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Féministival http://feministival.com/ Les efFRONTé-e-s Débat « Ni muse ni objet » Je vais vous raconter mon expérience. J’ai choisi d’aborder la question du « déni »qui se pose dans le titre « ni muse ni objet ». Tout a commencé pendant mes études quand un professeur m’a dit « et toi qu’est-ce que tu sais faire à part battre des cils? ». Je ne sais pas si c’était un hasard mais peu de temps après me suis fait engager comme stripteaseuse dans un bar pour éprouver cette position mais surtout pour restituer mon point de vue. Comme il est souvent le cas dans mon école d’art, il n’y avait que quelques femmes professeur et majoritairement des hommes pour nous accompagner dans notre travail. Très longtemps j’ai donc pensé que mon travail parlait d’érotisme, de séduction, de manipulation, ce sont les mots qui étaient utilisés pour décrire mon approche du corps et mon travail sur les hommes que je mets dans la position de la muse, normalement attribuée aux femmes. Le déni m’a toujours frappé - dès l'apprentissage de mon métier d'artiste, dans cette tension où d'une part on te pousse à développer ton esprit critique et en même temps on te maintient dans la position d'objet. Entre les professeurs qui t'enseignent l'art en essayant de te sauter et certaines femmes qui voient dans ma nudité de la soumission, l'apprentissage fut dur. Ces constatations m'inspireront le film « le modèle à la camera », film où dès l’âge de 25 ans je décide de prendre la position de la femme objet dans une vitrine de prostituée Gare du Nord à Bruxelles. Je filme exclusivement des hommes artistes pendant qu'ils utilisent mon corps comme matériau de travail et comme objet de leur désir. Pour ce film je fais faire un contrat par un avocat qui stipule que tous les droits d'auteur qui sont attribués à l'artiste appartiennent désormais au modèle féminin. Tout le film n'est finalement qu'un prétexte pour donner forme à un contrat dans lequel je fais prévaloir mon regard de femme exposée face à celui des artistes hommes. Après mes études, je passe des concours, puis fais la connaissance de galeristes, de critiques d’art, de collectionneurs, de directeurs de musées. Tous prétendent s'intéresser à mon travail, un ou deux s'y intéressent vraiment, mais très vite je me heurte à la superficialité de l’intérêt de la majeure partie pour qui la réflexion s’arrête la où la queue se met à bander. Un jour un critique d'art qui suivait mon travail depuis des années m'a dit d’emblée " je ne t'exposerai pas". C'est alors que je me suis dit, c'est moi qui t'exposerai et j’exposerai tous les hommes de l’art qui m'invitent à manger plutôt que de m'inviter à exposer. Tout cela a donné lieu au film" les hommes de l'art", où je filme le visages des professionnels de l'art tandis que je suis nue face à eux. Ainsi j’inverse les rapports de hiérarchie entre l’artiste femme et les acteurs du monde de l’art. Très tôt j’ai décidé que je n’attendrais pas que le monde de l’art m’expose, c’est moi qui l’exposerai. Dans les gestes et phrases qui m’ont marqués, il y a ce reflexe lorsque je montre ma première photo inspirée de « l’Origine du Monde » à un galeriste : il « zoom » » sur le sexe en éliminant d’un seul geste tous les drapeaux de l'union européenne qui sont dans mon dos. Témoin de ce déni je réalise ma première photo sexe ouvert devant sa galerie, ce qui sera le début de ma série « Mémoire de l'origine ». Quand je fais ma première performance au musé d’Orsay le 29 mai 2014, je pousse un cri, ce que je dis ce n’est pas : « regardez-moi », comme ce qu’on peut lire dans les medias et qui n’est que le reflet de ce déni qui pousse à faire abstraction du contexte pour ne voir que la nudité. Si l’on regarde bien ce que je dis en vérité c’est : « Je vous regarde, je suis l’origine du monde, nous sommes en 2014 et le sexe le plus connu de l’histoire de l’art sort du déni et je fais exister son point de vue ». Le musée d’Orsay porte plainte pour exhibition sexuelle, le corps ici est utilisé comme prétexte car en faisant arrêter le corps c’est son point de vue que l’on veut empêcher d’exister. L’institution en faisant semblant de procéder à une arrestation, procède à une censure. Quelques mois après la médiatisation de ma performance un centre d’art réputé m’invite pour une monographie dans le but de valoriser la production féminine. La légèreté de leur approche, le sexisme et leur résistance féroce à toute question de fond inhérente à mon travail révèle leur stratégie consciente ou inconsciente d’utiliser ma nudité comme outil médiatique - ce que je refuse. Le bras de fer contre cette institution mènera à l’annulation brutale de l’exposition. Je conteste par une conférence de presse que j’intitule « une mécanique de la censure » ou je dénonce les mécanismes, le danger et les conséquences de ce cette censure. Bien décidée à lever le voile sur la censure institutionnelle, je profite du contexte de l’exposition « splendeur et misères de la prostitution » pour préparer mon droit de réponse deux ans après la performance sur « l’Origine du monde ». Le point de vue se précise, c’est à travers le modèle de l’ « Olympia » dont le regard a fait scandale que j’imposerais mon point de vue et mon droit de réponse adressé directement à Guy Cocheval, le directeur du musée d’Orsay. S’en suit une arrestation et une garde à vue deux fois plus longue que la première, soit 48 heures dont une nuit en psychiatrie, ce fut la seule réponse du musée d’Orsay. Le 27 mars 2016, je réalise une performance à la Maison Européenne de la photographie dans le cadre de la rétrospective de Bettina Rheims , je réinterprète le modèle de « Monica Belluci » qui habillée en latex rouge tiens dans sa main une bouteille de ketchup de manière suggestive. Ma performance consiste à ouvrir ma robe et à faire exploser la bouteille de ketchup sur ma bouche, mes seins, mon corps. En réutilisant les codes de la pornographie, je pousse jusqu’au bout le geste suggéré par la photographe elle-même. Au delà de tout esthétisme, j’ai voulu exprimer une certaine violence lié à l’exposition du corps nu dans l’espace public, une violence inhérente à notre époque qui n’était pas représentée dans cette exposition. Comme à chaque performance où je m’invite de façon sauvage, j’affirme que je ne n’attendrai pas qu’un directeur de musée veuille bien reconnaître mon travail, j’utiliserai leurs expositions comme le décor et le nom des institutions au service de ma nudité et de mon sexe. Suite à cette performance, comme je suis récidiviste aux yeux de la loi, pour la première fois, je devais comparaitre devant le procureur le 24 mai 2016. Je vais clôturer mon récit avec la vidéo inspirée de la lettre envoyée au procureur à ce jour : http://www.lequotidien.lu/culture/deborah-de-robertis-entame-un-bras-de-feravec-la-justice/ « A l’attention de Madame ou Monsieur le Procureur, J’aichoisidenepasmeprésenteràlaconvocationquiconcerneuneplaintepourexhibition sexuelle suite à la performance artistique que j'ai réalisée à la Maison Européenne de la photographiele27mars2016. Au delà du fait que je ne reconnais pas ma culpabilité, je ne comparais pas car il me semble que vous vous êtes trompé de destinataire. En effet la loi sur l’exhibition sexuelle ne s’applique pas à une œuvre d’art. Mon corps d’artiste et de femme ainsi que mon travail n’ont donc pas leur place dans un palais de justice. Comparaitre serait faire semblant d’accepter de prendre cette place. Si je dois comparaitre, ce ne sera pas pour avoir réalisé une performance dans une institution artistique, ce sera pour avoir fait le geste symbolique de laisser cette place vide. En tant qu’artiste, je prends le droit de faire le geste de sortir du cadre de « l’origine du monde » de Gustave Courbet ; une fois de plus, c’est en tant qu’artiste que je fais le geste de soustraire mon corps du cadre dans lequel on voudrait le confiner aujourd’hui. Je me suis demandé longuement comment répondre à cette convocation, j’y réponds par le vide afin que l’absence de mon corps fasse entendre la voix de toutes les femmes. Très respectueusement, Deborah De Robertis »