La coquille Saint-Jacques en Bretagne - envlit

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La coquille Saint-Jacques en Bretagne - envlit
environnement
Direction des Ressources Vivantes
Ressources Halieutiques
Spyros FIFAS
Décembre 2004
LA COQUILLE SAINT-JACQUES
EN BRETAGNE
LA COQUILLE SAINT-JACQUES EN BRETAGNE
Par Spyros FIFAS
1
LA COQUILLE SAINT-JACQUES EN BRETAGNE
La coquille Saint-Jacques de la façade Atlantique et de la Manche se concentre principalement dans la bande
côtière (fonds de 10 à 60 m) ; des populations à densité moyenne existent jusqu’au talus continental (sud de la mer
Celtique). Si les gisements les plus étendus géographiquement sont rencontrés en Manche Est (baie de Seine) ; les
densités les plus fortes d’Europe sont observées en baie de Saint-Brieuc. Quant à la rade de Brest, il s'agit du
secteur qui a tenu pendant longtemps la position la plus avancée en matière de pêche : c'est le premier gisement au
nord de la Loire qui a atteint des densités significatives.1 L'espèce y a été mentionnée pour la première fois dans les
statistiques de pêche en 1915 ; la zone a connu son apogée pendant une quinzaine d'années après la guerre de 193945, mais elle s'est trouvée en déclin par une exploitation non encadrée et suite à l'hiver rigoureux de 1963. Après un
passage difficile de presque deux décennies (les pêches à la drague dans la rade furent reportées principalement sur
la praire, puis sur le pétoncle noir), elle a connu une relative augmentation grâce aux conditions climatiques
favorables des dernières années (à l'instar de la majorité des gisements coquilliers en France) et à l'aide des apports
de l'aquaculture extensive.
1. Biologie.
1.1. Reproduction.
La coquille Saint-Jacques atteint sa première maturité sexuelle à 2 ans. Il s'agit d'une espèce hermaphrodite à
fécondation externe. La glande génitale ("corail") comprend une partie mâle de couleur blanchâtre et une partie
femelle de couleur rouge orangé. Les glandes des deux sexes ne sont pas mûres en même temps, les gamètes mâles
l’étant généralement avant les femelles.
Les secteurs de la rade de Brest et de la baie de Saint-Brieuc se différencient nettement en terme de stratégie de
reproduction (tableau 1). En la rade, l'animal est sexuellement mûr pendant la plus grande partie de l'année et la
saison des pontes est étalée sur plusieurs mois. En baie de Saint-Brieuc, la maturité sexuelle ne survient qu'en été et
une seule ponte significative a lieu (parfois deux), en juillet ou en août, quand la température avoisine les 16°C.
Cette particularité pourrait être liée aux caractéristiques nutritionnelles du milieu (faiblesse relative de la production
primaire en baie de Saint-Brieuc ).
Tableau 1. Stratégies de reproduction des populations coquillières. Exemples extrêmes.
Site
Brest
Saint-Brieuc
période de ponte
avril – août
juillet – août
nombre de pontes
plusieurs (asynchrones)
1 à 2 (synchronisées)
stimulus des pontes
?
température >16° C
post-ponte (état de la gonade)
partiellement vide
vide
maturité sexuelle
sauf hiver
été
En rade de Brest, une brève période de repos sexuel d’un mois au maximum succède à la ponte et la gamétogénèse
reprend dès l'automne. Cette reprise n'a lieu qu'en fin d'hiver en baie de Saint-Brieuc : ceci donne l'aspect différent
des coquilles Saint-Jacques brestoises, "coraillées" pendant la saison de pêche, et briochines, "blanches" au cours
de la même période. En baie de Seine, le cycle reproducteur est plus proche de celui observé en rade de Brest.
Les œufs donnent naissance à des larves planctoniques, qui au bout de 18 à 25 jours se fixent sur le substrat
(préférentiellement sur des fonds de sable fin légèrement envasé) pendant environ 10 à 12 semaines. La
morphologie définitive de la coquille apparaît lorsque la taille atteint 250 µm environ : la jeune coquille se détache
alors du substrat et acquiert alors le comportement libre de l’adulte.
1
L’abondance de la coquille dans les eaux françaises est relativement récente, cette espèce ne formait pas de stocks notables
connus avant le 19ème siècle. Son développement est attribué à des changements climatiques à long terme (léger réchauffement
depuis le petit âge glaciaire puis au cours de l’ère industrielle).
2
1.2. Croissance, alimentation, déplacements.
Soutenue au cours des deux premières années de la vie de l'animal, la croissance se ralentit par la suite et la taille de
la coquille se stabilise autour de 105 à 115 mm de hauteur (130 à 140 mm en Manche Est ; fig. 1). L'âge est
aisément lu sur les valves grâce à des anneaux hivernaux provoqués par un ralentissement de la croissance (fig. 2).
En l'absence d'exploitation, sa longévité peut atteindre 12 à 15 ans.
Tableau 2. La croissance moyenne de la coquille Saint-Jacques en baie de
Saint-Brieuc. Données issues des campagnes COSB d'évaluation directe
du stock (moyenne des années 1991 à 2004, taille lors de la campagne réalisée
fin août-début septembre).
âge (années)
1
2
3
4
5
6
hauteur (mm)
50
78
90
95
99
102
poids (g)
22
83
125
146
164
183
Tableau 3. La croissance moyenne de la coquille Saint-Jacques en rade de
Brest. Données issues des travaux menés dans le cadre du contrat des
baies (action commune IFREMER/UBO sous l'égide de la Communauté
Urbaine de Brest : CUB) (année de référence 1995 ; saison : octobrenovembre).
âge (années)
1
2
3
4
5
6
hauteur (mm)
61
81
91
97
102
108
poids (g)
44
99
133
162
186
218
La coquille Saint-Jacques est un filtreur, dont le régime alimentaire est constitué de phytoplancton. Elle peut
effectuer de courts déplacements, par bonds successifs de quelques mètres. Il s’agit d’un comportement de défense
pour échapper aux prédateurs (comme les étoiles de mer).
2. Pêcheries.
2.1. Engins de pêche.
Les coquilles Saint-Jacques sont capturées à la drague classique, dite également "lourde" ou "bretonne" (sans volet
dépresseur sur la façade Atlantique et en rade de Brest, avec volet en baie de Saint-Brieuc) sur la majorité des
gisements français tandis que la Manche Est se différencie par l'usage des dragues à ressorts (dites "anglaises").
La drague classique est une sorte de râteau muni, à l’arrière, d'un sac en anneaux d’acier pour la collecte des
animaux. Cet engin de pêche a été développé en rade de Brest dans les années 50. A cette époque, les lames des
dragues n'étaient pas munies des dents. Ces dernières ont été introduites d’abord en Normandie, puis dans la
pêcherie briochine avant le milieu des années 60. Par ailleurs, en baie de Saint-Brieuc, les dragues ont été équipées
à partir de 1968 d'un volet permettant un meilleur enfoncement dans le sédiment. Ce facteur d’augmentation des
captures requiert plus de puissance motrice. Les dragues à volet ont été interdites en 1972 en Manche Orientale.
Dès 1980, les pêcheurs normands ont adopté les dragues à ressort (observées localement en France dans les années
précédentes, notamment à Saint-Malo en 1977) qui permettent le passage sur des fonds accidentés.
Les engins de pêche sont réglementés selon le maillage, les dimensions, le nombre ou, éventuellement, le poids. Le
maillage, longtemps maintenu à 72 mm, a été porté à 85 mm en baie de Saint-Brieuc en 1985, puis à 92 mm à partir
de 1996 en baie de Saint Brieuc et en rade de Brest. Les dimensions sont variables, mais, en général, la largeur
maximale autorisée est de 2 m pour les dragues classiques et de 80 cm par élément pour les dragues à ressort. Le
nombre de dragues est limité à deux en baie de Saint-Brieuc tandis qu'en rade de Brest un seul engin de pêche est
autorisé. En Normandie, un maximum de 16 dragues "anglaises" par navire est autorisé. Le poids, enfin, n'est
réglementé qu'à Brest (170 kg maximum) où une longueur maximale des dents (10 cm) est en vigueur.
3
CROISSANCE INDIVIDUELLE (d'après ANTOINE, 1979)
140
HAUTEUR (mm)
120
100
Age de 1ère capture :
80
BREST
BREST : 3,0 ans
St-BRIEUC : 2,3 ans
SEINE : 2,5 ans
St-BRIEUC
60
SEINE
40
20
0
0
2
4
6
8
10
AGE (années)
Figure 1. La croissance individuelle selon le gisement (in Antoine, 1979).
Figure 2. La valve supérieure d'une coquille Saint-Jacques avec les anneaux concentriques dus au ralentissement
hivernal de la croissance (dessin : M. Salaün).
Figure 3. A gauche : drague à volet (Saint-Brieuc). ; à droite : dragues à ressort (Manche Est).
4
1
0.9
% d'ANIMAUX RETENUS
0.8
72
0.7
92
85
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
60
70
80
90
100
110
120
HAUTEUR (mm )
Figure 4. Courbes de sélectivité des dragues à coquilles Saint-Jacques (drague à volet dépresseur) en fonction du
maillage.
Tableau 4. Caractéristiques des dragues à coquilles Saint-Jacques selon les gisements français.
Type
Division CIEM
Pêcheries
Largeur (m)
Poids (kg)
Maillage (mm)
Drague classique VIIIa, VIIe,h
Belle-Ile
1,8 (Concarneau,
150 à 200(1)
Réglementation
sans volet
Iroise - Ar Men
Brest), 2 (autres
généralisée depuis
Brest
gisements)
2004 (92 mm).
Drague à volet
VIIe
Saint-Brieuc
2
250 à 300
(2)
Drague à ressort VIIe
Baie de Seine
3,5 à 5
350
(1) 170 kg à Brest.
(2) Largeur de 4 à 6 dragues de 80 cm fixées par bâton.
2.2. Réglementation.
La réglementation minimum des pêcheries au niveau communautaire porte sur les tailles minimales au
débarquement : 11 cm en Manche Est et en mer d'Irlande, 10 cm en Manche Ouest et dans le golfe de Gascogne. A
l'échelle nationale, ces mesures sont complétées par une saison de pêche du 1er octobre au 15 mai, l’interdiction de
décorticage à bord des navires et un maillage minimum des anneaux des dragues de 92 mm. Enfin, au niveau
régional, chaque gisement a ses propres règles de gestion. Ainsi, la taille minimale peut être localement plus forte,
par exemple 10,2 cm en baie de Saint-Brieuc, baie de Saint-Malo ou 10,5 cm en rade de Brest. En outre, dans la
baie de Saint-Brieuc un quota de pêche global (TAC) est proposé chaque année en fonction des résultats de la
campagne annuelle d’évaluation du stock menée par l’IFREMER (campagne COSB), et des horaires stricts de
pêche sont établis. En rade de Brest, il n’y a pas de quota global, mais il peut y avoir des rotations des zones de
pêche en fonction des semis aquacole. En baie de Seine, il y a des quotas de pêche journaliers et par homme.
Au niveau national, les différents gisements sont gérés par des systèmes de licences de pêche spécifiques, gérés par
les CLPM ou CRPM concernés. Ce système a été initié en baie de Saint-Brieuc en 1973, ,les licences, au nombre
de 240 (contre 466 à l'apogée du stock lors de la saison de pêche 1975/76) y sont attribuées aux couples
patron/navire. En rade de Brest, la licence autorise l'exploitation de quatre espèces de coquillages (coquille SaintJacques, praire, pétoncles noir et blanc). Il y en a actuellement 70 alors que 291 bateaux exploitation les bivalves en
1958/59. Les caractéristiques des navires auxquels une licence peut être attribuée sont réglementée. A Saint-Brieuc,
leur puissance motrice était limitée à 400 ch/294 kW et leur longueur à 16 m depuis 1974, ces contraintes ont été
renforcée en 1990 (250 ch/185 kW et 13 m). En rade de Brest, les limites respectives sont de 204 ch/150 kW et
11 m.
5
2.3. Productions.
Les débarquements de coquilles Saint-Jacques sont caractérisés par des fluctuations inter-annuelles marquées, liées
aux fortes fluctuations du recrutement. En baie de Saint-Brieuc, depuis le début des années 90, les débarquements
varient entre 2500 et 6800 tonnes, en Manche Est entre 3000 et 10000 tonnes. Les productions sont plus modestes à
Brest : de l’ordre de 200 à 400 tonnes depuis dix ans, mais, néanmoins, en nette augmentation par rapport aux
années 70 et 80.
Tableau 5. Productions des stocks français de coquilles Saint-Jacques (moyenne sur les années 90).
Gisement
Division CIEM
Quantité moyenne
Tendance de la biomasse
1990-99 (tonnes)
au début des années 2000
Belle-Ile
VIIIa
120
Stable
Concarneau
VIIIa
60
Stable
Ar Men - Iroise
VIIIa, VIIh, VIIe
150
Décroissante
Brest
VIIe
plus de 200
Croissante
Morlaix - Lannion
VIIe
150
Variable plutôt croissante
Saint-Brieuc
VIIe
4000(1)(2)
Croissante
Saint-Malo/Granville
VIIe
1500
Variable plutôt croissante
Seine
VIId
2000 à 6000
Variable plutôt croissante
(1) Actuellement, plus de 6000 tonnes.
(2) En dehors de la baie de Saint-Brieuc où les chiffres sont ceux des criées, les moyennes présentées sont des estimations de sources variables.
Morlaix Lannion
Baie de
Saint-Brieuc
Iroise
Baie de
Saint-Malo
Rade de
Brest
Ar men
Concarneau
Quiberon
Belle-Ile
Figure 5. Localisation des gisements de coquilles Saint-Jacques en Bretagne.
6
2.4. Les flottilles.
2.4.1. Brest (1945-1963).
L'histoire des pêcheries de coquilles Saint-Jacques de l'Atlantique Nord-Est depuis la période suivant la seconde
guerre mondiale est essentiellement régulée par deux facteurs : (1) la composante hydro-climatique : l’espèce
bénéficie de l'évolution positive des températures (réchauffement global) et (2) la pêche côtière et la petite pêche
qui ciblent cette espèce ont connu au cours des 50 à 60 dernières années de profondes mutations (motorisation puis
l'informatisation) qui ont permis l'augmentation de leur capacité de capture. La coquille Saint-Jacques, de valeur
pourtant plus symbolique que commerciale jusqu'au 20ème siècle, s'est trouvée au centre d'une conjonction favorable
des deux facteurs précités. Elle est devenue le coquillage incontournable de nos jours.
En 1930, il était écrit (texte original de Priol) : "...toute l'étendue de la rade de Brest est occupée par un gisement
de Pecten qui en épouse les contours et pénètre dans toutes les petites baies et les petites anses. Il n'est pas rare de
prendre de nombreuses coquilles par grande marée, dans les herbiers au-dessous de Saint Marc…". Cette phrase
montre le rôle majeur de ce stock côtier à une époque où l'espèce tenait une place moins emblématique sur le plan
commercial. La rade de Brest et, dans un degré moindre, la Bretagne Sud (notamment Belle Ile), étaient
caractérisées par les densités les plus élevées pour cette espèce. Par la suite, les stocks de la Manche sont devenus
plus importants. La période juste après le conflit mondial 1939-1945 a été marquée par la conjonction d'une
dynamique positive de l'abondance de la ressource brestoise (jusqu'à des niveaux jamais observés par la suite) et
d'une évolution de la capacité de capture de la flottille de pêche passant notamment par la généralisation de la
motorisation survenue vers 1953-1954. Cette situation favorable a été stoppée lors de l'hiver rigoureux de 1963. La
pêche de juvéniles n'a plus jamais été aussi importante par la suite. En effet, dans les années 50, près de 30%
d'animaux étaient prélevés à l'âge de 1 an. A cette époque, les moyens de capture se développaient et la dynamique
positive du recrutement cachait la raréfaction progressive de la ressource.
3000
180
motorisation
160
2500
140
2000
120
100
1500
80
1000
60
effort de pêche (.1000 h)
débarquements (tonnes)
hiver froid
40
500
20
-7
0
-6
8
69
-6
6
67
-6
4
65
-6
2
63
-6
0
61
-5
8
59
-5
6
57
55
-5
4
53
51
49
-5
2
0
-5
0
0
saison de pêche
Figure 6. Rade de Brest. Evolution des débarquements et de l'effort de pêche sur la période 1945 à 1972.
7
2.4.2. Saint-Brieuc (1962-2004).
Après l’hiver rigoureux de 1963, la baie de Saint-Brieuc a pris la suite grâce à des conditions d'environnement
favorables. Des efforts ont été faits pour que les erreurs du passé ne soient pas reproduites notamment en terme de
sélectivité des engins de pêche. Cependant, la capacité de capture s’est développée aussi et le stock a décliné à la
fin des années 80.
La flottille exploitant cette ressource est constituée de petites unités de pêche côtière (en 2001, longueur moyenne
des navires de 10,48 m), d’ancienne construction (25 ans en moyenne contre 10 seulement en 1974), relativement
puissantes (127 kW en moyenne) : ceci est expliqué par la pratique dominante d’arts de pêche traînants (dragage à
coquilles Saint-Jacques, chalutage à poissons de fond, dragage à petits bivalves). La flottille mobilise environ 600
marins et cet effectif a diminué de 30% sur la période étudiée. En 2001, les patrons avaient un âge moyen de 42
ans : sur ce point, il convient de préciser que l’état pléthorique actuel du stock a incité l’installation de nouvelles
exploitations depuis 2000 (33 nouveaux patrons sur 234, d’un âge moyen de 32 ans, mais possédant toujours des
navires anciens, de 25 ans en moyenne). L’effectif des navires a largement diminué depuis une trentaine d’années
(de 466 en 1975 à 240 en 2003). Les navires ayant quitté la pêcherie sont notamment issus des Quartiers Maritimes
extérieurs à la baie au profit de ceux de Saint-Brieuc et Paimpol. Cette réduction du nombre de navires a été
caractérisée par la disparition des plus petites unités de moins de 60 kW (fig. 6) tandis que les nouvelles limitations
de puissance adoptées en 1990, quand le stock a atteint un seuil alarmant, ont induit la diminution des
« dérogataires » (navires dépassant les 185 kW).
Les rendements horaires des navires ne suivent l’évolution du stock et des débarquements. En effet, la puissance
moyenne est, passée de 74 kW en 1973 à 96 kW en 1982, puis à 132 kW en 1990 pour diminuer légèrement au
cours de la dernière décennie. Actuellement, le rendement horaire moyen pas navire est comparable à celui du
milieu des années 70. La biomasse du stock était alors de 30% supérieure et les captures totales atteignaient près du
double du niveau actuel. Cette intensification de la pêche en raison d’une régulation de plus en plus contraignante
des moyens de production et en l’absence d’une allocation individuelle du quota global (TAC) génère des effets
pervers non négligeables en matière de sécurité à bord des navires. Au cours de la même période, le temps de pêche
autorisé par navire est passé de 120 à 43 heures par saison de pêche (-64%).
500
400
>185 kW
300
200
120-185
kW
60-120 kW
100
<60 kW
8
5
2
9
1
20
0
19
9
19
9
19
9
19
8
3
0
7
6
19
8
19
8
19
8
19
7
4
0
19
7
nombre de navires
navires titulaires de la licence coquille St-Jacques
saison de pêche
Figure 7. Baie de Saint-Brieuc. Evolution des navires selon la catégorie de puissance motrice. Saisons de pêche
1974/1975 à 2001/2002.
2.4.3. La capacité de capture en fonction de la puissance motrice et du progrès technique.
Le rôle de la puissance motrice dans l'augmentation de la capacité de capture a déjà été analysé sur les groupes
d’âge principaux (2 et 3) ciblés lors des opérations de pêche. La capacité de capture est une fonction croissante de
l’abondance du groupe en question et de la puissance motrice moyenne. Mais, ce concept testé et validé sur les
cohortes nées entre 1972 et 1981 (fig. 8) n'est valable que pour les années d’exploitation de ces cohortes. D'un côté,
au début de la mécanisation, il y avait vraisemblablement peu d'impact de la puissance motrice sur la capacité de
8
capture exception faite de la faculté des déplacements rapides en cas de puissance élevée2. De l'autre côté, les
années récentes caractérisées par de nouvelles limitations des puissances motrices et par le développement
informatique embarquée amenuisent l'effet de la puissance motrice qui n’explique plus que 25% de la capacité de
capture vis-à-vis du groupe d'âge 2. De plus, la pêcherie du recrutement des années 60 et 70 n'est plus valable du
fait de l'augmentation du diamètre des anneaux métalliques des dragues : par conséquent, on doit maintenant se
référer à l'ensemble des âges.
En utilisant des données issues de l'échantillonnage des captures commerciales depuis 1974 et en calibrant les
résultats par les campagnes annuelles d'évaluation directe de la ressource afin d'intégrer les captures frauduleuses
au calcul des mortalités par pêche, nous avons analysé la capacité de capture tous groupes d'âge confondus. Le
modèle est composite, il explique la capacité de capture en fonction de la puissance motrice moyenne corrigée par
un coefficient d'assimilation du progrès technique (noté α) au-delà d'une année limite (notée Lim ; fig. 8).
A la lumière de ces résultats significatifs, on constate une augmentation annuelle moyenne de la capacité de capture
de 12 à 14% avec un renforcement notamment au milieu des années 80 provoqué par l'apport de navires neufs
(système de subventions à la pêche de l'époque). Actuellement, sans augmentation de la puissance motrice
moyenne (stabilisée à 170 ch/125 kW) depuis une quinzaine d'années, le progrès technique apporte un
accroissement de la capacité de capture de 2,5% par an.
La capacité de capture donne une mesure de la mortalité par pêche "vue par le pêcheur". Afin d'examiner la
mortalité "vue par la coquille Saint-Jacques", nous devons intégrer dans les calculs la sélectivité liée aux engins de
pêche (fig. 9). On peut déduire que la sélectivité masque l'évolution de la capacité de capture : les augmentations
successives des maillages ont réduit les coefficients instantanés de mortalité par pêche F aux alentours de 0.4 par an
contre 0.7 il y a 25 ans. Avant l'adoption des quotas globaux (TAC), la pêcherie de recrutement il y a une trentaine
d'années était caractérisée par de fortes fluctuations annuelles de la mortalité par pêche F.
0.6
150 ch
R²=.9719
capacité de capture
0.5
125 ch
0.4
100 ch
75 ch
0.3
0.2
0.1
0
0
50
100
150
200
250
300
350
2000
2005
6
abondance du recrutement (10 individus)
capacité de capture (tous groupes d'âge
confondus)
2.5
Lim = 1989
α = 0.025
2
1.5
1
0.5
0
1970
1975
1980
1985
1990
1995
année
Figure 8. Baie de Saint-Brieuc. En haut : la capacité de capture (exemple du groupe d'âge 2) en fonction de
l'abondance du groupe (cohortes nées entre 1972 et 1981) et de la puissance motrice moyenne. En bas : Modèle de
capacité de capture (exprimée comme mortalité par pêche à un effort de pêche de 20000 h après dissociation de la
composante de sélectivité) tous groupes d'âge confondus.
2
A Saint-Brieuc, la drague à volet dépresseur introduite en 1968 et le remplacement des treuils mécaniques par hydrauliques à partir de 1970-1972 ont
constitué deux étapes déterminantes au rôle explicatif de la puissance motrice à la capacité de capture.
9
mortalité par pêche (avec composante de
sélectivité)
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
année
Figure 9. Baie de Saint-Brieuc. Evolution de la mortalité par pêche tous groupes d'âge confondus avec effet de
sélectivité lié aux maillages.
2.5. Suivi scientifique direct.
2.5.1. Les gisements majeurs.
L’état des stocks des deux principaux gisements est évalué chaque année par une campagne scientifique, (fig. 10;
COSB : baie de Saint-Brieuc ; COMOR : baie de Seine).
Ces campagnes annuelles s'inscrivent dans la fonction d'observatoire de la dynamique des principales ressources
exploitées en Manche, confiée aux Laboratoires Côtiers du Département des Ressources Halieutiques de
l'IFREMER (Brest et Port en Bessin). Elles permettent d’estimer des indices d’abondance par groupe d’âge et par
zone, la biomasse totale, adulte et exploitable, la structure en taille de la population, la répartition spatiale de la
coquille et de la faune associée ainsi que les paramètres de la croissance individuelle. Les expertises qui en
résultent servent de support aux organisations professionnelles et à l’Administration des Pêches pour la
planification des campagnes de pêche (calendrier de la saison, évaluation de l'effort de pêche nominal, quota global
annuel en baie de Saint-Brieuc). Par ailleurs, des échantillonnages des captures commerciales réalisés au cours de
la saison de pêche permettent de calibrer les résultats entre deux campagnes successives d'évaluation directe et de
statuer sur le profil de croissance individuelle par année et groupe d'âge (fig. 11).
10
A)
B)
Figure 10. Exemple de stratification spatiale appliquée lors des campagnes IFREMER d'évaluation directe des
stocks principaux de coquilles Saint-Jacques. A) campagne COSB en baie de Saint-Brieuc ; B) campagne COMOR
en baie de Seine et proche extérieur.
11
80.00
70.00
60.00
1 an
% par âge
50.00
2 ans
3 ans
40.00
4 ans
5 ans
30.00
6 ans et +
20.00
10.00
0.00
1997
1998
1999
2000
2001
2002
année de campagne
A)
70.00
60.00
% par âge
50.00
2 an s
40.00
3 an s
4 an s
5 an s
30.00
6 an s e t +
20.00
10.00
0.00
1997
1998
1999
2000
2001
2002
saiso n de p êche
B)
Figure 11. Baie de Saint-Brieuc. Structure en âge du stock de coquilles Saint-Jacques d’après les campagnes à la
mer (A) et structure des captures commerciales en criée (B). Les juvéniles d’âge 1 et 2 sont les plus abondants dans
le stock et la pêche, exploite surtout les groupes d’âge 2 à 4 selon les années.
12
2.5.2. Les commissions de visite de la rade de Brest.
En rade de Brest, la production limitée et l'absence de quota global ne justifient pas un investissement important de
l'IFREMER en moyens humains et matériels pour suivre cette ressource. Des suivis annuels par prospection
journalière sur quelques secteurs de la rade sont assurés sous la responsabilité de l'Administration Maritime et avec
l'appui du CLPM du Finistère Nord. Ces éléments sont complétés par le suivi de l'UBO portant sur la variabilité
spatiale et temporelle de la croissance individuelle à l'aide des stries journalières (cf. accidents environnementaux à
l'image de l'été 1995) ainsi que sur l'évolution de la population coquillière au sein du peuplement de mollusques
filtreurs (en intégrant notamment les relations de compétition avec la crépidule).
Lors de la commission de visite de septembre 2003, le compte rendu rédigé par l'IFREMER signalait la forte
variabilité géographique de la rade. Ainsi, en comparant les données de 2002 et 2003, Roscanvel et le Caro étaient
des zones caractérisées par une augmentation du potentiel immédiatement exploitable (avec respectivement +70%
en effectif et +112% en poids, +10% en effectif et +25% en poids) tandis que les secteurs du Triangle et de
Lanvéoc présentaient une diminution aussi bien en effectif qu'en poids (respectivement, -19% en effectif et -6% en
poids au Triangle, -36% en effectif et -27% en poids). En globalisant tous les traits, on obtenait une moyenne
traduisant une décroissance en effectif de l'ordre de 6% alors que le poids était supérieur de 9%. Toutefois, ces
valeurs moyennes, simples indices de tendance, ne doivent pas être utilisées comme indicateurs prévisionnels de la
production du fait de la forte variabilité observée entre les zones. La production de l'ensemble est toujours
dépendante de la répartition de la pression de pêche sur les divers secteurs.
Le faible gain en poids malgré une diminution des effectifs était la conséquence observée de l'apport des animaux
nés en 2000 issus d'une reproduction de bon niveau, elle-même vraisemblablement imputable aux conditions
climatiques exceptionnelles depuis le printemps 2002. Compte tenu de la diminution moyenne des effectifs et
malgré l'augmentation pondérale, une exploitation prudente était recommandée pour la saison de pêche 2003/2004.
La gestion devrait intégrer les éléments liés à la contribution du semis au potentiel exploitable dans chaque secteur
qui était élevée au Caro, mais faible à Roscanvel et à Saint-Pierre.
2.5.3. Le contrat des baies (1994-1996).
Au cours des années 90, le souci de compréhension et de maîtrise de l'évolution de l'écosystème de la rade, a mené
à la réalisation d'études multidisciplinaires dans le cadre du contrat des baies avec la Communauté Urbaine de Brest
(CUB). L'IFREMER, en collaboration avec l'IUEM, s'est vu chargé d'un suivi direct de la ressource coquillière par
dragages expérimentaux associés à des plongées sous-marines destinées à calibrer l'efficacité de pêche de l'engin de
prélèvement. Deux campagnes ont été effectuées, en 1994 et 1995.
Les résultats de ces campagnes montrent la relative richesse des secteurs rocheux (densités de l'ordre de 2,5 fois
celles des zones accessibles aux dragues). La structure en âge de la population, montrait l'absence quasi-totale
d'animaux nés en 1995 du fait de l'accident climatique de l'été précédant l'évaluation (marée de dinoflagellés,
Gyrodinium sp.). Par ailleurs, une certaine fragilité démographique était mise en évidence du fait de la
prédominance d'une classe d'âge née en 1994 (une de plus abondantes des dernières années, toutefois, de 5 à 7 fois
inférieure aux recrutements moyens des années 50) : dans ce contexte, l'IFREMER avait recommandé à l'époque
une exploitation prudente sur deux saisons de pêche consécutives afin de stabiliser les apports et de palier
partiellement à la mortalité des animaux nés en 1995.
Tableau 6. Rade de Brest : cartographie de la population de coquilles Saint-Jacques en
1995
strate
biomasse
biomasse
effectif
poids
%
(millions)
totale
exploitable
moyen
d'animaux
(tonnes)
(tonnes)
(g)
nés en 1994
1 (fonds dragables)
362
177
4,42
82
62
2 (fonds rocheux)
399
267
3,94
101
51
total
761
444
8,35
91
57
13
9 0
4 0 0
effectif (milliers)
effectif (milliers)
5 0 0
3 0 0
G r 1
2 0 0
1 0 0
6 0
G r 2
3 0
0
0
4 0
6 0
8 0
1 0 0
1 2 0
4 0
6 0
h a u t e u r (m m )
1 0 0
1 2 0
8 0
6 0
G r 3
4 0
2 0
effectif (milliers)
8 0
effectif (milliers)
8 0
h a u t e u r (m m )
6 0
G r 4
4 0
2 0
0
0
4 0
6 0
8 0
1 0 0
4 0
1 2 0
6 0
8 0
1 0 0
1 2 0
h a u t e u r (m m )
h a u t e u r (m m )
4 0
4 0
effectif (milliers)
effectif (milliers)
6 0
G r 5
2 0
3 0
G r 6+
2 0
1 0
0
0
4 0
6 0
8 0
1 0 0
1 2 0
4 0
h a u t e u r (m m )
6 0
8 0
1 0 0
1 2 0
h a u t e u r (m m )
Figure 12. Rade de Brest, année 1995. Structure en taille de la population par groupe d'âge.
Conclusion
Les stocks de coquilles Saint-Jacques en Bretagne Nord ont constitué des ressources structurantes au fil des années,
en raison des mutations successives des flottilles de pêche. De ce fait, elles font l'objet d'évaluation par méthodes
directes ou indirectes, notamment le gisement majeur de la baie de Saint-Brieuc. Actuellement, et ceci est valable
pour la totalité des stocks bretons, la capacité de capture continue à se développer grâce à l'assimilation du progrès
technique apporté par l'informatique à bord. Alors qu'auparavant la capacité de capture augmentait à plus de 10%
par an (12 à 14% en baie de Saint-Brieuc) en fonction de la puissance motrice et en raison du système de
subvention de la flotte, elle doit croître actuellement à un rythme annuel de près de 2,5 à 3% malgré la stabilisation
de la puissance motrice par les mesures réglementaires. De ce fait, même si les mesures biologiques de gestion
semblent bien adaptées, la surexploitation économique est déjà largement atteinte.
Par la passé, la rade de Brest a longtemps été le principal gisement dans la région. Après un effondrement dans les
années 60 et 70, son potentiel de production allait croissant depuis plusieurs années grâce à la conjonction des
facteurs climatiques et des apports par aquaculture extensive. Même si le chiffre d'affaires généré par son
exploitation se révèle inférieur à celui de l’exploitation des praires, il s'agit d'une ressource localement vitale.
L'accident environnemental ASP handicape l'économie maritime locale surtout pour les navires possédant les
moyens de capture les plus modestes.
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