REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE DROIT PROSPECTIF

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REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE DROIT PROSPECTIF
REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE
DROIT PROSPECTIF
2010-4
Publiée par la FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE
d’Aix-Marseille
Abréviation de référence : R. R. J.
N. XXXV - 134 (35ème année – 134ème numéro)
(5 Numéros par an)
PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - PUAM
L’OBLIGATION DE COLLABORATION
DES ENTREPRISES EN MATIÈRE
DE SECURITÉ DES PRODUITS
ÉLÉMENT D’UN RENOUVEAU DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE
PAR LE DROIT COMMUNAUTAIRE
Par
Fanny GARCIA
Maître de conférences, Université de Bretagne Sud,
Membre du Programme européen de recherche Lascaux1
IRDP-IREA.
1.
Deux grands phénomènes ont marqué l’évolution de la responsabilité
civile. En premier lieu, la révolution industrielle, au début du siècle dernier, a initié
la première évolution marquante. Elle fut accompagnée d’un mouvement de collectivisation des risques, dans le domaine des assurances, auquel le législateur a rapidement pris part, multipliant les obligations d’assurance de responsabilité tout au long
du XXe siècle. En second lieu, la révolution technologique entraînant la survenance
de nouveaux dommages, d’ampleur nouvelle, a peu à peu révélé les difficultés des
victimes dans l’aboutissement de leurs actions civiles. À l’épreuve d’une centaine
d’années, notre droit de la responsabilité civile apparaît dépassé, limité, insatisfaisant, tant du côté des victimes que de celui des responsables.
2.
Le droit communautaire a progressivement ouvert la voie à de
nouvelles transformations de la responsabilité civile. Les évolutions sont
diverses : élargissement du champ des responsables, extension d’obligations anciennes, création de nouvelles obligations, etc. Contribution majeure dans notre droit
positif, le droit communautaire véhicule avec lui, non seulement des règles nouvelles mais aussi des approches, des conceptions nouvelles. L’esprit communautaire
déplace le curseur de la responsabilité bien avant la réalisation d’un dommage. La
focale se situe désormais en amont de la mise en œuvre de la responsabilité,
nourrissant généreusement le principe général de prudence. Dans le but d’assurer un
1
Lascaux, 7e PCRD - Programme spécifique “IDEES” - Conseil Européen de la Recherche - Grant
agreement for Advanced Investigator Grant (Sciences sociales, 2008) : « Le nouveau droit agroalimentaire européen à la lumière des enjeux de la sécurité alimentaire, du développement durable et du
commerce international », Dir. Professeur F. Collart Dutilleul (www.droit-aliments-terre.eu).
« Les recherches menant aux présents résultats ont bénéficié d’un soutien financier du Centre européen de
la recherche au titre du septième programme-cadre de la Communauté européenne (7e PC / 2007-2013) en
vertu de la convention de subvention CER n° 230400 ».
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niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines dans la communauté
européenne, le bon fonctionnement du marché intérieur s’envisage désormais par
l’obligation de mise sur le marché de produits sûrs, conditionnant le principe de
libre circulation des marchandises. Pour répondre à ces exigences, le législateur
communautaire a instauré une obligation générale de sécurité des produits, par la
directive n° 2001/95/CE2. Au-delà, les opérateurs économiques sont soumis à un
ensemble de règles participant à assurer la sécurité des produits. En même temps, de
façon de plus en plus systématique, la responsabilité est appréhendée sous l’angle
collectif. Signe de ces changements, le champ lexical, lui aussi, est renouvelé : les
crises sont évoquées plutôt que les dommages, les chaînes plutôt que les directeurs,
les entreprises plutôt que les sociétés… Un souffle économique s’est inséré dans le
droit de la responsabilité. Les règles relatives à la responsabilité se sont étendues.
Ainsi, le principe général de prudence qui gouverne la réparation des victimes s’est
étendu avant la survenance d’une crise, par diverses obligations nouvelles tendant à
asseoir la maîtrise des risques, et pendant la crise, par des procédures de gestion des
risques. Les obligations sont davantage à la charge des entreprises que des personnes
physiques, elles sont mutualisées, elles pèsent sur chacun de ses membres. Au-delà
des seules entreprises, ce sont les chaînes qui sont visées, les filières, les secteurs
d’activités…
3.
La - troisième ? - révolution à laquelle nous assistons ne naît-elle pas
de la force - si ce n’est normative, à tout le moins créatrice - des activités
économiques ? Le droit communautaire nous contraint à repenser notre droit de la
responsabilité à partir des activités économiques. C’est par elles, que la responsabilité est désormais appréhendée différemment : d’une part, dans une dimension
collective et d’autre part, en amont de la réalisation des dommages, au niveau de la
maîtrise des risques.
Ce phénomène est patent en matière de sécurité des produits : la maîtrise des risques
est organisée de façon collective, elle s’articule autour de l’ensemble d’une filière,
elle n’est plus pensée de façon individuelle. Sans doute est-ce là la marque d’une
évolution juridico-économique de notre système, en réponse à certains grands
drames qui ont marqué nos dernières décennies : « vache folle », amiante, Distilbène, hormones de croissance, catastrophe AZF, affaire de l’Erika… La principale
expression novatrice en matière de sécurité des produits nous paraît se traduire par
l’obligation de collaboration des entreprises initiée par le législateur communautaire.
La notion d’entreprise porte en elle-même la marque des changements que nous
venons d’évoquer. Elle est le reflet de l’approche collective du droit de la responsabilité.
4.
La notion d’entreprise. Depuis les années 1950, nombre de textes communautaires font expressément référence à la notion d’entreprise. Pourtant, peu la
définissent3. La multiplication des références à l’entreprise dans les textes – autant
fulgurante que désorganisée - apparaît comme le pendant du développement des
2
Dir. n° 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001 relative à la sécurité générale des produits, JOUE n° L 11 du 15 0janver 2002.
3
Parmi les textes fondateurs, V. : art. 80, Traité instituant la communauté européenne du charbon et de
l’acier, 18 avril 1951 ; art. 81 à 86 (règles applicables aux entreprises), Traité de Rome, 25 mars 1957.
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activités économiques4. L’élaboration d’une notion unitaire, longtemps présentée
comme une gageure, fait désormais l’objet de nombreux travaux5. Les éléments
retenus oscillent entre personnification6 (sujet de droit, « sujet de droit naissant »7)/réification8, notion/concept, personne physique/personne morale, patrimoine/droits et obligations, droit public/droit privé... L’opposition entre le droit communautaire et notre droit interne y atteint son paroxysme, tout comme la multiplication
des définitions dans les droits spéciaux en fonction des interventions successives du
législateur (droit commercial, droit des sociétés, droit social, droit de la concurrence,
droit de la distribution, droit des procédures collectives, droit fiscal, droit financier,
droit boursier, droit civil, droit comptable…). L’entreprise y véhicule simultanément
une activité, un bien, un contrat…9 sans qu’il soit possible de transposer une définition d’une branche du droit à l’autre10.
Dans le domaine particulier de la sécurité des produits, peu de textes se réfèrent à la
notion d’entreprise. Pourtant, le phénomène inverse se produit dans l’ensemble du
droit communautaire11. Le champ lexical juridique des différents acteurs d’une filière est à la fois très diversifié et spécifique aux domaines qu’ils régissent12.
4
Sur ce phénomène, V. : J. Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l’aube du XXIe siècle », D.
2003, p. 260 et spéc. nos 57 à 85.
5
V. not. : Ch. Bolze, « La notion d’entreprise », RTD com. 1987, p. 65 ; M. Despax, L’entreprise et le
droit, thèse, Toulouse, 1956 ; L. Idot, « La notion d’entreprise », Rev. des sociétés 2001, p. 191 ;
Th. Lamarche, « La notion d’entreprise », RTD com. 2006, p. 709 ; B. Mercadal, « La notion d’entreprise », Les activités et les biens de l’entreprise. Mélanges offerts à Jean Derruppé, GLN Joly, Litec,
1991, p. 9 ; J. Paillusseau, préc. et « La notion de groupe de sociétés et d’entreprises en droit des activités
économiques », D. 2003, p. 2346, « L’efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir », Petites aff.
19.06.1996, p. 17, « Les apports du droit de l’entreprise au droit », D. 1997, p. 97 ; Th. Tarroux, « La
notion d’entreprise », JCP N 2002, 1684.
6
V. Wester-Ouisse, « Dérives anthropomorphiques de la personnalité morale : ascendances et influences », JCP G 2009, I, 137.
7
Pour reprendre l’expression de M. Despax, op. cit.
8
Sur l’analyse de ces différents courants, V. Th. Lamarche, préc., spéc. nos 7 à 17 ; J. Paillusseau,
« L’efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir », préc.
9
Plus largement sur ce point, V. l’étude de Th. Lamarche, préc., p. 709.
10
V. : Y. Guyon, « L’entreprise sous les influences réciproques du droit européen et des droits nationaux », Rev. des sociétés 2001, p. 314 ; L. Idot, préc., spéc. nos 6 à 17.
11
Par exemple, les directives relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux (dir. n° 85/374
du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, JOUE
n° L 210 du 07 08 1985) et à la sécurité des produits (dir. n° 2001/95/CE, préc.) ne se réfèrent pas à la
notion d’entreprise. Seuls quelques régimes relatifs à des produits spécifiques le mentionnent (dir.
n° 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant
certaines directives, JOUE n° L 312 du 22 11 2008 ; règl. n° 178/2002 du Parlement européen et du
Conseil du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la
législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures
relatives à la sécurité des denrées alimentaires, JOUE n° L 31 du 01 février 2002).
12
V. : le « producteur » [dir. n° 2001/95, préc.], le « distributeur » [dir. n° 2001/95, préc.], les
« opérateurs économiques » [dir. n° 2001/95, préc.], le « titulaire de l’autorisation de mise sur le
marché » [dir. n° 2001/83 du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code
communautaire relatif aux médicaments à usage humain, JOUE n° L 311 du 28 novembre 2001] et son
« représentant » [dir. n° 2001/83, préc.], le « fabricant » [proposition de règl. du Parlement européen et
du Conseil relatif aux produits cosmétiques, COM (2008) 49 final du 5 février 2008] et son « mandataire » [COM (2008) 49 final, préc.], le « responsable de la mise sur le marché » [COM (2008) 49 final,
préc.], « l’importateur » [règl. n° 178/2002, préc.], l’« exploitant » [règl. n° 178/2002, préc.], le
« commerce de détail » [règl. n° 178/2002, préc.], le « notifiant » [dir. n° 2001/18 du Parlement
européen et du Conseil du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, JOUE n° L 106 du
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Parmi ces différentes notions, celle d’entreprise est la plus adaptée pour étudier
l’obligation de collaboration, car, considérée dans une acception extensive, elle
recouvre l’ensemble des entités recensées dans le champ juridique communautaire
touchant à la sécurité des produits. Dans cette perspective, la définition proposée par
le règlement n° 178/2002 du droit de l’alimentation est la plus indiquée. À sa
lumière, nous considérerons l’entreprise comme « [toute entité] publique ou privée
assurant, dans un but lucratif ou non, des activités liées aux étapes de la production,
de la transformation […], de la distribution, [de l’importation, du stockage, du transport, du traitement et du recyclage des produits] »13.
Cette définition fait ressortir les différents éléments composant la notion d’entreprise. Parmi eux, le critère essentiel est celui de l’exercice d’une activité économique.
Par ailleurs, le critère de l’autonomie de décision de ces entités y est intrinsèquement lié : traditionnellement érigé en second élément composant la notion d’entreprise14, il se fond dans celui de l’exercice d’une activité économique, dans la définition précédemment retenue15.
La considération de l’exercice d’une activité économique est celle qui justifie
l’engagement de la responsabilité des entreprises, qu’elle soit civile, pénale ou administrative. Touchant aux produits et partant, à leur sécurité, elle gouverne également
l’instauration de l’obligation de collaboration des entreprises.
Concrètement, s’entendent de cette notion : les petites et moyennes entreprises, au
même titre que les grands groupes industriels, mais aussi toutes les entités exerçant
des activités à but non lucratif, parmi lesquelles notamment, celles menées par les
organisations humanitaires. Ces dernières témoignent de l’acception extensive du
critère de l’activité économique, ouvert sur une dimension sociale, qui n’est pas
nouvelle mais qui est inédite dans la mise en œuvre de la gestion des risques.
L’activité économique n’est pas exclusive de la réalisation de profits, elle peut être
également sociale16. La Cour de justice des communautés européennes invite également à cette approche extensive de la notion d’activité économique17. Aujourd’hui,
le champ de la responsabilité, revisité par le droit communautaire régissant les activités économiques, participe à l’extension de la notion d’entreprise. Toute référence
au caractère public ou privé de l’entité, à l’existence d’un patrimoine propre ou non,
d’une personnalité morale, d’un but lucratif ou non de l’activité exercée… est
dénuée d’intérêt dans ce contexte.
17 04 2001], les « collectivités » [règl. n° 1829/2003, du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés,
JOUE n° L 268 du 18 10 2003], le « détenteur » [dir. n° 2008/98, préc.], le « négociant » [dir.
n° 2008/98, préc.], le « courtier » [dir. n° 2008/98, préc.]…
13
Règl. n° 178/2002, préc., art. 3 §2 et 5. Plus largement, V. Conseil national de l’alimentation (C.N.A.),
Avis sur la préparation de l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2005, de certaines dispositions du règl. CE
n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, qui concernent les entreprises, F. Collart Dutilleul,
Rapporteur, Avis n° 48, 09 novembre 2004, spéc. point 3.2.
14
L. Idot, préc., spéc. nos 26 à 33 ; Th. Lamarche, préc., spéc. nos 29 à 31.
15
Dans ce sens, mais de façon implicite, V. : B. Mercadal, préc., pp. 15 et 16.
16
En ce sens, V. : Th. Lamarche, préc., spéc. nos25 à 27 ; B. MERCADAL, préc., pp. 13 et 14.
17
CJCE, 1er juillet 2008, aff. C-49/07, consid. 27 et 28 ; CJCE, 10 janvier 2006, aff. C 222/04, consid.
122 et 123. Pour quelques applications par la jurisprudence interne, not. aux associations, afin d’en
sanctionner les dirigeants, V. : J.-P. Legros, « Redressement et liquidation judiciaires – Associations »,
J.-Cl. Proc. collect., fasc. 3160, spéc. nos 23 à 26, 120 et 121.
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5.
L’obligation de collaboration, intrinsèquement liée à la responsabilité
dont elle devient l’un des rouages, est ainsi justifiée par la nature même de l’entreprise, entité où s’exerce une activité économique, qu’elle touche à la conception, la
fabrication, la transformation, la distribution ou au transport d’un produit. Vue d’en
haut, la collaboration participe du bouquet des valeurs que véhicule le droit
communautaire des activités économiques, organisé ici autour des règles de la
responsabilité civile, pénale et administrative. Elle irradie sur toute entité exerçant
une activité économique, sur toute entreprise. La collaboration, valeur morale, est
intégrée par le droit pour relier l’homme à ses rapports aux activités économiques,
au travers de l’expression d’une entreprise obéissant à un ensemble de règles. Elle
trouve son prolongement juridique dans le champ de la responsabilité.
L’obligation de collaboration des entreprises est nouvelle dans le domaine de
la sécurité des produits mais elle n’est pas inédite dans le langage juridique. Elle
irrigue tant le domaine du droit privé que celui du droit public18. Au niveau communautaire et international, de nombreux exemples illustrent la collaboration entre les
États19, les autorités de contrôle20… La notion de collaboration traverse aujourd’hui
l’ensemble du droit privé mais elle prend une forme nouvelle en matière de sécurité
des produits (I). Plus généralement, elle participe au renouveau de la responsabilité
civile insufflé par le droit communautaire (II).
I.
Notion de collaboration et droit privé
La notion de collaboration est relativement contemporaine en droit car elle remonte
au siècle dernier21. L’histoire nous renvoie naturellement à la pénalisation de la
collaboration, relative aux crimes et délits de collaboration avec l’ennemi22. Le droit
processuel est empreint du principe de collaboration entre les acteurs du monde
judiciaire23. Cependant, dans l’intérêt de notre étude, nous nous attacherons aux
manifestations les plus abouties de la collaboration en droit civil et droit des affaires
(A) avant de les comparer à la réception particulière qui lui est réservée par le droit
communautaire en matière de sécurité des produits (B).
18
En droit public, nous pouvons penser notamment aux collaborations intercommunales. On recense
aujourd’hui diverses structures relevant des établissements publics de coopération intercommunale. V. :
L. Janicot, « Coopération intercommunale. Structures de coopération », J.-Cl. Administratif, fasc. 129-25.
19
Cela est patent dans le domaine environnemental et de façon plus résiduelle V. : un système de
coopération internationale pour lutter contre le blanchiment d’argent ; un réseau européen de lutte
contre les pratiques anticoncurrentielles ; un réseau européen de coopération pour la protection des
consommateurs …
20
Dir. n° 2001/95/CE, préc., consid. 26 et art 10 ; règl. (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du
Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance
en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence
européenne des Médicaments, JOUE n° L 136 du 30 avril 2004. Pour un exemple de collaboration entre
les autorités de contrôle avec les organisations internationales, V. : règl. (CE) n° 726/2004, préc. ; avec
les Etats membres, V. : règl. (CE) n° 726/2004, préc.
21
V. : R. Demogue, Traité des obligations en général, II, Effets des obligations, t. VI, Librairie
A. Rousseau, Paris, 1932, nos 12-30, pp. 17-44.
22
O. Lagrange, La collaboration en droit processuel. Essai sur le concours des intérêts en procédure,
thèse, Nantes, 2007, spéc. nos 11 et 12.
23
V. : O. Lagrange, op. cit.
1834
A.
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Réception protéiforme de la notion de collaboration en droit privé
Aujourd’hui étendue à l’ensemble du langage juridique, la notion de collaboration
n’est toutefois pas encore uniformisée dans la législation. Tour à tour devoir, principe, obligation, elle est protéiforme en fonction des domaines auxquels elle touche.
On en retrouve des manifestations, sans qu’elles en portent le nom. De même, on la
retrouve sous d’autres dénominations - telle que la coopération - mais en synonymie24. Il reste des dénominateurs communs : la collaboration trouve le plus souvent
sa source dans un contrat et dans une moindre mesure, dans des situations de fait (1).
Il en ressort des enseignements liminaires (2) qui serviront l’analyse de l’obligation
de collaboration des entreprises dans le domaine particulier de la sécurité des
produits.
1. Manifestations de la collaboration
6.
Devoir de collaboration. La notion de collaboration a tout d’abord innervé la matière contractuelle, où elle est appréhendée comme un devoir trouvant
son fondement dans la bonne foi25. Il en va de même en droit communautaire26.
Souvent juxtaposé au devoir de loyauté, le devoir de collaboration est plus ou moins
prégnant dans les contrats, selon leur nature.
Il trouve naturellement à s’appliquer dans le contrat de société, au travers de
l’affectio societatis27. Il y est assez marqué dans la mesure où le Code civil assortit
d’une sanction le manquement à la collaboration28. Cette dernière est en revanche
circonscrite au droit des sociétés. La jurisprudence en refuse notamment l’extension
en matière de divorce29 (hormis de façon résiduelle, à l’égard des tâches dites ingrates30 ! rattachant par là la collaboration à l’obligation d’assistance mise à la charge
des époux).
Le devoir de collaboration s’est ensuite étendu à la catégorie des contrats d’intérêt
commun. Cela s’explique par leur objet qui comporte de façon sous-jacente un
animus cooperandi. Il en va notamment ainsi des contrats de travail, d’édition, de
franchise, de concession, de distribution sélective, de sous-traitance, d’affacturage,
de mandat d’intérêt commun, de louage d’ouvrage, de location-gérance, d’informatique… 31. La jurisprudence a d’ailleurs considéré de longue date, qu’il repose
24
Pour cette raison nous n’entrerons pas dans cette distinction, car elle ne présente pas d’intérêt pour
notre étude.
25
V. not. M. Fabre-Magnan, Les obligations, 1- Contrat et engagement unilatéral, P.U.F., 2008, n° 37 ;
J. Mestre, « D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ. 1986, obs. pp. 100-102 ;
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 10e éd., 2009, nos 43 et 441.
26
Le devoir de collaboration relève de la catégorie des « devoirs généraux » des Principes du droit européen du contrat, V. Art. 1 : 102 et 1 : 107. V. également art. 5.3 (devoir de collaboration), Principes
UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, Rome, 1994.
27
V. : Y. Guyon, J.-Cl. Sociétés, fasc. 20-10 ; J. Hamel, « L’affectio societatis », RTD civ. 1925, p. 50.
28
C. civ., art. 1844-7.
29
CA Toulouse, 15 nov. 2001 (la non-collaboration d'une épouse d'agriculteur aux travaux de la ferme
n'est pas une cause de divorce), AJF 2002, p. 226.
30
CA Pau, 29 mars 2004 (faute de l’épouse ayant cantonné son mari dans les tâches ingrates, faisant le
choix prioritairement d'activités sportives ou ludiques), JurisData n° 2004-240197.
31
V. : F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 911 à 968 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette,
op. cit., nos 78 et 441.
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également sur le client32. Elle va même parfois jusqu’à forcer le devoir de collaboration, en reconnaissant l’existence d’un « devoir d’ingérence dans les affaires d’autrui »33.
7.
Clauses de collaboration. Dans les contrats de services, les parties peuvent insérer une clause de collaboration qui a vertu à s’appliquer avant la survenance
du terme du contrat, afin d’étudier une alternative en cas de refus de renouvellement.
C’est une façon pour les parties de se ménager la preuve du caractère abusif de la
rupture en cas de non-respect de la clause de collaboration34.
À côté des clauses de non-concurrence devenues classiques, des aménagements
contractuels d’un nouveau genre se développent dans les relations commerciales
entre sociétés. Le secteur des nouvelles technologies reste le plus investi par cette
pratique dite des clauses de non-sollicitation35. Elles constituent également une forme de collaboration des entreprises, par abstention.
8.
Contrats de collaboration. Enfin, à côté des contrats qui sont assortis
d’un devoir de collaboration marqué, il existe des contrats dont l’objet même porte
sur la collaboration. Il en va ainsi du contrat de collaboration professionnelle36. Dans
le domaine des activités commerciales, ce sont les accords dits de coopération commerciale qui se développent37. Le droit spécial des sociétés connaît une technique
d’associations d’entreprises (joint ventures) en vue de prendre certaines décisions38.
Dans une autre mesure, une forme particulière de société s’est développée dans les
secteurs de l’agriculture, de l’artisanat et maritime, dénommée société de coopération39.
S’agissant plus spécifiquement des entreprises de production, la pratique témoigne
d’une volonté accrue de mutualisation du travail qui se concrétise par la formation
32
Dans ses rapports avec : un tailleur (T. civ. Bordeaux, 4 nov. 1908, DP 1910, 5e partie, p. 19), un
éditeur (R. Demogue, op. cit., n° 16, p. 34), un teinturier (Cass. 1ère civ., 11 mai 1966, Bull. civ. I, n° 281),
un fournisseur informatique (Cass. com., 8 juin 1979, Bull. civ. IV, n° 186 ; CA Chambéry, 30 avril 2002,
Légifrance, n° de RG : 1999/02007), un établissement bancaire (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2009, Bull. civ. I,
n° 36).
33
D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in L’avenir du droit.
Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz, P.U.F., J.-Cl., 1999, p. 603, spéc. n° 16, p. 619. V. également
Y. Picod, « L'obligation de coopération dans l'exécution du contrat », JCP G 1988, I, 3318.
34
V. CA Paris, 31 janv. 2007 (contrat de location-gérance), JurisData n° 2007-340195.
35
Ces stipulations permettent aux sociétés commerciales de se protéger des départs de salariés d’une
société à l’autre, lorsqu’elles sont en rapport d’affaires. Pour l’illustration de la sanction d’un nonrespect : CA Lyon, 12 juill. 2005 (société d’informatique condamnée à verser à l’entreprise collaboratrice
une indemnité), JCP E 2006, 1609, note Ph. Stoffel-Munck.
36
Ce contrat organise la mise à disposition, par un professionnel libéral, au profit d’un collaborateur, de
sa clientèle, de ses locaux, de son matériel… en contrepartie d’une rétrocession d’honoraires. Plus largement pour des réflexions sur les différents contrats de collaboration libérale, V. : J.-Y. Mazan, R. Samson,
« Congrès des notaires 2009. Entretien avec la 3e Commission », RLDA 2009, n° 37.
37
V. : B. Laborrier, « Accords de coopération commerciale », J.-Cl. Contrats-Distribution, fasc. 1100.
Sur le rapprochement entre les accords et la notion civiliste contrat, V. : V. Pironon, Droit de la concurrence, Gualino, 2009, spéc. nos 103 à 107.
38
Pour une étude complète, approfondie et comparée, V. : V. Pironon, Les joint ventures. Contribution à
l’étude juridique d’un instrument de coopération internationale, préf. Ph. Fouchard, Dalloz, Nouv. Bilbl.
de Thèses, vol. 37, 2004.
39
V. la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, JORF 1947, p. 9088 et la
loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 relative à la mise en œuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas
d'insolvabilité de l'employeur, JORF n° 26 du 31 janvier 2008, p. 1808.
1836
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de contrats dits de coopération40. Organisant la mise en place de réseaux, ils sont
particulièrement adaptés aux relations qui s’internationalisent41. La collaboration
interentreprises y est à la fois un moyen - pour tenter d’optimiser le développement
de produits ou de marchés - et un but - en mutualisant le coût des investissements
dans les recherches42. Le domaine spécifique du droit rural connaît également une
catégorie de contrats visant à organiser la collaboration, mais de façon plus développée que dans les contrats de coopération43, car elle se matérialise par la mise en
place d’une unité économique, obéissant à une hiérarchie interentreprises44. Ces
contrats dits d’intégration ont évolué avec l’industrialisation du secteur de l’agroalimentaire. Ils sont désormais une nécessité pour les exploitants agricoles, plus
qu’un choix délibéré45. Ils connaissent par ailleurs des extensions, notamment dans
le domaine de l’informatique. Les prestataires y ont recours à l’occasion d’implantations de systèmes dans les entreprises, car la collaboration y joue un rôle essentiel,
conditionnant la bonne exécution de ces conventions46.
Il reste enfin certains contrats dont l’objet est une collaboration désintéressée. La
nature contractuelle de la collaboration n’est pas exclusive des activités économiques lucratives. Le contrat de volontariat qui porte sur l’exécution d’une mission par
un volontaire, pour une association, sans contrepartie pécuniaire, en est l’illustration
topique47.
Enfin, rappelons la limite spécifique aux contrats interentreprises de collaboration :
ils ne doivent pas avoir pour effet de soustraire à la concurrence les entreprises qui
s’y prêtent48.
9.
Œuvres de collaboration. Dans le domaine du droit d’auteur, l’œuvre
de collaboration est sans doute celle qui fait produire les effets juridiques les plus
contraignants aux personnes qui la créent : la jurisprudence reconnaît à la collaboration un caractère indivisible opposable à ses coauteurs, refusant d’y appliquer le
droit commun de l’indivision49. À l’instar du contrat d’intégration50, l’œuvre de
40
Très utilisés par les compagnies d’assurances et les sociétés de transports maritimes, ils intéressent
également aujourd’hui les entreprises industrielles, V. F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc.
n° 891.
41
V. D. Gibirila, « Groupes de sociétés », J.-Cl. Commercial, fasc. 1574 et plus largement, V. Pironon,
Les joint ventures. Contribution à l’étude juridique d’un instrument de coopération internationale, op.
cit.
42
F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 889 à 902.
43
Sur cette distinction, V. C. Champaud, « Les méthodes des groupement des sociétés », RTD com. 1967,
p. 1003.
44
F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 903 à 924.
45
Plus généralement sur ce phénomène, V. : D. Gadbin, « Agriculture et droit européen des affaires :
l’irréductible droit communautaire agricole », Dr. rur. 2009, n° 372, dossier 21. Ce phénomène est
également suivi par le législateur, V. not. la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, portant création
du fonds agricole, à l’instar du fonds de commerce. V. sur ce point : C. Le Petit-Lebon, « Fonds agricole
et fonds de commerce. Examen comparé des deux institutions », Dr. rur. 2009, n° 369, dossier 4. Pour
une réflexion visionnaire, V. : L. Lorvellec, « L’agriculteur sous contrat », in Le travail en perspective,
A. Supiot (dir.), LGDJ 1998, p. 179.
46
V. not. : J. Besse, Ph. Debry, « Implantation d’un système d’information : conseils pour la rédaction du
contrat d’intégration », RLDC 2009, n° 63, p. 7.
47
Loi n° 2005-159 du 23 février 2005, relative au contrat de volontariat de solidarité internationale, JORF
du 24 février 2005.
48
Cela serait notamment contraire à l’art. 81 du Traité CE, préc. V. : CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08 et
20 novembre 2008, aff. C-209/07.
49
V. : C. Bernault, « Objet du droit d’auteur », J.-Cl. Propr. litt. et art., fasc. 1185, spéc. nos 14 à 67.
Fanny GARCIA
1837
collaboration peut instaurer une hiérarchie entre les auteurs, mais elle n’a aucune
portée quant à la reconnaissance de l’existence d’une collaboration51.
10. Collaboration de fait. Le droit des sociétés, gouverné par l’affectio
societatis52, est la branche du droit la plus encline à la collaboration de fait. Ses
effets juridiques sont importants, puisqu’elle peut entraîner la reconnaissance d’une
société créée de fait. Cette qualification ne peut être retenue pour les accords et
contrats de collaboration dans lesquels les cocontractants restent indépendants53 et
donc, à ce titre, s’ils partagent les bénéfices de la collaboration, ils n’en partagent
pas les pertes. C’est notamment la caractérisation de ce dernier élément qui conditionnera la reconnaissance d’une société créée de fait54.
En droit de la concurrence, au-delà des agissements sanctionnés au titre des ententes55, la coopération des entreprises peut s’inscrire dans le cadre de la procédure
d’inspiration communautaire, dite de "clémence"56. Dans le contexte de l’examen
d’ententes, la collaboration des entreprises avec la Commission peut faire droit à une
réduction des amendes encourues par les entreprises mises en cause57.
En droit de la famille, la collaboration de fait produit également des effets juridiques. La jurisprudence a établi que la collaboration des époux reporte la dissolution
de la communauté de vie, même lorsqu’ils ont cessé toute cohabitation58. Dans une
autre mesure, lorsque l’un des époux a collaboré au travail de l’autre pendant le
mariage, il est en droit d’obtenir une indemnisation en cas de divorce59. Ce raisonnement est appliqué plus strictement aux concubins : il est conditionné à la preuve
d’un appauvrissement de l’un, au profit de l’enrichissement de l’autre60. Enfin, la loi
fait également produire des effets à la collaboration de fait des descendants des
exploitants agricoles61.
2. Enseignements liminaires
11. Il résulte de ce rapide tour d’horizon que tout rapport à l’autre par l’outil
d’un contrat est la marque première de la collaboration. Dès lors, elle rayonne dans
une grande partie de la sphère juridique sous différentes formes, de façon plus ou
moins marquée, plus ou moins récente… Malgré ces disparités, la notion de collaboration incarne en réalité une même philosophie, véhicule un esprit commun, rattaché
à la bonne foi et à la loyauté. La collaboration y prend au mieux la forme d’un
travail en commun, d’une coordination, d’une concertation, d’une interaction entre
ceux qui y participent. Les parties concourent à une tâche commune, l’objet même
50
V. infra.
C. Bernault, préc., spéc. n° 25.
52
V. infra.
53
V. les contrats de collaboration exposés précédemment.
54
Cass. 1ère civ., 3 déc. 2008, Légifrance, pourvoi n° 07-13.043.
55
V. infra, n° 19.
56
Plus largement, cf. V. Pironon, Droit de la concurrence, op. cit., spéc. nos 297 à 299.
57
V. not. : TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission. Pour une appréciation critique de cette procédure, V. : A. Nieto Martin, « Américanisation ou européanisation du droit pénal
économique ? », Rev. de sciences crim. 2006, p. 767.
58
Cass. 1ère civ., 19 mars 2008, Légifrance, pourvoi n° 07-16.477.
59
Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, Légifrance, pourvoi n° 04-14.265.
60
Cass. 3ème civ., 9 nov. 2005, Légifrance, pourvoi n° 03-21.076.
61
C. rur., art. L. 321-13.
51
1838
R.R.J. 2010-4
du contrat est d’œuvrer ensemble. Elles s’unissent dans le but de la réalisation d’une
communauté d’intérêts, somme des intérêts personnels des cocontractants.
En revanche, la collaboration reste dénuée de portée au-delà des seuls rapports au
sein desquels elle s’applique. La collaboration est le fait de ceux qui la souhaitent.
De façon sous-jacente - et à des degrés différents -, la collaboration est le fait de
ceux qui souhaitent s’engager. C’est le plus souvent l’intérêt personnel qui anime les
cocontractants à collaborer, à dessein d’en tirer profit. Dans une autre mesure on
peut considérer que c’est l’intérêt du contrat, de sa survie, qui impose aux cocontractants de collaborer62. La collaboration « forcée » prend alors la forme d’une
certaine solidarité, dans l’intérêt social63.
Il en va de même pour les obligations de collaboration qui ne touchent pas directement à la sécurité des produits64. Toutefois, en matière de sécurité des produits, cela
ne reflète qu’un des différents aspects que recouvre l’obligation de collaboration. À
cet endroit, la doctrine fait parfois référence aux obligations de « notification » ou de
« signalement » des entreprises. En réalité, l’esprit et la lettre des textes vont plus
loin que cela. Ils traduisent une nouvelle façon d’appréhender la responsabilité, une
approche plus adaptée aux réalités économiques modernes. Via une impulsion communautaire, la responsabilité se pense et se construit dans une dimension collective.
Dans le domaine de la sécurité des produits, l’obligation de collaboration des
entreprises en est l’expression la plus aboutie.
B.
Réception spéciale de la notion de collaboration en matière de sécurité
des produits
12. Les interventions législatives et réglementaires se multiplient en matière
de sécurité des produits. Les textes communautaires renouvellent notre droit interne
en la matière, qui sans cesse doit continuer à s’adapter aux exigences justifiées par le
souci d’harmonisation des régimes des États membres. Le principe de la libre circulation des marchandises n’y est pas sacrifié, mais il est dorénavant indissociable de
l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. Sur ce dernier
point, les exigences en matière de sécurité des produits se font plus strictes, les
contrôles se sont étendus et renforcés. Toutes les étapes - et tous les acteurs - de la
chaîne de vie d’un produit sont concernées : conception, fabrication, distribution,
vente, transport, stockage, recyclage… Toutes les entreprises doivent répondre de la
sécurité des produits mis sur le marché. Le législateur ayant sans doute été contraint
de renforcer ses exigences suite à l’apparition de nouveaux dommages, notamment
62
V. notamment sur le fondement du déséquilibre contractuel, qui sous certaines conditions, peut entraîner une obligation de renégocier le contrat : CA Nancy, 26 sept. 2007, RLDC 2008, n° 2969, note O.
Cachard et de façon implicite, Cass. 1ère civ., 16 mars 2004, Bull. civ. I, n° 86, D. 2004, p. 1754, note D.
Mazeaud.
63
V. : R. Demogue, op. cit. spéc. n° 12, pp. 17 et 18.
De façon plus contemporaine, V. : Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Le contrat
au début du XXIe siècle, Etudes offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 441 ; D. Mazeaud, préc. ;
M. Mignot, « De la solidarité en général, et du solidarisme en particulier ou le solidarisme contractuel a-til un rapport avec la solidarité ? », RRJ 2004/4, p. 2153 ; C. Thibierge-Guelfucci, « Libres propos sur la
transformation du droit des contrats », RTD civ. 1997, p. 357.
64
Règl. n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives
67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) 1907/2006, JOUE n° L 353 du 31 décembre
2008.
Fanny GARCIA
1839
sériels, un phénomène nouveau apparaît au sein de ce tableau. Il tend à ne plus
considérer les différents acteurs séparément, chacun dans leurs sphères spécifiques.
Des mécanismes de responsabilités solidaires ont notamment vu le jour. Mais
aujourd’hui ce phénomène n’est plus cantonné au seul domaine de la réparation des
dommages. Il apparaît beaucoup plus en amont, à la fois au niveau de la prévention
des risques et le cas échéant, au niveau de la gestion des crises. Il se manifeste au
travers de l’obligation de collaboration des entreprises dans la mesure de leurs
filières respectives.
13. L’obligation de collaboration des entreprises est relativement récente
dans le domaine de la sécurité des produits. Par exemple, elle n’existait pas encore
lors de l’adoption de la directive relative à la responsabilité du fait des produits
défectueux en 198565. Consacrée par la directive relative à la sécurité générale des
produits66, elle ne cesse depuis de ressortir de nombreux textes communautaires.
Traditionnellement, les entreprises sont tenues de se soumettre aux autorités publiques. Or, sur ce point, l’obligation de collaboration dépasse cette approche. L’objet
de la collaboration est en effet tourné à la fois vers les entreprises - par branches
d’activités - et vers les autorités publiques. L’approche classique à l’égard de ces
dernières demeure mais dorénavant les entreprises sont plus étroitement associées à
la mise en œuvre des mesures nécessaires à la prévention des risques et à la gestion
des crises. C’est sur ce point que l’obligation de collaboration des entreprises est
intéressante, car si elle n’est pas nouvelle dans sa dénomination, elle l’est dans son
contenu.
14. Nous venons de constater que jusqu’à présent, la collaboration n’était
envisagée dans le langage juridique que sous l’angle de la participation à une œuvre
commune67. Or désormais, appliquée aux entreprises, l’obligation de collaboration
tend à participer à l’intérêt général communautaire. Il n’est pas personnel aux
entreprises, puisque c’est celui d’assurer un niveau élevé de la protection de la vie et
de la santé humaines. Les entreprises deviennent gardiennes d’un système, à l’instar
de l’image du rôle traditionnellement dévolu à l’État68. Il reste que si dans une
certaine mesure elle est une expression de l’obligation d’information, elle en constitue pour l’essentiel de ses manifestations, un dépassement.
II.
Obligation de collaboration et renouveau du droit de la responsabilité
Bien plus qu’un standard de comportement, la collaboration des entreprises s’inscrit
dans l’obligation générale de prudence, à la fois dans le domaine de la prévention et dans une moindre mesure, dans le domaine de la précaution69. Dans les textes
communautaires, l’obligation de collaboration des entreprises y est en effet fonction
65
Dir. n° 85/374, préc.
Dir. n° 2001/95, préc.
67
V. infra, n° 13.
68
Plus largement sur ce point, V. M.-A. Frison-Roche, « La prise en charge par le droit des systèmes à
risques », in Le droit face à l’exigence contemporaine de sécurité, Actes du colloque de la faculté de droit
d’Aix-Marseille (11-12 mai 2000), P.U.A.M., 2000, spéc. pp. 263-264, n° 18.
69
V. F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec, préc.
66
1840
R.R.J. 2010-4
de la nature des risques, selon qu’ils sont avérés ou suspectés70. De façon novatrice,
la collaboration des entreprises s’applique également en cas de gestion d’une crise.
Le renouveau du droit de la responsabilité passe par cette approche collective des
risques en amont du dommage et le cas échéant, dans la phase de gestion d’une crise
(A). Enfin, d’autres obligations communautaires participant du même phénomène de
renouveau de la responsabilité, confortent l’assise de l’obligation de collaboration
des entreprises et par là, marquent l’approche désormais collective de la responsabilité (B).
A.
Collaboration des entreprises de la prévention des risques à la gestion des
crises
L’obligation de collaboration des entreprises recouvre deux situations régies par
deux types de règles : celles qui s’appliquent afin d’éviter la réalisation d’un risque
et celles qui doivent être mises en œuvre lorsqu’un risque s’est réalisé. Par ailleurs,
elle se traduit concrètement de deux façons. Dans la première hypothèse, elle est
mise à la charge des entreprises, envers d’autres entreprises relevant de la même
filière (1). La seconde situation touche à l’obligation de collaboration des entreprises, mais cette fois envers les autorités publiques (2). Il reste à s’interroger sur
l’efficacité de cette obligation. Cela passe par l’examen de son environnement
juridique et en outre, par l’étude des sanctions susceptibles d’en assortir les divers
manquements (3).
1. Obligation de collaboration interentreprises
15. La directive de 2001 relative à la sécurité générale des produits impose
une obligation de collaboration à la charge des distributeurs, envers les producteurs :
« dans les limites de leurs activités respectives, [ils] participent au suivi de la sécurité des produits mis sur le marché, (…) par la collaboration aux actions engagées par
les producteurs (…). Dans les limites de leurs activités respectives, ils prennent les
mesures qui leur permettent une collaboration efficace »71. On la retrouve également
dans divers textes spéciaux72.
Il en ressort tout d’abord que l’obligation de collaboration interentreprises est
circonscrite au contexte particulier de la prévention des risques des produits mis sur
le marché. Ensuite, nous observons qu’elle revêt une double dimension. Les distributeurs doivent collaborer aux actions existantes, mises en œuvre par les
producteurs. De façon plus active, ils sont également tenus d’initier les mesures leur
70
Sur ces qualifications, V. l’échelle des risques établie par les Professeurs Collart Dutilleul et Lorvellec,
qui distingue les risques « réalisés » (principe de réparation), les risques « avérés » (principe de prévention), les risques « suspectés » (principe de précaution) et enfin, les risques du développement (principe
d’exonération), in F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec, « Principe de précaution et responsabilité dans le
secteur alimentaire », in Écrits de droit rural et agroalimentaire de L. Lorvellec, L. Bodiguel, F. Collart
Dutilleul (sous la dir. de), Dalloz, 2002, pp. 445 et s.
71
Art. 5§2, dir. n° 2001/95, préc.
72
Dont : denrées alimentaires (règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §2) ; médicaments (dir. n° 2001/83, art.
80§d) ; produits cosmétiques [COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1) et 10§1] ; les OGM (règl.
n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3) ; résidus de pesticides dans l’alimentation (règl. n° 396/2005,
art. 38§1) ; déchets (dir. n° 2008/98, préc., consid. 32 et art. 16§1)...
Fanny GARCIA
1841
permettant une collaboration efficace73. En pratique cela doit se traduire dans un
premier temps par l’instauration de « dialogues » interentreprises74. Ils sont un préalable à la mise en œuvre d’actions communes afin de prévenir la réalisation de
risques.
Précisons enfin que selon la directive n° 2001/95, seules les entreprises de distribution75 sont expressément débitrices de cette obligation. Partant, les entreprises de
production - qui comprennent également les entreprises importatrices76 - n’y sont
pas soumises77. En revanche, elles sont toutes sous l’empire de l’obligation de
collaboration envers les autorités publiques.
2. Obligation de collaboration des entreprises envers les autorités publiques
16. Avant la transposition de la directive n° 2001/95 dans les droits internes,
la jurisprudence communautaire reconnaissait déjà la possibilité offerte aux États
membres d’imposer des obligations de collaboration aux entreprises à l’égard des
autorités compétentes78. Une obligation de collaboration des entreprises envers les
autorités publiques a ensuite été consacrée par la directive n° 2001/95/CE. Ce texte
communautaire met cette fois à la charge tant des distributeurs79 que des producteurs80 - dont les importateurs81 - une obligation de collaboration envers les actions
déjà engagées par les autorités compétentes, mais uniquement à la demande de ces
dernières. Dans ce contexte, la mise en œuvre de l’obligation de collaboration vise à
prévenir la réalisation des risques.
Dans une autre mesure, lorsque les mesures préventives se sont révélées insuffisantes, c’est-à-dire en cas de réalisation d’un risque, la directive n° 2001/95 impose aux
producteurs et distributeurs qui savent ou auraient dû savoir, « sur la base des
informations en leur possession et en tant que professionnels, qu'un produit qu'ils
ont mis sur le marché présente pour le consommateur des risques incompatibles
avec l'obligation générale de sécurité, [d’en] informe[r] immédiatement les autorités
compétentes des États membres (…), en précisant notamment les actions engagées
afin de prévenir les risques pour les consommateurs »82. Les entreprises doivent
simultanément prendre les mesures qui s’imposent en cas de risque avéré pour
73
Sécurité générale des produits, V. dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§3 ; produits médicamenteux, dir.
n° 2001/83, préc., art. 80 §d ; produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et
5 ; produits alimentaires, règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1, 2 et 4. De façon implicite, V.
OGM, règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3.
74
Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§4.
75
C’est-à-dire : « tout professionnel de la chaîne de commercialisation dont l'activité n'a pas d'incidence
sur les caractéristiques de sécurité du produit », dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 2§f.
76
Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 2§e-ii).
77
La dir. n° 2001/95/CE, préc., impose aux producteurs d’engager toute action opportune pour éviter les
risques, à leur initiative ou à la demande des autorités compétentes, mais le texte n’évoque pas d’obligation de collaboration à leur charge à cet endroit, V. art. 5§1.
78
Ainsi, la CJCE a considéré que l’importateur pouvait être soumis à une obligation de collaboration envers les autorités compétentes, en vue d’éviter que des accidents ne se répètent, V. pour une application à
des machines importées en France en 1995 : V. CJCE, 8 septembre 2005, aff. C-40/04, spéc. consid. 52.
79
Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§2 et §4.
80
Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§4.
81
Dir. n° 2001/95, préc., art. 2§e-ii).
82
Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 al. 1.
1842
R.R.J. 2010-4
prévenir de nouvelles réalisations du risque et en informer les autorités compétentes,
par la transmission des informations et documentations nécessaires83.
De façon inédite, le règlement régissant les denrées alimentaires étend l’obligation
« classique » de collaboration – celle examinée dans les régimes précédemment évoqués -, des risques avérés jusqu’aux risques suspectés. Le cas échéant, les exploitants doivent informer les autorités compétentes de la suspicion d’un risque et si cela
se révèle nécessaire, des mesures prises pour y parer84.
Ces différentes hypothèses relèvent de la procédure dite de « gestion des risques ».
Elle se décompose en un ou deux temps, au cours desquels l’obligation de collaboration revêt des formes différentes. En premier lieu, la mise en œuvre de l’obligation
de collaboration par les entreprises doit se manifester par l’information de la réalisation d’un risque auprès des autorités compétentes85. Si nécessaire, la seconde
forme de l’obligation de collaboration, simultanée à la précédente, est celle de la
participation aux actions engagées - pour parer aux conséquences du risque réalisé ou la mise en œuvre d’actions - si cela n’a pas été fait par d’autres entreprises ou les
autorités compétentes -86. En pratique, il ressort des différentes prescriptions qu’en
fonction de la nature des produits litigieux, l’obligation de collaboration des entreprises peut s’étendre de la simple adoption de mesures correctives, jusqu’au rappel
des produits voire leur retrait et éventuellement, leur destruction87.
3. Sanction des manquements à la collaboration
17. Après avoir étudié dans quelle mesure l’obligation de collaboration
pourra concrètement être mise en œuvre par les entreprises, il convient d’en rechercher l’efficacité. Or sur ce point, l’analyse est prospective car aucun des textes
communautaires régissant cette obligation ne l’assortit d’une sanction. Par ailleurs,
la jurisprudence rendue en la matière est encore trop peu abondante88. En tout état de
cause, les sanctions envisageables en cas de manquement à l’obligation de collaboration relèvent de différents ordres de responsabilité.
La responsabilité administrative des entreprises publiques pourra être engagée89 - à
l’instar de celle de l’État -, en imaginant un manquement à l’invitation à la collaboration, en période de gestion d’une crise, ou encore en cas d’excès de pouvoir ou de
rupture dans l’égalité de traitement à l’égard des charges publiques, qui aurait pu
pénaliser une entreprise (publique, comme privée). Les difficultés en la matière restent classiques et touchent aux preuves à rapporter pour caractériser la faute de
83
Denrées alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1 et 2, 20 §3 et 4 ; produits cosmétiques :
COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1) ; OGM : règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3.
84
Règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §3. V. également C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.3.2, invitant les
entreprises d’un même secteur à saisir l’autorité scientifique compétente préalablement à toute action paraît être la décision la plus raisonnable.
85
Sécurité des produits : dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 ; produits cosmétiques : COM (2008) 49 final,
préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et 5 ; produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1,
2 et 4. De façon implicite, V. OGM : règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3.
86
Sécurité des produits, dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 ; produits médicamenteux, dir. n° 2001/83, art.
80 §d ; produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et 5 ; produits
alimentaires, règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1, 2 et 4. De façon implicite, V. OGM, règl.
n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3.
87
Règl. n° 178/20002, préc., art. 20 §1.
88
V. jurispr. infra, n° 18.
89
Produits alimentaires par exemple, V. règl. n° 178/2002, préc., art. 3§2 et 5.
Fanny GARCIA
1843
l’État, car il est peu plausible d’envisager l’application d’une présomption dans ce
domaine. En pratique, ce sont essentiellement les administrations de contrôle qui
pourront réagir les premières et condamner celles qui sont concernées par des manquements à leur obligation de collaboration (DDCCRF, Services vétérinaires…).
Dans le champ pénal, le chef d’entreprise supporte une présomption de responsabilité pénale. Seule une délégation de ses pouvoirs, à l’un de ses salariés, respectant de
strictes conditions (compétence ; moyens mis à disposition ; autorité y afférente)
peut lui permettre de ne pas être directement concerné par les poursuites. Toutefois,
il n’existe pas d’infractions spécifiques à la collaboration. À l’égard des infractionsn
« classiques », celles des fraudes et falsifications sont les plus recensées90, mais c’est
l’infraction plus contemporaine de « mise en danger d’autrui » qui paraît la plus
indiquée pour caractériser un manquement à l’obligation de collaboration de la part
d’une entreprise, dans le domaine de la sécurité des produits91.
À l’égard des infractions prévues par le Code de la consommation en matière de
sécurité des produits, il est intéressant de relever une procédure particulière, qui
autorise l’autorité administrative compétente en matière de concurrence et consommation, après accord du Procureur de la République, de proposer un règlement transactionnel aux auteurs de l’infraction92. Gage de célérité dans l’exécution des condamnations, cet acte permet également de répondre de façon plus adaptée aux
situations d’urgence et de gestion de crises.
En droit de la responsabilité civile, c’est sans doute le fondement de la faute qui sera
le plus efficace pour sanctionner les manquements des entreprises à leur obligation
de collaboration93. Cela fait d’autant plus ressortir la nécessité impérieuse pour les
entreprises de se ménager des éléments de preuve, tant dans les phases de prévention
des risques que de gestion des crises (information, mesures engagées, participation
aux mesures existantes, rappels, retraits… ). Les actions des entreprises victimes ne
seront par ailleurs recevables que dans la limite du caractère réparable du dommage
subi. Soulignons sur ce point que nous ne serions pas loin, en matière de collaboration, du préjudice économique pur94. Or, il n’a pas encore été accueilli par la
jurisprudence française.
Le droit de la concurrence viendra utilement sanctionner toutes pratiques commerciales entravant voire sanctionnant indirectement la collaboration des entreprises
dans la prévention des risques mais surtout, dans la phase de gestion d’une crise95.
Les intérêts économiques et les images des entreprises étant des enjeux importants,
ils pourraient également inspirer des actes de concurrence déloyale96.
Enfin, de façon indirecte, les États membres restent libres de conditionner les allocations de subventions ou les exonérations de taxes sur les produits à la bonne
90
Pour la tromperie : C. consom., art. L. 213-1 à L. 213-2-1 ; pour les falsifications : C. consom., art.
L. 213-3 et L. 213-4.
91
C. pén., art. L. 223-1 et L. 223-2.
92
Plus largement sur ce point, V. Lamy Dehove 2011, n° 110-155.
93
C. civ., art. 1382 et 1383.
94
Il est constitué par « l’atteinte portée à l’activité économique d’une personne physique ou morale, c’està-dire à l’activité génératrice de revenus qu’elle mène », in F. Bélot, « Pour une reconnaissance de la notion de préjudice économique en droit français », Petites aff. 2005, n° 258, p. 8.
95
Nous pouvons penser aux pratiques anti-concurrentielles, sanctionnées au travers des ententes et des
abus de puissance économique. V. notamment : V. Pironon, Droit de la concurrence, op. cit., spéc. nos 96
à 236.
96
Parmi lesquels le parasitisme et le dénigrement, V. notamment : V. Pironon, Droit de la concurrence,
op. cit., spéc. nos 666 à 680.
1844
R.R.J. 2010-4
exécution de l’obligation de collaboration des entreprises. Ils peuvent le faire en
amont - dans le cadre de la prévention des risques - ou a posteriori - après des
manquements en période de gestion de crise par exemple. À notre connaissance,
aucune disposition ne s’inscrit encore en ce sens, mais cela n’en reste pas moins
envisageable dans la mesure où cela existe déjà à l’égard d’autres obligations97.
Le droit des assurances est également convoqué à l’endroit de la collaboration des
entreprises. Reste alors à s’interroger sur la nature des risques couverts. Le principe
étant celui de l’exclusion de la faute intentionnelle, pour absence d’aléa, le manquement délibéré d’une entreprise à son obligation de collaboration ne sera alors pas
couvert. Seule la police responsabilité civile et risques professionnels remplira son
office pour les autres délits civils qui pourraient toucher à la collaboration des entreprises.
Il reste qu’en réalité, l’efficacité de l’obligation de collaboration des entreprises ne
se mesure pas tant à l’aune des sanctions encourues qu’à la lumière d’autres
obligations qui pèsent sur les entreprises et qui participent à son soutien.
B.
Soutien de la collaboration des entreprises à la sécurité des produits par
de nouvelles obligations
Les obligations qui viennent soutenir la mise en œuvre de l’obligation de collaboration des entreprises sont également pour l’essentiel, d’origine communautaire.
Intrinsèquement liées ou utiles les unes aux autres, elles ont trait à l’autocontrôle, à
la traçabilité, au suivi des produits, à leur retrait et/ou à leur rappel ou de façon plus
classique, à la loyauté. Elles s’inscrivent dans le même esprit d’approche collective
de la responsabilité et à ce titre, participent aussi à son renouveau.
18. En premier lieu, une autre obligation imposée aux entreprises par le droit
communautaire, elle-même relativement récente98, l’obligation dite « d’autocontrôle », participe à soutenir l’obligation de collaboration des entreprises à la sécurité
des produits. Rayonnant comme cette dernière, au niveau de la prévention des
risques, la directive n° 2001/95 la définit comme étant pour les distributeurs, le fait
de ne pas fournir de produits « dont ils savent ou auraient dû estimer, sur la base des
informations en leur possession et en tant que professionnels, qu'ils ne satisfont pas
[aux] obligations [de sécurité] »99. On retrouve cette obligation d’autocontrôle parfois élargie dans son objet (sécurité et conformité des produits) et quant aux
97
V. notamment les droits à paiement unique, V. : F. Collart Dutilleul, « La nature juridique des droits à
paiement unique », Rev. dr. rur. 2005, p. 334.
98
En effet, jusqu’aux années 2000, ni les textes ni la jurisprudence ne mettaient cette obligation à la
charge des distributeurs, dès l’instant où les produits mis en circulation avaient satisfait à des contrôles
par les autorités publiques ou à des certifications de conformité à la sécurité par des autorités compétentes. La CJCE, interrogée sur ce point à plusieurs reprises, a toujours considéré que les législations
nationales ne peuvent imposer aux importateurs dans un Etat membre de produits fabriqués dans un autre
Etat membre de veiller à ce que les produits répondent aux exigences essentielles de sécurité lorsqu’ils
sont marqués CE et sont accompagnés d’une déclaration CE de conformité. Pour une application à des
machines soumises à la dir. n° 98/37, V. CJCE, 8 septembre 2005, aff. C-40/04, spéc. consid. 46, 53 et 61
(2).
À l’inverse, la Cour de cassation avait sanctionné des manquements à l’obligation d’autocontrôle, avant
même qu’ils n’aient une base légale, au travers de l’infraction de tromperie. V. Cass. crim., 12 juin 2001,
Légifrance, pourvoi n° 00-84.713 ; Cass. crim., 7 mars 1994, Légifrance, pourvoi n° 93-82.451.
99
Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§2.
Fanny GARCIA
1845
entreprises concernées (importateurs notamment) dans divers textes spéciaux100. En
pratique, les entreprises devront mettre en œuvre leurs propres contrôles et se doter
de systèmes de conservation de la réalisation de cette procédure. Cela leur permet de
se ménager la preuve de la bonne exécution de cette obligation, visant à assurer la
conformité des produits aux exigences de sécurité. Dans le silence des textes,
l’obligation d’autocontrôle paraît circonscrite aux activités respectives de chacune
des entreprises101. Le souci communautaire d’asseoir une juste répartition des risques102 commande de ne pas faire peser sur une entreprise, le contrôle de toute la
chaîne d’un produit. Dès lors, chaque entreprise ne doit se soumettre au contrôle de
la sécurité et/ou de la conformité des produits, qu’à l’égard de l’entreprise avec
laquelle elle traite directement en amont, par exemple celle de laquelle elle reçoit un
produit, un composant, à fabriquer, à transformer, à distribuer… La portée de l’obligation d’autocontrôle doit être relativisée, car les remarques précédentes semblent
être conditionnées à l’existence d’un texte imposant expressément aux entreprises
une obligation d’autocontrôle de leurs produits103. Quoi qu’il en soit, nous pointons
ici encore, de façon sous-jacente, une manifestation de l’obligation de collaboration
interentreprises, en vue de renforcer la sécurité des produits104.
19. L’obligation de traçabilité des produits qui doit être mise en œuvre
pour prévenir les risques, permettra en cas de réalisation d’un dommage, de désigner
plus rapidement et plus facilement, les entreprises soumises à l’obligation de collaboration pour y parer. Elle est ainsi étroitement liée aux obligations de retrait et/ou
de rappel des produits105.
La directive relative à la sécurité générale des produits impose aux distributeurs de
participer « dans les limites de leurs activités respectives, (…) au suivi de la sécurité
des produits mis sur le marché, en particulier (…) par la tenue et la fourniture des
documents nécessaires pour tracer l'origine des produits »106. Elle instaure ainsi une
obligation de traçabilité, destinée à s’appliquer à l’égard de tous les produits qui
entrent dans le champ d’application de la directive n° 2001/95107. Elle est désormais
reprise dans différents textes spéciaux108. Toutefois, seule la législation communau-
100
L’obligation d’autocontrôle, qui fait partie de la « nouvelle approche intégrée » en droit de l’alimentation (V. plus largement : C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.2.), voit son objet élargi – par rapport aux
autres textes communautaires - (autocontrôle de la sécurité et autocontrôle de la conformité), V. règl.
178/2002, préc., art. 17 §1, 19§1 et 3, 20§1 et 3 et consid. 30 ; dans la législation régissant les produits
cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1).
101
Dans le même sens, A. Soroste, « Les éclairages du CNA sur le règl. CE n° 178/2002 », Option qualité
2004, n° 231.
102
V. art. 7, dir. n° 85/374, préc.
103
Sur l’annulation d’injonctions de mise en place d’un dispositif d’autocontrôle par plusieurs DDCCRF,
à l’égard de douze entreprises ayant acheté des semences OGM, V. C.E., 20 novembre 2002, Légifrance,
décision n° 229017.
104
Plus largement voyez l’étude approfondie de M. Leon Guzman, L’obligation d’autocontrôle des
entreprises en droit européen de la sécurité alimentaire, thèse, Nantes, 2010.
105
V. infra, n° 23.
106
Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§2.
107
Dir. n° 2001/95, préc., art. 1§2 et 2§a.
108
Produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 7 et consid. 12 ; OGM, règl. n° 1830/2003,
préc., art. 3§3, 4 et 5 ; déchets, dir. n° 2008/98, préc., art. 17 (traçabilité limitée aux déchets dits « dangereux », mais la directive semble offrir une option aux Etats membres, pour mettre la traçabilité à la
charge des entreprises ou l’assurer eux-mêmes).
1846
R.R.J. 2010-4
taire alimentaire l’a érigée en une « obligation générale »109. Par ailleurs, son objet
est également plus étendu que dans les autres textes110.
L’obligation de traçabilité mise en œuvre au stade de la prévention des risques
renforce l’efficacité des mesures qui devraient être instaurées dans le cadre de la
gestion d’une crise. L’intérêt individuel pour l’entreprise de cette obligation est
indéniable, en ce qu’il assure une plus juste détermination des responsabilités. Mais
dans ce prolongement, l’obligation de traçabilité n’en reste pas moins un outil au
service de l’obligation de collaboration interentreprises.
20. L’obligation de suivi des produits, permet d’organiser la réactivité des
entreprises en cas de manquement à la sécurité des produits. C’est la directive n°
2001/95 qui soumet les entreprises à cette obligation. Elle consiste en la mise en
œuvre de systèmes leur permettant « d'être informé[e]s des risques que ces produits
pourraient présenter », afin d’être en mesure d’engager toute action opportune pour
éviter ces risques111. Elle a vocation à s’appliquer à de nombreux produits, même
lorsqu’ils sont régis par des textes spéciaux112. Elle entretient d’étroits rapports avec
l’obligation de collaboration des entreprises, car en cas de réalisation d’un risque,
c’est elle qui va déterminer la mise en œuvre des mesures nécessaires et l’information des intéressés (entreprises de la filière concernée et autorités compétentes). En
pratique, en fonction de la gravité du risque, elle peut être déterminante de l’enclenchement d’une procédure de gestion de crise. Elle est dès lors, un précieux
dispositif, notamment en présence de dommages sériels, car en pratique, c’est elle
qui permettra de "lancer l’alerte".
21. Toujours au soutien de l’obligation de collaboration des entreprises, on
peut évoquer, pendant la phase de gestion de la réalisation d’un risque, les obligations de retrait113 et/ou de rappel114 des produits. Elles sont parfois assorties
109
Règl. n° 178/2002, préc. V. art. 18. À cet égard, V. également , C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.1.
Règl. n° 178/2002, préc., art. 3§15 qui fait référence à « la capacité de retracer, à travers toutes les
étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'une denrée alimentaire, d'un aliment pour animaux, d'un animal producteur de denrées alimentaires ou d'une substance
destinée à être incorporée ou susceptible d'être incorporée dans une denrée alimentaire ou un aliment pour
animaux ».
111
Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§1 al. 3. Concrètement, le législateur évoque : « a) l'indication, par le biais
du produit ou de son emballage, de l'identité et des coordonnées du producteur ainsi que la référence du
produit ou, le cas échéant, du lot de produits auquel il appartient, sauf dans les cas où l'omission de cette
indication est justifiée, et b) dans tous les cas où cela est approprié, la réalisation d'essais par sondage sur
les produits commercialisés, l'examen des réclamations et, le cas échéant, la tenue d'un registre de
réclamations ainsi que l'information des distributeurs par le producteur sur le suivi de ces produits »,
art. 5§1 al. 4.
112
Rares sont les textes spéciaux qui reprennent une forme différente d’obligation de suivi des produits
mais dans ces cas, elle est justifiée par la nature particulière des produits : pour les médicaments V. dir.
n° 2001/83, préc., consid. 58 et plus largement, V. le règl. n° 726/2004, préc., art. 1 ; pour les déchets V.
dir. n° 2008/98, préc., art. 23§1e) et f).
113
Le retrait d’un produit s’entend de « toute mesure visant à empêcher la distribution et l'exposition d'un
produit dangereux ainsi que son offre au consommateur », V. dir. n° 2001/95, préc., art. 2§h. V. également, pour les produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 2§1q : « toute mesure destinée à
prévenir la mise à disposition sur le marché d'un produit cosmétique dans la chaîne d'approvisionnement ».
114
Le rappel d’un produit se définit comme « toute mesure visant à obtenir le retour d'un produit
dangereux que le producteur ou le distributeur a déjà fourni au consommateur ou mis à sa disposition »,
110
Fanny GARCIA
1847
d’une obligation d’information des consommateurs, portant sur les raisons de leur
mise en œuvre115. Elles peuvent entraîner l’échange ou le remboursement des
consommateurs lorsque c’est envisageable116. La directive relative à la sécurité
générale des produits - entre autres - fait peser ces obligations sur les producteurs117.
Elle précise par ailleurs que lorsque des mesures de rappel et/ou de retrait des
produits sont initiées par les autorités compétentes, les entreprises doivent y collaborer118. Les liens entretenus par ces obligations sont ici manifestes. De toute évidence,
l’efficacité de la mise en œuvre d’une procédure de rappel ou de retrait d’un produit
en cas de réalisation d’un risque, lorsqu’elle est interentreprises, sera conditionnée
par la mise en œuvre en amont, de l’obligation de traçabilité des produits119. Elle
participe également à désigner avec précision les entreprises d’une filière qui seront
soumises à l’obligation de collaboration dans le cadre de la gestion d’une crise120.
Dans ces circonstances, l’obligation de collaboration des entreprises pourrait justifier la transmission d’informations afférentes à la mise en œuvre de l’obligation de
traçabilité, alors même que l’entreprise n’est pas directement concernée121.
22. Enfin, de façon résiduelle, l’obligation de collaboration des entreprises
est assortie d’une obligation de loyauté. Cela est notamment le cas dans la
législation alimentaire, où le règlement n° 178/2002 dispose que tout exploitant se
doit de « n'empêche[r] ni ne décourage[r] personne de coopérer avec les autorités
compétentes, conformément aux législations et pratiques juridiques nationales, lorsque cela peut permettre de prévenir, réduire ou éliminer un risque provoqué par une
denrée alimentaire »122. C’est plus largement le comportement de l’entreprise qui est
visé par cette obligation spéciale de loyauté en matière alimentaire, mais on la
retrouve par ailleurs depuis fort longtemps en droit civil contractuel123 et au travers
de la pénalisation des fraudes et falsifications124. En pratique, les objectifs poursuivis par ce comportement loyal qui doit encadrer l’obligation de collaboration des
entreprises tendent à éviter toute pression sur une entreprise ou l’un de ses salariés,
toute crainte de pertes économiques ou tout avantage concurrentiel125. L’obligation
de loyauté permet ainsi de ne pas empêcher - ou détourner - toute forme de
collaboration interentreprises pour prévenir les risques, dès lors que des intérêts
touchant à la sécurité des produits sont concernés.
V. dir. n° 2001/95, préc., art. 2§g. V. également, pour les produits cosmétiques : COM (2008) 49 final,
préc., art. 2§1r.
115
Produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19§1, 2 et 20§1, 2. Pour une étude détaillée sur ce
point, voy. H. Munoz Urena, Principe de transparence et information des consommateurs dans la
législation alimentaire européenne, thèse, Nantes, 2010.
116
Dir. n° 2001/95/CE, préc., consid. 19.
117
Sécurité des produits : dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§1b. V. également pour les : produits
médicamenteux : dir. n° 2001/83, art. 80 §d ; produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art.
25§1 et 26 ; produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19§1, 2 et 20§1, 2 ; OGM : règl.
n° 1830/2003, préc., art. 1.
118
Dir. n° 2001/95, préc., art. 18§1.
119
Sur ce point, V. not. le règl. n° 1830/2003, préc., consid. 3 et art. 1. V. également infra, n° 23.
120
Sur ce point, V. not. : COM (2008) 49 final, préc., consid. 12 ; règl. n° 178/2002, préc., consid. 28.
121
Pour une illustration à l’égard des entreprises relevant de la filière agroalimentaire, V. règl.
n° 178/2002, préc., art. 19§2 et 20§2.
122
Règl. n° 178/2002, préc., art 19§3. V. également art. 20§3.
123
V. supra, n° 6.
124
V. supra, n° 19.
125
Plus largement sur ce point, V. C.N.A., Avis n° 48, préc., spéc. point 4.6.
1848
R.R.J. 2010-4
OUVERTURE
23. Au-delà des objectifs communautaires d’assurer un niveau élevé de
protection de la vie et de la santé humaines, d’assurer une juste répartition des
risques, de garantir le principe de la libre circulation des marchandises, il faudra
veiller à ce que l’obligation de collaboration des entreprises ne devienne pas un
objet économique126, que le système ne se retourne pas contre lui-même. La collaboration ne doit pas être « marchandisée ». L’intérêt général de sécurité ne doit pas
être entravé par les entreprises versant naturellement dans les conflits d’intérêts.
Malgré l’existence d’une obligation de loyauté qui leur est imposée, seules les
autorités de contrôle seront les gardiennes de cette économie127, en veillant scrupuleusement à ce qui s’apparente à une forme de pouvoir transféré par l’État. C’est à
ce prix que la collaboration des entreprises sera efficace dans la prévention et la
gestion des risques.
Enfin, les différentes obligations instaurées par le droit communautaire à destination
des entreprises ne sont pas exclusives du renouveau de la responsabilité. Le principe
de précaution, à destination des États y prend également une part128. Régissant la
sécurité des produits à l’endroit des risques suspectés129, il a sans doute vocation
aujourd’hui à s’appliquer à l’ensemble des produits, même en l’absence de textes
l’instaurant dans les droits spéciaux. Par ailleurs, de la même façon qu’en matière de
gestion des risques avérés, les obligations relatives à la traçabilité et au suivi des
produits permettront une mise en œuvre plus efficace, plus juste et mieux répartie de
l’obligation de collaboration des entreprises avec les autorités compétentes, sur le
point particulier des risques suspectés.
126
Sur ce phénomène, V. M.-A. Frison-Roche, préc., pp. 270-271, nos 38 à 40.
V. le Rapport des activités du système d’alerte rapide pour les produits de consommation non
alimentaires (le RAPEX), à l’adresse http ://ec.europa.eu/consumers/safety/rapex/docs/rapex_annual
report2009_fr.pdf.
128
Il est évoqué dans la directive relative à la sécurité générale des produits, bien qu’elle n’en porte
aucune définition (dir. n° 85/374, préc.). Produits cosmétiques, V. COM (2008) 49 final, préc., consid.
36 ; OGM, V. règl. n° 1830/2003, préc., consid. 3 ; déchets, V. dir. n° 2008/98, préc., consid. 30.
129
V. règl. n° 178/2002, préc., V. supra. Plus largement sur ce point, V. F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec,
« Principe de précaution et responsabilité dans le secteur alimentaire », in Écrits de droit rural et
agroalimentaire de L. Lorvellec, L. Bodiguel, F. Collart Dutilleul (dir. de), Dalloz, 2002, pp. 445 et s. ;
G. Viney, Ph. Kourilsky, Le principe de précaution. Rapport remis au Premier ministre, éd. O. Jacob, La
doc. fr., 2000.
127