ces crimes institutionnalisés dont on est censé rire
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ces crimes institutionnalisés dont on est censé rire
Bizutages, ces crimes institutionnalisés dont on est censé rire Entretien avec Solenn Colleter1, romancière et ingénieure en aéronautique propos recueillis par Laurence Schaefer Rendu illégal sous le ministère de Ségolène Royal, le bizutage se camoufle désormais derrière des vocables plus conviviaux pour pérenniser sa panoplie de barbaries traditionnelles. Ces pratiques font certes l'objet d'une vertueuse réprobation consensuelle, mais cependant, nombre de directeurs d'établissements, de professeurs, de bizuteurs et de bizutés euxmêmes continuent de les couvrir et de les minimiser. Ainsi reconduit-on d’année en année une violence qui, loin de représenter un épiphénomène relativement anodin, fonde et pérennise certains types de rapports sociaux, notamment dans le monde du travail. Dans son roman " Je suis morte et je n'ai rien appris1 ", Solenn Colleter en dénonce et démonte les mécanismes insidieux. 1. Solenn Colleter travaille à Toulouse et vit dans un village de l'Aude. Son ouvrage, édité chez Albin Michel (2005), a remporté les Prix Monte Cristo, Prix Bernard Palissy, Prix du Rotary International, Prix du Festival de Chambéry, Prix des lycéens d'Agen, Prix des lycéens de Villeneuve sur Lot. 17 Sens-Dessous - février 2010 Sens-Dessous — Le bizutage sévit-il toujours en France, malgré la loi ? Solenn Colleter — Le bizutage traditionnel, celui que j’analyse dans Je suis morte et je n’ai rien appris, est en nette régression depuis la loi de 1998 qui l’a érigé en délit. Il est souvent remplacé par des journées d’intégration, où l’on déplore surtout, une consommation déraisonnable d’alcool et les dangers (mortels) qui en découlent. Ces bizutages perdurent néanmoins dans un certain nombre d’établissements, généralement les plus élitistes : l’on y a trop conscience de sa propre supériorité pour admettre qu’un nouveau membre puisse intégrer le microcosme sans une épreuve majeure, qui servira à la fois de sélection et d’initiation. Les établissements militaires et les écoles « trop » privées, fermées, sont les plus susceptibles de dissimuler encore un bizutage pur et dur malgré la loi. Paradoxalement, ces bizutages commencent à apparaître dans des établissements plutôt médiocres, souvent récents, où l’on s’imagine qu’imiter ces pratiques permettra de se donner la même image d’excellence. Le Comité National Contre le Bizutage essaie de les cartographier mais se heurte à la loi du silence et à l’absence systématique de preuves. S.-D. — Justement, pourquoi les victimes de bizutages préfèrent-elles l'omerta à la dénonciation des faits ? Que d'ex-bizuts se transforment en tortionnaires l'année suivante, cela paraît incompréhensible ! S. C. — L’un des nombreux clichés contre lesquels veut lutter mon roman est cette fausse idée selon laquelle, après avoir été victime impuissante, le bizut sera heureux de se venger en humiliant à son tour, en s’élevant donc au rôle d’un bourreau pourvu du droit de s’amuser aux dépens du bizut. Mais ce mécanisme grossier, s’il est effectivement adopté par certains, n’explique pas tout. En fait, la dynamique globale relève plutôt du phénomène inverse. La scénarisation méticuleuse du bizutage vise à orchestrer la destruction de la personnalité avec ensuite une stupéfiante amnésie collective. On va remplacer chez le bizut les faits réels et leur ressenti par des souvenirs reconstruits et plus supportables. Lui donner l’impression qu’après une mort métaphorique, il renaît sous la forme d’un nouvel être humain, meilleur, plus valeureux, plus fort. Quelques rares victimes (« fragilité » ou trop grand esprit critique ?) n’adhéreront pas à l’heureux dénouement, au pardon général et à l’autosatisfaction béate ; cellesci auront du mal à se remettre de l’épreuve. Mais dans leur immense majorité, les élèves seront au contraire sincèrement convaincus du bienfondé de ce qu’ils ont subi. Et c’est en toute bonne foi, pour le bien 18 SOCIAL ET POLITIQUE collectif, comme un service à rendre au nouveau venu, que ceux-là accepteront de bizuter l’année suivante. Ce cadeau qu’ils ont reçu, ils se donneront pour mission de le transmettre à leur tour. Incroyable ? Mais vrai. Et mécaniquement inévitable. En effet, il existe deux mensonges forts que l’amnésie collective permet d’introduire dans l’esprit de la victime : elle aurait pu dire non, elle ne l’a pas fait, donc elle a consenti à ce qui lui est arrivé ; les bizuteurs n’étaient pas dangereux, si elle n’a pas osé résister, c’est qu’elle a été lâche. Quiconque déciderait de ne pas bizuter admettrait par là même qu’il n’adhère pas à ce qu’il a subi l’année précédente. Qu’il se souvient des larmes et des vomissements, de la peur et des humiliations, de la déshumanisation, des actes dégradants qu’on l’a amené à commettre. Et à tout cela, il aurait été incapable de dire non, il aurait même consenti ? Difficile à admettre. Destructeur. Mieux vaut en effet oublier. Ne surtout pas se poser de questions, souscrire corps et âme à la version qu’on vous suggère : ce bizutage est une tradition de longue date, un privilège grâce auquel les membres de l’établissement acquièrent des qualités toutes particulières, sont par exemple amis pour la vie, solidaires, et tutti quanti. Autant de valeurs aussi prétentieuses que mensongères. Ne reste plus qu’à accomplir l’étape suivante, bizuter à son tour, acte après lequel la victime devenue bourreau aura dépassé le point de nonretour : le souvenir d’avoir subi les sévices les plus dégradants est en lui-même intolérable, alors que deviendrait l’individu qui s’apercevrait soudain qu’il a torturé son prochain pour des raisons non fondées ? Bien sûr, en faisant l’expérience de la toute-puissance, certains découvriront parfois qu’ils prennent plaisir à violenter leur prochain… mais ceci est un autre sujet. S.-D. — Quels sont les vrais enjeux idéologiques d'un bizutage ? Comment expliquer par exemple que de hauts commis de l'Etat trouvent intérêt à faire perdurer ces pratiques ? S. C. — Bien qu’il soit difficile d’apporter à cette question une réponse unique et définitive, il convient au moins de remarquer les similitudes entre le bizutage étudiant et la société dans laquelle nous évoluons, où l’on cherche quotidiennement à annihiler l’esprit critique : l’être humain est prié de s’effacer derrière le consommateur ; le citoyen éclairé, derrière l’électeur qui glisse docilement son bulletin dans l’urne pour que soit préservée une apparence de démocratie. Que chacun ferme les yeux, aboie avec les loups… et les moutons seront bien gardés. 19 Sens-Dessous - février 2010 Considérons aussi, plus précisément, le monde du travail et de l’entreprise. Le management moderne repose en grande partie sur l’infantilisation du salarié. Sur son besoin d’être aimé, accepté par le groupe de ses pairs, reconnu par la figure paternelle que représente le chef. Carotte et bâton, il faut que le salarié accepte de plaire à son chef, mais aussi qu’il le craigne. Ainsi il aspirera à lui ressembler, progresser, devenir calife à la place du calife, gravir une à une les marches d’un escalier sans mettre en cause la raison d’être de l’escalier lui-même… mais aussi à quitter le statut de victime en devenant bourreau à son tour. Le management moderne postule que ce mécanisme l’incitera à se plier aux usages sans les questionner, acceptera de suivre les orientations les plus injustifiées, avec même la crispante bonne humeur d’usage destinée à prouver l’allégeance à l’entreprise. L’échelle hiérarchique est souvent arbitraire, le fond plus important que la forme, la qualité du travail moins valorisée que la communication qui en est faite, les décisions les plus cruciales prises sur des bases purement politiques : dans ce contexte, n’est-il pas utile au salarié (et ce, jusqu’aux plus hauts niveaux) de perdre rapidement son esprit critique, de se comporter comme on le lui demande, soit en rouage interchangeable de la machine, pas en être humain dont il conviendrait de respecter les réalisations, l’éthique, la dignité ? L’individu est bien seul malgré le groupe, bien désemparé face à ses propres convictions et aux contradictions du système. Et les leaders seront ceux qui prouveront leur adhésion aveugle, par naïveté ou par cynisme, à l’environnement schizophrène dans lequel ils sont plongés. À l’inverse, sera exclu comme fragile celui dont l’éthique refuse de ployer, comme fauteur de trouble ou traître à la cause, celui qui fait preuve de lucidité. Ces similitudes permettent de supposer que le bizutage, loin d’exclure de l’élite française les plus fragiles des postulants, tente plutôt d’écœurer en amont les jeunes insoumis : ils risqueraient demain de refuser de jouer le jeu, désobéir ou refuser des promotions ou, plus grave, s’ils accèdent à leur tour aux responsabilités, de bouleverser l’ordre établi. S.-D. — Le bizutage peut donc être considéré comme la métaphore d'une prise de pouvoir totalitaire ? S. C. — Absolument. Le bizutage est d’abord domination par le groupe et prise de pouvoir physique. Grâce à une démonstration de force qui décourage la rébellion, il y a prise de possession brutale du corps de l’individu. Mais c’est surtout une prise de pouvoir psychologique : tout est mis en œuvre pour, dans un premier temps écraser l’individu et dans un 20 SOCIAL ET POLITIQUE deuxième temps, le gagner à la cause des bourreaux et du système qu’ils représentent... Car la prise de pouvoir physique va le contraindre aux épreuves les plus pénibles et à des actes dégradants : froid, manque de sommeil et de nourriture. Une fois l’individu physiquement harassé et moralement brisé, dégoûté de lui-même, haïssant ce qu’on l’oblige à faire ainsi que sa propre lâcheté, une scénarisation élaborée va imperceptiblement le faire passer dans le camp des bourreaux. Au point qu’il devient même facile à ceux-ci d’orchestrer sciemment un « syndrome de Stockholm » ! Et chaque victime de sexe féminin de tomber, de façon systématique, dans les bras du bourreau qui se la sera « réservée ». Les techniques de déshumanisation sont universelles. Pour ne citer qu’un exemple récent, les traitements infligés par les soldats américains dans la prison d’Abou Ghraïb étaient directement dérivés des bizutages qui ont cours dans leurs écoles militaires, comme West Point. Le même principe, la même inspiration, en poussant simplement les choses à peine un peu plus loin. Par les sévices et les mises en scène auxquels il fait appel, le bizutage repose sur des mécanismes identiques à ceux de la torture. Plus encore, de la rééducation par la torture où l’intérêt n’est pas simplement d’obtenir la docilité, mais l’adhésion pleine et entière, où la victime, à la fin, doit avoir abandonné ses convictions, ses valeurs, ne doit plus même savoir qui elle est. S.-D. — Valérie Pécresse a affirmé avoir subi " un bizutage très dur ". La lecture de votre roman l'a-t-elle incitée à faire preuve d'une vigilance accrue face à la persistance de ces pratiques ? S. C. — Valérie Pécresse a fréquenté les mêmes Classes préparatoires aux grandes écoles que moi, et y a subi le même « bizutage très dur ». À la sortie de mon roman, le CNCB le lui a adressé mais elle a refusé de s’exprimer. Invitée quelques jours plus tard à leur conférence de presse annuelle, elle n’a pas cru bon de s’y faire seulement représenter par un membre de son Ministère. Puis, après un battage médiatique qui lui a interdit de garder plus longtemps le silence, Madame Pécresse a affirmé son opposition au bizutage, arguant que, selon elle, il peut être nocif pour les élèves « fragiles ». Cet argument est contre-productif, et il montre à lui seul qu’elle-même est encore dupe du lavage de cerveau qu’elle a traversé étudiante. En effet, il sous-entend que seules quelques « chochottes » (comprenez : qui n’ont pas leur place au sein de l’élite française) trouvent à redire au bizutage. Un adolescent qui ne serait pas exagérément « fragile » devrait, lui, le trouver au pire acceptable, au mieux enrichissant. Le bizutage ne devient-il pas dès lors une forme de sélection salutaire ? 21 Sens-Dessous - février 2010 Or, les humiliations auxquelles l’étudiant est supposé se soumettre de bonne grâce rappellent celles auxquelles certains prisonniers se sont dérobés dans les camps allemands de la dernière guerre. D’aucuns ont préféré la mort à la perte de leur dignité, refusant des brimades qu’ils n’ont pas trouvées bénignes : se promener tenu en laisse, aboyer ou manger dans la gamelle d’un chien par exemple. Mais dans le cas des bizutages, on taxe de fragilité celui qui résiste, on vante la résistance physique et la force morale de celui qui se soumet. Inversion des rôles et des valeurs stupéfiante, et pourtant largement partagée. S.-D. — Ecrire un roman sur ce thème vous a-t-il permis d'exorciser votre traumatisme ? S. C. — Mon roman est un livre de résistance, pas le témoignage à visée thérapeutique d’une ex-bizute traumatisée. Certes, j’y ai insisté sur le fait que l’atteinte psychologique peut être grave et définitive, car celle-ci me paraissait dramatiquement mésestimée. Il faut savoir qu’aujourd’hui encore et malgré la loi, on abandonne des études prometteuses ou des projets de carrière suite à un bizutage. A la parution de mon livre, j’ai reçu nombre de témoignages non de victimes de bizutages (qui n’osent toujours pas parler), mais de parents. J’ai eu quelques mamans en larmes au téléphone, me parlant des changements de parcours spectaculaires, des dépressions, crises d’anorexie ou tentatives de suicide de leurs enfants. Mais dans mon cas personnel, je parlerais plutôt de stupéfaction et d’écœurement. Stupéfaction devant une violence encouragée et couverte par l’administration de l’établissement. Devant l’organisation méticuleuse de la semaine de bizutage, où tout est contrôlé et scénarisé, bien loin du déchaînement chaotique qu’on pourrait imaginer. Devant l’imparable dynamique psychologique, où des gosses de dix-huit ou vingt ans parviennent à briser la personnalité de leurs cadets avant que de la ressusciter, remodelée, au détour d’une amnésie collective à laquelle très peu parviennent à échapper. Ecœurement devant la ressemblance entre cette première expérience de la violence institutionnalisée et les phénomènes auxquels je me suis intéressée par la suite : les similitudes avec les abus sexuels, le totalitarisme et les tortures, la résistance et la collaboration, mais aussi l’organisation de l’entreprise ou les harcèlements divers. Il rappelle aussi le fonctionnement des pires sectes : « tu es un sous-homme, moins qu'un animal, un excrément, mais viens avec nous et tu deviendras quelqu'un ». Le bizutage n’est finalement qu’une trop banale émanation de la nature humaine. 22 SOCIAL ET POLITIQUE S.-D. — D'autres étudiants de votre école se sont-ils manifestés, suite à la parution de votre livre ? S. C. — Un seul l’a fait. Encore était-ce au hasard d’une rencontre fortuite, et avait-il été contraint à lire mon livre par des impératifs qui ne devaient rien à sa propre curiosité. Ayant dirigé le bizutage quelques années après la mienne, ce jeune homme a admis avoir assisté à d’innombrables évanouissements chez les nouveaux, compté une trentaine de crises de tétanie ou de spasmophilie, et déploré plusieurs blessures sérieuses. Il a salué l’honnêteté de mon roman, où « rien n’est exagéré » et où j’ai au contraire tenu à « mettre en évidence les aspects les moins noirs ». Notamment la bonne foi des bourreaux, leur rigueur, l’organisation qu’ils mettent en place pour éviter les débordements. Il dit approuver à présent l’interdiction du bizutage, « parce que ça peut faire du mal aux plus fragiles » (décidément !). Mais lui-même, conclut-il, a gardé du sien un excellent souvenir. S.-D .— Mais alors, doit-on désespérer qu'une victime parvienne à rompre le silence ? S. C. — Pour des raisons que j’expose dans mon roman, il est infiniment difficile de se déclarer victime d’un bizutage. Parce que les moyens matériels de s’enfuir et de porter plainte n’existent pas pendant le bizutage, et que lorsque celui-ci se termine, les souvenirs de l’étudiant ont été réécrits. Parce que, même lorsque les dits souvenirs demeurent cuisants, on se retrouve seul contre tous puisque les autres ont (en toute bonne foi) « retourné leur veste ». Parce que se plaindre signifie être pointé du doigt comme fragile, comme rabat-joie. Pas solidaire. Borné. Parce que l’on sait que pour se dédouaner, la direction de l’établissement va nier, présenter la victime sous un jour mensonger. Typiquement, elle prétendra que le jeune n’est pas devenu dépressif suite au bizutage mais qu’il a rejeté le bizutage parce qu’il était dépressif. Le jeune, selon elle, n’abandonne pas ses études à cause du bizutage, il cherche par tous les moyens à salir une école dans laquelle sa médiocrité ne lui aurait pas permis de rester. Parce que même si le bizutage est illégal, il n’est pas un délit prioritaire : un simulacre de viol ou de meurtre restera toujours moins grave qu’un viol ou un meurtre bel et bien perpétrés, n’est-ce pas ? D’où la crainte de moqueries, de ne pas être pris au sérieux, notamment par la police puisque c’est désormais à elle que doit s’adresser la plainte. Difficile de se prendre au sérieux soi-même, d’ailleurs, car il est impossible 23 Sens-Dessous - février 2010 de mesurer des séquelles qui ne sont que psychologiques. Parce que certains des sévices subis sont honteux, inracontables. Enfin et peut-être surtout, il y a la honte d’avoir été « consentant ». Car dans un bizutage bien organisé, un large pan de la manipulation mentale vise à faire croire à la victime, à posteriori, qu’elle aurait pu s’enfuir, qu’elle a un peu « aimé ça »… mécanisme que l’on retrouve dans le cadre des abus sexuels : c’est en culpabilisant l’enfant, en le convainquant que c’est « lui qui l’a voulu », qu’il n’a pas vraiment dit non, c’est en le privant, en somme, de son statut de victime qu’on achève de le détruire et qu’on s’assure définitivement de son silence. Difficile de porter plainte, donc. Le mal est fait. À titre individuel et à court terme, l’oubli paraît plus commode que la vengeance et le déballage sur la place publique. La seule motivation valable est d’empêcher que le rite se perpétue. Donc, une motivation altruiste. Mais alors que l’on est montré du doigt comme anormal, que l’on est mis à l’écart du groupe, se sent-on encore l’âme altruiste ? Sachant que l’immense majorité des nouveaux élèves finiront par l’aimer, ce bizutage de l’année prochaine, a-t-on vraiment envie de se battre pour qu’ils ne le subissent pas ? À moyen ou long terme, bien sûr, le silence est rarement une solution à la souffrance. Mais à mesure que la vie défile, il y aura d’autres priorités, des épreuves plus cruelles. Il y aura d’autres causes à défendre, étouffant la motivation altruiste ; laquelle s’éteindra même complètement si la victime, finalement, préfère supposer que le bizutage a disparu de son établissement, depuis l’époque où elle l’a subi. S.-D. — Quelle crédibilité accorder à ces hommes ou femmes – qui sont aujourd'hui des décideurs – dans la mesure où ils ont agi de manière humiliante et abjecte ? S. C. — Le bizutage est un processus très élaboré, dont il est difficile de ne pas être dupe, surtout au sortir de l’adolescence. Certes, le fait que nombre de nos grands décideurs aient été, trop aisément, transformés en soushommes puis en bourreaux l’espace de quelques semaines n’est pas à mettre à leur crédit. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont pires que les autres : simplement, ils ne sont pas meilleurs que les autres. Constat banal. Mais qui nous renvoie aux heures les plus sombres de notre Histoire, et illustre la nécessité de garder à l’esprit que les dirigeants démocratiquement élus d’un pays « civilisé » peuvent du jour au lendemain, selon les circonstances, user de méthodes ou épouser des causes absolument injustifiables contre lesquelles il convient de… résister. 24