On arrête la politique de l`autruche et on parle d`économie ?

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On arrête la politique de l`autruche et on parle d`économie ?
M111_OLEODUC_PIERRE VALIQUETTE
On arrête la politique de l’autruche et on parle d’économie ?
Je suis environnementaliste et je crois que le pétrole brut lourd devrait rester sous le
sol. Je suis aussi réaliste. La transition énergétique va prendre des années même si
on la souhaite rapide et l’industrie pétrolière est une industrie gigantesque à
laquelle nous sommes tous associés directement ou indirectement. Banques, fonds
de placement, fonds de retraite et autres zinzins y veillent. Ce sont des centaines,
sinon des milliers de milliards qui y ont été injectés et qui continuent de l’être. Il y
a un mouvement international qui préconise le désinvestissement dans ces produits
et le réinvestissement dans la production d’énergie propre. Les grandes pétrolières
y sont même associées : elles ne sont plus « pétrolières » mais « productrices
d’énergie ».
Au Québec, il y a peut-être des produits pétroliers dans le sol mais cet enjeu est
encore hypothétique. Ce qui nous pend au bout du nez, ce sont les demandes de
l’industrie des Prairies pour utiliser le territoire québécois pour exporter des
produits pétroliers enclavés. À court terme et dans un avenir prévisible, les 2/3 des
produits pétroliers que cette industrie prévoit transporter sur le territoire québécois
sont destinés à l’exportation.
Deux méthodes sont proposées : le transport par pipeline et le transport par rail. Le
transport par rail est dangereux dans les conditions actuelles : développé pour
transporter des personnes et des matériaux non dangereux à la fin de 19e siècle, la
plupart des voies ferrées passent à proximité sinon au coeur des villes et des
villages.
Le transport par pipeline est lui aussi dangereux : la technologie utilisée et les
produits à transporter (pétrole brut lourd abrasif, pétrole léger avec condensats de
gaz naturel, etc.) sont un élément de l’équation. Les milieux à traverser, rivières,
fleuve, milieux écologiquement sensibles et communautés humaines, constituent la
seconde partie de l’équation. Plusieurs avancent qu’il est moins coûteux de
transporter par pipeline que par chemin de fer. Et des milliards semblent
disponibles pour construire de nouveaux pipelines.
La construction de pipelines et la construction de voies ferrées sont toutes deux de
compétence fédérale. Les problèmes environnementaux éventuels sont de
compétence provinciale, ce qui inclus les municipalités.
Qui va favoriser un mode de transport au détriment d’un autre ? Nous sommes dans
un système économique qui laisse les forces du marché décider. La logique actuelle
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va laisser à ceux qui évaluent économiquement les risques environnementaux, tous
les éléments de pondération qui vont fonder les décisions économiques. Quel est le
coût d’un déversement dans le fleuve Saint-Laurent ou dans la rivière des
Outaouais ? Les crayons s’aiguisent pour en réduire le coût au maximum. Les
compagnies d’assurance et de réassurance commencent à mieux mesurer les risques
mais les volumes considérés sont tellement importants que nous sommes en terrain
nouveau. Et dans notre système économique, rien n’empêche les compagnies
d’assurance de contester le paiement des dommages réclamés ou de se retirer de ces
marchés. Les dommages finissent par être payés par les gouvernements et en bout
de ligne par les citoyens. L’histoire récente en est témoin.
Et si nous regardions en dehors de la boite pour revoir le transport de personnes et
de matériaux ? Le transport de personnes par rail au Canada utilise des
technologies dépassées. Les réseaux sont de plus en plus inadaptés aux besoins des
passagers et la priorité est accordée au transport des marchandises. Les
améliorations au matériel ferroviaire et aux réseaux répondent à une logique de
marché. Il y de moins en moins de passagers et de plus en plus de marchandises.
Et dans ces marchandises, il y a de plus en plus de produits dangereux.
Dans un territoire aussi étendu que l’Amérique du Nord, le transport par rail
constitue toujours, après le transport par bateau, le moyen le moins coûteux pour
déplacer des marchandises et des passagers.
Face aux risques environnementaux des pipelines et à ceux du transport par rail, il
me semble qu’une intervention planifiée favorisant le transport par rail permettrait
de doter le Canada d’une nouvelle infrastructure plus sécuritaire et plus efficace
pour transporter autant les marchandises que les personnes. Et les nouvelles
technologies de stockage d’énergie électrique laissent entrevoir une électrification
prochaine des transports ferroviaires.
Je ne crois pas qu’il soit sain pour notre société de laisser les forces du marché
décider de l’avenir du transport pétrolier. Comme société, et ultimes payeurs des
dégâts, nous pouvons faire le choix de pourvoir notre pays de moyens de transports
efficaces, adaptés à nos besoins et plus sécuritaires.
Au 19e siècle, les entrepreneurs ont été accompagnés dans la révolution des
transports par le gouvernement fédéral, tant aux États-Unis qu’au Canada. C’est
l’une des réussites industrielles majeures de ce siècle. Ce développement a été
accompagné de faillites retentissantes, de scandales politiques et financiers, de
concessions énormes de terrains et d’un encadrement législatif facilitant.
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Avec l’avènement du transport routier, surtout après la guerre de 39-45, le transport
par rail a connu un déclin important. Ce déclin a été favorisé par un investissement
massif de fonds publics dans les réseaux de transport routier. C’était et c’est
toujours un choix de société. En 1978, le gouvernement canadien a créé Via Rail
pour s’occuper du transport de passagers et favoriser le transport de marchandises.
En 1987, le gouvernement a modernisé la Loi sur les transports au Canada (LTC)
pour éliminer de nombreuses contraintes à la rentabilité du transport par rail. En
1995 le gouvernement a privatisé le CN et en 1996, il a complété la
déréglementation de la LTC afin de permettre aux compagnies ferroviaires une
exploitation relativement peu contrainte et favorisant l’autoréglementation et même
l’autorégulation.
Les grandes compagnies de transport par rail sont maintenant la propriété
d’investisseurs privés cherchant un rendement sur leurs investissements.
Je crois qu’il est temps d’interpeller nos élus fédéraux sur la mise en place d’une
stratégie de transport ferroviaire adaptée aux besoins du 21e siècle. Les acteurs
privés sont des entreprises solides et bien gérées. Leurs décisions d’investissement
sont malheureusement dictées par le rendement à court terme de l’avoir des
actionnaires.
Il existe surement des moyens incitatifs pouvant favoriser l’amélioration des
infrastructures et du matériel roulant au cours des 10 prochaines années. Cela
s’appelle un plan de développement économique et une stratégie industrielle
imaginée pour répondre à un problème environnemental majeur et à des enjeux
commerciaux d’envergure nationale. Cela crée des emplois, améliore la
productivité, rend notre société plus sécuritaire et protège l’environnement pour le
bénéfice de tout le monde, qu’ils soient actionnaires ou ayants droit.
Pierre M. Valiquette.
Architecte-paysagiste et conseiller en planification environnementale.
L’auteur ne possède pas d’intérêts directs dans les chemins de fer ni dans les
pipelines. Il est préoccupé par la protection des milieux écosensibles et stresse
lorsqu’il doit s’arrêter à un passage à niveau au coeur de Montréal pour laisser
passer un convoi de produits pétroliers. Il ne croit pas au laissez-faire pour prévenir
les problèmes environnementaux surtout quand l’intérêt des gestionnaires ne
dépasse pas la durée de leur parachute doré.
Montréal, le 7 septembre 2015
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