La clause de non-concurrence au Grand

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La clause de non-concurrence au Grand
RESSOURCES HUMAINES ET
FORMATION PROFESSIONNELLE
La clause de non-concurrence au
Grand-Duché de Luxembourg
La clause de non-concurrence est une disposition écrite dont l’objet est d’interdire au salarié
d’exercer, après la rupture de son contrat de travail, une activité concurrente en exploitant une
entreprise personnelle suivant les dispositions de l’article L.125-8 du Code du travail.
Cette clause institue donc temporairement
une restriction à la liberté du travail et c’est
en ce sens qu’elle est encadrée. Elle ne
doit pas être confondue avec l’obligation
générale de loyauté à laquelle le salarié est
soumis pendant l’exécution de son contrat
de travail et qui lui interdit de se livrer
jusqu’à l’expiration de son contrat à une
activité concurrente, même en l’absence
de clause expresse.
La clause de non-concurrence ne se
présumant pas, elle doit nécessairement
être écrite pour être valable. Elle peut
directement être insérée dans le contrat
de travail initial ou tout avenant ultérieur
au contrat.
Quelle que soit, par ailleurs, la terminologie utilisée par l’employeur dans le
contrat de travail pour interdire au salarié
d’exercer une activité concurrente au terme
de leur relation contractuelle de travail, une
telle clause, même insérée dans une autre
clause composant des restrictions au terme
du contrat de travail (restrictive covenants),
telle que la clause de non-débauchage ou
de non-sollicitation, se reconnaît par son
objet et non à son appellation. La clause,
quel que soit son libellé, ne peut déroger
aux conditions cumulatives de validité.
La clause de non-concurrence est
régie par l’article L. 125-8 du Code du
travail qui stipule que « la clause de nonconcurrence inscrite dans un contrat de
travail est celle par laquelle le salarié s’interdit, pour le temps qui suit son départ de
l’entreprise, d’exercer des activités similaires
afin de ne pas porter atteinte aux intérêts
de l’ancien employeur en exploitant une
entreprise personnelle (...) ».
La clause de non-concurrence doit,
pour produire ses effets, satisfaire aux exigences de forme et de fond cumulatives
énumérées dans l’article précité. Ainsi :
la clause doit se rapporter à un secteur
professionnel déterminé et à des activités
similaires à celles de l’employeur ;
elle ne peut dépasser une période de
12 mois prenant cours à compter du jour
où la relation contractuelle de travail
entre l’employeur et le salarié prend
fin ;
elle est limitée au territoire luxembourgeois ;
elle ne trouve, par ailleurs, application
que si le salarié n’était pas mineur au
jour de la signature de la convention
prévoyant l’application de cette clause
et pour autant que le salaire annuel
brut versé au salarié est supérieur à un
montant déterminé par arrêté grandducal. Ce montant de référence est
actuellement fixé à 52.843,88 EUR (indice
775,17).
Si une clause de non-concurrence
ne respecte pas les conditions légales
précitées, elle n’est pas automatique-
La clause de non-concurrence ne se présumant pas, elle
doit nécessairement être écrite pour être valable. Elle peut
directement être insérée dans le contrat de travail initial
ou tout avenant ultérieur au contrat.
ment nulle. Les tribunaux saisis peuvent
en effet modifier et/ou limiter certaines
conditions de la clause pour qu’elle satisfasse pleinement aux exigences matérielles
et territoriales requises par l’article L.125-8
du Code du travail.
Enfin, il est important de noter que
le champ d’application de la clause de
non-concurrence est limité au seul cas
de figure où le salarié exerce une activité
concurrente à celle de l’ancien employeur,
à titre d’indépendant, et plus précisément
d’entrepreneur individuel (entreprise personnelle), ce qui en pratique s’avère de
plus en plus rare.
Il est clair que l’exercice d’une activité professionnelle dans le cadre d’une
entreprise personnelle ne concerne, dans
notre société actuelle, qu’un nombre limité de personnes et que l’application
des dispositions de l’article L. 125-8 du
Code du travail telle que rédigée à ce jour
peut paraître désuète, car inefficace ou
ne présentant tout le moins que très peu
d’intérêt pour les employeurs
Un revirement de jurisprudence
Concrètement, les dispositions actuelles
du Code du travail n’empêchent pas
un salarié de travailler au nom et pour
compte d’un concurrent de son ancien
employeur, dès lors qu’il est placé sous
un nouveau lien de subordination. Exercer
une activité concurrentielle à son ancien
employeur en qualité de salarié, fût-ce au
sein d’une société dont le salarié dispose
également d’un statut de dirigeant, ne
constitue pas une violation de la clause
de non- concurrence. Tel est aujourd’hui
le problème auquel se trouvent confrontés
de nombreux employeurs.
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66 janvier/février 2016
RESSOURCES HUMAINES ET
FORMATION PROFESSIONNELLE
... Suite de la page 66
Le champ d’application de la clause de non-concurrence
est limité au seul cas de figure où le salarié exerce une
activité concurrente à celle de l’ancien employeur, à
titre d’indépendant, et plus précisément d’entrepreneur
individuel (entreprise personnelle).
Face à cette inefficacité factuelle,
une pratique s’est peu à peu développée
à l’instar du modèle français, consistant
à élargir le champ d’application de la
clause de non-concurrence aux activités
salariées moyennant le versement d’une
contrepartie financière.
La Cour d’Appel a, dans un arrêt
largement commenté du 13 novembre
2014 (n° 39706 du rôle), opéré un revirement radical de jurisprudence et remis en
cause les règles tant concernant le champ
d’application matériel que le champ d’application territorial de l’article L.125-8 du
Code du travail jusqu’alors applicables.
Elle s’est ainsi prononcée sur la validité
d’une clause de non-concurrence renforcée dont le champ d’application matériel
était étendu à une activité salariée auprès
d’une société concurrente en contrepartie
d’une compensation financière, comme
suit : « Est abusive une clause qui impose
au salarié des obligations manifestement
excessives. En l’occurence, l’interdiction
imposée à B [au salarié] de ne pas travailler ou de ne pas présenter de demandes
d’emploi auprès d’entreprises concurrentes
n’a pas de caractère manifestement excessif dès lors qu’il a été permis à B [le
salarié] de travailler ou de présenter une
demande d’emploi auprès d’entreprises non
concurrentes, que l’interdicion était limitée
dans le temps et qu’elle comportait une
contrepartie financière ». La Cour d’appel
a cependant considéré la clause litigieuse
« comme excessive dans la mesure où son
champ d’application couvre un espace
géographique trop vaste, s’étendant à des
centaines de kilomètres des frontières du
Grand-Duché de Luxembourg. La sujétion manifestement excessive imposée à
B [au salarié] est à redresser en limitant
l’interdiction imposée à B [au salarié] au
Grand -Duché de Luxembourg et pour
ce qui est du territoire français à l’Alsace
et la Lorraine ».
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Bien que la Cour d’appel ait réduit
l’espace géographique visé dans la clause,
lequel s’étendait au-delà du territoire
national luxembourgeois à l’Alsace, la
Lorraine ainsi qu'aux départements du
Rhône-Alpes, de l’Île de France, de la
Haute et de la Basse-Normandie, elle a
bousculé la règle établie suivant laquelle
le champ d’application est limité au territoire national.
En conséquence, la Cour d’appel
reconnaît qu’une clause de non-concurrence renforcée est valable sous certaines
limites.
Trouver le bon équilibre
Il est manifeste, à la lecture de cet arrêt,
qu’il doit et qu’il devra toujours exister un
équilibre certain entre les intérêts légitimes
de l’entreprise, limités dans le temps et
dans l’espace, et le principe fondamental
de la liberté de travail conféré au salarié.
Si cet arrêt demeure encore une décision
jurisprudentielle isolée, il fait toutefois souffler un vent nouveau sur les possibilités
qui s’offrent aux employeurs soucieux de
préserver les intérêts légitimes de l’entreprise tout en développant une stratégie de
leurs ressources humaines orientée vers
l’attractivité, la rétention de nouveaux
collaborateurs et le développement de
la gestion des talents, d’étendre, sous certaines conditions, dans les conventions la
rédaction des clauses de non-concurrence
au-delà du strict libellé de l’article L.125-8
du Code du travail.
A l’heure où l’identification, le développement, la motivation des talents
constituent des préoccupations importantes des employeurs, ceux-ci doivent
en effet pouvoir s’armer et prévoir des
dispositions conventionnelles qui, à défaut
de retenir certains talents, éviteront que
ceux-ci ne leur créent, lorsqu’ils quittent
l’entreprise, une concurrence ardue auprès
d’un autre employeur. Il est clair qu’au
vu de l’importance du poste occupé par
certains salariés, leurs expertises, les informations confidentielles et stratégiques qui
leur sont confiées au cours de l’exécution
du contrat de travail, une clause de nonconcurrence bien rédigée prévoyant une
contrepartie financière appropriée (suivant
le principe de proportionnalité) peut être
un atout considérable.
Si la réforme de l’article L.125-8 du
Code du travail souhaitée par de nombreux professionnels du droit, depuis fort
longtemps déjà, ne semble toujours pas
d’actualité, et que le caractère obligatoire de la contrepartie financière dans
les clauses de non-concurrence tel qu’il
existe chez nos voisins français n’est pas
près de constituer une généralité, il n’en
demeure pas moins qu’en vertu du principe de liberté contractuelle et au regard
de l’arrêt de la Cour d’appel, un certain
nombre d’employeurs pourrait être incité
à développer, sous certaines conditions,
et pour certains postes de travail, cette
pratique déjà tolérée. 
Me Catherine Graff
Counsel
Bonn, Steichen & Partners