Article en pdf - Reflexions

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Article en pdf - Reflexions
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Quand l'amour se marie à la loi
10/09/13
Payerai-je moins d'impôts si je me marie ? Ma seconde épouse pourra-t-elle avoir l'usufruit de mon habitation
si je décède ? Dois-je opter pour un mariage en régime de séparation des biens ou de communauté ? Un
créancier peut-il exiger que je rembourse les dettes de mon cohabitant ? L'amour finit généralement par être
confronté à la loi. Le couple sous toutes ses formes, un ouvrage publié sous la direction de Paul Delnoy
entend répondre à toutes les questions que peut se poser un couple, quel que soit son statut (marié, cohabitant
légal ou cohabitant de fait) et quel que soit son problème juridique.
S'aimer, l'officialiser, faire des enfants, continuer à s'aimer ou se séparer pour tout recommencer… Le cycle
de la vie de couple ! Un long fleuve pas toujours tranquille. Surtout lorsque ce parcours se trouve jalonné
d'évènements dont on préfèrerait qu'ils n'arrivent qu'aux autres. Divorce, décès, problèmes de succession,
garde des enfants, recouvrement de dettes… Après l'amour, le langage juridique et son pragmatisme entrent
alors dans la danse.
L'amour n'est jamais très éloigné de la loi. Le couple sous toutes ses formes, ouvrage publié aux éditions
Anthemis (1) sous la direction de Paul Delnoy, professeur émérite de la Faculté de droit de l'Université
de Liège, le rappelle tout au long de ses quelque 500 pages. Des pages qui passent consciencieusement en
revue toutes les questions d'ordre juridique que peut se poser un couple (marié, cohabitant légal ou cohabitant
de fait) aux moments clés de son existence, soit lors de sa formation, durant sa vie et lorsqu'il prend fin, pour
cause de divorce, de séparation ou de décès.
Pointu ? Sans aucun doute. Ce livre s'adresse à un lectorat professionnel. Avocats, notaires ou juristes
y trouveront des réponses « de première ligne », concises, aux interrogations que peuvent susciter
certaines situations précises. Une bibliographie sélective propose néanmoins des pistes de prolongation si la
problématique nécessitait un approfondissement.
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Mais Le couple sous toutes ses formes pourrait aussi
trouver écho auprès d'un public plus large. Pour autant qu'il ne se laisse pas rebuter par le jargon (clause de
tontine, de cujus, acquêt, donation entre vifs ; on en passe et des meilleurs !), le lecteur non averti y trouvera
forcément des informations correspondant à sa situation personnelle. Instructif et parfois même surprenant.
C'est d'ailleurs une situation concrète qui a donné à Paul Delnoy l'idée de mettre ce livre en musique. « Un
jour, deux personnes qui vivaient en cohabitation de fait sont venues me demander conseil, raconte-t-il. L'un
des deux membres du couple était divorcé, l'autre célibataire. Ils se demandaient quel statut, du mariage ou
de la cohabitation légale, serait préférable pour eux sur le plan fiscal, concernant leurs pensions, en cas de
décès, etc. »
Mais où trouver les réponses à toutes les questions juridiques qui peuvent se poser à un couple ? Jusqu'alors,
il n'existait aucun ouvrage regroupant au sein d'un même volume tous les pans du droit : civil, commercial,
fiscal, judiciaire, pénal, travail, sécurité sociale. L'idée de combler cette lacune s'est finalement concrétisée au
lendemain d'un colloque organisé sur le sujet en octobre 2012 à la Faculté de droit de l'ULg, dont les actes
constitueront les bases du livre publié quelques mois plus tard.
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Les
mœurs
précèdent
le
législateur
Gestion du patrimoine au sein d'un couple, programmation successorale, filiation, procédures de séparation,
pensions de retraite, faillites, statuts des biens… Cette publication (réunissant les contributions de 24
spécialistes) s'applique donc à faire le point - juridiquement parlant - sur ces situations particulières pouvant
être rencontrées par deux personnes ayant décidé d'unir leurs destinées. Mais les textes réunis ici ne sont
finalement qu'un instantané d'une matière en perpétuelle évolution. « Certains évoluent presque tous les jours,
observe Paul Delnoy. Chaque année, des lois-programmes "fourre-tout" apportent de nouvelles modifications.
Prenez par exemple la loi sur l'administration provisoire, qui prévoit que des personnes n'étant plus en mesure
de gérer leurs biens en raison de leur état de santé peuvent être pourvus d'un administrateur provisoire. Eh
bien une nouvelle loi à ce sujet entrera en vigueur le 1er janvier 2014. Une grande partie de ce que nous
avons écrit sur le sujet sera bon pour la poubelle ! » Un exemple parmi d'autres. Qui démontre que les mœurs
précèdent le législateur. « Les pratiques, les usages évoluent tellement vite ! La loi est dès lors toujours à
la traîne. »
Il fut pourtant un temps où les textes législatifs en la matière coulaient des jours relativement tranquilles. Une
époque où le mariage était une norme largement répandue. Une stabilité qui n'aura pas résisté à mai 68. « À
partir de ce moment-là, les choses ont fortement changé », analyse le professeur.
Révolutions sociales, sexuelles, culturelles mèneront la vie dure à l'institution mariage. Dans l'introduction de
l'ouvrage, le psychologue Christian Mormont, professeur honoraire à l'ULg, estime que la généralisation de
la pilule contraceptive (légalisée en France dès 1967) se révèle « le fait sans doute le plus bouleversant dans
le domaine du couple. […] Dès l'instant où un moyen contraceptif sûr a été disponible, le lien fatal entre rapport
sexuel et fécondation a été dénoué et la sexualité comme pulsion érotique a pris le dessus sur la sexualité
procréatrice. Ainsi, il a suffi que le désir sexuel puisse se satisfaire sans conséquence catastrophique pour
que tout change. Les freins moraux, que l'on croyait bien ancrés, ont rapidement cédé aux pulsions érotiques
[…] La sexualité n'étant plus strictement inscrite dans le cadre du mariage, celui-ci perd de sa nécessité, au
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moins tant qu'il n'y a pas d'enfant. Le concubinage, longtemps infâmant, devient ainsi le mode le plus commun
d'entrée dans la vie à deux. »
Tant et si bien que le mariage semble aujourd'hui moins populaire que la cohabitation légale. Ainsi pour
la première fois en Belgique, entre le 1er janvier et le 10 juin 2013, le nombre de nouveaux cohabitants
légaux (32.510 couples) a supplanté celui des mariés (24.372). Des données à relativiser, toutefois, puisqu'on
oublie souvent que la cohabitation légale se veut un statut accessible à deux personnes partageant la même
résidence, mais pas nécessairement le même lit (frère et sœur, parent-enfant, amis, etc.) ! A contrario, il ne
faudrait pas davantage omettre la possibilité que constitue la cohabitation de fait, difficilement quantifiable
puisque ne nécessitant aucune signature de documents administratifs.
Mariés, cohabitants : tous égaux ?
« La cohabitation de fait s'est à mon sens développée notamment en raison de la difficulté de divorcer », juge
Paul Delnoy. Qui rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, pour divorcer par consentement mutuel, les futurs exmaris et ex-épouses devaient passer trois fois devant le président du tribunal et répondre chaque fois par
l'affirmative à la question « êtes-vous sûrs de vouloir vous séparer ? » avant de demander au tribunal de
pouvoir officiellement ôter leurs alliances. Il fallait donc, pour tenir compte de l'évolution des mœurs, créer un
statut alternatif, qui permette d'une certaine manière de formaliser une union sans pour autant s'embourber
dans de longues procédures en cas de séparation : la cohabitation légale.
Depuis lors, la procédure de divorce a été considérablement simplifiée (« un couple peut désormais divorcer
en six mois ») ; d'autre part, mis à part en droit civil (spécialement en cas de décès), les conjoints et les
cohabitants légaux disposent aujourd'hui grosso modo des mêmes droits. « Les inégalités sont en train de
se gommer, assure-t-il. Aujourd'hui, il faut vraiment "chercher des puces" au législateur pour en trouver, sauf
en droit civil, je le répète. »
Divorces fiscalisés
Certaines subsistent malgré tout. Notamment sur le plan fiscal. Dans un chapitre consacré aux obligations
fiscales, Jean-Pierre Bours, avocat et chargé de cours honoraire à l'ULg, rappelle à quel point le système mis
en place dès 1962 était inéquitable. La loi votée à l'époque instaurait le principe du cumul des revenus des
époux : ceux-ci voyaient leurs revenus additionnés dans le cadre du calcul de l'impôt. Une règle pénalisant
le travail des femmes mariées, étant donné le caractère progressif par tranches de l'impôt, mais aussi
discriminatoire vis-à-vis des cohabitants de faits. Les « divorces fiscalisés » ne manquèrent alors pas… Jusqu'à
ce que le législateur mette fin, dès 2004, au principe du cumul des revenus « afin d'introduire dans la fiscalité
belge une véritable "neutralité" face aux choix de vie ».
Neutralité, vraiment ? Jean-Pierre Bours recense pourtant des dispositions favorisant tantôt les conjoints et les
cohabitants légaux, tantôt les cohabitants de fait. Le « quotient conjugal » par exemple, qui permet d'obtenir
une réduction d'impôt grâce à l'attribution fictive d'une partie des revenus du partenaire qui travaille à l'autre
qui n'exerce pas d'activité professionnelle, avantage les premiers au détriment des seconds. A contrario, les
cohabitants de fait remplissant chacun des déclarations séparées, ils ne devront jamais supporter l'impôt dû
par leur partenaire, contrairement aux couples devant compléter une déclaration unique.
« […] De nombreuses discriminations subsistent entre le statut fiscal des contribuables mariés (ou
cohabitant légalement) et celui des cohabitants de fait, conclut-il. C'est évidemment regrettable, puisque ces
discriminations sont de nature à peser d'un poids non négligeable sur des décisions à caractère exclusivement
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privé : légalisation de la cohabitation ou non ? Mariage ou pas mariage ? Il est insupportable de se dire que
la réponse à ces questions peut dépendre de considérations d'ordre fiscal. »
Et d'avancer une solution
« techniquement simple » : que chaque contribuable soit considéré comme un isolé et rentre sa propre
déclaration. « Un problème subsisterait toutefois, conséquence du caractère progressif de l'impôt sur les
revenus. Soit un couple où chacun gagne 50.000 euros, et un autre où un seul travaille et en gagne 100.000
euros. Le second paiera plus d'impôt que le premier : est-ce normal ? [Ce raisonnement] revient à négliger le
fait que la vie en couple permet de faire des "économies d'échelle", de sorte qu'un couple gagnant 100.000
euros doit faire face à moins de dépenses que deux célibataires isolés gagnant chacun 50.000 euros […] »
Une situation qui tient du casse-tête…
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Des enfants aux droits différents
Si l'institution du mariage n'est plus ce qu'elle était, c'est aussi en raison des… enfants. Mai 68 (encore lui)
aura en effet amorcé un changement majeur dans le domaine de la filiation. Car en des temps finalement pas
si lointains, un enfant naturel simple (celui dont les parents n'étaient pas mariés) disposait de droits limités.
De quoi, sans doute, inciter nombre d'unions à l'époque… Condamnées par la Cour européenne des droits
de l'homme durant les années 1970, ces dispositions seront finalement réformées par la loi du 31 mars 1987,
qui donnera enfin à tous les enfants le même statut.
La Cour européenne des droits de l'homme, tout comme la Cour constitutionnelle, ont joué - et jouent encore
- un rôle prépondérant dans la chasse aux lois inégalitaires injustifiées. « L'article 10 de la Constitution
définit l'égalité entre tous les Belges. L'article 11 garantit la jouissance de droits et libertés reconnus sans
discrimination. Cela signifie que tous les Belges sont égaux devant la loi, détaille Paul Delnoy. Si quelqu'un
estime qu'une loi est discriminatoire, il peut donc aller devant la Cour constitutionnelle. Et il ne manque pas
de cas où celle-ci déclare effectivement qu'un texte est discriminatoire et l'invalide. » Et de citer l'exemple
de la reconnaissance d'un enfant naturel. La loi prévoyait auparavant qu'un père biologique ne pouvait, dans
certains cas, reconnaître sa progéniture sans l'accord de la mère. Jusqu'à ce qu'un homme, empêché par la
mère de reconnaître son enfant, entame avec elle un bras de fer juridique qui se solda par une condamnation
de la loi de la part de la Cour constitutionnelle.
Une histoire de réserve
La plus grande différence entre le mariage et la cohabitation légale est en matière successorale. Le conjoint
survivant a, dans la succession de son conjoint décédé nettement plus de droits que le cohabitant légal
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survivant. Notamment, le conjoint survivant a ce qu'on appelle une « réserve ». Cela signifie que l'époux
décédé ne peut pas le déshériter totalement : il ne peut pas le priver de l'usufruit d'une partie de ses biens
dont l'usufruit de leur habitation durant le mariage. Ce n'est pas le cas du cohabitant légal survivant. D'abord
ses droits dans la succession du défunt sont très limités ; ensuite, il n'a pas de réserve ; donc le cohabitant
légal décédé peut le priver de tout droit dans sa succession.
Il est peu probable que la Cour constitutionnelle estime un jour que ces différences sont discriminatoires. Peutêtre le législateur y mettra-t-il fin, lorsque le mariage aura encore un peu plus perdu de son prestige d'antan.
Dans le cadre d'un remariage, cette fameuse réserve a pu par le passé donner des sueurs froides aux
descendants voyant l'un de leurs parents passer la bague au doigt d'un partenaire beaucoup plus jeune. Car
celui-ci bénéficiait potentiellement de l'usufruit des biens durant de longues années après le décès, faisant
reculer davantage le moment où les enfants auraient pu jouir de leur héritage… Comme Paul Delnoy le détaille
dans un autre ouvrage récemment publié, Les familles recomposées(2), ces craintes peuvent désormais être
apaisées depuis le « pacte Valkeniers », du nom du député à l'origine de cette réforme. Une disposition du
Code civil qui permet aux époux remariés de renoncer à leur réserve.
Encore une avancée législative contribuant toujours davantage à placer chaque couple sur un pied d'égalité.
« Finalement, sur de nombreux plans, il n'y a plus de différences de statuts, répète Paul Delnoy. Aussi, toute
différence n'est pas forcément discriminatoire. Le droit fonctionne assurément pour les biens, mais cela se
complique lorsqu'il s'agit des personnes. C'est qu'aucune loi ne peut forcer à l'agapè, l'un des quatre mots
grecs évoquant l'amour, dans son sens spirituel, inconditionnel… »
(1) Paul DELNOY et al., Le couple sous toutes ses formes, Limal, Anthemis, coll. "Édition du Jeune Barreau
de Liège", 2013, 513 p.
(2) Philippe DE PAGE, André CULOT, Isabelle DE STEFANI et al., Les familles recomposées. Défis civils,
fiscaux et sociaux, Limal, Anthemis, coll. "Patrimoines & fiscalités", 2013, 262 p.
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