2015_06_04_05_commentaire vf_Olivier_vu MC

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2015_06_04_05_commentaire vf_Olivier_vu MC
Jeudi 4 juin 2015 20h
Vendredi 5 juin 2015 20h
Strasbourg, PMC Salle Érasme
Tarif 2
Marko Letonja direction
Cédric Tiberghien piano
Serge Rachmaninoff (1873-1943)
Concerto n° 3 pour piano et orchestre en ré mineur opus 30
Allegro non tanto
Intermezzo
Alla breve
►
Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n° 4 en fa mineur opus 36
Andante sostenuto – Moderato con anima
Andantino in modo di canzona
Scherzo (Pizzicato ostinato) – Allegro
Allegro con fuoco
38’
44’
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Serge Rachmaninoff
Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ré mineur op. 30
Virtuose encensé, le compositeur Rachmaninoff eut à subir les sarcasmes d’une
certaine frange de la musicologie et de la critique condamnant « un ersatz de
musique, le symbole même d'une littérature sirupeuse où se mêlent la main slave, le
Concerto de Varsovie et les romances hollywoodiennes ». D’autres eurent à affronter
les mêmes quolibets : Tchaïkovski, Puccini.
En 1932, Serge Rachmaninoff s'interrogeait sur la signification de la musique et
adressait à l'un de ses correspondants, Walter E. Koons, cette réponse : « Qu'est-ce
que la musique ? Comment la définir ? La musique est une calme nuit au clair de
lune, un bruissement de feuillage en été. La musique est un lointain carillon au
crépuscule ! La musique vient droit au cœur et ne parle qu'au cœur, et sa mère est le
Chagrin. » Cette réflexion est particulièrement pertinente, car elle permet de mieux
saisir, de mieux comprendre l'abîme qui a toujours existé entre les défenseurs et les
détracteurs de la musique de notre compositeur. Parmi les défenseurs, on trouve - et
c'est sans doute là l'essentiel - le grand public, celui qui réagit avec fièvre et
spontanéité aux concertos et aux symphonies. Il est vrai que la musique de
Rachmaninoff peut paraître anachronique. Elle naît à une époque où émergent des
esthétiques bien différentes, qu'il s'agisse de la musique de Stravinsky, de Bartók, de
Prokofiev ou de celle, plus révolutionnaire, des compositeurs de la seconde école de
Vienne avec à sa tête Arnold Schoenberg, sans oublier Edgar Varèse.
Si les dernières années de la vie de Rachmaninoff – il meurt en 1943 à l’âge de
soixante-dix ans – sont marquées par d’incontestables chefs-d’œuvre (Rapsodie sur
un thème de Paganini en 1934, Danses symphoniques en 1940), l’essentiel de son
œuvre sera composé avant l’exil forcé de 1917. Il portera à un niveau d’excellence le
genre du concerto pour piano post-romantique, échelonnant ses cinq concertos entre
1892 et 1934, date de la Rapsodie sur un thème de Paganini qui est, en fait, un
concerto à part entière.
De mai 1907 à avril 1909, Rachmaninoff sillonne l’Europe où il s’impose comme
compositeur, soliste et chef d’orchestre. Désormais, il lui faut conquérir les États-Unis
et c’est avec réticence qu’il accepte de passer à l’automne trois mois outre-Atlantique
en promettant d’écrire une œuvre nouvelle. Cette œuvre ne pouvait pas être une
pâle copie du Deuxième concerto en ut mineur qui lui avait valu un succès
retentissant.
En avril 1909, il quitte Dresde et rejoint la propriété familiale d’Ivanovka où, en moins
de quatre mois, il termine le Troisième concerto pour piano en ré mineur op. 30. Il
achèvera également le poème symphonique L’Isle des morts, l’un de ses
incontestables chefs d’œuvre.
Sans doute possible, le Troisième concerto pour piano doit sa popularité au thème
mélodique introductif du premier mouvement. « La mélodie la plus pure que
Rachmaninov ait écrite, la plus enfantine, jusque dans son exposition : une note à
chaque main, et la même – à l’octave près. » D’où provient ce thème ? Certains y ont
vu l’écho d’un chant orthodoxe russe. Rachmaninoff l’a réfuté en déclarant : « Le
premier thème de mon Troisième Concerto n’est emprunté ni au chant populaire, ni à
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la musique d’église. Il s’est tout simplement « composé lui-même » ! [...] je ne
pensais qu’à la sonorité. Je voulais « chanter » la mélodie au piano... et lui trouver un
accompagnement adéquat... Rien de plus ! » Le musicologue Joseph Yasser
trouvera un cantique fort proche. Il s’agit probablement d’une réminiscence
inconsciente. En tout cas, ce thème va parcourir toute la partition. Ce mouvement,
Allegro non tanto, est d’une brillance, d’une ingéniosité harmonique que
Rachmaninov n’avait jamais égalée auparavant. Le foisonnement des idées, les
ruptures brusques nées d’un trait pianistique aboutissent à une cadence d’une rare
difficulté technique. Le compositeur en avait prévu deux : une « légère » qui est
généralement celle choisie par les pianistes - Rachmaninoff la joue dans son
enregistrement - et l’Ossia « grandiose, terrible et magistrale », une sorte de
concerto pour piano solo. Le mouvement s’éteint sur un decrescendo songeur.
L’Intermezzo n’est pas sans évoquer celui de Schumann dans son Concerto en la
mineur. On y retrouve une même sérénité dans l’exposition des thèmes, une même
liberté d’inspiration. Le Finale s’enchaîne dans une frénésie rythmique. « Galops,
chasses, chevauchées, ce mouvement semble procéder d’une véritable étude sur les
cellules rythmiques propres à exciter l’auditoire. »
Arrivant aux États-Unis en novembre, Rachmaninov, prudent, commence sa tournée
en interprétant le Deuxième Concerto à Northampton, Boston et Philadelphie. Joseph
Hofmann, dédicataire du Troisième concerto pour piano, devait assurer la création
mondiale de la nouvelle partition mais prétextant les difficultés de l’ouvrage, il
renonça et, finalement, le compositeur se retrouva face à son clavier, le 28 novembre
1909, à New York, sous la direction de Walter Damrosch. Au lendemain de cette
première, le New York Herald rapporta cette anecdote : « Monsieur Rachmaninoff fut
rappelé plusieurs fois par le public qui insista pour qu’il rejoue, mais il leva les mains
par un geste signifiant qu’il était d’accord pour rejouer mais que c’étaient ses doigts
qui ne l’étaient pas. Cela fit beaucoup rire le public qui, à ce moment-là seulement, le
laissa partir ! » Rachmaninoff rejoua son concerto, le 16 janvier 1910 au Carnegie
Hall. L’Orchestre philharmonique de New York était placé sous la baguette de
Gustav Mahler.
De retour en Russie, Rachmaninov parvint à imposer son Troisième Concerto pour
piano et fut heureux de le voir compris à la fois par le public et par « les arbitres de
l’art ».
Piotr Illitch Tchaïkovski
Symphonie n° 4 en fa mineur op. 36
Un an et demi sépare la Troisième symphonie en ré majeur de la Quatrième en fa
mineur op. 36. Avec la nouvelle œuvre, Tchaïkovski entre dans une seconde phase
de son existence créatrice marquée par l'accession à la maturité. Elle est également
la première des symphonies cycliques, toute entière axée sur le fatum, ce Destin qui
est la clef du pessimisme et de l’angoisse du compositeur.
Contemporaine d’Eugène Onéguine et de son mariage catastrophique, la Quatrième
symphonie occupe Tchaïkovski tout au long de l'année 1877. Il la termine en Italie, à
San Remo, en décembre. Dans une lettre adressée à sa protectrice, Mme von Meck,
à qui est dédiée cette œuvre, Tchaïkovski écrit : « Jamais encore aucune de mes
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œuvres d'orchestre ne m'avait coûté autant de peine, mais je n'ai jamais ressenti
autant d'amour pour aucune de mes compositions. J'ai éprouvé une surprise
agréable en me mettant au travail. Au début j'écrivais surtout parce qu'il fallait bien,
d'une façon ou d'une autre, achever la symphonie. Mais peu à peu j'y ai pris goût, et
maintenant j'ai du mal à m'arracher à mon travail. Je peux me tromper, mais il me
semble que cette symphonie est une œuvre exceptionnelle et qu’elle est ce que j'ai
fait de mieux jusqu'à présent. »
La Quatrième symphonie, comme les deux suivantes, est tout à fait caractéristique
d'une nouvelle esthétique, celle qui permet de cerner la personnalité du compositeur
en proie à une certaine misanthropie, hanté par la fatalité, torturé... Est-elle pour
autant une symphonie avec un programme précis ? Tchaïkovski répondit par la
négative tout en avouant : « C’est la confession musicale de l'âme passée par
beaucoup de tourments et qui par nature s'épanche dans les sons. »
En quatre mouvements, elle est dominée par l'idée du fatum qui « empêche
l'aboutissement de l'élan vers le bonheur ».
Dès l’introduction de l’Andante sostenuto, ce motif du destin est exprimé par la
fanfare aux quatre cors et aux bassons dans le registre aigu, reprise aux bois et à la
trompette. Un court motif aux clarinettes laisse le premier thème, que Tchaïkovski
définit comme celui de la mélancolie, s’épancher douloureusement sur un rythme
syncopé. Le second thème égrené par la clarinette, « toute de légèreté et de
mystère », évoque le rêve-refuge. Ce sont ces deux thèmes qui vont dominer le
développement et, après une courte accalmie, la coda affirme l’absence de « havre
de paix ».
Le deuxième mouvement, Andantino in modo di canzona, « exprime une autre phase
de l’angoisse. C’est cet état mélancolique que l’on éprouve le soir, lorsqu’on est seul,
fatigué après le travail ». Le hautbois sur fond de pizzicatos, chante une cantilène
doucement triste, reprise par le violoncelle. Tchaïkovski la fait évoluer tant
rythmiquement qu’harmoniquement pour la mener à un point culminant où résonnent
des sonneries dérivées du thème du destin du premier mouvement.
Le Scherzo « n’exprime pas de sentiments définis. Ce sont des arabesques
capricieuses, des images insaisissables, qui passent dans l’imagination lorsqu’on a
bu un peu de vin et qu’on entre dans la première phase de l’ivresse. On ne se sent
pas gai, mais pas triste non plus ». Le compositeur traduit ce sentiment par de
vertigineux pizzicatos obstinés aux cordes, auxquels répondent une chansonnette
(hautbois soutenu par un contre-chant au basson, puis reprise par la flûte et piccolo)
et une marche (bois, cuivres, timbales).
Dans le Finale, Allegro con fuoco, le compositeur se tourne vers le peuple. « Si tu ne
trouves aucun motif de joie en toi-même, regarde vivre les autres. Va dans le peuple.
Regarde comme il sait s’amuser, en s’adonnant aux sentiments d’une joie sans
partage. C’est le tableau d’une grande fête populaire. Mais à peine as-tu cessé de
penser à toi et t’es-tu laissé captiver par le spectacle du bonheur d’autrui que
l’implacable fatum revient et se rappelle à toi ». Le Finale s’ouvre donc sur un
sentiment de gaieté exubérante, de joie insouciante avec son thème principal dont le
motif provient d’une chanson populaire russe, « Un bouleau se dressait sur le
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champ », joué aux bois. La fête malgré quelques accents de gravité au cours du
développement domine jusqu’au retour implacable des fanfares du fatum.
La partition terminée, Tchaïkovski s’interrogea : « Restera-t-elle vivante encore
longtemps après que son auteur aura quitté cette terre, ou sombrera-t-elle aussitôt
dans le gouffre de l’oubli ? » Le public et la critique ont depuis bien longtemps
adoubé cette œuvre, l’une des plus populaires de son auteur, même si la première,
le 10 février 1878, à Moscou, sous la direction de Nikolaï Rubinstein ne suscita pas
l’enthousiasme. Le 25 novembre suivant, à Saint Pétersbourg, le succès fut au
rendez-vous et Tchaïkovski n’avait plus de soucis à se faire quant à la pérennité de
sa Quatrième symphonie en fa mineur.
Orientations bibliographiques
Le lecteur pourra satisfaire sa curiosité en consultant les ouvrages suivants :
● Rachmaninoff, Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Solfèges Seuil
● Rachmaninoff, Jean-Jacques Groleau, Actes Sud
● Tchaïkovski, André Lischke, Fayard
Orientations discographiques
Serge Rachmaninoff
Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ré mineur op. 30
● Serge RACHMANINOFF, Orchestre de Philadelphie, Eugène ORMANDY direction
RCA
● Byron JANIS, Orchestre symphonique de Chicago, Antal DORATI direction,
Mercury
● Vladimir HOROWITZ, Orchestre symphonique RCA Victor, Fritz REINER direction
RCA
● Simon TRPČESKI, Royal Liverpool Symphonic Orchestra, Vasily PETRENKO
direction
Piotr Illitch Tchaïkovski
Symphonie n° 4 en fa mineur opus 36
● Orchestre philharmonique de Leningrad, Evgueny MRAVINSKI direction DG
● Orchestre philharmonique de New York, Leonard BERNSTEIN direction DG
● Orchestre philharmonique de Vienne, Herbert VON KARAJAN direction DG
● Orchestre symphonique de Londres, Karl BÖHM direction DG
● Orchestre philharmonique de Munich, Sergiu CELIBIDACHE direction EMI
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