De l`enfance tragique dans Allah n`est pas obligé de Kourouma
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De l`enfance tragique dans Allah n`est pas obligé de Kourouma
104 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 De l'enfance tragique dans Allah n'est pas obligé de Kourouma : entre guerre et représentation littéraire de l'horreur Aimé Gomis Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3, ED 120 Paris, France [email protected] Abstract: I intend to study in Allah n'est pas obligé the literary representation of horror. This text of Kourouma focusing on the African childhood, can locate the levels of involvement of the war in the structuring of the character identity, especially of Birahima, the novel’s hero. But it also helps to assess areas of confluence called "mixed zone" in the representation of the human and where the philosophical aspects of esse appear as central to human phraseology struck by the Real, that of horror, which is out of control. It's the whole point of this article based on rich textual information to suggest another possible sociopolitical, historical and anthropological reading of the African trauma. Keywords: child soldiers, war, tragedy, identity, horror, writing, violence, aesthetic disaster. « (...) l'homme a été créé pour inventer l'enfer », Sony Labou Tansi, La vie et demie, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1979, p. 177. « Le Vieux monde, (...) : on y vit de la même façon qu'on y meurt. Ça c'est fantastique. », Ibid., p. 182. « (...) ce qu'il y a de tragique dans l'être, c'est précisément et seulement sa simple qualité d'être », Clément Rosset, Le monde et ses remèdes, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2000, p. 5. C'est l'auteur qui souligne. Introduction L'idée que toute société est capable des pires déchaînements meurtriers continue de faire bonne recette. Aujourd'hui, ce déferlement de violence est repris en écho dans le champ littéraire en général, africain en particulier, où il vient à s'imposer comme une norme esthétique, du moins celle qui, inspirée par toutes les apories d'une rhétorique hypertrophique, entend saisir le fondement même du sens social et politique. On le sait, l'actualité brûlante et bouleversante du continent noir ne saurait prouver le contraire de ce que certains critiques se soient laissés aller à conjecturer sur ce monde de la tragédie qu'est devenue l'Afrique des putschs, des génocides et des "perestroïka" militaires en tout genre. Les thuriféraires de l'afro-pessimisme qu'avaient bien dénoncé les nationalistes africains les plus virulents avaientils raison d'assimiler l'Afrique à un terreau constitutif d'une certaine hypertrophie de l'excès et où la capacité de la tragédie, du moins la pensée tragique, informe la réalité tragique d'un monde en décadence, mieux permet de penser tous les phénomènes politiques et sociaux auxquels ils sont invariablement connectés. Cette hypothèse mérite d'être retenue quand on sait qu'on est parvenu aujourd'hui à un tel seuil de surgissement de l'horreur et de l'abject qui n'en finissent pas encore d'écorner l'image d'une Afrique sereine, puissante et reine de ses rêves comme de ses espérances. Il est un truisme de dire que ces horreurs sont la conséquence de l'incurie politique et des multiples conflits qui ensanglantent la Terre Mère. Déjà, après le cycle des indépendances qui avaient fini par semer la graine de l'illusion tragique dans les consciences populaires, les écrivains africains ont su rester fidèles à une certaine veine alarmiste qui surcharge leurs écrits avec un « contenu tragique ». Des guerres par-ci, des catastrophes humaines et des grands problèmes par-là, sortes de noyaux fondamentaux de la réalité sociopolitique, l'image d'une Afrique où le mal est en spectacle permanent bouscule plus que jamais tous les symboles d'une contemporanéité tragique et malheureuse. Ainsi, ce qu'il est convenu d'appeler la « malédiction africaine » suscite désormais les interrogations les plus appropriées. L'Afrique serait-elle devenue un Ştiinţe socio-umane terreau fertile où se développe une certaine culture de la violence »1, celle-là même qui fait naître comme un urgent besoin d'écrire, de traiter de la matière du tragique? Alexie Tcheuyap en est convaincu. Voici sa remarque : « les romans africains font de la violence une expérience humaine parfois fatale »2. Loin d'être une singularité du tragique qui émeut par ses accents infiniment "shakespeariens", Allah n'est pas obligé de Kourouma fait de la violence une sorte d'autopsie, peut-être même de thérapie du mal. Une lecture même désintéressée du récit permet, en exploitant au mieux toutes les possibilités que nous offre une stratégie épistémologique du réel, d'y découvrir la violence parée de ses métaphores les plus obsédantes. Les figures de la violence se multiplient à l'excès jusqu'à figurer un monde dont la permanence ne peut advenir que dans le bouleversement de l'ordre des identités. Ici des personnages exercent contre eux-mêmes une violence à travers une ascèse qu'ils imposent à leur corps comme pour l'éprouver ; là la violence devient l'alibi presque justifié de l'aliénation de l'Autre. Cependant, de toutes ces figures de la violence, celle qui semble former la dimension émotive du lecteur est vécue par l'enfant qui en reçoit les éclaboussures. Pourtant l'enfant reste curieusement acteur et victime des combats qui alimentent toute la spéculation épistémologique et narrative du roman de Kourouma. Au front comme ailleurs, l'enfant est apprécié pour ses instincts meurtriers et son zèle anthropophagique. Sacrifice vaniteux et "machin" expiatoire, l'enfant est devenu dans les guerres africaines presque comme un véritable engin de la mort. Le voici qui déserte les sentiers ombragés de l'école, se séparant de son "Mamadou et Bineta", pour arpenter, arme aux poings, le chemin ténébreux des champs de bataille et dont il apprendra tout. Selon Léon Riegel, « La guerre est une terrible école où l'on apprend à tuer, à tuer sans volonté de mal-faire ou de se faire mal, comme le boucher tue ses bêtes à l'abattoir. On y apprend l'insensibilité envers les autres et envers soi-même. Cet apprentissage ne doit comporter aucune coloration de sadisme ou de masochisme. Il s'agit de tuer froidement, méthodiquement, « avec efficience » (sic) comme dans une gigantesque firme d'abattage industriel... La 1 Pius Ngandu Nkashama, « Les "enfants-soldats" et les guerres coloniales à travers le premier roman africain », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 33. 2 Alexie Tcheuyap, « Présentation. Écrire rouge : de la guerre perpétuelle en Afrique francophone », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 8. 105 guerre doit être, en somme, une école d'indifférence. »3. De même avec la guerre s'affirme-t-il ce « contenu tragique » de l'existence humaine qu'évoque Clément Rosset4 qui, finalement, n'est rien d'autre que cette expression esthétique particulière par laquelle l'expérience du mal, donc du tragique, vient à signifier l'état de délabrement et de déliquescence dont peut être atteinte toute société. Voilà donc autant d'arguments de réflexion et d'hypothèses de travail que le présent article se propose de conjecturer afin de montrer les liens métaphoriques qui construisent la pensée tragique autour de la figure de l'enfant-soldat. La violence sociale connaît aujourd'hui de nouvelles formes d'expression. En effet, depuis la publication en 2000 d'Allah n'est pas obligé, le lectorat prend la mesure de la décharge et du tremplin tragique qu'énonce l'épistémologie littéraire africaine. Autant il est vrai que la mise en récit des contingences de l'horreur dans lesquelles peuvent se trouver impliqués des jeunes enfants et des caïds immatures n'est pas une « trouvaille » thématique5, autant il s'avère également que cette vulgate des enrôlements de brigades composées d'enfants-soldats dans des affrontements entre adultes ne peut que certifier une certaine forme de « retour du tragique » dans l'épistémologie politique et sociale. Dès lors, il advient que le tragique ne peut que figurer l'inattendu, au-delà l'extraordinaire.6 Consacré aux enfants-soldats, Allah n'est pas obligé est, comme du reste Quand on refuse on dit non7 avec lequel il forme un diptyque, un récit-témoignage aux accents de tragique zélé mêlé à un parfum d'ironie cocasse et mordante8. 3 Léon Riegel, Guerre et littérature : le bouleversement des consciences dans la littérature romanesque inspirée de la Grande guerre : littératures française, anglo-saxonne et allemande, 1910-1930, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque du XXe siècle », 1978, p. 325. 4 Clément Rosset, Le monde et ses remèdes, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2000, p. 5. 5 Pius Ngandu Nkashama, « Les "enfants-soldats" et les guerres coloniales à travers le premier roman africain », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 29. 6 Luc Rasson, Écrire contre la guerre : littérature et pacifismes (1916-1938), Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 62. 7 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004. 8 L'ironie est l'un des accessoires stylistiques qu'affectionne le plus Ahmadou Kourouma. Tous ses écrits en sont démesurément parsemés. Il a tenté de s'en expliquer avec l'argument selon lequel l'ironie est « une des techniques du discours oral qui permet de capter, de maintenir l'attention de l'auditoire », voir Boniface-Mongo Mboussa, Désir d'Afrique ; préf. d'Ahmadou Kourouma ; postf. de Sami Tchak, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2002, p. 81. On sait que dans Allah n'est pas obligé par exemple, 106 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 Au cœur de l'intrigue se trouve discutée la problématique de la survie de l'enfant-soldat, in fine celle de « l'enfant noir » dans cette Afrique déchirée par des guerres assassines. Il semble que la détermination du destin tragique de l'enfance africaine et de sa quête d'un hypothétique paradis perdu soit l'un des éléments du réel politique qui enrichit l'épistémologie narrative du roman africain9. Par ailleurs, il est clair que si l'on considère cette dimension "anomique" de l'Afrique qui fait que le tragique soit réductible à ce qu'on serait tenté de qualifier de situation critique et exceptionnelle de désajustement des choses, de l'ordre et de la normalité, et où les valeurs se retrouvent dans un antagonisme presque banal, alors le destin de l'enfant africain n'en vient à se rapporter qu'à l'épistémologie de la guerre dont veut rendre compte ici l'hypertrophie narrative de l'horreur. La figure de l'enfant-soldat, telle que mise en scène dans Allah n'est pas obligé que l'on retrouve, même démobilisé, dans Quand on refuse on dit non confirmant ainsi l'intérêt de Kourouma pour la construction du « personnage reparaissant »10, passe ainsi pour être un l'ironie sarcastique que l'on relève dans l'ensemble du roman permet à l'auteur d'user d'un langage indirect et d'un ton neutre qu'il prête à son narrateur, lequel se cache derrière le masque de l'innocence pour proférer des vérités qui n'ont rien de banal. 9 On sait que les traditions africaines voient dans l'enfant, placé dans une situation normale de contemplation du monde, comme le dépositaire des merveilles de l'imaginaire. C'est dans ces instants mythiques que l'innocence en tant qu'elle se pose comme une modalité efficiente de la pureté, se justifie. L'on a même pu noter l'importance de la détermination symbolique que les romanciers africains de la première génération accordaient à la figure de l'enfant. Preuve de cette pléthore de titres les uns plus réalistes que les autres et qui forcent l'admiration par leur charge pédagogique. À ce propos, on peut citer L'Enfant noir de Camara Laye (Paris, Plon, 1953, 256p.), Le Fils du fétiche de David Ananou (Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1971, 217p.), Chemin d'Europe (Paris, R. Julliard, 1960, 199p.) et Une Vie de boy (Paris, R. Julliard, 1956, 183p.) de Ferdinand Oyono, Koccumbo, l'étudiant noir (Paris, Flammarion, 1960, 269p.) et Les Fils de Kouretcha (Nivelles, Belgique, Éditions de la Francité, 1970, 172p.) d'Aké Loba, Maïmouna (Paris, Présence africaine, 1958, 253p.) et Nini la mulâtresse du Sénégal (2e éd., Paris, Présence africaine, 1965, 189p.) d'Abdoulaye Sadji pour ne citer que les plus représentatifs de cette région de la littérature africaine d'expression française. Sur la veine du bildungsroman africain, voir Jacques Sewanou Dabla, Nouvelles écritures africaines : Romanciers de la Seconde Génération, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 154 et sv. 10 Christophe Pradeau, « Mr Goodman, personnage reparaissant », in Véronique Bonnet (sous la dir.), Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 1994, p. 59. On sait que cette palette romanesque, que l'on retrouve d'ailleurs chez Cheikh Hamidou Kane dans ses deux romans, L'Aventure ambiguë et Les Gardiens du Temple au-delà de l'unité des lieux qu'ils partagent, et également chez Ken Bugul où la figure imposante de la Ken de Le baobab fou revient presque indicateur de la dégradation accélérée des valeurs, du moins dans l'articulation signifiante de leur antagonisme. Et si la dimension du tragique s'accentue de manière proportionnelle, cela est certainement dû à l'accent mis sur la symbolique de la praxis des personnages, de Birahima en particulier, lequel a d'ailleurs l'intérêt romanesque d'être facteur d'un double paradoxe : véritable arme de destruction massive, Birahima est, comme du reste tous les enfants engagés dans cette guerre qu'ils n'ont pas engendrée, le premier distributeur de l'horreur. Le scandale africaine" de la "malédiction Il n'est guère scandaleux d'affirmer que l'Afrique est en guerre contre elle-même. L'actualité intensément convulsive de ces dernières années le démontre très largement. Des crises politiques menant très souvent à des conflits sanglants aux bilans parfois sombres et macabres éclatent un peu partout. Les quelques zones d'accalmie qui encore tirent leur fierté débonnaire de la stabilité de leurs institutions ne peuvent se prévaloir d'aucune garantie sécuritaire tant les mercenaires et autres Seigneurs de guerre écument savanes et maquis à la recherche de foyers de tension. Tous ces conflits sanglants et violents supposent un bouleversement avéré de l'ordre des identités. Ainsi, de la région des Grands Lacs à la Corne de l'Afrique en passant par les montagnes du désert du Sahara, une zone de non-droit où AQMI sévit en toute impunité, jusqu'aux confins du désert marocain où le Front Polisario rêve toujours d'une souveraineté reconnue, le continent noir ploie sous le manteau de la honte et baigne dans une marre de sang. Et c'est cette « esthétisation du sang »11 qui recentre et réoriente les déterminations symboliques de toute la littérature africaine de l'horreur, préfigurant ainsi ce qu'il convient d'appeler avec Alexie Tcheuyap « une littérature de l'apocalypse, de l'horreur et remaniée dans les autres récits mais pour ne signifier, en une sorte de proximité identitaire, la femme noire soumise aux turbulences de la modernité, cette facette de l'esthétique romanesque de Kourouma permet donc à l'auteur de « recréer à l'usage du roman l'analogue de ce monde de revenants qu'est la tradition » , Christophe Pradeau, « Mr Goodman, personnage reparaissant », in Véronique Bonnet (sous la dir.), Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 1994, p. 60. 11 Alexie Tcheuyap, « Le littéraire et le guerrier : typologie de l'écriture sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 13. Ştiinţe socio-umane de l'abjection »12. C'est donc à travers cette esthétisation du tragique13 que se comprend tout l'enjeu de la réflexion philosophique que Kourouma mène sur le réel, la politique, la praxis et l'esse qui, tous pris dans leur entièreté comme dans leur relation causale, sont la source d'où prend forme une certaine « tragédie des valeurs ». Allah n'est pas obligé raconte les pérégrinations à la fois rocambolesques et épiques d'un jeune orphelin, le p'tit Birahima. L'action du récit se déroule dans l'Ouest de l'Afrique ravagée par la guerre civile et tribale, et le lecteur est amené à découvrir au détour des tribulations du héros, les hordes de réfugiés fuyant les pelotons d'exécution. Ainsi, la dimension spatiale s'en retrouve amplifiée avec des foyers narratifs qui tentent d'établir un parallèle entre les zones de tension où prolifèrent les Seigneurs de guerre, à savoir la Sierra Leone et le Liberia, ce « pays barbare et sauvage »14 et, plus tard, la Côte d'Ivoire, ce « bordel dans la merde au carré »15, et qui sert de cadre à l'action romanesque dans Quand on refuse on dit non. La construction narrative suit une chronologie historique assez constante et dont l'amplitude établit l'épistémologie du réel, c'est-à-dire à partir de faisceaux délimitables sur l'axe de la Temporalité humaine. Car cette chronique de guerre est un témoignage sur des faits réels qui se sont effectivement passés de 1993 à 1997. Le curseur narratif est fixé sur un personnage jeune qui arpente les villes et les villages du Liberia et de la Sierra Leone. Drapé du manteau de l'enfant-soldat qu'il arbore avec une fierté épique et un héroïsme cinglant, Birahima est témoin de scènes plus atroces les unes que les autres : viols, anthropophagie, assassinats, cannibalisme, etc. Au gré de ses errances, le voici qui découvre l'intimité sauvage de deux « Q.G. », symbole par excellence de l'affirmation de la dimension tragique du récit. D'abord au Liberia, qu'il qualifie de « bordel au simple », où « le sang ne se fatiguait pas de couler »16. Ensuite, son intrépidité le poussera jusqu'en Sierra Leone, pays dont la description ne peut que témoigner de cette déréliction du 12 « Le littéraire et le guerrier : typologie de l'écriture sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 13. 13 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13. 14 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004, p. 13. 15 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004, p. 14. 16 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 54. Toutes nos références sont tirées de la présente édition. 107 réel et qui pousse les personnages à n'exister que dedans l'action du tragique quand bien même pourraient-ils survivre hors le théâtre de la normalité. Voici en effet le regard critique que Birahima pose sur le « Q.G. » sierra-leonais : La Sierra Leone c'est le bordel, oui, le bordel au carré. On dit qu'un pays est le bordel au simple quand des bandits de grand chemin se partagent le pays comme au Liberia ; mais quand, en plus des bandits, des associations et des démocrates s'en mêlent, ça devient plus qu'au simple. En Sierra Leone, étaient dans la danse l'association des chasseurs, le Kamajor, et le démocrate Kabah, en plus des bandits Foday Sankoh, Johnny Koroma, et certains fretins de bandits. C'est pourquoi on dit qu'en Sierre Leone règne plus que le bordel, règne le bordel au carré.17 Voilà une concaténation de termes « bordéliques » qui n'expliquent pas tout de cette déferlante de l'horreur suffisante pour faire une autopsie objective de cette sale guerre tribale dont l'origine ne peut que rappeler le pathos bestial de l'être humain tant les « opérabouffe »18 y sont légion. Cependant, faut-il rappeler que la malédiction de l'Afrique vient de ce que le continent, au sous-sol immensément riche, soit victime d'un « scandale géologique »19. Ici les guerres ne sont finalement que des guerres d'intérêt économique où la lutte pour le monopole des ressources minières déchaîne les passions scabreuses et meurtrières les plus absurdes. Le contrôle de ces ressources minières oblige à une conquête d'un espace géographique vital, parfois même au moyen d'une logistique militaire sophistiquée. Qu'il s'agisse des « Seigneurs de la guerre », des hommes d'affaires étrangers, des belligérants cupides ou des fretins de bandits, tout le monde affluait vers ces « paradis miniers », rêvant du magot qu'ils allaient amasser au péril même de leur vie. Ainsi de Sannequelie, une « grosse agglomération à la frontière où l'on extrayait l'or et le diamant »20, et qui se trouvait être le camp de retranchement choisi par Onika Baclay pour son cantonnement général. La ville aurifère 17 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 163. 18 Madeleine Borgomano, Des hommes ou des bêtes? Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000, pp. 39-40. 19 Alexie Tcheuyap, « Le littéraire et le guerrier : typologie de l'écriture sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 25. 20 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 110. 108 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 faisait l'objet de toutes sortes de convoitises et de représailles. Plus tard, elle basculera dans le camp du NPFL dont les milices, ayant profité de l'absence d'Onika Baclay, n'ont eu de peine à s'en emparer : On venait d'apprendre à Onika que les NPFL avaient profité de son absence et de l'absence de son état-major pour attaquer Sannequelie. Et, sans coup férir, ils s'étaient emparés de la place forte et de toutes ses richesses. (...) Sannequelie était sous leur commandement. Onika est comme folle...21 La quête de l'espace est toujours relative à un désir immodéré de protéger les acquis de la première heure, de conquérir à travers d'autres espaces vitaux d'autres ressources matérielles. Cet affairisme d'avant-garde qui s'appuie sur un gangstérisme grégaire, n'a pour autant jamais été déterminé par la soif de l'affirmation d'un prestige absolu. Dès lors, le prétexte de la guerre devient un leurre pour s'accaparer des biens matériels dont dispose l'ennemi. Aussi attaque-t-on et tue-t-on ses adversaires non pas pour élargir sa souveraineté territoriale et asseoir son potentat, mais plutôt pour lui prendre ses richesses. Le culte de la loi du Talion fait recette, ainsi que le reconnaît le narrateur, qui se rappelle cette fable de La Fontaine « Le Loup et l'Agneau ». Le Prince Johnson était confronté à un sérieux « problème de ressources permanentes » qu'il lui faut résoudre absolument. Aussi lui vientil l'idée d'attaquer prestement Ie bâtiment de la congrégation de la « Sainte Marie-Béatrice ». Des rumeurs ayant été propagées qui stipulent que l'institution religieuse dissimulait dans ses caves de la boustifaille, de l'or et de nombreuses liasses de dollars américains22. Les miliciens de Prince Johnson attaquèrent à l'armement lourd le couvent des bonnes Sœurs, lequel ne put résister à cet assaut décisif et vain car les caves étaient vides. La crainte d'une mutinerie au sein de son commandement oblige Prince Johnson à des pratiques de concussion et de chantage, notamment à la surenchère, au kidnapping et, surtout, à des représailles vives et sévères contre la Compagnie américaine de caoutchouc qui lui verse « plein de royalties »23 pour maintenir sa vitalité économique dans le pays. Ainsi, l'inflation du tragique advient, favorisée par la légalisation 21 du 22 du 23 du Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 129. Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 148. Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 154. banalisée de la violence que Luc Rasson assimile à un « totalitarisme moderne »24. Cet état de terreur permanente permet à Prince Johnson d'obtenir tout ce qu'il veut, profitant de ce fait de l'efficacité persuasive et dissuasive de la brutalité et de l'oppression exercées contre les troupes ennemies. S'affirmant comme un agent principal dans la distribution de l'épistémologie hypertrophielle, Prince Johnson est également celui qui a fait de l'affairisme militaire le principe même de la « dévitalisation »25 politique du social. La course pour le monopole dans l'exploitation des pierres précieuses en SierraLeone serait sans doute l'une des causes de la guerre tribale. Les populations autochtones sont les victimes des dommages collatéraux de ce conflit d'intérêts. Car il est clair qu'aux yeux des « toubabs colons colonialistes anglais et les créoles ou créos », les « noirs nègres indigènes sauvages » se sentaient exclus de la gestion des pouvoirs politique, social et économique. L'ambiguïté n'est pas de mise dans cette autopsie de l'horreur. Kourouma semble afficher une objectivité de tout poil dans cette stratégie épistémologique de désignation des protocoles de l'inflation du tragique. Aussi pense-t-il que si la Sierra-Leone est un terreau de la violence depuis son indépendance en 1961, c'est « Parce que le pays est riche en diamants, en or, en toutes sources de corruption »26. Toute cette atmosphère de gangrène sociale et politique font s'y succéder « des coups d'État en chapelet »27. L'orchestration politique d'un affairisme d'État est d'une telle efficacité qu'elle peut justifier l'escalade de la terreur qui avaient atteint, elle, une inflation tragique jusque-là inégalée, là où la propension à tuer, devenue presque une banalité d'évidence, s'en retrouve renforcée par le souci de l'enrichissement personnel. Ainsi, une oligarchie militaire puissante et immensément riche se sédentarise, menant une vie de bonne engeance. Ce n'est pas à cette parentèle aux grâces seigneuriales dont Foday Sankoh rêve de faire partie. Le leader du RUF veut s'attaquer à « la grande misère du peuple et la corruption scandaleuse qui règne[nt] dans son pays »28. Selon Sankoh, la survie de la Sierra-Leone est 24 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13. 25 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13. 26 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 164. 27 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 166. 28 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 169. Ştiinţe socio-umane dans le peuple à qui l'on doit reconnaître une légitimité et une liberté d'exister en dehors de tout compromis malsain. C'est pourquoi il boycottera toutes les négociations entamées sous l'arbitrage du Président Houphouët-Boigny en vue de parvenir à un processus de paix durable. En représailles aux troupes ennemies, ainsi qu'à toutes les compagnies étrangères qu'il accuse de piller les ressources minières du pays, Foday Sankoh et les combattants du RUF, mus par l'illusion d'un potentat manifeste, s'emploient à une guerre d'un tragique insoutenable dans laquelle, finalement, les chemins de la liberté n'ont plus les vertus de l'honneur. Seule compte la gloire, même si elle doit s'écrire en lettres de sang, de ce sang chaud de ses victimes que l'on boit sans ciller : Foday Sankoh ne se laisse pas prendre au jeu de la démocratie. Non et non. Il refuse tout. Il ne veut pas de Conférence nationale, il ne veut pas d'élections libres et démocratiques. Il ne veut rien. Il tient la région diamantaire du pays ; il tient la Sierra-Leone utile. Il s'en fout.29 Le mépris des règles de bonne conduite et des fondamentaux de la bonne gouvernance politique et sociale devient un frein à toute postulation d'un bonheur durable auquel a droit le peuple. Bonheur régalien s'il en est, qui doit être la base vivre-ensemble dans le respect des traditions, des différences et des singularités plus ou moins relatives qu'il peut exister entre les blocs ethniques. Pourtant, cet optimisme ne peut que sembler illusoire si l'on considère les enjeux géostratégiques qui alimentent les sources de cette oligarchie militaire. Et c'est à juste titre qu'un lien peut être entre l'inflation tragique et ce terrorisme géostratégique naissant qui prend en otage tout le peuple et fait se vaciller tout le pacte social. Il reste à ajouter que l'affairisme militaro-politique et le terrorisme économique qui sévit dans ces pays rappelle, dans un parallélisme quelque peu similaire, la ruée vers l'or dans l'Ouest des Amériques, épisode devenu mythique qui a inspiré à Blaise Cendrars son célèbre roman L'Or30, ainsi qu'à d'autres westerns hollywoodiens. Si la ruée vers l'or a indiscutablement aidé au peuplement et au développement des contrées occidentales de l'Amérique, tel n'a pas été le cas de la SierraLeone notamment. Ici la spéculation népotique aura prévalu à un gangstérisme d'une parentèle 29 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 169. 30 Blaise Cendrars, L'Or. La merveilleuse histoire du Général Johann August Suter, Paris, Bernard Grasset, 1924, 279p. 109 militaro-politique de se développer au détriment des couches populaires. Ainsi donc, à cause de l'extrême richesse de son sous-sol, le pays est simultanément devenu le terreau d'une horde de « sobels »31 de tout acabit auxquels viennent s'ajouter des « Ghurkas népalais », des mercenaires sud-africains qu'une certaine tradition peut glorieuse appelle les « executive outcomes ». On rencontre également dans cette guerre tribale des commerçants étrangers, une clique de fabulateurs et de multiplicateurs de billets de banque tels que Yacouba et Sekou, tous nourrissant l'espoir de faire fortune. Tous ces personnages, bien qu'apparaissant épisodiquement dans le protocole narratif, sont potentiellement des distributeurs de la mort qui participent de l'orchestration de l'inflation tragique. Et en cela, les théories du crime sauvage qui relèvent également, d'une façon ou d'une autre, de cette épistémologie hypertrophique mise ici dans une situation de symbolisation romanesque du tragique, miment le moment négatif d'une histoire qui ne peut être comprise que dans sa relation causale avec une certaine poétique du tragique dont l'Afrique s'est faite un laboratoire dynamique dans la mécanisation brutale de corps d'enfants. C'est l'un des tours de passe réussi par Kourouma, lequel a tenté dans Allah n'est pas obligé à rendre compte de ce que l'histoire africaine a toujours d'inévitablement tragique. Le tragique de la guerre : le ballet de corps expéditionnaires Il est tout aussi vrai qu'en temps de guerre la mort ne choisit pas ses victimes. Elle rôde tel un vautour, ce « vautour royal », attiré par la puanteur des lieux, de ces lieux du Mal et du grotesque où l'histoire est faite de négativité, de perte et de spirale de souffrance. En temps de guerre donc, l'être humain n'est plus rien, ne représente plus aucune valeur : « Les animaux traitent mieux les blessés que l es hommes. »32, dixit Birahima. Pour Kourouma qui tire du monde du tragique une inspiration fondamentale de sa prose romanesque, les animaux ont une place privilégiée sur l'échelle des valeurs et de la doxa sociale : « Les bêtes sauvages, ça vit mieux que 31 Le phonème « sobel » est formé à partir de la contraction de deux lexèmes. « Sobels » désigne laconiquement, selon le dictionnaire français du p'tit Birahima, des soldats qui exercent dans la journée et, la nuit, se muent en des bandits de grands chemins qui s'adonnent au pillage de toutes sortes. 32 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 96. 110 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 les hommes »33. Ce scepticisme discursif qui dans le prolongement du roman se mue dans Quand on refuse on dit non en un optimisme ingénu dans lequel Kourouma enseigne l'idée que la douleur de l'histoire peut se récupérer dans un moment supérieur du savoir de l'humanité. C'est là que réside le sens transcendant qu'on pourrait reconnaître à la dimension du tragique. Car, dans ce deuxième roman du diptyque, le p'tit Birahima se projette dans une sorte de vitalité transcendantale d'un passé abject et l'illusion de son union avec Fanta devient le moment symboliquement christolique de cette épiphanie. Et s'il est vrai qu'il existe une conception tragique de la vie, Kourouma n'a pas manqué de le montrer en faisant de l'histoire de ses personnages et comme d'ailleurs de celle de l'Afrique les miroirs sur lesquels se projette un « déferlement de monstruosités »34. Pourtant cette vision n'est que représentative d'une dialectique du tragique dont l'Afrique s'est rendue symbolique. Ce qui fera dire ceci à Madeleine Borgomano : « L'Afrique est de loin le continent le plus riche en pauvreté et dictatures »35. Allah n'est pas obligé ouvre l'une des pages les plus douloureuses de l'histoire des guerres tribales de l'Afrique avec notamment comme une singularité devenue aujourd'hui presque anecdotique la mobilisation des enfants-soldats. On le sait, cette présence des enfants-soldats renverse tous les codes de représentation et oblige Kourouma à produire une dimension tragique à l'intérieur même d'un roman qui ne fait que mimer le bouleversement épique d'un certain ordre des identités. Les enfants-soldats ou small soldiers confortent la horde des mercenaires et autres cobayes recrutés par les Seigneurs de la guerre. La mise en scène des enfants-soldats dans Allah n'est pas obligé permet à Kourouma d'incorporer le tragique comme un moment fondamental de sa réflexion sur la crise des identités là où d'autres écrivains, soucieux d'une représentation plus épique de ces « mythologies guerrières », se sont essayés à une épistémologie narrative de corps expéditionnaires dont ils entendent faire l'une des grandes métaphores de « l'expérience 33 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 93. 34 Madeleine Borgomano, Des hommes ou des bêtes? Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000, p. 191. 35 Des hommes ou des bêtes? Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000, p. 354. du chaos ». Amadou Koné dans Les coupeurs de tête36 et Emmanuel Dongala dans Les petits enfants naissent aussi des étoiles37 ont donné à leurs lecteurs l'occasion d'admirer les prouesses épiques de la cohorte d'enfants-soldats qui, sous l'effet de drogues dures, n'hésitent pas à tirer sur tout ce qui bouge. Cependant, l'intérêt du roman de Kourouma, qui fait par ailleurs sa différence d'avec les autres romans de guerre38, réside dans son épistémologie narrative. En effet, au-delà la représentation tragique d'une « expérience-limite », il s'agit de la « subjectivisation narrative »39 qui évalue la part du trauma dans cette fracture dont est victime l'enfance. Autrement, la condition victimaire de l'enfance africaine devient l'un des moments clés de la dimension tragique qui permet de subvertir l'ordre décadent d'un monde qui a perdu ses valeurs tout comme ses repères. C'est certainement ce modèle d'un décadentisme moderne, peut-être inspiré des grandes théories de la philosophie tragique, que Kourouma a voulu mettre en récit et conjecturer de ce qu'en Afrique toute épistémologie hypertrophique de l'horreur réfère à une dialectique où une conception tragique de la vie et de l'histoire cohabite en tension permanente. La mise en scène de corps expéditionnaires, bien que leur choix soit resté pour Kourouma très sélectif pour la charge émotive du tremplin esthétique, permet à l'auteur de produire du tragique à l'intérieur même de son texte. Et parce que le tragique est devenu un moment de la dialectique et de l'orchestration rhétorique du roman, Kourouma opte pour l'oraison funèbre. Ce procédé narratif n'a de pertinence esthétique que celle que lui reconnaît l'énumération, l'une des catégories stylistiques très prisées par l'art oratoire et, par conséquent, de la rhétorique traditionnelle africaine. Le texte fluctue entre quête, enquête et reconstitution40 de faits réels comme pour placer le langage de l'histoire sur le chemin très polémique de la subversion. Car la vocation que se donne Kourouma est, si on peut l'affirmer sans détours, est de s'inspirer des sources tragiques d'une histoire pleine de contradictions. De ce fait, une écriture du 36 Abidjan ; Saint-Maure (région parisienne), CEDA ; Sépia, coll. « Sépia Littérature », 1997. 37 Paris, Le Serpent à Plumes, coll. « Fiction. Domaine français », 1998. 38 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 69. 39 Catherine Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 9. 40 Catherine Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 21. Ştiinţe socio-umane témoignage s'impose à lui, laquelle s'assujettit au devoir d'un "dire-vrai" qui n'amplifie en aucune manière la réalité tragique pas même qu'il ne la déforme. Tout au moins la restitue-telle dans sa forme la plus objective et véridique, même si une certaine propension à la fictionalisation de la praxis du héros, relevant de la charge émotive du texte, permet au lecteur de se faire une idée sur la dimension philosophique du fatum. La sonde psychologique du personnage de Birahima suffira à faire voir l'entrain belliciste qui le caractérise et dont l'auteur se sert pour déterminer les contradictions de cet espace paradoxal dans lequel « l'obsession catastrophique »41 charge de négativité toute l'histoire humaine de l'Afrique. Le choix de l'oraison funèbre donne au dispositif énonciatif d'Allah n'est pas obligé toute son amplitude. L'oraison funèbre éclaire deux possibles romanesques qui le sous-tendent. En effet, grâce au procédé d'empilage et à l'énumération, elle donne à la construction narrative la forme d'une « écriture kaléidoscopique »42 à travers laquelle le tragique ne peut apparaître autrement que comme une particulière expression esthétique. Mieux, l'oraison funèbre, qui participe de la figuration du réel, s'assimile à un mode opération à travers lequel le témoignage se fait pièce à conviction de la réalité tragique43. De tout cela, devons-nous conclure que le choix de l'oraison funèbre s'est imposé à Kourouma? L'auteur tente de s'en justifier et, dans le même temps, conjecturer de ce que son emploi puisse aider à saisir le réalisme tragique dont est investi la figure de l'enfant-soldat et dont il est également porteur : L'enfant-soldat est le personnage le plus célèbre de cette fin du vingtième siècle. Quand un soldat-enfant meurt, on doit donc dire son oraison funèbre, c'est-à-dire comment il a pu dans ce grand et foutu monde devenir enfantsoldat.44 La logique énumérative s'érige comme une rhétorique voyeuriste dont le but est de restituer 41 Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe : essai sur l'art et la catastrophe, Paris, Éditions Kimé, coll. « Esthétiques », 1999, p. 19. 42 Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe, Paris, Éditions Kimé, coll. « Esthétiques », 1999, p. 19. 43 Ruth Amossy, « Du témoignage au récit symbolique. Le récit de guerre et son dispositif énonciatif », in Catherine Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 91. 44 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 90. 111 dans le détail les séquences de « l'expérience tragique ». Sarah fait également partie de la cohorte de corps expéditionnaires engagés malgré eux dans la guerre tribalo-civile au Liberia. La mort de Sarah lui vaudra, comme à d'autres, une oraison funèbre avant sa mise en terre. On peut en dénombrer six types utilisés par Kourouma. Cependant, nous n'en analyserons que deux. Sarah est la figure par excellence de l'enfance tragique. Son père, Bouaki, était marin ; sa mère, vendeuse de poissons au grand marché de Monrovia. Orpheline de mère à cinq ans, son père décide de la confier à Madame Kokui, sa cousine au village, qui se chargera de son éducation. Commerçante de son état, Madame Kokui trouvera en Sarah la bonne à tout faire. Les charges ménagères lui seront dévolues comme le sera également l'écoulement des bananes. Confinée dans cette misère de boniche, sa vie n'en apparaît pas moins comme un triste spéculum qui projette l'image d'une fille dont la vie ne peut avoir de sens que saisie dans sa dimension strictement tragique. En effet, un jour alors qu'elle cherchait à écouler sa marchandise, un petit voyou fauche une grappe de bananes et disparaît aussitôt. Vagabondant jusqu'à six heures du soir, elle décida de rentrer à la maison de sa tutrice qui la réprimanda. Le lendemain, la même mésaventure se reproduit. Cette fois-ci, toute la marchandise sera volée. Par crainte d'être battue par Madame Kokui, elle s'improvisa mendiante dans l'espoir d'avoir le versement de sa journée. Cette initiative se révélera vaine. Elle se fit même catin et finit par s'accommoder de cette ribauderie dont elle ne tardera pas voir les conséquences. Laissée pour morte après un viol, elle est admise à l'hôpital où elle indiquera à l'infirmière de service que Madame Kokui est sa seule parente. Ayant cherché en vain cette dernière, l'administration de l'hôpital décide alors de placer Sarah dans un orphelinat tenu par des religieuses. Quand la guerre a éclater, cinq religieuses furent lâchement massacrées, l'obligeant ainsi à se prostituer dans les rues de Monrovia avant de devenir enfant-soldat et de mourir dans des conditions on ne peut plus tragiques. Son corps servira de festin aux fourmis magmas et aux vautours45. L'oraison funèbre du petit Siponi permet une migration de la charge émotive de la douleur au tragique. Cependant, ce que l'on y note avec insistance est cette sensibilité tragique qui établit une proximité avec la responsabilité des adultes dans ce déferlement de violence. Mais cette 45 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 93. 112 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 migration est perceptible au niveau de la signifiance du patronyme « La Vipère » dont Siponi s'est retrouvé affublé et qui fait écho à la résonance métaphysique de cet ensemble toponymique, la Sierra Leone, à travers lequel les habitants de ce pays découvrent leur Être : celui où la fatum a place et qui fait d'eux des bêtes sauvages. Cela a fait dire à Adama Coulibaly que la Sierra Leone et le Libéria sont des « espaces tragiques, dysphoriques à souhait, et anthropophagiques à raison » pour certain qu' « une théorie de l'animalité et de l'inhumanité » y prédomine46. D'ailleurs Siponi est présenté comme un petit crasseux, pire un cancre qui en avait marre de l'école, même s'il avait bien malgré lui poursuit ses études jusqu'aux « cours élémentaires deux » à l'école de Touleplen. Après des absences chroniques puis des échecs successifs, il finira par quitter l'école non sans avoir pris le soin de vendre à vil prix cahiers, ardoise et cartable. Avec cet argent, il s'acheta des bananes qu'il mangea gloutonnement. Sachant qu'une sévère correction l'attend à la maison, il décida une fugue et son errance le mena à fréquenter assidument les abords d'un hôtel. Il y fit la connaissance d'un Libanais dont il devient tout vite le boy. Dans la ville de Man où ils viennent de s'installer, Siponi vole à son patron une cassette remplie de billets de banque qu'il s'empressera de confier au vieux Tedjan Touré. Futé et fin mystificateur, le Vieux Touré tente d'arnaquer Siponi en attestant avoir été délesté du précieux butin. Ce qui ne convainc pas Siponi qui dénonce son receleur à la police avant de se constituer lui-même prisonnier. La police viendra cueillir le Vieux Touré qui ne tardera pas à passer aux aveux47. En prison, Siponi fait la connaissance de Jacques qui lui parle des enfants-soldats auxquels il rêve déjà de faire partie. Son rêve d'aller combattre dans les maquis du Liberia va vite se réaliser quand un jour l'équipe de la prison se déplace en vue de disputer un match de football contre l'équipe d'une paroisse d'un village proche. Siponi en profitera pour s'enfuir. Dans sa fuite, il croisa le chemin d'un commando de guérilléros qui le kidnappent et l'admettent au sein de la section des enfants-soldats. Plus tard, ses "frères" d'armes lui apprendront « le maniement d'un Kalach »48. 46 Adama Coulibaly, « Le récit de guerre : une écriture du tragique et du grotesque », in Éthiopiques, n°71, 2e semestre 2003, p. 96. 47 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 204. 48 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 207. Au regard des ceux oraisons funèbres, sortes d'« archétypes » du tragique, se balise une certaine chronologie de la mort du personnage qui, au-delà, renseigne même sur la signifiance du fatum. Mais il convient de préciser que quel que soit l'espace dysphorique dans lequel une propension du tragique a cours, l'enrôlement de jeunes enfants dans les escouades témoigne du « nihilisme comblé »49 dont peuvent se prévaloir les adultes. Le tragique respire un air de désastre50. L'enfance devient l'espace ludique où une certaine sensibilité tragique se développe et l'adulte celui du défoulement d'un refoulé instinctif. Sur le plan stylistique, une « scénographie » discursive opère qui fait de l'oraison funèbre plus un protocole de désignation du réel, de ce réel tragique, qu'une dynamique argumentative de témoignage. Audelà, cette précaution de Kourouma est d'abord une prérogative idéologique qui réfère à un besoin de l'auteur de donner du « sens » au texte littéraire. Ainsi, pour Luc Rasson, « La désignation des horreurs de la guerre - c'est-àdire à la fois son pouvoir de transformer violemment le corps humain et la perception brouillée du réel qu'elle suscite - se fait sur le mode littéraire de la litote »51. Si Kourouma a voulu se détourner du modèle explicatif en vogue dans le roman historique, c'est parce qu'il a choisi de laisser l'histoire se raconter toute seule à travers le regard naïf d'un enfant qui expose sans fard son propre vécu. C'est pourquoi l'oraison funèbre fait du texte littéraire, du moins tel que voulu par Kourouma lui-même, l'espace d'un savoir objectif qui permet une relation véridique des faits dans lesquels une certaine scénographie du tragique assure la permanence d'un réalisme. Cependant, ce réalisme ne peut prétendre à une pertinence esthétique que s'il acquiert ou même est accompagné d'une dimension ironique dont les répliques sarcastiques de Birahima, sa loufoquerie et son blabla sont les plus belles expressions. Le destin tragique de Birahima : un bellicisme naissant Cohabitent dans le dispositif énonciatif d'Allah n'est pas obligé à la fois ironie, loufoquerie et 49 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine », 1967, p. 18. 50 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine », 1967, p. 15. 51 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 38-39. Ştiinţe socio-umane discours raisonné, le tout saupoudré d'un réalisme tragique. Grande est la tentation de Kourouma d'écrire un roman archéologique dans lequel l'ordre du discours n'est pas inversé puisqu'il mime le récit d'une descente initiatique aux Enfers. L'auteur se permettant même de reconstituer le puzzle de la chronologie d'une mort qui suffit à une écriture téléologique d'établir une parcelle de sens entre fatum et dimension tragique de l'initiation par l'enfant de la violence. Ainsi donc, dans cet itinéraire guerrier qui ne fait que davantage "héroïser" le personnage, Birahima peine pourtant à se libérer de « l'idole tragique » selon laquelle l'homme est fait pour le malheur52. Car croyant être victime d'une faute œdipienne, autrement d'une malédiction maternelle53, Birahima déterminera son fatum en conséquence. Ainsi, tout le roman va jouer sur cette ambiguïté de l'écriture, c'est-àdire entre une (dé) culpabilité narcissique à la fois confortée et atténuée par un énoncé ésotérique ou téléologique et sa « conscience tragique » qui fait de lui un homo furiosus : Moi alors j'ai commencé à ne rien comprendre à ce foutu univers. À ne rien piger à ce bordel de monde. Rien saisir de cette saloperie de société humaine.54 On le voit encore, l'idée que la pensée tragique qui naît de toute épistémologie hypertrophielle ne permet pas l'être humain de se combler de consolations faciles. Et Birahima non plus n'échappe à cette impasse métaphysique, pire il s'obstine à penser l'histoire à partir de la souffrance vécue, ne s'accommodant guère que le mal puisse plus tard être au service d'un bien majeur qui préfigure le retour à un contexte historique de normalité. C'est là aussi qu'il convient de comprendre la relation causale que Kourouma a bien voulu faire exister entre art et fiction dont l'un des objectifs connus est de rendre compte, du moins partant d'une vérité du texte qui soit de proximité avec la vérité historique, d'un Réel 52 Clément Rosset, La philosophie tragique, Paris, PUF, coll. « Quadridge, n°127 », 1960, p. 2. 53 On peut lire dans Allah n'est pas obligé cette confession post-mortem du personnage : « À partir de ce jour, j'ai su que j'avais fait du mal à maman, beaucoup de mal. Du mal à une handicapée. Ma maman ne m'a rien dit, mais elle est morte avec la mauvaiseté dans le cœur. J'avais ses malédictions, la damnation. Je ne ferais rien de bon sur terre. Je ne vaudrais jamais quelque chose sur terre. », p. 28. 54 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 124. 113 absolu55. Ce que l'architecture du roman permet de saisir, notamment au niveau de l'organisation de la prose romanesque avec une densité thématique notable qui évalue la plurisémie du texte. On retiendra également que la construction narrative d'Allah n'est pas obligé obéit à la logique d'un organigramme linéaire dans lequel le lecteur peut aisément suivre le personnage dans ses tribulations sans risque de s'éloigner de la réalité du texte. Ce plan de lecture a son avantage puisqu'il permet de saisir la déclinaison métaphysique de la pensée tragique de Birahima déterminée par son expérience du chaos. Car la guerre a ceci de très particulier de faire éclore chez l'être humain toute forme de bestialité et dont une propension à un cannibalisme ingénu est l'une des conséquences immédiates. De cela, Birahima n'en échappe pas, lui qui avait développé une forte tentation au meurtre. C'est cette part d'un inné foncier qui brouille chez l'homme les frontières de la normalité et de l'animalité qui a fait écrire ceci à Luc Rasson : « La guerre apparaît surtout comme une fatalité révélatrice de l'incapacité des hommes à maîtriser leur destin »56. Birahima n'a plus aucune maîtrise de son destin, du moins après la mort du seul être qui pouvait l'aider à entrevoir l'avenir avec sérénité et également comprendre la dialectique des choses du monde. La mort de sa mère s'avère donc être un repère psychologique fondamental dans l'architecture de son foyer émotionnel. Le Cercle des notables de Togobala décide de le confier à sa tante Mahan qu'il devait rejoindre au Liberia. Et c'est à Tiécoura alias Yacouba, fin mystificateur et multiplicateur de billet, que revient la charge de l'y conduire. Le voyage commence à l'aube après un rituel purificatoire du charlatan pour conjurer le sort et protéger les deux voyageurs de tout malheur. Pourtant, durant le voyage, des signes prémonitoires annoncent déjà le destin tragique vers lequel court Birahima. Ce fut d'abord l'apparition à gauche de trois chouettes que le charlatan interprète comme pouvant être significatif d'un danger imminent. Malgré ce nuage d'infortunes qui annonce le grand péril, Birahima avance serein, conforté dans sa conviction que l'âme défunte de sa mère veille sur lui. Mais la peur d'être poursuivi par « les gnamas de plusieurs personnes » le hante, ne le quitte même plus. 55 Justin K. Bisanswa, « La guerre émet des signes. Écriture des rébellions et rébellion de l'écriture dans les romans de V. Y. Mudimbé », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 98. 56 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 23. 114 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 Birahima demeure, comme le fut du reste Œdipe, le roi aux yeux crevés, le modèle absurde et significatif du mystère tragique57. Il est celui qui, dans la fiction du texte, vit reclus dans une sorte de cosmologie tragique de laquelle il ne peut s'extirper qu'en perdant tout rationalisme, autrement l'innocence qui le protège de la prédation d'un monde en tension permanente. En cela il devient le symbole même de l'enfance tragique dans une Afrique qui a le don du paradigme de l'instabilité. Le voici maintenant qui tente de se soustraire d'un monde qu'il ne reconnaît plus, mais les disgrâces de l'histoire l'y maintiennent. Son bellicisme qu'il traîne dorénavant comme un trophée de guerre, traduit tout le « vertige existentiel » qui peut déterminer le trauma de l'homme africain. Ce qui fait le caractère distinctif du personnage et qui en ferait l'anti-héros du roman moderne, c'est son opiniâtreté à lutter contre son propre destin. Il convient juste de souligner, déjà signalé dans l'incipit du roman, que Birahima était sur le point de rejoindre sa tante au Liberia quand, en cours de route, son taxibrousse a été pris d'assaut par un commando. Il s'agit d'une bande armée au sein de laquelle des enfants-soldats que Birahima avait négligemment pris pour des « petits bandits qui coupent la route et rançonnent » les pauvres voyageurs. Quand il comprit que c'était de vrais enfants-soldats, il se rappela son rêve de devenir small-soldier. Cette rencontre fortuite le mettra dans un état de ravissement tel qu'il ne put s'empêcher de demander d'être enrôlé. C'est au Colonel Papa Le Bon, chef de guerre intrépide dont on dit qu'il est « pris par l'esprit du mal », que cet insigne honneur. Cette intronisation sera pour Birahima le début d'une « véritable procession », « une véritable fantasia » qui le poussera à se prévaloir d'une expérience pratique du tragique. Car le tragique c'est cela aussi, cette impression d'un monde qui s'enfonce dans l'intimité d'un drame et que vient renforcer l'affirmation obstinée chez l'être humain d'une dualité irréductible où le Mal et le Bien sont en tension permanente. Mais au-delà, le tragique est également l'expression esthétique d'un monde que l'écrivain tente de traduire à travers quelques choix stylistiques. Pour rendre compte de l'effet tragique de son texte, Kourouma choisit l'insertion in mediares qui favorise l'immersion du lecteur dans l'immédiateté de la guerre. Pourtant, l'intérêt d'un point de vue surplombant 57 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine », 1967, p. 29. tout le foyer narratif vient donner sens à cette esthétique de la totalité, de ce « tout » informe qui permet au créateur d'avoir l'œil à tout afin de mieux investir le champ du Réel. Ainsi, la fiabilité du récit, de ce lambeau de texte où l'on narre l'histoire d'un monde en déréliction, ne permet plus aucun doute puisque, en plus d'un narrateur omniscient, le descriptif et le narratif y prennent une importance significative. Servant de locomotive au protocole narratif dans lequel on note un important coefficient descriptif, l'effet tragique advient à travers la permanence de l'horreur. C'est ainsi que Birahima commence son parcours initiatique par une série de combats sans jamais renoncer à rechercher sa tante Mahan. En attendant, il prend goût à quelques drogues dures58, s'adonne au pillage et à quelques menues prouesses de zouaves affranchis. Les nombreux massacres et tueries dont il est témoin l'endurcissent et sont le symbole de la vampirisation de l'enfant africain dont on fait une machine à tuer. Cette immersion dans le théâtre de l'horreur développe chez lui à la fois une prépondérance instinctive et une capacité destructrice. Vindicatif et intrépide, Birahima a appris à donner la mort à tout va, dans une sorte de cruauté insolente qui définit la déclinaison grotesque du texte littéraire, c'est-à-dire tout ce qui, dans l'architecture du texte comme chez le personnage, « choque, surprend, dérange »59. Ainsi, le grotesque serait le résultat d'un « cynisme désespéré », lui-même provoqué par « un dysfonctionnement auquel l'extension de la psychologie dans l'éclatement de la psyché moderne tend à donner une importance exclusive »60. Pourtant dans ce texte où l'intrigue romanesque est densifiée par une propension à la bizarrerie, deux postures poussent à conclure de l'ébranlement psychologique de Birahima qui, du reste, amalgame perspectives de démilitarisation et culte du paradigme de l'inné dans lequel a prise une forte inclinaison à l'absurde. C'est ainsi qu'il se verra refuser par le Général Tieffi d'accéder au grade de « petit lycaon de la révolution », ces « enfants-soldats chargés des tâches inhumaines »61 les plus atroces. Les catégories de l'absurde semblent 58 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 112. 59 Adama Coulibaly, « Le récit de guerre : une écriture du tragique et du grotesque », in Éthiopiques, n°71, 2e semestre 2003, p. 98. 60 Dominique Iehl, Le grotesque, Paris, PUF, coll. « Que saisje? », 1997, p. 121. 61 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 179. Ştiinţe socio-umane donc reconstituer le puzzle du grotesque avec ces précisions sur la définition de « lycaons » qui aide davantage à en déterminer la résonance tragique. De l'aveu même du Général Tieffi, « Les lycaons, c'est les chies sauvages qui chassent en bandes. Ça bouffe tout ; père, mère, tout et tout. Quand ça a fini de se partager une victime, chaque lycaon se retire pour se nettoyer. Celui qui revient avec du sang sur le pelage, seulement une goutte de sang, est considéré comme blessé et est aussitôt bouffé sur place par les autres »62. Cette symbolique du bestiaire mobilisée ici pour déterminer jusqu'à quel point la guerre a atteint un degré zéro de diabolisation de la subjectivité consciente des personnages est riche de quelques enseignements. Elle montre que dans ce faisceau descriptif, l'illusion fantastique côtoie à la fois monstruosité et cynisme. Mais il convient de préciser que ce relent d'un carnavalesque ingénu concourt à construire, au travers même l'évaluation psychologique des personnages, un imaginaire collectif qui fait le bilan symbolique de l'aliénation collective d'un monde qui court à sa propre perte. Et cela se perçoit avec ce détail du « grotesque tragique »63 surcharge le texte littéraire afin de mettre à nu les contradictions d'un Birahima qui n'a que cette sorte « d'agonie du langage » pour se soustraire d'un monde qui lui a appris à exister en tuant. Le roman de Kourouma est une « pyramide du malheur ». Birahima s'y engouffre facilement avec l'innocence qui le caractérise. Cependant, le héros de Kourouma n'est pas le seul personnage révélateur de cette enfance africaine tragique. Allah n'est pas obligé est un exposé des expériences tragiques d'enfants projetés dans un paysage psychique convulsif, un délire social qui aide à comprendre ce spectacle du mal qui se joue devant eux. Car engagé dans ce procès historique de la société, l'enfant ne peut être acteur sans risque de perdre ce qui fait à la fois sa singularité et sa différence : sa pureté et son innocence. Et si l'on peut reconnaître au roman de Kourouma un quelconque génie littéraire, c'est à tout le moins d'avoir suggéré une dimension prospective qui laisse à un nouveau type d'homme africain l'alternative de s'absoudre de son parricide et de sa faute œdipienne. Et c'est là également qu'on peut comprendre le choix par Kourouma du personnage de l'enfant dont il espère recréer le mythe. Car avec ce thème des enfants-soldats qui facilite la 62 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 179. 63 Dominique Iehl, Le grotesque, Paris, PUF, coll. « Que saisje? », 1997, p. 63. 115 construction d'un mécanisme parodique, Kourouma fait de l'enfance « le royaume de la culpabilité, de l'innocence constante et de l'insouciance »64. Certes la question du réalisme tragique s'entend ici comme un horizon incontournable dans la réflexion politique que suscite le roman, mais elle se trouve cependant renforcée par la prépondérance d'un grotesque typique. Celui-ci ne peut être saisi dans l'espace du roman qu'à travers une hypertrophie corporelle, certainement en relation causale avec les subjectivités douloureusement convulsives des personnages, et dont il nous reste à donner la signification. Les formes de l'horreur : pour une épistémologie de l'hypertrophie corporelle La réalité de la guerre est difficile à supporter. Elle l'est d'autant plus que la guerre est une machine de la mort, une maladie qui décime le genre humain. Et « Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière »65. La mise en scène la littérature de ces situations exceptionnelles de chaos social et de désajustement des choses permet de mettre à jour certain fatalisme transcendant qui habite l'être humain. Force est de reconnaître qu'une approche déconstructive de la littérature permet, par ce biais, d'établir cette « laideur du réel » qui ressort en définitive de toute esthétisation de la guerre. Ainsi, l'œuvre littéraire qui toujours s'inspire toujours de ce prisme du tragique et de l'excès en vient à reconstruire le réel à partir d'images rendant compte d'un conflit des valeurs, lequel d'ailleurs ne peut être que la métaphore d'un parallélisme à deux variables que sont la normalité et l'excès ou l'hybris. Et c'est en cela que le roman de Kourouma, de par sa transparence communicative, a valeur pédagogique. Dans Allah n'est pas obligé donc, la matérialité du réel se perçoit au niveau de l'inventaire de l'excès - du moins si l'on tient que les mots, autrement leur valeur descriptive, 64 Alexie Tcheuyap, « Présentation : Écrire rouge : de la guerre perpétuelle en Afrique francophone », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 23. 65 Voltaire, Dictionnaire philosophique ; édition revue et corrigée ; texte établi par Raymond Naves ; notes par Julien Benda ; préf. René Etiemble, Paris, Éditions Garnier Frères, coll. « Classiques Garnier », 1967, p. 232. 116 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 correspondent aux choses qu'ils désignent - et de cette hypertrophie narrative qui mime l'hypertrophie monstrueuse du corps des victimes. La mise en place d'un mécanisme énonciatif du tragique oblige Kourouma à faire le choix d'une épistémologie narrative dans laquelle il procède à une exhibition au détail près de ce déchaînement de violence qui fait du corps humain un champ d'expérimentation de l'horreur. La description de corps mutilés, violentés, brûlés aide à saisir la subjectivité douloureusement tragique du narrateur. Car le tragique c'est cela aussi, ce mécanisme de l'écrasement de l'homme dont l'anéantissement se signale à travers une saisissante hypertrophie de son corps. Toutes ces images d'une corporéité grotesque permettent de nourrir la sensibilité tragique du texte sans que celui-ci ne puisse échapper à un quelconque prisme d'excès et d'obscènité. Les blessures béantes et pestilentielles de cadavres tués dans la lâcheté d'un acte gratuit, garantissent la permanence dans le texte d'un réalisme tragique. Mieux la description abrupte de scènes de morts sur lesquels l'auteur ne se préoccupe même pas de jeter un linceul sépulcral, annonce la tonalité émotive du récit. Cette dérive narrative qui privilégie l'excès en tant qu'accessoire d'un énoncé descriptif, fait de tout récit de guerre un « récit d'exhumation ». D'ailleurs, on peut noter cette particularité dans un roman d'Henri Barbusse : Dans la paroi, derrière moi, se creuse une excavation, et là un entassement de choses horizontales se dresse comme un bûcher. Des troncs d'arbres? Non : ce sont les cadavres.66 Cette esthétique du tragique dont parle André-Patient Bokiba à propos de La Main sèche de Tichaya U Tam'Si et la perception archétypale qu'il offre du nouveau barbare67, se manifeste dans Allah n'est pas obligé à travers une insoutenable hypertrophie corporelle. Le tropisme de la mort, de l'horreur et de la puanteur a une conséquence particulière dans l'architecture narrative et le dispositif énonciatif du texte. Opère ainsi une ironie singulièrement rebutante qui tend presque à la banaliser la mort et, certainement, à atténuer l'évidence de 66 Henri Barbusse, Le feu. Journal d'une escouade, Paris, Flammarion, 1945, p. 288. 67 André-Patient Bokiba, Écriture et identité dans la littérature africaine, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1999, p. 185. l'horreur : « des cadavres, toute sorte de cadavres, certains avec les yeux ouverts comme cochons mal égorgés »68. L'ellipse de l'article se comprend comme une catégorie de l'indifférence qui enlève toute charge émotive à l'être humain relégué dans une sorte de promiscuité sinistre faite de sadisme et de masochisme. Tel est le masque que Birahima aime à porter avec fierté puisque son bellicisme devient un de ses traits de caractère. Le héros de Kourouma s'endurcit au contact de la mort. Birahima décrit tout avec détachement, même les scènes les plus atroces qui auraient heurté quelque âme sensible. Il semble plus vindicatif que les autres enfantssoldats, et son sang-froid se perçoit par exemple dans ce passage qui rappelle à tous égards une scène de Saint-Monsieur Baly de Sassine69 : des mouches plus grosses que des abeilles agglutinées sur un cadavre. Les mouches se sont envolées dans le vacarme d'un avion qui rase laissant à découvert un cadavre dans le sang. Superbement esquinté, le crâne écrasé, la langue arrachée, le sexe finement coupé.70 Cette folie meurtrière appliquée sur le corps charge le texte d'une forte émotion tragique. L'horreur va monter d'un cran quand le narrateur, au travers d'une très belle maîtrise du procédé de la focalisation interne, décrit la scène du supplice de Samuel Doe auquel Birahima assiste. Cette scène semble dès lors capitale dans la perception du tragique que Birahima se fait quant à un impossible dépassement de la nature médiocre de l'homme dans l'anéantissement de l'Homme par la Mort. Par ailleurs, si Birahima, face à ce supplice, adopte une attitude d'extériorité fondamentale, c'est eu égard à l'innocence qui le caractérise et qui, dans le même temps, lui donne la certitude de la singularité mortelle de tout être. Son triomphalisme ne masque pas pour autant la sensibilité tragique du texte dans lequel Kourouma semble entièrement assumer le choix de la mise en scène d'une horreur permanente où le supplice corporel de Doe71 est intégré à un faisceau intertextuel, celui du Christ crucifié : les oreilles droite et gauche coupées l'une après l'autre, les doigts, la langue, les bras et enfin les jambes. Ayant rendu l'âme, son cœur sera rôti puis mangé par les officiers anthropophages de 68 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 127. 69 Paris, Présence africaine, coll. « Écrits », 1973, 223p. 70 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 170. Nous soulignons. 71 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 105. Ştiinţe socio-umane Prince Johnson, et ce qui restait de son corps jeté à une meute de chiens72. Cependant, c'est avec Foday Sankoh que les amputations à la machette deviendront une trouvaille de guerre. Théoricien de la machette, sa sinistre trouvaille consistait à « couper les mains au maximum de personnes, au maximum de citoyens sierra-leonais ». Pire, il intima l'ordre à ses miliciens de « couper les mains les mains à tout sierra-leonais fait prisonnier avant de le renvoyer dans la zone occupée par les forces gouvernementales »73. Après quoi, « On procéda aux "manches courtes" et aux "manches longues" », c'est-à-dire aux amputations des avant-bras et celles des bras juste au poignet. Cette atmosphère surréelle dans laquelle le réel tragique prend source à partir de scènes du cruauté insoutenable, garantit la permanence de l'horreur. Ce tropisme de l'horreur se donne à lire comme un signe distinctif d'un mal absolu qui opère dans la réalité organique et dont il détermine le caractère hypertrophique. La matière du tragique se signale dès lors à travers cet absolutisme grandiloquent de la mort qui n'épargne personne, pas même les bébés, ces « futurs électeurs » potentiels, tués à coups de machettes74. Dans cette guerre civile où l'anarchie est totale, la mort s'impose donc comme une contingence de l'imprévisibilité. La seule et inquiétante certitude qui demeure est "L'abattoir", ce « coin où on coupait les mains et les bras des citoyens sierra-leonais pour les empêcher de voter »75. Lieu du crime et de l'instrumentalisation du corps, "L'abattoir" est aussi le lieu de la néantisation de l'être humain ; de cet être qui n'a même plus son lit de mort pour se hisser à la pureté. Conclusions Si la guerre, pour reprendre une formule brutale de Voltaire, est ce « fléau inévitable »76 à travers lequel l'être humain prend conscience de sa nature bestiale, ce déferlement d'horreur sur des corps d'enfants en vient à s'imposer comme une contingence du tragique, du moins dans une 72 du 73 du 74 du 75 du 76 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 139. Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 170. Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 171. Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points », 2000, p. 178. Voltaire, Dictionnaire philosophique ; édition revue et corrigée ; texte établi par Raymond Naves ; notes par Julien Benda ; préf. René Étiemble, Paris, Éditions Garnier Frères, coll. « Classiques Garnier », 1967, p. 232. 117 histoire comme celle de l'Afrique des guerres, des génocides et des coups d'États qui se singularise par ce qu'elle possède de négativité. Mais il convient aussitôt d'ajouter que le tropisme tragique du texte pose la question de l'obsession catastrophique de l'Homme dans un monde où les certitudes sont bousculées et le Mal devient l'élément par défaut qui organise la Vie. Que reste-il à l'Homme s'il veut guérir des symptômes de ce Mal qui le ronge? Rien d'autre que de se retourner vers la littérature dont l'un des objectifs est de préfigurer, à travers l'expression d'une esthétique et des valeurs, la création d'un monde vivant77, celui-là même qui advient après le Déluge. Telle est, au-delà de la forme épurée de son esthétique, la valeur pédagogique d'Allah n'est pas obligé dans lequel la politique - le politique aussi - est la source du désajustement des choses et c'est également à travers elle que l'Homme doit espérer à un retour vers l'Ordre, le Réel et le Sacré, ces éléments qui sont la métaphore de l'unité en toute chose. Et pour Kourouma, la belle métaphore de ce texte surgit d'une apologie politique humaniste ; celle-là même qui fait de la démocratie un « immense bonheur » pour les peuples asservis. Car la démocratie n'est rien d'autre que « l'abaissement des passions, la tolérance de l'autre »78. Montaigne n'aura pas fait mieux, pour qui tout est là dans le savoir qu'enseigne la littérature! De cette littérature de l'aveu s'appuyant sur des informations empruntées à la réalité et qui enrichit son sillon polémique par un discours subversif dans lequel l'écrivain - ici Kourouma - ne se donne qu'un seul objectif : faire du texte romanesque la longue métaphore de ce que Mudimbe appelait en quatrième de couverture de Le Bel Immonde « un univers de cassures et de contradictions »79. Bibliographie Amossy, Ruth, « Du témoignage au récit symbolique. Le récit de guerre et son dispositif énonciatif », in Écrire la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 87-101. Barbusse, Henri, Le feu. Journal d'une escouade, Paris, Flammarion, 1945. 77 Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe, Paris, Éditions Kimé, coll. « Esthétiques », 1999, p. 9. 78 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004, p. 38. 79 Vumbi Yoka Mudimbe, Le Bel Immonde, Paris, Présence Africaine, coll. « Écrits », 1976. 118 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 Bisanswa, Justin K., « La guerre émet des signes. Écriture des rébellions et rébellion de l'écriture dans les romans de V. Y. Mudimbé », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 87-99. Bokiba, André-Patient, Écriture et identité dans la littérature africaine, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1999. Borgomano, Madeleine, Des hommes ou des bêtes? Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000. 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