La saga du Suroît
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La saga du Suroît
Le territoire La saga du Suroît La polémique énergétique Vicky Boutin Journaliste Il y a longtemps qu’un projet énergétique n’avait suscité autant de débats au Québec. Qualifié de nécessité par certains, mais source d’indignation pour d’autres, le projet de centrale thermique du Suroît a réveillé les passions. Face à la hausse de la demande énergétique, Hydro-Québec a soutenu qu’il n’y avait pas de meilleure solution à envisager. C’est toutefois ses impacts sur l’environnement que les opposants retiennent. Le projet et ses justifications Hydro-Québec Production a proposé d’ériger une centrale thermique à cycle combiné fonctionnant au gaz naturel et à la vapeur. Au coût de 550 millions de dollars, celle-ci serait construite à Beauharnois, en Montérégie, tout près du grand centre métropolitain. On estime sa capacité moyenne de 800 mégawatts (MW) pour 6,5 TWh d’énergie par an. À l’origine, la société d’État voulait amorcer la construction des installations en août 2004 et mettre la centrale en service dès l’automne 2006. La grogne suscitée par le projet au sein 554 de la société québécoise a considérablement ralenti le processus, de sorte que les échéanciers présentés sont aujourd’hui irréalisables. HydroQuébec ne parlait plus, finalement, d’une mise en service avant décembre 2007, certains parlent même de 2009. Selon le projet, la centrale au gaz de Beauharnois permettrait à HydroQuébec de répondre à la demande croissante d’électricité. Engagé dans un marché de libre concurrence, la société d’État bénéficie d’un statut avantageux face aux marchés extérieurs, ce qui se traduit par d’importantes retombées économiques pour le gouvernement du Québec. L’électricité du Suroît permettrait à Hydro de répondre aux demandes et de profiter des occasions d’affaires sur les marchés de l’électricité des États-Unis et de l’Ontario – des marchés très lucratifs pour la société d’État. Hydro espère également répondre à l’explosion de la consommation d’électricité au Québec. Entre 1986 et 2001, l’augmentation annuelle moyenne de la consommation a été de 2,7 %. Pour Les grands enjeux les quinze prochaines années, la hausse moyenne devrait être de 1,2 % selon les prévisions d’Hydro-Québec. La Régie de l’énergie, se basant sur un scénario mi-fort, estime que la demande passera de 168,8 térawattheures (TWh) en 2004 à 191,2 TWh en 2011. Pour cette même période, la demande québécoise en énergie passerait de 34 990 MW à 38 445 MW. (Pour plus de détails, consultez le texte de Pierre Fortin, p. 239) Hydro-Québec a soutenu que le projet du Suroît était la meilleure solution pour pallier cette hausse à court et à moyen termes, considérant son coût concurrentiel, sa mise en service rapide et son impact limité sur l’environnement par comparaison aux effets des centrales thermiques au charbon ou au mazout. Bien qu’elle affirme souhaiter privilégier l’hydroélectricité, la société d’État soutient que « cette filière exige de plus longs délais de réalisation, en particulier pour les installations de grande envergure. En effet, aucun des grands projets hydroélectriques prévus par Hydro-Québec ne peut fournir une quantité d’énergie équivalente à celle de la centrale à cycle combiné du Suroît pour la fin de 2006 ». L’augmentation de la consommation d’électricité survient au même moment où le niveau d’eau des réservoirs d’Hydro-Québec est en déficit. En février 2004, la société annonçait que ce niveau était en déficit depuis 1991, situation gardée jusque-là secrète pour ne pas nuire à la position d’Hydro sur le marché. Devant la Régie de l’énergie, Hydro-Québec a avoué avoir sous-évalué les besoins du Québec entre octobre 2003 et janvier 2004. Elle a été prise par surprise par les deux hivers extrêmement froids de 2002 et 2003. L’opposition Ces justifications n’ont pas eu les effets espérés auprès du public québécois. Rapidement, des groupes de pression se sont formés pour dénoncer ce projet qui, pour plusieurs, revêt les allures d’un important risque environnemental. La centrale thermique serait responsable d’un rejet de 2,25 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) par année dans le ciel québécois, quantité qui représente jusqu’à 2,8 % des émissions totales du Québec en 1998. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a estimé que cette proportion équivaut à la moitié de la hausse des émissions de GES attribuables au transport entre 1990 et 2000. Pour les opposants, cette centrale au gaz est un non-sens au moment où le Canada s’est engagé, dans le cadre du Protocole de Kyoto, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 6 % sous le niveau de 1990, d’ici 2012. Les Québécois étaient d’ailleurs les plus favorables à la signature de cet accord. Les groupes écologistes qui crient au scandale ont un appui de taille dans leurs revendications : la population québécoise. En février 2004, plus de 4000 personnes se sont rassemblées devant le siège social d’Hydro-Québec, à Montréal, pour manifester leur opposition au Suroît. Un sondage réalisé en janvier 2004 par Léger Marketing pour le groupe écologiste Greenpeace montre que deux Québécois sur trois (67 %) sont « plutôt » ou « totalement » en désaccord avec la centrale au gaz naturel de Beauharnois. Vingt-cinq pour cent de la population québécoise se rallie au projet, et seulement 4 % d’entre eux se 555 Le territoire Les groupes écologistes ont un appui de taille dans leurs revendications : la population québécoise. disent « totalement en accord ». Le sondage a été mené auprès de 1005 répondants et comporte une marge d’erreur d’environ 3,4 %, 19 fois sur 20. La population de Beauharnois a tenté à sa façon de freiner le projet. Le maire de la municipalité estime qu’au moins 80% des ses concitoyens sont contre l’implantation de cette centrale. Le conseil municipal a décidé de retarder une modification de zonage devant permettre la construction de la centrale. Une pétition de 2000 noms a également été remise aux autorités en février 2004. Même les ingénieurs d’HydroQuébec ont joint leurs voix aux scientifiques de la société pour exprimer des doutes face au projet du Suroît, en demandant à leur employeur de « reconsidérer sa décision de construire » cet équipement qui « n’a absolument pas sa raison d’être et […] va complètement à l’encontre du bon sens environnemental et économique ». D’autres scientifiques d’Hydro estiment que le projet équivaudrait à la pollution de 600 000 voitures supplémentaires sur les routes du Québec. À la liste des opposants au projet, on peut aussi ajouter l’appui inusité de 22 congrégations religieuses titulaires d’obligations d’Hydro-Québec, qui ont aussi tenu à se prononcer sur le dossier. Elles ont dénoncé la viabilité économique du projet et ses impacts néfastes sur l’environnement. Les études du BAPE et de la Régie de l’énergie Le projet du Suroît a été soumis à deux 556 importants examens : celui du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement et celui de la Régie de l’énergie. Les commissaires du BAPE, dont le rapport fut divulgué au début de l’année 2003, refusent de donner leur aval au projet d’Hydro-Québec. Le BAPE soutient que « malgré les aspects avantageux du projet pour le promoteur, malgré sa contribution importante à l’essor économique de la région de Beauharnois et malgré les impacts réduits qu’il aurait sur l’environnement, sur la qualité de vie et sur la sécurité de la population en périphérie, la commission constate qu’il augmenterait de façon substantielle les émissions de gaz à effet de serre au Québec ». La démarche du Québec face au Protocole de Kyoto pourrait en être compromise. La commission demande la démonstration du cas contraire à Hydro-Québec avant de cautionner la centrale thermique de Beauharnois. L’avis publié à l’été 2004 par la Régie de l’énergie est beaucoup plus nuancé. La Régie conclue que le projet du Suroît n’est « pas indispensable à la sécurité des approvisionnements en électricité », mais qu’il est néanmoins « souhaitable dans la situation actuelle de précarité et, surtout, de dépendance à l’endroit des importations ». L’électricité produite par la centrale au gaz de Beauharnois permettrait de créer un « coussin sécurisant » pour subvenir à la demande grandissante du Québec. Toutefois, comme les besoins en énergie seront surtout critiques en 2005, 2006 et 2007, la nouvelle centrale ne pourra pas aider à combler le manque. Le recours aux importations s’avère donc inévitable pour les prochaines années. Pour répondre aux besoins à court Les grands enjeux terme, la Régie considère essentielle l’approbation du projet de centrale thermique de Bécancour, pourtant refusé par le BAPE. Avec des émissions annuelles de 1,5 million de tonnes de GES, la centrale de Bécancour, tout comme celle du Suroît, déroge à deux grandes orientations adoptées par le gouvernement du Québec, soit la Politique de l’énergie et le Protocole de Kyoto. Même si la Régie juge «souhaitable » la réalisation du projet, le gouverne- ment du Québec a préféré suspendre sa décision de construire la centrale du Suroît. Jean Charest demeure toutefois convaincu de l’importance d’assurer la sécurité énergétique de ses concitoyens pour les prochaines années. Le gouvernement devait rendre sa décision après qu’une commission parlementaire se soit penchée sur la question, au cours de l’automne 2004. Au moment de mettre sous presse, la commission n’avait pas terminé ses travaux. Références HYDRO-QUÉBEC PRODUCTION. Centrale à cycle combiné de Suroît : Résumé de l'étude d'impact sur l'environnement, mai 2002 [en ligne] www.hydroquebec.com/suroit/pdf/avantprojet_resu/suroit_resume_complet.pdf BISSON, Bruno. « La population du Québec ne veut pas du Suroît », La Presse, 7 février 2004. FRANCŒUR, Louis-Gilles, « Centrale thermique du Suroît - Les ingénieurs d'Hydro-Québec condamnent les intentions de leur employeur », Le Devoir, 21 janvier 2004. MAGNY, Claudine. « Hydro-Québec : cap sur le thermique ? », dossier de Radio-Canada [en ligne] www.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/hydro/ RÉGIE DE L'ÉNERGIE. « Avis de la Régie de l'énergie sur la sécurité énergétique des Québécois à l'égard des approvisionnements électriques et la contribution du projet du Suroît » (A-2004-01), 30 juin 2004 [en ligne] www.regie-energie.qc.ca/A-2004-01.pdf BAPE. Rapport 170. Projet de centrale à cycle combiné du Suroît à Beauharnois par Hydro-Québec, janvier 2003 [en ligne] www.bape.gouv.qc.ca/sections/rapports/publications/bape170.pdf 557
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