De l`enfance tragique dans Allah n`est pas obligé de Kourouma

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De l`enfance tragique dans Allah n`est pas obligé de Kourouma
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DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
De l'enfance tragique dans Allah n'est pas obligé de Kourouma :
entre guerre et représentation littéraire de l'horreur
Aimé Gomis
Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3, ED 120
Paris, France
[email protected]
Abstract: I intend to study in Allah n'est pas obligé the literary representation of horror. This text of
Kourouma focusing on the African childhood, can locate the levels of involvement of the war in the structuring of
the character identity, especially of Birahima, the novel’s hero. But it also helps to assess areas of confluence
called "mixed zone" in the representation of the human and where the philosophical aspects of esse appear as
central to human phraseology struck by the Real, that of horror, which is out of control. It's the whole point of
this article based on rich textual information to suggest another possible sociopolitical, historical and
anthropological reading of the African trauma.
Keywords: child soldiers, war, tragedy, identity, horror, writing, violence, aesthetic disaster.
« (...) l'homme a été créé pour inventer l'enfer », Sony Labou Tansi, La vie et demie, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 1979, p. 177.
« Le Vieux monde, (...) : on y vit de la même façon qu'on y meurt. Ça c'est fantastique. », Ibid., p.
182.
« (...) ce qu'il y a de tragique dans l'être, c'est précisément et seulement sa simple qualité d'être »,
Clément Rosset, Le monde et ses remèdes, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2000, p. 5.
C'est l'auteur qui souligne.
Introduction
L'idée que toute société est capable des pires
déchaînements meurtriers continue de faire
bonne recette. Aujourd'hui, ce déferlement de
violence est repris en écho dans le champ
littéraire en général, africain en particulier, où il
vient à s'imposer comme une norme esthétique,
du moins celle qui, inspirée par toutes les
apories d'une rhétorique hypertrophique, entend
saisir le fondement même du sens social et
politique. On le sait, l'actualité brûlante et
bouleversante du continent noir ne saurait
prouver le contraire de ce que certains critiques
se soient laissés aller à conjecturer sur ce monde
de la tragédie qu'est devenue l'Afrique des
putschs, des génocides et des "perestroïka"
militaires en tout genre. Les thuriféraires de
l'afro-pessimisme qu'avaient bien dénoncé les
nationalistes africains les plus virulents avaientils raison d'assimiler l'Afrique à un terreau
constitutif d'une certaine hypertrophie de l'excès
et où la capacité de la tragédie, du moins la
pensée tragique, informe la réalité tragique d'un
monde en décadence, mieux permet de penser
tous les phénomènes politiques et sociaux
auxquels ils sont invariablement connectés. Cette
hypothèse mérite d'être retenue quand on sait
qu'on est parvenu aujourd'hui à un tel seuil de
surgissement de l'horreur et de l'abject qui n'en
finissent pas encore d'écorner l'image d'une
Afrique sereine, puissante et reine de ses rêves
comme de ses espérances. Il est un truisme de
dire que ces horreurs sont la conséquence de
l'incurie politique et des multiples conflits qui
ensanglantent la Terre Mère. Déjà, après le cycle
des indépendances qui avaient fini par semer la
graine de l'illusion tragique dans les consciences
populaires, les écrivains africains ont su rester
fidèles à une certaine veine alarmiste qui
surcharge leurs écrits avec un « contenu
tragique ». Des guerres par-ci, des catastrophes
humaines et des grands problèmes par-là, sortes
de noyaux fondamentaux de la réalité
sociopolitique, l'image d'une Afrique où le mal
est en spectacle permanent bouscule plus que
jamais tous les symboles d'une contemporanéité
tragique et malheureuse. Ainsi, ce qu'il est
convenu d'appeler la « malédiction africaine »
suscite désormais les interrogations les plus
appropriées. L'Afrique serait-elle devenue un
Ştiinţe socio-umane
terreau fertile où se développe une certaine
culture de la violence »1, celle-là même qui fait
naître comme un urgent besoin d'écrire, de
traiter de la matière du tragique? Alexie
Tcheuyap en est convaincu. Voici sa remarque :
« les romans africains font de la violence une
expérience humaine parfois fatale »2.
Loin d'être une singularité du tragique qui
émeut
par
ses
accents
infiniment
"shakespeariens", Allah n'est pas obligé de
Kourouma fait de la violence une sorte
d'autopsie, peut-être même de thérapie du mal.
Une lecture même désintéressée du récit permet,
en exploitant au mieux toutes les possibilités que
nous offre une stratégie épistémologique du réel,
d'y découvrir la violence parée de ses
métaphores les plus obsédantes. Les figures de
la violence se multiplient à l'excès jusqu'à figurer
un monde dont la permanence ne peut advenir
que dans le bouleversement de l'ordre des
identités. Ici des personnages exercent contre
eux-mêmes une violence à travers une ascèse
qu'ils imposent à leur corps comme pour
l'éprouver ; là la violence devient l'alibi presque
justifié de l'aliénation de l'Autre. Cependant, de
toutes ces figures de la violence, celle qui semble
former la dimension émotive du lecteur est
vécue par l'enfant qui en reçoit les
éclaboussures.
Pourtant
l'enfant
reste
curieusement acteur et victime des combats qui
alimentent toute la spéculation épistémologique
et narrative du roman de Kourouma. Au front
comme ailleurs, l'enfant est apprécié pour ses
instincts
meurtriers
et
son
zèle
anthropophagique. Sacrifice vaniteux et "machin"
expiatoire, l'enfant est devenu dans les guerres
africaines presque comme un véritable engin de
la mort. Le voici qui déserte les sentiers
ombragés de l'école, se séparant de son
"Mamadou et Bineta", pour arpenter, arme aux
poings, le chemin ténébreux des champs de
bataille et dont il apprendra tout. Selon Léon
Riegel, « La guerre est une terrible école où l'on
apprend à tuer, à tuer sans volonté de mal-faire
ou de se faire mal, comme le boucher tue ses
bêtes à l'abattoir. On y apprend l'insensibilité
envers les autres et envers soi-même. Cet
apprentissage ne doit comporter aucune
coloration de sadisme ou de masochisme. Il
s'agit de tuer froidement, méthodiquement,
« avec efficience » (sic) comme dans une
gigantesque firme d'abattage industriel... La
1 Pius Ngandu Nkashama, « Les "enfants-soldats" et les
guerres coloniales à travers le premier roman africain », in
Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 33.
2 Alexie Tcheuyap, « Présentation. Écrire rouge : de la
guerre perpétuelle en Afrique francophone », in Études
littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 8.
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guerre doit être, en somme, une école
d'indifférence. »3. De même avec la guerre
s'affirme-t-il ce « contenu tragique » de
l'existence humaine qu'évoque Clément Rosset4
qui, finalement, n'est rien d'autre que cette
expression esthétique particulière par laquelle
l'expérience du mal, donc du tragique, vient à
signifier
l'état
de
délabrement
et
de
déliquescence dont peut être atteinte toute
société. Voilà donc autant d'arguments de
réflexion et d'hypothèses de travail que le
présent article se propose de conjecturer afin de
montrer les liens métaphoriques qui construisent
la pensée tragique autour de la figure de
l'enfant-soldat.
La violence sociale connaît aujourd'hui de
nouvelles formes d'expression. En effet, depuis
la publication en 2000 d'Allah n'est pas obligé, le
lectorat prend la mesure de la décharge et du
tremplin tragique qu'énonce l'épistémologie
littéraire africaine. Autant il est vrai que la mise
en récit des contingences de l'horreur dans
lesquelles peuvent se trouver impliqués des
jeunes enfants et des caïds immatures n'est pas
une « trouvaille » thématique5, autant il s'avère
également que cette vulgate des enrôlements de
brigades composées d'enfants-soldats dans des
affrontements entre adultes ne peut que certifier
une certaine forme de « retour du tragique »
dans l'épistémologie politique et sociale. Dès
lors, il advient que le tragique ne peut que
figurer l'inattendu, au-delà l'extraordinaire.6
Consacré aux enfants-soldats, Allah n'est pas
obligé est, comme du reste Quand on refuse on
dit non7 avec lequel il forme un diptyque, un
récit-témoignage aux accents de tragique zélé
mêlé à un parfum d'ironie cocasse et mordante8.
3 Léon Riegel, Guerre et littérature : le bouleversement des
consciences dans la littérature romanesque inspirée de la
Grande guerre : littératures française, anglo-saxonne et
allemande, 1910-1930, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque
du XXe siècle », 1978, p. 325.
4 Clément Rosset, Le monde et ses remèdes, Paris, PUF, coll.
« Perspectives critiques », 2000, p. 5.
5 Pius Ngandu Nkashama, « Les "enfants-soldats" et les
guerres coloniales à travers le premier roman africain », in
Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 29.
6 Luc Rasson, Écrire contre la guerre : littérature et
pacifismes (1916-1938), Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll.
« Critiques littéraires », 1997, p. 62.
7 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes
établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004.
8 L'ironie est l'un des accessoires stylistiques qu'affectionne
le plus Ahmadou Kourouma. Tous ses écrits en sont
démesurément parsemés. Il a tenté de s'en expliquer avec
l'argument selon lequel l'ironie est « une des techniques du
discours oral qui permet de capter, de maintenir l'attention
de l'auditoire », voir Boniface-Mongo Mboussa, Désir
d'Afrique ; préf. d'Ahmadou Kourouma ; postf. de Sami
Tchak, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2002, p.
81. On sait que dans Allah n'est pas obligé par exemple,
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Au cœur de l'intrigue se trouve discutée la
problématique de la survie de l'enfant-soldat, in
fine celle de « l'enfant noir » dans cette Afrique
déchirée par des guerres assassines.
Il semble que la détermination du destin
tragique de l'enfance africaine et de sa quête
d'un hypothétique paradis perdu soit l'un des
éléments du réel politique qui enrichit
l'épistémologie narrative du roman africain9. Par
ailleurs, il est clair que si l'on considère cette
dimension "anomique" de l'Afrique qui fait que le
tragique soit réductible à ce qu'on serait tenté de
qualifier de situation critique et exceptionnelle de
désajustement des choses, de l'ordre et de la
normalité, et où les valeurs se retrouvent dans
un antagonisme presque banal, alors le destin de
l'enfant africain n'en vient à se rapporter qu'à
l'épistémologie de la guerre dont veut rendre
compte ici l'hypertrophie narrative de l'horreur.
La figure de l'enfant-soldat, telle que mise en
scène dans Allah n'est pas obligé que l'on
retrouve, même démobilisé, dans Quand on
refuse on dit non confirmant ainsi l'intérêt de
Kourouma pour la construction du « personnage
reparaissant »10, passe ainsi pour être un
l'ironie sarcastique que l'on relève dans l'ensemble du roman
permet à l'auteur d'user d'un langage indirect et d'un ton
neutre qu'il prête à son narrateur, lequel se cache derrière le
masque de l'innocence pour proférer des vérités qui n'ont
rien de banal.
9 On sait que les traditions africaines voient dans l'enfant,
placé dans une situation normale de contemplation du
monde, comme le dépositaire des merveilles de l'imaginaire.
C'est dans ces instants mythiques que l'innocence en tant
qu'elle se pose comme une modalité efficiente de la pureté,
se justifie. L'on a même pu noter l'importance de la
détermination symbolique que les romanciers africains de la
première génération accordaient à la figure de l'enfant.
Preuve de cette pléthore de titres les uns plus réalistes que
les autres et qui forcent l'admiration par leur charge
pédagogique. À ce propos, on peut citer L'Enfant noir de
Camara Laye (Paris, Plon, 1953, 256p.), Le Fils du fétiche de
David Ananou (Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1971,
217p.), Chemin d'Europe (Paris, R. Julliard, 1960, 199p.) et
Une Vie de boy (Paris, R. Julliard, 1956, 183p.) de Ferdinand
Oyono, Koccumbo, l'étudiant noir (Paris, Flammarion, 1960,
269p.) et Les Fils de Kouretcha (Nivelles, Belgique, Éditions
de la Francité, 1970, 172p.) d'Aké Loba, Maïmouna (Paris,
Présence africaine, 1958, 253p.) et Nini la mulâtresse du
Sénégal (2e éd., Paris, Présence africaine, 1965, 189p.)
d'Abdoulaye Sadji pour ne citer que les plus représentatifs de
cette région de la littérature africaine d'expression française.
Sur la veine du bildungsroman africain, voir Jacques
Sewanou Dabla, Nouvelles écritures africaines : Romanciers
de la Seconde Génération, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 154
et sv.
10 Christophe Pradeau, « Mr Goodman, personnage
reparaissant », in Véronique Bonnet (sous la dir.), Conflits de
mémoire, Paris, Karthala, 1994, p. 59. On sait que cette
palette romanesque, que l'on retrouve d'ailleurs chez Cheikh
Hamidou Kane dans ses deux romans, L'Aventure ambiguë et
Les Gardiens du Temple au-delà de l'unité des lieux qu'ils
partagent, et également chez Ken Bugul où la figure
imposante de la Ken de Le baobab fou revient presque
indicateur de la dégradation accélérée des
valeurs, du moins dans l'articulation signifiante
de leur antagonisme. Et si la dimension du
tragique s'accentue de manière proportionnelle,
cela est certainement dû à l'accent mis sur la
symbolique de la praxis des personnages, de
Birahima en particulier, lequel a d'ailleurs l'intérêt
romanesque d'être facteur d'un double
paradoxe : véritable arme de destruction
massive, Birahima est, comme du reste tous les
enfants engagés dans cette guerre qu'ils n'ont
pas engendrée, le premier distributeur de
l'horreur.
Le scandale
africaine"
de
la
"malédiction
Il n'est guère scandaleux d'affirmer que
l'Afrique est en guerre contre elle-même.
L'actualité intensément convulsive de ces
dernières années le démontre très largement.
Des crises politiques menant très souvent à des
conflits sanglants aux bilans parfois sombres et
macabres éclatent un peu partout. Les quelques
zones d'accalmie qui encore tirent leur fierté
débonnaire de la stabilité de leurs institutions ne
peuvent se prévaloir d'aucune garantie
sécuritaire tant les mercenaires et autres
Seigneurs de guerre écument savanes et maquis
à la recherche de foyers de tension. Tous ces
conflits sanglants et violents supposent un
bouleversement avéré de l'ordre des identités.
Ainsi, de la région des Grands Lacs à la Corne de
l'Afrique en passant par les montagnes du désert
du Sahara, une zone de non-droit où AQMI sévit
en toute impunité, jusqu'aux confins du désert
marocain où le Front Polisario rêve toujours
d'une souveraineté reconnue, le continent noir
ploie sous le manteau de la honte et baigne dans
une marre de sang. Et c'est cette « esthétisation
du sang »11 qui recentre et réoriente les
déterminations symboliques de toute la
littérature africaine de l'horreur, préfigurant ainsi
ce qu'il convient d'appeler avec Alexie Tcheuyap
« une littérature de l'apocalypse, de l'horreur et
remaniée dans les autres récits mais pour ne signifier, en une
sorte de proximité identitaire, la femme noire soumise aux
turbulences de la modernité, cette facette de l'esthétique
romanesque de Kourouma permet donc à l'auteur de
« recréer à l'usage du roman l'analogue de ce monde de
revenants qu'est la tradition » , Christophe Pradeau, « Mr
Goodman, personnage reparaissant », in Véronique Bonnet
(sous la dir.), Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 1994, p.
60.
11 Alexie Tcheuyap, « Le littéraire et le guerrier : typologie
de l'écriture sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol.
35, n°1, 2003, p. 13.
Ştiinţe socio-umane
de l'abjection »12. C'est donc à travers cette
esthétisation du tragique13 que se comprend tout
l'enjeu de la réflexion philosophique que
Kourouma mène sur le réel, la politique, la praxis
et l'esse qui, tous pris dans leur entièreté comme
dans leur relation causale, sont la source d'où
prend forme une certaine « tragédie des
valeurs ».
Allah n'est pas obligé raconte les
pérégrinations à la fois rocambolesques et
épiques d'un jeune orphelin, le p'tit Birahima.
L'action du récit se déroule dans l'Ouest de
l'Afrique ravagée par la guerre civile et tribale, et
le lecteur est amené à découvrir au détour des
tribulations du héros, les hordes de réfugiés
fuyant les pelotons d'exécution. Ainsi, la
dimension spatiale s'en retrouve amplifiée avec
des foyers narratifs qui tentent d'établir un
parallèle entre les zones de tension où
prolifèrent les Seigneurs de guerre, à savoir la
Sierra Leone et le Liberia, ce « pays barbare et
sauvage »14 et, plus tard, la Côte d'Ivoire, ce
« bordel dans la merde au carré »15, et qui sert
de cadre à l'action romanesque dans Quand on
refuse on dit non. La construction narrative suit
une chronologie historique assez constante et
dont l'amplitude établit l'épistémologie du réel,
c'est-à-dire à partir de faisceaux délimitables sur
l'axe de la Temporalité humaine. Car cette
chronique de guerre est un témoignage sur des
faits réels qui se sont effectivement passés de
1993 à 1997. Le curseur narratif est fixé sur un
personnage jeune qui arpente les villes et les
villages du Liberia et de la Sierra Leone. Drapé
du manteau de l'enfant-soldat qu'il arbore avec
une fierté épique et un héroïsme cinglant,
Birahima est témoin de scènes plus atroces les
unes que les autres : viols, anthropophagie,
assassinats, cannibalisme, etc. Au gré de ses
errances, le voici qui découvre l'intimité sauvage
de deux « Q.G. », symbole par excellence de
l'affirmation de la dimension tragique du récit.
D'abord au Liberia, qu'il qualifie de « bordel au
simple », où « le sang ne se fatiguait pas de
couler »16. Ensuite, son intrépidité le poussera
jusqu'en Sierra Leone, pays dont la description
ne peut que témoigner de cette déréliction du
12 « Le littéraire et le guerrier : typologie de l'écriture
sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol. 35, n°1,
2003, p. 13.
13 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13.
14 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes
établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004, p. 13.
15 Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non ; textes
établis par Gilles Carpentier, Paris, Seuil, 2004, p. 14.
16 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 54. Toutes nos références
sont tirées de la présente édition.
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réel et qui pousse les personnages à n'exister
que dedans l'action du tragique quand bien
même pourraient-ils survivre hors le théâtre de
la normalité. Voici en effet le regard critique que
Birahima pose sur le « Q.G. » sierra-leonais :
La Sierra Leone c'est le bordel, oui, le bordel
au carré. On dit qu'un pays est le bordel au
simple quand des bandits de grand chemin se
partagent le pays comme au Liberia ; mais
quand, en plus des bandits, des associations et
des démocrates s'en mêlent, ça devient plus
qu'au simple. En Sierra Leone, étaient dans la
danse l'association des chasseurs, le Kamajor, et
le démocrate Kabah, en plus des bandits Foday
Sankoh, Johnny Koroma, et certains fretins de
bandits. C'est pourquoi on dit qu'en Sierre Leone
règne plus que le bordel, règne le bordel au
carré.17
Voilà
une
concaténation
de
termes
« bordéliques » qui n'expliquent pas tout de
cette déferlante de l'horreur suffisante pour faire
une autopsie objective de cette sale guerre
tribale dont l'origine ne peut que rappeler le
pathos bestial de l'être humain tant les « opérabouffe »18 y sont légion. Cependant, faut-il
rappeler que la malédiction de l'Afrique vient de
ce que le continent, au sous-sol immensément
riche,
soit
victime
d'un
« scandale
géologique »19. Ici les guerres ne sont finalement
que des guerres d'intérêt économique où la lutte
pour le monopole des ressources minières
déchaîne les passions scabreuses et meurtrières
les plus absurdes. Le contrôle de ces ressources
minières oblige à une conquête d'un espace
géographique vital, parfois même au moyen
d'une logistique militaire sophistiquée. Qu'il
s'agisse des « Seigneurs de la guerre », des
hommes d'affaires étrangers, des belligérants
cupides ou des fretins de bandits, tout le monde
affluait vers ces « paradis miniers », rêvant du
magot qu'ils allaient amasser au péril même de
leur vie. Ainsi de Sannequelie, une « grosse
agglomération à la frontière où l'on extrayait l'or
et le diamant »20, et qui se trouvait être le camp
de retranchement choisi par Onika Baclay pour
son cantonnement général. La ville aurifère
17 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 163.
18 Madeleine Borgomano, Des hommes ou des bêtes?
Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages
d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000, pp. 39-40.
19 Alexie Tcheuyap, « Le littéraire et le guerrier : typologie
de l'écriture sanguine en Afrique », in Études littéraires, vol.
35, n°1, 2003, p. 25.
20 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 110.
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faisait l'objet de toutes sortes de convoitises et
de représailles. Plus tard, elle basculera dans le
camp du NPFL dont les milices, ayant profité de
l'absence d'Onika Baclay, n'ont eu de peine à
s'en emparer :
On venait d'apprendre à Onika que les NPFL
avaient profité de son absence et de l'absence
de son état-major pour attaquer Sannequelie. Et,
sans coup férir, ils s'étaient emparés de la place
forte et de toutes ses richesses. (...) Sannequelie
était sous leur commandement. Onika est
comme folle...21
La quête de l'espace est toujours relative à un
désir immodéré de protéger les acquis de la
première heure, de conquérir à travers d'autres
espaces vitaux d'autres ressources matérielles.
Cet affairisme d'avant-garde qui s'appuie sur un
gangstérisme grégaire, n'a pour autant jamais
été déterminé par la soif de l'affirmation d'un
prestige absolu. Dès lors, le prétexte de la
guerre devient un leurre pour s'accaparer des
biens matériels dont dispose l'ennemi. Aussi
attaque-t-on et tue-t-on ses adversaires non pas
pour élargir sa souveraineté territoriale et asseoir
son potentat, mais plutôt pour lui prendre ses
richesses. Le culte de la loi du Talion fait recette,
ainsi que le reconnaît le narrateur, qui se
rappelle cette fable de La Fontaine « Le Loup et
l'Agneau ».
Le Prince Johnson était confronté à un
sérieux « problème de ressources permanentes »
qu'il lui faut résoudre absolument. Aussi lui vientil l'idée d'attaquer prestement Ie bâtiment de la
congrégation de la « Sainte Marie-Béatrice ».
Des rumeurs ayant été propagées qui stipulent
que l'institution religieuse dissimulait dans ses
caves de la boustifaille, de l'or et de nombreuses
liasses de dollars américains22. Les miliciens de
Prince Johnson attaquèrent à l'armement lourd le
couvent des bonnes Sœurs, lequel ne put
résister à cet assaut décisif et vain car les caves
étaient vides. La crainte d'une mutinerie au sein
de son commandement oblige Prince Johnson à
des pratiques de concussion et de chantage,
notamment à la surenchère, au kidnapping et,
surtout, à des représailles vives et sévères contre
la Compagnie américaine de caoutchouc qui lui
verse « plein de royalties »23 pour maintenir sa
vitalité économique dans le pays. Ainsi, l'inflation
du tragique advient, favorisée par la légalisation
21
du
22
du
23
du
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 129.
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 148.
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 154.
banalisée de la violence que Luc Rasson assimile
à un « totalitarisme moderne »24. Cet état de
terreur permanente permet à Prince Johnson
d'obtenir tout ce qu'il veut, profitant de ce fait de
l'efficacité persuasive et dissuasive de la brutalité
et de l'oppression exercées contre les troupes
ennemies. S'affirmant comme un agent principal
dans
la
distribution
de
l'épistémologie
hypertrophielle, Prince Johnson est également
celui qui a fait de l'affairisme militaire le principe
même de la « dévitalisation »25 politique du
social.
La course pour le monopole dans
l'exploitation des pierres précieuses en SierraLeone serait sans doute l'une des causes de la
guerre tribale. Les populations autochtones sont
les victimes des dommages collatéraux de ce
conflit d'intérêts. Car il est clair qu'aux yeux des
« toubabs colons colonialistes anglais et les
créoles ou créos », les « noirs nègres indigènes
sauvages » se sentaient exclus de la gestion des
pouvoirs politique, social et économique.
L'ambiguïté n'est pas de mise dans cette
autopsie de l'horreur. Kourouma semble afficher
une objectivité de tout poil dans cette stratégie
épistémologique de désignation des protocoles
de l'inflation du tragique. Aussi pense-t-il que si
la Sierra-Leone est un terreau de la violence
depuis son indépendance en 1961, c'est « Parce
que le pays est riche en diamants, en or, en
toutes sources de corruption »26. Toute cette
atmosphère de gangrène sociale et politique font
s'y succéder « des coups d'État en chapelet »27.
L'orchestration politique d'un affairisme d'État
est d'une telle efficacité qu'elle peut justifier
l'escalade de la terreur qui avaient atteint, elle,
une inflation tragique jusque-là inégalée, là où la
propension à tuer, devenue presque une banalité
d'évidence, s'en retrouve renforcée par le souci
de l'enrichissement personnel. Ainsi, une
oligarchie militaire puissante et immensément
riche se sédentarise, menant une vie de bonne
engeance. Ce n'est pas à cette parentèle aux
grâces seigneuriales dont Foday Sankoh rêve de
faire partie. Le leader du RUF veut s'attaquer à
« la grande misère du peuple et la corruption
scandaleuse qui règne[nt] dans son pays »28.
Selon Sankoh, la survie de la Sierra-Leone est
24 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13.
25 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 13.
26 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 164.
27 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 166.
28 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 169.
Ştiinţe socio-umane
dans le peuple à qui l'on doit reconnaître une
légitimité et une liberté d'exister en dehors de
tout compromis malsain. C'est pourquoi il
boycottera toutes les négociations entamées
sous l'arbitrage du Président Houphouët-Boigny
en vue de parvenir à un processus de paix
durable. En représailles aux troupes ennemies,
ainsi qu'à toutes les compagnies étrangères qu'il
accuse de piller les ressources minières du pays,
Foday Sankoh et les combattants du RUF, mus
par l'illusion d'un potentat manifeste, s'emploient
à une guerre d'un tragique insoutenable dans
laquelle, finalement, les chemins de la liberté
n'ont plus les vertus de l'honneur. Seule compte
la gloire, même si elle doit s'écrire en lettres de
sang, de ce sang chaud de ses victimes que l'on
boit sans ciller :
Foday Sankoh ne se laisse pas prendre au jeu
de la démocratie. Non et non. Il refuse tout. Il
ne veut pas de Conférence nationale, il ne veut
pas d'élections libres et démocratiques. Il ne
veut rien. Il tient la région diamantaire du pays ;
il tient la Sierra-Leone utile. Il s'en fout.29
Le mépris des règles de bonne conduite et
des fondamentaux de la bonne gouvernance
politique et sociale devient un frein à toute
postulation d'un bonheur durable auquel a droit
le peuple. Bonheur régalien s'il en est, qui doit
être la base vivre-ensemble dans le respect des
traditions, des différences et des singularités plus
ou moins relatives qu'il peut exister entre les
blocs ethniques. Pourtant, cet optimisme ne peut
que sembler illusoire si l'on considère les enjeux
géostratégiques qui alimentent les sources de
cette oligarchie militaire. Et c'est à juste titre
qu'un lien peut être entre l'inflation tragique et
ce terrorisme géostratégique naissant qui prend
en otage tout le peuple et fait se vaciller tout le
pacte social. Il reste à ajouter que l'affairisme
militaro-politique et le terrorisme économique qui
sévit dans ces pays rappelle, dans un
parallélisme quelque peu similaire, la ruée vers
l'or dans l'Ouest des Amériques, épisode devenu
mythique qui a inspiré à Blaise Cendrars son
célèbre roman L'Or30, ainsi qu'à d'autres
westerns hollywoodiens. Si la ruée vers l'or a
indiscutablement aidé au peuplement et au
développement des contrées occidentales de
l'Amérique, tel n'a pas été le cas de la SierraLeone notamment. Ici la spéculation népotique
aura prévalu à un gangstérisme d'une parentèle
29 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 169.
30 Blaise Cendrars, L'Or. La merveilleuse histoire du Général
Johann August Suter, Paris, Bernard Grasset, 1924, 279p.
109
militaro-politique de se développer au détriment
des couches populaires. Ainsi donc, à cause de
l'extrême richesse de son sous-sol, le pays est
simultanément devenu le terreau d'une horde de
« sobels »31 de tout acabit auxquels viennent
s'ajouter des « Ghurkas népalais », des
mercenaires sud-africains qu'une certaine
tradition peut glorieuse appelle les « executive
outcomes ». On rencontre également dans cette
guerre tribale des commerçants étrangers, une
clique de fabulateurs et de multiplicateurs de
billets de banque tels que Yacouba et Sekou,
tous nourrissant l'espoir de faire fortune.
Tous ces personnages, bien qu'apparaissant
épisodiquement dans le protocole narratif, sont
potentiellement des distributeurs de la mort qui
participent de l'orchestration de l'inflation
tragique. Et en cela, les théories du crime
sauvage qui relèvent également, d'une façon ou
d'une
autre,
de
cette
épistémologie
hypertrophique mise ici dans une situation de
symbolisation romanesque du tragique, miment
le moment négatif d'une histoire qui ne peut être
comprise que dans sa relation causale avec une
certaine poétique du tragique dont l'Afrique s'est
faite un laboratoire dynamique dans la
mécanisation brutale de corps d'enfants. C'est
l'un des tours de passe réussi par Kourouma,
lequel a tenté dans Allah n'est pas obligé à
rendre compte de ce que l'histoire africaine a
toujours d'inévitablement tragique.
Le tragique de la guerre : le ballet de
corps expéditionnaires
Il est tout aussi vrai qu'en temps de guerre la
mort ne choisit pas ses victimes. Elle rôde tel un
vautour, ce « vautour royal », attiré par la
puanteur des lieux, de ces lieux du Mal et du
grotesque où l'histoire est faite de négativité, de
perte et de spirale de souffrance. En temps de
guerre donc, l'être humain n'est plus rien, ne
représente plus aucune valeur : « Les animaux
traitent mieux les blessés que l es hommes. »32,
dixit Birahima. Pour Kourouma qui tire du monde
du tragique une inspiration fondamentale de sa
prose romanesque, les animaux ont une place
privilégiée sur l'échelle des valeurs et de la doxa
sociale : « Les bêtes sauvages, ça vit mieux que
31 Le phonème « sobel » est formé à partir de la contraction
de deux lexèmes. « Sobels » désigne laconiquement, selon le
dictionnaire français du p'tit Birahima, des soldats qui
exercent dans la journée et, la nuit, se muent en des bandits
de grands chemins qui s'adonnent au pillage de toutes
sortes.
32 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 96.
110
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
les hommes »33. Ce scepticisme discursif qui
dans le prolongement du roman se mue dans
Quand on refuse on dit non en un optimisme
ingénu dans lequel Kourouma enseigne l'idée
que la douleur de l'histoire peut se récupérer
dans un moment supérieur du savoir de
l'humanité. C'est là que réside le sens
transcendant qu'on pourrait reconnaître à la
dimension du tragique. Car, dans ce deuxième
roman du diptyque, le p'tit Birahima se projette
dans une sorte de vitalité transcendantale d'un
passé abject et l'illusion de son union avec Fanta
devient le moment symboliquement christolique
de cette épiphanie. Et s'il est vrai qu'il existe une
conception tragique de la vie, Kourouma n'a pas
manqué de le montrer en faisant de l'histoire de
ses personnages et comme d'ailleurs de celle de
l'Afrique les miroirs sur lesquels se projette un
« déferlement de monstruosités »34. Pourtant
cette vision n'est que représentative d'une
dialectique du tragique dont l'Afrique s'est
rendue symbolique. Ce qui fera dire ceci à
Madeleine Borgomano : « L'Afrique est de loin le
continent le plus riche en pauvreté et
dictatures »35.
Allah n'est pas obligé ouvre l'une des pages
les plus douloureuses de l'histoire des guerres
tribales de l'Afrique avec notamment comme une
singularité
devenue
aujourd'hui
presque
anecdotique la mobilisation des enfants-soldats.
On le sait, cette présence des enfants-soldats
renverse tous les codes de représentation et
oblige Kourouma à produire une dimension
tragique à l'intérieur même d'un roman qui ne
fait que mimer le bouleversement épique d'un
certain ordre des identités.
Les enfants-soldats ou small soldiers
confortent la horde des mercenaires et autres
cobayes recrutés par les Seigneurs de la guerre.
La mise en scène des enfants-soldats dans Allah
n'est pas obligé permet à Kourouma d'incorporer
le tragique comme un moment fondamental de
sa réflexion sur la crise des identités là où
d'autres écrivains, soucieux d'une représentation
plus épique de ces « mythologies guerrières »,
se sont essayés à une épistémologie narrative de
corps expéditionnaires dont ils entendent faire
l'une des grandes métaphores de « l'expérience
33 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 93.
34 Madeleine Borgomano, Des hommes ou des bêtes?
Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages
d'Ahmadou Kourouma, Paris ; Montréal ; Torino,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2000, p. 191.
35 Des hommes ou des bêtes? Lecture de En attendant le
vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Paris ;
Montréal ; Torino, L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires »,
2000, p. 354.
du chaos ». Amadou Koné dans Les coupeurs de
tête36 et Emmanuel Dongala dans Les petits
enfants naissent aussi des étoiles37 ont donné à
leurs lecteurs l'occasion d'admirer les prouesses
épiques de la cohorte d'enfants-soldats qui, sous
l'effet de drogues dures, n'hésitent pas à tirer
sur tout ce qui bouge. Cependant, l'intérêt du
roman de Kourouma, qui fait par ailleurs sa
différence d'avec les autres romans de guerre38,
réside dans son épistémologie narrative. En
effet, au-delà la représentation tragique d'une
« expérience-limite »,
il
s'agit
de
la
« subjectivisation narrative »39 qui évalue la part
du trauma dans cette fracture dont est victime
l'enfance. Autrement, la condition victimaire de
l'enfance africaine devient l'un des moments clés
de la dimension tragique qui permet de subvertir
l'ordre décadent d'un monde qui a perdu ses
valeurs tout comme ses repères. C'est
certainement ce modèle d'un décadentisme
moderne, peut-être inspiré des grandes théories
de la philosophie tragique, que Kourouma a
voulu mettre en récit et conjecturer de ce qu'en
Afrique toute épistémologie hypertrophique de
l'horreur réfère à une dialectique où une
conception tragique de la vie et de l'histoire
cohabite en tension permanente.
La mise en scène de corps expéditionnaires,
bien que leur choix soit resté pour Kourouma
très sélectif pour la charge émotive du tremplin
esthétique, permet à l'auteur de produire du
tragique à l'intérieur même de son texte. Et
parce que le tragique est devenu un moment de
la dialectique et de l'orchestration rhétorique du
roman, Kourouma opte pour l'oraison funèbre.
Ce procédé narratif n'a de pertinence esthétique
que celle que lui reconnaît l'énumération, l'une
des catégories stylistiques très prisées par l'art
oratoire et, par conséquent, de la rhétorique
traditionnelle africaine. Le texte fluctue entre
quête, enquête et reconstitution40 de faits réels
comme pour placer le langage de l'histoire sur le
chemin très polémique de la subversion. Car la
vocation que se donne Kourouma est, si on peut
l'affirmer sans détours, est de s'inspirer des
sources tragiques d'une histoire pleine de
contradictions. De ce fait, une écriture du
36 Abidjan ; Saint-Maure (région parisienne), CEDA ; Sépia,
coll. « Sépia Littérature », 1997.
37 Paris, Le Serpent à Plumes, coll. « Fiction. Domaine
français », 1998.
38 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 69.
39 Catherine Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire
la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise
Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 9.
40 Catherine Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire
la guerre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise
Pascal, coll. « Littératures », 2000, p. 21.
Ştiinţe socio-umane
témoignage s'impose à lui, laquelle s'assujettit
au devoir d'un "dire-vrai" qui n'amplifie en
aucune manière la réalité tragique pas même
qu'il ne la déforme. Tout au moins la restitue-telle dans sa forme la plus objective et véridique,
même si une certaine propension à la
fictionalisation de la praxis du héros, relevant de
la charge émotive du texte, permet au lecteur de
se faire une idée sur la dimension philosophique
du fatum. La sonde psychologique du
personnage de Birahima suffira à faire voir
l'entrain belliciste qui le caractérise et dont
l'auteur
se
sert
pour
déterminer
les
contradictions de cet espace paradoxal dans
lequel « l'obsession catastrophique »41 charge de
négativité toute l'histoire humaine de l'Afrique.
Le choix de l'oraison funèbre donne au
dispositif énonciatif d'Allah n'est pas obligé toute
son amplitude. L'oraison funèbre éclaire deux
possibles romanesques qui le sous-tendent. En
effet, grâce au procédé d'empilage et à
l'énumération, elle donne à la construction
narrative
la
forme
d'une
« écriture
kaléidoscopique »42 à travers laquelle le tragique
ne peut apparaître autrement que comme une
particulière expression esthétique. Mieux,
l'oraison funèbre, qui participe de la figuration du
réel, s'assimile à un mode opération à travers
lequel le témoignage se fait pièce à conviction de
la réalité tragique43. De tout cela, devons-nous
conclure que le choix de l'oraison funèbre s'est
imposé à Kourouma? L'auteur tente de s'en
justifier et, dans le même temps, conjecturer de
ce que son emploi puisse aider à saisir le
réalisme tragique dont est investi la figure de
l'enfant-soldat et dont il est également porteur :
L'enfant-soldat est le personnage le plus
célèbre de cette fin du vingtième siècle. Quand
un soldat-enfant meurt, on doit donc dire son
oraison funèbre, c'est-à-dire comment il a pu
dans ce grand et foutu monde devenir enfantsoldat.44
La logique énumérative s'érige comme une
rhétorique voyeuriste dont le but est de restituer
41 Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe : essai sur l'art
et la catastrophe, Paris, Éditions Kimé, coll. « Esthétiques »,
1999, p. 19.
42 Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe, Paris, Éditions
Kimé, coll. « Esthétiques », 1999, p. 19.
43 Ruth Amossy, « Du témoignage au récit symbolique. Le
récit de guerre et son dispositif énonciatif », in Catherine
Milkovitch-Rioux & Robert Piekering (éd.), Écrire la guerre,
Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll.
« Littératures », 2000, p. 91.
44 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 90.
111
dans le détail les séquences de « l'expérience
tragique ».
Sarah fait également partie de la cohorte de
corps expéditionnaires engagés malgré eux dans
la guerre tribalo-civile au Liberia. La mort de
Sarah lui vaudra, comme à d'autres, une oraison
funèbre avant sa mise en terre. On peut en
dénombrer six types utilisés par Kourouma.
Cependant, nous n'en analyserons que deux.
Sarah est la figure par excellence de l'enfance
tragique. Son père, Bouaki, était marin ; sa
mère, vendeuse de poissons au grand marché de
Monrovia. Orpheline de mère à cinq ans, son
père décide de la confier à Madame Kokui, sa
cousine au village, qui se chargera de son
éducation. Commerçante de son état, Madame
Kokui trouvera en Sarah la bonne à tout faire.
Les charges ménagères lui seront dévolues
comme le sera également l'écoulement des
bananes. Confinée dans cette misère de boniche,
sa vie n'en apparaît pas moins comme un triste
spéculum qui projette l'image d'une fille dont la
vie ne peut avoir de sens que saisie dans sa
dimension strictement tragique. En effet, un jour
alors qu'elle cherchait à écouler sa marchandise,
un petit voyou fauche une grappe de bananes et
disparaît aussitôt. Vagabondant jusqu'à six
heures du soir, elle décida de rentrer à la maison
de sa tutrice qui la réprimanda. Le lendemain, la
même mésaventure se reproduit. Cette fois-ci,
toute la marchandise sera volée. Par crainte
d'être battue par Madame Kokui, elle s'improvisa
mendiante dans l'espoir d'avoir le versement de
sa journée. Cette initiative se révélera vaine. Elle
se fit même catin et finit par s'accommoder de
cette ribauderie dont elle ne tardera pas voir les
conséquences. Laissée pour morte après un viol,
elle est admise à l'hôpital où elle indiquera à
l'infirmière de service que Madame Kokui est sa
seule parente. Ayant cherché en vain cette
dernière, l'administration de l'hôpital décide alors
de placer Sarah dans un orphelinat tenu par des
religieuses. Quand la guerre a éclater, cinq
religieuses
furent
lâchement
massacrées,
l'obligeant ainsi à se prostituer dans les rues de
Monrovia avant de devenir enfant-soldat et de
mourir dans des conditions on ne peut plus
tragiques. Son corps servira de festin aux
fourmis magmas et aux vautours45.
L'oraison funèbre du petit Siponi permet une
migration de la charge émotive de la douleur au
tragique. Cependant, ce que l'on y note avec
insistance est cette sensibilité tragique qui établit
une proximité avec la responsabilité des adultes
dans ce déferlement de violence. Mais cette
45 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 93.
112
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
migration est perceptible au niveau de la
signifiance du patronyme « La Vipère » dont
Siponi s'est retrouvé affublé et qui fait écho à la
résonance métaphysique de cet ensemble
toponymique, la Sierra Leone, à travers lequel
les habitants de ce pays découvrent leur Être :
celui où la fatum a place et qui fait d'eux des
bêtes sauvages. Cela a fait dire à Adama
Coulibaly que la Sierra Leone et le Libéria sont
des « espaces tragiques, dysphoriques à souhait,
et anthropophagiques à raison » pour certain qu'
« une théorie de l'animalité et de l'inhumanité »
y prédomine46. D'ailleurs Siponi est présenté
comme un petit crasseux, pire un cancre qui en
avait marre de l'école, même s'il avait bien
malgré lui poursuit ses études jusqu'aux « cours
élémentaires deux » à l'école de Touleplen.
Après des absences chroniques puis des échecs
successifs, il finira par quitter l'école non sans
avoir pris le soin de vendre à vil prix cahiers,
ardoise et cartable. Avec cet argent, il s'acheta
des bananes qu'il mangea gloutonnement.
Sachant qu'une sévère correction l'attend à la
maison, il décida une fugue et son errance le
mena à fréquenter assidument les abords d'un
hôtel. Il y fit la connaissance d'un Libanais dont il
devient tout vite le boy. Dans la ville de Man où
ils viennent de s'installer, Siponi vole à son
patron une cassette remplie de billets de banque
qu'il s'empressera de confier au vieux Tedjan
Touré. Futé et fin mystificateur, le Vieux Touré
tente d'arnaquer Siponi en attestant avoir été
délesté du précieux butin. Ce qui ne convainc
pas Siponi qui dénonce son receleur à la police
avant de se constituer lui-même prisonnier. La
police viendra cueillir le Vieux Touré qui ne
tardera pas à passer aux aveux47. En prison,
Siponi fait la connaissance de Jacques qui lui
parle des enfants-soldats auxquels il rêve déjà
de faire partie. Son rêve d'aller combattre dans
les maquis du Liberia va vite se réaliser quand
un jour l'équipe de la prison se déplace en vue
de disputer un match de football contre l'équipe
d'une paroisse d'un village proche. Siponi en
profitera pour s'enfuir. Dans sa fuite, il croisa le
chemin d'un commando de guérilléros qui le
kidnappent et l'admettent au sein de la section
des enfants-soldats. Plus tard, ses "frères"
d'armes lui apprendront « le maniement d'un
Kalach »48.
46 Adama Coulibaly, « Le récit de guerre : une écriture du
tragique et du grotesque », in Éthiopiques, n°71, 2e
semestre 2003, p. 96.
47 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 204.
48 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 207.
Au regard des ceux oraisons funèbres, sortes
d'« archétypes » du tragique, se balise une
certaine chronologie de la mort du personnage
qui, au-delà, renseigne même sur la signifiance
du fatum. Mais il convient de préciser que quel
que soit l'espace dysphorique dans lequel une
propension du tragique a cours, l'enrôlement de
jeunes enfants dans les escouades témoigne du
« nihilisme comblé »49 dont peuvent se prévaloir
les adultes. Le tragique respire un air de
désastre50. L'enfance devient l'espace ludique où
une certaine sensibilité tragique se développe et
l'adulte celui du défoulement d'un refoulé
instinctif. Sur le plan stylistique, une
« scénographie » discursive opère qui fait de
l'oraison funèbre plus un protocole de
désignation du réel, de ce réel tragique, qu'une
dynamique argumentative de témoignage. Audelà, cette précaution de Kourouma est d'abord
une prérogative idéologique qui réfère à un
besoin de l'auteur de donner du « sens » au
texte littéraire. Ainsi, pour Luc Rasson, « La
désignation des horreurs de la guerre - c'est-àdire à la fois son pouvoir de transformer
violemment le corps humain et la perception
brouillée du réel qu'elle suscite - se fait sur le
mode littéraire de la litote »51. Si Kourouma a
voulu se détourner du modèle explicatif en
vogue dans le roman historique, c'est parce qu'il
a choisi de laisser l'histoire se raconter toute
seule à travers le regard naïf d'un enfant qui
expose sans fard son propre vécu. C'est pourquoi
l'oraison funèbre fait du texte littéraire, du moins
tel que voulu par Kourouma lui-même, l'espace
d'un savoir objectif qui permet une relation
véridique des faits dans lesquels une certaine
scénographie du tragique assure la permanence
d'un réalisme. Cependant, ce réalisme ne peut
prétendre à une pertinence esthétique que s'il
acquiert ou même est accompagné d'une
dimension
ironique
dont
les
répliques
sarcastiques de Birahima, sa loufoquerie et son
blabla sont les plus belles expressions.
Le destin tragique de Birahima : un
bellicisme naissant
Cohabitent dans le dispositif énonciatif d'Allah
n'est pas obligé à la fois ironie, loufoquerie et
49 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris,
Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine »,
1967, p. 18.
50 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris,
Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine »,
1967, p. 15.
51 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 38-39.
Ştiinţe socio-umane
discours raisonné, le tout saupoudré d'un
réalisme tragique. Grande est la tentation de
Kourouma d'écrire un roman archéologique dans
lequel l'ordre du discours n'est pas inversé
puisqu'il mime le récit d'une descente initiatique
aux Enfers. L'auteur se permettant même de
reconstituer le puzzle de la chronologie d'une
mort qui suffit à une écriture téléologique
d'établir une parcelle de sens entre fatum et
dimension tragique de l'initiation par l'enfant de
la violence. Ainsi donc, dans cet itinéraire
guerrier qui ne fait que davantage "héroïser" le
personnage, Birahima peine pourtant à se libérer
de « l'idole tragique » selon laquelle l'homme est
fait pour le malheur52. Car croyant être victime
d'une faute œdipienne, autrement d'une
malédiction maternelle53, Birahima déterminera
son fatum en conséquence. Ainsi, tout le roman
va jouer sur cette ambiguïté de l'écriture, c'est-àdire entre une (dé) culpabilité narcissique à la
fois confortée et atténuée par un énoncé
ésotérique ou téléologique et sa « conscience
tragique » qui fait de lui un homo furiosus :
Moi alors j'ai commencé à ne rien comprendre
à ce foutu univers. À ne rien piger à ce bordel de
monde. Rien saisir de cette saloperie de société
humaine.54
On le voit encore, l'idée que la pensée
tragique qui naît de toute épistémologie
hypertrophielle ne permet pas l'être humain de
se combler de consolations faciles. Et Birahima
non
plus
n'échappe
à
cette
impasse
métaphysique, pire il s'obstine à penser l'histoire
à partir de la souffrance vécue, ne
s'accommodant guère que le mal puisse plus
tard être au service d'un bien majeur qui
préfigure le retour à un contexte historique de
normalité. C'est là aussi qu'il convient de
comprendre la relation causale que Kourouma a
bien voulu faire exister entre art et fiction dont
l'un des objectifs connus est de rendre compte,
du moins partant d'une vérité du texte qui soit
de proximité avec la vérité historique, d'un Réel
52 Clément Rosset, La philosophie tragique, Paris, PUF, coll.
« Quadridge, n°127 », 1960, p. 2.
53 On peut lire dans Allah n'est pas obligé cette confession
post-mortem du personnage : « À partir de ce jour, j'ai su
que j'avais fait du mal à maman, beaucoup de mal. Du mal à
une handicapée. Ma maman ne m'a rien dit, mais elle est
morte avec la mauvaiseté dans le cœur. J'avais ses
malédictions, la damnation. Je ne ferais rien de bon sur terre.
Je ne vaudrais jamais quelque chose sur terre. », p. 28.
54 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 124.
113
absolu55. Ce que l'architecture du roman permet
de saisir, notamment au niveau de l'organisation
de la prose romanesque avec une densité
thématique notable qui évalue la plurisémie du
texte.
On retiendra également que la construction
narrative d'Allah n'est pas obligé obéit à la
logique d'un organigramme linéaire dans lequel
le lecteur peut aisément suivre le personnage
dans ses tribulations sans risque de s'éloigner de
la réalité du texte. Ce plan de lecture a son
avantage puisqu'il permet de saisir la déclinaison
métaphysique de la pensée tragique de Birahima
déterminée par son expérience du chaos. Car la
guerre a ceci de très particulier de faire éclore
chez l'être humain toute forme de bestialité et
dont une propension à un cannibalisme ingénu
est l'une des conséquences immédiates. De cela,
Birahima n'en échappe pas, lui qui avait
développé une forte tentation au meurtre. C'est
cette part d'un inné foncier qui brouille chez
l'homme les frontières de la normalité et de
l'animalité qui a fait écrire ceci à Luc Rasson :
« La guerre apparaît surtout comme une fatalité
révélatrice de l'incapacité des hommes à
maîtriser leur destin »56.
Birahima n'a plus aucune maîtrise de son
destin, du moins après la mort du seul être qui
pouvait l'aider à entrevoir l'avenir avec sérénité
et également comprendre la dialectique des
choses du monde. La mort de sa mère s'avère
donc être un repère psychologique fondamental
dans l'architecture de son foyer émotionnel. Le
Cercle des notables de Togobala décide de le
confier à sa tante Mahan qu'il devait rejoindre au
Liberia. Et c'est à Tiécoura alias Yacouba, fin
mystificateur et multiplicateur de billet, que
revient la charge de l'y conduire. Le voyage
commence à l'aube après un rituel purificatoire
du charlatan pour conjurer le sort et protéger les
deux voyageurs de tout malheur. Pourtant,
durant le voyage, des signes prémonitoires
annoncent déjà le destin tragique vers lequel
court Birahima. Ce fut d'abord l'apparition à
gauche de trois chouettes que le charlatan
interprète comme pouvant être significatif d'un
danger imminent. Malgré ce nuage d'infortunes
qui annonce le grand péril, Birahima avance
serein, conforté dans sa conviction que l'âme
défunte de sa mère veille sur lui. Mais la peur
d'être poursuivi par « les gnamas de plusieurs
personnes » le hante, ne le quitte même plus.
55 Justin K. Bisanswa, « La guerre émet des signes. Écriture
des rébellions et rébellion de l'écriture dans les romans de V.
Y. Mudimbé », in Études littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 98.
56 Luc Rasson, Écrire contre la guerre, Paris ; Montréal,
L'Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 1997, p. 23.
114
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
Birahima demeure, comme le fut du reste
Œdipe, le roi aux yeux crevés, le modèle absurde
et significatif du mystère tragique57. Il est celui
qui, dans la fiction du texte, vit reclus dans une
sorte de cosmologie tragique de laquelle il ne
peut s'extirper qu'en perdant tout rationalisme,
autrement l'innocence qui le protège de la
prédation d'un monde en tension permanente.
En cela il devient le symbole même de l'enfance
tragique dans une Afrique qui a le don du
paradigme de l'instabilité. Le voici maintenant
qui tente de se soustraire d'un monde qu'il ne
reconnaît plus, mais les disgrâces de l'histoire l'y
maintiennent. Son bellicisme qu'il traîne
dorénavant comme un trophée de guerre, traduit
tout le « vertige existentiel » qui peut déterminer
le trauma de l'homme africain.
Ce qui fait le caractère distinctif du
personnage et qui en ferait l'anti-héros du roman
moderne, c'est son opiniâtreté à lutter contre
son propre destin. Il convient juste de souligner,
déjà signalé dans l'incipit du roman, que
Birahima était sur le point de rejoindre sa tante
au Liberia quand, en cours de route, son taxibrousse a été pris d'assaut par un commando. Il
s'agit d'une bande armée au sein de laquelle des
enfants-soldats
que
Birahima
avait
négligemment pris pour des « petits bandits qui
coupent la route et rançonnent » les pauvres
voyageurs. Quand il comprit que c'était de vrais
enfants-soldats, il se rappela son rêve de devenir
small-soldier. Cette rencontre fortuite le mettra
dans un état de ravissement tel qu'il ne put
s'empêcher de demander d'être enrôlé. C'est au
Colonel Papa Le Bon, chef de guerre intrépide
dont on dit qu'il est « pris par l'esprit du mal »,
que cet insigne honneur. Cette intronisation sera
pour Birahima le début d'une « véritable
procession », « une véritable fantasia » qui le
poussera à se prévaloir d'une expérience
pratique du tragique. Car le tragique c'est cela
aussi, cette impression d'un monde qui s'enfonce
dans l'intimité d'un drame et que vient renforcer
l'affirmation obstinée chez l'être humain d'une
dualité irréductible où le Mal et le Bien sont en
tension permanente.
Mais au-delà, le tragique est également
l'expression esthétique d'un monde que l'écrivain
tente de traduire à travers quelques choix
stylistiques. Pour rendre compte de l'effet
tragique de son texte, Kourouma choisit
l'insertion in mediares qui favorise l'immersion du
lecteur dans l'immédiateté de la guerre.
Pourtant, l'intérêt d'un point de vue surplombant
57 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris,
Éditions du Seuil, coll. « Esprit. La condition humaine »,
1967, p. 29.
tout le foyer narratif vient donner sens à cette
esthétique de la totalité, de ce « tout » informe
qui permet au créateur d'avoir l'œil à tout afin de
mieux investir le champ du Réel. Ainsi, la fiabilité
du récit, de ce lambeau de texte où l'on narre
l'histoire d'un monde en déréliction, ne permet
plus aucun doute puisque, en plus d'un narrateur
omniscient, le descriptif et le narratif y prennent
une importance significative.
Servant de locomotive au protocole narratif
dans lequel on note un important coefficient
descriptif, l'effet tragique advient à travers la
permanence de l'horreur. C'est ainsi que
Birahima commence son parcours initiatique par
une série de combats sans jamais renoncer à
rechercher sa tante Mahan. En attendant, il
prend goût à quelques drogues dures58, s'adonne
au pillage et à quelques menues prouesses de
zouaves affranchis. Les nombreux massacres et
tueries dont il est témoin l'endurcissent et sont le
symbole de la vampirisation de l'enfant africain
dont on fait une machine à tuer. Cette
immersion dans le théâtre de l'horreur développe
chez lui à la fois une prépondérance instinctive
et une capacité destructrice. Vindicatif et
intrépide, Birahima a appris à donner la mort à
tout va, dans une sorte de cruauté insolente qui
définit la déclinaison grotesque du texte
littéraire, c'est-à-dire tout ce qui, dans
l'architecture du texte comme chez le
personnage, « choque, surprend, dérange »59.
Ainsi, le grotesque serait le résultat d'un
« cynisme désespéré », lui-même provoqué par
« un dysfonctionnement auquel l'extension de la
psychologie dans l'éclatement de la psyché
moderne tend à donner une importance
exclusive »60.
Pourtant dans ce texte où l'intrigue
romanesque est densifiée par une propension à
la bizarrerie, deux postures poussent à conclure
de l'ébranlement psychologique de Birahima qui,
du reste, amalgame perspectives de démilitarisation et culte du paradigme de l'inné
dans lequel a prise une forte inclinaison à
l'absurde. C'est ainsi qu'il se verra refuser par le
Général Tieffi d'accéder au grade de « petit
lycaon de la révolution », ces « enfants-soldats
chargés des tâches inhumaines »61 les plus
atroces. Les catégories de l'absurde semblent
58 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 112.
59 Adama Coulibaly, « Le récit de guerre : une écriture du
tragique et du grotesque », in Éthiopiques, n°71, 2e
semestre 2003, p. 98.
60 Dominique Iehl, Le grotesque, Paris, PUF, coll. « Que saisje? », 1997, p. 121.
61 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 179.
Ştiinţe socio-umane
donc reconstituer le puzzle du grotesque avec
ces précisions sur la définition de « lycaons » qui
aide davantage à en déterminer la résonance
tragique. De l'aveu même du Général Tieffi,
« Les lycaons, c'est les chies sauvages qui
chassent en bandes. Ça bouffe tout ; père, mère,
tout et tout. Quand ça a fini de se partager une
victime, chaque lycaon se retire pour se
nettoyer. Celui qui revient avec du sang sur le
pelage, seulement une goutte de sang, est
considéré comme blessé et est aussitôt bouffé
sur place par les autres »62. Cette symbolique du
bestiaire mobilisée ici pour déterminer jusqu'à
quel point la guerre a atteint un degré zéro de
diabolisation de la subjectivité consciente des
personnages
est
riche
de
quelques
enseignements. Elle montre que dans ce faisceau
descriptif, l'illusion fantastique côtoie à la fois
monstruosité et cynisme. Mais il convient de
préciser que ce relent d'un carnavalesque ingénu
concourt à construire, au travers même
l'évaluation psychologique des personnages, un
imaginaire collectif qui fait le bilan symbolique de
l'aliénation collective d'un monde qui court à sa
propre perte. Et cela se perçoit avec ce détail du
« grotesque tragique »63 surcharge le texte
littéraire afin de mettre à nu les contradictions
d'un Birahima qui n'a que cette sorte « d'agonie
du langage » pour se soustraire d'un monde qui
lui a appris à exister en tuant.
Le roman de Kourouma est une « pyramide
du malheur ». Birahima s'y engouffre facilement
avec l'innocence qui le caractérise. Cependant, le
héros de Kourouma n'est pas le seul personnage
révélateur de cette enfance africaine tragique.
Allah n'est pas obligé est un exposé des
expériences tragiques d'enfants projetés dans un
paysage psychique convulsif, un délire social qui
aide à comprendre ce spectacle du mal qui se
joue devant eux. Car engagé dans ce procès
historique de la société, l'enfant ne peut être
acteur sans risque de perdre ce qui fait à la fois
sa singularité et sa différence : sa pureté et son
innocence. Et si l'on peut reconnaître au roman
de Kourouma un quelconque génie littéraire,
c'est à tout le moins d'avoir suggéré une
dimension prospective qui laisse à un nouveau
type d'homme africain l'alternative de s'absoudre
de son parricide et de sa faute œdipienne. Et
c'est là également qu'on peut comprendre le
choix par Kourouma du personnage de l'enfant
dont il espère recréer le mythe. Car avec ce
thème des enfants-soldats qui facilite la
62 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 179.
63 Dominique Iehl, Le grotesque, Paris, PUF, coll. « Que saisje? », 1997, p. 63.
115
construction
d'un
mécanisme
parodique,
Kourouma fait de l'enfance « le royaume de la
culpabilité, de l'innocence constante et de
l'insouciance »64.
Certes la question du réalisme tragique
s'entend ici comme un horizon incontournable
dans la réflexion politique que suscite le roman,
mais elle se trouve cependant renforcée par la
prépondérance d'un grotesque typique. Celui-ci
ne peut être saisi dans l'espace du roman qu'à
travers
une
hypertrophie
corporelle,
certainement en relation causale avec les
subjectivités douloureusement convulsives des
personnages, et dont il nous reste à donner la
signification.
Les formes de l'horreur : pour une
épistémologie
de
l'hypertrophie
corporelle
La réalité de la guerre est difficile à
supporter. Elle l'est d'autant plus que la guerre
est une machine de la mort, une maladie qui
décime le genre humain. Et « Tant que le caprice
de quelques hommes fera loyalement égorger
des milliers de nos frères, la partie du genre
humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a
de plus affreux dans la nature entière »65. La
mise en scène la littérature de ces situations
exceptionnelles de chaos social et de
désajustement des choses permet de mettre à
jour certain fatalisme transcendant qui habite
l'être humain. Force est de reconnaître qu'une
approche déconstructive de la littérature permet,
par ce biais, d'établir cette « laideur du réel » qui
ressort en définitive de toute esthétisation de la
guerre. Ainsi, l'œuvre littéraire qui toujours
s'inspire toujours de ce prisme du tragique et de
l'excès en vient à reconstruire le réel à partir
d'images rendant compte d'un conflit des
valeurs, lequel d'ailleurs ne peut être que la
métaphore d'un parallélisme à deux variables
que sont la normalité et l'excès ou l'hybris. Et
c'est en cela que le roman de Kourouma, de par
sa transparence communicative, a valeur
pédagogique. Dans Allah n'est pas obligé donc,
la matérialité du réel se perçoit au niveau de
l'inventaire de l'excès - du moins si l'on tient que
les mots, autrement leur valeur descriptive,
64 Alexie Tcheuyap, « Présentation : Écrire rouge : de la
guerre perpétuelle en Afrique francophone », in Études
littéraires, vol. 35, n°1, 2003, p. 23.
65 Voltaire, Dictionnaire philosophique ; édition revue et
corrigée ; texte établi par Raymond Naves ; notes par Julien
Benda ; préf. René Etiemble, Paris, Éditions Garnier Frères,
coll. « Classiques Garnier », 1967, p. 232.
116
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
correspondent aux choses qu'ils désignent - et
de cette hypertrophie narrative qui mime
l'hypertrophie monstrueuse du corps des
victimes.
La mise en place d'un mécanisme énonciatif
du tragique oblige Kourouma à faire le choix
d'une épistémologie narrative dans laquelle il
procède à une exhibition au détail près de ce
déchaînement de violence qui fait du corps
humain un champ d'expérimentation de
l'horreur. La description de corps mutilés,
violentés, brûlés aide à saisir la subjectivité
douloureusement tragique du narrateur. Car le
tragique c'est cela aussi, ce mécanisme de
l'écrasement de l'homme dont l'anéantissement
se signale à travers une saisissante hypertrophie
de son corps. Toutes ces images d'une
corporéité grotesque permettent de nourrir la
sensibilité tragique du texte sans que celui-ci ne
puisse échapper à un quelconque prisme d'excès
et d'obscènité. Les blessures béantes et
pestilentielles de cadavres tués dans la lâcheté
d'un acte gratuit, garantissent la permanence
dans le texte d'un réalisme tragique. Mieux la
description abrupte de scènes de morts sur
lesquels l'auteur ne se préoccupe même pas de
jeter un linceul sépulcral, annonce la tonalité
émotive du récit. Cette dérive narrative qui
privilégie l'excès en tant qu'accessoire d'un
énoncé descriptif, fait de tout récit de guerre un
« récit d'exhumation ». D'ailleurs, on peut noter
cette particularité dans un roman d'Henri
Barbusse :
Dans la paroi, derrière moi, se creuse une
excavation, et là un entassement de choses
horizontales se dresse comme un bûcher.
Des troncs d'arbres? Non : ce sont les
cadavres.66
Cette esthétique du tragique dont parle
André-Patient Bokiba à propos de La Main sèche
de Tichaya U Tam'Si et la perception archétypale
qu'il offre du nouveau barbare67, se manifeste
dans Allah n'est pas obligé à travers une
insoutenable
hypertrophie
corporelle.
Le
tropisme de la mort, de l'horreur et de la
puanteur a une conséquence particulière dans
l'architecture narrative et le dispositif énonciatif
du texte. Opère ainsi une ironie singulièrement
rebutante qui tend presque à la banaliser la mort
et, certainement, à atténuer l'évidence de
66 Henri Barbusse, Le feu. Journal d'une escouade, Paris,
Flammarion, 1945, p. 288.
67 André-Patient Bokiba, Écriture et identité dans la
littérature africaine, Paris ; Montréal, L'Harmattan, coll.
« Critiques littéraires », 1999, p. 185.
l'horreur : « des cadavres, toute sorte de
cadavres, certains avec les yeux ouverts comme
cochons mal égorgés »68. L'ellipse de l'article se
comprend comme une catégorie de l'indifférence
qui enlève toute charge émotive à l'être humain
relégué dans une sorte de promiscuité sinistre
faite de sadisme et de masochisme. Tel est le
masque que Birahima aime à porter avec fierté
puisque son bellicisme devient un de ses traits
de caractère. Le héros de Kourouma s'endurcit
au contact de la mort. Birahima décrit tout avec
détachement, même les scènes les plus atroces
qui auraient heurté quelque âme sensible. Il
semble plus vindicatif que les autres enfantssoldats, et son sang-froid se perçoit par exemple
dans ce passage qui rappelle à tous égards une
scène de Saint-Monsieur Baly de Sassine69 :
des mouches plus grosses que des abeilles
agglutinées sur un cadavre. Les mouches se sont
envolées dans le vacarme d'un avion qui rase
laissant à découvert un cadavre dans le sang.
Superbement esquinté, le crâne écrasé, la
langue arrachée, le sexe finement coupé.70
Cette folie meurtrière appliquée sur le corps
charge le texte d'une forte émotion tragique.
L'horreur va monter d'un cran quand le
narrateur, au travers d'une très belle maîtrise du
procédé de la focalisation interne, décrit la scène
du supplice de Samuel Doe auquel Birahima
assiste. Cette scène semble dès lors capitale
dans la perception du tragique que Birahima se
fait quant à un impossible dépassement de la
nature
médiocre
de
l'homme
dans
l'anéantissement de l'Homme par la Mort. Par
ailleurs, si Birahima, face à ce supplice, adopte
une attitude d'extériorité fondamentale, c'est eu
égard à l'innocence qui le caractérise et qui,
dans le même temps, lui donne la certitude de la
singularité mortelle de tout être. Son
triomphalisme ne masque pas pour autant la
sensibilité tragique du texte dans lequel
Kourouma semble entièrement assumer le choix
de la mise en scène d'une horreur permanente
où le supplice corporel de Doe71 est intégré à un
faisceau intertextuel, celui du Christ crucifié : les
oreilles droite et gauche coupées l'une après
l'autre, les doigts, la langue, les bras et enfin les
jambes. Ayant rendu l'âme, son cœur sera rôti
puis mangé par les officiers anthropophages de
68 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 127.
69 Paris, Présence africaine, coll. « Écrits », 1973, 223p.
70 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 170. Nous soulignons.
71 Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Points », 2000, p. 105.
Ştiinţe socio-umane
Prince Johnson, et ce qui restait de son corps
jeté à une meute de chiens72.
Cependant, c'est avec Foday Sankoh que les
amputations à la machette deviendront une
trouvaille de guerre. Théoricien de la machette,
sa sinistre trouvaille consistait à « couper les
mains au maximum de personnes, au maximum
de citoyens sierra-leonais ». Pire, il intima l'ordre
à ses miliciens de « couper les mains les mains à
tout sierra-leonais fait prisonnier avant de le
renvoyer dans la zone occupée par les forces
gouvernementales »73. Après quoi, « On procéda
aux "manches courtes" et aux "manches
longues" », c'est-à-dire aux amputations des
avant-bras et celles des bras juste au poignet.
Cette atmosphère surréelle dans laquelle le réel
tragique prend source à partir de scènes du
cruauté insoutenable, garantit la permanence de
l'horreur. Ce tropisme de l'horreur se donne à
lire comme un signe distinctif d'un mal absolu
qui opère dans la réalité organique et dont il
détermine le caractère hypertrophique. La
matière du tragique se signale dès lors à travers
cet absolutisme grandiloquent de la mort qui
n'épargne personne, pas même les bébés, ces
« futurs électeurs » potentiels, tués à coups de
machettes74. Dans cette guerre civile où
l'anarchie est totale, la mort s'impose donc
comme une contingence de l'imprévisibilité. La
seule et inquiétante certitude qui demeure est
"L'abattoir", ce « coin où on coupait les mains et
les bras des citoyens sierra-leonais pour les
empêcher de voter »75. Lieu du crime et de
l'instrumentalisation du corps, "L'abattoir" est
aussi le lieu de la néantisation de l'être humain ;
de cet être qui n'a même plus son lit de mort
pour se hisser à la pureté.
Conclusions
Si la guerre, pour reprendre une formule
brutale de Voltaire, est ce « fléau inévitable »76 à
travers lequel l'être humain prend conscience de
sa nature bestiale, ce déferlement d'horreur sur
des corps d'enfants en vient à s'imposer comme
une contingence du tragique, du moins dans une
72
du
73
du
74
du
75
du
76
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 139.
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 170.
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 171.
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Paris, Éditions
Seuil, coll. « Points », 2000, p. 178.
Voltaire, Dictionnaire philosophique ; édition revue et
corrigée ; texte établi par Raymond Naves ; notes par Julien
Benda ; préf. René Étiemble, Paris, Éditions Garnier Frères,
coll. « Classiques Garnier », 1967, p. 232.
117
histoire comme celle de l'Afrique des guerres,
des génocides et des coups d'États qui se
singularise par ce qu'elle possède de négativité.
Mais il convient aussitôt d'ajouter que le
tropisme tragique du texte pose la question de
l'obsession catastrophique de l'Homme dans un
monde où les certitudes sont bousculées et le
Mal devient l'élément par défaut qui organise la
Vie. Que reste-il à l'Homme s'il veut guérir des
symptômes de ce Mal qui le ronge? Rien d'autre
que de se retourner vers la littérature dont l'un
des objectifs est de préfigurer, à travers
l'expression d'une esthétique et des valeurs, la
création d'un monde vivant77, celui-là même qui
advient après le Déluge. Telle est, au-delà de la
forme épurée de son esthétique, la valeur
pédagogique d'Allah n'est pas obligé dans lequel
la politique - le politique aussi - est la source du
désajustement des choses et c'est également à
travers elle que l'Homme doit espérer à un
retour vers l'Ordre, le Réel et le Sacré, ces
éléments qui sont la métaphore de l'unité en
toute chose. Et pour Kourouma, la belle
métaphore de ce texte surgit d'une apologie
politique humaniste ; celle-là même qui fait de la
démocratie un « immense bonheur » pour les
peuples asservis. Car la démocratie n'est rien
d'autre que « l'abaissement des passions, la
tolérance de l'autre »78. Montaigne n'aura pas
fait mieux, pour qui tout est là dans le savoir
qu'enseigne la littérature! De cette littérature de
l'aveu
s'appuyant
sur
des
informations
empruntées à la réalité et qui enrichit son sillon
polémique par un discours subversif dans lequel
l'écrivain - ici Kourouma - ne se donne qu'un seul
objectif : faire du texte romanesque la longue
métaphore de ce que Mudimbe appelait en
quatrième de couverture de Le Bel Immonde
« un
univers
de
cassures
et
de
contradictions »79.
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Aimé Gomis
Je
suis
chercheur
appartenant à l'ED 120 de
l'Université de la Sorbonne
Nouvelle Paris 3. Je suis
également Docteur de cette
même université. J'ai préparé
et soutenu ma thèse intitulé
Ecritures du corps dans la
littérature
sénégalaise.
Esquisse d'une corporéité et
implications plurielles de
Senghor à Ken Bugul en
2010, sous la direction du
Professeur Jean Bessière.