Loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l`institution de
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Loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l`institution de
Version préprint – Pour citer cet article : E. Vergès, La loi n°2010-930 du 9 août 2010, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale : une avancée marquante de la répression en France des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, Revue de Sciences Criminelles et de droit pénal comparé, 2010-4, p. 896. CHRONIQUE LEGISLATIVE Septembre 2010 Etienne VERGES Professeur à l’Université de Grenoble Membre de l’Institut Universitaire de France I. Adaptation du droit international en droit français LOI n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale : une avancée marquante de la répression en France des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Le 17 juillet 1998, la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale (CPI) était signée par cent-vingt États de la Conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations Unies. La mise en place de cette Cour permanente devait marquer une rupture avec les précédentes expériences de juridictions internationales ad hoc 1. Pour intégrer cette justice pénale internationale en France, il a d’abord été nécessaire de réviser la Constitution. C’est la loi constitutionnelle n°99-568 du 8 juillet 1999 qui inséra un article 53-2 dans la Constitution ainsi formulé : « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». La Convention de Rome a alors pu être ratifiée par une loi du 30 mars 2000 2. Pour mettre en place une coopération entre l’Etat français et la Cour pénale internationale, le parlement a ensuite adopté une loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale. Cette loi a introduit dans le Code de procédure pénale des dispositions qui définissent les modalités d’entraide entre les institutions nationales et la juridiction internationale. Malgré ces multiples réformes législatives et constitutionnelles, la France n’était pas encore en mesure de remplir pleinement son rôle en matière de répression des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En effet, loin d’organiser un transfert de compétence vers la Cour pénale internationale, la Convention de Rome a instauré un principe de complémentarité 3. Selon ce principe, la Cour pénale internationale n’exerce sa compétence 1 Par exemple, en 1993, avait été institué le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et en 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda. 2 Loi n° 2000-282 du 30 mars 2000 autorisant la ratification de la convention portant statut de la Cour pénale internationale. 3 Article 1 de la Convention : « Il est créé une Cour pénale internationale (« la Cour ») en tant qu’institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les que si les Etats ne souhaitent pas, ou ne sont pas en mesure de juger les crimes définis par le statut de la CPI 4. Ce sont donc les Etats parties à la Convention qui doivent, en premier lieu, prévoir les incriminations et sanctionner les infractions résultant de cet engagement international. Depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, le droit français avait institué une répression des crimes contre l’humanité 5. En revanche, les crimes de guerre n’étaient pas clairement identifiés dans le Code. Par ailleurs, certaines incriminations nationales étaient définies de façon plus restrictive que dans les stipulations du traité de Rome 6. C’est pour cette raison qu’un projet de loi d’adaptation du droit pénal français au statut de la CPI a été présenté au parlement. Ce projet a pris du retard en raison d’un calendrier électoral défavorable. En 2002, lors de l’examen du projet de loi relatif à la coopération avec la Cour pénale internationale, l’Assemblée Nationale arrivait en fin de législature et les parlementaires n’ont pas souhaité s’engager dans un débat sur la modification du droit pénal substantiel. Un autre projet de loi fut ainsi déposé une première fois devant l’Assemblée Nationale en juillet 2006. N’ayant pas été examiné durant un an, il a été retiré peu avant les élections législatives de 2007, puis déposé une nouvelle fois sur le bureau du Sénat. Adopté par cette chambre en 2008, il dut attendre deux années avant d’être examiné par l’Assemblée Nationale puis adopté sans modification 7. Cette loi présente de multiples intérêts vis-à-vis du droit pénal général et du droit pénal spécial. Quelques modifications de procédure pénale seront également présentées à titre accessoire. A) La provocation à commettre un génocide L’article 25 3) e) du statut de la CPI prévoit qu’est responsable pénalement celui qui incite directement et publiquement autrui à commettre un génocide. En droit interne, l’incitation est généralement appréhendée sous le qualificatif de « provocation ». Cette provocation peut prendre deux formes. Il peut s’agir d’un acte de complicité défini à l’article 121-7 du Code pénal 8, mais cette provocation doit prendre une forme particulière : le don, la promesse, la menace, l’ordre ou l’abus d’autorité ou de pouvoir. Il peut encore s’agir d’une infraction autonome. Dans ce cas, l’incrimination doit préciser l’acte qui fait l’objet de la provocation. Par exemple, le Code pénal incrimine spécifiquement la provocation au suicide 9, à la rébellion 10 ou aux infractions de trahison et d’espionnage 11. A contrario, celui qui plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent Statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales ». 4 P. Gélard, Rapport Sénat n°326 « fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale », p. 9. 5 C.pén. art. 211-1 et suiv. 6 Th. Mariani, Rapport AN n°2517, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi adopté par le sénat, portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, p. 17. 7 N. Ameline, Avis AN n°1828, fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi adopté par le Sénat portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, n°1828, p. 7. 8 « Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. » 9 C.pén. article 223-13, et bien que le suicide ne constitue pas, en soi, une infraction. 10 C.pén. article 433-10. 11 C.pén. article 411-11 provoque la commission d’une infraction en dehors des prévisions légales n’engage pas sa responsabilité pénale. S’agissant des crimes contre l’humanité, l’incitation à commettre un génocide est incriminée par la loi du 29 juillet 1881. L’article 24 de cette loi vise, en général, les provocations publiques à commettre une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. Le même article prévoit en particulier l’apologie publique de crimes contre l’humanité. Les peines prévues pour ces infractions sont de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000€ d’amende. L’incitation publique à commettre un génocide constituait donc une infraction, avant la loi du 9 août 2010. Pour autant, le législateur a souhaité aggraver les sanctions afin de mettre en corrélation la répression en droit interne et en droit international. L’article 211-2 du Code pénal a donc été modifié pour introduire deux incriminations distinctes. La première est une qualification criminelle. Elle vise la provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide si cette provocation a été suivie d'effet. Ce comportement est puni de la réclusion criminelle à perpétuité. La seconde qualification est correctionnelle si la provocation n'a pas été suivie d'effet. Les peines encourues sont alors de sept ans d’emprisonnement et de 100.000€ d’amende. La mesure d’adaptation prend ici deux formes. D’une part, elle ne vise que le génocide et non, de façon générale, les crimes contre l’humanité. D’autre part, la provocation prend une qualification criminelle lorsqu’elle est suivie d’effet, ce qui constitue un relèvement tout à fait notable de la répression. B) La modification de la définition des crimes contre l’humanité Avant la loi du 9 aout 2010, le Code pénal français comportait, à côté du crime de génocide, une catégorie dénommée « autres crimes contre l’humanité ». Cette catégorie regroupait un ensemble d’actes 12 qui prenait la forme de crimes contre l’humanité à la double condition d’être inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et d’être accomplis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile. Cette double exigence d’un dol spécial permettait de distinguer ces actes inhumains des infractions de droit commun, mais également des crimes de guerre. Cette définition était en décalage avec celle retenue par le statut de la CPI pour plusieurs raisons. D’abord, la liste d’actes susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité différait d’un texte à l’autre 13. Ensuite, les motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, qui constituaient un dol spécial en droit français, n’étaient pas prévus par la Convention de Rome. Enfin, l’expression « plan concerté » du droit français est remplacée en droit international par celle d’« attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». Ces dissimilitudes ont 12 La déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains. 13 Le statut de la CPI était plus large que le Code pénal. Il visait à l’article 7 : le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou transfert forcé de population, l’emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, la torture, le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour, la disparition forcée de personnes, le crime d’apartheid, les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. conduit le législateur français à opérer un certain nombre de modifications dans la définition des « autres crimes contre l’humanité » du Code pénal 14. La première modification concerne la liste des actes matériels susceptibles de constituer la base de l’infraction de crime contre l’humanité. L’article 212-1 C.pén. prévoit désormais que constitue un crime contre l’humanité : 1° L'atteinte volontaire à la vie ; 2° L'extermination ; 3° La réduction en esclavage ; 4° La déportation ou le transfert forcé de population ; 5° L'emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; 6° La torture ; 7° Le viol, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; 8° La persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international ; 9° L'arrestation, la détention ou l'enlèvement de personnes, suivis de leur disparition et accompagnés du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort qui leur est réservé ou de l'endroit où elles se trouvent dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ; 10° Les actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ; 11° Les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique. La liste de l’article 212-1 a donc été largement calquée sur celle du statut de la CPI. Pour autant, certaines notions n’ont pas été reprises in extenso par le législateur. A titre d’exemple, le crime d’apartheid visé par le texte international est transposé sous l’expression d’actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime. Les parlementaires ont ainsi estimé que la notion d’apartheid, qui était inconnue en droit français, n’était pas suffisamment claire et précise pour satisfaire aux exigences du principe de légalité criminelle 15. Plus modestement, le meurtre de la Convention de Rome s’est transformé en atteinte volontaire à la vie dans le Code pénal. La deuxième modification concerne la suppression des « motifs politiques, philosophiques, sociaux ou religieux » dans le droit français. Cette condition a été jugée trop restrictive au regard de la définition internationale 16. Elle a donc disparu du Code pénal. Enfin, les débats ont porté sur la notion de plan concerté. Plusieurs amendements ont été proposés pour supprimer ce dol spécial de la définition de l’article 212-1 C.pén. Le plan concerté est une notion introduite en droit international par le statut du Tribunal de Nuremberg. De nombreux sénateurs et députés ont considéré que la notion était datée et qu’elle ne correspondait plus à la définition contemporaine des crimes contre l’humanité visée par le Traité de Rome 17. Certains parlementaires ont invoqué le fait que des crimes contre l’humanité pouvaient être commis en dehors d’un plan concerté 18. Par ailleurs, il a été souligné que l’exigence du plan concerté posait un problème probatoire. L’établissement des faits susceptibles de démontrer le plan concerté alourdit la charge probatoire et rend plus incertaine la répression de faits pourtant 14 Article 2 de la loi d’adaptation du 9 août 2010. 15 Cf. Th. Mariani, Rapport AN n°2517, précit p. 47. 16 Ibid. p. 19. 17 Cf. not. N. Ameline, Avis AN n°1828, précit., p. 24. 18 Cf. par ex. M. Jean-Michel Boucheron citant l’exemple du Génocide Rwandais, cité in N. Ameline, Avis AN n°1828, précit., p. 65. très graves. Le statut de Rome est plus souple en prévoyant qu’un crime contre l’humanité doit être commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ». Mais le plan concerté a également trouvé des défenseurs au parlement 19. D’une part, le plan concerté constitue le critère discriminant des crimes contre l’humanité. Il permet de les distinguer des infractions de droit commun, mais également des crimes de guerre. D’autre part, certains parlementaires ont considéré que la preuve de cet élément pouvait résulter de l’ampleur des faits et ne nécessitait pas la production en justice d’un écrit. En définitive, le nouveau dol spécial retenu par le législateur combine les éléments du statut de Rome et l’ancienne définition du Code pénal. Pour constituer des crimes contre l’humanité, les actes visés à l’article 212-1 C.pén. doivent être accomplis « en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique ». L’option retenue peut surprendre. Elle intègre la formule du statut de la CPI tout en conservant celle du Code pénal. Soit, les deux notions sont redondantes et l’adjonction est inutile. Soit, elles ne sont pas identiques et la charge de la preuve du dol spécial en sera encore alourdie. C) La création d’une catégorie autonome de crimes et délits de guerre Dans sa version de 1994, le Code pénal connaissait la notion de crime de guerre, mais simplement comme une catégorie particulière de crimes contre l’humanité 20. D’autres dispositions visant spécifiquement certaines infractions commises en temps de guerre étaient également visées par le Code de justice militaire 21. La notion de crimes de guerre présentait ainsi une forme hétérogène et dispersée. A l’inverse, le traité de Rome consacre un article spécifique aux crimes de guerre 22. Dans le texte international, les crimes de guerre sont répartis en plusieurs catégories : 1) les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 ; 2) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international ; 3) en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 ; 4) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international. Pour chacune de ces catégories, le statut de la CPI prévoit un grand nombre d’actes matériels distincts. On y retrouve des qualifications de droit commun comme le meurtre ou la torture, mais encore des qualifications spécifiques comme le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix ou encore le fait de tuer ou de blesser par traîtrise des individus appartenant à la nation ou à l’armée ennemie. 19 Th. Mariani, Rapport AN n°2517, précit p.48. 20 L’article 212-2 C.pén. prévoyait ainsi que « lorsqu'ils sont commis en temps de guerre en exécution d'un plan concerté contre ceux qui combattent le système idéologique au nom duquel sont perpétrés des crimes contre l'humanité, les actes visés à l'article 212-1 sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité ». 21 Par ex. art. L. 324-1 : « Le fait pour tout militaire de violer une consigne générale donnée à la troupe ou une consigne qu'il a personnellement reçu mission de faire exécuter ou de forcer une consigne donnée à un autre militaire est puni d'un emprisonnement de deux ans. / La peine d'emprisonnement peut être portée à cinq ans si le fait a été commis en temps de guerre ou sur un territoire en état de siège ou d'urgence ou lorsque la sécurité d'un établissement militaire, d'une formation militaire, d'un bâtiment de la marine ou d'un aéronef militaire est menacée ». 22 Art. 8 de la Convention de Rome. L’éparpillement des dispositions relatives aux infractions commises en temps de guerre en droit français tranchait avec la construction rigoureuse et exhaustive d’une catégorie autonome en droit international. Les travaux parlementaires de la loi du 9 août 2010 font ainsi apparaître que le droit interne ne permettait pas d’appréhender la spécificité des crimes de guerre au regard de leur gravité et de la « vulnérabilité des populations civiles » 23. Le législateur a décidé d’opérer une modification de grande ampleur puisqu’il s’agit d’introduire dans le Code pénal un livre complet intitulé « des crimes et des délits de guerre » 24 contenant 42 nouveaux articles. Les crimes et délits de guerre sont « les infractions définies par le présent livre commises, lors d'un conflit armé international ou non international et en relation avec ce conflit, en violation des lois et coutumes de la guerre ou des conventions internationales applicables aux conflits armés, à l'encontre des personnes ou des biens visés aux articles 461-2 à 461-31. ». Ce nouveau livre permet d’organiser cette catégorie nouvelle de façon très construite. Les crimes de guerre se divisent ainsi en trois groupes principaux : ceux communs aux conflits internationaux et non-internationaux (1) et ceux propres aux conflits internationaux (2) puis non-internationaux (3). Ensuite, les incriminations sont réparties en sous-ensembles. Certaines sont classiques (atteintes à la vie, à l’intégrité, à la liberté individuelle). Ces qualifications pénales subissent une aggravation de la peine lorsque les actes commis entrent dans la définition des crimes ou délits de guerre. D’autres sousensembles sont spécifiques aux circonstances de guerre. Il peut s’agir des atteintes aux droits des mineurs dans les conflits armés ou encore des méthodes de combats prohibés. C’est un véritable droit pénal de la guerre qui vient de naître dans l’arsenal répressif français. Avec la création des crimes et délits de guerre, le Code pénal connait un bouleversement aussi important que celui qui avait été introduit par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique ; laquelle avait créé une catégorie de crime contre l’espèce humaine. Par ailleurs, en volume, le Code s’accroit d’un nombre tout à fait considérable d’incriminations. D) Les atteintes à l’administration de la justice commises au préjudice de la CPI L’article 70 du traité de Rome définit un certain nombre d’atteintes à l’administration de la justice devant la CPI. Il s’agit du faux témoignage, de la subornation de témoin, de l’intimidation ou de la corruption d’un agent ou d’un membre de la Cour, etc. Ce texte prévoit que la Cour pénale internationale est compétente pour juger et réprimer ces infractions. Toutefois, il est également fait obligation aux Etats parties d’étendre « les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l'intégrité de leurs procédures d'enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes à l'administration de la justice » internationale lorsque ces atteintes sont commises sur leur territoire ou par l’un de leurs ressortissants. Tenant compte de cette obligation, le législateur a légèrement modifié le dispositif répressif français pour en prolonger l’application à l’administration de la justice devant la CPI. D’abord, la circonstance aggravante liée à la qualité de la personne (un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel) a été modifiée aux articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du Code pénal (violences, actes de torture) pour intégrer membres ou agents de la Cour pénale internationale. En d’autres termes, les violences exercées sur ces agents seront désormais punies des mêmes peines que celles commises sur des magistrats, jurés, etc. Ensuite, les atteintes à la manifestation de la vérité incriminées par l’article 434-4 sont étendues aux atteintes à l'administration de la justice par la Cour pénale internationale (art. 434-4-2). Enfin, certaines entraves à la justice (C.pén. articles 434-8, 434-9, 434-13 à 23 Th. Mariani, Rapport AN n°2517, précit p. 19. 24 Livre IV bis - C.pén. art. 461-1 et suiv. 434-15) deviennent également applicables aux atteintes à l’administration de la justice par la Cour pénale internationale. Ces modifications importantes du droit pénal spécial français ont été complétées par des adaptations touchant au droit pénal général. E) Les adaptations touchant au droit pénal général : la « complicité passive » ou la responsabilité pénale du fait d’autrui pour une infraction intentionnelle Sous l’angle de la complicité passive, la loi du 9 août 2010 apporte une modification substantielle à la théorie générale de la responsabilité pénale en prévoyant expressément un cas de responsabilité pénale du supérieur hiérarchique (militaire ou civil) du fait d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre commis par un subordonné. La solution est tout à fait originale, car elle déroge à la règle de principe selon laquelle l’acte de complicité ne peut prendre la forme d’une abstention 25. Par ailleurs, la responsabilité du supérieur hiérarchique peut être appréhendée en droit français sous l’angle de la faute non intentionnelle 26 mais il est question ici de crimes qui ont tous un caractère intentionnel. Enfin, le droit interne connait les infractions d’omission, 27 mais il s’agit alors d’infractions autonomes et non d’actes de complicité. Le statut de la CPI ne suit pas la logique du droit interne. Il prévoit expressément à l’article 28 la responsabilité des supérieurs hiérarchiques. Cette responsabilité concerne les chefs militaires. Ainsi, l’article 28 précité stipule qu’« un chef militaire (…) est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces ». Cette responsabilité concerne également les supérieurs hiérarchiques civils. Le même article indique que ces derniers engagent leur responsabilité pénale pour tous les actes commis par des subordonnés placés sous leur autorité et leur contrôle effectifs. Pour adapter cette responsabilité du fait d’autrui, un article 213-4-1 a inséré dans le Code pénal les deux cas de responsabilité pénale prévus dans la Convention de Rome. La complicité du supérieur hiérarchique militaire requiert deux conditions cumulatives. D’une part, il savait ou aurait dû savoir que ses subordonnés commettaient ou allaient commettre un crime contre l’humanité. D’autre part, il « n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites. ». A ces deux conditions, le législateur en a ajouté une applicable uniquement au supérieur hiérarchique civil. Sa responsabilité ne peut être engagée que si le crime « était lié à des activités relevant de sa responsabilité ou de son contrôle effectifs ». Pour compléter le dispositif et adapter pleinement les stipulations de la Convention de Rome, l’article 462-7 du Code pénal étend ces dispositions aux crimes et délits de guerre. L’apport de ces modifications à la théorie générale de la responsabilité pénale est tout à fait substantiel. Sans entrer dans le débat doctrinal, il convient de remarquer que le 25 Cf. not. Cass. crim. 22 mai 1984, bull. N°187, RSC 1985, p. 309, obs. P. Bouzat. Cf. également, E. Dreyer, Droit pénal général, Litec, coll. Manuel, 2010, n°1003. 26 C.pén. article 121-3 al 2 à 4. 27 Par ex. l’article 434-1 incrimine « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ». législateur introduit ici de nouvelles hypothèses de responsabilité du fait d’autrui. Le législateur a utilisé une formule très proche de celle de l’article 121-3 relative à la faute d’imprudence et à la faute caractérisée. Le Code incrimine ainsi le fait de « n’avoir pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ». On pense évidemment ici à la responsabilité des décideurs publics et privés. Mais cette responsabilité ne peut être engagée, en droit français, que s’agissant des infractions non intentionnelles. La responsabilité pénale du fait d’autrui est difficilement concevable en matière d’infractions intentionnelles et plus encore en matière criminelle 28. Ce principe de la personnalité de la responsabilité pénale n’existe pas dans le statut de la CPI et le législateur français a du faire preuve d’imagination pour adapter le droit international tout en respectant les principes généraux du droit interne. Pour cela, le parlement s’est inspiré de l’article L. 122-4 du Code de justice militaire qui dispose : « lorsqu'un subordonné est poursuivi comme auteur principal d'une des infractions prévues à l'article L. 122-3 et que ses supérieurs hiérarchiques ne peuvent être recherchés comme coauteurs, ils sont considérés comme complices dans la mesure où ils ont organisé ou toléré les agissements criminels de leur subordonné. ». Certains parlementaires ont ainsi considéré que la responsabilité pénale pouvait, dans cette circonstance, être recherchée « par le biais classique de la complicité » 29. La solution est, en réalité, loin d’être classique, pour les raisons qui ont été évoquées plus haut. Mais il s’avère que la création d’un nouveau cas de complicité par omission 30 constitue une alternative judicieuse à la création d’une véritable hypothèse de responsabilité du fait d’autrui qui aurait bouleversé la physionomie du droit pénal général français. Ce faisant, l’omission devient, en la matière, une nouvelle forme de complicité. Même cantonné aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre, ce changement notable doit être apprécié à sa juste portée. F) Les adaptations procédurales Cette chronique législative est consacrée à l’actualité du droit pénal général et du droit pénal spécial, mais il est difficile de passer sous silence les réformes liées à la procédure pénale qui touchent la compétence des juridictions et la prescription. La compétence extraterritoriale des juridictions françaises. S’agissant de la compétence des juridictions répressives françaises, le législateur a souhaité créer une forme particulière de compétence extraterritoriale, qui déroge aux règles habituelles de compétence (principe de territorialité et de personnalité), sans constituer un nouveau cas de compétence universelle. Cette compétence est extraterritoriale, car elle permet de juger en France un étranger alors qu’aucun élément constitutif de l’infraction n’est rattachable à la France et que la victime n’est pas française. En revanche, cette compétence n’est pas universelle, car elle est soumise à des conditions strictes d’application. La personne poursuivie doit résider habituellement en France ; l’infraction reprochée doit constituer un crime relevant de la compétence de la CPI 31, les faits commis doivent être punis par la législation de l’Etat où ils ont été commis ou l’Etat dont la personne poursuivie a la 28 Cf. notamment l’article 121-3 al. 1 C.pén. 29 P. Gélard, Rapport Sénat n°326, précit, p. 31. 30 Les deux articles 213-4-1 et 462-7 du Code pénal contiennent la formule « sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 121-7 » qui montre que ce cas de complicité ne se substitue pas, mais s’ajoute aux cas ordinaires. 31 Ce qui semble exclure les délits, mais cette exclusion n’est pas certaine car le statut de la CPI ne connait pas la distinction entre crimes et délits, contrairement au Code pénal qui a souhaité dissocier les crimes et délits de guerre. nationalité doit être partie à la Convention de Rome ; les poursuites ne peuvent être exercées qu’à l’initiative du ministère public 32 ; enfin, aucune juridiction internationale ne doit avoir exercé sa compétence pour juger la personne poursuivie en France. La compétence extraterritoriale des juridictions françaises est une solution médiate. Elle permet de faire jouer le principe de complémentarité stipulé à l’article 1 du statut de la CPI 33, tout en évitant des difficultés techniques liées à la mise en œuvre d’une compétence universelle qui étendrait l’application de la Convention de Rome au-delà de son champ d’application 34. L’allongement de la prescription des crimes et délits de guerre. L’article 29 de la Convention de Rome stipule que « les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas ». Cette imprescriptibilité vise tant les crimes contre l’humanité que les crimes de guerre. En droit interne, les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles 35. Il a donc été proposé d’étendre cette règle aux crimes et délits de guerre du livre IV bis du Code pénal. La solution semblait en pleine conformité avec le texte international. Elle a pourtant rencontré une opposition au sénat, au motif qu’une extension de l’imprescriptibilité amenuiserait la spécificité des crimes contre l’humanité dans l’arsenal répressif français. Une nouvelle fois, une solution intermédiaire a été trouvée, consistant à augmenter les délais de prescription pour les crimes et délits de guerre. S’agissant de l’action publique, l’article 462-10 C. pén. prévoit que la prescription est de trente ans pour les crimes de guerre et de vingt ans pour les délits. S’agissant de la peine, la prescription est également portée à trente ans pour les crimes de guerre et à vingt ans pour les délits. Conclusion La loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale introduit des modifications profondes de droit pénal spécial, mais également de droit pénal général. Du point de vue des incriminations, les crimes contre l’humanité font l’objet d’une extension sensible et le Code pénal se trouve augmenté d’un vaste livre concernant les crimes et délits de guerre. C’est une nouvelle catégorie pénale qui fait son entrée en droit interne. Du point de vue du droit pénal général, on notera particulièrement la création d’un nouveau mode de complicité qui constitue, en réalité, une forme de responsabilité pénale du fait 36 d’autrui. Cette responsabilité concerne une infraction intentionnelle, ce qui en fait une réelle innovation. E.V. 32 Ce qui exclut la constitution de partie civile. 33 Cf. supra. 34 Cf. sur cette question les explications détaillées du rapporteur Th. Mariani, Rapport AN n°2517, précit p. 24 et suiv. 35 C.pén. art. 232-5. 36 Nous entendons ici le « fait » comme un fait matériel. Cette complicité par abstention demeure un cas de responsabilité pour faute personnelle.