Laurent Le Bon, centre Pompidou, Metz - Musée des Beaux
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Laurent Le Bon, centre Pompidou, Metz - Musée des Beaux
Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz. Je vous propose une petite balade au Centre Georges Pompidou-Metz1, en précisant qu'il ne rentre pas du tout dans la catégorie puisque ce n'est pas un musée, ni un musée pour demain. Certains ne savent pas où se trouvent Metz et se demandent pourquoi Metz ? Certains se demandent comment je me suis retrouvé à la tête de cette aventure. C'est tout simplement parce que j'étais au fond de la salle, près du chauffage, comme tout mauvais élève et que mes collègues ayant repéré que Metz se trouve au-delà du périphérique, bien sûr, n'ont pas souhaité s'occuper de cette aventure. Cinq ans plus tard, la donne a légèrement changé. Metz est à 84 minutes de Paris, à l'exact opposé d'ici. Pourquoi Metz ? Tout simplement parce que les collectivités territoriales, et surtout la communauté d'agglomération l'a souhaité. Contrairement à ce que l'on dit parfois, ce n'est pas uniquement parce que Jean-Jacques Aillagon y est né, même si cela a joué. Mais il y a un moment où il faut faire le chèque, et là, évidemment, il y a moins d'acteurs. Très rapidement, quelques villes ont émergé comme Montpellier ou Lille, Caen, Albi et finalement le choix s'est porté sur Metz. Aujourd'hui, le choix de Metz s'avère assez judicieux – cela ne va peut-être pas durer. Il n'y avait pas de grande collection d'art moderne et contemporain, et ce n'est pas faire injure à la magnifique salle du XXe siècle du musée de la Cour d'Or que de dire que sa collection n'était pas à la hauteur de la capitale de la région lorraine. Cela explique aussi pourquoi, et à juste titre, on n'est pas allés à Lille : il y a déjà ce magnifique musée de Villeneuve d'Ascq qui a eu une extension et qui connait aussi un grand succès. Finalement peu de musées en Europe sont proches d'une gare, le plus connu est le musée Ludwig à Cologne. Nous avons eu la chance de bénéficier de ce terrain, de cet environnement d'une gare de marchandises allemande réduite à néant par l'histoire, qui se trouve à deux pas de la gare des voyageurs également construite par nos amis allemands au début du XXe siècle avec l'idée d'envahir la France de l'intérieur si jamais il y avait eu un conflit. Le conflit a eu lieu, la Moselle est repassée à la France, ce qui fait qu'aujourd'hui l'on se retrouve dans ce rapport assez extraordinaire de deux magnifiques bâtiments totalement opposés mais connectés par une passerelle. Si Guillaume Pépy – directeur de la SNCF – nous fait l'amitié de mettre la signalétique qu'on lui demande depuis 5 ans à la sortie de la gare, on peut trouver le Centre Pompidou-Metz en deux minutes. La logique urbaine avait été conçue avant, par Nicolas Michelin, architecte qui a pensé tout l'urbanisme de ce quartier, et qui avait aménagé l'espace pour le lieu culturel qui à l'époque ne s'appelait pas encore le Centre Pompidou-Metz. Les fondations de l'amphithéâtre gallo-romain existent encore et le Ministère de la Culture a souhaité qu’elles soient préservées. Parmi 150 candidats, 6 finalistes ont été retenus – nous n'avons pas les moyens de nos amis suisses pour en retenir 18 – 1 www.centrepompidou-metz.fr parmi lesquels quelques stars bien connues comme Dominique Perrault, qui a terminé sixième. NOX, groupe d'architectes néerlandais, a proposé une forme qui n'a pas retenu l'attention du jury. FOA (Foreign Office Architects), groupe britannique dont on a entendu parler parce qu'il a gagné beaucoup de concours pour les Jeux Olympiques de Londres, a été éliminé par le jury qui, même s'il est ouvert à toute forme d'art, s'est rappelé que la majorité des musées d'art contemporain expose des huiles sur toile et que malheureusement la forme du mazzocchio, figure géométrique de la Renaissance, n'était pas forcément propice à l'accrochage de peintures. Nos amis Herzog & De Meuron et leur magnifique bâtiment tout en reflets ont terminé troisièmes. En deuxième position, Stéphane Maupin et Pascal Cribier avaient proposé une architecture antinomique à celle d'Herzog & De Meuron, et qui avait un petit lien avec l'architecture de Shigeru Ban, le lauréat, qui a eu cette phrase un peu définitive : « pour une fois, je crois qu'un architecte a construit un bâtiment qui correspond aux images virtuelles du concours. ». Ce n'était pas totalement faux. On a à peu près tenu les délais, mais surtout le budget qui tient dans une enveloppe de 70 millions d’euros, tout compris, pour un total de 11 000 m². C’est le bâtiment le moins cher au m² en Europe pour ce type d'équipement. Il y a d’ailleurs un rapport très intéressant entre les m² d'expositions temporaires et les m² des supports logistiques, réserves et bureaux. Nous avons un rapport de 1 pour 1, c'est-à-dire 5 500 m² d'expositions temporaires pour 5 500 m² d'autres espaces. Ce qui nous place comme la plus grande surface d'expositions temporaires en France. S'il y a un point à expliquer, c'est celui-ci : nous ne sommes pas un musée, mais un lieu composé d'espaces d'expositions temporaires réalisées en partie grâce aux collections du Centre Pompidou-Paris. Il nous est cependant possible de faire des expositions temporaires sans aucun prêt du Centre Pompidou-Paris ou encore uniquement avec des prêts du Centre Pompidou-Paris. Nous n'avons rien inventé, nous nous sommes simplement ralliés à l'histoire du Centre Pompidou-Paris qui, en 1977, a été un des premiers grands musées à décréter, du fait qu'il montrait de l'art d'aujourd'hui, qu'il renouvellerait en permanence l'accrochage de ses collections. Le Centre Pompidou-Metz est la queue de comète de cette histoire. On peut décider que c'est une erreur tragique d'abolir cette distinction entre collections permanentes et expositions temporaires. En tout cas, pour renvoyer à l’intervention et aux questionnements de Bernard Fibicher, on s'inscrit dans la durée et pour, je l’espère, plusieurs décennies. Évidemment, la source du succès est dans le renouvellement d'une programmation de qualité. Thierry Raspail est, à ce titre, l'un des précurseurs en la matière et il continue brillamment d’illustrer ce modèle à Lyon. Notre musée n'est pas un OVNI, il est ancré dans la ville. Les trois galeries, dont on parle moins que de la toiture, sont des parallélépipèdes rectangles de 100 mètres de long sur 15 mètres de large, décalés les uns par rapport aux autres de 45 degrés. Ces décalages ne sont pas le fruit du hasard mais ils sont exactement dirigés sur des monuments de l'histoire urbaine de Metz. Ainsi, il y a ce jeu intéressant de cadrage optique. Plus vous montez dans le bâtiment, plus vous remontez l'histoire. La première galerie, qui sert d'accueil, est centrée sur l'église Sainte-Thérése et le parvis de Nicolas Michelin, c'est la ville de demain en train de se faire. La deuxième galerie est axée sur la fameuse gare, tête de pont de ce quartier extraordinaire construit pendant une très courte période par les Allemands, aujourd'hui l'un des très rares exemples subsistants de ce type d'urbanisme. La dernière galerie est cadrée sur la cathédrale qui est l'une des plus belles de France, avec une surface vitrée très importante et des vitraux du XXe siècle, notamment de Chagall. Shigeru Ban ne souhaitait pas un cube fermé sur le monde, mais un toit associant dans un même univers le monde de la nature, les publics, les œuvres d'art... Dans 10 ou 15 ans, je pense que l'on verra de grands musées se créer sans climatisation artificielle. Aujourd'hui, le groupe Bizot et autres directeurs de grands musées ont décrété ensemble qu'il y avait un travail de fond à faire pour une stabilité climatique sans climatisation artificielle, en espérant que cela sera possible très prochainement. Chaque galerie fait 1 200 m². Le rez-de-chaussée est un plateau pluridisciplinaire qui renvoie à l'esprit originel du Centre Pompidou-Paris. Sans franchir une seule marche, on a cinq types d'espaces complémentaires : le forum, la grande nef, l'auditorium classique, le studio et un jardin connecté au forum. Shigeru Ban est connu pour avoir fait des charpentes extraordinaires comme celle du pavillon japonais pour l'exposition universelle de Hanovre en 2000. À Metz, il a utilisé le principe du fameux chapeau chinois, c'est-à-dire deux entrelacs de bambou qui enchâssent une feuille d'huile palmée. Cette structure l'a intéressée et elle se retrouve dans la toiture. Le tour de force de notre aventure est la fameuse charpente, recouverte d’une membrane en polytétrafluoroéthylène, composée de grands lés posés depuis le sommet et soudés les uns aux autres. Au total, 1 800 pièces de bois mêlées et collées forment ce chef d'œuvre. La translucidité de la membrane permet ainsi de révéler par transparence le squelette de la charpente. La tour hexagonale, située à l'intérieur, fait 40 mètres de haut et permet une circulation verticale. Dès le programme, nous avions insisté sur l’aspect noctambule du lieu. Effectivement, l’ouverture nocturne favorise une offre complémentaire aux expositions. La partie consacrée à ces activités nocturnes : spectacles vivants, conférences ou séances de cinéma, se trouve dans la partie cylindrique qui accueille le studio. Les façades du forum sont rétractables, elles peuvent s'ouvrir ou se fermer, ce qui permet d’étendre certaines manifestations jusqu’au petit jardin privatisé. À l'accueil se trouve la petite librairie qui a été concédée à Flammarion. Pour le tarif d'entrée, nous avons voulu supprimer toute réduction. Le plein tarif est à 7€, sinon tout le monde rentre gratuitement. C’est particulièrement vrai pour les jeunes de moins de 26 ans, quelle que soit leur nationalité, bien que pour les collections nationales françaises la règle soit la gratuité seulement pour les moins de 26 ans ressortissants de l'Union Européenne. Nous allons bientôt fêter notre 500 000e visiteur en 5 mois. La répartition de la fréquentation se rapproche de celle des musées allemands : 80% de personnes de la région et 20% d’autres. Nous avons vendu à ce jour 17 000 abonnements annuels, ce qui nous met en bonne place dans le palmarès des clubs de foot français. Nous sommes assez fiers de ce chiffre. Nous avons voulu un abonnement à un coût très bas et cela vous donne une idée de l’intérêt que portent les mosellans à l’institution. Contrairement à ce qui a été dit, aucun allemand et très peu de franciliens sont abonnés. Si l'on maintient une politique dense d'expositions dans les années à venir, on pourra peut-être augmenter et diversifier la fréquentation. Le studio, que l'on pourrait aussi nommer grand auditorium, est équipé d'un grand gradin rétractable de 300 places et d'une grille technique sur l’ensemble de la surface. Il permet ainsi de présenter aussi bien des conférences que des concerts. L'auditorium comprend 150 places et est relié avec le studio par une vague de tubes de carton. Shigeru Ban a voulu que le visiteur découvre cet espace qui a une fonction décorative mais aussi acoustique en dernier. C’est un clin d'œil aux architectures des situations d'urgence, après les tremblements de terre, qui l'ont fait connaître. Nous avons ouvert le même mois que le MAXXI de Rome, qui est un bâtiment extraordinaire. Notre musée n’est cependant pas un musée de science-fiction, ce qui aurait été moins adéquat pour accueillir de l'art des décennies passées. Nous avons travaillé pendant trois ans pour créer des espaces flexibles. Nous avons testé, et c'est une première, les dalles de sulfate de calcium pour recouvrir l'ensemble du plancher. Toute la surface est perforée d'un million de trous. On peut donc créer n'importe quel cloisonnement en maintenant une stabilité hydrométrique et thermique parfaite et d’ailleurs, depuis 5 mois d'exploitation, la variation a été minimale. Le plafond est divisé en 60 zones qui permettent de varier l’éclairage de 0 à 60 lux. Les deux baies finales offrent une possibilité d'éclairage naturel latéral, l’ensemble peut être transformé en boîte noire, sans aucune sensation de chaleur. Je ne dis pas que tout est possible, mais il y a pas mal de possibilités. Quelques uns des artistes qui sont venus ont plutôt bien réagi. Par exemple, Daniel Buren, avec qui nous avons travaillé au printemps 2011, est connu pour avoir un regard critique sur le monde des musées, il trouve pourtant que c'est un espace intéressant. Par rapport aux collectivités territoriales, nous nous sommes battus pendant un an pour imposer une campagne publicitaire inédite réalisée par la même agence qui fait la campagne d'Eurostar. Ce projet fut difficile à imposer parce qu’on ne voit pas la ville sur l’image choisie. Or, nous venons de recevoir le prix CB News de la meilleure campagne publicitaire pour une activité territoriale. Pour revenir à l’exposition des collections, il me paraît symboliquement important de ne plus suivre la présentation chronologique et de proposer au visiteur des œuvres qui ne sont pas du champ temporel du Centre Pompidou-Paris qui débute en 1905. L'une des surprises du visiteur est de trouver, par exemple, des œuvres de Georges de La Tour, qui peut être considéré comme un artiste du XXe siècle, puisque qu’il fut redécouvert en 1915, et que le tableau présenté dans l'exposition actuelle a été découvert en 1950 et acheté dans les années 1980. C'est d’ailleurs l'un des très rares chefs-d'œuvre français acheté par souscription publique, un mode d'acquisition peu fréquent en France. L'espace permet quelques folies, notamment de pouvoir accrocher jusqu'à 22 mètres de haut avec cependant des conditions de stabilité climatique. Ainsi, on a pu ressortir des reliefs de Robert Delaunay qui avaient été très peu vus depuis l'exposition internationale de 1937. La deuxième galerie est notre hit, un espace librement influencé par la proposition d'Herzog & De Meuron pour le Moma de Genève. Nous avons déconnecté l'information de l'œuvre : il n'y a aucun cartel, l'information est dans un couloir. On y raconte les rêves architecturaux en France des musées crées ex nihilo depuis 1937. On s'attendait à ce que le public déteste cette partie, mais il l'adore. Dans la dernière partie, on a réfléchi à ce qu'est un chef-d'œuvre à l'ère du multiple, de la reproduction et de la copie. Une partie est dédiée au musée imaginaire, on y expose la dernière vitrine – toutes les autres ayant été détruites – du Musée national des arts et traditions populaires rêvé par GeorgesHenri Rivière et qui a été démantelé pour faire le MuCEM (Musées des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) à Marseille. C'est un hasard mais on s'est aperçu récemment que c'est aussi la vedette du nouveau film de Pierre Huygue. On expose aussi une tête de Bouddha chinois, qui sera premier prêt officiel du Louvre à Abu Dhabi et le cœur de la collection du bâtiment de Jean Nouvel qui va ouvrir en 2013. À la fin de l'exposition, on retrouve la vraie vie, le réel, avec la vue sur l'architecture médiévale de la cathédrale et ce phénomène étrange : plus on va vers elle, plus elle réduit en proportion, métaphore de la fin de l'exposition où plus on va vers l'œuvre, plus elle nous échappe. C'est peut-être cela qui fait que nos métiers sont magiques. Christian Besson : J'aimerais revenir sur un problème commun aux deux derniers exposés, la relation entre des expositions temporaires et permanentes. J'ai noté qu'à Lausanne, il y a la même surface pour les collections permanentes et l'ensemble des présentations temporaires, et un peu moins pour les réserves. Laurent Le Bon a mis l'accent sur le fait qu'à Metz, on a affaire à une programmation temporaire à partir d'un fonds de collection, et que tout est en rotation. Bernard Fibicher, quand, à Lausanne, s'est-on décidé à ne plus présenter de façon permanente les collections ? Bernard Fibicher : C'est une ancienne histoire. Depuis les années 1950, puisqu'il y avait pénurie de place, on a décidé de ne plus montrer en même temps les collections permanentes et une exposition temporaire, mais de choisir entre l'une ou l'autre. Ce sont des décisions parfois douloureuses puisque nous n'avons pas la possibilité de présenter en permanence la collection Vallotton pour lesquels des touristes viennent spécialement et sont déçus de ne découvrir qu'une exposition d'art contemporain. Cela nous a bien sûr donné des arguments pour une nouvelle construction où l'on puisse montrer les deux choses en parallèle. Christian Besson : Dans les discussions qui ont conduit au projet du Centre Georges Pompidou à Metz, est-ce qu'il n'a jamais été question d'un espace pour une collection permanente ? N'y a-t-il pas eu de demande politique dans ce sens ? Laurent Le Bon : Il y a eu une demande politique très forte, mais dès que l'on a commencé à rentrer dans le cœur du sujet, c’est-à-dire quelles seraient les conséquences en terme d'espace et de crédits d'acquisition, rapidement, le débat s'est éteint. Pour le dire moins ironiquement, je pense que c'est un accord gagnantgagnant. Je ne fais pas le même métier que nos amis entendus ce matin, je fais un métier complémentaire. Le cœur de ma formation était de conserver, acquérir et restaurer, cela reste ma passion. Tous les intervenants de cette journée font aussi des expositions, c'est aussi le cœur de leur métier que de rendre public. Si l'on prend l'exemple prosaïque des chiffres du Centre Pompidou-Paris, la collection comprend environ 60 000 œuvres, on peut y montrer entre 1000 et 1500 œuvres en permanence et entre 3000 et 5000 œuvres sont prêtées chaque année, ce qui fait de nous l'un des plus grands prêteurs européens. Par soustraction, il reste une marge importante qui permet l'aventure du Centre Pompidou-Metz, pensée comme complémentaire des autres propositions culturelles. En 1977, quand le Centre Pompidou-Paris a été créé, on nous a souvent qualifiés de « centrale de la décentralisation ». Il y avait cette idée toute simple qu'une collection nationale est pour tout le monde. Christian Besson : La chose nouvelle est qu'au début du Centre Georges Pompidou, la décentralisation, c'était des petites expositions en kit vendues dans des centres culturels de Province. Le projet de Metz est à une autre échelle. Laurent Le Bon : Ce serait un long débat. Il y a toujours une politique très importante de dépôt, et des expositions très importantes ont circulé. Là où vous avez raison, c'est qu'il y avait une part de conseil aux collectivités territoriales, via le CCI (Centre de Création Industrielle), qui a disparu avec le temps et qui renaît aujourd'hui. Quand on demande à Jean-Jacques Aillagon pourquoi il a lancé cette aventure, il dit que c'est notamment à cause de la fermeture de 1997 à 2000, qui avait crée une politique de Hors les murs – que l'on appelle chez nous HLM – qui avait rencontré un grand succès dans l'ensemble des villes françaises où avaient eu lieu les expositions. Thierry Raspail : Je voudrais faire une remarque, s'agissant non d'un musée généraliste mais d'un musée d'art contemporain, il n'y a aucune nécessité à présenter de façon permanente une collection permanente. Si j'étais provocateur, je dirais que c'est quasiment dangereux. La distinction entre la collection et l'exposition temporaire est beaucoup plus porteuse de sens, cela permet de travailler sur des isotropies différentes – je prêche pour ma banlieue car c'est comme cela que nous travaillons. C'est important de penser le contemporain en termes de mobilité en ne s'inspirant pas forcément de Hegel ou de philosophes pragmatiques, mais en s'inspirant de la ville et des magasins qui changent à peu près tous les 15 jours. Auditeur 1 : Dans votre introduction, provocante dans sa verbalisation, vous dites que Beaubourg-Metz n'est pas un musée et surtout pas le musée de demain. Pour moi, Beaubourg-Metz n'existe que parce que Beaubourg existe avec ses collections – à ma connaissance ce sont les collections d'un musée, je ne pense pas que Beaubourg renie le fait d'être un musée qui conserve des collections. Je voudrais attirer votre attention sur le caractère dangereux du vocabulaire employé en disant que ce n'est pas un musée, ni le musée de demain. Qu'est-ce qu'un musée aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a légitimité à ce que les musées continuent à exister dans des formes très variées et évolutives ? Aller jusqu'à dire que les collections de Beaubourg montrées à Metz ne sont pas un musée, me pose question. Laurent Le Bon : Je suis très mauvais juriste, il doit y en avoir de meilleur dans la salle, je me réfère juste à la Loi sur les Musées de France : je ne peux pas aujourd'hui demander cette qualification pour le Centre Pompidou-Metz. Dois-je m'en réjouir ou pas, c'est une autre question. La structuration juridique du Centre Pompidou-Metz fait que nous sommes une installation totalement autonome, je ne suis pas salarié du Centre Pompidou-Paris. Pompidou-Metz est un établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial, ce qui me vaut d'ailleurs deux recours de syndicat qui demandent à ce que l'on soit requalifié en établissement public administratif. Cette distinction est juridique mais cela veut dire beaucoup par rapport à ce que j'entendais pour dire que l'on n'est pas un musée. Dans l'article 1, je crois, de la loi, il est dit qu'un Musée de France se caractérise par la possession d'une collection qu'il doit enrichir, conserver et inventorier. Or, le fondement même du Centre Pompidou-Metz est qu'il n'a pas de collection, ni de réserves. Ceci le distingue du projet du Louvre-Lens, où se trouveront des réserves partiellement visitables, ce qui fait partie du projet scientifique et culturel. Si vous me demandez la définition au sens large du musée, chère madame, je vous réponds que bien évidemment nous sommes un musée puisque le musée est lieu de délectation, de savoir et de pédagogie. Modestement, j'essaie de remplir ces fonctions et ces missions, cela me semble essentiel. Nous n'avons pas pour vocation à faire payer par les collectivités territoriales l'entretien ou la restauration du Centre PompidouParis. Auditeur 1 : Je sais la chose. Le terme d'antenne vous gêne-t-il ? Laurent Le Bon : Je me suis battu pour que nous ne soyons ni une antenne, ni une annexe, ni une succursale, ni une filiale. Pendant 5 ans, j'ai dû justifier et expliquer qu'il n'y a pas un téléphone rouge sur la table, et que ni Alain Seban ou Alfred Pacquement ne m’envoyait ses instructions du jour. Je suis intimement persuadé, et j'enfonce des portes ouvertes, que c'est une alchimie très simple entre un lieu, une architecture, une collection et un esprit qui fait que les visiteurs ont l'impression de voir un lieu qu'ils ne voient nulle part ailleurs. Ce n'est pas un leurre, ce n'est pas la copie d'à côté ou le clone d'un autre musée. C'est pourquoi les visiteurs reviennent. Auditeur 1 : Votre exposition inaugurale qui devait se fermer fin octobre a été prolongée jusqu'en janvier 2011. En allant à Metz fin juillet, j'ai interviewé le personnel et aucune des personnes n'a pu me répondre sur l'exposition à venir. Estce que ce concept de non annonce est quelque chose de pensé ? Laurent Le Bon : Non. Je ne sais pas moi-même ce que je vais faire l'année prochaine… C'est d'abord une aventure collective, il y a beaucoup de commissaires. C'est la première fois de ma vie que je me trouve à la tête de l'aventure de la création d'un chantier. Effectivement, quand vous ouvrez les portes, vous ne savez pas ce qui va se passer, et personne ne pouvait prévoir ce succès. Le bâtiment a été pensé pour accueillir 800 personnes par jour et nous en accueillons presque 5000 depuis 5 mois. C'est pourquoi on n'a pas souhaité être trop dans l'avenir, parce que l'on ne savait pas budgétairement où on allait. Aujourd'hui, par rapport au budget, on voit comment programmer un certain nombre d'expositions temporaires. Fin 2010, nous annoncerons notre programme pour les années 2011, 2012 et 2013. Je vous accorde que c'est peut-être une erreur d'avoir laissé cela secret. Auditeur 1 : Je me posais surtout les questions de la raison. Laurent Le Bon : Le succès, c'est bien sur le papier, mais cela demande aussi plus de maintenance, plus de propreté et de sécurité, plus de tout et plus de coût. Ce n'est pas forcément un rapport mécanique de ressources. Auditeur 2 : Quelle sera la prochaine exposition ? Laurent Le Bon : Une exposition dérivée d'une proposition du Centre PompidouParis que je n'ai pas pu réaliser à l'ouverture pour des raisons de sécurité : exposer le bâtiment vide. On va enfin exposer une galerie vide, avec une surprise mais ce n'est pas une reprise de l'exposition Vides. Il y a une grande attente des lorrains de voir une partie du bâtiment vide. La scénographie est temporaire, par définition. Il y aura une programmation spécifique à l'espace. Auditeur 3 : Vous dites ne pas travailler tout seul, quelle est l'équipe du centre Pompidou-Metz ? Quelles sont ses fonctions si elle n'a pas les fonctions classiques du musée ? Laurent Le Bon : Nous sommes 45 salariés permanents. Certaines fonctions sont concédées comme la maintenance ou la médiation qui a été très débattue, le nettoyage, la librairie, le restaurant. A titre personnel, j'aurais aimé intégrer quelques unes de ces fonctions, mais cela aurait été très complexe, notamment pour la restauration que je regrette amèrement. Il faudra continuer à aller en Suisse, en Allemagne ou en Belgique pour avoir des restaurants agréables dans les musées, je ne peux pas dire que cela soit le cas du Centre Pompidou-Metz... L'équipe quant à elle est structurée de manière normale, comme dans tout musée : programmation, production, communication, bâtiment public, administration, finances, avec 5 à 6 personnes par pôle ; et je précise, très peu de gens de Paris et encore moins du Centre Pompidou-Paris, ce ne sont que des gens qui viennent de la grande région c'est-à-dire de Belgique, du Luxembourg, de l'Alsace et de la Lorraine. Auditeur 4 : Concernant le projet de Lausanne et le fait de rassembler plusieurs fonctions muséales et culturelles dans un même lieu qui va être un très gros navire : d'après vous, cette grosse concentration est-elle un avantage ou n'aurait-il pas mieux fallu essaimer dans la ville différents pôles culturels ? Bernard Fibicher : C'est le cas actuellement, les musées sont très bien dispersés, peut-être trop, mais c'est ce qui fait partie de leur charme, parce qu'il faut les trouver, y accéder. Il y a toute une approche différente si on a trois musées au même endroit, la découverte de la ville manque. Mais je pense que pour nous, c'est un atout, puisque les deux autres musées sont intimement liés à notre programmation d'art contemporain. La possibilité de mutualiser un certain nombre d'espaces tels que la librairie est un fantastique atout, à côté de la gare avec des heures d'ouverture en conséquence, etc. De même que d'avoir un grand restaurant, plutôt qu'une petite cafétéria. Également de pouvoir faire des vernissages au printemps ou en automne en commun. C'est la même chose à Genève dans le quartier des bains, ou à Zurich dans le quartier des musées et des galeries. Pour nous, c'est certainement un avantage. Le musée des Beaux-Arts va sortir du Palais de Rumine, ce qui donne aux autres musées l'occasion de former une entité plus consistante : ce sont des musées des sciences et d'histoire qui vont aussi développer un pôle plus spécifique. Si l'on veut, il y aura plusieurs grands pôles à l'intérieur de la ville.