Francs et Louis

Transcription

Francs et Louis
Extrait de :
Mémoires de …
Antoine de MONTALIVET
Décembre 2000
130
Mémoires de …
Franc et monnaies
C
e vingtième siècle aura sonné bien des glas dans notre
civilisation, le dernier, au 31 décembre 20011, étant celui du Franc.
Ces obsèques, dûment fêtées par les mêmes affairistes que ceux qui
inhumèrent, il y a près de deux cents ans, nos deniers, sols, livres et
autres écus, valaient bien quelques lignes.
Le peuple s'est toujours attaché à la Pièce, objet d'abord du labeur, mais aussi détentrice d'un pouvoir immense, celui de l'accession à la propriété d'un bien.
Trouver l'inventeur de la première pièce n'est pas simple !
Il paraîtrait, à ce que nous en dit l'archéologie actuelle, que ce serait un certain monsieur Crésus, assez riche sans doute puisque,
d'une part il était roi de Lydie2 en 550 av. J.-C., et d'autre part y
possédait d'immenses mines d'or et d'argent. En un mot ce jeune
homme, au demeurant très cultivé et accessoirement un peu poète,
avait tout pour réussir.
Comme il aimait beaucoup ses ouvriers mineurs3, il leur distribuait de temps en temps des petits morceaux du riche métal, découpés dans les chutes de fonderie, quand l'essentiel avait été utilisé
pour les vases du palais et autres ornements religieux.
1
Dernier jour du XXe siècle
appelée aussi Méonie, partie de notre Grèce actuelle, côté mer Égée
3
de surface, car à cette époque on n'exploitait que les minerais affleurant le sol, quitte à
creuser un peu, mais sans réalisation de galeries.
2
… cliquailles
131
Ce métal, qui fut vraisemblablement un des premiers alliages
connus, avait pour nom l'Électrum. C'était un mélange d'or et d'argent refondus dans des fours à bois en forme d'igloo, recouverts
d'argile et de galets, dont la ventilation interne était assurée par
d'imposants soufflets maniés par plusieurs ouvriers, la température
de fusion devant atteindre 1100°.
Les petits cadeaux reçus par les mineurs firent vite des envieux,
mais n'avaient pourtant, au départ, aucune valeur marchande. Crésus eut alors l'idée de faire refondre toutes les chutes d'électrum
dans des moules portant sur une face son aimable portrait et de
distribuer une pièce ainsi obtenue en complément de salaire qui,
rappelons-le, était en ces temps versé en nature.
Le mot lui-même de salaire provient du latin salarium, neutre
substantivé de salarius a relatif au sel. Les premiers soldats romains furent d'abord payés en sel, puis en argent leur permettant
d'acheter leur sel. Il peut nous paraître étrange aujourd'hui qu'une
telle importance ait été attachée à cette denrée, mais il ne faut pas
oublier qu'elle fut pendant des siècles, pour ne pas dire des millénaires le seul produit de conservation pour les aliments. Vivre sans
sel équivalait à n'avoir aucune provision pour les mauvais jours et
rejetait l'homme trente ou cinquante mille ans en arrière, aux temps
où on ne mangeait que ce qui avait été chassé le jour même4.
Notre Crésus payait donc ses mineurs à grandes poignées de sel
qu'ils pouvaient revendre, ou plutôt échanger contre d'autres denrées. Et quand ils avaient dépensé tout leur sel, ils troquaient alors
avec les piécettes d'électrum.
Le numéraire était né.
Il faut avouer qu'il est tout de même plus pratique d'acheter un
poisson salé et un bol de froment contre une pièce polyvalente que
4
C'est la raison essentielle de l'impôt sur le sel — Gabelle chez nous — que tous les gouvernements du monde ont appliqué, à des taux variables, jusqu'à l'invention du réfrigérateur !
132
Mémoires de …
contre un bracelet ou un cageot de salades que le vendeur ne voudra pas pour cause d'allergie aux légumes ou à la pacotille !
De ce pas, l'électrum s'imposa comme métal de référence pour la
frappe des monnaies, d'abord dans les ports méditerranéens, puis
dans toute l'Europe jusqu'à l'époque celtique.
Le principe étant acquis, le troc entre individus n'en continua
pas moins longtemps à fonctionner, car il était — et est toujours —
dans la nature même de l'échange sans intermédiaire entre deux
possesseurs de biens. Dans nos campagnes, encore au début du XXe
siècle, un kilo de bons haricots secs s'échangeait contre cinq kilos
de pommes de terre et un panier de champignons contre une tranche de lard. Chacun était gagnant, sauf bien sûr les parasites qui ne
produisaient rien5 !
Alors l'État, qui voyait s'envoler les diverses taxes à la consommation sournoisement mises en place au cours des siècles afin
d'alimenter sa gent publique, interdit le troc qui fut tout simplement assimilé à de la vente sans facture, avec les ennuis judiciaires
qui en découlent.
Mais, dans l'Antiquité, les Grecs, les Romains et les Celtes, qui
n'avaient rien à faire de la T.V.A., furent facilement conquis par les
possibilités du numéraire, dont l'avantage était indiscutable dès
qu'une opération marchande se présentait. L'or restait cependant
d'une telle valeur que si l'on pouvait se payer un superbe attelage
avec une belle pièce d'électrum, celle-ci ne permettait pas d'offrir
une tournée aux copains gladiateurs au Bar du Petit Romulus : Le
tenancier n'avait pas de monnaie à vous rendre !
Et si l'on avait voulu en fabriquer, il aurait été nécessaire de descendre dans la division matérielle de la pièce à un point où la dimension des piécettes n'aurait été observable qu'au microscope.
Alors, on changea tout bonnement de métal pour fabriquer des
rouelles de moindre valeur, mais de taille manipulable.
5
Inutile de lorgner vers les Fonctionnaires, car on peut en trouver, très peu en réalité,
mais tout de même quelques-uns uns qui produisent… des papiers inutiles mais nourriciers.
… cliquailles
133
L'argent fut le premier élément sous l'or, puis le bronze – alliage
de cuivre et d'étain – le second, et en dernier le cuivre. Cet ordre
dura jusqu'en 1914, où le nickel et d'autres éléments de moindre
valeur vinrent confirmer la vertigineuse dévaluation des monnaies
durant plus de 2.000 ans.
De multiples recherches et recoupements nous ont permis d'établir des représentations graphiques de ces dépréciations entre l'an
800 et l'an 2000. Le lecteur les trouvera un peu plus loin et il pourra mesurer ce que Charlemagne pouvait acquérir avec une Livre en
or et ce qu'on lui offrirait aujourd'hui (1999) en contrepartie d'un
Napoléon6, pourtant toujours côté à la Bourse des valeurs monétaires de Paris.
En 1858, la profusion de production des mines de Californie et
d'Australie fit chuter les cours de l'or dans le monde, ce qui entraîna une dévaluation générale de facto. Car jusqu'en 1914, la législation voulait que toute pièce de monnaie soit couverte par son équivalent en or, niché dans les caves de la Banque de France. Durant
la Grande Guerre, le cours forcé du billet papier suspendit cette couverture, puis en 1919, une pénurie des principaux métaux – peutêtre un peu provoquée par les financiers américains – nécessita une
parité des monnaies européennes sur le dollar.
Mais l'Europe financière existait depuis longtemps. En effet, notre
pays, et bien d'autres du pourtour méditerranéen, connurent leur
première monnaie avec la colonisation romaine qui fit circuler
pendant plusieurs siècles maints deniers d'argent, sesterces et autres
as, des côtes palestiniennes au détroit de Gibraltar.
En France, le début de la frappe officielle peut être situé dans les
années 600, où le bon Saint Éloi conseilla au roi Dagobert, d'une
part de remettre sa culotte à l'endroit et d'autre part de lancer une
pièce d'or à l'effigie de Son Altesse royale. Le (grand) commerce
s'en trouva si bien que 200 ans plus tard, Charlemagne, empereur
pragmatique et entouré de fins conseillers, créa la Livre, monnaie
de compte qui équivalut, un temps, à 491 grammes d'or.
6
Pièce d'or de 20 F appelée aussi Louis d'or, et valant autour de 800 F en 1990
134
Mémoires de …
La Livre parisis, introduite sous Louis VI vers 1110, ne comptait
plus que 489 gr d'or mais se subdivisait déjà en 20 sols (sous) et le
sol en 12 deniers
Un siècle et demi plus tard, Louis IX – Saint Louis – relance la
frappe par une nouvelle pièce, toujours en or, représentant un écu
(bouclier rond) fleurdelisé portant la croix, les lis et le nom du roi.
Le nom d'Écu est issu de cette figure et partira pour 700 ans. C'est
la première monnaie fiduciaire7, car la livre toujours en usage n'était
qu'une monnaie d'écriture et n'avait aucune matérialisation physique.
Nous pouvons nous arrêter un instant sur ce principe de monnaie de compte8. Son immatérialité, puisque cette monnaie est uniquement scripturale, rompt profondément d'une part avec le principe ancien du troc et d'autre part avec celui du paiement de dettes,
d'emprunts ou d'autres engagements par des objets précieux comme il était de coutume jusqu'alors. Elle annonce aussi, par la Mise
en compte sur des livres, la conception du principe de la contrepartie
par des Billets à ordre, Lettres de change et Effets de Commerce. Nos
modernes Carnets de chèques et Cartes bancaires sont basés sur le
même principe. Du salaire versé par l'employeur jusqu'au plein
d'essence à la station-service ou au retrait mensuel du Crédit, aucune piécette n'est manipulée, mais seulement une addition et une
soustraction dans le grand ordinateur qui gère notre monnaie de
compte.
Sur ce plan, Charlemagne était un précurseur et cent ans plus
tard des banquiers florentins commencèrent à s'établir et à faire
leur place, avec les mêmes armes, dans l'import-export maritime.
Venise, La Sérénissime, allait suivre et utiliser également ce principe
comptable, au début dans son engagement pour le transport des
Croisés, puis ensuite dans l'immense empire commercial qu'elle
généra en Méditerranée.
7
de fiducia, confiance, en latin.
Monnaie de compte ou unité de compte : unité monétaire, non matérialisée en pièce ou en
billet, définie et couverte par une certaine quantité d'or ou d'un autre métal précieux.
8
… cliquailles
135
Quand, en 1356, à l'issue de la guerre de Cent ans, notre roi
Jean le Bon fut fait prisonnier par les meschans Anglais9, les discussions sur le montant de la rançon à payer pour le libérer furent
longues. Ce n'est qu'en 1360 que le traité de Brétigny accorda aux
ravisseurs un monceau d'or ! Comme ils ne voulaient pas être
payés en nature, à la mode habituelle, c'est-à-dire en orfèvreries,
pierres précieuses ou terres, ni en monnaie scripturale si facile à
renier au gré des alliances et désalliances, des pièces d'or de la valeur de la livre furent frappées pour s'acquitter de la dette.
Les responsables du trésor royal les nommèrent Francs puisqu'elles devaient servir à affranchir, c'est-à-dire à rendre franc (libre)
le Roy.
Et de ce jour Francs et Livres furent de même valeur, les Francs
étant dans les bourses et les Livres sur les cahiers de comptabilité.
Cependant, des valeurs sous-multiples étaient déjà en service,
comme le Denier10, dont il en fallait 240 pour faire une livre, ou
encore le Sol, devenu par la suite Sou, valant 12 deniers.11
L'Européanisation financière du commerce fit que, du XIIe siècle
aux années 1700, on compta aussi en France avec les monnaies des
voisins. Surtout avec celles, italiennes, telles que le Florin, le Sequin
ou le Ducat, issues des banquiers florentins et vénitiens, grands
prêteurs aux monarques européens, ce qui conférait à ces valeurs
une sécurité à toute épreuve.
Quant à notre Écu d'or, Louis XIV le muta en Écu d'argent,
mais en conservant son ancienne valeur de compte, soit 60
sous (ou 3 livres). Ce fut la première dévaluation officielle, puisqu'on maintint l'ancienne valeur marchande mais que sa couverture était assurée par un métal de moindre prix !
9
À ce propos, profitons de la dernière mode en cours pour demander à ces charmants
voisins de bien vouloir faire repentance pour tous les actes qu'ils ont commis contre les
Français depuis des siècles. Cela nous fera une belle soirée télévisuelle européenne où l'on
s'aimera tous, et où l'on pourra oublier un instant ceux qui se font quotidiennement
agresser aujourd'hui, à leur tour, par de nouveaux voisins …
10
Issu de la mémoire gallo-romaine
11
Dans certaines provinces, c'est 15 deniers qu'il fallait compter pour faire un Sou !
136
Mémoires de …
C'est également sous Louis XIV que l'on entendit parler de Pistoles en France.
La Pistole, connue aussi sous le nom plus ancien de Pistolet, a
servi à désigner, notamment chez nous, l'Écu espagnol au temps de
Jeanne la Folle et de Charles Quint. Les changeurs, dont on ne dira
pas qu'ils aimaient brouiller les pistes afin d'en tirer meilleurs proufits, appliquèrent bientôt le même nom à toute monnaie de titre et
de poids analogue ! En France, la valeur de la Pistole fut fixée à 10
Livres tournois12 en 1652, puis portée à 11 livres 12 sols en 1689.
Heureusement, quelque temps plus tard une certaine rationalisation vit le jour et la Pistole ne fut plus considérée que comme une
monnaie de compte – ce qu'elle avait d'ailleurs toujours plus ou
moins été – exprimant une valeur fixe de 10 livres.
Malgré la frappe d'un Écu républicain en l'An II de la décadence
française, l'Écu royal conserva sa valeur de 3 livres dans les bas de
laine. La pièce s'éteignit doucement au début du XXe siècle, bien que
son nom soit encore resté attaché une cinquantaine d'années à la
pièce de 5 francs en argent.
La livre, quant à elle, disparut vers 1925, et l'on peut encore lire
dans des ouvrages de cette époque qu'un bourgeois13
… avait 80.000 livres de rente,
mais aussi,
… qu'il payait sa Femme de Chambre 200 francs par mois, nourrie
et logée…
Sommairement, la livre définissait le revenu et le franc assurait
les dépenses quotidiennes.
Le sou, dont il en fallait 20 pour faire un franc, mourut dans les
années 1950 et l'on n'entendra plus un commerçant dire à sa cliente : Ne me donnez pas une pièce de cent sous (5 francs), je n'ai pas un
sou de monnaie ce matin.
Et les locutions Être beau comme un sou tout neuf, Avoir des sous,
Être plein de sous ou Gagner des sous risquent fort de disparaître
dans les brumes d'Internet !
12
13
Pièces frappées dans les ateliers de la Monnaie, à Tours.
ou assimilé, voir Courteline et Feydeau qui les ont si bien croqués.
… cliquailles
137
Il faudra auparavant effacer des contrats de prêts bancaires la
forme sous laquelle est présentée la banque14: L'organisme qui conserve le privilège de prêteur de deniers.
Cette dénomination était encore en usage en 1999 !
À ce que nous venons de voir, il faut donc reconnaître qu'il n'est
pas facile de se mouvoir dans les écrits de nos aïeux, que ce soit à
l'occasion de la lecture d'archives, de mémoires ou de romans. Cela
devient même agaçant de n'avoir aucune comparaison possible
entre des montants exprimés en écus, livres, pistoles ou autres deniers et nos références actuelles en francs (ou dans l'Euro qui va
débarquer en 2001)15.
Sans rapprochement avec notre monnaie en cours, que comprendre au legs fait à son neveu en 1680 par la comtesse Adélaïde
de Saint-Brignac, dont le montant, à l'ouverture du testament, était
constitué d'un château d'une valeur de 5 millions de livres, de mille
pistoles et de dix mille écus en pièces, le tout couronné par une
rente d'un prêt de dix-huit mille livres qu'elle avait consenti au
denier vingt, au marquis de Latour de Saint-Guiraud ? Et si la saga
romancée de cette famille vous captive jusqu'à la Révolution, comment estimer, même approximativement, la dépréciation ou l'enrichissement du patrimoine des descendants, et bien sûr les affaires
de cœur, et d'alliances, qui s'en suivirent ?
Si vos lectures vous entraînent sur l'histoire du vin, que penser
d'un muid (tonneau) de Pinot gris vendu 12 sols en 1283 ? Au
litre, ça vous paraît cher, ou c'est donné ?
Éluder ces questions prive d'une masse conséquente d'informations le lecteur d'un roman, bien que cela ne nuise pas obligatoirement au déroulement de l'action. Quoique…
En revanche, toute observation sociologique ou économique de
14
qui a tout pouvoir pour mettre en vente vos biens si vous n'honorez pas les échéances
de remboursement.
15
Si Dieu nous prête vie, il n'est pas interdit que nous écrivions un petit addendum à ce
chapitre, pour narrer les inévitables péripéties qui vont se commettre dans le commerce, si
ce n'est dans les sphères, hautes ou basses de notre impayable Administration.
138
Mémoires de …
la société de nos ancêtres devient stérile sans une conversion en
francs (ou en Euros !) que nous savons aisément manipuler mentalement en termes de grandeur et de comparaison.
Notre muid de Pinot gris à 12 sols serait aujourd'hui un tonneau
de 270 litres. 12 sols en 1283 valent 381,60 francs de 1999. Cela
nous met le litre à 1,41 francs, ce qui n'est pas exagéré ! Sans cette
conversion, la phrase est insipide et il vaut mieux choisir d'autres
lectures.
Nous avons donc patiemment créé un tableau de transformation
qui permet d'obtenir le montant en francs de 1999 d'une valeur
quelconque, exprimée en deniers, sols, livres pistoles ou francs de
l'an 800 à 1999.
Le coefficient trouvé à l'intersection de la colonne et de la date
permet d'obtenir, après multiplication de la somme originale, un
montant en francs d'aujourd'hui (1999) bien plus informatif.
Exemple :
10 livres 6 sols en 1520 = (10 x 159) + (6 x 8 ) = 1.638 F.
Et 100 sous de 1911 équivalaient à (20,4/20) x 100 = 102 F de
1999
Il faudra malgré tout se montrer prudent dans les comparaisons
de pouvoir d'achat ou des valeurs des objets et des biens.
Le mode de vie de nos concitoyens a beaucoup changé au cours
des temps : malgré des connaissances techniques plus restreintes
sur les matériaux, les objets usuels domestiques ainsi que l'outillage
étaient en général de bien meilleure qualité et plus solides que ceux
d'aujourd'hui, ce qui impliquait un coût de fabrication supérieur.
D'autre part, avant le XVIIe siècle, la notion de fabrication en série
n'existait pas, et fabriquer 100 piochons coûtait cent fois plus cher
que d'en fabriquer un. Le prix de vente était à l'avenant.
La gaspilleuse société de consommation – le terme est éloquent
en lui-même – a faussé bien des relations entre l'homme et l'objet
qu'il possède, fruit malgré tout de son travail. Pour s'en convaincre,
… cliquailles
139
il n'y a qu'à observer les poubelles ou les décharges publiques dans
lesquelles stagnent des canapés, des machines à laver ou des téléviseurs – souvent achetés à crédit et tout juste payés –, en parfait état
de fonctionnement dont la séparation a été motivée par le changement de tapisserie dans la salle de séjour ou l'installation d'une
moderne – et pas moins laide – cuisine à l'américaine comme-tout-lemonde-en-a-une.
Au feu, les buffets des ébénistes de nos grands-mères !
La plus grande prudence s'imposera donc dans l'interprétation
des résultats.
Auparavant, nous avons résumé, page suivante une courte liste
de produits au cours des âges, et leur équivalence brute en francs de
1999.
Mémoires de …
140
Quelques prix au cours des temps…
Date
1283
Produit ou Service
Coût
Observations
Francs 1999
270 litres de vin VDQS
12 sols
381,60 F
270 litres de vin A.O.C.
9 sols
286,20 F
soit 1,41 F le litre
-
1,06
-
-
270 litres de vin ordinaire
6 sols
190,80 F
-
0,71 -
-
1 147,00 F
-
1441
100 livres de graisse de porc
1652
Salaire journalier d'un ouvrier
agricole (nourri et logé)
16 sols
67,20 F
soit 1.680 F / mois
1652
685 litres de vin en Aveyron
15 livres
1 260,00 F
soit 1,84 F le litre
1750
430 grammes de porc
10,40 F
soit 24,18 F le kilo
(à 489 grammes la livre)
4 livres 10 sols
5 sols 6deniers
23,45 le kilo
Salaire journalier d'un ouvrier
agricole (nourri et logé)
à Mèze
15 sols
28,50 F
soit 712,50 F / mois
à Montpellier
20 sols
38,00 F
soit 950,00 F / mois
3 sols
5,25 F
de 5 km
1,66 F
54,78 F
1826
½ hectolitre d'orge (50 litres)
3,25 F
100,75 F
1832
une paire de sabots
0,50 F
15,00 F
1789
Livre (430 gr) de pain taxée à
1814
Transport de messageries
soit 12,21 le kilo
les 1.000 kilos par tranche
1837
600 litres de cidre
1913
Une BB Peugeot complète
conduite inter. 3 vitesses
1913
Coût au km de la BB
45 F
1 305,00 F
4 250 F
73 525,00 F
1 sou
0,86 F
Salaire mensuel des domestiques nourris, logés, blanchis :
1913
Cuisinière
50 F
865,00 F
Femme de chambre
40 F
692,00 F
Bonne à tout faire
32 F
553,60 F
1 kilo de pain
0,40 F
6,92 F
1 kilo de pommes de terre
0,15 F
2,60 F
1 kilo de haricots secs
1,00 F
17,30 F
1 kilo de beurre
3,80 F
65,74 F
1 kilo de sucre
0,75 F
12,98 F
1 kilo de café
4,80 F
83,04 F
1 kilo de bifteck
3,80 F
65,74 F
1 kilo de porc
2,40 F
41,52 F
1 litre de lait
0,30 F
5,19 F
1 litre de vin rouge ordinaire
0,45 F
7,79 F
1 douzaine d'œufs
1,80 F
31,14 F
soit 2,02 le litre
soit 2,17 le litre
… cliquailles
141
Quelques prix au cours des temps… (suite)
Date
Produit ou Service
1913
Costume H. 3 pièces laine
Robe lainage
Chaussures de ville
1913
Mobilier :
Coût
Francs 1999
39 F
32 F
16 F
674,70
553,60
276,80
425 F
550 F
100 F
6F
7352,50
9515,00
1730,00
103,80
Loyers maison bourgeoise
centre chic Paris :
3 pièces + cuis Tt confort Paris
6 pièces + cuis Tt confort Paris
1 200 F
3 000 F
20760,00
51900,00
Divers :
Affranchissement lettre
Téléphone 3 minutes
0,10 F
0,15 F
1,73
2,60
Paquet de cigarettes Gauloises
Coupe de cheveux
Journal quotidien
0,50 F
0,40 F
0,05 F
8,65
6,92
0,86
1918
Une Renault (sans précisions)
4 000 F
33600,00
1923
Consultation chez le docteur
1 kilo de viande de veau
1938
Salaire mensuel des domes-
Buffet + Table + 6 chaises
Lit + Armoire + table de nuit
Poêle chauffage
Série de 5 casseroles
1913
1913
1948
1950
1962
8F
5F
43,28
27,05
tiques nourris, logés, blanchis :
Cuisinière
440
1166,00
Femme de chambre
Bonne à tout faire
340
300
901,00
795,00
Cuisinière
Femme de chambre
7 000 F
6 000 F
1260,00
1080,00
Bonne à tout faire
5 800 F
1044,00
21 600 F
3240,00
630 F
5726,70
Minimum vital mensuel estimé
pour 3 personnes (équival RMI)
Salaire mensuel brut d'un
ouvrier P1 chez Renault
Observations
Mémoires de …
142
COEFFICIENT À APPLIQUER
aux Deniers, Sols ou Sous, Livres, Pistoles et Francs
pour obtenir l'approximation d'une valeur en Francs de 1999
DENIER
SOL ou
SOU
LIVRE ou
FRANC
Coef.
Coef.
Coef.
Année
24,31
6,91
2,76
2,65
1,33
1,06
0,66
0,46
0,23
0,15
0,13
0,11
291,7
82,9
33,2
31,8
15,9
12,7
8,0
5,6
2,8
1,9
1,6
1,3
800
1100
1225
1270
1360
1450
1520
1630
1680
1750
1820
1870
1900
1901
1902
1903
1904
1905
1906
1907
1908
1909
5 834
1 658
663
636
318
255
159
111
55
37
32
26
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
20,4
1910
1911
1912
1913
1914
1915
1916
1917
1918
1919
1920
1921
1922
1923
1924
1925
1926
1927
1928
1929
Jusqu'à sa
disparitiona
ux environs
de 1950, le
Sou
conserva
sa valeur
d'un
vingtième
de franc
Notes:
La PISTOLE valait
10 Deniers
L'ÉCU d'Or, puis d'Argent, valait 3 livres
jusquà la Révolution,
À partir de 1820, son
nom est attaché à la
pièce d'Argent de 5 F.
La LIVRE est une
monnaie de compte
qui n'a jamais eu de
représentation matérielle.
FRANC
Année
Coef.
Année
Coef.
1930
1931
1932
1933
1934
1935
1936
1937
1938
1939
3,01
3,16
3,45
3,60
3,73
4,08
3,80
3,01
2,65
2,48
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
6,53
6,18
5,82
5,42
4,77
4,27
3,89
3,54
3
2,93
1940
1941
1942
1943
1944
1945
1946
1947
1948
1949
2,11
1,79
1,50
1,21
0,99
0,67
0,43
0,29
0,18
0,16
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
2,30
2,02
1,81
1,66
1,55
1,46
1,43
1,38
1,35
1,30
20,4
17,3
17,3
17,3
17,3
14,5
13,0
10,9
8,4
6,8
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
0,15
0,14
0,11
0,11
0,11
0,11
0,11
0,11
0,10
0,10
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
1,28
1,26
1,21
1,19
1,16
1,14
1,10
1,08
1,06
1,00
5,01
5,78
5,90
5,41
4,74
4,42
3,36
3,25
3,25
3,06
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
9,70
9,52
9,09
8,65
8,39
8,17
7,90
7,68
7,33
6,86
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
… cliquailles
143
DÉVALUATION DU FRANC
DE L'AN 800 À L'AN 2000
MULTIPLICATEUR
600000
500000
CERTITUDE
INCERTITUDE
400000
300000
200000
100000
0
0
80
10
00
12
00
14
00
ANNÉES
16
00
18
00
20
00
Mémoires de …
144
DÉVALUATION DU FRANC
DE L'AN 1900 À L'AN 2000
MULTIPLICATEUR
2000
1500
1000
500
19
00
19
10
19
20
19
30
19
40
19
50
19
60
19
70
19
80
19
90
20
00
0
ANNÉES
Ce dernier graphique, n'est qu'un zoom du bas du précédent,
l'évolution de 1900 à 1999 n'étant pas visible à la première échelle.
… cliquailles
145
D'autre part, le Multiplicateur sur l'axe des ordonnées correspond à la perte réelle de valeur du franc de 800 à 1999. En effet,
dans ce graphique, nous n'avons pas pris en compte le tour de passe-passe effectué par Antoine Pinay, Ministre des Finances du Général De Gaulle en 1960 :
Afin de rapprocher psychologiquement le franc du dollar – qui
valait alors pas loin de 493 francs – le franc fut dévalué de cent fois,
ce qui sur le marché mondial ne le plaçait plus que 5 fois plus faible
que la monnaie américaine. Cette orgueilleuse stupidité perturba les
Français car du jour au lendemain un bulletin de paye passa de
63.000 F à 630 F, et bien que la baguette de pain chût à quelques
dizaines de centimes, on n'en continua pas moins à parler et surtout à raisonner en anciens francs.
Encore en ces années 1990, même dans la jeune génération, les
grosses sommes sont toujours exprimées dans l'ancienne valeur.
Une belle villa vaut encore 100 millions, peut-être à cause d'un
langage argotique qui n'a pas trouvé de diviseur pour 100 patates !
De même, une Ferrari à 50 briques, c'est encore assez cher en cette
fin de siècle.
Un problème identique va se poser avec l'Euro, dont la parité
fixe n'est pas encore stabilisée, mais avec une plus grande acuité,
puisque le multiplicateur ne sera plus un chiffre rond comme 100.
Nous souhaitons bonne chance à celui qui aura le courage de
mettre à jour nos tableaux de conversion en euros ! Mais auront-ils
encore un intérêt pour quelqu'un ?
Ce passage à l’Euro est une dépersonnalisation de la monnaie et
ne s'est jamais produite dans un État, car une devise a toujours été
attachée à un pays, à son histoire et à sa population.
Notre pays disparaît dans l'uniformité du brassage socio-culturoéconomique avec des voisins, certes charmants, mais parfois éloignés, chez qui la notion de productivité – Les Grecs, Portugais ou
Bulgares par exemple – est pour le moins très différente de la nôtre.
Notre histoire sombrera avec une population qui n'aura plus de
146
Mémoires de …
racines, et encore moins d'attaches. De surcroît, cette population ne
sera même plus européenne ; l'attrait des richesses nationales acquises en deux mille ans de travail par le peuple français, aura largement contribué à son pillage avec la bénédiction des politiques
laxistes et populistes.
Le dérapage s'est produit en 1789 et la course folle s'achèvera
dans le bourbier explosif africano-européen.
Très heureusement, nous ne serons plus là pour voir et subir ces
infamies.