Les scènes ne roulent pas sur l`or

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Les scènes ne roulent pas sur l`or
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Gros plan
22 au 29 juin 2016 - N° 811
Les scènes ne roulent
Salles de théâtre, de concert,
musées, festivals, bibliothèques: la culture ne pourrait
pas survivre sans le soutien
des pouvoirs publics. Alors
que la population de Genève,
ville championne suisse du
budget culturel avec 1’530 frs
par habitant, vient de refuser
de couper dans ces aides,
Le Régional a voulu savoir
quelles étaient les politiques
de subventionnements de
Lausanne, Pully, Vevey,
Montreux, Aigle. L’occasion
aussi de comprendre en coulisses comment fonctionnent
les principales enseignes
culturelles de la région au
plan financier et quelle est
la part d’argent public dans
leur budget. Lever de rideau.
consacrer 29,5 millions de francs au
domaine culturel. Le gros de ces aides
est avalé avant tout par les écoles de
musique, le Théâtre de Vidy, l’Opéra
de Lausanne ou l’Orchestre de la Suisse
romande. Les villes sont aussi en première ligne pour soutenir la culture.
Championne suisse, Genève y consacre
250 millions (23,4% de son budget total),
soit 1’530 frs par habitant. En comparaison, Lausanne affiche un montant de
60,1 mios à son budget 2016, soit 425
frs par habitant (voir infographie). «Il
est logique que la ville participe d’une
manière ou d’une autre, estime Laurence
Vinclair, directrice des Docks, salle de
concert lausannoise, puisqu’une scène
ou un théâtre contribuent également à
son image et à son rayonnement.» Au
point que l’entier du budget de fonctionnement des Docks est couvert par des
montants versés par la ville - 680’000
frs - et le canton - 30’000 frs. Le coût
des concerts est financé par la billetterie et le bar. Des demandes sont adressées à la Loterie Romande pour d’autres
dépenses, concernant par exemple du
matériel technique.
Valérie Blom
Vevey bon élève
CULTURE
L’
éclairage diminue, les conversations s’estompent et les trois
coups retentissent. Les spots
braquent alors leur lumière laiteuse sur la scène du théâtre 2.21 ou de
l’Arsenic à Lausanne, du Rocking Chair
à Vevey ou du Kremlin à Monthey. Mais
pour que l’électricité soit branchée, que
le public puisse s’asseoir, ou afin de payer
l’artiste qui monte sur scène, ces institutions dépendent de mannes privées ou
publiques. Voire des deux.
Ecoles de musique gourmandes
Culture rime souvent avec subvention.
En 2016, le canton de Vaud prévoit de
Autre ville à faire figure de bon élève,
Vevey, avec plus de 9 mios prévus pour la
culture en 2016, soit 472 frs par habitant.
Plus de 7,5 mios vont aux scènes culturelles, le reste à la bibliothèque et aux
Eglises, inclues dans le budget culturel.
Les plus grosses subventions sont celles
des musée Jenisch, musée de l’appareil photo, musée historique et festival
Images. «Mais au moment d’imaginer un
projet d’exposition, nous devons aller à
la recherche de fonds complémentaires»,
précise la directrice du musée Jenisch,
Julie Enckell Julliard.
Toutefois, sur la Riviera, les enseignes
jouissent d’un bonus, le Fonds culturel
Riviera. Chaque commune est tenue de
pas sur l’or
à convaincre si vous souhaitez grimper
sur scène.»
L’art, c’est inventer
Dirigé par Nicolas Gerber, le théâtre de l’Oriental à Vevey est spécialisé dans la création, ce qui coûte plus cher que l’accueil
de productions.
Robert Fux
cotiser 48 frs par habitant, qui sont ensuite reversés à des institutions d’intérêt
régional. En 2016, elles étaient 20 à en bénéficier, dont les théâtres de la Grenette,
des Trois Quarts, ou le Théâtre Montreux
Riviera (TMR) (voir encadré). «Les subventions de la ville, du canton et du fonds
culturel Riviera couvrent 60 à 70 % du
budget, détaille Khany Hamdaoui, directrice du TMR. Le reste est pris en charge
par la billetterie ou les tarifs des stages et
des cours de comédie.»
comédiens ne peuvent pas être remplacés par des machines. Donc soit les arts
disparaissent, soit ils sont pris en charge
par les finances publiques.» La saison
prochaine, son théâtre table sur un budget de 250’000 frs, dont 75’000 frs du
«Les institutions culturelles sont un peu comme
les bibliothèques,
elles ne peuvent pas
s’autofinancer.»
Autofinancement impossible
«Les institutions culturelles sont un peu
comme les bibliothèques, considère
Clément Reber, responsable du théâtre
Waouw à Aigle, elles ne peuvent pas
s’autofinancer. C’est la loi économique
de la maladie des coûts. Il est impossible
de rationaliser les charges, puisque les
C. Reber, théâtre Waouw, Aigle.
canton. «Nous espérons environ 30’000
frs de la ville, ajoute Clément Reber,
codirecteur de l’institution. Il nous faut
ensuite trouver des soutiens privés ou
des sponsors. Nous nous autofinançons
à hauteur de 40% grâce aux publicités de
notre programme.»
Pour décrocher le graal – la subvention –
mieux vaut avoir de bonnes tirades, car
tout repose sur les dossiers déposés pour
obtenir aides publiques et privées. Une
exception au générique, du moins dans
le paysage régional, l’Oxymore. «Je reçois
uniquement un petit soutien communal,
commente sa directrice et propriétaire
des lieux, Nathalie Pfeiffer (photo de
page 1). Les recettes se répartissent en
trois, la location de la scène, payée par
les artistes, va à l’association, la caisse
aux artistes et le bar me revient.» C’est
sa façon de responsabiliser les acteurs
à s’impliquer s’ils souhaitent trouver
leur auditoire. «C’est une autre manière
de penser, car j’applique mes propres
règles. Mais c’est une monarchie qui a
du bon. Au fond, je suis la seule personne
Un moyen d’encourager la créativité artistique. Car côté cour ou jardin, les frais
des créations maisons sont plus élevés
que ceux de l’accueil d’un spectacle extérieur, puisqu’il faut payer des artistes
durant le processus d’élaboration de
l’œuvre. Au point que peu d’enseignes
entre Lausanne et St-Maurice proposent
des créations inédites. L’Oriental en fait
partie, comme l’explique Nicolas Gerber, membre du comité de direction:
«Les spectacles qui se produisent chez
nous sont soit créés sur place ou proviennent de l’enchaînement directe de
leur invention. En tant qu’auteur, il n’est
pas évident de se présenter aux grosses
structures, il est nécessaire d’avoir une
plateforme qui porte leur projet.»
L’Odéon, petite théâtre de Villeneuve,
ne roule pas sur l’or. Mais cela ne l’empêche pas de lancer cette année une
œuvre originale, un spectacle inédit qui
sera présenté en novembre. «C’est en
soit relativement compliqué et risqué,
confie son directeur Patrick Francey.
Mais c’est aussi un moyen d’encourager
les artistes de la région, puisqu’il s’agira
d’Olivier Delaloye et de Fabrice Bruchez.
L’humoriste Yoann Provenzano pourrait
créer aussi quelque chose ici, chez lui.»
Malgré les difficultés financières, les enseignes estiment à l’unanimité être bien
soutenues par les instances publiques.
Le talent a son oreille attentive. «En
Suisse romande, nous sommes bien
lotis, confirme Patrick Francey. Nous
disposons d’une belle offre culturelle
et nous avons l’embarras du choix pour
nous divertir.» Nathalie Pfeiffer tient
toutefois à remettre le décor en place:
«Il faut davantage d’espace pour l’invention, estime-t-elle. Nous avons de bons
artistes sortant des écoles, mais ils ne
peuvent pas accoucher d’une œuvre,
faute d’endroit où créer, qui se limite
à l’Arsenic, le TMR, Vidy et l’Oriental.
Pourquoi s’en tenir aux théâtres d’accueil, payant 25’000 frs pour faire venir
(Chiffre par habitant et montant total, source:
comptes 2015 ou budget 2016)
Fr 472.–
Fr 154.–
(2,74 mios)
(60.1 mios)
Fr 162.–
(4.25 mios)
Pully
Vevey Montreux
Lausanne Genève
Le Fonds culturel Riviera a été fondé en 1994 par les dix communes
de la région, d’abord pour soutenir l’Auditorium Stravinski et la Fondation des arts et spectacles de Vevey. Dès 2000, le soutien s’étend
à d’autres institutions de portée régionale. «C’est un principe qui
prévaut encore, déclare Colette Rossier, cheffe du service des affaires
intercommunales de la Riviera. Les enseignes doivent déjà avoir une
solidité financière avant de prétendre recevoir un soutien du fonds.»
Chaque habitant des communes cotise 48 frs par année pour alimenter cette structure. En 2014, ces contributions se sont élevées à un
peu plus de 3,69 mios. En 2016, de nombreux théâtres reçoivent une
aide du fonds, dont les Trois-Quarts, le TMR, La Grenette, l’Oriental ou
le Rocking Chair, la Saison culturelle de Montreux, l’agenda Riviera ou
le Montreux choral festival.
Un tiers du fonctionnement du RKC
est couvert par des subventions de
la ville, du Fonds culturel Riviera et
du canton, pour un total de 220’000
frs. Ses recettes propres s’élèvent à
330’000 frs environ et les dons et
sponsors à près de 70’000 frs. Le
budget de l’institution veveysanne
oscille entre 600’000 et 630’000
frs, en fonction des saisons. «Nous
constatons une augmentation nette
des spectateurs, confie Milena Quattrocchi, présidente de l’association
Une exception dans le paysage culturel riviero-chablaisien, l’Odéon. Le
théâtre de Villeneuve ne recevait pas
de subvention jusqu’à l’année passée. «Nous pouvons bénéficier gratuitement des locaux, ce qui est une
forme de soutien, précise son directeur, Patrick Francey. Depuis vingt ans,
nous avançons à la force du poignet,
avec beaucoup de bénévolat. Depuis
2015, le théâtre touche une subvention communale équivalant à 5frs par
habitant de Villeneuve. A terme, nous
L’enseigne montheysanne a la particularité d’être soumise à l’organisation
valaisanne, possédant un système de
subventions différent. «Nous recevons
une aide de la ville pour les artistes
montheysans et du canton pour les
valaisans. Ces sommes couvrent leurs
cachets», explique Philippe Battaglia,
responsable et fondateur du Kremlin,
espace accueillant concerts, expositions et projections. Les frais restants
sont absorbés par les entrées et le bar.
«De temps en temps nous recevons
DR
Aigle
Le Fonds culturel Riviera, une particularité
La salle de spectacle lausannoise
reçoit 1,315 mio de la ville et 570’000
frs du canton, de quoi couvrir une
partie de son budget de 2,4 mios.
«Les entrées, le bar et les aides ponctuelles, comme celle de la Loterie
Romande, complètent, explique
Sandrine Kuster, la directrice. Le jeu
est de faire avec ce qu’on a, à nous de
tenir notre budget. Nous recevons
des subventions importantes, mais
qui correspondent à notre activité.
Nous avons peu de marges, avec
aimerions pouvoir engager quelqu’un
à 50% à l’administration.» Le théâtre
possède une politique tarifaire basse
et espère obtenir d’autres subventions dès l’année prochaine. «Nous
allons demeurer une scène d’accueil
de troupes professionnelles et non
professionnelles.»
Fr 34.–
(336’257.–)
Le Kremlin, Monthey :
cachets subventionnés
gérant l’espace. De plus, les salles de
concert sont davantage soutenues
depuis quelques années. C’est le
combat des musiques actuelles qui
souffrent parfois d’une mauvaise
image.»
(250 mios)
Fr 425.–
(9.1 mios)
L’Odéon, Villeneuve :
«à la force du poignet»
DR
Fr 1’530.–
Genève est la ville suisse qui
dépense le plus pour sa culture
Rocking Chair, Vevey :
220’000 frs de subventions
plus de 30 spectacles par saison.»
L’Arsenic possède un tarif unique à
13 frs, visant à encourager l’accessibilité de la culture. «C’est notre
politique, afin de susciter la curiosité du public.»
Pierre Arditi, questionne la directrice
de l’Oxymore, qui s’exclame: Créons un
label local, mais aussi pour les comédies de boulevard. L’art ne doit pas être
exclusivement intello.»
Budget culturel des grandes villes
L’Arsenic, Lausanne :
1,88 mio de subventions
P. Weissbrodt
03
Gros plan
22 au 29 juin 2016 - N° 811
DR
des dons privés et nous avons un
système de carte d’abonnements.»
Un régime «sec» différent des autres
institutions de la ville, comme le Pont
Rouge et le Crochetan, faisant partie
intégrante du service culturel de la cité
chablaisienne.