HISTOIRE DE L`INTERMITTENCE

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HISTOIRE DE L`INTERMITTENCE
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
ANNEXE 1
HISTOIRE DE L’INTERMITTENCE
La lutte des intermittents du spectacle, même si elle semble nouvelle, est en fait une lutte
qui a été extrêmement longue et qui existe depuis plus d’un siècle : pour mémoire, la
première grève générale du spectacle date de 1919. Cela ne correspond donc en rien à
certains mythes qui circulent sur les origines des intermittents du spectacle : notamment
la date de 1936 qui, même si elle correspond à l’arrivée au gouvernement du Front
Populaire et la mise en place des conventions collectives, ne correspond pas à la création
du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle.
L’emploi dans le secteur artistique est intermittent depuis très longtemps ; au moins
depuis le début des années vingt. Les travailleurs de ce secteur n’étaient alors pas appelés
les intermittents du spectacle, mais les artistes du spectacle. Ils étaient payés au cachet,
au service (4 heures) ou, au mieux, à la pièce de théâtre : l’artiste était embauché au
début de la pièce jusqu’à la fin de celle-ci (cela pouvait donc durer plusieurs jours).
Le sociologue Mathieu Grégoire, qui a fait une recherche approfondie sur l’histoire de
l’intermittence du spectacle, a trouvé trois constantes prégnantes depuis un siècle1 :
 L’existence du contrat à durée déterminée ; ce qui suppose que la flexibilité a
toujours existé dans le secteur artistique.
 Le lien, dans la plupart des discours politiques et de la vie quotidienne, entre
« précarité » et « liberté ». Il est plus ou moins sous entendu que tous les artistes
1
Grégoire M., Un siècle d’intermittence et de salariat. Corporation, emploi et socialisation. Sociologie
historique de trois horizons d’émancipation des artistes du spectacle (1919-2007), 2009, http://www.iessalariat.org/IMG/pdf/thesegregoire.pdf
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et techniciens du spectacle sont certes « précaires » mais que cela leur donne une
certaine « liberté ». La précarité serait donc le revers de la médaille (comme si la
précarité était nécessaire à la création). Il serait donc naturel, lorsque l’on fait un
métier pour lequel on accorde du sens, de ne pas être payé forcément en regard
du travail effectué.
 Les artistes et techniciens du spectacle ont, eux, toujours lutté contre cette idée
que leur précarité était la contrepartie d’une liberté.
Au travers du siècle passé, les différentes luttes des intermittents ont eu pour but de
chercher des solutions pour tenter de résoudre l’équation qui relie la « flexibilité » de leur
travail et la sécurité économique. Depuis une vingtaine d’année, la notion de
« flexisécurité » se pose pour l’ensemble du salariat.
En étudiant l’histoire de l’intermittence, nous allons voir que des solutions ont été
inventées pour échapper à la précarité économique. Trois modèles ont été traversés au
cours du siècle dernier. Certaines des solutions proposées reviennent aujourd’hui dans le
débat.
Première période : LA CORPORATION
Nous retrouvons ce premier modèle dans l’entre-deux-guerres, c'est-à-dire jusqu’en
1936. Le marché de l’emploi du spectacle était alors extrêmement libéral (comme nous
pouvons le retrouver aujourd’hui dans les pays anglo-saxons). L’Etat n’intervenait pas et
ne régulait pas celui-ci.
Ce sont alors les organisations syndicales ou des professions organisées qui ont eu l’idée
de maîtriser le marché du travail.
Ces
organisations étaient :
l’Union des
artistes
(qui
regroupait
les
artistes
chorégraphiques, cinématographiques, dramatiques et lyriques) et la Fédération du
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spectacle qui rassemblait l’essentiel les musiciens de province (les musiciens parisiens
étant autonomes car ils n’avaient pas voulu choisir entre la CGT et la CGTU2).
En l’absence de régulation étatique, les travailleurs revendiquent la souveraineté
syndicale, et vont organiser eux-mêmes le marché du travail et tenter de l’imposer aux
employeurs.
Il y avait deux moyens de pression pour s’imposer sur le marché du travail et exiger « le
tarif syndical », décidé par les représentants des travailleurs (ce principe corporatiste est
très éloigné des conventions collectives ou encore des salaires négociés qui verront le
jour avec le Front Populaire) :
 contre les employeurs, le moyen de pression était la mise à l’index : dans le
bulletin syndical était publié le nom de tous les employeurs qui refusaient les
conditions qui étaient imposées par le syndicat. Dès lors qu’un employeur avait
son nom mis à l’index, il était interdit à tous les syndiqués de travailler pour lui. Il
faut savoir qu’à l’époque, le taux de syndicalisation était très élevé (environ deux
tiers des artistes dramatiques et quasiment cent pour cent des musiciens étaient
syndiqués). Le rapport de force permettait donc de pouvoir imposer un certain
nombre de règles aux employeurs.
 contre les artistes, le moyen de pression était le pilori : il consistait à publier le
nom des travailleurs qui ne se soumettaient pas à la discipline syndicale et
passaient outre les tarifs fixés par le syndicat. Cela impliquait l’interdiction aux
syndiqués de travailler avec eux durant quelques années : c’était une manière de
détruire professionnellement les travailleurs qui ne respectaient pas la discipline
syndicale. Nous voyons bien que nous sommes éloignés de la solidarité comme
valeur, mais qu’il s’agit plutôt d’une solidarité fonctionnelle. Cela avait la
2
En juillet 1921, la CGT se scinde au congrès de Lille. D’un côté la CGT réformiste de Léon Jouhaux et de
l’autre la CGT Unitaire, révolutionnaire. En 1936, La CGT et la CGTU se réunifieront au congrès de Toulouse.
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particularité d’empêcher la concurrence de tous contre tous (ce qui est la
dynamique essentielle du marché), et d’éviter de faire baisser les salaires3.
Il existait deux variantes dans ce système de régulation du marché :
 A l’Union des artistes, qui ajoute à l’époque une autre manière de rendre solvable
les travailleurs, en créant la rareté. L’idée est d’exclure l’excès de main d’œuvre,
pour que ceux qui restent puissent vivre dignement de leur métier. Il s’agit de
diminuer le nombre de personnes qui peuvent prétendre aux emplois disponibles
dans le secteur (autorégulation de la profession). Pour l’Union des artistes, il y a
trop « d’artistes mauvais ».
Cela s’accompagne de la création d’une licence d’artiste dramatique et d’une prise
en main par l’Union des artistes de ce qui pourrait s’apparenter à un « ordre » des
artistes (comme l’ordre des médecins actuellement). Mais cette licence n’a jamais
vraiment fonctionné.
Cela avait également des conséquences très fortes sur la façon d’envisager la
solidarité au sein de l’union : elle est plutôt contre le système de l’assurance
chômage, qui s’installe déjà dans les années trente, et préfère la charité. Le « gala
des artistes » (aujourd’hui présenté par France 2) est un grand exemple de charité
créée à cette époque par l’Union des artistes (c’est le début du «charity
business »).
 La seconde, à la Fédération des artistes qui, à l’inverse, fonctionnait sur la plus
grande ouverture possible à l’accès au marché du travail, et avait pour ambition
de syndiquer quiconque se présentait sur celui-ci : on obligeait de ce fait les
musiciens à respecter la discipline syndicale. Le Fédération finançait
l’indemnisation chômage sur la cotisation syndicale. Malheureusement, cela n’a
pas pu durer très longtemps car les finances du syndicat n’étaient pas suffisantes.
3
Cette façon de fonctionner se retrouve aujourd’hui chez les Dockers, chez les ouvriers du livre, et surtout
dans la production audiovisuelle à Hollywood, aux Etats-Unis (le marché s’y trouve segmenté et les
syndiqués travaillent avec les grandes Major et les non-syndiqués avec des producteurs indépendants).
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Deuxième période : L’EMPLOI
Ce modèle de corporation s’éteint en 1936. Toutes les organisations se fédèrent dans un
seul syndicat : la Fédération du spectacle, au sein de la CGT, qui devient alors dominante.
Un seul mot va alors mener la danse : l’emploi. On va favoriser l’emploi par tous les
moyens et donc tenter de stabiliser la main d’œuvre.
En effet, à partir de 1936, une procédure d’extension des conventions collectives est mise
en œuvre. Grâce au Front Populaire, la France sort d’un marché totalement libéral. Le
pouvoir politique est alors capable de se positionner et de dire qu’un accord signé entre
deux parties contractantes est valable pour toute une branche, et pas seulement pour les
deux premiers signataires. Le ministre du travail a alors le pouvoir d’étendre la
convention collective, et « désormais, c’est l’état, et non plus le syndicat qui, par la force
obligatoire des conventions collectives, est garant du respect des tarifs et des conditions
d’emploi. Ce n’est plus l’offre de travail qui s’autorégule, mais l’emploi lui-même qui est
régulé »4.
A partir de ce moment là, la CGT va lutter de manière farouche pour la structuration des
conventions collectives dans tous les domaines du spectacle, de l’opéra, du cinéma etc.
Elle se battra plus tard pour rassembler les nombreuses conventions collectives en deux
modèles, un pour le spectacle vivant, l’autre pour le spectacle enregistré5.
Au sein des conventions collectives, qui régulent les termes de la relation salariale, il est
acté que les salaires ne doivent plus varier au gré du marché mais être fixés.
4
Grégoire M., Les intermittents du spectacle Enjeux d’un siècle de luttes, Editions La disputeTravail et Salariat, 2013., p 67 -69
5
A la fin des années 70, il existait plus d’une trentaine de conventions collectives dans le secteur.
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A partir de 1945, le Conseil National de la Résistance6 définit un programme qui donne
des droits sociaux étendus à tous les salariés : la retraite, l’assurance maladie, les
allocations familiales.
Ce sont des avancées considérables, mais le souci qui se présente très vite pour les
salariés intermittents, (et qui est encore présent aujourd’hui), est que tous ces droits sont
très largement fondés sur le modèle de l’emploi stable : c’est en effet l’emploi stable qui
devient le support essentiel de la sécurité sociale par le biais des cotisations sociales. La
protection sociale est alors fondée sur une solidarité à l’échelle du salariat tout entier à
travers les mécanismes de la cotisation.
Les salariés du spectacle, deviennent des salariés de seconde catégorie. Le fait que leurs
emplois soient discontinus implique que leurs cotisations le soient également. Ils se
retrouvent inadaptés à un système de cotisation dont la norme est l’emploi stable
(contrat à durée indéterminé à plein temps), et peuvent n’être que partiellement
couverts par la protection sociale.
L’intermittence de l’emploi devient un véritable handicap par rapport aux autres salariés.
La CGT, seul syndicat existant, va alors énoncer la nécessité de stabiliser l’emploi, et
promouvoir le plein emploi, qui implique une augmentation de la production. Il s’agit
pour les salariés du spectacle de cesser d’être précaires, et d’assurer à chacun une
quantité d’emploi suffisante, et de l’assurer pour tous.
Cela vient à admettre que « l’exigence de plein-emploi a pour nécessaire corollaire la
défense de la production » et qu’il devient nécessaire de reconnaître « que tout travail
mérite d’être sanctionné non seulement par un salaire, mais surtout comme emploi »7.
C’est notamment ce qui se passe lorsque la CGT soutient toutes les politiques culturelles
de décentralisation qui se mettent en place après-guerre, avec l’idée que l’on va faire des
troupes permanentes, avec des acteurs permanents, des danseurs permanents etc. C’est
6
Le Conseil National de la Résistance (CNR) était l'organe qui a dirigé et coordonné les différents
mouvements de la Résistance intérieure française, de la presse, des syndicats et des membres de partis
politiques hostiles au gouvernement de Vichy à partir de mi-1943.
7
Grégoire M., op. cit., p 64
6
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l’idéal poursuivi par le syndicat, même si la réalité est loin d’être celle de l’emploi
permanent. Les slogans des manifestations d’alors sont pour « la garantie de l’emploi ».
La « garantie de l’emploi » signifie essentiellement l’existence d’emplois spécifiés dans les
conventions collectives. L’idée générale est d’obliger les employeurs à assurer des quotas,
des effectifs, dans chacune des structures. Cela n’a jamais été effectif.
Les discours de ces années là sont essentiellement axés autour du pourcentage exorbitant
de chômeurs dans ce secteur. On peut entendre des chiffres faramineux comme « quatre
vingt pour cent de taux de chômage ». Mais pour un intermittent, cela n’a pas de sens
puisque la mesure du chômage est très conventionnelle. En fait, ce chiffre de quatre vingt
pour cent ne veut pas dire qu’il faut multiplier par quatre ou cinq la quantité de travail à
se partager, ni augmenter d’autant la production de spectacle. Ce qui est défendu alors,
c’est principalement qu’il faut reconnaître l’ensemble du travail effectué comme relevant
de l’emploi. Autrement dit, la CGT revendique que tout le travail invisible et non reconnu
(par exemple les répétitions qui ne donnent pas lieu à salaire), donne lieu à
indemnisation. Elle l’obtient.
Elle revendique ensuite que, non seulement cela doit être une indemnisation, mais du
salaire donnant lieu à des cotisations : elle va également l’obtenir.
L’idée de la CGT est vraiment de faire payer aux employeurs tout le travail effectué. Il
devient donc important de le mesurer de manière précise : il faut que l’ensemble du
travail et de l’emploi relève de la même logique.
C’est ainsi qu’elle structure de façon très précise l’amateurisme, qui devient alors une
pratique de loisir. A ce moment là, la position de la CGT est que l’on ne peut pas travailler
en semi-professionnel, être payé « un petit peu », ou avoir d’autres ressources à côté. Elle
veut que tout le travail soit de l’emploi, et tout le non-travail du non-emploi. Donc que les
amateurs soient reconnus comme bénévoles et ainsi renvoyés à une pratique de loisir.
Quelles sont alors les difficultés de ce schéma et son inadaptation à la réalité de ces
métiers ?
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Le syndicat se trouve à expliquer à des artistes, à des techniciens qu’il vaut mieux ne pas
travailler que de travailler hors des clous du marché du travail, du droit du travail, et des
conventions collectives. C’est alors un problème essentiel parce beaucoup de jeunes
artistes (notamment à la fin des années 70), qui sont de plus en plus nombreux à
s’engager dans des aventures artistiques, préfèrent travailler sans être totalement
déclarés, plutôt que de ne pas être en activité de création. La CGT tient le discours qu’il
vaut mieux aller travailler à l’usine et avoir cette activité en dilettante, plutôt que de ne
pas respecter le droit du travail. Les deux figures mises en avant par le syndicat à l’époque
pour dire qu’il ne faut avoir cette activité hors de l’emploi, sont celles de la femme de
PDG ou du fils à papa. Ce sont deux figures qui ont un second revenu leur permettant
d’avoir une activité artistique en dilettante sans nécessité de gagner leur vie avec. Le
spectre qui fait alors le plus peur au syndicat, est le bi-professionnalisme8. A travers ces
figures sont désignés ceux qui sont obligés d’avoir un « vrai métier » pour pouvoir être
comédien, musicien etc.
Troisième période : LA SOCIALISATION
La deuxième source de revenus nécessaire aux travailleurs du spectacle dans un secteur
où le plein emploi ne s’est pas imposé, n’est pas venue de la rente (le mari PDG ou le
riche papa). Elle est venue, de manière tout à fait accidentelle, de l’assurance chômage,
lors de la création des annexes 8 et 109 de l’Unédic10. En effet, la volonté du
gouvernement de l’époque est de rendre obligatoire le régime conventionnel de chômage
à l’ensemble des salariés. La CGT n’entrevoit pas un seul instant ce qu’il va se passer par
8
La nécessité du bi-professionnalisme dans les métiers du spectacle est quelque chose qui est connu dans
de nombreux pays (en Italie, aux Etats-Unis…).
9
En 1964, mise en place de l’annexe 8 au régime général d’assurance chômage qui s’applique au secteur
cinématographique. Elle est ensuite étendue aux techniciens du disque et de l’audio-visuel. En 1968,
création de l’annexe 10 : les artistes interprètes sont intégrés au régime intermittent, puis les techniciens
du spectacle vivant. Les annexes 8 et 10 se distinguent de l’annexe 4 qui concerne les travailleurs
intérimaires exerçant des métiers non artistiques.
10
L’Unédic est une association loi 1901 créé en 1958. Elle est chargée par délégation de service public de la
gestion de l’assurance chômage en France. C’est à la fois un organisme de négociation entre les partenaires
sociaux (patronats et syndicats), et de gestion des cotisations patronales et salariales.
8
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la suite ; à ce moment là, elle ne voit pas les annexes 8 et 10 comme quelque chose de
fondamental, mais plutôt comme le dernier droit qu’il fallait acquérir après des combats
extrêmement forts sur les retraites, sur l’assurance maladie, etc.
C’est en 1964 qu’est créée, à titre expérimentale, l’annexe 8 pour les techniciens du
cinéma. Après un an d’expérimentation, le Conseil National du Patronat Français (CNPF)
ne souhaitait pas continuer l’expérience et l’Unédic annonce son intention d’y mettre fin
dès 1966. En fait, en 1967, le gouvernement Pompidou veut rationnaliser l’assurance
chômage et y intégrer des catégories de salariés qui en étaient exclues pour des raisons
différentes. En effet, l’adhésion était alors volontaire. Les syndicats d’employeurs
choisissaient d’adhérer librement à l’Unédic (les employeurs du spectacle n’étaient pas
adhérents). Les ordonnances sur l’emploi de 1967 vont étendre le champ de l’assurance
de chômage de l’Unédic à l’ensemble des salariés. C’est Jacques Chirac, alors jeune
secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales (chargé de l’emploi), qui va agréer cette annexe le
28 février 1968. On va y retrouver les Dockers, les VRP, les hôtesses de l’air et… les
artistes du spectacle. C’est donc à ce moment là que les artistes du spectacle intègrent
l’Unédic. Cependant il est à noter que « ni l’aide publique en place depuis la Libération, ni
l’obligation faite à l’Unédic d’intégrer les travailleurs du spectacle en 1967 ne sont (…) au
fondement d’une ressource socialisée indemnisant l’intermittence des engagements »11.
Jusqu’en 1979, l’indemnisation du chômage demeure très marginale pour les artistes et
les techniciens du spectacle. En effet pour accéder à l’indemnisation chômage dans
l’annexe 10, il fallait faire mille heures de travail, durant les douze mois précédents la fin
de contrat. Seuls des artistes travaillant énormément (lors d’une longue exploitation d’un
spectacle ou d’une une énorme tournée) pouvaient donc se retrouver indemnisés. Mais il
existait des périodes de carence et de franchise extrêmement longues. Cela impliquait
que même ceux ayant suffisamment travaillé, devaient souvent attendre de très longues
périodes avant de déclencher une indemnisation chômage. Autrement dit, cela relevait
de l’exceptionnel et ne concernait quasiment personne.
11
Grégoire M., op.cit., p 117
9
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En 1979, la CGT revendique et obtient que les artistes et techniciens du spectacle ne
soient pas discriminés par rapport aux autres salariés du régime général qui doivent, eux,
cotiser pendant trois mois pour ouvrir des droits à indemnisation pendant un ou deux
ans. Trois mois c’est 13 semaines à 40 heures, cela fait 520 heures12. Les délais de
franchise et de carence sont fortement diminués, et les allocations journalières sont
revalorisées.
La convention Unédic de 1979 ouvre donc de manière massive la possibilité d’être
indemnisé pendant les périodes hors emploi pour des intermittents du spectacle. C’est le
début d’une socialisation importante de leurs ressources : « La réforme de 1979 fait
passer l’indemnisation d’un régime de double exception – quant à son champ, une élite
professionnelle, et quant à son objet, des accidents de parcours exceptionnels – à un
régime couvrant les périodes courantes de chômage, structurellement liées à
l’intermittence, et ce, pour une population large »13. En effet, la convention Unédic de
1979 réunifie en un seul système les deux existants alors pour l’indemnisation du
chômage : le régime d’assurance (financé par la cotisation) et le régime de solidarité
(financé par l’impôt)14.
La deuxième étape de la mise en place du système d’indemnisation de l’intermittence va
avoir lieu entre 1982 et 1984, notamment suite à la crise de l’Unédic provoquée par le
CNPF. Ce dernier souhaite revenir sur le principe du régime unique d’indemnisation créé
en 1979. Cela aboutit, entre 1982 et 1984, à une mobilisation des intermittents qui
craignent d’être exclus des régimes d’assurance et de solidarité.
La nouvelle convention Unédic mise en place en janvier 1984, qui sépare alors les deux
régimes, va mener à un résultat non envisagé par le CNPF : l’intégration des intermittents
au régime d’assurance financé par la solidarité interprofessionnelle.
12
Ces 520 heures deviendront 507 heures quand on passera aux 39 heures sous le gouvernement
Mitterand. Lors du passage aux 35 heures, cela aurait tout à fait pu être une revendication légitime des
intermittents de diminuer le nombre d’heures au regard de cette logique historique.
13
Grégoire M., op. cit., p 121
14
Le chômeur bénéficie d’abord, pendant une période donnée, des indemnités qui sont données par
l’Unédic et ensuite de l’allocation de fin de droits d’un montant forfaitaire délivrée par l’Etat.
10
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En effet «l’indemnisation de l’intermittent ordinaire relève de l’Unédic, alors que les trous
de carrière, qui correspondent plutôt au chômage de longue durée des autres salariés,
relèvent désormais du régime de solidarité financé par l’état »15. Au départ le régime
d’assurance et le régime d’aide publique se superposaient, désormais, ils se succèdent ;
ce qui implique que les intermittents ne sont concernés que par le premier régime. L’Etat
s’en tire à bon compte puisqu’il se retrouve dégagé de la partie « assurance » de
l’indemnisation du chômage. C’est par ce glissement que l’Unédic devient le seul
financeur des annexes 8 et 10 : en les inscrivant dans la seule solidarité
interprofessionnelle et en les sortant de la solidarité nationale.
Depuis lors le CNPF, qui deviendra le MEDEF16, tenta toujours la même manœuvre : sortir,
partiellement ou totalement, ces annexes 8 et 10 du régime général d’indemnisation
chômage « et faire assumer par un tiers, l’Etat ou les employeurs du secteur, le poids de
cette indemnisation spécifique »17.
Entre 1986 et 1997, il n’y aura pas de grande modification institutionnelle et de nouveaux
conflits émergeront lors des négociations de chaque nouvelle convention de l’Unédic18.
Comme à chaque fois, il y aura d’un côté le CNPF affirmant sa volonté de revenir sur les
annexes 8 et 10, de l’autre les intermittents qui se mobilisent et en appellent à l’Etat et,
pour finir, ce dernier qui use alors de son rapport de force pour intervenir auprès du
patronat afin de maintenir le régime spécifique d’indemnisation des intermittents du
spectacle. Ainsi, de manière ritualisée : « Le conflit, sans être réglé, finit par s’estomper
jusqu’à la négociation suivante »19.
L’une des plus importantes manifestations de la période aura lieu en 1992. Ce
mouvement social fait suite à l’annonce du CNPF de vouloir exclure les annexes 8 et 10 du
champ de la solidarité interprofessionnelle en réaction à d’importantes difficultés
15
Grégoire M., op. cit., p 121
Mouvement des Entreprises DE France : organisation patronale fondée en 1998
17
Grégoire M., op. cit., p 121
18
Tous les deux ans.
19
Grégoire M., op. cit., p 121
16
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financières de l’assurance chômage, elles-mêmes liées à une forte hausse du chômage. Le
CNPF n’aura de cesse de clamer que l’Unédic n’a pas été inventé pour subventionner la
culture et « met[tra] en œuvre une campagne de « dépopularisation » des intermittents
du spectacle par l’emploi de qualificatifs tels que « faux chômeurs » ou encore
« profiteurs », déclenchant plusieurs vagues de mobilisation »20.
Jusqu’en 2002 l’Etat, qui jusqu’alors avait usé de son rapport de force dominant pour ne
pas accéder au désir du syndicat patronal et qui avait signifié à plusieurs reprises son
attachement aux annexes 8 et 10, va alors complètement changer de stratégie. Cette
nouvelle stratégie sera à l’origine des régressions observées depuis lors dans le secteur.
21 avril 2002 : Election présidentielle. Jacques Chirac est réélu, et la victoire de la droite
est confirmée par les élections législatives des 9 et 16 juin 2002 où elle remporte la
majorité absolue des sièges21.
Le basculement politique attendu par le MEDEF a lieu, ce dernier étant alors bien
déterminé à imposer à l’Etat-Providence son « projet de refondation sociale qui vise à
restructurer l’ensemble de la protection sociale (assurance chômage, retraites, formation
professionnelle…), en commençant par l’assurance chômage. (…) Le projet patronal de
refondation sociale annonce la volonté explicite de transformer les dépenses de santé,
d’éducation, de formation et l’épargne salariale en de nouvelles ressources pour
l’entreprise »22. Ce projet préconise alors une « remise à plat des relations du MEDEF avec
l’Etat et les syndicats à « oser un désengagement sélectif de la gestion paritaire des
systèmes de protection sociale » et « à mieux gérer son pouvoir de signature »23.
20
Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses
Universitaires de Rennes, 2013, p 149
21
Suite à la dissolution de l’assemblée nationale en 1997 par Jacques Chirac, alors président, la gauche se
retrouve majoritaire à l’assemblée entrainant un gouvernement de cohabitation de 1997 à 2002.
22
Corsani A. et Lazzarato M., « Intermittents et précaires », Editions Amsterdam, 2008, p 128
23
Rapport Georges Drouin cité in Mathieu Grégoire, Les intermittents du spectacle Enjeux d’un siècle de
luttes, Editions. La Dispute Travail & Salariat, 2013, p 165
12
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Parmi ces désengagements sélectifs envisagés par le syndicat patronal, le régime
d’indemnisation des intermittents tient une place prépondérante depuis des années,
estimant que celui-ci ne devrait pas relever du champ de responsabilité de l’Unédic. Avec
le concours de l’Etat, le MEDEF tente de responsabiliser les employeurs du secteur et de
leur faire assumer la charge de la socialisation salariale24.
Pour rappel, fin 1999, après de nouvelles négociations, les annexes 8 et 10 avaient été
reconduites. Même si le MEDEF n’avait pas obtenu l’exclusion des intermittents de la
solidarité interprofessionnelle, ces négociations avait abouti à faire émerger un
interlocuteur patronal dans le spectacle (la Fédération des Entreprises du Spectacle
vivant, de la Musique, de l’Audiovisuel et du Cinéma) et par ailleurs « à mettre en avant la
« collusion » de tout un secteur au dépens de l’Unédic »25.
En 2001, la convention Unédic qui intègre les annexes 8 et 10 arrive à échéance. Alors que
le gouvernement Jospin veut imposer par la loi le maintien du régime spécifique
d’indemnisation chômage des intermittents du spectacle (le MEDEF refusant de signer
toute prorogation), le 10 janvier 2002, la veille du vote de cette loi à l’Assemblée
Nationale, l’ensemble des organisations patronales et syndicales (à l’exception de la CGT),
signe un nouvel accord qui proroge les annexes 8 et 10 jusqu’au 30 juin 2002 (juste après
les élections législatives).
24
C’est la FESAC (Fédération des Entreprises du Spectacle vivant, de la musique, de l’Audiovisuel et du
Cinéma) qui est chargée de négocier avec les syndicats de travailleurs du spectacle et qui devient
l’interlocuteur du secteur. Elle regroupe près de 2000 entreprises
25
Grégoire M., op. cit., p 167
13
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Première offensive contre le régime
Le 19 juin 2002, deux mois à peine après l’élection présidentielle, et trois jours après le
deuxième tour des élections législatives, c’est la première offensive contre le régime
d’indemnisation des intermittents et contre le principe de solidarité interprofessionnelle.
La décision est prise par l’Unédic de doubler les cotisations patronales et salariales lors de
l’emploi d’intermittents du spectacle.
C’est la première fois depuis la création de l’Unédic que le principe d’unicité du taux de
cotisation est rompu et qu’un taux spécifique est appliqué pour une catégorie de salariés.
Pour Mathieu Grégoire « cette mesure lève définitivement le malentendu entretenu par le
MEDEF sur le sens de la « responsabilisation » à laquelle il appelle les employeurs du
spectacle (…). Il s’agit moins, pour le MEDEF, d’intégrer, même à titre consultatif, les
employeurs du secteur que de leur faire assumer une part du financement (…) Pour le
MEDEF, ce financement professionnel de l’Unédic a les avantages d’une caisse
professionnelle sans en présenter les inconvénients dans la mesure où les employeurs du
secteur y contribuent financièrement sans disposer d’aucun pouvoir politique»26.
Deuxième offensive contre le régime
Le 26 juin 2003, un accord est signé par les organisations patronales (Le MEDEF, la
CGPME, l’UPA), par la CFDT, la CGC et la CFTC pour mettre en place un nouveau dispositif
d’indemnisation des intermittents du spectacle (ces négociations ont lieu en l’absence
des représentants des employeurs et des salariés du secteur).
De nouvelles règles d’indemnisation vont être mises en place, dont l’une des plus
critiquées sera le rehaussement du seuil d’éligibilité. Jusqu’à la signature de l’accord du
26 juin 2003, pour ouvrir leurs droits, les intermittents du spectacle devaient effectuer
26
Grégoire M., op. cit., p 167
14
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
507 heures sur douze mois. Leur dossier était alors réexaminé à date fixe dite « date
anniversaire »27.
Désormais, pour ouvrir des droits dans le champ des annexes spécifiques du spectacle,
chaque intermittent doit réunir 507 heures d’emploi sur une période de référence réduite
de 12 à 10 mois pour l’annexe 8 (c'est-à-dire 304 jours pour les techniciens) et à 10,5 mois
pour l’annexe 10 (c'est-à-dire 317 jours pour les artistes). Par ailleurs, les annexes ne sont
plus représentatives du secteur d’activité, mais des fonctions : l’annexe 8 regroupe les
techniciens et ouvriers et l’annexe 10, les artistes. De plus, la durée de cotisation donne
désormais droit à 243 jours d’indemnisation (contre 365 jours précédemment) au terme
desquels le dossier est réexaminé28. En outre, les heures travaillées doivent avoir été
effectuées avec des employeurs intervenant dans le champ des spectacles, de
l’audiovisuel et du cinéma (alors qu’auparavant, les activités effectuées dans d’autres
secteurs pouvaient être prises en compte). Les derniers points concernent l’abaissement
de 30 jours de la période de franchise et la formule de calcul de l’indemnité journalière
qui a été modifiée.
La mise en place de ce protocole d’accord rend plus difficile les conditions d’accès au
régime d’indemnisation d’intermittent du spectacle en restreignant les conditions
d’ouverture des droits, excluant par là bon nombre d’intermittents. Il est vécu comme un
profond recul et comme un dispositif totalement inadapté à leurs pratiques d’emploi.
C’est alors le début d’un grand mouvement social dans l’hexagone.
Des milliers d’intermittents vont dire « non » au protocole de l’Unédic, signé par le
MEDEF et quelques syndicats minoritaires du secteur. Les journées de grève se
multiplient29. Ils occupent en premier lieu La Villette30, et la quasi-intégralité des festivals
27
Date qui servait de repère fixe (tous les 12 mois) et qui permettait à chacun de savoir exactement où il en
était de sa situation et de prendre en compte toutes les journées d’emploi.
28
La conséquence de cette modification est que les droits à indemnisation ne sont plus examinés à date fixe
mais à date variable, évaluée en fonction de la rapidité de consommation des droits à indemnisation. Le
salarié intermittent doit épuiser les 243 jours d’indemnisation (soit 8 mois) au terme desquels l’Unédic
réexaminera ses droits à partir de la fin du dernier contrat. Un jour travaillé n’équivaut plus à un jour
indemnisé.
29
Cent quarante actions sont organisées en trois semaines in http://www.cip-idf.org/rubrique.php3?id_rubrique=257
15
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
de l’été 2003 va être annulée, dont le festival d’Avignon, l’un des plus emblématiques du
secteur. Ces annulations ont fortement attiré l’attention de la presse nationale et
internationale et mis en valeur la réalité du poids économique du secteur culturel.
La figure de l’expert
Aux mobilisations qui s’étendent dans tout le pays, le Ministre de la Culture, Jean
Jacques Aillagon, fait savoir aux intermittents que leurs contestations ne peuvent être
ni entendues ni reçues, car il est évident qu’ils n’ont pas bien lu le protocole31. Il sous
entend ainsi que les experts ont parlé et le débat public est donc clos.
En réaction, les intermittents vont proclamer à partir de ce moment « Nous sommes tous
des experts », puis par la suite « Nous avons lu le protocole »32 pour finir par « Nous avons
une proposition à vous faire ». Partout en France, les intermittents créent des dizaines de
commissions et se mettent au travail. Ils vont lire ensemble ce protocole et, pas à pas,
élaborer leur propre jugement ; ils liront par la suite tous les rapports des experts et les
décrets d’application. Pour les intermittents du spectacle, il ne s’agit pas de refuser la
réforme, ou de simplement défendre les acquis sociaux, ils entendent défendre de
nouveaux droits sociaux inhérents à la flexibilité de l’emploi.
C’est ainsi que se créent et s’organisent les Coordinations d’Intermittents33 qui
deviennent un des premiers acteurs incontournables du conflit au côté des organisations
syndicales.
30
300 intermittents du spectacle ont occupé les lieux de montage de cinq manifestations et spectacles
prévus à partir de juillet au Parc de la Villette à Paris in L’Obs/Culture, Actions et occupations – publié le 28
juin 2003, http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20030628.OBS2928/actions-et-occupations.html
31
Intervention le 30 juin 2003 de Jean Jacques Aillagon sur France 2
32
Au lendemain de la signature du protocole, un film intitulé « nous avons lu le protocole d’accord du 26
juin 2003 » conteste certains points techniques et dénonce l’inefficacité, l’injustice et les dévastations
probables du scénario de réforme ( http://video.protocole.free.fr/ )
33
En 1992, des coordinations s’étaient constituées dans les régions notamment à Lyon. Mais c’est
seulement avec le conflit de 2003 que la coordination s’est affirmée en région parisienne où est née la CIPIDF : Coordination Intermittents et Précaires – Ile de France. Sur le territoire, en juillet 2003, était recensé
trente six collectifs et coordinations qui fonctionnaient sous le mode de l’Assemblée Générale.
16
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
Pour mémoire, le samedi 28 juin, suite à l’occupation de La Villette,
« (…) une Assemblée Générale s’est réunie spontanément. Le nom de
« Coordination des intermittents et précaires d’île de France » a été voté
et un fonctionnement en commissions libres s’est institué. Elle fait le
choix de réunir des personnes syndiquées et non-syndiquées en dehors
de leurs appartenances politiques ou religieuses au sein d’une
organisation horizontale basée sur la démocratie, l’autodiscipline et la
responsabilité individuelle de chacun de ses membres.
Elle a la volonté de mener avec le plus grand nombre, la lutte pour la
défense de la culture et d’élargir le combat dans la perspective d’une
réforme pour de nouveaux droits.
Dans cet esprit, elle a à cœur d’établir et d’entretenir un réseau
d’échanges avec les autres branches du secteur économique »34.
Les coordinations s’éloignent des discours portés par le syndicat CGT, autour notamment
de la revendication du plein-emploi comme objectif politique (pour le syndicat, la
permanence reste encore une condition de la professionnalisation et de la progression
des carrières, et le recours à l’intermittence doit se limiter à des cas d’exception). Avec
leur montée en puissance en tant qu’acteur stratégique, le rapport de force se modifie et
les coordinations vont jouer un rôle fondamental pour déplacer le conflit vers une lutte
offensive et non corporative. La Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de
France, en ajoutant dans son intitulé « et Précaires », affirme comme axe central à sa
lutte, que tous les travailleurs soumis à la flexibilité de l’emploi doivent pouvoir bénéficier
des mêmes principes qui fondent le régime de l’intermittence. C’est ainsi que l’un des
slogans apparus en 2003 revendiquait « ce que nous défendons, nous le défendons pour
tous ». C’est aussi à partir de cette ouverture avec les « Précaires » « qu’elle problématise
les différentes temporalités qui caractérisent les pratiques des intermittents (temps de
l’emploi, temps de travail, temps de chômage et temps de vie) (…)»35 .
Autrement dit, les coordinations (surtout par la voix de la CIP-IDF) vont revendiquer la
déconnexion entre l’emploi et le travail, et l’importance de bénéficier d’un salaire indirect
durant les périodes hors emploi. La possibilité de travailler hors emploi est alors valorisée.
34
On peut lire ce paragraphe dans le point « l’esprit de la coordination » de la « Charte de la Coordination »
élaborée le dimanche 20 juillet 2003 (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=108 )
35
Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 21
17
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
Elle est vécue comme gage de créativité mais également comme une continuité dans le
travail. Les coordinations vont également pointer que « la discontinuité de l’emploi qui
caractérise l’intermittence relève d’une modalité d’organisation du travail qui concerne
toute l’économie, et pas seulement le monde de l’art et de la culture »36.
Alors que les politiques influent pour une logique d’individualisation des salaires et des
droits sociaux, les revendications de la CIP-IDF, au contraire, visent à la mutualisation.
Depuis 1984 et afin d’apaiser les tensions tout au long de ce conflit social, l’Etat n’a cessé
de multiplier le nombre de rapports et d’expertises ainsi que l’intervention de
médiateurs. L’expert devient un acteur non négligeable en dévoilant de façon de plus en
plus précise « [les] effets pervers de ce système et [les] diverses modalités de cette
déviance, restée jusqu’alors invisible »37.
Le premier rapport, en 1984, pointe les usages illicites des règles ; un des deux rapports
de 1992 va mettre en exergue l’aménagement des déclarations qui repose sur une
« complicité » entre employeurs et salariés du secteur. Durant l’année 1994, un nouveau
rapport fera apparaître les facteurs de déséquilibre et les solutions à apporter à la
situation des professionnels du spectacle. En 1996, un rapport préconise le maintien des
deux annexes et une meilleure gestion et régulation du système. En 2002, une nouvelle
étude est confiée à des inspecteurs généraux (par le Ministre de la Culture) chargés
d’analyser le régime d’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle, afin
d’éclairer les partenaires sociaux sur les différences constatées entre les statistiques de
l’Unédic et celles des autres organismes sociaux. Cette étude préconisera de « Restreindre
les conditions d’accès au régime des intermittents, de prendre en compte le temps de
travail dans la durée et le montant d’indemnisation, et renforcer le contrôle. Le protocole
d’accord du 26 juin 2003 s’inspirera largement de ces conclusions »38.
36
Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 21
Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses
Universitaires de Rennes, 2013, p 155
38
Ibid. - La Cour des comptes, qui a elle-même rendu son rapport annuel le 29 janvier 2003, ira dans ce sens
là également.
37
18
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
Cet accord de juin 2003 modifie notamment le calcul de l’indemnisation, et son extrême
complexité ne facilite pas sa compréhension. Pour prendre part aux négociations, il
devient impératif pour les coordinations d’intermittents de s’approprier ce savoir pour
faire contrepoids à l’expertise institutionnelle. Une coopération avec des experts
spécialisés (tels des juristes, des économistes, des sociologues…) va leur permettre de se
réapproprier les dernières expertises et le protocole d’accord. La formation des membres
des coordinations va se faire de manière directe ou indirecte par ces experts qui se
mettent alors au service de leur cause.
Certains intermittents militants, ayant un fort capital scolaire de par leur formation
initiale, vont mettre leurs compétences au profit d’une expertise interne. Un exemple est
donné dans son ouvrage par la sociologue Chloé Langeard39 :
« Olivier Sens, contrebassiste professionnel et titulaire d’un diplôme
d’ingénieur en mathématiques, a utilisé son savoir afin de dresser une
étude qualitative et quantitative permettant de comparer l’ancien
système et le nouveau, en supposant une quantité de travail
équivalente. En prenant appui sur les nouvelles formules mathématiques
définies par l’Unédic et à l’aide d’outils mathématiques et statistiques, il
élabore des projections qu’il illustre par des graphiques et rend public sur
Internet. (…) le document circulera lors de nombreuses assemblées
générales (AG) organisées par la CGT-spectacle ou les coordinations».
La CIP-IDF va s’emparer de cette étude. Cette dernière deviendra la base de contrepropositions élaborées et rassemblées dans le « Nouveau Modèle » présenté par la
coordination parisienne. Le Nouveau Modèle d’indemnisation chômage, adapté aux
salariés à l’emploi discontinu, sera emblématique des initiatives prises par les
intermittents et « se veut une « base ouverte », appropriable et adaptable par d’autres
travailleurs à l’emploi discontinu suivant des critères « locaux » propres aux différentes
pratiques d’emploi et de travail »40.
Cette étude réalisée par ce musicien ingénieur a principalement révélé que le protocole
d’accord du 26 juin 2003 n’entraîne pas les économies attendues, mais que : « Sous le
39
Langeard C., Les intermittents en scènes – Travail, action collective et engagement individuel, Presses
Universitaires de Rennes, 2013
40
Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 13
19
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
prétexte de la maîtrise des dépenses, la réforme remplace progressivement les dispositifs
de mutualisation du risque, de transfert de revenus, les dispositifs de socialisation du
salaire et donc de redistribution, par des dispositifs de capitalisation »41. Alors que cette
réforme était énoncée comme une nécessité pour endiguer le déficit de l’Unédic,
l’expertise des intermittents militants dévoile que son but originel est de refonder
entièrement les principes de la protection sociale.
L’intervention de l’Etat
Vu l’ampleur du conflit, le gouvernement va mettre des moyens en place pour tenter de
l’apaiser car celui-ci ne faiblit pas.
Il va créer un fonds provisoire, qui deviendra en 2004 un fonds transitoire, qui sera luimême remplacé en février 2005 par l’Allocation Fonds Transitoire (AFT) puis le 1er avril
2007 sous l’appellation de Fonds de solidarité et de professionnalisation. C’est un
dispositif de « rattrapage » pour les intermittents expulsés du régime par la réforme.
Ceux qui ont réalisé le nombre d’heures requises en 12 mois (au lieu des 10 ou 10,5 mois)
sont pris en charge financièrement par l’Etat. Ce fond empêchera jusqu’au 1er avril 2007
que la réforme ne produise complètement ses effets.
En décembre 2003, la coordination nationale des intermittents adopte le Nouveau
Modèle élaboré par la CIP-IDF. Au même moment, un comité de suivi, porté par Noël
Mamère42, est constitué. Il regroupe des députés de l’opposition mais aussi de la majorité
parlementaire, des syndicats de salariés et d’employeurs du secteur du spectacle et la
coordination nationale. Ce comité a pour objectif de suivre et d’accompagner l’évolution
du conflit, et d’élaborer des contre-propositions (il s’inspirera fortement du Nouveau
Modèle proposé par la CIP-IDF). Une des initiatives a débouché sur l’élaboration d’une
41
42
Corsani A. et Lazzarato M., op. cit., p 13
Député du parti des Verts, il était très investi en faveur de la cause des intermittents du spectacle.
20
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
proposition de loi43 en 2006, mais qui, par des manœuvres de procédure, n’a jamais pu
être soumise à l’Assemblée Nationale.
Au printemps 2004, à la demande du comité de suivi, le ministre de la Culture nomme un
expert indépendant pour mener une expertise sur la situation de l’Unédic et sur l’impact
social et financier de la réforme44. Mais rapidement, la mission confiée par le ministre
s’éloigne de la demande initiale du comité de suivi. La CIP-IDF décide alors de son côté de
générer une expertise d’initiative citoyenne en partenariat avec un laboratoire de
recherche de l’université45. Après les élections régionales, elle va solliciter et obtenir un
soutien financier des Conseils Régionaux d’Île-de-France, de Bourgogne, de ProvenceAlpes -Côte d’Azur et de Rhône-Alpes pour la mener à bien.
L’objectif de cette contre-expertise, menée conjointement avec un laboratoire
scientifique, est de confirmer la validité du Nouveau Modèle, de s’opposer à la volonté
affichée du gouvernement de professionnalisation du secteur, et de réaffirmer : « Le
rapport de force de la coordination face aux syndicats »46. C’est aussi donner de la
légitimité et du sérieux à leur démarche en se mettant au même niveau que les savoirs
« savants » : on assiste alors à la « désacralisation du savoir en même temps qu’à un
débordement de la sphère politique instituée »47.
Par ailleurs, au début de l’automne 2004, afin de mutualiser les questionnements et d’y
apporter des réponses, une commission Conséquences de l’Application du Protocole
(CAP) est créée au sein de la CIP-IDF pour illustrer les effets désastreux des nouvelles
43
Cette proposition de loi visait à définir un cadre légal qui aurait permis aux partenaires sociaux de
négocier des réformes.
44
Expertise menée par Jean Paul Guillot, président du Bureau d’Information et de Prévisions Economiques
(BIPE)
45
Plusieurs équipes participent à cette expertise dont celle d’ISYS composante de Matisse-UMR de
l’université de Paris 1 et du CNRS, de l’association des Amis des Intermittents et Précaires (AIP) et avec la
Coordination des Intermittents et Précaires. Les résultats de cette expertise se retrouvent dans l’ouvrage
« Intermittents et Précaires » d’Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato. L’enquête a porté sur 940
questionnaires constitués chacun de 149 questions.
46
Langeard C., op. cit., pp 181-183
47
Ibid.
21
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
règles de la réforme. Pour les intermittents militants, c’est aussi une manière de se
réapproprier le droit, comprendre les impacts de la réforme, faire circuler les
informations pour éviter les pièges et surtout démontrer que ce protocole ne fait que
générer des inégalités, de la précarité et de l’incertitude.
Rapprochement avec les enseignants, les chercheurs et les altermondialistes
En parallèle, au printemps 2003, les coordinations d’intermittents vont se mobiliser
contre les projets de réforme du gouvernement au côté des enseignants pour défendre et
rappeler leurs missions de service public. Ces réformes concernaient alors l’éducation
nationale, les retraites... Puis, au printemps 2004, ils vont manifester au côté des
chercheurs en revendiquant ensemble l’importance de défendre les biens publics contre
une politique libérale. Nous retrouverons les intermittents du spectacle en août 2003 au
Larzac, entrant dans le mouvement anti-globalisation contre l’Organisation Mondiale
du Commerce. Ainsi, au travers de ces diverses mobilisations, ils élargissent leur
revendication, en défendant la culture et en s’élevant contre sa marchandisation.
Après trois années de lutte…
En 2006 doit avoir lieu une nouvelle négociation de la convention Unédic.
Malgré les trois années de manifestations, les nombreuses journées de grève, les
perturbations des cérémonies, les happenings, les performances, les occupations des
théâtres, de Directions Régionales d’Actions Culturelles (DRAC), d’ASSEDIC, les prises à
partie du Ministre de la Culture etc., le protocole signé en 2003 est prorogé. Le 26
octobre 2006, après 40 mois de lutte, la CFDT a décidé d’approuver l’accord du 18 avril
2006, suivi de la CFTC et de la CGC (la CGT s’est opposée à la signature et FO a donné un
avis défavorable). Tout le travail effectué durant ces années par la CIP-IDF et le Comité de
suivi a été balayé d’un revers de main. Comme il l’a souhaité durant toutes ces années, le
MEDEF a réussi à faire sortir partiellement les intermittents de la solidarité
22
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
interprofessionnelle : par la mise en place, d’une part, d’un financement professionnel du
secteur et, d’autre part par un financement public.
Cependant, durant les années qui vont suivre, la CIP-IDF va continuer des actions
commandos diverses et variées, accompagnée de précaires et de chômeurs (notamment
après la fusion de l’Unédic et de l’ANPE) et continuer à manifester pour une justice
sociale48.
3ème offensive contre le régime
Début 2013, la Cour des comptes rend son rapport public annuel 2012 dans lequel un
chapitre entier est consacré aux régimes des intermittents du spectacle49. Cela fait en
effet plusieurs années que les annexes 8 et 10 y sont systématiquement pointées du
doigt. Selon elle, le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle engendrerait
un « déficit chronique » représentant un tiers du déficit total de l'assurance chômage (un
milliard d’euros), alors que seules 100 000 personnes en bénéficient ; chiffres que les
intermittents du spectacle ne cessent de contester. Ils démontrent que les intermittents
représentent 3,5 % des allocataires qui perçoivent 3,4 % des dépenses et que le déficit
n’est pas d’un milliard, comme annoncé par la Cour des comptes et repris par tous les
médias, mais de trois cent millions d’euros.
Depuis le conflit de 2003, les intermittents ont riposté de différentes manières aux
diverses annonces faites sur le déficit de leur régime pointé notamment par la Cour des
Comptes, repris par le MEDEF et relayé par les médias ; notamment au travers de vidéos
explicatives (ciné-tract), dans le but de démontrer que ce « prétendu déficit » n’existe
pas. Début février 2013, est mise en ligne une première vidéo d’une quinzaine de minute
intitulée « Riposte 1 : le déficit des annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle n’existe
pas »50. Suivront, jusqu’en avril 2014, trois autres vidéos Riposte, ainsi que des vidéos
48
Cf. le site web de la CIP-IDF où tous les communiqués sont archivés depuis 2003
Synthèses du Rapport public annuel de la Cour des comptes. Chapitre 41 - Le régime des intermittents : la
persistance d’une dérive massive, p 114 - 116
50
Vidéos disponibles sur le site de la CIP-IDF, onglet « Photos, sons, vidéos »
49
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Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
dites « Riposte de désintox » parce qu’ils « en [ont] assez des erreurs, des mensonges, des
calomnies, de la désinformation proférés par le Medef (relayés par les médias) quant à
[leur] régime d’assurance chômage ! [Qu’ils en ont] assez de la stigmatisation mensongère
à [leur] encontre ! (…) Ces vidéos sont des « ripostes de désintox » pour tous ceux qui
sont mal informés ! »51
Alors que les négociations de l’Unédic doivent s’ouvrir le 17 janvier 2014, le groupe de
travail du Sénat sur l’intermittence rend, quelques jours avant celles-ci, douze
recommandations sur l’intermittence, dont une proposition sur le retour à la date
anniversaire sur 12 mois, et une autre sur l’augmentation du nombre d’heures
nécessaires à l’ouverture des droits aux allocations chômage.
Le Comité de suivi 2013 sur l’intermittence52 va alors organiser le 12 janvier 2014 une
conférence de presse à l’Assemblée Nationale où il demandera publiquement à Monsieur
Michel Sapin (Ministre du Travail) de se prononcer sur les revendications de la majorité
des organisations concernées par l’intermittence du spectacle. De leur côté, l’ensemble
des organisations syndicales, collectifs, Fédérations, membres du Comité de Suivi 2013
appelle à une Assemblée Générale le 17 janvier 2014. Le mot d’ordre de cette assemblée :
« Occuper le terrain médiatique et construire une solidarité avec le public et les citoyens ».
Le Medef, l’UPA et la CGPME arrivent à la négociation du jeudi 27 février 2014 avec un
texte proposant la suppression, purement et simplement, du régime d’indemnisation des
intermittents du spectacle ainsi que de celui des intérimaires (annexes 8 et 10 et
annexe 4).
51
Ibid.
Il regroupe : ADDOC (Association des cinéastes Documentaristes), Coordination des Intermittents et
Précaires, Fédération des Arts de la rue, Fédération CGT Spectacle, Société des Réalisateurs de Films,
Collectif des Matermittentes, Les Scriptes Associés (LSA) et les Monteurs Associés (LMA), SUD Culture
Solidaires, SUD Spectacle, Syndicat du cirque de création, Syndicat des Musiques Actuelles, SYNAVI,
SYNDEAC, TIPPI (Truquistes Infographistes de la Post-Production Image associés), UFISC, Union des
créateurs lumière
52
24
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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
De très nombreuses mobilisations vont avoir lieu sur l’ensemble du territoire jusqu’au 21
mars 2014 (date prévue de l’ultime rencontre des partenaires sociaux pour entériner la
signature du protocole), notamment à l’initiative de la CIP-IDF et de la CGT spectacle,
dont la « marche pour la culture »53 fera retirer une partie des propositions de la
délégation patronale.
Dans la nuit du vendredi 21 mars 2014, l’Accord National Interprofessionnelle (ANI) relatif
à l’indemnisation chômage est signé par les organisations patronales et les syndicats
CFDT, CFTC et, pour la première fois, par FO (la CGT et la CGC ne signeront pas). Cet
accord sera immédiatement très critiqué. D’une part par la CIP-IDF, car aucune des
propositions faites par le Comité de Suivi n’a été étudiées alors qu’il travaille dessus
depuis une dizaine d’années. D’autre part, la négociation en elle-même est fortement
remise en cause par la CGT (pour laquelle cet accord est le fruit d’une négociation de
couloir), et par la coordination qui dénoncent ses conditions scandaleuses54.
Ce nouvel accord met en place de nouvelles mesures en vue d’économiser 400 millions
d’euros dès la première année :
 La cotisation (employeur+salarié) passe de 10,8 à 12,8 % et une contribution
supplémentaire de 0,5 % est appliquée pour recours à l’emploi court. La cotisation
totale est donc égale à 13,3 %.
 Un plafond de cumul mensuel salaire + indemnités à 5475,75 euros brut mensuel.
53
22 marches ont été organisées pour « protester à la fois contre la casse du service public de la culture
avec ses conséquences néfastes sur l'emploi comme sur la relation avec le public et contre la remise en cause
des droits à l'assurance chômage telle que l'envisagent le Medef et compagnie » in Communiqué du
SYNPTAC- CGT du 13 mars 2014
54
La CIP-IDF relatera dans un communiqué du 22 mars 2014 : « En fait de négociations, ce ne sont
qu’interruptions interminables de séance leur permettant des conciliabules de couloirs et des arrangements
bilatéraux hors de la salle, acceptés par tous les syndicats, à l’exception de la CGT, restée, elle, à la table des
négociations sans voir personne ! Hier, vendredi, les négociations communes n’auront duré, au final, qu’un
quart d’heure ! »
25
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
 Une nouvelle franchise (ou carence) qui est un différé de paiement imposé aux
intermittents avant le versement de leur première allocation55.
Pour les intermittents et la CGT spectacle, cet accord est nuisible en détruisant encore
davantage les droits sociaux de tous, en s’attaquant aux chômeurs et à tous les précaires
(notamment les intérimaires), et en aggravant les dispositifs de 2003 pour les annexes 8
et 10. De plus, pour les intermittents du spectacle, la modification du calcul du différé est
la mesure fatale qui va conduire à l’exclusion de nombreux intermittents du spectacle. En
effet, comment survivre à 30 jours ou plus sans revenu ?
Le syndicat CGT spectacle renchérit. Selon un communiqué du 31 mars « le MEDEF, la
CGPME et l’UPA ont obtenu des signataires (CFDT, CFTC, FO), des économies sur le dos des
chômeurs, en contrepartie de maigres droits nouveaux, des « droits rechargeables »56 qui
reculent légèrement la fin des droits ».
Le protocole signé par les partenaires sociaux doit être agréé par le gouvernement, pour
entrer en vigueur.
La lutte va s’intensifier dans les semaines suivantes et tentera de faire pression sur le
gouvernement, afin qu’il refuse de signer cet agrément et obliger les partenaires sociaux
à rejoindre une nouvelle fois la table de négociations de façon loyale.
De nouvelles actions sont menées. Samuel Churin, porte-parole de la CIP-IDF, négociera
une intervention de cinq minutes le 5 mai 2014, au forum sur l’Europe de la Culture du
Parti Socialiste (PS) à Lille. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadelis, est
alors interpellé afin de lui rappeler les engagements pris lors de la signature du texte de la
55
Avant la réforme, il ne touchait que les intermittents à haut revenu (environ 8 %). Après la réforme, le
délai pourrait être appliqué à 42 % d’intermittents et aller jusqu’à 2 mois de carence. A part pour la
minorité ayant un faible revenu (moins de 7 500 € en 507h), tout intermittent va connaître un différé
d’indemnisation qu’il n’avait pas avant.
56
Lorsqu'un salarié perd son emploi, il retrouve ses anciens droits à indemnisation, s'il lui en restait, qu'il
doit épuiser avant d'obtenir ses nouveaux droits. Cette règle permet à tous les allocataires d'allonger leur
durée d'indemnisation. Mais certains, dont le dernier emploi était mieux rémunéré que les précédents,
restent temporairement bloqués dans d'anciens droits à indemnisation moins avantageux. Avant les droits
rechargeables, leur allocation pouvait être réévaluée.
26
Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
plateforme du Comité Suivi en 2004 et confirmés en 2013 par l’ensemble des
représentants socialistes avant les présidentielles : l’accord de 2003 était alors dénoncé
par tous les membres du gouvernement lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Ce jour-là, il
demande à Martine Aubry et Jean-Christophe Cambadelis de respecter leur engagement,
et d’écrire au Ministère du Travail afin de demander le non agrément du protocole57.
Respectant leur parole, ils écriront au Ministère du Travail, suivis par d’autres députés
socialistes, pour soutenir les propositions du Comité de Suivi et refuser la validation de la
nouvelle convention d’assurance chômage par le Ministère du Travail. Aucune réponse ne
sera donnée par celui-ci.
Début juin 2014, la colère monte au sein des intermittents du spectacle. Une action va
faire boule de neige dans la profession : les personnels techniques du Festival du
Printemps des Comédiens à Montpellier ont voté la grève reconductible en assemblée
générale contre la convention Unédic. Ils appellent alors toutes « les équipes artistiques,
techniques intermittentes, intérimaires, précaires et permanentes des manifestations
culturelles à rejoindre la lutte, partout en France et par tous les moyens »58. Un préavis de
grève est lancé pour tout le mois de juin à l’initiative de la CGT Spectacle. Des occupations
commencent dans toute la France (Les DIRECCTE, les DRAC etc.). Des équipes de festivals,
des équipes permanentes de théâtre, de productions audiovisuelles, de films d’animation
etc. se mettent en grève. Jane Birkin, en soutien aux intermittents, annulera son concert à
Montpellier. La CGT spectacle et la CIP-IDF feront également converger leur lutte avec
celle des cheminots, le 16 juin lors d’un mouvement unitaire qui rassemblera des milliers
de manifestants dans les grandes villes. La menace de l’annulation du festival d’Avignon
pèse dans les esprits.
57
François Rebsamen, alors sénateur-maire de Dijon, a signé le texte de la Plateforme validant que cet
accord n’était pas adapté à l’emploi des intermittents du spectacle et demandant à ce que les propositions
du comité de suivi soient étudiées. Le 2 avril 2014, il est nommé au poste de Ministre du Travail, de l’Emploi
et du dialogue social dans le gouvernement de Manuel Valls. Il annonce alors qu’il va signer l’agrément. Ce
faisant, il énonce le contraire de ce qu’il avait validé et signé 2 mois auparavant, avec le comité de suivi.
58
Communiqué de l’assemblée générale extraordinaire du 3 juin 2014 du Mouvement Unitaire LanguedocRoussillon contre l’accord Unédic du 22 mars 2014
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Patricia PLUTINO
Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
Sous la pression des actions, le gouvernement nomme en urgence un médiateur, JeanPatrick Gille, chargé « d’évaluer les conséquences de la réforme prévue dans l’accord du
22 mars dernier »59 (uniquement sur les annexes 8 et 10). Le 19 juin, après la remise des
conclusions du médiateur, le premier ministre, Manuel Valls, annonce un plan qui se veut
une sortie de crise, tout en insistant sur la volonté du gouvernement d’agréer la
convention Unédic dans le but de respecter les partenaires sociaux et, se faisant, le
dialogue social. Il annonce :
 Le maintien intégral des crédits d’investissement du ministère dans le spectacle
vivant en 2015, 2016 et 2017
 Une concertation tripartite associant les pouvoirs publics60 pour « bâtir un cadre
stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle »
 Le financement par l’Etat du « différé », afin de neutraliser cette mesure pour les
intermittents du spectacle61
Pour la CGT Spectacle et la CIP-IDF, le financement du différé est une catastrophe car il
préfigure la création d’une caisse autonome que souhaitaient le MEDEF et la CFDT depuis
des années et est contraire au principe de solidarité pensé par le Conseil National de la
Résistance. D’autre part, ce financement étouffe la lutte de ceux que la CIP-IDF nomme
les intermittents « de l’emploi » en tentant de disjoindre les intermittents du spectacle
des autres travailleurs précaires. Mécontents, ils reconduisent le préavis de grève à partir
du 1er juillet 2014 pour tout le mois et appellent à une journée de grève massive dans
tous les secteurs du spectacle, du cinéma et l’audiovisuel, le 4 juillet, jour de l’ouverture
du Festival d’Avignon.
59
Rapport de mission « une nouvelle donne pour l’intermittence » Jean-Patrick GILLE (député) – 19 juin 2014
Le Premier Ministre Manuel Valls confit l’organisation et l’animation de cette concertation à 3
personnalités : Hortense Archambault (ex codirectrice du Festival d’Avignon), Jean-Denis Combrexelle
(ancien Directeur Général du Travail) et Jean-Patrick Gille (député).
61
Selon Manuel Valls, c’est une mesure transitoire pour apaiser les craintes, pour rétablir un dialogue
serein et se donner les moyens d’une vraie refondation sociale. Selon la CGT Spectacle, cette proposition
figurait dans les textes du MEDEF en février 2014 comme palliatif à la suppression des annexes Communiqué de la CGT Spectacle du 20 juin 2014
60
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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
Néanmoins, malgré des divergences, la « mission concertation » débute sa première
réunion le jeudi 3 juillet 2014. Cette première réunion aura pour but de définir la
méthode de travail. Pour la première fois, sont réunis à la même table partenaires sociaux
interprofessionnels, partenaires sociaux de la branche du spectacle vivant et enregistré,
coordination des intermittents et précaires, collectivités territoriales et État, ainsi que
l’Unédic, Pôle emploi et Audiens62. La CIP-IDF est enfin reconnue comme expert pour
siéger à la concertation comme les autres partenaires, malgré les tentatives de remise en
cause de leur présence par les signataires du protocole du 22 mars63. Plusieurs tables
rondes sont prévues chaque jeudi de juillet : la lutte contre la précarité de l’emploi et
sécurisation des parcours professionnels, les moyens de contenir les logiques
d’optimisation, l’architecture du dispositif de l’assurance chômage des intermittents et sa
gouvernance. Suivront des ateliers de septembre jusqu’à fin décembre 2014 afin de
continuer la concertation. Mais des difficultés demeurent : les experts indépendants
peinent à avoir les chiffres bruts de l’Unédic pour commencer leur expertise. Les ateliers,
qui ont remplacé les tables rondes, ne durent que trois heures et ne permettent pas
d’aborder la totalité des problèmes etc. le collectif Les Matermittentes64 ont le sentiment
qu’il « n’y a aucune volonté de régler tous ces problèmes » et que cette concertation va
vers « un toilettage pour éteindre le feu ».
En parallèle, les actions, les grèves, les occupations de lieux emblématiques continuent
tout l’automne, avec la volonté affichée de recourir au blocage économique. En effet,
depuis le 1er octobre 2014, les nouvelles règles de calcul concernant les « droits
rechargeables » s’appliquent. C’est un bouleversement pour les artistes et techniciens du
spectacle qui remplissent les conditions pour bénéficier du régime d’indemnisation des
intermittents du spectacle, mais ne peuvent pas accéder à ce régime s’ils ont des droits
ouverts au régime général qu’ils n’ont pas épuisés65. Mais c’est aussi une catastrophe
62
Groupe de protection sociale dédié aux professionnels de la culture, de la communication et des médias
En plus du groupe d’experts interne, la mission de concertation a désigné 3 experts extérieurs : PierreMichel Menger et Matthieu Grégoire (sociologues), ainsi que Jean-Paul Guillot (économiste).
64
Ce collectif regroupe des femmes à l’emploi discontinu qui luttent pour faire valoir leurs droits en matière
de congés maternité et d'arrêts maladie.
65
La CAP (commission application du protocole) donne plusieurs exemples : « une jeune femme a cotisé
1020 heures au régime de l’intermittence au cours des dix derniers mois, soit bien plus que le minimum
63
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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
pour tous les précaires que sont les intérimaires, les allocataires du RSA… dont les
témoignages arrivent en nombre chaque jour. Pour les intermittents du spectacle, le but
évident du gouvernement est de faire deux milliards d’euros d’économie sur le dos des
chômeurs dans le cadre du « pacte de responsabilité et de solidarité » (qui favorise
« la baisse du coût du travail pour favoriser la création d’emploi ») avec la mise en place
d’une véritable machine à radier les chômeurs.
Le 7 janvier 2015, le trio missionné rend son rapport au Premier Ministre Manuel Valls. Ce
dernier annonce alors plusieurs mesures visant à « bâtir un cadre stabilisé et sécurisé
pour les intermittents du spectacle », dont notamment un projet de loi qui sera présenté
au Parlement afin d’y inscrire les annexes 8 et 10. Les partenaires sociaux et l’Unédic ne
pourront plus décider seuls : « Ils fixeront le cadre financier, mais le secteur professionnel
de la culture, syndicats, coordinations… définira lui-même les paramètres de leur
assurance chômage, dont ils sont les meilleurs connaisseurs ».66 Par ailleurs, d’autres
décisions sont prises :
 Encadrer le recours aux contrats intermittents pour combattre les abus et
supprimer la « permittence ».
 Développer l’emploi et adapter la protection sociale pour mieux garantir les droits
des intermittents.
Concernant la CGT Spectacle, même si ce rapport reprend bon nombre de leurs
contributions, il persiste des contradictions et un point majeur de désaccord sur le fait de
conférer au niveau interprofessionnel la fixation d’un cadre financier pour les annexes 8
et 10. Elle prend acte par ailleurs des préconisations de la mission et veillera à la mise en
œuvre des mesures annoncées, notamment pour les artistes et techniciennes
demandé. Mais avec 440 jours d’indemnités à épuiser au régime général, elle n’est pas prête de faire valoir
ses droits à l’intermittence » ou encore «un intermittent en fin de droit qui n’aurait pas encore ses 507h
mais aurait fait quelques heures au régime général peut être basculé automatiquement dans ce régime.
Maintenant c’est un ordinateur qui gère les droits ». Cette mesure avait été imposée en 2003 aux
intermittents du spectacle, puis rapidement supprimée au vu de ses conséquences catastrophiques.
66
Interview de Hortense Archambault in http://www.telerama.fr/scenes/intermittents-il-n-y-aura-plus-dechantage-a-la-suppression-des-annexes-8-et-10 du 9 janvier 2015
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Annexe 1 - Mémoire de Master 2 Ergologie - Année universitaire 2014-2015
intermittentes qui peines à ouvrir des droits au congé maternité67. Néanmoins, elle
constate avec satisfaction l’inscription dans la loi, dès le premier trimestre 2015, du
régime spécifique des salariés intermittents (ce qu’elle demandait depuis 2007).
De son côté, pour la Coordination Nationale de Intermittents et Précaires, ces tables de
concertations ont pu mettre en avant les dysfonctionnements de l’assurance chômage en
signifiant pour le chômeur toujours plus de précarité et de pauvreté. Elle milite pour
réformer profondément le système de protection sociale afin de l’adapter à toutes les
formes d’activités discontinues ; elle rappelle que cette assurance chômage est pensée
pour l’emploi permanent, aux interruptions exceptionnelles, alors que depuis des
décennies le chômage de masse s’est installé et qu’aujourd’hui plus de 80% des
embauches se font en CDD, dont la durée moyenne est inférieure à un mois68. Elle
souligne qu’inscrire les annexes 8 et 10 dans la loi, n’empêchera pas le MEDEF de les
rendre inopérantes en les vidant de leurs contenus, comme il l’a fait avec l’annexe 4. La
question n’est pas de choisir le système d’indemnisation le moins cher mais le plus juste,
qui s’inscrirait dans une meilleure répartition des richesses.
L’un des points les plus importants de cette concertation a permis à l’Unédic de
reconnaître que les propositions de la Coordination Nationale des Intermittents et
Précaires, élaborées depuis 2003, ne sont pas plus coûteuses, et qu’un modèle vertueux
(mutualiste) peut être mis en place : « Ces tables auront permis de démontrer, une bonne
fois pour toute, que la réforme de 2003 n’a pas été économique – puisqu’elle coûte plus
cher, mais idéologique »69. Cette concertation a aussi prouvé que les organisations
exclues du dialogue paritaire avaient aussi des propositions viables et qu’il fallait peut être repenser le dialogue social afin d’assurer une véritable démocratie.
67
Communiqué de la CGT Spectacle du 7 janvier 2015
Communiqué de la CIP-IDF du 1er mars 2015
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Communiqué de la CIP-IDF du 11 février 2015
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