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Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers Par Thomas Cantaloube Mediapart.fr Bientôt un mois après l'accident du vol Air France 447, effectuant la liaison Rio-Paris, personne n'est encore capable d'expliquer ce qui s'est réellement passé au dessus de l'Atlantique ce 1er juin 2009. Mais, en dépit des mises en garde habituelles sur le thème « il faut laisser se dérouler l'enquête », il apparaît d'ores et déjà que les principaux organismes concernés par l'investigation en cours (Air France, Airbus, la Direction générale de l'Aviation Civiles (DGAC) et le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA)) n'ont pas fait preuve de transparence dans leur présentation des rares faits connus. Retour sur quatre semaines d'enquête, de contre-enquête, de communiqués et de contre-communiqués. La dislocation en vol confirmée Les premiers communiqués d'Air France, douze heures après la disparition de l'avion, font état d'une «zone orageuse avec fortes turbulences », puis, dans la phrase suivante, d'une « panne de circuit électrique dans une zone éloignée de la côte ». Il n'en faut pas davantage pour soupçonner la foudre ou, au moins, un épisode météorologique extraordinaire. Le ministre d'Etat Jean-Louis Borloo évoque lui-même l'hypothèse d'un foudroiement à la radio. http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 1 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 Mais, quand les premiers véritables experts - pour la plupart des pilotes - rappellent que le foudroiement d'un avion est un événement relativement courant, qui intervient toutes les 1.500 heures de vol, cette théorie prend du plomb dans l'aile. L'option d'une météo sortant de l'ordinaire, dans une zone connue pour ses violents orages, met un peu plus de temps a être écartée. Dès le 2 juin, un expert météo américain livre sur internet une analyse très fouillée, qui conclue qu'en dépit d'un fort orage sur le parcours prévu du vol AF 447, ce phénomène n'est pas exceptionnel : «des centaines vols ont certainement traversé des tempêtes tropicales identiques au cours des années sans incident sérieux. » Il faut néanmoins attendre le 6 juin pour que Météo France rende ses conclusions (document ci-contre) : « [L']analyse de l'imagerie infrarouge ne permet pas de conclure au caractère exceptionnel de cet amas orageux, ni de l'activité orageuse sur la zone de l'accident. » Quelques heures plus tôt, le BEA, lors d'une conférence de presse, continuait néanmoins à mettre l'accent sur la météo. Durant cette même séquence des premiers jours, Airbus publie une recommandation, concernant tous ses modèles d'avions (et pas seulement l'A330 qui a disparu), au sujet de ce qu'il convient de faire en cas d'indications de vitesse erronées (document ci-contre). Un grand nombre de pilotes prend la mouche, sachant que ces notions font partie de ce que tous apprennent dans les premières heures de leur formation. « Ce rappel sur le maintien de la poussée et de l'assiette est presque insultant pour tous les pilotes », raconte l'un d'entre eux, qui ne travaille pas à Air France, à Mediapart. http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 2 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 « Si l'on est un tant soit peu paranoïaque - et qui ne l'est pas s'agissant de la mise en cause de son métier - on pourrait penser que ce genre de recommandation ressemble à une diversion pour parler de pilotage et ne pas évoquer une éventuelle défaillance technique», ajoute-t-il. On retrouve cette interprétation sur les forums de pilotes (comme celui-ci), nombre d'entre eux soupçonnant le consortium Air France-EADS, BEA-DGAC de préférer faire porter le chapeau à une éventuelle « erreur humaine ». Air France ne dit pas tout Quand les premiers débris et les premiers corps sont repêchés dans l'océan à partir du 6 juin, il semble clair que l'avion s'est disloqué en vol. Il n'y a pas de traces d'explosion sur les éléments de carlingue et l'état des cadavres fait penser à celui des personnes qui se suicident du haut d'un pont (vêtements arrachés, pas d'eau dans les poumons synonyme de noyade, fractures sur le haut du corps). Tout concourt à penser que nombre de passagers se sont retrouvés projetés dans les airs après que la carlingue se soit ouverte et avant de tomber dans l'eau. Pourtant, quand Le Figaro rapporte cette supposition (à la suite du quotidien brésilien O Globo), la direction d'Air France menace de « lancer des actions en justice contre les articles irresponsables de ce genre». Les premiers débris récupérés Au passage, le directeur général d'Airbus, au cours d'un entretien avec la Dépêche du Midi, assure qu'« il s'agit du premier accident mortel d'un A330 en opération. » L'information est véridique, uniquement si on la prend à la lettre. Car elle omet le crash d'un A330 lors d'un vol d'essai en 1994, qui avait tué les sept personnes à bord. Même si cet accident, alors que l'A330 n'était pas « en opération », n'a strictement aucun rapport avec celui du vol AF 447 jusqu'à preuve du contraire, ce genre de communication de la part d'Airbus suscite la méfiance. La polémique sur les Pitot Pendant que toutes les différentes hypothèses étaient échafaudées durant les premiers jours suivant l'accident, Air France disposait déjà de premiers éléments d'investigation, comme l'ont révélé mercredi 24 juin conjointement le site Eurocockpit, animé par des pilotes de ligne, et le Canard Enchaîné. En effet, un avion communique constamment avec le sol, via radio VHF et satellite, par l'intermédiaire de messages ACARS (pour Aircraft Communication Addressing and Reporting System). Ce système transmet, entre autres et de manière automatique, toutes les alertes et incident techniques. http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 3 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 Dès le 3 juin, le listing des messages ACARS du vol AF 447 circule dans les médias, et rapidement sur Internet. Les spécialistes qui se penchent dessus découvrent vite, en plus d'une cascade de messages d'alerte, que les sondes anémométriques, dites « Pitot », étaient défaillantes. Ces sondes, inventées au XVIIIème siècle et perfectionnées depuis, servent à mesurer la vitesse de l'avion en l'air. Du fait de leur taille (quelques millimètres carrés d'ouverture), elles ont une certaine propension à se boucher ou à givrer. Si personne n'accuse une défaillance des sondes Pitot d'avoir provoqué l'accident de l'AF 447, leur mauvais fonctionnement peut être un des facteurs d'explication. Le problème est en effet connu puisque Air Caraïbes a subi en août 2008 deux cas de givrage sur les sondes d'un A330 et a fait procéder au remplacement des toutes ses Pitot. Pourtant, Air France fait la sourde oreille, quand bien même la compagnie a lancé un programme de remplacement de toutes ces sondes sur ses A330 et A340, qui s'est achevé le 15 juin. Une note technique d'août 2008 décrivant les problème associés aux Pitot fait état de 35 incidents liés à cette question sur des A330/340, dont neuf cette année (2008) et six à Air France (document ci-contre). Mais là où le bât blesse, c'est qu'Air France détenait ces informations sur la défaillance des Pitot dès le matin de l'accident, grâce aux messages ACARS, et que des mécaniciens attendaient l'arrivée du vol AF 447 pour changer les sondes... Pendant plus de trois semaines, Air France a caché ce fait. Un accident qui pourrait battre tous les records d'indemnisation Quid des boîtes noires ? A chaque accident d'avion, le monde est suspendu à la récupération et l'analyse des boîtes noires. Mais, dans cette situation précise, la récupération des fameux enregistreurs de vol est plus qu'incertaine. Malgré les quatre http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 4 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 bâtiments français qui effectuent des recherches sur zone (un sous-marin nucléaire, un navire océanographique et deux remorqueurs), la profondeur (3.000 mètres) et la dispersion des débris rend la mission quasi-impossible. Sachant que les boîtes noires émettent un signal pendant trente jours lorsqu'elles sont immergées, on approche désormais de leur fin de vie probable. Pourtant, même si elles étaient retrouvées (la marine française se donne jusqu'au 10 juillet avant d'abandonner les recherches), rien n'assure qu'elles seraient lisibles. Les boîtes noires de l'A320 qui s'est abîmé en mer au large de Perpignan en novembre 2008 s'avèrent difficilement exploitables, alors qu'elles n'ont reposé que quelques jours par une dizaine de mètres de fond. Le vrai problème que soulève cet accident est la technologie même des boîtes noires, qui est aujourd'hui jugée dépassée par de nombreuses personnes, dont l'un de leurs concepteurs, il y a quarante ans, le Canadien Pierre Jeanniot : « Je suis bien placé pour dire qu'elles sont obsolètes, parce que la technologie a évolué. La transmission directe, depuis les avions, par satellite est beaucoup plus économique qu'elle ne l'était il y a dix ans. Il est maintenant possible de tout transmettre directement, pendant le vol, en cas de problème. » Cela permettrait de retrouver en cas d'accident, presque immédiatement dans des ordinateurs au sol, les données de vol et les enregistrements dans le cockpit, au lieu de devoir déployer des moyens de recherche extrêmement coûteux. Les enjeux financiers et commerciaux Il est difficile de chiffrer le coût d'une telle catastrophe, mais il est évident qu'en termes d'image et d'impact commercial, il est considérable. Un agent commercial d'une compagnie nord-américaine, dont un avion avait connu un incident très grave et très médiatisé il y a plusieurs années, mais sans aucune victime, se souvient pour Mediapart des conséquences : « Dans les jours qui ont suivi, on a connu des dizaines de milliers d'annulations de réservations. Les gens ne voulaient plus voler chez nous. Cela a duré pendant près de deux ans. Après, nous avons remonté la pente, mais cela a été lent. Il y a aussi un impact très fort au sein de l'entreprise, avec une perte de confiance dans les processus et les chaînes de commandement. Tout le monde s'interroge sur ce qui aurait pu être fait pour éviter la catastrophe. » Aujourd'hui, Air France a suspendu toutes ses campagnes de communication. Seuls les spécialistes du tourisme continuent de voir passer , en interne, les promotions du groupe. Par ailleurs, la compagnie a commencé à verser 17.500 euros aux familles de victimes. Une somme qui représente une avance sur ce qui sera au final versé et qui, selon les spécialistes, pourrait battre tous les records d'indemnisation jusqu'à a ce jour. On parle de plusieurs centaines de millions d'euros. http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 5 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 Surtout l'affaire prendra une autre dimension si les familles intentent une action judiciaire de groupe contre Air France ou le constructeur Airbus. Pour EADS, la holding qui gère Airbus, les enjeux commerciaux sont énormes. Dans une période de crise, de baisses de commandes, de concurrence accrue avec Boeing, et d'incertitudes sur le destin de l'A380, toute mauvaise publicité est à éviter. Plusieurs facteurs peuvent avoir joué un rôle de manière cumulative Ces enjeux économiques considérables se retrouvent en toile de fond de la communication publique des principaux acteurs de ce drame. Pour l'agent commercial précédemment cité, « si cet accident était arrivé à une plus petite compagnie aérienne, je suis convaincu que les premiers éléments d'enquête seraient sortis plus rapidement. » Les pilotes de ligne qui animent le site Eurocockpit laissent également entendre que cela arrangerait les affaires de tout le monde que l'enquête conclue à une « erreur de pilotage ». C'est pour cela que, de leur côté, ils sont en pointe pour montrer du doigt les défaillances techniques possibles, ou les évolutions, que certains jugent néfastes, de leur métier, comme l'informatisation accrue du pilotage et de la navigation. Ils s'inquiètent également des connivences susceptibles d'exister dans le milieu de l'aviation civile, où l'ancien patron d'Airbus et d'EADS Noël Forgeard, l'actuel PDG d'Air France et ancien directeur de la DGAC lors de la certification de l'A330 Pierre-Henri Gourgeon, le directeur du BEA Paul-Louis Arslanian, et le viceprésident pour la sécurité d'Airbus Claude Lelaie sont tous issus de la même promotion de l'Ecole Polytechnique (1965). La zone de recherches Au final, peu de chance de connaître la vérité Un article récent dans la revue américaine Vanity Fair racontait, de manière très détaillée, comment le 15 janvier dernier, le pilote du vol US Airways 1549, Chesley Sullenberger, est parvenu à « amerrir » son avion dans l'Hudson River à New York. Ce « miracle », unique dans les annales de l'aviation, a résulté d'une succession d'heureux hasards et de choix techniques adaptés. À l'inverse, l'accident de l'AF 447, comme le confie à Mediapart un commandant de bord d'Air France, « est certainement la conjonction d'un ensemble de problèmes avec l'un qui en entraîne un autre, et ainsi de suite jusqu'au point de non-retour. » La météo, le plan de vol, l'informatique, les sondes, les réflexes des pilotes, l'état de l'avion, etc. Tous ces facteurs peuvent avoir joué un rôle de manière cumulative sans qu'un seul ne soit l'unique responsable de l'accident. « Notre vrai souci aujourd'hui, ajoute le commandant de bord, est de découvrir ce qui s'est passé pour pouvoir apprendre de cet accident. Si l'on ne trouve pas ce qui s'est passé, on n'apprendra pas et ce type d'accident risque de se reproduire. » http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 6 sur 7 Accident de l'AF-447: les zones d'ombre, les contradictions et les enjeux financiers 28/06/09 11:54 Malheureusement, les probabilités sont aujourd'hui plus fortes de rester dans le clair-obscur que de faire la lumière complète sur cette catastrophe. Comme l'explique Jean Belotti, expert auprès des tribunaux et spécialiste des questions de sécurité dans l'aéronautique, « bien que la cause de certains accidents ait été trouvée sans information en provenance des boîtes noires, force est d'admettre que, dans cet accident, seule leur récupération - à condition que leur contenu soit exploitable - permettra de comprendre ce qui s'est effectivement passé et le rôle joué par certains dysfonctionnements. » En leur absence, il ne restera que des hypothèses, plus ou moins probables, plus ou moins influencées par les préconceptions et les intérêts des diverses parties prenantes de l'accident. C'est, évidemment, une situation qui ne satisferait personne, et surtout pas, en premier lieu, les familles de 228 victimes. URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/280609/accident-de-l-af-447-les-zones-d-ombre-lescontradictions-et-les-enjeux-financ Links: [1] http://www.mediapart.fr/club/blog/thomas-cantaloube [2] http://alphasite.airfrance.com/s01/communiques-de-presse/#communique2541 [3] http://www.weathergraphics.com/tim/af447/ [4] http://rcoco.com/viewtopic.php?f=1&t=34765&sid=62eceb2fba3dd84ccd5bff2ee3562cf2 [5] http://www.securiteaerienne.com/node/143 [6] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/06/11/01016-20090611ARTFIG00011-af-447-le-scenario-de-la-dislocation-en-vol-.php [7] http://www.liberation.fr/monde/0101573493-airbus-dement-vouloir-immobiliser-ses-a330-et-a340 [8] http://www.ladepeche.fr/article/2009/06/12/623192-Exclusif-Airbus-s-explique-sur-le-crash-de-l-A330.html [9] http://www.eurocockpit.com/archives/indiv/E009448.php [10] http://www.mediapart.fr/files/AF447_1.pdf [11] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/06/16/01016-20090616ARTFIG00007-af447-air-france-a-deja-change-toutes-sessondes-.php [12] http://www.eurocockpit.com/archives/indiv/E009445.php [13] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/01/08/01016-20090108ARTFIG00618-crash-de-perpignan-les-boites-noires-vont-etreexploitees-.php [14] http://www.rtbf.be/info/vol-af447-les-boites-noires-sont-obsoletes-ancien-directeur-de-liata-116552 [15] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/06/19/01016-20090619ARTFIG00373-af-447-air-france-verse-175008364-aux-familles.php [16] http://blogs.wsj.com/law/2009/06/15/pre-gaming-the-likely-to-come-air-france-crash-litigation/ [17] http://archives.lesechos.fr/archives/2008/lesechos.fr/11/06/300307006.htm [18] http://www.eurocockpit.com/ [19] http://www.vanityfair.com/style/features/2009/06/us_airways200906 [20] http://www.tourmag.com/Vol-447-Seules-les-boites-noires-permettront-d-elucider-l-accident-estime-Jean-Belotti_a32708.html [21] http://www.mediapart.fr/club/blog/michbret [22] http://www.mediapart.fr/club/blog/michbret/110609/af-447-analyse-de-la-communication-d-une-catastrophe [23] http://www.mediapart.fr/club/blog/michbret/180609/af-447-un-vieux-probleme-de-transparence [24] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/af-447.php [25] http://alphasite.airfrance.com/s01/communiques-de-presse/#communique2539 http://www.mediapart.fr/print/43712 Page 7 sur 7