ALFREDO GANGOTENA, POETE EQUATORIEN ET FRANҪAIS In

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ALFREDO GANGOTENA, POETE EQUATORIEN ET FRANҪAIS In
ALFREDO GANGOTENA, POETE EQUATORIEN ET FRANҪAIS1
In http://arqueologia-diplomacia-ecuador.blogspot.fr/2013/05/lequateur-vous-attend-dansloeuvre-de.html
Je reproduis ici l’article tel que l’a publié Claude Lara dans son blog.
J’ai uniquement modifié l’agencement des notes en fin de page et des annexes.
S’adressant le 20 avril 1964 au Comité « France-Amérique », M. Carlos Tobar Zaldumbide2,
alors brillant Ambassadeur de l’Équateur à Paris, qualifia de: «…cas singulier, intime,
presque personnel, de ce que peut-être la compréhension entre des hommes les plus éloignés
par la géographie et, souvent, combien près par l’esprit. Il s’agit, dans l’occurrence, d’un
homme de l’Equateur et de quelques maîtres français, unis au niveau le plus haut; mieux
encore, au niveau le plus subtil et visionnaire de tous et, par suite, le plus humble: celui de la
poésie »3. Avec cette introduction, l’Ambassadeur Tobar Zaldumbide présenta le cas du poète
Alfredo Gangotena.
1
A. Darío Lara : « L’Equateur vous attend…», Ambassade de l’Equateur en France, publication de
l’Ambassade N° 14, avril-mai 1971; pp. 4-5 ; cet article est illustré par les photos Keystone de: - Jacques
Maritain avec cette critique: « Votre poème est d’une grandeur tragique que j’admire beaucoup… Ce n’est pas
seulement sa beauté de forme et de violence, sa beauté en quelque sorte minérale qui m’émeut, c’est l’âme qui
passe en elle…». - d’un Portrait d’Alfredo Gangotena par Coloma Silva, 1943 ; - de Jean Cocteau avec cette
annotation: «… Gangotena vous avez du génie. C’est quelque fois dommage, toujours merveilleux. Ne dites à
personne votre projet de gloire. Je m’en charge…».
2
Carlos Tobar Zaldumbide a été un grand ambassadeur et sa mission diplomatique en France a été très
remarquée. Pour cela il nous a paru très intéressant de transcrire ce document inédit, les Lettres de Créance qu’il
a remises en main propre au Président de la République française, le Général de Gaulle, le 21 décembre 1963,
lequel a du être particulièrement sensible à ces paroles:
« Monsieur le Président,
C’est un singulier privilège que de remettre à Votre Excellence les Lettres de Créance qui m’accréditent auprès
d’Elle en qualité d’Ambassadeur de l’Equateur.
Des circonstances heureuses confèrent à cet acte une signification qui m’est particulièrement chère: c’est en
qualité de Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères de mon pays, en 1944, que j’ai eu l’honneur
d’intervenir dans la reconnaissance du Gouvernement Provisoire présidé par Votre Excellence qui, alors que
l’Europe se débattait encore dans l’incertitude et l’angoisse, faisait face à la tâche historique et exaltante de lutter
pour l’honneur et la gloire de la France. Si je me suis permis de rappeler ces faits, c’est bien parce que l’Equateur
a été le premier pays d’Amérique Latine, et certainement l’un des premiers du monde, qui a adopté cette attitude,
dont le souvenir nous est cher.
Maintenant que la France, guidée par Votre Excellence, a assumé la place directrice qui lui est due dans le
monde, le moment est sans doute arrivé où les pays d’Amérique Latine, et particulièrement ma Patrie,
traditionnellement unie à la Votre par une culture commune et des idées analogues sur la primauté du Droit, la
Liberté et le respect de la personne humaine, s’efforcent d’atteindre une coopération croissante de plus en plus
efficace, fondée sur les principes auxquels la France et l’Equateur ont toujours été fidèles: l’égalité juridique des
Etats et le respect de leur indépendance nationale.
Telle est, Monsieur le Président, la conviction du peuple et du Gouvernement de l’Equateur. C’est dans cet esprit
qu’il m’est donné d’initier la mission dont j’ai été chargée auprès de Votre Excellence. Je suis convaincu que ma
décision de travailler en vue de resserrer les liens qui unissent l’Equateur et la France dans tous les domaines, et
très particulièrement dans ceux de la coopération technique et économique, trouvera la généreuse compréhension
du Gouvernement de Votre Excellence.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de Vous présenter les vœux que le peuple et le Gouvernement équatoriens
formulent pour la prospérité et la grandeur de la France, pour le succès croissant de son Gouvernement et pour le
bien être personnel de Votre Excellence.»
3
Nous reproduisons, en annexe A, ce très beau témoignage et de grande valeur, puisque M. Carlos Tobar
Zaldumbide nous signale: «… et j’eus moi-même le privilège de me compter parmi ses amis».
Tous les critiques sont unanimes à signaler le cas exceptionnel d’Alfredo Gangotena dont la
vie et l’œuvre peuvent être assimilés aux noms prestigieux de: Lautréamont, Supervielle et
Laforgue, poètes nés en Uruguay, et dont l’œuvre écrite en français marque notre siècle d’un
éclat particulier. Tel fut le cas aussi des poètes Milosz, Moréas, entre autres, qui, bien
qu’originaires de pays différents, acquirent une renommée par leur œuvre écrite en français.
Lors de la naissance d’Alfredo Gangotena, à Quito, en 1904, les lettres équatoriennes
connaissaient une profonde transformation. Après une longue stagnation qui prolongea un
romantisme décadent, la voix de la rénovation se laissa entendre au sud du continent. Cette
voix était celle d’un jeune poète né au Nicaragua, Rubén Darío, qui devait s’imposer en tant
que chef de file de l’école moderniste. Son message, après avoir conquis les lettres du
continent hispano-américain, devait arriver en Espagne et gagner des adeptes parmi les plus
notables représentants de la «génération de 98», marquant ainsi un changement dans les
destinées de la poésie castillane de ce siècle.
Les écrivains, les poètes nés en Equateur au commencement de ce siècle reçurent, d’une
manière ou d’une autre l’influence, du modernisme. On doit distinguer deux générations bien
distinctes et remarquables. La première autour de 1920, celle qu’un écrivain a désignée
comme la «génération décapitée», formée par un groupe de quatre poètes: Arturo Borja,
Ernesto Noboa, Humberto Fierro et Medardo Angel Silva. Avec ces poètes, comme l’a dit le
critique Benjamín Carrión: «la mort s’était approchée trop près de nous». Leur œuvre
profondément influencée par les poètes «maudits» de la génération de Verlaine, marqua d’un
caractère essentiel et définitif la poésie équatorienne des années 20.
A ces poètes marqués par la hantise de la mort, succédèrent d’autres poètes que le même
critique qualifia de: «poètes de la résurrection»; de même, ce groupe fut formé par quatre
grands poètes, dont deux sont encore vivants: Gonzalo Escudero et Jorge Carrera Andrade; et
deux sont déjà morts: Miguel Angel León et Alfredo Gangotena. Leur œuvre radicalement
différente donne à l’Equateur une dimension universelle.
Nul doute que parmi ces quatre poètes, la poésie d’Alfredo Gangotena, par des circonstances,
que nous allons souligner, revêt des caractéristiques essentiellement différentes. En effet,
Alfredo Gangotena, né le 19 avril 1904, s’installa à Paris dès 1920; dans cette ville il passa
son baccalauréat et après une année d’architecture il préféra suivre l’Ecole Nationale
Supérieure des Mines et y obtînt son titre d’ingénieur. Gangotena cultiva ainsi, en même
temps que la poésie, les mathématiques pour lesquelles il était particulièrement doué, ainsi
que les sciences. Cette double vocation artistique et scientifique marqua donc profondément
l’essence même de sa poésie; influence qui se traduit déjà dans les titres de quelques-uns de
ses livres. Ainsi il appela Orogénie son premier ouvrage qu’il publia à la N.R.F, en 1928.
Dans ces poèmes, la critique française reconnut un poète de grande classe. «Dès le
commencement Gangotena se plaça en première ligne dans la jeune poésie française», écrivit
Jules Supervielle et Jean Cocteau déclarait au poète équatorien: «Gangotena, vous avez du
génie. C’est quelques fois dommage, toujours merveilleux. Ne dites à personne notre projet de
gloire. Je m’en charge».
Son long séjour à Paris permit à Gangotena d’avoir des contacts très amicaux avec tout un
groupe admirable des lettres françaises, dont: Jean Cocteau, Max Jacob, Paul Claudel, Jules
Supervielle, Henri Michaux, Jacques Maritain, pour ne citer que les plus connus. Gangotena
échangea une correspondance encore inédite avec quelques-uns d’entre eux, ce qui nous
permet d’évaluer la haute idée et l’estime que ces grands écrivains français avaient pour le
poète équatorien. La publication de chaque livre de Gangotena est saluée avec enthousiasme
par ces illustres amis.
Dans les «Nouvelles Littéraires» du 22 septembre 1928, Jean Cassou écrivait ces lignes après
la publication d’Orogénie: «Ce jeune Américain du sud possède le plus riche vocabulaire
français et se livre avec une fantastique aisance aux rapprochements les plus inattendus… la
poésie de Gangotena c’est de la belle et sonore musique de piano, et son auteur est de la
lignée des plus grands virtuoses».
Rentré en Equateur en 1928 en compagnie d’un de ses meilleurs amis, le poète Henri
Michaux (qui nous a donné comme souvenir de ce voyage son livre Ecuador), Alfredo
Gangotena publia à Quito son livre Absence en 1932. Et en 1938, le «Cahier des Poètes
Catholiques» de Bruxelles édita: «Nuit» et «Absence».
C’est ainsi que Gangotena écrivit la plus grande partie de son œuvre en français. Mais il
publia aussi quelques poèmes, et même son livre Tempestad Secreta (Quito, 1940) en
espagnol. Inutile de souligner que la maîtrise de sa langue maternelle est aussi admirable que
sa connaissance du français et, dans l’une comme dans l’autre, l’inspiration est aussi forte.
Bien entendu, l’essence même de sa poésie faite d’angoisse, de solitude, est d’une originalité
qui, comme le dit Supervielle, constitue: «la vraie originalité, celle qui vient des sources
mêmes du cœur, d’où jaillissent gravement ces poèmes, sombres et brûlants, souvent
difficiles, mais dont les propres ténèbres se reflètent dans ces eaux merveilleuses et donnent
un témoignage d’élévation et d’une beauté palpitante».
Si la solitude, le désespoir, l’angoisse dominent cette poésie, nul doute que d’autres
caractéristiques soulignées par ces critiques méritent aussi notre attention, et d’abord le
caractère grandiose, «héraldique comme la tour mallarméenne, puissante comme l’orgue aux
tuyaux pluriels de Paul Claudel, mais plus pure…» écrivit Jean Audard. Notons ensuite, sa
grande élévation métaphysique, fruit de son goût pour la philosophie et cet hermétisme,
résultat de la densité de son lyrisme et de la richesse de ses facultés exceptionnelles. Mais la
caractéristique fondamentale de la poésie de Gangotena, ce qui le distingue des quatre poètes
de sa génération, c’est justement ce souffle animé par une profonde angoisse métaphysique et
inspiré par une forte architecture philosophique. Le grand philosophe espagnol, David García
Bacca, analysant la pensée «gangoteana» écrivit ces lignes: «Triste et solitaire, l’âme du poète
lutte désespérément pour trouver des supports théoriques, rationnels -très à la française- et il
les cherche dans deux territoires distincts: le physique-mathématique et le philosophique.
Etrange, et pour moi inconnue, fusion de relativité et d’existentialisme. Résonnent en
harmonie, forgé par le poète, presque forcé par lui, Einstein, Sartre, Heidegger… Son
échappatoire et sa perdition dans le Monde, dans un univers espace-temps-lumière-Moi
extatique: n’arrivent pas à la libération; ils ne pouvaient y arriver…».
La vie d’Alfredo Gangotena fut brève (il est mort le 23 décembre 1944), ainsi que son œuvre.
Telles apparaissent, en quelques lignes, la vie et l’œuvre de ce grand poète disparu très jeune,
mais qui a marqué l’un des moments les plus intéressants des lettres équatoriennes. Vie
tourmentée, angoissée et toujours à la recherche d’un amour introuvable et qui, dans ce
monde, ne put atteindre sa parfaite plénitude. «L’espoir -disait le vieux Héraclite, c’est l’inespéré»; espérons que la «Llaga de Amor viva» (la plaie vive d’amour) que fut durant sa vie
le poète Alfredo Gangotena ait été transformée en «Llama de Amor vivo» (Flamme vive
d’amour), comme le souhaitait García Bacca (Annexe B).
Annexe A : Le poète GANGOTENA, Trait d’Union Inconnu de l’amitié Franco
Equatorienne
Par S. Exc. M. Carlos TOBAR ZALDUMBIDE
Ambassadeur de l’Equateur
Au printemps dernier, le Comité France-Amérique, sous la présidence de M. Edmond Giscard
d’Estaing, Membre de l’Institut, organisa, conformément à la tradition de ses réceptions
diplomatiques, un diner en l’honneur de S. Exc. l’Ambassadeur de l’Equateur et de Mme
Tobar Zaldumbide, M. Jacques Chastenet, de l’Académie Française, Président-adjoint de
France-Amérique, qui accomplit au cours des récentes dernières années, un voyage en
Equateur dont il conserve un chaleureux souvenir lui exprima la bienvenue du Comité. Nous
reproduisons ci-dessous la réponse S. Exc. l’Ambassadeur Carlos Tobar Zaldumbide, une
belle et charmante page d’histoire, de littérature et d’amitié franco-équatorienne.
Je devrais vous entretenir – très brièvement d’ailleurs – de divers aspects de mon pays,
l’Equateur, faits pour vous intéresser et qui sont à l’ordre du jour dans la vie fiévreuse que
vivent les relations internationales. Je pourrais, par exemple, devant cette assemblée brillante
de représentants de la culture, la science et la technique de la France, tâcher de vous dire les
objectifs de ma Patrie dans ces domaines, désireuse de développer sa jeune richesse
potentielle, la fertilité exubérante de son sol, la force de sa nature et, aussi, de travailler pour
le triomphe de son idéal de paix et de fraternité, de sa foi dans les valeurs permanentes de la
civilisation occidentale et chrétienne. Je pourrais, peut-être, essayer d’esquisser notre position
en Amérique, les lignes invariables de notre conduite internationale dans ce continent et
envers le monde qui, d’ailleurs, ne diffèrent guère de celles qui sont chères à la France; le
respect du Droit, l’horreur de la force comme moyen de solution des conflits internationaux,
la mise en valeur de l’être humain, de ses droits, de sa dignité, de sa liberté. Finalement, je
pourrais, encore, évoquer tels passages de notre histoire jalonnés de la présence française, par
la science qu’elle y a répandue, par la culture qu’elle y a créée, depuis quelques deux cents
ans, lors de mémorables missions, comme celle de Charles-Marie de la Condamine, qui vient
en Equateur mesurer une portion de l’arc de méridien terrestre. Tous ces sujets, et bien
d’autres encore, ne manqueraient certainement pas d’attirer votre bienveillant intérêt.
Vous saurez, cependant, m’excuser – j’en suis sûr – de vous ménager ce soir et de faire une
halte dans ce voyage, pour me permettre de découvrir devant vous un cas singulier, intime,
presque personnel, de ce que peut-être la compréhension entre des hommes les plus éloignés
par la géographie et, souvent, combien près par l’esprit. Il s’agit, en l’occurrence, d’un
homme de l’Equateur et de quelques maîtres français, unis au niveau le plus haut; mieux
encore, au niveau le plus subtil et visionnaire de tous et, par suite, le plus humble: celui de la
poésie.
Le grand philosophe Heidegger nous dit quelque part que les poètes produisent le témoignage
de ce que l’homme est. Et nous allons voir ce que des poètes de France et de l’Equateur
témoignent sur l’identité de l’âme humaine.
Entre 1920 et 1930 un jeune équatorien vivait à Paris. Il obtint brillamment son diplôme
d’Ingénieur à l’Ecole des Mines et trouva, en même temps, le moyen d’écrire, en français,
quelques livres d’excellente poésie dont un, au titre somptueux d’Orogénie, fut publié par la
Nouvelle Revue Française. Il se déplaçait dans l’esprit tourmenté de sa génération
intellectuelle. Il chantait l’angoisse, la solitude, la nostalgie, le désespoir. C’était l’ami de
Cocteau, de Max Jacob, de Claudel, de Jouhandeau, de Supervielle; à Quito, et j’eus moimême le privilège de me compter parmi ses amis. Voilà pourquoi, j’ai eu accès à la
nombreuse correspondance personnelle avec ses amitiés de France, qu’il entretint sa vie
durant, et j’ai cru qu’il vous serait intéressant de connaître quelques brefs extraits des lettres
que lui adressèrent souvent ces personnages désormais illustres. Elles portent le signe de la
bienveillance, de l’admiration; elles sont parfois espiègles et charmantes, parfois
désenchantées, mais, en tout cas, elles symbolisaient ce que peut être l’amitié des hommes,
l’amitié des peuples. Voici une courte missive de Cocteau, auquel notre poète sans doute fait
connaître quelques-unes de ses œuvres, comme celles qui suivent aux environs de 1924:
«Gangotena, vous avez du génie. C’est quelques fois dommage – toujours merveilleux. Ne
dites à personne notre projet de gloire. Je m’en charge. Venez vite avec le reste. J’ai déjà
prévenu Rivière que je lui préparais une surprise. Votre Jean COCTEAU »
En voilà une autre, à propos du livre dont l’édition se préparait alors à la Nouvelle Revue
Française:
«Mon cher Gangotena; On compose votre livre… Je suis heureux d’être le parrain – et mérite
une dédicace sur un des poèmes – ce qui ferait beaucoup plaisir à votre vieil admirateur.
Jean COCTEAU »
De Villefranche-sur-Mer, Cocteau répond, sans doute, quelque lettre de son ami dans laquelle
celui-ci se refusait d’accepter la suggestion d’écrire en prose. Il lui dit:
«Cher Gangotena; Heureux comme tout avec votre offre de poèmes. Je parlais de prose par
timidité. Votre «Orogénie» est une coupe du ciel. Ne m’oubliez pas. Sans l’amitié de poètes
comme vous, je respire mal… Inutile de vous dire mon émotion en voyant votre dédicace au
«Roseau d’Or». Vous savez comme je vous admire et que, malgré nos rares rencontres, je
vous aime beaucoup. Votre très fidèle Jean COCTEAU».
Max Jacob, par contre, est plus explicite. Malgré la différence d’âge, il est vrai et se laisse
aller à certaines jongleries verbales qui ne manquent pas d’émotion. Voici quelques pages
d’une lettre datée un 5 janvier, à St-Benoist-sur-Loire, en réponse, sans doute, à celle dans
laquelle
Gangotena
lui
demandait
une
préface:
«Cher poète, très cher: échangeons donc les souhaits selon l’usage à cette époque et l’amitié
toute l’année. L’amitié j’y compte, sur les lettres, je compte peu car vous ne me gâtez pas. Je
suis plein d’indulgence, une indulgence admirative! car les nombreux, si contradictoires
travaux où je vous vois en proie me laissant pantois. On ne lit que de vos vers et vous ne
laissez pas le temps d’exprimer une admiration que vous ne l’exhaussiez par quelque autre
merveille. Vos vers sont royaux, loyaux, joyaux! Vastes, astres, pilastres et Zoroastre, fastes,
chastes, aristocrates, acrobates, Goliath, amphithéâtre et opiniâtres. Je ne me lasserai de le
dire : vous êtes le… non! soyons prudent. Un des seuls qui… soyons encore prudent… La
préface (de votre livre) appartient à Supervielle qui est votre inventeur français. Elle
appartient plutôt encore à quelqu’un de votre génération: une génération doit désigner ellemême dans son sein celui qu’elle élit comme «maître de préface». Une génération doit se
suffire. Pour votre génération vous avez l’admirable aristocrate qu’est Jouhandeau.
D’ailleurs si vous saviez combien ma voix porte peu, est peu écoutée, peu entendue. Je suis
littéralement écrasé par les écraseurs. Il est vrai que c’est ainsi depuis 25 ans!... Je vous
félicite de tous vos succès, je vous serre la main, vous couronne et vous embrasse à la face de
Dieu. Max JACOB. »
Plus tard, en 1929, lorsque Gangotena publia, en Equateur, son deuxième livre « Absence »,
Max Jacob lui adressait encore ces mots:
«Votre livre «Absence» me fait l’effet d’un son de grosse cloche, et j’en écoute le son avec
plaisir. Il dit: C’en est fini des amusettes artistiques, des petits pittoresques». Une époque
tragique veut une poésie tragique, une époque déchirante des poètes déchirés. Et voici que de
vos Amériques nous arrive votre voix de métal, votre verbe ferme et odorant et votre cœur
chargé d’un mal atroce, le mal du pays, mal qui nous a donné le grand poète Ovide et
d’autres exilés. Cette voix nous arrive chaude encore des Equateurs, désolée comme les 6530
mètres du Chimborazo et rouge de douleur comme ses pierres cuites par les soleils
implacables. Bravo pour ce livre fondamental qui ne quittera plus ma vie. Max JACOB.»
Voilà donc quelques échantillons d’une correspondance qui sera, un jour, commentée et
publiée car elle est abondamment parsemée de beauté et de cette sorte de candeur qui fait de
la poésie «un jeu d’entre tous le plus innocent».
J’ose espérer de ne pas avoir trop abusé de votre patience en vous faisant participer de ce trait
d’union inconnu de l’amitié franco-équatorienne. Et puisque, en somme je suis tenté
d’expliquer celle que mon Pays porte à la France en empruntant, très respectueusement, à
Montaigne sa phrase merveilleuse, lors de la mort de son ami, La Boétie: «Je l’aimais parce
que c’était lui, parce que c’était moi».
Carlos Tobar Zaldumbide.
«France – Amérique » (magazine)
REVUE DES NATIONS AMERICAINES
3ème trimestre 1964
Annexe B : Nous transcrivons les deux poèmes qui illustrent cet article:
CHANT D’AGONIE * A Julien Lanoë
Le vol arcane, durcit des arbres;
Les mille tonnerres où frémit la Terre
L’ouragan, autour des flammes dans l’éblouissement
de sa colère,
L’ouragan, avec ses voix, déchirant la soie des fleurs
Et dans l’espace s’écriant :
O nuit je m’en souviens:
Jadis, au clair des astres, j’ai bien connu
Son corps de grâces et de beauté,
Son corps lesté d’amour, au bord des flammes,
m’étreignant dans ma fluide éternité».
CARÊME
A Pierre-André May
Ores qu’une force étrange me fait claquer des dents,
Qu’un sifflement océanique de trombe me brise les yeux:
Dans mon âme vente l’écho d’une voix profonde.
Solitudes d’un monde abstrait,
Solitudes à travers l’espace mélodique des cieux,
Solitudes, je vous pressens.
O Pascal:
L’esprit d’aventure, de géométrie,
En avalanche me saisit,
Et ne suis-je peut-être que l’acrobate
Sur les géodésiques, les méridiens!
Mais comme toi jadis, petit Blaise,
A la renverse sous les chaises,
En grand fracas, je ronge les traversins.
O nuptiale saison de l’épousée!
La pentecôte des feuilles d’automne enlumine les carreaux,
Souvenir! O patiente et douce mémoire vivifiant ses eaux.
Dans l’amoureuse et chaude enceinte des rideaux.
O battement vertigineux
De ces ailes sous les tempes,
Ombre interne de mes mains!
Route solaire de la ma puissance.
Et route du pain: l’épi violent.
Les prunelles avides de l’écolier se consument à l’ombre des greniers;
Les gouttières sèment leurs glaïeuls de cristal,
Et toute la grange succombe à la grâce de Dieu.
[…]
Brisez-vous, portes: le jour qui vient de naître
Flambe en la feuille limpide de la fenêtre.
La lune déjà s’éteint aux brises du monde:
Hâte-toi,
O mon âme et réveille, dans l’octave de ton chant,
Le florilège de la prairie!
Comme ils boivent, au fil de l’ombre, les versants et les vallées,
Comme ils s’abreuvent de ces lymphes jaillissant à même l’entraille métallique du roc:
Je me désaltère à la gourde du ventriloque.
Ah! même sous la menace des signes sidéraux,
Fuis donc, ami -enjambe les monts et les ténèbresMême au risque de périr
Dans la braise foudroyante des vitraux!
Ecoute! entends comme grince au loin le carrefour:
Genèse de ton souffle,
Clavier du voyageur.
[…]
* Alfredo Gangotena Orogénie. Editions de la Nouvelle Revue Française, Paris 1928; pp. 82
et 11 et 15-16.