guillaume, Jaurès nazifié. L’hebdomadaire de « la pensée socialiste » Germinal, Master 1, Rémi Fabre, univ. Paris 12-Paris-Est, 2009, 214 p.
PrinTemPs alice, L’école des infirmières de la Salpêtrière (1907-1922) : Former des infirmières professionnelles, Master 2, Christian Chevandier, univ. Paris 1, 2009,
287 p.
Rannou Hélène, La Bourse du travail au Havre, Master 2, Paul Pasteur, univ. de
Rouen, 2009, 298 p.
TerTrain manon, La conception anarchiste de l’art social dans l’œuvre politique de
Théophile-Alexandre Steinlen, Master 1, Arnauld Pierre, univ. Paris 4, 2009,
110 p + 28 p. de catalogue
vila romain, Les relations entre l(es)’UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (mai 1968-avril 2006), Master 2, Sophie Béroud, IEP de Lyon, 2008,
197 p et 1 tome d’annexes.
Rapport sur la réunion du jury du prix Maitron, le 12 novembre 2009
Le jury du prix Maitron s’est réuni le 12 novembre 2009.
Il avait à examiner douze mémoires. Ils se répartissaient inégalement entre
Paris et la province. Les établissements parisiens avaient fourni sept mémoires (deux de Paris IV, un de Paris 1, de Paris 10, de Paris 12, de l’IEP et de
l’EHESS). Les universités de Provence, du Havre et de Rouen avaient fourni
chacune 1 mémoire, ainsi que les deux IEP de Lyon et de Lille. L’un de ces
mémoires a été écarté d’entrée comme indigne de figurer dans cet ensemble,
du fait de l’indigence de son style et de son orthographe.
Après un premier examen, cinq mémoires ont émergé.
Vivien Cionini, Solidarité internationale antifasciste. Une organisation « proto-humanitaire » dans la guerre d’Espagne, 1937-1939, montrait comment une organisation
initialement très orientée politiquement a évolué pour prendre en charge des
victimes d’orientations idéologiques très diverses.
Guillaume Pollack, Jaurès nazifié. L’hebdomadaire de la « pensée socialiste » Germinal,
était une étude de presse classique d’un périodique publié pendant l’occupation pour tenter de séduire d’anciens socialistes ou syndicalistes.
Manon Tertrain, La conception anarchiste de l’art social dans l’œuvre politique de Théophile-Alexandre Steinlein, était un travail original d’histoire de l’art, assez séduisant, portant sur l’un des maîtres de l’image qui, malgré son succès, sait préserver son indépendance.
Romain Vila, Les relations entre l(es) UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, conver-
prix
213
gence (mai 1968-avril 2006, mettait en place une première approche chronologique en longue période d’un sujet qui intéresse évidemment le prix Maitron.
Au terme de débats très consensuels, un cinquième mémoire a été retenu pour
le prix à une très large majorité, celui de Josué Gimel, Mémoire ouvrière, mémoires
d’ouvriers. Une analyse sociologique des pratiques mémorielles. Des ouvriers de l’usine Métaleurop.
La diversité des mémoires présentés, mémoires de master I ou II, mémoires de
Sciences Po. a conduit le jury à réfléchir de nouveau à la question des travaux
recevables dans le cadre du prix. Il a considéré que la situation universitaire
n’était pas encore assez stabilisée pour pouvoir exclure par principe tel ou tel
type de mémoire. Il a défini cependant une ligne de conduite assez simple :
l’un des intérêts du prix étant la publication du mémoire, seuls des mémoires
publiables sont susceptibles de recevoir le prix. Il appartient à l’étudiant et à
son directeur de décider de ce qu’ils présentent. Dans le cas d’un mémoire
de master I, il doit être suffisamment achevé et présenter des résultats assez
significatifs pour pouvoir être publié après quelques modifications éventuelles.
Un rapport d’étape n’a pas vocation à être publié ; il annonce un travail achevé
qui pourra l’être.
Présentation du prix Maitron 2009
Josué GimeL, Mémoire ouvrière, mémoires d’ouvriers. Une analyse sociologique des pratiques mémorielles des ouvriers de l’usine Metaleurop, Master, Alain Chenu, IEP
de Paris, 2008, 139 p et 7 p d’annexes.
Je voudrais d’abord, au nom du jury du prix Maitron, vous adresser nos
félicitations les plus chaleureuses. Comme l’a rappelé avant moi son président,
Antoine Prost, vous avez été distingué, sans ambiguïté, parmi une douzaine de
candidates et de candidats de qualité. Permettez-moi d’associer également à ce
succès votre directeur de mémoire, le professeur Alain Chenu.
Cette présentation de votre mémoire, à laquelle je vais me livrer, est effectuée, bien entendu, au nom de tous les membres du jury, composé à parité
d’universitaires et de syndicalistes. Mais je voudrais y associer, tout particulièrement, Jacques Freyssinet avec lequel j’ai partagé à la fois la lecture de
votre ouvrage… et l’intérêt que nous lui avons porté ! Il nous a donc intéressés,
mieux, il nous a aussi touchés. Deux bons ingrédients pour mettre de votre
côté un universitaire et un syndicaliste… Et en faire vos ardents défenseurs !
Jacques disait en conclusion de son avis :
« Nous sommes en présence d’un travail original et ambitieux sur les cadres sociaux de
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
construction de la diversité des mémoires individuelles des salariés, à la fois dépendantes et
distinctes de leur mémoire collective.
Il s’accompagne d’un remarquable effort de réflexion sur les conditions de la production
de résultats de recherche dans une démarche où se combinent méthode sociologique et méthode
ethnographique. »
Et j’ajoutais dans mon propre avis :
« D’une situation particulière, il parvient à élargir la réflexion à la constitution de la
mémoire ouvrière et aux évolutions subies par la « classe ouvrière » au cours des 40 dernières
années. Il s’agit d’une contribution de qualité à la connaissance du mouvement social dans
une période où le drame de Metaleurop trouve sans peine de multiples échos dans l’actualité.
Ce jeune chercheur écrit bien. Le choix des mots est sans défaut. Il parvient même à dépasser
l’aridité du langage de la sociologie pour ne jamais prendre trop de distance avec sa matière,
un drame social et humain. »
Votre recherche se penche donc sur une période contemporaine puisque la
liquidation judiciaire de Metaleurop Nord, sur les communes de Noyelle-Godault
et de Courcelles-lès-Lens (Pas de Calais) date de mars 2003. L’usine, bâtie en
1893, sera rasée entre 2003 et 2006. Cette fermeture sauvage a fait l’objet
de nombreux ouvrages, en particulier celui de Frédéric Fajardie : Metaleurop
Paroles ouvrières. Plusieurs documentaires lui ont également été consacrés. Sur
ce champ déjà largement occupé, Josué Gimel fait le choix d’une enquête de
terrain de sociologie de la mémoire ouvrière.
La première partie du mémoire s’attache à la construction de l’objet de la
recherche et à l’organisation de l’enquête de terrain.
Pour y parvenir, Josué va s’immerger dans le milieu qu’il veut étudier. Il résidera dans la région durant plus de trois mois. Il va la parcourir à scooter, apprendre des rudiments de « cht’i », être reçu dans les familles de celles et ceux
qu’il va interroger, fréquenter ces lieux de socialisation que sont les bistrots
populaires. C’est alors seulement qu’il va mettre en place progressivement une
méthode et reformuler son questionnaire de départ.
Toute la seconde partie sera consacrée à une mise en forme historique du
passé de Métaleurop-Nord. La mémoire de ce passé participe de l’héritage de
la société minière qui précédera Métaleurop sur le site. Elle participe aussi de
la déstructuration de la classe ouvrière et des évolutions de la culture d’atelier
qu’elle entraîne, de l’individualisation des comportements qu’induit le changement des modes de production, de recrutement, de rémunération et de la
difficulté du mouvement syndical à prendre en compte cette nouvelle donne.
La troisième partie porte sur l’analyse des pratiques mémorielles Elle le
fait, au travers des souvenirs de la lutte impulsée par l’intersyndicale mais aussi
prix
du conflit qui a opposé cette intersyndicale, dont fait partie une majorité d’adhérents de la CGT, à la « vieille garde » cégétiste qui ne se résigne pas à perdre
son hégémonie. Une association, héritière de cette lutte, va se créer, à peine
le conflit terminé. Chœurs de Fondeurs – c’est son nom – ambitionne de rester la
mémoire de ce conflit, de perpétuer cette mémoire. De la reconstruire, peutêtre… C’est ce que va analyser Josué Gimel en étudiant son fonctionnement et
ses pratiques mémorielles.
La quatrième partie met en lumière les principes collectifs de remémoration. Elle met aussi à jour les fractures mémorielles des ouvriers.
Elle révèle les fragilités de cette mémoire mais aussi ses contradictions issues
de la division du mouvement social comme des trajectoires personnelles des
ouvriers au-delà du mouvement. Un chapitre est consacré au langage et à la
façon dont celui-ci structure les mémoires.
En conclusion, Josué évoque d’abord longuement la dette qu’il a contractée
vis-à-vis du groupe qui l’a reçu et, en quelque sorte, intégré. Et il précise : « C’est
dans ces moments-là que l’on comprend combien le chercheur n’est pas absent du monde social
qu’il étudie » Il a bien conscience d’avoir, au fur et à mesure de l’enquête, en
quelque sorte outrepassé son rôle de témoin extérieur pour intégrer parfois
le travail de mémoire du groupe, en être partie prenante. Cet aveu lui était
nécessaire pour réintégrer le rôle du sociologue et tirer des conclusions de ce
seul point de vue.
Il analyse ensuite longuement la question des cadres sociaux dans la mémoire individuelle. Il constate que celle-ci ne se laisse jamais réduire au seul
cadre collectif. Il souligne aussi la dichotomie qu’il a constatée entre les militants pour qui la mémoire d’hier garde une fonction justificatrice des engagements d’aujourd’hui et ceux, moins engagés, chez qui le fait d’avoir partagé, au
moment de l’action, les analyses de tous, laissait la place à la nuance, au doute.
Il élargit enfin son propos en soulignant les limites de sa recherche sur deux
points au moins. Il s’agit de la mémoire familiale ouvrière et de l’analyse des
pratiques mémorielles des jeunes ouvriers. Et aussi, peut-être, la question de
l’immigration qu’il ne fait qu’effleurer. D’autant que le jeune leader qui va
s’imposer à la tête de l’intersyndicale, Farid Ramou, en est issu.
Il s’interroge donc sur les conditions de la transmission de cette mémoire
ouvrière. Il souligne également les limites de sa recherche, à la fois dans l’espace et dans le temps, pour tirer des conclusions de portée générale. Il propose,
pour l’avenir, une série d’enquêtes ethnographiques comparées sur la mémoire
215
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Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
ouvrière, conçues dans des contextes locaux différents pour en dégager les spécificités et les rapprochements. Un beau sujet de thèse, peut-être…
À partir d’un sujet déjà abondamment traité par la presse, les études, les
publications, les documentaires, Josué a su trouver un thème de recherche original où sociologie et histoire sociale se rencontrent.
Pour mener son enquête, il s’appuie sur une bibliographie abondante qu’il
utilise largement pour étayer sa réflexion. L’enquête est construite avec méthode à partir d’une connaissance préalable du terrain. Elle s’appuie sur 20
entretiens dont il multiplie les citations. Tout le mémoire sera en permanence
éclairé, humanisé en quelque sorte, par les extraits des témoignages recueillis
mais aussi par des passages de son journal personnel qu’il va tenir au jour le
jour tout au long de l’enquête. Le « guide d’entretien » qu’il propose à ses
interlocuteurs n’est en rien contraignant. Il préfère le plus souvent laisser aller
la mémoire. Il gagne ainsi en authenticité ce qu’il aurait pu perdre en cohérence. D’autant qu’il conserve intact le vocabulaire et la langue telle qu’on la
parle à Noyelle ou à Courcelles… De ce travail, Josué tire une analyse précise,
détaillée, rigoureuse et rassemble un faisceau de conclusions qui apporte un
éclairage nouveau sur la liquidation de Metaleurop. Car la mémoire conservée, préservée ou cultivée, reconstruite parfois, montre enfin le véritable visage
de la liquidation de ce site industriel, rasé à la hâte, toutes affaires cessantes,
comme si l’on avait voulu en faire disparaître le souvenir même. Ces mémoires
multiples, soudain éclairées, imposent au grand jour, aujourd’hui encore, le
souvenir de ces ravages sociaux et humains et les femmes et les hommes qui
inlassablement en raniment la flamme.
Pour elles et eux, pour le talent, la rigueur et le travail du jeune chercheur
qui a su faire entendre leur voix, cette recherche mérite indiscutablement
d’être publiée.
C’est aussi en ce sens que le prix Maitron vous est attribué, mon cher Josué,
en ce 20e anniversaire de sa création par la FEN en 1989.
Jean-Paul Roux (ancien secrétaire général de la FEN puis de l’UNSA éducation de 1997 à 2002).
prix
217
Liste des mémoires pour le Prix Maitron 2010
aTerianus Alice, Le « cercle » des hommes forts : logiques et enjeux de l’entrée dans le
RAP au Gabon, M2 sous la dir. de Pauline Guedj, université Lyon 2, 2010,
188 p.
Bordes Étienne, Le désenchantement d’un monde : étudiants et dirigeants communistes
d’ans l’aggiornamento (1969-1981), M2, sous la dir. de Jean-François Soulet,
université Toulouse Le Mirail, 2010, 304 p. + 116 p d’annexes.
Bourel Etienne, Anthropologie du travail et mondialisation : acteurs de la gouvernance
environnementale et travailleurs forestiers au Gabon, M2, sous la dir. d’Olivier Leservoisier, université Lyon 2, 2010, 285 p.
calveT-lauvin Hugues, L’Ateneu Enciclopèdic Sempre Avant de Sants : Histoire
d’une institution de culture populaire dans un quartier ouvrier de Barcelone, 19331939, Master sous la dir. de Claire Andrieu, IEP Paris, 2010, 231 p.
canal Aline, Pacifisme, féminisme, socialisme : Marcelle Capy (1891-1962). Une
femme engagée dans la Cité de la Belle-Epoque à la Seconde Guerre mondiale, M2, sous
la dir. de Sylvie Chaperon, université Toulouse II-Le Mirail, 20098, 240 p.
cervera-marzal Manuel, Aux sources de la désobéissance civile : résister et agir chez
Thoreau, Gandhi et King, Master sous la dir. de Frédéric Gros, IEP Paris,
2010, 136 p.
chaniac Bruno, Contribution à l’étude de l’historiographie trotskyste, Master sous
la dir. de Michel Fourcade, université Paul Valéry-Montpellier III, 124 p.
chonville Nadia, Homophobie aux Antilles. Persistance d’une discrimination dans un
contexte postcolonial, Master sous la dir. de Mathilde Dubesset, IEP Grenoble,
2010, 216 p.
cochin Florian, L’agitation étudiante caennaise de 1969 à 1972, M1 sous la dir.
de Jean Quellien, université de Caen, 2009, vol 1 : 204 p et vol 2 : 275 p.
granier Solène, Les domestiques indochinois en métropole 1897-1939, Master sous
la dir. de Jean Hébrard et Jean-François Klein, EHESS, 2010, 178 p.
lavaBre Alice, « L’Union Fédérale des Etudiants - organisation présyndiclae » (19261935). Être « étudiant » dans « le mouvement ouvrier », M1 sous la dir. de Michel
Offerlé, EHESS, 2010, 108 p.
MaK Ariane, Dockers en guerre ; dockers en grève. Regard croisés sur la grève des dockers de
1945 au Royaume-Uni, M2 sous la dir. de Laura Lee Downs, EHESS, 2010,
178 p
moTchidlover Raphaël, Les « intellectuels de Fraternité » et la question de l’immigration en France de 1935 à 1939, M2 sous la dir. de Christian Delporte,
université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010, 201 p.
218
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Posado Thomas, Le gouvernement révolutionnaire cubain en 1959 : un facteur d’apaisement social ? Un état des relations sociales durant la Révolution Cubaine, Master sous
la dir. de Olivier Dabène, IEP Paris, 2009, 101 p.
rameau Pauline, S’engager pour les droits des femmes. Approches genrées du féminisme
de la deuxième vague. Dijon-Saint-Etienne, M2 sous les dir. de Philippe Poirrier
et Xavier Vigna, université de Bourgogne, 2010, 240 p.
Toss Michele, La chanson populaire à Paris (1830-1848), M2 sous la dir. de Gilles
Pécout, EHESS, 2008,211 p.
verhaeghe Sidonie, La mort de Louise Michel ou l’apogée d’un mythe, M2 sous la
dir. de Michel Hastings, IEP de Lille, 2010, 175 p.
Remise du prix Maitron, le 25 novembre 2010
Les mémoires qui lui étaient soumis étaient plus nombreux que l’année précédente : dix-sept, contre douze. La participation parisienne n’a pas augmenté,
mais sa composition a beaucoup changé puisque 4 mémoires examinés viennent de l’EHESS, 3 de l’IEP et un seul d’une université (Versailles-St Quentin).
Pour la première fois depuis que le prix existe, le CHS de Paris I n’a soumis
aucun mémoire. En province, deux universités (Le Mirail, Lyon 2) nous ont
envoyé chacune deux mémoires. Les autres viennent de deux IEP (Grenoble et
Lille), et des universités de Caen, Dijon, et Montpellier 3. Dans l’ensemble, il
s’agit de mémoires de Master 2, mais certains sont identifiés comme mémoires
de Master 1. Les mises en garde formulées par le jury en 2009 semblent avoir
été entendues, et ces mémoires ne sont pas des rapports d’étape, mais des travaux de recherche achevés.
Un premier examen a permis de dégager quatre mémoires :
- Étienne Bordes, Le désenchantement d’un monde : étudiants et dirigeants communistes
dans l’aggiornamento (1969-1981), dirigé par J.-F Soulet à l’université du Mirail,
repose sur une quinzaine d’entretiens et des archives qui lui permettent une
socio-biographie de 107 militants ;
- Hugues Calvet-Lauvin, L’Ateneu enciclopedic Sempre avants de Sants : histoire d’une
institution de culture populaire dans un quartier ouvrier de Barcelone 1933-1939, dirigé
par C. Andrieu à l’IEP de Paris, a été conduit à partir des archives du district
de Sants, de la ville de Barcelone, et de Salamanque ;
- Nadia Chonville, Homophobie aux Antilles. Persistance d’une discrimination dans un
contexte post-colonial, dirigé par M. Dubesset à l’IEP de Grenoble, exploite huit
entretiens, trois reportages vidéo et diverses sources imprimées ;
- Pauline Rameau, S’engager pour les droits des femmes. Approches genrées du féminisme de la deuxième vague. Dijon-Saint Étienne, dirigé par P. Poirrier et X. Vigna
prix
219
à l’université de Bourgogne, invite à réviser l’image du féminisme, dominée
par le MLF parisien, en suivant son itinéraire dans deux villes de province
très différentes, en montrant la participation des hommes à ces luttes, et la
tolérance des IVG par l’administration avant la loi Veil. Trente-six entretiens
ont été réalisés, dont seize d’hommes, ce qui a permis à l’auteure de dénicher
quelques archives.
La discussion s’est focalisée sur les deux mémoires d’Hugues Calvet-Chauvin
et de Pauline Rameau, tous deux excellents et que le jury aurait aimé pouvoir
retenir tous les deux. Mais il est resté fidèle aux règles qu’il s’était fixées et il a
refusé de décerner deux premiers prix ex aequo. La plus grande difficulté de
conduire une recherche dans un pays étranger plutôt qu’en France explique
peut-être qu’au terme d’une longue discussion, Hugues Calvet-Chauvin l’ait
emporté d’une courte majorité. Le jury a cependant décidé de faire mention
des trois autres mémoires, et tout spécialement de celui de Pauline Rameau.
Antoine Prost
Présentation du prix Maitron 2010
Hugues Calvet-Lauvin, L’Ateneu Enciclopèdic Sempre Avant de Sants :
Histoire d’une institution de culture populaire dans un quartier ouvrier de Barcelone, 19331939, M2 sous la direction de Claire Andrieu, IEP-Paris, 2010, 231 p.
Mesdames, Messieurs, Chers amis, Cher Hugues,
Permettez-moi, tout d’abord, de vous adresser, au nom de tous les membres du
jury, mes plus chaleureuses félicitations et de complimenter sur la lancée votre
directeur de mémoire, le professeur Claire Andrieu.
Ainsi que l’a rappelé, Antoine Prost, le cru 2010 était de qualité, ce qui rehausse encore la distinction de votre mémoire dont il me revient de rendre
compte pour l’ensemble d’un jury qui, vous le savez, réunit un nombre égal
de syndicalistes et d’universitaires. Je serais toutefois incomplet si je n’évoquais
pas la part prise, dans cette présentation, par Jeanne Finet qui n’a pu se joindre
à nous ce soir.
Le mémoire d’Hugues Calvet-Lauvin nous plonge dans la Barcelone populaire et républicaine des années 1930 à travers l’étude d’un Ateneu, association de culture populaire parmi les plus représentatives de l’esprit et des initiatives d’une période qui n’en manqua pas. S’il doit beaucoup à l’existence
de sources, le choix de l’Ateneu du quartier ouvrier de Sants, premier foyer
de l’industrie textile régionale, s’avère particulièrement judicieux au regard
d’une problématique qui, à la croisée de l’histoire sociale, politique et cultu-
220
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
relle des milieux populaires barcelonais, se soucie de comprendre l’articulation
des itinéraires individuels, des sociabilités élémentaires et des microstructures.
Par là, elle échappe à la clôture monographique et contribue, depuis l’échelon
privilégié du quartier, au renouvellement de l’historiographie de la République
et de la Guerre civile.
Issu, en 1933, d’un groupement excursionniste, lui-même typique d’un mode
de loisir en vogue dans la mouvance hygiéniste du mouvement ouvrier, l’Ateneu de Sants affiche sa double ambition éducative et progressiste dans son
nom complet : Ateneu Enciclopèdic Sempre Avant (AESA) – Athénée encyclopédique « toujours en avant » ou « devant ». Ce que confirme son manifeste
de constitution :
« tout ce qui est fait pour élever le niveau culturel de chaque individu contribuera à l’amélioration collective qui se répercutera sur l’état social du peuple
et le rendra plus compréhensif en vue d’une harmonieuse vie en commun… ».
Hugues Calvet-Lauvin décrit dans son introduction les étapes d’une investigation que son installation à Sants oriente vers la sélection de ce faubourg
d’artisans et d’ouvriers stabilisés, porteurs d’une solide tradition républicaine,
syndicale et associative, haut lieu d’une conflictualité ponctuée de grèves générales, d’attentats et de répressions qui valent à Barcelone son surnom de
« Rose de feu ».
Curieux et obstiné, l’auteur entame alors une longue et difficile quête de
sources où s’éprouvent ses qualités de chercheur au sens le plus élémentaire du
terme. On jugera de la minutie de la recherche en parcourant les 55 notices
biographiques fournies en annexes, précieux aperçu sur les itinéraires de plus
de 10 % des membres de l’association. Du fonds majeur désormais déposé aux
Archives municipales du district Sants-Montjuïc, mais miraculeusement sauvé
et géré sans interruption, jusqu’en 1987, par une association locale à ceux des
Archives nationales de Catalogne, en possession des dossiers personnels des
détenus de la prison Modelo en passant par le Centro documental de la Memoria historica de Salamanque en charge des « prises de guerre » franquistes,
Hugues Calvet-Lauvin n’a pas craint de parcourir l’Espagne pour collecter
le maximum d’informations sur les activités et les animateurs de l’Ateneu de
Sants. Curieusement, ses démarches auprès des derniers acteurs n’ont pas été
couronnées de succès. Nouvel indice de l’interdit qui pèserait sur toute « mémoire dissonante » et tentative de rompre le « pacte du silence » qui accompagna la transition démocratique, comme le pense l’auteur ? L’hypothèse n’emporte pas la conviction s’agissant des années 2000, mais là n’était pas l’essentiel
pour ce travail délibérément étranger aux questions mémorielles.
prix
221
Trois parties, subdivisées en sept chapitres, structurent le mémoire et font alterner perspectives chronologiques et thématiques. On suit ainsi l’évolution
de l’AESA de 1933 à 1939, que l’auteur prend soin de replacer dans celle du
mouvement associatif de la période, tout à la fois réponse aux défaillances
institutionnelles en matière d’éducation et de loisirs populaires, base de repli militant sous les gouvernements autoritaires et répressifs, mais aussi relais
d’influences « bourgeoises », « ouvrières », catalanistes, libertaires, communistes de toutes obédiences… Chemin faisant, on saisit mieux la spécificité
d’un mouvement qui ne serait pas sans rappeler celui les universités populaires
hexagonales du tournant des xixe-xxe siècles n’était, outre le décalage dans
le temps, la belle longévité que traduit son extension sous la forme des casals
catalans de l’exil, malheureusement ignorés, et sa relance partielle, en 1977.
Palliant l’absence de registres d’adhérents, prudemment brûlés par le dernier
président de l’ASEA peu avant la prise de Barcelone par les franquistes, l’auteur a pu dresser, à l’aide des données collectées dans les publications et les
comptes rendus d’activités, la liste de 150 membres de l’Ateneu qui en comptait près de 450 au printemps 1935. L’analyse sociologique dégage un profil
type conforme au public visé et aux caractéristiques du quartier : jeune ouvrier
de vieille souche prolétarienne et catalane.
L’AESA propose une large gamme d’activités au sein de ses sections culturelles
ou sportives autonomes : études économiques, politiques et sociales ; littérature
et beaux-arts ; photographie ; culture physique ; musique ; excursionnisme ; bibliothèque ; théâtre. Le programme des activités comprend tout à la fois des
cours d’alphabétisation, de catalan, d’éducation sexuelle, de secourisme, des
conférences données par des intellectuels catalans de renom, la pratique de la
gymnastique suédoise… Assez pour occuper largement le temps libre d’adhérents qui ne reculent pas devant le montant de cotisations annuelles pouvant
atteindre l’équivalent d’un mois de loyer. Pour nombre de sociétaires, déjà ancrés dans le mouvement ouvrier local, l’Ateneu offre aussi l’occasion de s’initier à la prise de parole en public, d’expérimenter l’organisation de débats et
de votes, d’exercer, enfin, de premières responsabilités. À la charnière de l’éducation populaire et de l’action politique, l’ASEA demeure fidèle au pluralisme
de ses origines. Elle permet, écrit Hugues Calvet-Lauvin, « la cohabitation
relativement harmonieuse entre communistes et anarchistes », conclusion à
rebours d’une vulgate attachée à peindre ces relations au noir d’une adversité
radicale. Indéniable, l’influence croissante des communistes, à la faveur de la
guerre civile et selon des ressorts un peu trop vite évoqués, ne débouche sur
aucune mainmise partisane et métamorphose en « courroie de transmission ».
222
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
Sans doute les tensions existent-elles, avivées par les exigences de la guerre et
les infléchissements qu’elle provoque jusque dans le fonctionnement de l’association ou le développement de rapports inédits avec les pouvoirs publics. Pas
au point de valider, à cette échelle, dans le domaine de l’éducation populaire
et sur la base des sources disponibles, la césure convenue entre un avant et un
après mai 1937. Chez tous, prévaut, semble-t-il, l’idéal émancipateur commun, désormais confondu avec l’antifascisme et le pacifisme. Là n’est pas le
moindre apport du mémoire dont l’analyse de l’ordinaire associatif et militant
d’un quartier populaire invite à reconsidérer le vécu et les pratiques des années
de guerre civile. Celle-ci pèse, on l’a dit, sur l’Ateneu qui perd ses forces les plus
militantes volontaires pour le front, et participe, simultanément, à la mobilisation politique en faveur de la République.
La rigueur de la démonstration, servie par une écriture irréprochable, le mémoire jette un regard neuf sur l’éducation populaire de la Barcelone ouvrière
et républicaine d’avant la nuit franquiste.
En vous décernant le prix Maitron, cher Hugues, le jury a voulu saluer l’originalité d’un questionnement et l’intérêt d’une analyse qui, assurément, mérite
d’être publiée.
Michel Pigenet
prix
223
édition de master ou de thèse
Bernard Thomas, Le Luxembourg dans la ligne de mire de la Westforschung, 1931-1940, La « Wesfforschung » et l’« identité nationale » luxembourgeoise, Luxembourg, Collection de la Fondation
Robert Krieps du meilleur mémoire de master 2, 2011, 276 p.
Au cours des années 1930 se développe un
grand intérêt dans les universités allemandes pour
la « question luxembourgeoise ». Un nombre impressionnant d’historiens, de géographes et de
Volkskundler rédigent de longs articles et ouvrages
sur le Grand-Duché, mènent des recherches sur
le terrain, donnent des conférences et tissent des
liens étroits avec les intellectuels luxembourgeois.
À première vue, cet intérêt semble purement
scientifique, mais les recherches dans les archives
font apparaître, sous le masque de la respectabilité
scientifique désintéressée, une tentative de prise
d’influence politique. Financées et dirigées par les
centres de pouvoir allemands, les activités des
chercheurs allemands au Luxembourg font partie
intégrante d’une opération de grande envergure.
documentation et valorisation
La bibliothèque et les archives par Rossana Vaccaro
La fréquentation de la bibliothèque est stable par rapport aux années dernières (en moyenne 800 entrées par ans). Outre les étudiants de Paris 1 et des
autres universités de Paris et de Province, nous recevons toujours des chercheurs étrangers et un public plus vaste auquel nous sommes particulièrement
attachés, composé entre autres de militants d’organisations politiques et syndicales qui ont toujours été associés aux activités du Centre depuis sa fondation,
en 1966.
Le signalement de nos périodiques dans le Sudoc et dans le catalogue de
l’université Paris 1 continue. En 2010, grâce à une aide exceptionnelle de
l’UFR d’histoire, nous avons pu acquérir 147 ouvrages consacrés à l’histoire
des femmes, des féminismes et du genre. Ils viennent renforcer un axe thématique du CHS qui s’est considérablement développé.
Les masters 2, les thèses, les HDR de nos étudiants et chercheurs, mais
également d’étudiants et de chercheurs d’autres universités viennent toujours
enrichir notre collection d’environ 3 000 mémoires et thèses. Sont également
déposés à la bibliothèque, les mémoires qui concourent au prix Jean Maitron
décerné chaque année au meilleur Master en histoire sociale. Cette collection
signalée dans nos catalogues est l’une des plus consultées par nos lecteurs.
Nous avons également continué notre collaboration avec la BNF, avec nos
partenaires du Codhos, autour du programme de numérisation concertée de
corpus d’histoire sociale. Il concerne pour l’instant des collections de périodiques syndicaux et politiques détenues par les institutions membres du Codhos. En 2011, le CHS propose à la numérisation les Temps nouveaux, journal
anarchiste fondé par Jean Grave en 1895.
Notre participation à Calames, le catalogue des archives et des manuscrits
des bibliothèques universitaires françaises, est désormais acquise. La bibliothèque du CHS a reçu en 2011 plusieurs nouveaux fonds d’archives :
• un fonds appartenant à Jean-René Chauvin (1919-2011). Trotskyste dès
1935, résistant, Chauvin fut déporté à Mauthausen, puis à Auschwitz, et à
Buchenwald. Fondateur du RDR avec Jean-Paul Sartre et David Rousset, il
milita toute sa vie dans les mouvements de la gauche non stalinienne. Ce fonds
226
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
d’environ cinq mètres linéaires concerne les années 1935-1995 et il a été donné au CHS par sa compagne Jenny Plocki ;
• un fonds émanant du Comité national de la Résistance donné au CHS
par les héritiers de Louis Saillant (1910-1974), représentant de la CGT au
Conseil national de la Résistance dont il prend la présidence le 11 septembre
1944. Ce fonds comprend 136 dossiers et concerne les années 1943-1945 ;
• un fonds, d’environ 2 m linéaires, donné par Jacques Grangé, militant du
PCF de 1966 à 1991. Membre des comités régionaux du PCF, collaborateur
de Félix Damette à la section région du Parti, J. Grangé a travaillé trois ans au
cabinet du maire d’Orly, Gaston Viens ;
• un fonds donné par le syndicaliste Jean-Pierre Scaglia concernant les archives du syndicat FO. Celui-ci a été constitué à la Compagnie des compteurs
de Montrouge, entreprise métallurgique de la région parisienne, après la grève
de mai 1968. Ce fonds témoigne de l’activité de ce syndicat jusqu’à 1986 et
vient compléter des archives de la même entreprise que nous avions reçues par
le passé (cf. inventaire sur le site) ;
• un fonds de Bernard Boudot, militant SGEN-CFDT à l’Université Paris
1 concernant la gestion des personnels IATOS dans les universités, entre 1990
et 2000.
Le fonds Chauvin
par Jeanne Menjoulet
Le fonds est fortement lié aux engagements politiques de son producteur,
Jean-René Chauvin
Avant-guerre, le fonds d’archives comprend des publications, articles et
textes trotskystes, une correspondance militante et personnelle, des coupures
de presse relatives à la gauche révolutionnaire (trotskyste et pivertiste) et des
documents relatifs à la constitution de la IVe Internationale.
Les archives formées durant la guerre correspondent à l’activité clandestine de Chauvin jusqu’à son arrestation et sa déportation (journaux clandestins, tracts « internationalistes », etc.). Nous retrouvons ensuite le manuscrit
de Chauvin correspondant à son livre Un trotskyste dans l’enfer nazi : suite à son
expérience concentrationnaire à Mauthausen, puis Auschwitz et Buchenwald,
il développe une analyse de la déportation étendue à d’autres régimes que le
nazisme.
Le fonds regroupe un grand nombre de publications du courant trotskyste
des années d’après-guerre, des documents relatifs à la Yougoslavie de Tito (où
documentation et valorisation
227
Fonds Jean-René Chauvin.
En haut, Réunion de la Nouvelle gauche secteur 5e arrondissement (époque guerre d’Algérie) ; en bas, JeanRené Chauvin dans les années 1960.
228
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
il a séjourné une année), ainsi que des archives relatives aux regroupements, en
France, de courants de la gauche non stalinienne. Citons le RDR (auquel participe Chauvin, avec J.-P. Sartre et David Rousset), puis les différentes formes
que prendra la Nouvelle gauche (CAGI, UGS…), incluant les engagements
pour l’indépendance de l’Algérie et la déstalinisation. L’amitié de Chauvin
avec un militant du POUM espagnol comme Wilebaldo Solano se traduit par
des archives concernant ce dernier et La Batalla. Puis l’engagement de Chauvin dans le PSU se retrouve dans ses archives.
Les archives de 1968, concernent surtout des documents relatifs à la résistance à la répression des organisations « gauchistes ». Chauvin archivera ensuite les documents relatifs aux débats internes à la Ligue communiste, jusque
dans les années 1980. Puis le fonds comprend un éventail des divers petits mouvements ou tentatives de rassemblement de la gauche « rouge et verte » dans
les années 1990.
L’engagement de Chauvin dans l’association Sarajevo, lors de l’éclatement
de la Yougoslavie et du conflit bosniaque permet de retrouver des publications
et textes internes à l’association.
L’activité de Chauvin se retrouve par ailleurs dans le travail concernant
les camps de concentration et sa participation à des conférences regroupant
victimes des camps nazis et du goulag stalinien.
Le contexte de la fin de l’URSS se traduit dans les archives de Chauvin
par des documents de recherches sur les victimes du stalinisme (trotskystes en
particulier) et sur une enquête très fournie concernant l’affaire Pietro Tresso
dit Blasco (assassinat de 4 militants trotskystes dans un maquis tenu par le PCF
en Haute-Loire).
La correspondance militante et personnelle de Chauvin permet aussi de
retracer la vie d’un militant de « la gauche de la gauche » dont l’évolution est à
situer dans une analyse prosopographique de ce milieu social.
Ce fonds a été déposé après la mort de Chauvin, le 27 février 2011, par sa
compagne de 60 ans, Jenny Plocki.
exposition virtuelle/publication électronique
 
Mémoriaux du Rwanda : politiques mémorielles d’état  
 
face aux génocides  par Françoise Blum
Il s’agit ici d’une publication électronique (ou exposition virtuelle) qui a été
inaugurée, c’est-à-dire accessible en ligne, à partir du site du CHS, en 2011. Le
projet de cette exposition virtuelle est né après un voyage au Rwanda, en 2008,
documentation et valorisation
229
voyage dicté par une à l’égard d’un pays martyr, où les traces du dernier génocide du xxe siècle sont encore brûlantes, où les rescapés coexistent avec leurs
bourreaux. La visite des sites mémoriaux était le moindre des hommages à
rendre aux centaines de milliers de victimes du génocide de 1994. Cette visite,
comme l’écoute des dizaines de témoignages entendus de la part des rescapés a
suscité, au-delà de l’immédiate émotion, bien des interrogations, peut-être nécessaires mises à distance. Les grands mémoriaux rwandais, Gizosi, Murambi,
Nyamata et N’tarama, Bisesero, Nyarubuye ont chacun une place spécifique
230
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
dans une partition mémorielle proposée par l’État rwandais. Chacun joue un
rôle bien particulier. Gisozi est en quelque sorte une « vitrine internationale »,
avec une réflexion et une mise en perspective du génocide rwandais par rapport aux autres génocides et massacres ethniques du xxe siècle [Réra]. Bisesero
est le mémorial de la résistance tutsie [Martz-Kuhn]. Murambi offre aux regards du visiteur les corps conservés avec de la chaux vive, dans une terrible
nudité [Diop]. À Nyamata, ce sont les vêtements des victimes qui constituent le
« spectacle » en un tableau très boltanskien [Blum]. Et enfin, à Nyarubuye, ce
sont les objets utilisés par les tueurs [Réra]. Derrière cette mise en scène fragmentée, il y a eu de multiples négociations, avec les rescapés, avec les proches
des victimes, avec l’Église, avec le processus de deuil d’un pays tout entier… La
politique mémorielle elle-même a évolué de 1994 à nos jours, et les mémoriaux
avec elle, et avec elle les pièces à conviction de ce gigantesque massacre de
« proximité » qui a provoqué, dans l’indifférence quasi-générale de la communauté internationale, la mort en 3 mois de près d’1 million de personnes : pour
reprendre le sinistre décompte de Jonathan Littell, 11 111 assassinés par jour,
463 par heure et 7, 70 par minute, et ce, non point dans les immenses territoires
de « la Shoah par balles » mais dans un tout petit pays…
Bisesero, déjà en 2008, est à l’abandon. Nyamata et N’tarama reçoivent
bien peu de visiteurs. Seuls Gisozi, où l’on entend des pleurs, et où l’on voit
les marques d’immenses douleurs, et Murambi, accueillent encore rescapés et
visiteurs. Si l’on pouvait essayer de comprendre quelque chose, modestement,
c’était bien la fonction et l’histoire de ces mémoriaux, encore brève mais déjà
riche de multiples transformations. Les photos prises en 2008 - dont on voudra
bien excuser l’absence de professionnalisme- vont donc servir de trame à la
présentation des lieux de mémoire rwandais. Boris Boubacar Diop, Nathan
Réra, Émilie Martz ont accepté d’écrire à propos de leurs visites des différents
sites, nourries de leur savoir sur le Rwanda. Nathan Réra a également mis
ses photos à disposition. Jean-Pierre Chrétien a retracé pour l’exposition l’histoire du génocide. Catherine Coquio a bien voulu inscrire les mémoriaux dans
l’analyse plus générale des enjeux de la construction d’une mémoire des génocides. Ces textes et leurs auteurs ont des statuts très divers : littéraire avec Boris
Boubacar Diop dont le Rwanda a fortement influencé les pratiques d’écriture,
et a marqué l’oeuvre d’une profonde empreinte ; littéraire et historien à la fois
avec Catherine Coquio ; historiens avec Jean-Pierre Chrétien et Émilie Martz ;
historien des images et des manières de voir avec Nathan Réra. Nous les remercions toutes et tous de leur confiance et de leur contribution.
A côté du cœur de l’exposition, consacrée, on l’aura compris, au Rwanda,
nous avons voulu offrir, à titre comparatif, d’autres lectures, qui puissent permettre de mieux dégager la spécificité de l’expérience politique rwandaise, car
documentation et valorisation
231
il s’agit bien ici de politique d’État. En Allemagne de l’Est, ce sont d’ailleurs
l’État et/ou le Parti qui se considèrent comme seuls détenteurs légitimes de la
vérité historique. Laure Billon analyse, en particulier à travers les expositions
permanentes du mémorial de Ravensbrück, ouvert en 1959, les silences d’un
Etat est-allemand, qui a flirté souvent avec l’antisémitisme. Silences aussi de
la part de l’État polonais, ce qui n’a pas empêché le travail d’enquête d’instituts spécialisés. Jean-Charles Szurek nous conduit de l’immédiat après-guerre
jusqu’au développement d’une véritable école historique polonaise du génocide. Paola Bertilotti s’intéresse à l’évolution de la législation italienne, reflet
d’une lente prise de conscience d’une spécificité du génocide des juifs, ainsi qu’au passage de la « mémoire de la déportation » à la « mémoire de la
Shoah ». Et ce dans un pays « schizophrène » qui tout en promulguant à partir
de 1938 une législation antisémite a pu relativement « protéger » les juifs dans
les régions qu’il occupait. Claire Mouradian historicise les pratiques commémoratives du génocide des Arméniens, de la frappe en 1915 d’une première
médaille à l’inauguration en avril 1995 du musée du génocide à Tziternakapert
en passant par les journées du « 24 avril ». Merci également à eux et à elles
d’avoir accepté de participer à ce projet.
Une exposition virtuelle, ou, si l’on préfère, une publication électronique,
un objet web en tous cas, a le mérite de n’être jamais close sur elle-même.
D’autres textes sont attendus, de chercheurs rwandais notamment mais aussi
sur le Cambodge [Ariane Mathieu], sur la France [Annette Wieviorka], sur
l’Allemagne de l’Ouest [Brigitte Sion]. Une nouvelle rubrique sera entièrement
consacrée au « Droit comme mémorial ». D’ores et déjà, néanmoins, vous pouvez visiter l’exposition au lien suivant : http://chs.univ-paris1.fr/genocides_et_
politiques_memorielles.
Rien n’exclut non plus une future publication. Le web aura alors joué le
rôle de banc d’essai pour l’écrit et non, ce qui est le plus courant, l’écrit le banc
d’essai pour le web.
232
Bulletin nos 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
exposition • Saint-Denis, février-mai 2012
 
Les cent ans du logement social  par Annie Fourcaut et Danièle Voldman
À la demande de l’organisme de logement social Plaine Commune Habitat,
Annie Fourcaut et Danièle Voldman assurent le commissariat d’une exposition
autour du centenaire de la loi Bonnevay. Elle aura lieu dans la salle de la Légion
d’honneur de Saint-Denis. Outre les deux commissaires, le comité scientifique
de cette manifestation comprend Emmanuel Bellanger, Patrick Kamoun et
Benoît Pouvreau.
Conçue pour être vue par un public large, l’exposition suit un découpage
chronologique qui permet de montrer, dans le cadre de la célébration d’un
centenaire, les ruptures, les changements d’échelle, les crises et les avancées
dans la façon dont est logée et se loge la population englobée dans le territoire
de Plaine Commune. Les acteurs du logement social (collectivités territoriales,
figures politiques et institutionnelles, représentants des locataires, habitants, architectes, personnel de l’État, représentants du mouvement HLM) sont mis en
valeur pour montrer la complexité des décisions de construire, les procédures
d’attribution des logements, les implications financières des choix de logement.
L’exposition comprend six séquences.
1. Le temps des précurseurs (fin xixe siècle-1912)
L’état du logement populaire : les taudis et les garnis de la fin du xixe siècle
Crise du logement et manifestations populaires : Cochon (voir films d’actualité)
La réponse des philanthropes : autour de la loi Siegfried
Les premières expériences de logement ouvrier : La Ruche, Le Coin du feu…
Crise du logement populaire et faiblesse du nombre de logements sociaux
2. 1912, la loi Bonnevay
Les pères de la loi du 23 décembre 1912, les enjeux, la loi, les débats, le rôle des collectivités locales, les premières réalisations… Les communes et les départements chargés
du logement social
3. D’un après-guerre à l’autre : Le logement social pour une élite ouvrière
La transformation du territoire : des usines, des tramways et des lotissements. Le développement des premiers offices d’HBM ; l’office départemental de la Seine. Les premières réalisations. Le modèle de la cité-jardin. Architectes et figures politiques. Les
populations logées. Le confort domestique dans l’entre-deux-guerres
documentation et valorisation
233
4. Les trente glorieuses 1945-1975 : le logement social pour tous ?
Les besoins, l’effort de construction, les nouvelles techniques, la réalisation des grands
ensembles. La progression du parc HLM (rythme annuel de construction, construction
de plus de 10 000 logements sur le territoire de Plaine commune…). Équipements et
chauffage urbain. Nouvelles populations, résorption des bidonvilles
5. Le logement social, victime des crises à partir du milieu des années 1970
Crise économique, chômage, désindustrialisation/friches industrielles. Nouvelle donne
démographique (regroupement familial. Réparer plutôt que construire : la fin des grands
ensembles et le retour au rêve de la maison individuelle. Loi Barre, APL, conventionnement. Politique de la ville et des quartiers (HVS/DSQ)
6. Le logement social, 100 ans après la loi Bonnevay
Nouvelle organisation, nouvelles réalisations : OPAC/Plaine Commune Habitat…
nouvelles collègues
jeanne menjoulet
documentaliste/archiviste
Bibliothèque Maitron
salle 603 : 9, rue malher, 75004 paris
• tél. : 01 44 78 33 79
• mail : [email protected]
Mon arrivée au Centre d’histoire sociale a eu lieu en juin 2011, sur un
poste d’ingénieur d’études. Ma principale mission est le traitement des fonds
d’archives récemment déposés. Dans un contexte d’évolution technologique
des outils et des logiques d’archivage, mon expérience des projets informatiques apportera un regard « technique » à l’approche de ces évolutions.
J’ai un parcours professionnel fortement lié au domaine technologique.
Après l’obtention d’un « DESS - Systèmes d’information » en 1991 à l’IAE de
Lyon III, j’ai travaillé dans de petites entreprises (de type « start-up ») en tant
qu’analyste informatique puis j’ai passé fin 1994 l’un des derniers concours
d’entrée de France Télécom (concours cat. A de concepteur informatique).
Mes activités pendant les quinze ans qui ont suivi ont été très liées au bouleversement du domaine (« révolution » internet, internationalisation et « libéralisation » du secteur des télécoms). Au fil des mobilités et réorganisations, j’ai
exercé un grand nombre de métiers dans un contexte d’évolution des réseaux
et d’importance croissante de l’Internet et du multimedia. J’ai occupé des
fonctions de concepteur du SI (sur atelier de génie logiciel) au sein de la DSI de
France Télécom, de pilote de déploiements informatiques nationaux (direction
de l’infogérance d’Orange), de responsable informatique dans un laboratoire
(FT R&D) de recherche en opto-électronique, de responsable SI Transverse
(direction outre-mer de France Télécom), de chef de projet déploiement réseau (direction des réseaux internationaux d’Orange), enfin d’intégrateur de
services (poids prépondérant des contenus TV et mobiles). Le tout dans un
cadre accordant de plus en plus d’importance aux « contenus » (par oppositions au réseau physique). J’ai eu l’opportunité de travailler en détachement
236
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
(un an) dans une commune/collectivité territoriale (en tant que responsable du
service informatique), ainsi qu’au ministère des Finances (un an, en tant que
responsable du « back-office » de la messagerie du ministère).
Tout en évoluant professionnellement dans ce cadre très opérationnel et
technique, je me suis activement intéressée au contexte social et économique
dans lequel j’évoluais, notamment aux logiques et rapports de force qui soustendaient les privatisations du secteur des télécommunications et, plus globalement, des services publics. Ce qui m’a conduit à un intérêt pour l’étude des
logiques impactant les cadres de travail du public et du privé et le champ social
dans son ensemble. Cet intérêt pour le champ social (et l’histoire sociale qui
en est à l’origine, et qui en découle…) m’a amené à postuler pour ce poste au
Centre d’histoire sociale du xxe siècle.
Le premier fonds d’archives sur lequel je travaille, est celui de Jean-René
Chauvin – trotskyste rescapé des camps de concentration nazi. Le fonds Chauvin témoigne de la vie politique et intellectuelle de la gauche communiste non
affiliée au PCF des années 1930 aux années 2000, soit soixante-dix ans d’histoire.
J’ai pu aborder toutes les étapes de la chaîne archivistique, collecte, recherche d’éléments et de liens entre les composants du fonds. Entretiens permettant d’aborder le fonds, son étude, le classement et l’organisation des documents, conditionnement et traitement final (mise en ligne EAD sous Calames),
etc.
À moyen terme, je prévois de « valoriser » plus concrètement mon expérience des projets technologiques lorsque cela s’avérera nécessaire, pour la numérisation des documents d’archives et leur accès via internet, parce que cette
dimension du poste justifie toutes les autres. La finalité de la conservation des
archives étant de pouvoir, dans le respect des éléments fixés par la loi, les communiquer au plus grand nombre.
Outre les fonds d’archives papier, je prévois de consacrer du temps aux
archives sonores et vidéo liées à l’activité de recherche du laboratoire. L’acquisition d’un matériel adéquat par le CHS en 2012 permettra de filmer conférences, entretiens et colloques, d’effectuer le montage et de placer ces archives
audiovisuelles sur l’espace de stockage de l’université, pour les rendre accessibles via le web. Je compte sur mes connaissances et mon goût du montage
vidéo liés à la formation que j’ai effectuée, en 2010 à l’INA sur les formats
numériques audio et vidéo, durant mon activité chez Orange dans le cadre du
rapprochement des domaines télécom et audiovisuel.
nouvelles collègues : Jeanne Menjoulet, Julie Verlaine, Charlotte Vorms
237
julie verlaine
maîtresse de conférences
histoire culturelle du contemporain
bureau 602 : 9, rue malher, 75004 paris
• tél. : 01 44 78 33 85
• mail : [email protected]
• pages personnelles : http://julieverlaine.blogspot.com/
Depuis septembre 2010, je suis rattachée au pôle 3 du CHS « Représentations : politiques, systèmes, relations ». Mes recherches actuelles portent sur
l’histoire sociale et culturelle des arts plastiques au xxe siècle, plus particulièrement sur le marché de l’art et les circulations artistiques en Occident. Elles
prolongent une thèse de doctorat, soutenue fin 2008 sous la direction de Pascal
Ory, sur les galeries d’art contemporain à Paris après 1945, dont l’ambition
était de montrer combien l’action des galeries d’art était loin de se restreindre
aux transactions économiques, mais influençait aussi la création individuelle,
la constitution de groupes artistiques, et avait une importance croissante à cette
époque sur le goût des collectionneurs privés et celui des institutions publiques.
Dans le prolongement de ces recherches doctorales, je réfléchis aux rapports entre culture des élites et culture de masse, aux nombreux points de
passages de l’une à l’autre. C’est pourquoi je ne m’attache pas seulement aux
œuvres, mais aussi aux images et aux discours sur l’art : il s’agit de montrer la
réalité, et les limites, d’une popularisation des arts plastiques, de leur intégration dans la culture de masse, par exemple par l’étude des reproductions, commercialisées par des entreprises internationales, ou à travers l’édition d’art, en
particulier ces collections de poche qui foisonnent dans les années 1950-1960,
sur les archives desquelles je travaille, à l’IMEC (Institut mémoires de l’édition
contemporaine) notamment, en collaboration avec des littéraires et des historiens de l’art.
D’autres projets personnels et collectifs m’amènent à m’intéresser à différentes formes de rassemblements collectifs autour d’objets ou de pratiques
culturelles, comme les festivals, les biennales et les foires. Enfin, la question
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
238
des rapports artistiques de genre – assignations, frontières et transgressions du
masculin et du féminin – sont au centre de plusieurs projets en cours, portant
sur les domaines de la création et de la collection.
Publications 2010-2011
• « Engagement esthétique, discours publicitaire, critique d’art ? Les ambiguïtés des bulletins de
galeries (Paris, 1945-1970) », in Rossella Froissart Pezone et Yves Chevrefils Desbiolles (dir.),
•
Les Revues d’art. Formes, stratégies et réseaux au xxe siècle, Rennes, PUR, 2011, p. 307-318.
« Une histoire de la société ArtCo. Le commerce des reproductions d’art après la Seconde
Guerre mondiale », Vingtième Siècle, n° 108, octobre-décembre 2010, p. 141-151.
• « Un marchand parisien à New York : l’aventure de la Louis Carré Gallery », Les relations culturelles internationales au xxe siècle. De la diplomatie culturelle à l’acculturation, Bruxelles, Peter
Lang, 2010, p. 433-439.
•
avec Ivanne Rialland, « La revue Sens Plastique (1959-1961) : lieu de rencontre et de dialogue
entre peinture et poésie », La Revue des revues, n° 44, automne 2010, p. 34-55.
• « La construction de la valeur marchande - Le cas Manessier : Comment mesurer les stratégies
marchandes de l’“officialité parallèle” ? », in Béatrice Joyeux-Prunel (dir.), L’Art et la mesure.
Histoire de l’art et méthodes quantitatives, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2010, p. 231-250.
•
« Parole d’amateur contre parole d’expert ? Artistes, critiques et écrivains à la Galerie René
Drouin (1939-1962) », in Ivanne Rialland et Dominique Vaugeois (dir.), L’écrivain et le spécialiste, Paris, Garnier, 2010, p. 99-115.
•
« “Pour apprendre, il faut surtout voir” : les projets de l’Unesco pour la diffusion des chefsd’œuvre de l’art (1947-1965) », L’idée de Patrimoine : entre mondialisation et régionalisation,
Montréal/Rimouski, Presses de l’UQAM/UQAR, 2010, p. 231-246.
•
« Bon à jeter, donc inestimable ? Exposer le rebut en galerie dans les années 1960 », Marges,
n° 11 n° thématique sur « La Valeur », automne 2010, p. 45-56.
nouvelles collègues : Jeanne Menjoulet, Julie Verlaine, Charlotte Vorms
239
charlotte vorms
maître de conférences
histoire contemporaine
bureau 602 : 9, rue malher, 75004 paris
• tél. : 06 50 25 61 16
• mail : [email protected]
Je suis membre du CHS depuis septembre 2010, rattachée au pôle 4 « Gouverner et habiter les villes contemporaines ». Je termine actuellement l’édition
du livre qui fait suite au colloque que j’ai organisé en 2010 avec Laurent Coudroy de Lille et Céline Vaz sur la production de la ville espagnole depuis le
début des années 1970. Le manuscrit remanié de ma thèse, soutenue en 2006
à Aix-en-Provence, doit sortir en 2012 chez Créaphis Éditions. Elle portait sur
la construction de la banlieue de Madrid fin xixe-début xxe siècle. Il s’agissait
à la fois d’étudier la formation d’un marché immobilier, l’organisation d’une
filière du bâtiment et celle d’une société locale, avec sa stratification interne,
ses formes de socialisation, de politisation, ses relations avec l’administration
municipale et son insertion dans la société madrilène.
Je travaille à de nouveaux chantiers de recherche qui s’articulent autour
de l’histoire sociale du logement en France et en Espagne : les effets sociaux et
urbains des politiques publiques, les usages du droit, la gestion individuelle et
familiale du logement envisagé comme patrimoine et comme bien d’usage en
sont les principaux axes.
Je continue ainsi le travail engagé dans le cadre d’un contrat de postdoc
en 2008-2009, sur les effets sociaux des politiques de logement franquistes,
qui a donné lieu à plusieurs communications cette année. Le séminaire « logement », que j’anime depuis trois ans avec trois collègues sociologues, a permis
de mettre en évidence des convergences intéressantes entre différents pays.
J’envisage de créer avec plusieurs participants du séminaire, dont certains sont
membres du CHS, un groupe de recherche sur les pratiques des administrations du logement, leurs papiers (leurs archives) et les relations administrationadministrés dans ce domaine.
Bulletin n° 33-34, 2010-2011, chs du xxe siècle umr 8058
240
Je suis engagée, depuis 2010, dans un projet collectif porté par le pôle 4 du
CHS, sur la notion de crise du logement dans la seconde moitié du xxe siècle
en Europe.
Enfin, j’ai ouvert depuis peu un autre chantier : une histoire longue de
l’indemnisation, puis du relogement des occupants des habitations que les
pouvoirs publics décident de démolir pour diverses raisons (insalubrité, péril,
aménagement, rénovation, etc.). Ces recherches portent sur l’élaboration du
droit, ses effets et sa mise en pratique ou son usage par les différents acteurs.
Ces thématiques ont nourri l’atelier de recherche que j’ai mis en place pour
les étudiants de M1 depuis la rentrée de septembre 2011, sur l’histoire de la
rénovation de l’îlot insalubre numéro 11 à Paris.
Enfin, je me suis beaucoup investie depuis 2010 dans la mise sur pied,
puis l’animation, d’une nouvelle revue électronique centrée sur les questions
urbaines : www.metropolitiques.eu Cette revue, animée par des enseignantschercheurs, mais qui n’est pas une revue académique, vise à nourrir le débat
public de l’apport des recherches de toutes les disciplines et des retours d’expériences des professionnels.
Publications 2010…
• Bâtisseurs de banlieue. Madrid : le quartier de la Prosperidad (1860-1936), Paris, Créaphis Éditions,
à paraître 2012.
•
« Les sciences sociales espagnoles et la ville contemporaine », in Mélanges offerts à Gérard
Chastagnaret, Madrid, Éditions de la Casa Velázquez, à paraître 2012.
• « Habitat social », in Dictionnaire Historique de la Civilisation Européenne, Paris, Fayard, à paraître
2012.
•
« La logique immobilière au cœur de l’extension de Madrid années 1940-1960 », in Florence
•
« Barcelone : mobilisations locales ou désespoir global ? », Métropolitiques, 30 novembre 2011.
Bourillon et Annie Fourcaut (dir.), Agrandir Paris, à paraître 2012.
URL : http://www.metropolitiques.eu/Barcelone-mobilisations-locales-ou.html
•
« La elaboración de la norma en la ciudad marginal. La administración del extrarradio madrileño (1860-1923) », in Ricardo Anguita et Xavier Huetz de Lemps, Normas y prácticas
urbanísticas en ciudades españolas e hispanoamericanas (siglos. XVIII-XXI), Grenade, Université
de Grenade, 2010.
•
« casa » et « extrarradio », in Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin (dir.), L’aventure des mots de la ville, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010.
•
« Madrid : la construcción de la ciudad contemporánea », in Delgado Carmen, Rueda Germán,
Sazatornil Luís (dir.), Historiografía histórica y geográfica de las ciudades españolas, 2010.
table des matières
Éditorial
3
Hommage à Françoise Tétard, par Mathias Gardet
6
Enseignement
Masters 2010 et 2011
10
Séminaire des doctorants 2011-212
14
Portail web
14
Association des doctorants
14
Rapport d’activité
Pôle 1 : L’État en action
Les archives de Me de Félice : témoignages d’un engagement au service
des Droits de l’Homme
15
L’éducation spécialisée en Algérie et au Maroc, avant et après les indépendances
16
Les viols en temps de guerre : une histoire à écrire
18
On Colonial Violence
19
La guerre d’Algérie et l’Europe occidentale
20
Espaces perdus - sujets dérangeants - mémoires disputées. La nation et ses rapatriés
20
Pôle 2 : Identités sociales, mobilisations et militance
Archives « africaines » des syndicats et partis français
21
Pratiques syndicales du Droit en France, xxe-xxie siècles
23
La grande marche du Maitron
28
Pôle 3 : Représentations : politiques, systèmes, relations
La sortie au spectacle, xixe-xxe siècles
32
L’atelier feuilleton
33
Histoire des festivals, xixe-xxie siècles
37
Jean d’Arcy. La communication au service des Droits de l’Homme
39
Quelles politiques culturelles pour les départements d’outre-mer ?
Mise en perspective historique
39
Pôle 4 : Gouverner et habiter les villes contemporaines
Les territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes41
150e anniversaire des vingt arrondissements parisiens : 1860 Agrandir Paris
44
Autour des cent ans des Offices d’HLM. De la loi Bonnevay à nos jours
46
L’international
L’« internationalisation » : un enjeu décisif pour le CHS, par Frank Georgi
49
HOPE - Heritage of people’s of Europe, par Françoise Blum
56
MATRICE - Memory Analysis Tools for Research through International Cooperation
and Experimentations, par Denis Peschanski
60
Se loger en Europe dans la seconde moitié du xxe siècle - Housing en Eastern
and Western Europe, par Annie Fourcaut et Danièle Voldman
63
Les services publics à l’épreuve : entre marchés et égalité (France, Europe occidentale
et espaces coloniaux au xxe siècle, par Michel Margairaz et Michel Pigenet
68
La 41e conférence de l’International Association of Labour History Institutions
73
Archives africaines des partis politiques et syndicats français
73
Lisbonne 2011 - colloque international sur les grèves et conflits au
xxe
siècle
76
Articles
L’armée de Lattre de Tassigny. Symbole de la reconstitution de l’armée française,
par Claire Miot
83
« Repour à Lilliput ». Le Jouet français, un périodique professionnel, 1930-1965),
par Élodie Massouline
97
La Maison du prisonnier de la Seine. Entre aide et surveillance (1941-1944),
par Amarillys Siassia
109
Publications
121
Le Mouvement social
137
Résumés des habilitations, thèses, master - 2009-2011
139
Prix
Prix de l’enseignement et de la recherche du quai Branly, 2010
211
Maitron 2009
211
Maitron 2010
217
Édition de master en 2011
223
Documentation et valorisation
La bibliothèque et les archives
225
Le fonds Chauvin
226
Exposition virtuelle : Mémoriaux du Rwanda : politiques mémorielles d’état face aux
génocides
Exposition : Les cent ans du logement social
228
232
Nouvelles collègues
Jeanne Menjoulet, documentaliste, archiviste
235
Julie Verlaine, maître de conférences en histoire culturelle du contemporain
237
Charlotte Vorms, maître de conférences en histoire contemporaine
239