Comment construire un business model multiface
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Comment construire un business model multiface ? Septembre 2015 Proposition de communication pour la 6e Rencontre du Groupe de Recherche Thématique « Innovation » de l’AIMS Guy Parmentier Université Grenoble Alpes / CERAG - France [email protected] Romain Gandia INSIGNIS Business School / INSEEC Group – France [email protected] Mots-clefs : plateforme multiface, business model, design Ce travail de recherche a bénéficié d’un financement de l’Agence Nation de Recherche : ANR-13-SOIN-001 1 1. Introduction Dans les industries du numérique, les business models innovants des grandes entreprises du secteur s’appuient sur des plateformes multifaces. Ces plateformes tels ebay, google, Airbnb, blablacar mettent en relation, avec une plateforme technologique, des groupes de consommateurs complémentaires et dans lesquelles la présence d’un groupe augmente la valeur pour les autres groupes (Roson, 2005). Ces plateformes demandent de mettre en place de nouveaux business models spécifiques en termes de proposition de valeur (développement de propositions de valeur complémentaires), de création de valeur (mise en place d’effets de réseaux entre les faces) et de capture de la valeur (répartition de la facturation entre les faces). La mise en place d’un business model multiface c’est-à-dire la mise en place de dispositifs de création, de proposition et de capture de valeur (liés à un produit, un service ou une offre) à des groupes d’utilisateurs (qui peuvent être des consommateurs payants) complémentaires et interdépendantes via une plateforme spécifique sur un ou plusieurs marchés, n’est pas une opération aisée. La majorité de ces plateformes sont gérées par de grandes sociétés car le premier arrivé prend souvent la plus grande partie du marché (Eisenmann et al., 2006) et il faut dépasser des seuils critiques en termes de nombre d’utilisateurs sur les faces créatrices de valeur pour enclencher de fort rendement croissant d’adoption. Déployer une stratégie basée sur le développement d’une plateforme multiface et adopter un business model multiface est donc difficile pour une petite et moyenne entreprise déjà présente sur le marché. La littérature multiface a exploré les questions des configurations organisationnelles (Albuquerque et al., 2012 ; Bakos et al., 2008; Gawer et al., 2014 ; Hagiu, 2014 ), des modèles économique (Evans et al., 2007; Rochet et al., 2003 ; 2006 ) et du management stratégique (Eisenmann et al., 2006 ; Eisenmann et al., 2011; Hagiu, 2014 ) mais n’a pas traité le problème complexe de la conception d’un business model multiface à partir d’un business model monoface. Dans cet article, notre objectif est de définir les opérations qui permettent de concevoir un business model multiface à partir d’un business model monoface. Nous adressons les questions : qu’est qu’un business model multiface ? Quelles opérations de bases pour concevoir un business model multiface à partir d’un business model monoface ? Nous nous appuyons sur les littératures sur des plateformes et marchés multifaces, de management stratégique, et de marketing pour déduire théoriquement les opérations qui permettent de passer d’un business model monoface à un business model multiface et nous nous analysons deux études de cas, Nadeo et Ankama, pour étudier les séquences de changements et leurs conséquences. 2 2. Cadre théorique 2.1 Les plateformes multifaces : un concept qui fait le pont entre la littérature économique et d’ingénierie. Une plateforme multiface est à la fois une plateforme et les faces d’un marché ou plusieurs marchés. Le concept de plateforme a ainsi été développé dans la littérature à partir de deux perspectives : l’ingénierie et l’économie industrielle (Gawer et Cusumano, 2014). Une plateforme technologique est un système de composants et d’interfaces formant une structure commune partagée par une série de produits (Meyer et al., 1997 ; Robertson et al., 1998; Schilling, 2000 ). Dans ce type de plateforme, composants et sous systèmes sont fonctionnellement interdépendants (Gawer et al., 2007). L’architecture d’une plateforme technologique est modulaire parce qu’elle peut être divisée en sous-parties interconnectées (Simon, 1962 ; Simon, 1965). Cette modularité facilite l’innovation (Baldwin et al., 2000) et plus globalement permet de développer une réflexion stratégique afin d’optimiser la performance au niveau du produit (architecture produit), au niveau de l’organisation (processus), au niveau industriel (architecture de la chaine de valeur et du réseau de valeur), et au niveau du marché (personnalisation de l’offre de produits et services) (Fixson, 2005). Gawer et Cusumano ont identifié deux types de plateforme : les plateformes internes, spécifiques à une entreprise, et les plateformes d’industrie (Gawer et Cusumano, 2014). Les plateformes multifaces sont souvent des plateformes d’industries, elles proposent des produits, services et technologies sur lesquelles des innovateurs externes, regroupés dans un écosystème d’entreprises innovantes, peuvent développer leurs propres produits et services complémentaires. D’un point de vue stratégique, les plateformes multifaces facilitent donc l’innovation parce qu’elle propose un système modulaire de technologies et d’agents économiques en réseau, lequel permet de réaliser des économies d’envergure (Gawer, 2014). Dans une perspective économique, les marches bi-faces sont des marchés avec deux faces qui bénéficient d’effets de réseaux au sein d’une plateforme commune (Rochet et Tirole, 2003). Ce concept a été étendu aux plateformes bi-face (Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2006) et multiface (Boudreau et al., 2009; Evans, 2012 ; Hagiu, 2009a ). Une face est définie comme un groupe de consommateurs homogènes, sur un ou plusieurs marchés, avec des besoins, des comportements et une propension à payer similaires (Evans et Schmalensee, 2007; Roson, 2005 ). Dans les plateformes multifaces, la présence d’un groupe de consommateurs crée de la valeur pour les autres groupes. La particularité de l’approche multiface est que l’interconnexion entre les faces génèrent des effets de réseaux (Rochet et 3 Tirole, 2003). Il y a des effets de réseaux ou des externalités de réseaux quand la valeur d’un produit et service augmente (ou diminue) avec le nombre d’utilisateurs (Katz et al., 1992). Dans une plateforme multiface, la valeur d’un produit et service dépend d’effets de réseau directs sur une même face (la valeur d’un bien dépend du nombre d’utilisateurs) et d’effets de réseaux indirects ou effets de réseaux croisés (la valeur d’un bien dépend du nombre d’utilisateurs des autres faces et vice-versa) (Eisenmann et al., 2006). Dans une plateforme multiface, les effets directs de réseaux favorisent les économies d’échelles alors que les effets indirects permettent des économies d’envergure pour innover (Gawer, 2014). Par exemple, dans l’industrie informatique, plus il y a d’utilisateurs d’ordinateurs, plus les développeurs sont intéressés pour créer de nouveaux programmes. Les deux faces d’une plateforme sont interdépendantes et complémentaires, un grand nombre d’utilisateurs d’ordinateurs est essentiel pour que le développeur amortisse son investissement, et une offre conséquente de logiciels apporte de la valeur pour l’utilisateur. Les technologies numériques (infrastructure de communication, internet, logiciels…) grâce à leur accessibilité, à leur capacité de mise en réseau et au bas coût de duplication des contenus numérique, forment la base des plateformes multifaces numériques (Shuen, 2008). Sur internet, il est très courant de subventionner une face (par exemple les utilisateurs finaux) parce que leurs contributions dans un produit et service fournissent une valeur plus grande que la simple facturation de l’offre (Eisenmann et al., 2006). Par exemple, les utilisateurs peuvent dans un site internet de génération de contenu, structuré comme une plateforme multiface, créée de la valeur sous forme de nouveaux contenus et événements intéressant d’autres utilisateurs, favorisant ainsi de forts effets de réseaux croisés (Albuquerque et al., 2012). De cette littérature économique et d’ingénierie, une plateforme multiface est caractérisée par une plateforme technologique avec des effets de réseaux qui soutient une création, une proposition et une capture de la valeur qui peut être différente sur chaque face, et elle s’appuie sur un type particulier de business model que l’on propose d’appeler business model multiface. Dans cette perspective, nous pensons que le business model multiface organise les dispositifs de création, de proposition et capture de la valeur dans une offre à des catégories d’utilisateurs complémentaires et interdépendants via des effets de réseau avec une plateforme multiface sur (1) au sein d’un marché spécifique ou (2) entre plusieurs marchés. Dans la littérature économique, la majorité des études s’intéressent à la structure des prix c’est-à-dire la fixation du bon prix pour générer des effets de réseaux indirects (Armstrong, 2006 ; Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2009b; Parker et al., 2005 ; Rochet et Tirole, 4 2003 ; 2006 ). Ces travaux sont basés sur l’hypothèse implicite que la plateforme est un objet statique et exogène et le rôle actif des utilisateurs finaux et innovateurs n’est pas pris en compte dans les modèles (Gawer, 2014). Cependant d’autres études examinent les facteurs qui influencent le développement et l’évolution de ces plateformes : les défis stratégiques posés par les plateformes multifaces (Eisenmann et al., 2006 ; Eisenmann et al., 2011 ; Gawer et al., 2008 ; Gawer et Cusumano, 2014), les problématiques de conception (Bakos et Katsamakas, 2008; Eisenmann et al., 2009 ; Gawer, 2014 ; Gawer et Cusumano, 2014 ; Hagiu, 2009a ) et les capacités managériales et systèmes d’informations requises pout leurs développements (Holzmann et al., 2014 ; Tan et al., 2015). Finalement, la littérature sur les plateformes multifaces pose trois types de questions concernant leur développement et évolution : des questions de conception, de modèle économique et de stratégie (voir tableau 1). Tableau 1 : questions sur le développement et l’évolution des plateformes multifaces Architecture Compsotion des faces Ouverture Rôle du fournisseur de la plateforme Structure de prix Mode de facturation Network effects Conception Quel est le degré de modularité ? Quelles sont les fonctionnalités clefs qui attirent les utilisateurs et innovateurs ? Combien de faces mettre en place sur une plateforme ? Quels sont le type et les caractéristiques des agents des différentes faces ? Quels sont le type et le degré d’ouverture d’une face ? Qu’est-ce que le rôle du gestionnaire de la plateforme ? Quelles sont les capacités requises pour devenir gestionnaire de plateforme ? Quelles sont les règles de gouvernance d’une plateforme ? Modèle économique Quelle est la structure de prix optimal entre les faces ? Quel est le meilleur mode de facturation ? Quelles sont la nature et l’étendue des effets de réseaux ? 5 (Cusumano et al., 2002 ; Gawer et Cusumano, 2014 ; Hagiu, 2014) (Parker et Van Alstyne, 2005) (Albuquerque et al., 2012 ; Eisenmann et al., 2009 ; Gawer, 2014 ; Gawer et Cusumano, 2014; Holzmann et al., 2014 ) (Bakos et Katsamakas, 2008 ; Hagiu, 2014; Holzmann et al., 2014 ; Tan et al., 2015 ) (Armstrong, 2006 ; Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2009b ; Parker et Van Alstyne, 2005 ; Rochet et Tirole, 2003 ; 2006 ; Roson, 2005) (Rochet et al., 2004) (Bakos et Katsamakas, 2008) Leadership Taille critique Stratégie d’enveloppement Stratégie Comment créer une plateforme multiface ? Comment devenir le leader d’une industrie avec une plateforme multiface ? Comment dépasser la taille critique pour provoquer des effets de réseaux indirects ? (le problème de l’œuf et la poule). Comment attaquer un leader avec une stratégie d’enveloppement ? (Cusumano et Gawer, 2002; Eisenmann et al., 2006 ; Gawer et Cusumano, 2008 ; Hagiu, 2009a ; Na, 2012 ) (Hagiu, 2014 ; Parker et Van Alstyne, 2005 ; Rochet et Tirole, 2004) (Eisenmann et al., 2009) (Eisenmann et al., 2006; Eisenmann et al., 2011 ) Les questions les plus importantes pour développer une plateforme multifaces concernent la complémentarité entre les faces et la taille critique pour provoquer des effets de réseau indirects. Malgré les cas de succès spectaculaires de plateforme multifaces ces dix dernières années (ebay, Airbnb, iTunes…), les réussites sont plutôt l’exception que la norme, car il est difficile de résoudre ces questions cruciales. La littérature sur les plateformes multifaces apporte une réponse partielle. Un marché peut être divisé en faces complémentaires en fonction des attributs de la demande, des caractéristiques des produits, des compétences et de la disponibilité des utilisateurs (Parker et Van Alstyne, 2005). Les effets de réseau indirects peuvent être stimulés à travers une structure de prix appropriée (Rochet et Tirole, 2003). Pour dépasser ces problèmes, Hagui propose de partir d’un business model bien établi une face pour éviter le problème de la poule et de l’œuf inhérent au lancement d’une plateforme multiface (Hagiu, 2009a). Le point clé est d’identifier un nouveau groupe de consommateurs complémentaires sur ce côté bien établie en deux étapes : 1) l’identification de la fonction fondamentale qui crée de la valeur pour les consommateurs, et 2) l’identification d’un autre groupe de consommateurs en interaction fréquente avec le premier, et qui pourrait lui apporter une valeur supplémentaire. Toutefois, ces points de vue stratégiques et économiques ne couvrent pas toutes les questions sur la proposition, la création et la capture de la valeur, et il est nécessaire de comprendre comment passer d’un business model monoface à un business model multifaces, et pour rendre accessible ce type de business model aux petites et moyennes entreprises. La section suivante définit les opérations de bases pour reconfigurer un business model multiface à partir d’un business model monoface. 6 2.1 D’un business model monoface à un business model multiface. En dépit de multiples définitions, nous considérons à un niveau fondamental que le business model est un dispositif pour créer, proposer et capturer de la valeur, que les managers peuvent intégrer sous forme de schémas cognitifs pour penser leurs activités et prendre des décisions stratégiques et opérationnelles. Les opérations, qui permettent de concevoir un business model multiface, affectent ces 3 éléments de bases. Nous proposons deux opérations qui affectent l’ensemble des éléments d’un business model (la fondation de la plateforme et l’ouverture), trois opérations qui affectent la proposition de valeur (la reformulation de la proposition, la structuration et la mise en relation des groupes de consommateurs complémentaires, la multiplication des niches), et une opération qui affecte la capture de valeur (la structuration des prix). Mise en place d’une plateforme. Une plateforme multiface est une place fournissant des services le plus souvent basée sur une plateforme technologique. La plateforme permet de connecter et de regrouper des groupes d’utilisateurs complémentaires, utilisateurs et consommateurs finaux, et fournisseurs dans un même lieu. Développer une plateforme pour établir un business model multiface nécessite d’intégrer des capacités de systèmes d’informations spécifiques (Tan et al., 2015). Selon Hagel et Singer, il existe dans les entreprises trois types d’activité différentes avec des logiques économiques et organisationnelles propres : innovation produit, gestion de la relation client et gestion des infrastructures (Hagel Iii et al., 1999). Chaque type d’activité possédant sa propre chaîne de valeur, il est couteux pour une entreprise de bâtir des offres de produits et services en intégrant ces trois types d’activités. Pour optimiser les coûts, les entreprises peuvent se concentrer sur un seul principe de création de valeur : relation client, excellence du produit ou excellence opérationnelle (Treacy et al., 1993). Cependant, la plateforme multiface réunit ces trois types d’activités : la plateforme innove pour combler de nouveaux besoins ou des besoins non desservis, déploie de nouvelles relations avec les consommateurs afin de personnaliser des produits et services, et propose des composants technologiques dans un réseau de fournisseurs pour réaliser le service. Dans ce cas, les économies d’échelle et des économies d’envergure permettent d’optimiser les coûts et les revenus. La mise en place d’une plateforme pour développer un business model multiface nécessite donc d’orienter l’activité de l’entreprise vers ces trois types de création de valeur. En se basant un produit et service existant, la première opération est de créer une plateforme technologique pour transformer un modèle d’affaires monoface en multiface. La plateforme peut alors fournir 7 l’offre à plusieurs catégories d’utilisateurs en utilisant les mêmes composants modulaires. En outre, rassembler ces groupes en un seul endroit facilitera leur mise en relation pour développer les effets de réseau indirects. Reformulation de la proposition de valeur. Il s’agit de réviser la proposition de valeur afin qu’elle cible une nouvelle catégorie de client plus large. Cette opération se base sur la stratégie de « l’océan bleu » qui consiste à créer plus de valeurs pour les clients en renforçant ou en créant de nouvelles caractéristiques dans la proposition de valeur tout en éliminant d’autres pour réduire les coûts de production (Kim et al., 2004). Il s’agit de créer un nouvel espace stratégique moins concurrentiel (l’océan bleu en opposition à l’océan rouge) en basant l’offre sur de nouveaux facteurs clefs de succès afin de répondre à de nouvelles attentes ou des attentes non satisfaites. L’application des principes de l’océan bleu au business model en fait un outil intéressant pour réviser la proposition de valeur et explorer son impact sur les coûts et les clients (Osterwalder et al., 2010). La reformulation de la proposition de valeur permet ainsi d’intéresser de nouvelles catégories de clients pour créer des faces qui peuvent être complémentaires. Structuration et mise en relation de groupes de clients complémentaire. Dans une plateforme multiface, il s’agit d’établir des propositions de valeur complémentaires pour des groupes d’utilisateurs interdépendants du point de vue de la création de valeur. Les groupes interagissent via une plateforme avec une interface basée sur les technologies de l’information. Au sein des plateformes multifaces, la valeur d’un produit et service dépend des effets de réseau directs et des effets de réseau indirects ou croisés (Eisenmann et al., 2006). Le défi de cette opération est d’identifier la complémentarité entre des groupes de consommateurs sur des marchés similaires. C’est possible de faire en observant les interactions les plus fréquentes du cœur de cible au sein du business monoface avec d’autres groupes de consommateurs. Si ces interactions créent de la valeur pour les deux groupes de consommateurs, la plateforme, en réduisant les coûts de recherche et de mise en relation, peut capter plus facilement ce nouveau groupe et activer ainsi des effets de réseaux indirects. Un utilisateur et/ou consommateur peut créer de la valeur pour les autres avec leurs créations et leurs activités d’innovation (Albuquerque et al., 2012). Dans ce cas, les effets de réseaux indirects sont générés grâce à un fort engagement dans ces activités de création de valeur (Parmentier et al., 2013b). Par exemple, Wikipedia propose la plus grande encyclopédie du monde sur Internet grâce à la contribution des utilisateurs les plus impliqués dans la création de contenu (1% des utilisateurs). Pour identifier les groupes de clients complémentaires, le fournisseur de la plate- 8 forme doit aussi examiner les compétences et les motivations du groupe d’utilisateurs de base afin de comprendre leur potentiel de création de valeur pour les autres. Ouverture du business model. L’ouverture du business model consiste à ouvrir les processus de création et de capture de valeur à des acteurs externes. Chesbrough explique qu’un business model ouvert permet à une entreprise d’être plus efficace dans la création en accédant à une variété extérieure (idées nouvelles, opportunités de création, savoir-faire inimitable, etc.) et la capture de valeur en multipliant les sources de capture de la valeur (licences, spin-off avec des PI inutilisés) (Chesbrough et al., 2006). Le principe de l’ouverture consiste à examiner les éléments de la chaîne de création de valeurs et à déterminer ceux qui bénéficieraient le plus d’une collaboration externe : laboratoire de recherche privé ou public, partenariat technologique, appel à des experts, contributions des utilisateurs. L’ouverture est un moyen de surmonter le problème de l’œuf et la poule. Une plateforme multiface peut être ouverte du côté de la demande sur la face des utilisateurs, du côté de l’offre, ou du gcôté du estionnaire de la plateforme (Eisenmann et al., 2009). Par exemple, l’iphone qui est basé sur une plateforme technologique, est ouvert du côté de la demande, les utilisateurs ont la possibilité de configurer leur téléphone, d’ajouter ou de supprimer des applications, mais la plateforme est fermée du côté de l’offre et du gestionnaire, les logiciels sont seulement disponibles sur l’itunes store et seul Apple fabrique et distribue ce téléphone. Dans le cas de l’ouverture du côté de la demande, les utilisateurs ajoutent de la valeur en créant des contenus, des événements sociaux et des innovations (Parmentier et al., 2013a; Parmentier et Gandia, 2013b ). Ouvrir une face du côté de la demande permet d’attirer plus rapidement des utilisateurs et consommateurs parce qu’ils ont la possibilité d’adapter la plateforme à leurs besoins. Ouvrir une face du côté de l’offre permet d’attirer plus rapidement des innovateurs afin d’enrichir pour les utilisateurs finaux. Ces types d’ouvertures facilitent la montée en puissance de la plateforme pour atteindre le seuil critique à partir duquel une face crée de la valeur pour une autre face, générant ainsi des effets de réseaux indirects. Multiplication des cibles. Il s’agit d’établir des propositions de valeur qui ciblent un grand nombre de segments de marché qui ensemble sont rentables. Cette opération est basée sur le principe de la longue traîne : un grand nombre de produits de niche à petite diffusion génère plus de valeur qu’un petit nombre de produits vedette à large diffusion (Anderson, 2006). Du côté de l’offre c’est la centralisation des entrepôts des e-commercants qui permettent de baisser les coûts de stockage et de distribution, et du côté de la demande, ce sont les moteurs de recherche, les outils de recommandations et l’accès à des échantillons qui permettent de 9 limiter les coûts de recherche et faciliter la découverte d’une large offre (Brynjolfsson et al., 2006). En définitive, comme une plateforme multiface minimise les coûts de recherche et les coûts de transaction (Hagiu, 2014), il est ainsi possible d’étendre la portée des services pour satisfaire de multiples besoins en limitant les coûts de production. Par exemple, avec la plateforme iTunes d’Apple, l’iPhone cible un large panel de consommateurs ayant des besoins différents, de l’utilisateur de base au professionnel. Airbnb cible les professionnels, les consommateurs, les familles, les couples, pour un court séjour ou un long séjour, grâce à la vaste contribution côté offre des locataires. Le défi le plus difficile est d’identifier les activités qui ciblent les groupes de consommateurs possédant une large gamme de besoins dans un même domaine. Cette opération permet de multiplier les sources de valeur afin de plus facilement enclencher les effets de réseaux entre les faces et d’explorer le marché pour identifier des faces supplémentaires potentiels. La structuration des prix. Un nombre important d’utilisateurs non payant peut aussi devenir une source de valeur. Le principe est de fournir gratuitement une partie de la proposition de valeur pour attirer un grand nombre d’utilisateurs, qui par leur volume, constitue une valeur en soi. Il est cependant nécessaire d’établir une bonne structure des prix pour activer les effets de réseau indirects (Rochet et Tirole, 2003; 2004 ; 2006 ). La baisse des prix sur une face peut augmenter le nombre de consommateurs, et changer la courbe d’élasticité de la face complémentaire, de sorte que les consommateurs de cette face sont prêts à payer plus, les revenus supplémentaires sont ainsi supérieurs aux pertes de revenus dus à la baisse du prix (Parker et Van Alstyne, 2005). La compétitivité des prix sur un marché multiface dépend alors : de la concurrence entre les plateformes, de l’élasticité croisée entre les marchés (Parker et Van Alstyne, 2005), de la présence d’utilisateurs générant une valeur élevée pour les autres faces, du coût de changement sur une face (Rochet et Tirole, 2003) et de la demande des consommateurs pour la variété des produits (Hagiu, 2009b). Cette nouvelle valeur peut ensuite être monétisée en utilisant trois modalités : sur une même face avec l’attraction d’une partie de ces utilisateurs vers une offre payante (offres premium), avec la vente de services complémentaires ou de produits essentiels à une bonne expérience utilisateur (articles supplémentaires, comme dans les jeux, système d’appâts et d’hameçons) ; sur une face complémentaire, avec la vente de la présence ou d’informations générées par les utilisateurs (plates-formes de publicité, par exemple). Une bonne structure de prix permet également d’atteindre plus rapidement le seuil critique et d’éviter le problème de l’œuf et de la poule. 10 3. Méthodologie L’objectif de ce papier est de trouver les règles fondamentales qui permettent de reconfigurer un business model monoface en business model multiface. Nous avons proposé une nouvelle façon de définir le business model en prenant en compte les faces d’un ou plusieurs marchés. Nous avons ensuite déduit de la littérature de gestion stratégique et des plateformes et marchés multifaces les opérations qui permettent de concevoir un business model multiface. L’objectif est de fournir une "grammaire" pour écrire de nouveaux business models basés sur les versions de business models précédents et après d’observer l’application de ces opérations avec deux études de cas. Dans les jeux vidéo, des logiques multifaces sont très prononcées avec la dématérialisation des réseaux de distribution et le pouvoir des communautés de jeux en ligne. Sachant que le business model multiface peut concerner un ou plusieurs marchés, nous avons choisi deux entreprises innovantes : (1) Nadeo, qui a développé avec succès un business model multiface via une plateforme spécifique avec différents groupes d’utilisateurs sur le marché du jeu vidéo et (2) Ankama, qui a développé avec succès un business model multiface avec plusieurs groupes d’utilisateurs sur les marchés du jeu vidéo, de la télévision et de l’Internet. Ces deux études de cas ne sont pas homogènes. Le BM multiface de Nadeo est basé sur le développement d’une seule plateforme en ligne pour proposer un jeu de simualtion de course automobile. Le BM multiface de Ankama est basé sur le développement d’un univers héroïque fantaisie se déployant au travers plusieurs plateformes interconnectées sur plusieurs marchés. Pour étudier la stratégie et les business models de ces entreprises, nous avons déployé une approche qualitative et longitudinale durant une période de trois ans. L’étude de cas longitudinale nous permet de collecter des données de qualité en intégrant la dimension contextuelle et historique (Miles et al., 1994). Nous avons utilisé ce type de méthodologie pour examiner l’évolution de la structure des BMs au cours des années, y compris l’ajout de nouvelles faces au sein des plateformes. Nous avons choisi d’explorer la question en multipliant les sources de données : entretiens semi-directif, données internes (documentation du projet, rapports de la réunion, courriers, etc.) et des données externes (sites web, newsletter, etc.). Ensuite, les données ont été traitées par codage thématique en combinant les données de la littérature. Nous avons identifié deux grandes catégories de codes : (1) la structure du modèle d’affaires et l’évolution de la plateforme multiface. Nous avons ensuite appliqué notre grille d’analyse, les opérations de bases déduites de la littérature, pour caractériser les étapes la construction des BMs multifaces étudiés, et d’identifier comment une entreprise passe d’un monoface à un BM multiface. 11 3.1 Le business model multiface TrackMania de Nadeo Nadeo est un producteur de jeux vidéo sur PC et console qui développe et édite des jeux de simulation sportive. Son jeu phare, TrackMania, a été vendu à plus de 1 million d’exemplaires en quatre ans et rassemble plus de 12 millions de joueurs en 2012. Entre 2003 et 2013, le studio a développé 12 versions du jeu (trois gratuite), 9 versions PC et 3 versions consoles (Wii and DS). TrackMania propose une simulation de course automobile facile à pendre en main et basé sur le plaisir de la conduite. Le jeu se compose de circuits de petites voitures avec un mode joueur unique ou en ligne, et des outils pour créer des circuits, des voitures et des films. Le BM de TrackMania donne un rôle actif aux joueurs. Ils sont impliqués dans la création de valeur par l’enrichissement des activités de jeux et de contenu en utilisant des outils de création de circuits et d’organisation de courses. Chaque joueur peut mettre sa machine en mode serveur et organiser une course réunissant une dizaine de personnes. Ils participent également à la proposition de valeur à travers : (1) la distribution de leurs créations de contenu dans le jeu ou en partage sur des sites externes, (2) l’organisation de courses 24h/24h et (3) la participation massive dans les courses disponibles, rendant ainsi le jeu beaucoup plus intéressant pour l’ensemble des joueurs. Dans un tel BM, l’organisation avec des faces complémentaires permet de générer des effets de réseaux au sein du BM. TrackMania rassemble trois groupes d’utilisateurs (appartenant au même groupe client, les joueurs) sur une seule plateforme internet. Grâce à leur présence et leurs activités, ils se fournissent mutuellement de la valeur : les créateurs, les gestionnaires et les compétiteurs. Chaque catégorie de joueurs est une face parce que leurs caractéristiques et activités dans le jeu apportent de la valeur aux autres catégories de joueurs. Même si un joueur peut appartenir à plusieurs catégories, ces catégories de joueurs sont bien distinctes car Nadeo fournit des rôles et outils spécifiques à chacune de ces catégories de joueurs. Donc, la valeur créée est spécifique selon les catégories de joueurs, ce qui nous permet de distinguer trois faces dans le BM : Face 1 – les créateurs conçoivent de nouveaux contenus (circuits, voitures et vidéos) directement disponibles dans le jeu ou sur des sites externes. Face 2 – Les compétiteurs permettent de vivre des courses plus intenses. Ils remplissent les serveurs 24/24 et 7/7, contribuant ainsi à préserver quotidiennement l’intérêt du jeu. 12 Face 3 - Les gestionnaires mettent leur machine en mode serveur pour organiser des courses et assurent ainsi un flot permanent de courses disponibles. 3.2 Le business model multiface Wakfu de Ankama Créée en 2001, Ankama est à l’origine une agence web spécialisée dans le développement de sites internet. En 2002, l’entreprise se diversifie dans le jeu vidéo en ligne massivement multijoueurs avec la création du jeu en ligne Duel, puis développe ensuite le succès mondial Dofus. Le studio de jeu vidéo continue ensuite sa diversification et recrute de multiples ressources créatives pour exploiter ses propriétés intellectuelles dans d’autres médias : la BD de Manga et les séries d’animation TV. En 2007, Ankama décide de lancer un nouveau concept : Wakfu. Ankama souhaite alors créer un univers artistique dans lequel l’innovation se base sur la complémentarité et l’interconnexion entre plusieurs médias et marchés : le jeu vidéo, le cinéma d’animation et internet. L’objectif est de créer une expérience plus riche pour le consommateur en lui permettant de jouer et vivre cet univers avec plusieurs médias. Cette approche transmédia1 implique que l’entreprise développe un nouveau BM en rupture avec les approches traditionnelles dans le jeu vidéo. L’architecture de l’univers de Wakfu est basée sur trois médias interconnectés, diffusés sur des marchés spécifiques et représentant les quatre faces du BM : (1) un jeu vidéo massivement multijoueur, (2) une série d’animations TV, (3) une collection de mangas et (4) une plateforme web collaborative qui diffuse des contenus additionnels et permet aux utilisateurs de participer à l’amélioration de Wakfu via des forums. Chaque face a ses propres caractéristiques en termes de création, proposition et capture de la valeur. Chaque face enrichie les autres d’une manière complémentaire et cumulative. Finalement, des faces sont ouvertes aux contributions des utilisateurs, fournissant ainsi la possibilité d’interagir avec l’univers artistique pour l’améliorer. Nous détaillons ci-dessous les trois faces du BM multiface Wakfu : Face 1 – le jeu vidéo. Lancé à l’automne 2008 en bêta-test au niveau national, puis au niveau mondial en 2012, il compte aujourd’hui plus de 500 000 comptes clients payants et plusieurs millions de joueurs actifs. 1 Dans les industries culturelles, le transmédia peut être définie comme une façon de créer et de développer un univers artistique dont la narration est déployée sur plusieurs plateformes complémentaires et reliés les unes aux autres. Chaque média et est un point d’entrée dans l'univers et l'utilisation combinée de tous les médias offre une expérience globale de consommateur de l'univers. 13 Face 2 – la série d’animation TV. La série a été lancée simultanément avec le jeu vidéo car ces deux médias permettent aux consommateurs (téléspectateurs et joueurs) de s’immerger dans l’univers Wakfu. Face 3 – la collection de mangas. Ankama propose une série d’aventure sous forme de BD se situant dans le passé du jeu vidéo et permettant d’obtenir des informations utiles pour jouer. Face 4 – La plateforme web 2.0 de Wakfu. Avec cette plateforme, Ankama propose un espace de collaboration à la communauté d’utilisateurs (joueurs, spectateurs). 4. Résultats L’analyse des données recueillies pour les cas Ankama et Nadeo nous permet de présenter l’ordre chronologique dans lequel les opérations de reconfiguration du BM ont été mises en œuvre. Nous notons que le choix des opérations correspond à une logique précise, commun aux deux entreprises étudiées (mais dont des différences sont observées dans la mise en œuvre), qui se résume en trois phases principales : • (1) L’implémentation des technologies qui supportent le développement et la distribution du jeu vidéo (le moteur de jeu et la plateforme en ligne). L’objectif initial est de créer l’architecture technologique de la plateforme multiface, dans un état de développement semi-fini, afin de permettre son évolution en fonction de la réponse du marché. • (2) L’identification et l’engagement des différents groupes d’utilisateurs afin de promouvoir l’adoption de la plateforme. Dans cette phase, les entreprises agissent clairement en deux étapes. Tout d’abord, elles vont reformuler la proposition de valeur initiale et agrandir les segments de marché pour élargir les groupes d’utilisateurs qui pourraient être intéressés par le jeu. Puis, elles utiliseront un processus d’ouverture des contenus narratifs et graphiques pour construire l’engagement des différents groupes d’utilisateurs. L’objectif principal est de créer les bases d’une communauté d’utilisateurs. • (3) La mise en relation des groupes d’utilisateurs et la structuration du modèle de revenus. Dans cette dernière phase, les entreprises capitalisent sur les complémentarités entre les groupes d’utilisateurs (activités, rôles et responsabilités) ou les complémentarités entre les médias pour créer des connexions entre les faces du BM et pour générer des effets de réseau. L’objectif est de structurer des groupes d’utilisateurs interdépendants pour créer une dynamique d’échange qui va apporter de 14 la valeur ajoutée à chaque groupe, renforçant ainsi leur engagement. En outre, les entreprises adoptent une double gestion de la monétisation en proposant un modèle de revenus qui combine le gratuit et le payant. En capitalisant sur une partie gratuite du jeu, les entreprises continuent d’attirer de nouveaux utilisateurs susceptibles de se transformer en utilisateurs payants. L’objectif est de créer un cercle vertueux en soutenant la communauté d’utilisateurs pour assurer des retombées économiques durables. Le détail de l’implémentation des différentes opérations de reconfiguration est présenté cidessous pour chaque entreprise étudiée. Le BM TrackMania de Nadeo analysé avec la grille des opérations de reconfiguration nous permet de déduire trois phases dans la dynamique de construction du BM multiface (voir tableau 2) : • Phase 1 : l’entreprise a développé un nouveau jeu en reformulant la proposition de valeur. Elle ne produit pas un jeu pour les hard core gamers, mais pour tous les joueurs, et plus particulièrement pour les créateurs. Elle met en place une plateforme pour Trackmania (moteur de jeu, outils de création de contenus, outils d’organisation des courses en ligne) qui permet de personnaliser le jeu pour des multiples besoins. La nouvelle proposition de valeur attire de nouveaux types de joueurs et l’ouverture favorise l’émergence d’une large communauté de joueurs. • Phase 2 : l’entreprise ouvre une grande partie du jeu et élargit la proposition de valeur et les fonctionnalités de la plateforme pour attirer les compétiteurs et les gestionnaires de courses et compétitions. Cependant, ils ne sont pas en liens directs dans le jeu : les gestionnaires organisent les compétitions avec des outils externes et les créateurs partagent le circuit dans les sites Web externes. La plus grande ouverture du jeu permet de cibler de nouveaux groupes de joueurs et la nouvelle proposition de valeur et les nouvelles fonctionnalités favorisent la structuration de faces complémentaires (créateurs, gestionnaires et compétiteurs). • Phase 3 : l’entreprise relie sur la plateforme les faces avec de nouvelles fonctionnalités et développe un jeu gratuit afin d’augmenter massivement le nombre de joueurs et ainsi engager plus d’utilisateurs dans l’un des trois profils afin de développer le business model (avec la conversion d’une partie des utilisateurs gratuits en utilisateurs payants). Il améliore et simplifie la création pour cibler des créateurs inexpérimentés. 15 Tableau 2 : l’évolution de Trackmania and les opérations de reconfiguration Année version Évolution du produit et services Première version Outils pour créer des circuits Courses multijoueurs en ligne Trackmania Original Développement de sites web de joueurs dédiés à l’échange de circuits et de voitures. Lancement de première ligue de compétitions par les joueurs 2004 Nouveaux blocs de construction de circuits et nouvelles fonctionnalités de courses Outils de scénarisation de course Outils de personnalisation de voitures Outils de capture de vidéos de course Trackmania Possibilité d’importer des modèles de voitures Sunrise 3D Introduction d’une monnaie virtuelle : le cooper Développement des équipes et des gestionnaires dans la communauté de joueurs. Classement des Joueurs de tête par pays Trackmania Environnement dédié à la compétition Nations Manialink : téléchargement de circuits, voitures (gratuit) et mini-sites directement dans le jeu ManiaZone : Régionalisation des classements et Trackmania des nouvelles. United Nouvelles fonctionnalités pour le système de monnaie virtuelle 2005 2006 Opérations de reconfiguration et ses conséquences Développement de la plateforme de jeu (module de course et de création de contenus) Reformulation de la proposition de valeur comparativement au secteur du jeu vidéo (diminution du réalisme 3D et ajout de fonctionnalités pour les créateurs). Ouverture d’une partie du jeu (création de circuit) Développement de l’ouverture (extension des possibilités créatives avec l’utilisation de logiciels 3D externes). Multiplication des niches : casual gamers, compétiteurs, coureurs pour le fun, free rider, et vidéastes Finalisation de la structuration et la mise en relation de groupes d’utilisateurs complémentaires : créateurs, compétiteurs et gestionnaires Structuration des prix avec le lancement d’une version gratuite Trackmania Nouveaux blocs de construction de circuits Développement de l’ouverture et United Ajout d’outils de publication simplifiées simplification des activités de création Forever De nouvelles fonctionnalités de contrôle du son. 2008 L’analyse du BM Wakfu avec la grille des opérations de reconfiguration nous permet de déduire trois phases dans la dynamique de construction du BM multiface (voir tableau 3) : • Phase 1 : l’entreprise développe un modèle d’affaires monoface fondé sur un jeu de rôle massivement multijoueur en ligne (Dofus). Une plate-forme de jeu en ligne est développée avec deux accès : (1) un accès gratuit limité à un niveau de jeu (zone limitée) et qui restreint également les capacités du personnage et (2) un accès payant par abonnement (avec un prix moyen de 5 euros par mois) qui va s’enrichir avec un système d’achat de services (changement de personnage, création de guilde, relooking, etc.) et d’articles (armes, objets, etc.). L’objectif est de capitaliser sur le libre accès afin d’attirer un grand nombre de joueurs et de les encourager à s’engager dans les abonnements et les achats de services et d’articles supplémentaires. La 16 plateforme de jeu intègre également une dimension communautaire forte qui permet aux joueurs de participer à l’amélioration du jeu à travers des forums. Cette ouverture du contenu narratif couplé avec l’attractivité et le faible prix du jeu créent rapidement une grande communauté de joueurs. Après ce premier succès, la proposition de valeur est reformulée pour étendre le jeu aux mangas et magazines de presse mais dont les principaux clients restent les joueurs. • Phase 2 : compte tenu de la réussite économique de Dofus (30 millions de comptes créés avec 3,5 millions d’abonnés qui paient entre 4 et 5 euros par mois), la société a décidé de reformuler la proposition de valeur en étendant narrativement l’univers de Dofus avec la création d’une suite : Wakfu, qui exploite le même univers, mais 1000 ans après Dofus. La société étend le BM original en créant une autre plateforme de jeu en ligne sur le même modèle que Dofus (un MMORPG avec un accès gratuit et payant) parce que l’objectif est de promouvoir le transfert de joueurs de Dofus à Wakfu, notamment pour éviter la perte de joueurs âgés ou fatigué par Dofus. En outre, pour attirer d’autres groupes d’utilisateurs et développer la communauté Wakfu, le studio crée deux nouvelles faces dans le BM en étendant la proposition de valeur sur une série TV et la publication de mangas. Ces trois faces sont reliées narrativement et temporellement (le jeu vidéo explore le présent de l’histoire, la série TV explore l’avenir et le manga explore le passé) afin de créer un véritable univers transmédia qui encourage les utilisateurs à devenir joueurs, téléspectateurs, internautes et lecteurs. Avec ces connexions, l’entreprise crée des effets de réseaux positifs entre les faces : (1) le grand nombre de joueurs (rendue possible par la présence d’anciens joueurs de Dofus) assure une forte audience pour la série TV, ce qui permet à l’entreprise de négocier avec succès plusieurs accords national et international de distribution avec les diffuseurs reconnus, (2) le grand nombre de téléspectateurs (rendue possible par la large diffusion de la série TV) augmente le nombre de joueurs dans laquelle certains peuvent devenir abonnés et (3) le grand nombre de joueurs et de téléspectateurs augmenter les ventes de mangas. • Phase 3 : L’engagement massif de la communauté des utilisateurs dans l’amélioration de l’univers Wakfu avec l’ouverture des contenus, l’entreprise met en œuvre deux types d’ouvertures : (1) une ouverture des contenus narratifs avec des forums dans lesquels les différents groupes d’utilisateurs (joueurs, téléspectateurs et lecteurs) peuvent proposer des idées et des suggestions pour le développement futur de l’univers et (2) une ouverture des contenus graphiques dans le jeu en développant un 17 ensemble d’outils permettant aux joueurs de construire une partie du jeu (création de magasins, de villes et de systèmes politiques qui influent sur les autres joueurs). Par cette ouverture, l’entreprise veut ainsi attirer davantage d’utilisateurs (par la promotion de la dimension créative qui donne du pouvoir aux joueurs) et conserver les utilisateurs existants sur le long terme. L’objectif est d’assurer la stabilité des revenus par : (1) le renouvellement d’utilisateurs gratuits qui peuvent devenir des utilisateurs payants et (2) la fidélité des utilisateurs payants. Table 3 : évolution de Wakfu et opérations de reconfigurations Année version Évolution du produit et service 2004 Dofus MMORPG Lancement du jeu Dofus avec un système de souscription et des forums de communauté 2005 2007 2008 2011 2012 Développement d’un niveau gratuit Dofus manga et du jeu Dofus comics Développement des forums dans la communauté de joueurs Lacement des mangas et comics Développement d’un autre niveau Beta test Wakfu gratuit du jeu Dofus MMO Lancement de la version beta de Wakfu Wakfu TV séries Wakfu manga et comics Lancement de la série TV Wakfu en France avec plusieurs saisons à la suite. Lancement des mangas et comics Wakfu Wakfu Lancement mondial du jeu Wakfu transmédia Outils de construction de monde (diffusion Développement du BM Free-to-pay internationale) Opérations de reconfiguration et ses conséquences Développement de la plateforme de jeu en ligne Reformulation de la proposition de valeur afin d’attirer plus de joueurs. Développement de l’ouverture pour permettre aux joueurs d’améliorer le monde du jeu dans les forums Structuration du prix pour attirer plus de joueurs avec un accès gratuit. Reformulation de la proposition de valeur afin d’intéresser la communauté de Dofus à un nouveau jeu (et de prévenir la perte ou le désintérêt joueurs) Développement d’une autre plateforme de jeu Développement de l’ouverture dans Wakfu afin de permettre aux joueurs de renforcer la bêta-test. Reformulation de la proposition de valeur afin d’étendre Wakfu dans d’autres médias et d’attirer d’autres groupes d’utilisateurs. Structuration de groupes complémentaires de clients : les joueurs, les téléspectateurs, les lecteurs, et les chaînes de télévision reliant des groupes d’utilisateurs par l’interdépendance narrative des médias afin de générer des externalités positives Développement de l’ouverture dans Wakfu pour permettre aux groupes d’utilisateurs d’améliorer l’univers transmédia. Développement de l’ouverture dans le jeu Wakfu pour permettre aux joueurs de construire une dynamique sociale avec des magasins, des villes et des systèmes politiques Structuration du prix pour attirer plus de joueurs avec un niveau en accès libre. Finalement, Ankama n’a développé le BM multiface Wakfu qu’après avoir atteint une masse critique de joueurs sur Dofus. La structuration du prix, la reformulation de la proposition de 18 valeur et l’ouverture sont les éléments clés dans la réalisation de celle-ci. L’avantage réside dans le transfert des joueurs de Dofus à Wakfu, ce qui permet à l’entreprise d’utiliser la communauté comme une ressource stratégique dans le développement des trois autres faces (parce que le nombre élevé de joueurs favorise les négociations commerciales avec les chaînes de télévision). Ensuite, la société a attendu une autre augmentation des utilisateurs dans la communauté Wakfu avant de vraiment profiter de la connexion entre les faces parce que la génération d’effets de réseau positif nécessite un nombre critique d’utilisateurs sur chaque face. En se basant sur ces externalités, l’entreprise a renforcé l’ouverture afin d’augmenter l’engagement des utilisateurs sur le long terme et assurer la stabilité du BM, en particulier sur le modèle de revenus. 4. Discussion L’étude de l’évolution des BM Wakfu et Trackmania montrent que la transformation d’un BM monoface en BM multiface prend du temps et nécessite une série ordonnée d’opérations spécifiques. Ainsi, à partir de ces résultats nous allons discuter quatre points : (1) le développement d’une plateforme en mode bêta comme une technologie de transition vers un BM multiface, (2) le rôle clé du temps pour atteindre le seuil critique à partir duquel s’enclenchent les effets de réseaux, (3) le processus d’ouverture comme élément fondamental pour gérer l’engagement des utilisateurs sur le long terme et (4) le modèle économique dual gratuit/payant comme une clé pour attirer des nouveaux utilisateurs dans le BM multiface. Tout d’abord, nos résultats soulignent l’importance d’utiliser une stratégie de conception qui consiste à ne pas développer immédiatement toutes les fonctionnalités d’une plateforme. Cette étape semi-finie de la plateforme de jeu permet de choisir les futurs développements selon les réactions du marché. L’objectif est de ne pas verrouiller et finaliser la plateforme comme dans un modèle d’innovation traditionnel fermé (Chesbrough, 2003), mais plutôt de créer un support technologique inachevé, en version bêta dans le jargon du jeu vidéo, qui permettra de tester la plate-forme sur les comportements des utilisateurs. Ls joueurs les plus avancés utilisent des outils pour personnaliser le jeu selon leurs besoins (Parmentier et Gandia, 2013a; Prügl et al., 2006 ). La plate-forme étant constamment en développement, peut ainsi rapidement évoluer et s’adapter à ces utilisateurs. La plateforme devient ainsi un outil d’exploration de marché pour identifier les besoins latents (Prügl et Schreier, 2006) avec une logique de conception en double boucle avec un transfert de connaissances et une résolution de problèmes rapides (Thomas, 2003). 19 En second lieu, dans la deuxième étape de reconfiguration du BM, le temps est très important. Il faut du temps pour que la communauté d’utilisateurs atteigne une taille critique pour générer des effets de réseau positifs. Dans le cas Trackmania, cette taille critique est atteinte avec la sortie de Trackmania United et Trackmania Nations, trois ans après la sortie de TrackMania Original. Le grand nombre de joueurs par face favorise de forts effets de réseau indirects. Le lancement du jeu gratuit TrackMania Nations renforce ces effets en apportant un grand nombre de nouveaux joueurs (900 000 créations de nouveaux comptes dans quelques mois). Pour Ankama, le seuil critique est atteint en 2012, 4 ans après la première version de Wakfu. Le succès européen de ce jeu attire des diffuseurs du monde entier et permet à Ankama d’envisager un lancement à l’échelle mondiale. Dans les deux cas, nous constations qu’il y a une période d’incubation assez longue pour atteindre les seuils nécessaires au déclenchement des effets de réseau. Le nombre croissant d’utilisateurs est alors favorisé par les qualités intrinsèques du service et la partie gratuite de l’offre. L’ouverture d’une partie du jeu accélère également la montée en volume des joueurs. Pour Trackmania, l’ouverture attire les créateurs et les gestionnaires, fournissant ainsi une valeur ajoutée significative à d’autres joueurs avec la création de centaines de milliers de nouveaux circuits et l’animation en continu des centaines de courses de voitures et de dizaines de compétitions (Parmentier et Gandia, 2013a). Pour Wakfu, les suggestions de scénarios, la création de quêtes et de villes dynamisent le jeu et le rendent plus intéressant pour les joueurs, et donc favorisent l’adoption du jeu par de nouveaux joueurs. L’ouverture dans les deux cas est basée sur des boîtes à outils d’utilisateur pour l’innovation (Von Hippel, 2001 ; Von Hippel et al., 2002) et la mise en place de forums en ligne de discussion. Ces dispositifs techniques sont utilisés pour personnaliser l’offre et impliquer plus facilement les utilisateurs dans le processus d’innovation (Franke et al., 2008 ; Parmentier et Gandia, 2013a ; Parmentier et al., 2014; Prügl et Schreier, 2006 ). La modularité, la mise en place de normes communes et d’interfaces ouvertes sont les éléments d’ouverture du processus d’innovation d’une plateforme de l’industrie (Gawer et Cusumano, 2014). Les boîtes à outils d’utilisateur permettent sur la face des utilisateurs finaux d’ouvrir une plateforme pour les innovateurs. La création d’une face ouverte aux créations des utilisateurs les plus actifs et les plus avancés sur le marché avec des boîtes à outils pour l’innovation est un levier important pour basculer du BM monoface BM multiface. Dans nos deux cas, une partie de l’offre est gratuite et libre d’accès, sur toutes les faces ou à l’intérieur d’une même face. Dans Trackmania, toutes les catégories d’utilisateurs ont accès à 20 des versions gratuites du jeu. Dans Wakfu, les joueurs ont accès gratuitement à un niveau entier du jeu et les téléspectateurs ne paient pas pour regarder les séries d’animation. Les effets de réseau indirects dépendent d’une structure de prix adaptée à la propension à payer des utilisateurs et de leur contribution à la valeur du service pour les utilisateurs des autres faces ; une face peut être subventionnée pour attirer les utilisateurs sur une autre face (Evans et Schmalensee, 2007; Rochet et Tirole, 2003 ). Dans nos cas, la subvention d’une face a aussi favorisé les effets de réseau directs. Les effets de réseau directs facilitent alors l’augmentation du volume d’utilisateurs sur une face pour attirer les utilisateurs sur d’autres faces. Ainsi, la structure des prix doit être établie pour promouvoir à la fois les effets de réseaux directs et indirects. Dans Trackmania et Wakfu, les utilisateurs des offres gratuites contribuent également au jeu par leurs activités et leurs créations. Une fois engagés dans le jeu, ils peuvent plus facilement passer à une offre payante. 5. Conclusion Notre recherche fournit une première réponse à la fois théorique et empirique sur les opérations qui permettent de basculer d’un business model nonface à un business model multiface. À partir d’un BM monoface qui fonctionne bien, et avec une plateforme technologique de service, ajouter progressivement de faces dans le business model est une stratégie qui semble bien fonctionner dans le jeu vidéo. Les six opérations de reconfiguration devraient également êtres testées avec dans d’autres secteurs pour améliorer la généralisation de ces résultats. Ces opérations peuvent cependant être déjà une source de réflexion et d’action pour les gestionnaires qui veulent étendre et consolider leur entreprise en activant des effets de réseau directs et indirects avec sein d’une plateforme multiface. Le développement du modèle d’affaires multiface est plutôt le privilège de riche start-up ou de grandes entreprises. Cette stratégie semble aussi possible avec la mise en place d’une plateforme technologique de produit et de service pour une petite ou moyenne entreprise, qui a déjà construit un BM monoface solide. 21 Références Albuquerque, P., Pavlidis, P., Chatow, U., Chen, K.-Y., and Jamal, Z. (2012). « Evaluating Promotional Activities in an Online Two-Sided Market of User-Generated Content », Marketing Science, vol. 31, n° 3, 406-32. Anderson, C. (2006). The Long Tail: Why the Future of Business Is Selling Less of More. Hyperion, Place. Armstrong, M. 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