Comment construire un business model multiface
Transcription
Comment construire un business model multiface
Comment construire un business model multiface ? Septembre 2015 Proposition de communication pour la 6e Rencontre du Groupe de Recherche Thématique « Innovation » de l’AIMS Guy Parmentier Université Grenoble Alpes / CERAG - France [email protected] Romain Gandia INSEEC Business School / Groupe INSEEC – France [email protected] Mots-clefs : plateforme multiface, business model, conception, industrie du jeu vidéo Ce travail de recherche a bénéficié d’un financement de l’Agence Nation de Recherche : ANR-13-SOIN-001 1 1. Introduction Dans les industries du numérique, les business models (BM) innovants des grandes entreprises du secteur s’appuient sur des plateformes multiface. Les plateformes numériques comme Ebay, Google, Airbnb, Blablacar mettent en relation des groupes de consommateurs complémentaires dans lesquelles la présence d’un groupe augmente la valeur pour les autres groupes (Roson, 2005). Ces plateformes exigent bien souvent la mise en place de nouveaux BMs, eux-mêmes multiface, qui induisent des spécifiques en termes de proposition de valeur (développement de propositions de valeur complémentaires), de création de valeur (mise en place d’effets de réseaux entre les faces) et de capture de valeur (répartition de la facturation entre les faces). L’objectif est de délivrer plusieurs valeurs (de type produit, service, autre) à différents groupes d’utilisateurs complémentaires et interdépendants sur un ou plusieurs marchés, par l’intermédiaire d’une plateforme numérique. De ce fait, la mise en place d’un BM multiface n’est pas une opération aisée. La majorité des plateformes multiface sont gérées par de grandes sociétés qui possèdent les ressources nécessaires pour les développer et les maintenir, ce qui n’est pas forcément le cas des petites et moyennes entreprise (PME). De plus, il est nécessaire d’être rapide car la première entreprise à développer sa plateforme multiface s’accapare souvent la plus grande part de marché (Eisenmann et al., 2006). En outre, il faut être capable de dépasser un nombre critique d’utilisateurs afin de bénéficer d’effets de réseaux positifs, notamment les rendements croissants d’adoption. Pour ces raisons, le dépoiement d’une stratégie basée sur le multiface reste complexe, notamment pour les PMEs que nous étudions ici. Le défi consiste alors à faire évoluer un BM existant (souvent monoface) vers le multiface. La littérature sur le multiface a exploré les questions des configurations organisationnelles (Albuquerque et al., 2012 ; Bakos et al., 2008; Gawer et al., 2014 ; Hagiu, 2014 ), des modèles économiques (Evans et al., 2007; Rochet et al., 2003 ; 2006 ) et du management stratégique (Eisenmann et al., 2006 ; Eisenmann et al., 2011; Hagiu, 2014 ) mais n’a pas traité le problème complexe de la conception d’un BM multiface à partir d’un BM monoface. L’objectif de cet article est de combler cette limite en définissant les opérations de conception permettant ce type d’évolution. Notre question de recherche est à la suivante : quelles sont les opérations de bases pour concevoir un BM multiface à partir d’un BM monoface ? Pour traiter cette question, nous procédons en deux temps. Premièrement, nous nous appuyons sur les approches stratégiques et marketing des plateformes et marchés multiface pour déduire théoriquement les opérations qui permettent de passer d’une architecture monoface à une architecture multiface. Deuxièmement, nous analysons le cas de deux PME dans l’industrie du jeu vidéo, Nadeo et Ankama, pour étudier les séquences de changements et leurs conséquences. 2 2. Cadre théorique 2.1 Les plateformes multiface : entre économie et ingénierie Une plateforme multiface est à la fois une plateforme technologique et un environnement économique composé de faces, sur un ou plusieurs marchés. Le concept de plateforme a donc été développé dans la littérature à partir de deux perspectives : l’ingénierie et l’économie industrielle (Gawer et Cusumano, 2014). Une plateforme technologique est un système de composants et d’interfaces formant une structure commune partagée par une série de produits (Meyer et al., 1997 ; Robertson et al., 1998; Schilling, 2000 ). Dans ce type de plateforme, les composants et sous-systèmes sont fonctionnellement interdépendants (Gawer et al., 2007). L’architecture d’une plateforme technologique est modulaire car elle peut être divisée en sousparties interconnectées (Simon, 1962 ; Simon, 1965). Cette modularité facilite l’innovation (Baldwin et al., 2000) et permet de développer une réflexion stratégique afin d’optimiser la prise de décision à différents niveaux (Fixson, 2005) : le produit (l’architecture produit), l’organisation (les processus), l’industrie (l’architecture de la chaine de valeur et du réseau de valeur) et le marché (personnalisation de l’offre de produits/services). Gawer et Cusumano (2014) ont identifié deux types de plateforme : les plateformes internes (spécifiques à une entreprise) et les plateformes industrielles. Les plateformes multiface sont souvent des plateformes industrielles car elles proposent des produits, services et technologies à partir desquels des innovateurs externes peuvent développer leurs propres produits et services complémentaires. D’un point de vue stratégique, les plateformes multiface facilitent donc l’innovation parce qu’elles proposent un système modulaire de technologies et d’agents économiques en réseau, lequel permet de réaliser des économies d’envergure (Gawer, 2014). Dans une perspective économique, les marchés bifaces sont des marchés avec deux faces qui produisent des effets de réseaux au sein d’une plateforme commune (Rochet et Tirole, 2003). Ce concept a été étendu aux plateformes biface (Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2006) et multiface (Boudreau et al., 2009; Evans, 2012 ; Hagiu, 2009a ). Une face est définie comme un groupe de consommateurs homogènes, sur un ou plusieurs marchés, avec des besoins, des comportements et une propension à payer similaires (Evans et Schmalensee, 2007; Roson, 2005 ). Dans les plateformes multiface, la présence d’un groupe de consommateurs crée de la valeur pour les autres groupes. La particularité de l’approche multiface réside dans l’interconnexion des faces qui génèrent des effets de réseaux (Rochet et Tirole, 2003). Il y a des effets de réseaux ou des externalités de réseaux lorsque la valeur d’un produit et service augmente (ou diminue) avec le nombre d’utilisateurs (Katz et al., 1992). Dans une plateforme 3 multiface, la valeur d’un produit et service dépend des effets de réseau directs sur une même face (la valeur du bien dépend du nombre d’utilisateurs) et des effets de réseaux indirects ou effets de réseaux croisés entre les faces (la valeur du bien dépend du nombre d’utilisateurs sur les autres faces et vice-versa) (Eisenmann et al., 2006). Dans une plateforme multiface, les effets de réseaux directs favorisent les économies d’échelles alors que les effets de réseaux indirects favorisent les économies d’envergure (Gawer, 2014). Par exemple, dans l’industrie informatique, plus le nombre d’utilisateurs d’ordinateurs est élevé, plus les développeurs sont motivés à créer de nouveaux programmes. Ces deux faces sont interdépendantes et complémentaires car un grand nombre d’utilisateurs d’ordinateurs est essentiel pour que les développeurs amortissent leurs investissements, et une offre conséquente de logiciels apporte de la valeur pour l’utilisateur. Les technologies numériques (protocoles et réseaux de communication, Internet, logiciels…), grâce à leur accessibilité, leur capacité de mise en réseau et leur faible coût de duplication, forment la base des plateformes multiface numériques (Shuen, 2008). On note que le prix a également une influence sur la production des effets de réseaux. Sur internet, il est fréquent de subventionner une face (exemple : les utilisateurs finaux) car la contribution des utilisateurs à la conception, le test ou la promotion d’un produit ou service fournit généralement une valeur plus grande que la simple facturation de ce même produit ou service (Eisenmann et al., 2006). Par exemple, sur un site Internet de génération de contenu, les utilisateurs peuvent créer de nouveaux contenus et événements qui apporteront de la valeur aux utilisateurs, favorisant ainsi les effets de réseaux croisés (Albuquerque et al., 2012). Ainsi, une plateforme multiface peut se définir comme une plateforme technologique dans laquelle chaque face peut se caractériser par un dispositif de création, proposition et capture de valeur spécifique – et qui s’appuie sur une architecture particulière de BM que nous proposons d’appeler BM multiface. Un BM multiface se définit alors comme un modèle de conception stratégique dans lequel : (1) la proposition de valeur est délivrée à des groupes d’utilisateurs complémentaires et interdépendants sur un ou plusieurs segments de marché (qui représente les faces du modèle) et (2) la création et capture de valeur sont organisées à l’aide d’une plateforme technologique qui relie les faces et produit des effets de réseaux directs et indirects. Dans la littérature économique, la majorité des études s’intéressent à la structuration du prix, ou la manière de fixer correctement le juste prix pour produire des effets de réseaux indirects (Armstrong, 2006 ; Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2009b; Parker et al., 2005 ; Rochet et Tirole, 2003 ; 2006 ). Ces travaux sont basés sur l’hypothèse implicite que la plateforme est un objet statique et exogène. De ce fait, le rôle actif des utilisateurs finaux et des innovateurs n’est 4 pas pris en compte (Gawer, 2014). D’autres études examinent pourtant le rôle de certains facteurs endogènes qui influencent le développement et l’évolution de ces plateformes. On note les défis stratégiques posés par les plateformes multiface (Eisenmann et al., 2006 ; Eisenmann et al., 2011 ; Gawer et al., 2008 ; Gawer et Cusumano, 2014), les problématiques de conception (Bakos et Katsamakas, 2008; Eisenmann et al., 2009 ; Gawer, 2014 ; Gawer et Cusumano, 2014 ; Hagiu, 2009a ) et les capacités managériales et systèmes d’informations requis pour leur développement (Holzmann et al., 2014 ; Tan et al., 2015). Finalement, les questions sur le développement et l’évolution des plateformes multiface peuvent se regrouper en trois thématiques : (1) les questions de conception, (2) les questions sur le modèle économique et (3) les questions sur les objectifs stratégiques (voir tableau 1). Tableau 1 : questions sur le développement et l’évolution des plateformes multiface Conception Architecture Quel est le degré de modularité ? Quelles sont les fonctionnalités clés qui attirent les utilisateurs et innovateurs ? Combien de faces mettre en place sur une plateforme ? (Cusumano et al., 2002 ; Gawer et Cusumano, 2014 ; Hagiu, 2014) Composition des faces Quels sont le type et les caractéristiques des agents des différentes faces ? (Parker et Van Alstyne, 2005) Ouverture Quels sont le type et le degré d’ouverture d’une face ? (Albuquerque et al., 2012 ; Eisenmann et al., 2009 ; Gawer, 2014 ; Gawer et Cusumano, 2014; Holzmann et al., 2014 ) Rôle du fournisseur de la plateforme Qu’est-ce que le rôle du gestionnaire de la plateforme ? Quelles sont les capacités requises pour devenir gestionnaire de plateforme ? Quelles sont les règles de gouvernance d’une plateforme ? (Bakos et Katsamakas, 2008 ; Hagiu, 2014; Holzmann et al., 2014 ; Tan et al., 2015 ) Modèle économique Structuration des prix Quelle est la structure de prix optimale entre les faces ? (Armstrong, 2006 ; Evans et Schmalensee, 2007 ; Hagiu, 2009b ; Parker et Van Alstyne, 2005 ; Rochet et Tirole, 2003 ; 2006 ; Roson, 2005) Mode de facturation Quel est le meilleur mode de facturation ? (Rochet et al., 2004) Effets de réseaux Quelles sont la nature et l’étendue des effets de réseaux ? (Bakos et Katsamakas, 2008) 5 Stratégie Leadership Comment créer une plateforme multiface ? Comment devenir le leader d’une industrie avec une plateforme multiface ? (Cusumano et Gawer, 2002; Eisenmann et al., 2006 ; Gawer et Cusumano, 2008 ; Hagiu, 2009a ; Na, 2012 ) Seuil critique Comment dépasser le seuil critique pour provoquer des effets de réseaux indirects ? (le problème de l’œuf et de la poule). (Hagiu, 2014 ; Parker et Van Alstyne, 2005 ; Rochet et Tirole, 2004) (Eisenmann et al., 2009) Stratégie d’enveloppement de marché Comment attaquer un leader avec une stratégie d’enveloppement ? (Eisenmann et al., 2006; Eisenmann et al., 2011 ) Les questions les plus importantes pour développer une plateforme multiface concernent la complémentarité entre les faces et l’atteinte d’un seuil critique d’utilisateurs pour provoquer des effets de réseau indirects. Malgré les cas de succès spectaculaires de plateforme multiface ces dix dernières années (ebay, Airbnb, iTunes…), les réussites restent plutôt exceptionnelles, car il est difficile de résoudre les questions évoquées précédemment, notamment pour les PME. La littérature sur les plateformes multiface apporte donc une réponse partielle. Un marché peut être divisé en faces complémentaires en fonction des attributs de la demande, des caractéristiques des produits, des compétences et de la disponibilité des utilisateurs (Parker et Van Alstyne, 2005). Les effets de réseaux indirects peuvent être stimulés à travers une structure de prix appropriée (Rochet et Tirole, 2003). Pour dépasser ces problèmes, Hagui propose de partir d’un BM monoface bien établi pour éviter le problème de l’œuf et de la poule, inhérent au lancement d’une plateforme multiface (Hagiu, 2009a). Le point clé est d’identifier un nouveau groupe de consommateurs complémentaires au premier, ceci en deux étapes : 1) l’identification de la fonction fondamentale qui crée de la valeur pour les consommateurs, et 2) l’identification d’un autre groupe de consommateurs en interaction fréquente avec le premier, et qui pourrait lui apporter une valeur supplémentaire. Toutefois, ces points de vue stratégiques et économiques ne couvrent pas toutes les questions sur la proposition, la création et la capture de la valeur - et il est nécessaire de comprendre plus précisément comment passer d’un BM monoface à un BM multiface. Cette compréhension s’avère d’autant plus crucial pour les PME. La section suivante définit les opérations de bases pour concevoir un BM multiface à partir d’un BM monoface. 6 2.1 La conception d’un BM multiface à partir d’un BM monoface En dépit de multiple définitions, nous considérons à un niveau fondamental que le BM est un modèle de conception stratégique pour créer, proposer et capturer de la valeur - que les managers peuvent intégrer sous forme de schémas cognitifs pour penser leurs activités et prendre des décisions stratégiques et opérationnelles. Les opérations, qui permettent de concevoir un BM multiface, affectent ces 3 éléments de bases (création de valeur, proposition de valeur et capture de valeur). Nous proposons ici deux opérations qui affectent l’ensemble des éléments d’un BM (la mise en place d’une plateforme et l’ouverture), trois opérations qui affectent la proposition de valeur (la reformulation de la proposition de valeur, la structuration et la mise en relation des groupes de consommateurs complémentaires, la multiplication des niches), et une opération qui affecte la capture de valeur (la structuration des prix). Mise en place d’une plateforme. Une plateforme multiface est une place de marché fournissant des produits et services. La plateforme permet de connecter et de regrouper des groupes d’utilisateurs complémentaires (utilisateurs, consommateurs finaux, annonceurs, fournisseurs, etc.) dans un même lieu. Développer une plateforme pour établir un BM multiface nécessite d’intégrer des capacités spécifiques en matière de systèmes d’informations (Tan et al., 2015). Selon Hagel et Singer (1999), il existe dans les entreprises trois types d’activité avec des logiques économiques et organisationnelles propres : l’innovation produit, la gestion de la relation client et la gestion des infrastructures. Chaque type d’activité possédant sa propre chaîne de valeur, il est couteux pour une entreprise de bâtir des offres de produits et services en intégrant ces trois types d’activités. Pour optimiser les coûts, les entreprises peuvent se concentrer sur un seul type de création de valeur : la relation client, l’excellence du produit ou l’excellence opérationnelle (Treacy et al., 1993). La plateforme multiface réunit pourtant ces trois types d’activités : la plateforme innove pour combler de nouveaux besoins ou des besoins non desservis, déploie de nouvelles relations avec les consommateurs afin de personnaliser des produits et services, et propose des composants technologiques dans un réseau de fournisseurs pour réaliser le service. Dans ce cas, les économies d’échelle et les économies d’envergure permettent d’optimiser les coûts et les revenus. Ainsi, la mise en place d’une plateforme pour développer un BM multiface nécessite d’orienter l’activité de l’entreprise vers ces trois types de création de valeur. En se basant sur un produit et/ou service existant, la première opération est de créer une plateforme technologique pour transformer un modèle d’affaires monoface en multiface. La plateforme peut alors délivrer une offre de produits/services à plusieurs catégories 7 d’utilisateurs. En outre, rassembler ces groupes en un seul endroit facilitera leur mise en relation et permettra de développer les effets de réseau indirects. Reformulation de la proposition de valeur. Il s’agit de réviser la proposition de valeur afin qu’elle cible une nouvelle catégorie de client plus large. Cette opération se base sur la stratégie de « l’océan bleu » qui consiste à créer plus de valeur pour les clients en renforçant ou en créant de nouvelles caractéristiques dans la proposition de valeur tout en éliminant d’autres caractéristiques pour réduire les coûts de production (Kim et al., 2004). Il s’agit de créer un nouvel espace stratégique moins concurrentiel (l’océan bleu en opposition à l’océan rouge) en basant l’offre sur de nouveaux facteurs clés de succès afin de répondre à de nouvelles attentes ou des attentes non satisfaites. L’application des principes de l’océan bleu au BM s’avère intéressant pour réviser la proposition de valeur et explorer son impact sur les coûts et les clients (Osterwalder et al., 2010). L’opération de reformulation permet ainsi de cibler de nouvelles catégories de clients, utiles pour créer de nouvelles faces complémentaires au sein du BM. Structuration et mise en relation de groupes de clients complémentaires. Dans une plateforme multiface, l’objectif est de concevoir des propositions de valeur complémentaires afin de rendre interdépendants les différents groupes d’utilisateurs. Les groupes interagissent alors via la plateforme au moyen d’une interface technologique. Au sein des plateformes multiface, la valeur d’un produit et service dépend des effets de réseau directs sur la même face et des effets de réseau indirects ou croisés entre les faces (Eisenmann et al., 2006). Le défi de cette opération est d’identifier la complémentarité entre des groupes de consommateurs sur des marchés similaires. Ceci est possible en observant les interactions les plus fréquentes entre la cible principale (le groupe de consommateur initial au sein du business monoface) et un autre groupe de consommateurs. Si ces interactions créent de la valeur pour les deux groupes, la plateforme, en réduisant les coûts de recherche et de mise en relation, peut capter plus facilement ce nouveau groupe et activer ainsi des effets de réseaux indirects. Un utilisateur et/ou consommateur peut alors créer de la valeur pour les autres au moyen d’une activité de création et d’innovation (Albuquerque et al., 2012). Dans ce cas, les effets de réseaux indirects sont produits grâce à un fort engagement des utilisateurs dans ces activités de création de valeur (Parmentier et al., 2013b). Par exemple, Wikipedia propose la plus grande encyclopédie du monde sur Internet grâce à la contribution des utilisateurs les plus impliqués dans la création de contenu (1% des utilisateurs). Pour identifier les groupes de clients complémentaires, le fournisseur de la plateforme doit aussi examiner les compétences et les motivations du groupe d’utilisateurs de base afin de comprendre leur potentiel de création de valeur pour les autres. 8 Ouverture du BM. L’ouverture du BM consiste à ouvrir les processus de création et capture de valeur à des acteurs externes. Chesbrough explique qu’un BM ouvert permet à une entreprise d’être plus efficace dans : (1) la création de valeur, en accédant à une variété extérieure (idées nouvelles, opportunités de création, savoir-faire inimitable, etc.) et (2) la capture de valeur, en multipliant les sources revenus (licences, spin-off, avec les PI inutilisés) (Chesbrough et al., 2006). Le principe de l’ouverture consiste à examiner les activités du processus de création de valeur (au sein de la chaîne et du réseau de valeur) et déterminer celles qui bénéficieraient le plus d’une collaboration externe : laboratoire de recherche privé ou public, partenariat technologique, appel à des experts, contributions des utilisateurs. L’ouverture est un moyen de surmonter le problème de l’œuf et de la poule. Une plateforme multiface peut être ouverte, à la fois du côté de l’offre mais aussi de la demande, y compris concernant la gouvernance de la plateforme (Eisenmann et al., 2009). Par exemple, l’iPhone est ouvert du côté de la demande car les utilisateurs ont la possibilité de configurer leur téléphone, d’ajouter ou de supprimer des applications, mais la plateforme reste fermée du côté de l’offre et de la gouvernance car les logiciels sont seulement disponibles sur l’iTunes Store et seul Apple fabrique et distribue l’iPhone. En cas d’ouverture du côté de la demande, les utilisateurs ajoutent de la valeur en créant des contenus, des événements sociaux et des innovations (Parmentier et al., 2013a; Parmentier et Gandia, 2013b ). Ouvrir une face du côté de la demande permet d’attirer plus rapidement des utilisateurs et consommateurs parce qu’ils ont la possibilité d’adapter la plateforme à leurs besoins. Ouvrir une face du côté de l’offre permet d’attirer plus rapidement des innovateurs afin d’enrichir les utilisateurs finaux. Ces types d’ouvertures facilitent la montée en puissance de la plateforme pour atteindre le seuil critique à partir duquel une face crée de la valeur pour une autre face, générant ainsi des effets de réseaux indirects. Multiplication des cibles. Il s’agit d’établir des propositions de valeur qui ciblent un grand nombre de segments de marché qui, ensemble, sont rentables. Cette opération est basée sur le principe de la longue traîne : un grand nombre de produits de niche diffusés à petite échelle génère plus de valeur qu’un petit nombre de produits vedettes bénéficiant d’une diffusion large (Anderson, 2006). Du côté de l’offre c’est la centralisation des entrepôts des e-commerçants qui permet de baisser les coûts de stockage et de distribution. Du côté de la demande, ce sont les moteurs de recherche, les outils de recommandations et l’accès à des échantillons qui permettent de limiter les coûts de recherche et faciliter la découverte d’une offre large (Brynjolfsson et al., 2006). En définitive, comme une plateforme multiface minimise les coûts de recherche et les coûts de transaction (Hagiu, 2014), il est possible d’étendre la portée des 9 services pour satisfaire de multiples besoins en limitant les coûts de production. Par exemple, avec la plateforme iTunes d’Apple, l’iPhone cible un large panel de consommateurs ayant des besoins différents, de l’utilisateur de base au professionnel. Airbnb cible les professionnels, les consommateurs, les familles, les couples, pour un court ou long séjour, grâce à l’offre conséquente créée par les locataires. Le défi le plus difficile reste d’identifier les activités qui touchent les groupes de consommateurs possédant une large gamme de besoins dans un même domaine. Cette opération permet de multiplier les sources de valeur afin d’enclencher plus facilement les effets de réseaux entre les faces et d’explorer le marché pour identifier des faces supplémentaires potentielles. La structuration des prix. Un nombre important d’utilisateurs non payants peut aussi devenir une source de valeur. Le principe est de fournir gratuitement une partie de la proposition de valeur pour attirer un grand nombre d’utilisateurs qui, par leur volume, constitue une valeur en soi. Il est cependant nécessaire d’établir une bonne structuration des prix pour activer les effets de réseau indirects (Rochet et Tirole, 2003; 2004 ; 2006 ). La baisse des prix sur une face peut augmenter le nombre de consommateurs et changer la courbe d’élasticité de la face complémentaire, de sorte que les consommateurs de cette face sont prêts à payer plus. Les revenus supplémentaires sont ainsi supérieurs aux pertes de revenus liées à la baisse du prix (Parker et Van Alstyne, 2005). La compétitivité des prix sur un marché multiface dépend alors de la concurrence entre les plateformes, de l’élasticité croisée entre les marchés (Parker et Van Alstyne, 2005), de la présence d’utilisateurs générant une valeur élevée pour les autres faces, du coût de changement sur une face (Rochet et Tirole, 2003) et de la demande des consommateurs pour une variété de produits (Hagiu, 2009b). Cette nouvelle valeur peut ensuite être monétisée de deux façons différentes : (1) sur une même face avec la captation d’une partie de ces utilisateurs vers une offre payante (offres premium) avec la vente de services complémentaires ou de produits essentiels à une bonne expérience utilisateur (articles supplémentaires, système d’appâts et d’hameçons, etc.) ; (2) sur une face complémentaire, avec la valorisation de la présence utilisateur (particulièrement utilisée pour financer la face avec de la publicité) ou la valorisation d’informations générées par les utilisateurs (votes, avis, etc.). Une bonne structure de prix permet également d’atteindre plus rapidement le seuil critique et d’éviter le problème de l’œuf et de la poule. 10 3. Méthodologie L’objectif de ce papier est d’identifier les règles fondamentales qui permettent de concevoir un BM multiface à partir d’un BM monoface. Nous avons proposé une nouvelle façon de définir le BM en prenant en compte l’existence d’une architecture multiface sur un ou plusieurs marchés. Nous avons ensuite déduit de la littérature six opérations permettant de concevoir un BM multiface. L’objectif est de fournir une "grammaire" pour concevoir de nouveaux BMs à partir de BMs existants et d’observer la mise en place d’opérations de conception à travers deux études de cas dans l’industrie du jeu vidéo. Cette industrie est intéressante à étudier car les logiques multiface sont très prononcées avec la dématérialisation des réseaux de distribution et le pouvoir des communautés de jeux en ligne. Sachant que le BM multiface peut concerner un ou plusieurs marchés, nous avons choisi deux PME innovantes différentes : (1) Nadeo, qui a développé avec succès un BM multiface via une plateforme numérique spécifique avec différents groupes d’utilisateurs sur le marché du jeu vidéo et (2) Ankama, qui a développé avec succès un BM multiface avec plusieurs groupes d’utilisateurs sur les marchés du jeu vidéo, de la télévision et de l’édition (Mangas). Ces deux études de cas ne sont pas homogènes. Le BM multiface de Nadeo est basé sur le développement d’une seule plateforme en ligne pour proposer un jeu de simulation de course automobile. Le BM multiface d’Ankama est basé sur le développement d’un univers héroïque fantaisie se déployant sur plusieurs marchés (avec plusieurs plateformes), mais dont les accès et l’aspect communautaire sont centralisés sur une plateforme Internet. Pour étudier la stratégie et les BMs de ces entreprises, nous avons déployé une approche qualitative et longitudinale. Nous avons utilisé ce type de méthodologie pour examiner l’évolution de la structure des BMs au cours des années, incluant l’ajout de nouvelles faces au sein des plateformes. Nous avons choisi de multiplier les sources de données : 17 entretiens semi-directifs, des données internes (documentation du projet, rapports de la réunion, courriers, etc.) et des données externes (sites web, newsletter, etc.). Ces données ont été traitées par codage thématique en combinant les observations empiriques avec les opérations de conception issues de la littérature. Nous avons identifié deux grandes catégories de codes : (1) la structure du BM et (2) l’évolution de la plateforme multiface. Nous avons ensuite appliqué notre grille d’analyse pour identifier et caractériser les étapes de conception des BMs multiface. L’objectif étant de comprendre comment les entreprises étudiées sont passées d’un BM monoface à multiface et quelles sont les opérations qui ont été mises en œuvre et dans quel ordre. 11 3.1 Le BM multiface TrackMania de Nadeo Nadeo est un producteur de jeux vidéo sur PC et console qui développe et édite des jeux de simulation sportive. Son jeu phare, TrackMania, a été vendu à plus de 1 million d’exemplaires en quatre ans et rassemble plus de 12 millions de joueurs en 2012. Entre 2003 et 2013, le studio a développé 12 versions du jeu (trois gratuites), 9 versions PC et 3 versions consoles (Wii and DS). TrackMania propose une simulation de course automobile facile à prendre en main et basée sur le plaisir de la conduite. Le jeu se compose de circuits de petites voitures avec un mode joueur unique ou en ligne, et des outils pour créer des circuits, des voitures et des films. Le BM de TrackMania donne un rôle actif aux joueurs. Ils sont impliqués dans la création de valeur par l’enrichissement des activités de jeux et de contenu en utilisant des outils de création de circuits et d’organisation de courses. Chaque joueur peut mettre sa machine en mode serveur et organiser une course réunissant une dizaine de personnes. Ils participent également à la proposition de valeur à travers : (1) la distribution de leurs créations au sein du jeu ou sur des sites externes, (2) l’organisation de courses 24h/24h et (3) la participation massive aux courses disponibles, rendant ainsi le jeu beaucoup plus intéressant pour l’ensemble des joueurs. Dans un tel BM, l’organisation avec des faces complémentaires permet de générer des effets de réseaux indirects au sein du BM. TrackMania rassemble trois groupes d’utilisateurs (appartenant au même groupe client, les joueurs) sur une seule plateforme internet : les créateurs, les gestionnaires et les compétiteurs. Grâce à leur présence et leurs activités, ils se fournissent mutuellement de la valeur. Chaque catégorie de joueurs représente une face car leurs caractéristiques et activités dans le jeu apportent de la valeur aux autres catégories de joueurs. Même si un joueur peut appartenir à plusieurs catégories, celles-ci sont bien distinctes car Nadeo fournit des rôles, responsabilités et outils spécifiques à chacune d’entre elles. La valeur créée est également spécifique selon la catégorie de joueurs, ce qui nous permet de distinguer trois faces dans le BM : • Face 1 – les créateurs, qui conçoivent de nouveaux contenus (circuits, voitures et vidéos) directement disponibles dans le jeu ou sur des sites externes. • Face 2 – Les compétiteurs, qui dynamisent les courses et augmentent leur intensité. Ils remplissent les serveurs 24/24h et 7/7j, contribuant ainsi à préserver quotidiennement l’intérêt du jeu. • Face 3 - Les gestionnaires, qui mettent leur machine en mode serveur pour organiser des courses et assurent ainsi un flot permanent de courses disponibles, ceci au niveau national et international. 12 3.2 Le BM multiface Wakfu d’Ankama Créée en 2001, Ankama est à l’origine une agence web spécialisée dans le développement de sites internet. En 2002, l’entreprise se diversifie dans le jeu vidéo en ligne massivement multijoueurs avec la création du jeu en ligne Duel (en bêta-test), qui deviendra ensuite officiellement Dofus. Après un succès rapide (aujourd’hui mondial), l’entreprise continue sa diversification et recrute de multiples ressources créatives pour exploiter ses propriétés intellectuelles dans d’autres domaines et médias : l’animation TV, l’édition (Mangas) et l’évènementiel. En 2007, Ankama décide de créer la suite de Dofus : Wakfu. Plus qu’une simple suite de jeu, l’entreprise crée un véritable univers artistique dans lequel l’innovation repose sur une complémentarité et une interconnexion narrative et temporelle entre plusieurs médias, diffusés sur plusieurs marchés : le jeu vidéo en ligne massivement multijoueur, la série d’animation sur TV et les BM/Mangas. L’objectif est de créer une expérience plus riche pour le consommateur en lui permettant de jouer et vivre cet univers de différentes manières, à travers plusieurs médias. Cette approche transmédia 1 implique alors le développement d’un nouveau BM en rupture totale avec les approches traditionnelles dans le jeu vidéo. L’architecture de l’univers de Wakfu est basée sur trois médias interconnectés, diffusés sur des marchés spécifiques et qui représentant les trois faces du BM : (1) un jeu vidéo massivement multijoueur sur Internet, (2) une série d’animation sur TV et (3) des Mangas. La face 2 possède sa propre plateforme puisque la série est diffusée sur une grande chaîne de télévision Française et sur Netflix. On note toutefois un accès centralisé sur une plateforme web collaborative qui diffuse des contenus additionnels, permet d’accéder au jeu et aux épisodes précédents de la série TV, vend les Mangas et permet aux utilisateurs de participer à l’amélioration de Wakfu via des forums. Chaque face possède ses propres caractéristiques en termes de création, proposition et capture de la valeur. Chaque face enrichie les autres d’une manière complémentaire et cumulative. La face 1 et la plateforme web sont ouvertes aux contributions des utilisateurs, fournissant ainsi la possibilité d’interagir avec l’univers artistique pour l’améliorer. Nous détaillons ci-dessous les trois faces du BM multiface Wakfu : 1 Dans les industries culturelles, le transmédia peut être défini comme la manière de développer un univers artistique dans lequel la narration est déployée sur plusieurs plateformes complémentaires et reliés les unes aux autres. Chaque média et est un point d’entrée dans l'univers et l'utilisation combinée de tous les médias offre une expérience de consommation bien plus élevée et globale qu’une consommation indépendante. 13 • Face 1 – le jeu vidéo. Lancé à l’automne 2008 en bêta-test au niveau national, puis au niveau mondial en 2012, il compte aujourd’hui plus de 500 000 comptes clients payants et plusieurs millions de joueurs actifs. Le jeu exploite le présent de Wakfu. • Face 2 – la série d’animation TV. La série a été lancée simultanément avec le jeu vidéo car ces deux médias permettent aux consommateurs (téléspectateurs et joueurs) de s’immerger dans l’univers Wakfu. Les épisodes exploitent le futur de Wakfu et permettent ainsi aux joueurs d’obtenir des informations pour avancer dans le jeu. • Face 3 – la collection de Mangas. Ankama propose une série d’aventure sous forme de Mangas exploitant le passé de Wakfu. Les joueurs et spectateurs peuvent ainsi obtenir des informations utiles pour mieux connaitre l’histoire, les personnages et avancer plus efficacement dans le jeu. 4. Résultats L’analyse des données recueillies pour les cas Ankama et Nadeo nous permet de présenter l’ordre chronologique dans lequel les opérations de conception du BM ont été mises en œuvre. Nous notons que le choix des opérations correspond à une logique précise, commune aux deux entreprises étudiées (mais dont des différences sont observées dans la mise en œuvre), qui se résume en trois phases principales : • (1) La mise en place des technologies qui supportent le développement et la distribution du produit (le moteur de jeu et la plateforme en ligne). L’objectif initial est de créer l’architecture technologique de la plateforme multiface, dans un état de développement semi-fini, afin de faciliter son évolution en fonction des réponses du marché. • (2) L’identification et l’engagement des différents groupes d’utilisateurs afin de favoriser l’adoption de la plateforme. Dans cette phase, les entreprises agissent en deux étapes. D’abord, elles reformulent la proposition de valeur initiale et agrandir les segments de marché pour élargir les groupes d’utilisateurs qui pourraient être intéressés par le jeu. Ensuite, elles utilisent un processus d’ouverture des contenus narratifs et graphiques pour construire l’engagement des différents groupes d’utilisateurs. L’objectif principal est de créer les bases d’une communauté d’utilisateurs. • (3) La mise en relation des groupes d’utilisateurs et la structuration du modèle de revenus. Dans cette dernière phase, les entreprises capitalisent sur les complémentarités entre les groupes d’utilisateurs (activités, rôles et responsabilités) ou les 14 complémentarités entre les médias pour créer des connexions entre les faces du BM et produire des effets de réseau. L’objectif est de structurer des groupes d’utilisateurs interdépendants pour créer une dynamique d’échange qui va apporter de la valeur ajoutée à chaque groupe, renforçant ainsi leur engagement. En outre, les entreprises adoptent une double gestion de la monétisation en proposant un modèle de revenus qui combine le gratuit et le payant. En capitalisant sur une partie gratuite du jeu, les entreprises continuent d’attirer de nouveaux utilisateurs susceptibles de se transformer en utilisateurs payants. L’objectif est de créer un cercle vertueux en soutenant la communauté d’utilisateurs pour assurer des retombées économiques durables. La mise en œuvre détaillée des différentes opérations de conception est présentée ci-dessous, pour chaque entreprise étudiée. Le BM TrackMania de Nadeo analysé avec la grille des opérations de conception nous permet de déduire trois phases dans la dynamique de construction du BM multiface (voir tableau 2) : • Phase 1 : l’entreprise a développé un nouveau jeu en reformulant la proposition de valeur. Elle ne développe pas un jeu pour les hard core gamers, mais pour tous les joueurs, et plus particulièrement pour les créateurs. Elle met en place une plateforme pour Trackmania (moteur de jeu, outils de création de contenus, outils d’organisation des courses en ligne) qui permet de personnaliser le jeu pour des multiples besoins. La nouvelle proposition de valeur attire de nouveaux types de joueurs et l’ouverture favorise l’émergence d’une large communauté de joueurs. • Phase 2 : l’entreprise ouvre une grande partie du jeu et élargit la proposition de valeur et les fonctionnalités de la plateforme pour attirer les compétiteurs et les gestionnaires de courses et compétitions. Cependant, ils ne sont pas en lien directs dans le jeu : les gestionnaires organisent les compétitions avec des outils externes et les créateurs partagent le circuit dans les sites Web externes. L’ouverture du jeu permet donc de cibler de nouveaux groupes de joueurs qui se structurent de manière complémentaires avec le groupe préexistant. Les outils fournis à chaque groupe facilitent cette structuration. • Phase 3 : l’entreprise relie les faces sur la plateforme avec de nouvelles fonctionnalités de création de contenus et d’organisation de compétitions et développe un jeu gratuit afin d’augmenter massivement le nombre de joueurs. Cela permet également d’engager plus facilement les utilisateurs dans l’un des trois profils afin de développer le BM. L’objectif étant de maximiser la conversion d’une partie des utilisateurs gratuits en 15 utilisateurs payants. Enfin, l’entreprise améliore et simplifie la création de circuits pour cibler des créateurs inexpérimentés. Tableau 2 : l’évolution de Trackmania and les opérations de conception Année version Évolution du produit et services Première version Outils pour créer des circuits Courses multijoueurs en ligne 2004 2005 2006 2008 Trackmania Original Développement de sites web de joueurs dédiés à l’échange de circuits et de voitures. Lancement de première ligue de compétitions par les joueurs Nouveaux blocs de construction de circuits et nouvelles fonctionnalités de courses Outils de scénarisation de course Outils de personnalisation de voitures Outils de capture de vidéos de course Trackmania Possibilité d’importer des modèles de voitures Sunrise 3D Introduction d’une monnaie virtuelle : le cooper Développement des équipes et des gestionnaires dans la communauté de joueurs. Classement des Joueurs de tête par pays Trackmania Environnement dédié à la compétition Nations Manialink : téléchargement de circuits, voitures (gratuit) et mini-sites directement dans le jeu ManiaZone : Régionalisation des classements et Trackmania des nouvelles. United Nouvelles fonctionnalités pour le système de monnaie virtuelle Opérations de conception et ses conséquences Développement de la plateforme de jeu (module de course et de création de contenus) Reformulation de la proposition de valeur comparativement au secteur du jeu vidéo (diminution du réalisme 3D et ajout de fonctionnalités pour les créateurs). Ouverture d’une partie du jeu (création de circuit) Développement de l’ouverture (extension des possibilités créatives avec l’utilisation de logiciels 3D externes). Multiplication des niches : casual gamers, compétiteurs, coureurs pour le fun, free rider, et vidéastes Finalisation de la structuration et la mise en relation de groupes d’utilisateurs complémentaires : créateurs, compétiteurs et gestionnaires Structuration des prix avec le lancement d’une version gratuite Trackmania Nouveaux blocs de construction de circuits Développement de l’ouverture et United Ajout d’outils de publications simplifiées simplification des activités de création Forever De nouvelles fonctionnalités de contrôle du son. L’analyse du BM Wakfu avec la grille des opérations de conception nous permet de déduire trois phases dans la dynamique de construction du BM multiface (voir tableau 3) : • Phase 1 : l’entreprise développe un modèle d’affaires monoface fondé sur un jeu de rôle massivement multijoueur en ligne (Dofus). Une plateforme de jeu en ligne est développée avec deux accès : (1) un accès gratuit limité à un niveau de jeu (zone limitée) et qui restreint également les capacités du personnage et (2) un accès payant par abonnement (avec un prix moyen de 5 euros par mois) qui va s’enrichir avec un système d’achat de services (changement de personnage, création de guilde, relooking, etc.) et 16 d’articles (armes, objets, etc.). L’objectif est de capitaliser sur le libre accès afin d’attirer un grand nombre de joueurs et de les encourager à s’engager dans les abonnements et les achats de services et d’articles supplémentaires. La plateforme de jeu intègre également une dimension communautaire forte qui permet aux joueurs de participer à l’amélioration du jeu à travers des forums. Cette ouverture du contenu narratif couplée à l’attractivité du jeu et son prix réduit créent rapidement une grande communauté de joueurs. Après ce premier succès, la proposition de valeur est reformulée pour étendre le jeu aux Mangas mais dont les principaux clients restent les joueurs. • Phase 2 : compte tenu de la réussite économique de Dofus (30 millions de comptes créés avec 3,5 millions d’abonnés qui paient entre 4 et 5 euros par mois), la société décide de reformuler la proposition de valeur en étendant narrativement l’univers de Dofus avec la création d’une suite : Wakfu, qui exploite le même univers, mais 1000 ans après Dofus. La société étend le BM original en créant une autre plateforme de jeu en ligne sur le même modèle que Dofus (un MMORPG avec un accès gratuit et payant) parce que l’objectif est de promouvoir le transfert de joueurs de Dofus à Wakfu, notamment pour éviter la perte de joueurs âgés ou fatigués par Dofus. En outre, pour attirer d’autres groupes d’utilisateurs et développer la communauté Wakfu, Ankama crée deux nouvelles faces dans le BM en étendant la proposition de valeur à une série TV et la publication de Mangas. Ces trois faces sont reliées narrativement et temporellement (le jeu vidéo explore le présent de l’histoire, la série TV explore l’avenir et le manga explore le passé) afin de créer un véritable univers transmédia qui encourage les utilisateurs à devenir joueurs, téléspectateurs, internautes et lecteurs. Avec ces connexions, l’entreprise crée des effets de réseaux positifs entre les faces : (1) le grand nombre de joueurs (rendue possible par la présence d’anciens joueurs de Dofus) assure une forte audience pour la série TV, ce qui permet à l’entreprise de négocier avec succès plusieurs accords nationaux et internationaux de distribution avec des diffuseurs reconnus, (2) le grand nombre de téléspectateurs (rendue possible par la large diffusion de la série TV) augmente le nombre de joueurs parmi lesquels certains peuvent s’abonner et (3) le grand nombre de joueurs et de téléspectateurs augmente les ventes de Mangas. • Phase 3 : Afin d’engager massivement la communauté d’utilisateurs dans l’amélioration de l’univers Wakfu, l’entreprise met en œuvre deux types d’ouverture : (1) une ouverture des contenus narratifs avec des forums dans lesquels les différents groupes d’utilisateurs (joueurs, téléspectateurs et lecteurs) peuvent proposer des idées et des suggestions pour le développement futur de l’univers et (2) une ouverture des contenus 17 graphiques dans le jeu en développant un ensemble d’outils permettant aux joueurs de construire une partie du jeu (création de magasins, de villes et de systèmes politiques qui influent sur la dynamique du jeu). Par cette ouverture, l’entreprise souhaite attirer davantage d’utilisateurs (par la promotion de la dimension créative qui donne du pouvoir aux joueurs) et fidéliser les utilisateurs sur le long terme. L’objectif est d’assurer la stabilité des revenus par : (1) le renouvellement d’utilisateurs gratuits qui peuvent devenir des utilisateurs payants et (2) la fidélité des utilisateurs payants. Table 3 : évolution de Wakfu et opérations de conception Année version Évolution du produit et service 2004 MMORPG Dofus Lancement du jeu Dofus avec un système de souscription et des forums de communauté Développement de la plateforme de jeu en ligne Développement d’un niveau gratuit du jeu Dofus Développement des forums dans la communauté de joueurs Lacement des mangas Reformulation de la proposition de valeur afin d’attirer plus de joueurs. Développement de l’ouverture pour permettre aux joueurs d’améliorer le l’univers via les forums Structuration du prix pour attirer plus de joueurs avec un accès gratuit. Développement d’un autre niveau gratuit du jeu Dofus Lancement de la version beta de Wakfu Reformulation de la proposition de valeur afin d’intéresser la communauté Dofus à un nouveau jeu (et prévenir la perte ou le désintérêt des joueurs) Développement d’une autre plateforme de jeu Développement de l’ouverture dans Wakfu afin de permettre aux joueurs de contribuer à la bêta-test. 2005 2007 2008 2011 2012 Mangas Dofus Beta test Wakfu MMO Wakfu TV séries Wakfu manga Lancement de la série TV Wakfu en France avec plusieurs saisons à la suite. Lancement des mangas Wakfu Wakfu Lancement mondial du jeu Wakfu transmédia Outils de construction du monde (diffusion Développement du BM Free-to-pay internationale) Opérations de conception et ses conséquences Reformulation de la proposition de valeur afin d’étendre Wakfu dans d’autres médias et attirer d’autres groupes d’utilisateurs. Structuration de groupes complémentaires de clients (joueurs, téléspectateurs, lecteurs et chaînes de télévision) par l’interdépendance narrative des médias afin de générer des effets de réseaux positifs Développement de l’ouverture dans Wakfu pour permettre aux groupes d’utilisateurs d’améliorer l’univers transmédia. Développement de l’ouverture dans le jeu Wakfu pour permettre aux joueurs de construire une dynamique sociale dans le jeu avec des magasins, des villes et des systèmes politiques Structuration du prix pour attirer plus de joueurs avec un niveau en accès gratuit. Finalement, Ankama n’a développé le BM multiface Wakfu qu’après avoir atteint une masse critique de joueurs sur Dofus. La structuration du prix, la reformulation de la proposition de valeur et l’ouverture sont les éléments clés dans la conception du BM. L’avantage réside dans 18 le transfert des joueurs de Dofus à Wakfu, qui a permis à l’entreprise d’utiliser la communauté comme une ressource stratégique dans le développement des trois autres faces (car le nombre élevé de joueurs a facilité les négociations commerciales avec les chaînes de télévision). Ensuite, la société a attendu une autre augmentation des utilisateurs dans la communauté Wakfu avant de profiter réellement de la connexion entre les faces car la production d’effets de réseaux positifs nécessite un nombre critique d’utilisateurs sur chaque face. En se basant sur ces externalités, l’entreprise a renforcé l’ouverture afin d’augmenter l’engagement des utilisateurs sur le long terme et assurer la stabilité du BM, en particulier sur le modèle de revenus du jeu. 4. Discussion L’étude de l’évolution des BM Trackmania et Wakfu montrent que la transformation d’un BM monoface en BM multiface prend du temps et nécessite une série ordonnée d’opérations spécifiques. A partir des résultats précédents, nous pouvons discuter quatre points : (1) le développement d’une plateforme en « mode bêta » comme une technologie de transition vers un BM multiface, (2) le rôle clé du temps pour atteindre le seuil critique à partir duquel s’enclenchent les effets de réseaux, (3) le processus d’ouverture comme élément fondamental pour gérer l’engagement des utilisateurs sur le long terme et (4) le modèle économique dual gratuit/payant comme levier pour attirer de nouveaux utilisateurs dans le BM multiface. Tout d’abord, nos résultats soulignent l’importance d’une stratégie de conception consistant à ne pas développer immédiatement toutes les fonctionnalités d’une plateforme. Cette étape semifinie de la plateforme permet de choisir les futurs développements selon les réactions du marché. L’objectif est de ne pas verrouiller ni finaliser la plateforme comme dans un modèle traditionnel d’innovation fermée (Chesbrough, 2003), mais plutôt de créer un support technologique inachevé, en version « bêta » dans le jargon du jeu vidéo, qui permettra de tester la plateforme selon les comportements des utilisateurs. Les joueurs les plus avancés utilisent des outils pour personnaliser le jeu selon leurs besoins (Parmentier et Gandia, 2013a; Prügl et al., 2006 ). La plateforme étant constamment en développement, elle peut rapidement évoluer et s’adapter à ces utilisateurs. La plateforme devient alors un outil d’exploration de marché pour identifier les besoins latents (Prügl et Schreier, 2006) avec une logique de conception en double boucle, un transfert de connaissances efficace et une résolution de problèmes rapides (Thomas, 2003). En second lieu, dans la deuxième étape de conception du BM multiface, le temps est très important. Il faut du temps pour que la communauté d’utilisateurs atteigne une taille critique et 19 puisse produire des effets de réseau positifs. Dans le cas Trackmania, cette taille critique est atteinte avec la sortie de Trackmania United et Trackmania Nations, trois ans après la sortie de TrackMania Original. Le grand nombre de joueurs par face déclenche alors de forts effets de réseau indirects. Le lancement du jeu gratuit TrackMania Nations renforce ces effets de réseaux en apportant un grand nombre de nouveaux joueurs (900 000 nouveaux comptes créés en seulement quelques mois). Pour Ankama, le seuil critique est atteint en 2012, 4 ans après la première version de Wakfu. Le succès européen de ce jeu attire des diffuseurs du monde entier et permet à Ankama d’envisager un lancement à l’échelle mondiale. Dans les deux cas, nous observons une période d’incubation assez longue pour atteindre les seuils nécessaires au déclenchement des effets de réseaux. L’augmentation du nombre d’utilisateurs est alors facilitée par les qualités intrinsèques du produit et la partie gratuite de l’offre. L’ouverture d’une partie du jeu accélère également la montée en volume des joueurs. Pour Trackmania, l’ouverture attire les créateurs et les gestionnaires, fournissant ainsi une valeur ajoutée significative à d’autres joueurs avec la création de centaines de milliers de nouveaux circuits et l’animation en continu de centaines de courses de voitures et dizaines de compétitions (Parmentier et Gandia, 2013a). Pour Wakfu, les suggestions de scénarios, la création de quêtes, de villes et systèmes politiques dynamisent le jeu et le rendent plus intéressant pour les joueurs, ce qui facilite l’adoption du jeu par de nouveaux joueurs. Dans les deux cas, l’ouverture est basée sur des boîtes à outils utilisateur, dédiées à l’innovation (Von Hippel, 2001 ; Von Hippel et al., 2002) et sur la mise en place de forums en ligne de discussion. Ces dispositifs techniques sont utilisés pour personnaliser l’offre et impliquer plus facilement les utilisateurs dans le processus d’innovation (Franke et al., 2008 ; Parmentier et Gandia, 2013a ; Parmentier et al., 2014; Prügl et Schreier, 2006 ). La modularité, la mise en place de normes communes et d’interfaces ouvertes sont également des éléments d’ouverture du processus d’innovation sur une plateforme de type industriel (Gawer et Cusumano, 2014). Le fait d’ouvrir certaines faces aux utilisateurs les plus actifs et les plus avancés sur le marché, à l’aide de boîtes à outils pour l’innovation, est un levier important pour faire évoluer un BM monoface en multiface. Dans les deux cas étudiés, une partie de l’offre est gratuite et libre d’accès, sur toutes les faces ou à l’intérieur d’une même face. Dans Trackmania, toutes les catégories d’utilisateurs ont accès à des versions gratuites du jeu. Dans Wakfu, les joueurs ont accès gratuitement à un niveau entier du jeu et les téléspectateurs ne paient pas pour regarder les épisodes de la série d’animation. Les effets de réseau indirects dépendent donc d’une structure de prix adaptée à la propension à payer des utilisateurs. Ils dépendent également de la valeur que les utilisateurs 20 d’une face apportent aux utilisateurs des autres faces. Dans cette optique, nos cas confirment qu’une face subventionnée permet d’attirer des utilisateurs sur une autre face (Evans et Schmalensee, 2007; Rochet et Tirole, 2003 ). De plus, nous constatons qu’une face subventionnée permet également de favoriser les effets de réseau directs. Ainsi, la structure des prix doit être établie pour promouvoir à la fois les effets de réseaux directs et indirects. Dans Trackmania et Wakfu, les utilisateurs des versions gratuites contribuent également au jeu par leurs activités et leurs créations. Une fois engagés dans le jeu, ils peuvent plus facilement passer à une option payante puisque la version gratuite reste limitée. 5. Conclusion Notre recherche fournit une première réponse à la fois théorique et empirique sur les opérations qui permettent de concevoir un BM multiface à partir d’un BM monoface. Nous constatons, dans l’industrie du jeu vidéo, qu’il est possible de faire évoluer un BM monoface existant en mettant en place une plateforme technologique sur laquelle l’entreprise pourra ajouter progressivement des faces en ciblant des groupes d’utilisateurs complémentaires. Les six opérations de conception issues de la revue de littérature méritent toutefois d’être testées dans d’autres secteurs, pour améliorer la généralisation de ces résultats. Ces opérations peuvent cependant être déjà une source de réflexion et d’action pour les gestionnaires qui veulent étendre et consolider leur BM en activant des effets de réseau directs et indirects à l’aide d’une plateforme multiface. Le développement d’un BM multiface est plutôt le privilège de riche start-up ou de grandes entreprises. Cette stratégie semble aussi possible pour une PME, mais la mise en place d’une plateforme technologique de produits et services devra s’appuyer sur un BM monoface solide. Bibliographie Albuquerque, P., Pavlidis, P., Chatow, U., Chen, K.-Y., and Jamal, Z. (2012). « Evaluating Promotional Activities in an Online Two-Sided Market of User-Generated Content », Marketing Science, vol. 31, n° 3, 406-32. Anderson, C. (2006). The Long Tail: Why the Future of Business Is Selling Less of More. Hyperion, Place. Armstrong, M. (2006). « Competition in Two-Sided Markets », RAND Journal of Economics (RAND Journal of Economics), vol. 37, n° 3, 668-91. Baden-Fuller, C. and Morgan, M. S. (2010). « BMs as Models », Long Range Planning, vol. 43, n° 2/3, 156-71. Bakos, Y. and Katsamakas, E. (2008). « Design and Ownership of Two-Sided Networks: Implications for Internet Platforms », Journal of Management Information Systems, vol. 25, n° 2, 171-202. Baldwin, C. Y. and Clark, K. B. (2000). Design Rules. The Power of Modularity, vol. 1. MIT Press, Place. 21 Boudreau, K. J. and Hagiu, A. (2009). "Platform Rules: Multi-Sided Platforms as Regulators," in Platforms, Markets and Innovation, ed. Annabelle Gawer. Cheltenham: Edward Elgar. Brynjolfsson, E., Yu, H., and Smith, M. D. (2006). « From Niches to Riches: Anatomy of the Long Tail », MIT Sloan Management Review, vol. 47, n° 4, 67-71. Chesbrough, H., Vanhaverbeke, W., and West, J. (2006). Open Innovation: Researching a New Paradigm. Oxford University Press, Place. Cusumano, M. A. and Gawer, A. (2002). « The Elements of Platform Leadership », MIT Sloan Management Review, vol. 43, n° 3, 51-58. Eisenmann, T., Parker, G., and Alstyne, M. W. V. (2006). « Strategies for Two- Sided Markets », Harvard Business Review, vol. 84, n° 10, 92-101. Eisenmann, T., Parker, G., and Van Alstyne, M. (2009). "Opening Platforms: How, When, and Why?," in Platforms, Markets and Innovation, ed. Annabelle Gawer. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing, 131–62. Eisenmann, T., Parker, G., and Van Alstyne, M. (2011). « Platform Envelopment », Strategic Management Journal, vol. 32, n° 12, 1270-85. Evans, D. S. (2012). « Governing Bad Behavior by Users of Multi-Sided Platforms », Berkeley Technology Law Journal, vol. 27, n° 2, 1201-50. Evans, D. S. and Schmalensee, R. (2007). « The Industrial Organization of Markets with Two-Sided Platforms », Competition Policy International, vol. 3, n°, 151-79. Fixson, S. K. (2005). « Product Architecture Assessment: A Tool to Link Product, Process, and Supply Chain Design Decisions », Journal of Operations Management, vol. 23, n° 3/4, 345-69. Franke, N., Keinz, P., and Schreier, M. (2008). « Complementing Mass Customization Toolkits with User Communities: How Peer Input Improves Customer Self-Design », Journal of Product Innovation Management, vol. 25, n° 6, 546-59. Gawer, A. (2014). « Bridging Differing Perspectives on Technological Platforms: Toward an Integrative Framework », Research Policy, vol. 43, n° 7, 1239-49. Gawer, A. and Cusumano, M. A. (2008). « How Companies Become Platform Leaders », MIT Sloan Management Review, vol. 49, n° 2, 28-35. Gawer, A. and Cusumano, M. A. (2014). « Industry Platforms and Ecosystem Innovation », Journal of Product Innovation Management, vol. 31, n° 3, 417-33. Gawer, A. and Henderson, R. (2007). « Platform Owner Entry and Innovation in Complementary Markets: Evidence from Intel », Journal of Economics & Management Strategy, vol. 16, n° 1, 1-34. Hagel I.J. and Singer, M. (1999). « Unbundling the Corporation », Harvard Business Review, vol. 77, n° 2, 133-41. Hagiu, A. (2006). « Pricing and Commitment by Two-Sided Platforms », RAND Journal of Economics (RAND Journal of Economics), vol. 37, n° 3, 720-37. Hagiu, A. (2009a). "Multi-Sided Platforms: From Microfoundations to Design and Expansion Strategies." Boston: Havard Business School. Hagiu, A. (2009b). « Two-Sided Platforms: Product Variety and Pricing Structures », Journal of Economics & Management Strategy, vol. 18, n° 4, 1011-43. Hagiu, A. (2014). « Strategic Decisions for Multisided Platforms », MIT Sloan Management Review, vol. 55, n° 2, 71-80. Holzmann, T., Sailer, K., and Katzy, B. R. (2014). « Matchmaking as Multi-Sided Market for Open Innovation », Technology Analysis & Strategic Management, vol. 26, n° 6, 601-15. Katz, M. L. and Shapiro, C. (1992). « Product Introduction with Network Externalities », Journal of Industrial Economics, vol. 40, n° 1, 55. Kim, W. C. and Mauborgne, R. (2004). « Blue Ocean Strategy », Harvard Business Review, vol. 82, n° 10, 76-84. Meyer, M. H. and Lehnerd, A. P. (1997). The Power of Product Platforms: Building Value and Cost Leadership. Free Press, Place. Miles, M. B. and Huberman, A. M. (1994). Qualitative Data Analysis: An Expanded Sourcebook. Sage Publications, Place. Na, Y. (2012). « BM Innovation by Creating Two-Sided Markets », International Journal of Business Strategy, vol. 12, n° 2. 22 Osterwalder, A. and Pigneur, Y. (2010). BM Generation: A Handbook for Visionaries, Game Changers, and Challengers. John Wiley & Sons, Inc., Place. Parker, G. G. and Van Alstyne, M. W. (2005). « Two-Sided Network Effects: A Theory of Information Product Design », Management Science, vol. 51, n° 10, 1494-504. Parmentier, G. and Gandia, R. (2013a). « Managing Sustainable Innovation with a User Community Toolkit: The Case of the Video Game Trackmania », Creativity and Innovation Management, vol. 22, n° 2, 195-208. Parmentier, G. and Gandia, R. (2013b). "Optimizing Value Creation and Value Capture with a MultiSided BM " in European Group of Organization Studies (EGOS). Montréal. Parmentier, G. and Mangematin, V. (2014). « Orchestrating Innovation with User Communities in the Creative Industries », Technological Forecasting & Social Change, vol. 83, n°, 40-53. Prügl, R. and Schreier, M. (2006). « Learning from Leading-Edge Customers at the Sims: Opening up the Innovation Process Using Toolkits », R&D Management, vol. 36, n° 3, 237-50. Robertson, D. and Ulrich, K. (1998). « Planning for Product Platforms », Sloan Management Review, vol. 39, n° 4, 19-31. Rochet, J.-C. and Tirole, J. (2003). « Platform Competition in Two-Sided Markets », Journal of the European Economic Association, vol. 1, n° 4, 990-1029. Rochet, J.-C. and Tirole, J. (2004). "Two-Sided Markets: An Overview." Rochet, J.-C. and Tirole, J. (2006). « Two-Sided Markets: A Progress Report », RAND Journal of Economics, vol. 37, n° 3, 645. Roson, R. (2005). « Auctions in a Two-Sided Network: The Market for Meal Voucher Services », Networks & Spatial Economics, vol. 5, n° 4, 339. Schilling, M. A. (2000). « Toward a General Modular Systems Theory and Its Application to Interfirm Product Modularity », Academy of Management Review, vol. 25, n° 2, 312-34. Shuen, A. (2008). Web 2.0: A Strategy Guide. O'Reilly Media, Place. Simon, H. A. (1962). « The Architecture of Complexity », Proceedings of the American Philosophical Society, vol. 106, n° 6, 467-82. Simon, H. A. (1965). The Shape of Automation for Men and Management. Harper & Row, Place. Tan, B., Pan, S. L., Xianghua, L., and Lihua, H. (2015). « The Role of Is Capabilities in the Development of Multi-Sided Platforms: The Digital Ecosystem Strategy of Alibaba.Com », Journal of the Association for Information Systems, vol. 16, n° 4, 248-80. Teece, D. J. (2010). « BMs, Business Strategy and Innovation », Long Range Planning, vol. 43, n°, 17294. Thomas, P. S. (2003). « Double Loop Process: The Next Innovation Paradigm », Vikalpa: The Journal for Decision Makers, vol. 28, n° 1, 83. Treacy, M. and Wiersema, F. (1993). « Customer Intimacy and Other Value Disciplines », Harvard Business Review, vol. 71, n° 1, 84-93. Von Hippel, E. (2001). « Perspective: User Toolkits for Innovation », Journal of Product Innovation Management, vol. 18, n° 4, 247-57. Von Hippel, E. and Katz, R. (2002). « Shifting Innovation to Users Via Toolkits », Management Science, vol. 48, n° 7, 821-33. 23
Documents pareils
Comment construire un business model multiface
Comment créer une plateforme
multiface ?
Comment devenir le leader
d’une industrie avec une
plateforme multiface ?
Comment dépasser la taille
critique pour provoquer des
effets de réseaux indirects...