LE HIP HOP : 1983 à 2003
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LE HIP HOP : 1983 à 2003
« LE HIP HOP : 1983 à 2003 » Le bilan de la Rencontre du 31 mai 2003 à Aulnay-sous-Bois - Diffusion du documentaire « Hip Hop Spirit » Diffusion du DVD « Assassin Live » sur le tour de l’espoir 2000/2001 de l’Académie mythique du rap français. Débat sur la thématique suivante : « Où se situe la culture Hip Hop en France aujourd’hui, mouvement de contre-culture ou culture intégrée ? » Présentation des intervenants : - Dee Nasty : DJ dans le Hip Hop depuis 20 ans Madj : Assassin Production depuis sa création, il y a 12 ans Jean-Claude : Membre de l’association Vénère, qui englobe toute la culture hip hop, rappeur du clan de la Lune Noire. - Pascal Blaise : Membre actif de l’association Vénère, fait partie de la première génération Aktuel Force, danseur-chorégraphe - Yassin Amblard : Moov’N’Aktion - Blaise Ondzie & Xavier Plutus : ex Aktuel Force - Profecy et Kalash (Rap) - Yasmina : Générations 88.2 Fm - Vincent Portois : Journaliste du magazine Groove - Bernard Fiou : Réalisateur et journaliste à Radikal - Jon One : Graffiti artiste - Jay One : Graffiti artiste - Blade : Graffiti artiste - Mode 2 : Graffiti artiste Et d’autres acteurs des médias spécialisés Cela fait 20 ans que la révolution Hip Hop a pris sa place en France. Comment est-elle arrivée ? Dee Nasty (DN), tu as initié beaucoup de personnes dans le mouvement, comment as-tu été toi-même « accroché » avec le hip hop ? DN : J’ai été pris dans le hip hop par le concert de NY city rap et Africa Bandata au Bataclan et par un article dans « Journal Actuel » à l’époque qui expliquait bien ce qu’était la Zulu Nation. J’ai adhéré complètement à ce qu’ils disaient et musicalement aussi. Tu fais référence à la Zulu Nation. Qu’est-ce ? Qu’en reste-t-il, toi qui a été un des Zulu King ? DN : La Zulu Nation est un mouvement crée par Afrika Bambata, vers 1976. Il s’agit du mouvement détenteur de la philosophie de hip hop. Et aujourd’hui ? DN : Le mouvement hip hop a grandi, la Zulu Nation a peut-être grandi aussi, beaucoup de personnes adhérent toujours à ces idées. Toutes les disciplines sont représentées autour de la table. L’association Vénère travaille sur l’ensemble des disciplines de la culture hip hop. Selon vous, reste-t-il aujourd’hui une unité dans l’ensemble de ces pratiques ? Pascal : Avec l’association, nous essayons de revenir sur l’état d’esprit présent à l’époque, ça n’est pas évident, car au niveau artistique tout évolue énormément. J’ai entamé cet échange en parlant de révolution : le mouvement hip hop est passé par des révolutions sur ses disciplines « techniques », et plus largement par une révolution sur la manière de prendre la parole. Comment as-tu accroché avec le hip hop ? Et comment le lien a-t-il pu t’être utile ? Madj 2 : Je suis arrivé un peu plus tard que les personnes présentes ici, j’ai pris le train en marche, vers les années 1986-1987. Je suis un enfant de la banlieue parisienne, nos quartiers ont une histoire. J’ai découvert en 1982, lors de mon armée en Allemagne, au sein d’une émission appelée « Méga Hertz », quelque chose de surréaliste : des personnes redéfinissant le rapport du corps à l’espace avec la danse, se proposant de redéfinir l’espace urbain avec le graffiti -qui est l’habillage de la ville-, et se proposant de faire de la musique complètement autrement, non plus avec des instruments mais avec des platines. Nous étions en présence de l’expression d’une forme de contre-culture artistique, et quand nous évoquons les bases de l’émergence de cette contre-culture (Zulu Nation), nous parlons aussi d’un contexte social, historique, comme la violence des gangs. Il est important de se souvenir de la banlieue en France dans les années 1982. Nous n’avions pas les gangs, mais l’héroïne, tout ce qui l’entoure et qui génère la violence. Des « frères », des « frangines » se sont détruits, à l’âge de 16-17 ans. C’était une situation violente et si le Hip Hop a pénétré la France si fort à ce moment là, c’est aussi car nous étions dans des quartiers « pourris par la came ». Cette pratique culturelle nous a permis de « dire non », de s’extirper de tout cela, et d’être quelqu'un dans une société, alors que la société voulait que nous soyons simplement de la chair recyclable pourrissant dans la drogue et la délinquance. J’étais dans d’autres mouvements à l’époque, j’ai croisé à la fin des années 1970 et au début des années 1980, des « old-timers » du Hip Hop aujourd’hui, alors que ce mouvement n’existait pas encore. J’étais dans un mouvement plus Rock’N’Roll,. Vers 1986 un regain a eu lieu avec le graffiti qui s’est imposé à Paris et qui a modifié l’espace urbain. Le rap a pénétré la France davantage, les premiers concerts de rap américain ont eu lieu (Beastie Boys au Grand Rex). Il est maintenant indispensable de se poser la question de savoir où va vraiment cette pratique culturelle. Toutes les disciplines travaillant dans le rap ont déserté la culture Hip Hop aujourd’hui, les acteurs de cette scène musicale ont oublié leurs bases culturelles -à savoir la danse, le graffiti- car il n’y a pas d’enjeu, alors que cela garde une pureté essentielle. Il faut savoir si nous nous inscrivons vraiment dans une pratique de contre-culture pour qu’elle puisse rester contre-culture. Une contre-culture, c’est l’envie d’aller contre un état, contre un établissement, c’est se poser des questions sur sa condition. Lorsque nous avons décidé de monter cet événement, nous avions demandé à ce qu’une table d’information, sur la question de la double peine, sur l’anti-fascisme, soit installée et cela a été refusé. Cela signifie que notre culture est intégrable pour nous montrer de beaux films, faire quelques événements dans les quartiers, (surtout pas dans le centre ville), réaliser des journées d’information, mais à partir du moment où nous nous posons en termes de citoyens, en termes de personnes qui se posent des questions sur leur condition d’acteur au sein de la société, nous n’intégrons plus rien. L’anti-fascisme, l’anti-racisme et la double peine sont des sujets pris en compte tant que Jacques Chirac n’est pas élu entre les deux tours, et lorsqu’il est élu, les Arabes, les noirs et les jeunes français des quartiers épris de ces questions doivent rentrer chez eux, rester tranquilles et faire du Hip Hop dans leur coin. Il s’agit de la triste réalité de notre culture aujourd’hui. Le Hip Hop est une discipline complètement prise dans l’industrie, où tout le monde est perdu car la base du Hip Hop ça n’est pas cela. Quelques disciplines comme la danse, la pratique du graffiti sont des disciplines où l’enjeu économique n’est pas encore présent donc qui n’intéressent pas. Applaudissements. Est-ce que 20 ans après, nous sommes toujours dans la reconnaissance, dans le fait de « faire connaître » une discipline ? Où en êtes-vous pour le graffiti ? Quels sont ses terrains d’expression ? Jay : Les terrains d’expression restent les mêmes que lorsque j’ai commencé il y a 20 ans : la rue pour certains, ceux qui débutent. Pour des personnes comme moi, il s’agit d’essayer de parler de cette culture, de faire découvrir quelque chose de plus social, de plus personnel, et cela passe à travers les musées, les galeries et les expositions. Blade : Chacun de nous a une évolution à faire, traduit à sa manière les principes du Hip Hop, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, je pense qu’il faut toujours être en quête d’évolution constante quoiqu’il arrive. Le graffiti a été l’objet de réactions assez virulentes. Est-ce quelque chose d’accepté, de banal aujourd’hui ? Mode 2 : Je le pense avec l’avènement des fanzines, des sites web que nous avons crées. C’était une réaction, nous ne réfléchissions pas trop au fait d’être une contre-culture, nous ne cherchions pas à savoir si nous salissions la ville, nous ne cherchions pas à faire les rebelles pour énerver les autres. Nous avons découvert quelque chose qui nous a permis de nous exprimer. L’enjeu aujourd’hui est de savoir ce que nous pouvons avoir d’équivalent au niveau de la force de position et par rapport à ce qui se passait à l’époque. Il ne s’agit pas de s’énerver contre l’état, mais de s’exprimer, de partager avec des personnes d’origines différentes. Nous ne nous rendons pas compte de la force et de la richesse de notre culture, et c’est peutêtre cela qui s’est passé : au niveau de l’industrie du rap quand les mecs ont été attirés vers les studios, scènes, cela avait l’air beaucoup plus puissant pour eux que la puissance de leurs racines : c’est là qu’ils se sont perdus. La même chose se passe dans la danse où il faut se reformater, entrer dans des schémas de présentation sur scène, alors qu’à la base il s’agissait de quelque chose qui venait de fait et de Jam. Comme le graffiti qui était à la base une réaction contre les galeries, contre toutes ces formes d’art établi, nous avons redéfini des manières de s’exprimer. Il faut arriver à définir comment présenter la danse et non pas juste monter des fanzines, des sites web qui sont une version rap, danse ou graffiti de choses qui existent déjà dans la société et qui n’ont pas marché pour les autres cultures jusqu’à maintenant. Notre culture a un grand potentiel pour changer les choses dans notre société. Nous avons agi avec du système D, avec presque rien, nous avons commencé à NYC, à la « démerde », sans subventions. Nous sommes une culture vivante et non une culture virtuelle. La danse doit être « vue en vrai » et non pas dans des clips ou des DVD. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes sont exposés à notre culture, plus virtuellement qu’en vrai, en face à face. Cela est très dommage. Quels sont les enjeux du monde de la danse ? La compétition et le spectacle, ses deux composantes, sont-ils faciles ? Faut-il agiter les choses ? La danse est-elle un terrain de militance ? Quelles sont ses limites ? Pascal Blaise : La direction culturelle (spectacles…) et l’underground sont deux directions qui vont ensemble. Cette danse vient de la rue mais il faut être capable de l’exporter, et le seul moyen dont nous disposons est le théâtre. Nous parlons de contre-culture, mais entrer dans les théâtres correspond à entrer dans la culture… Pascal : … La danse a pris plusieurs directions, le côté sportif, culturel, underground. Le monde du théâtre est un peu la culture savante par rapport au monde de la danse qui est la culture populaire… Comment cela se passe-t-il avec les gens du théâtre ? Pascal : C’est assez difficile, les théâtreux n’ont pas les mêmes codes que nous, mais nous nous adaptons. De l’autre côté, nous restons aussi dans la rue. Les choses évoluent dans les deux directions. Nous ne pouvons faire l’un sans l’autre. Personnellement, j’ai 20 ans d’expérience, je suis appelé à faire des spectacles pour me diffuser. Je suis obligé d’entrer dans un système qui est déjà là : dans un théâtre il y a des choses à respecter, alors que dans la rue l’espace n’est pas appréhendé de la même manière. Xavier, tu es sur une création en cours. Comment va-t-on aux termes d’un spectacle ? Quelles sont les limites que tu rencontres, quel est ton rapport avec une des plus belles scènes de France sur laquelle tu fais ton spectacle ? Le Hip Hop est-il traité comme toutes les autres cultures ? Xavier : Tout dépend comment tu gères tes affaires. Tu ne peux entrer dans ce système les yeux fermés. Le théâtre m’a beaucoup apporté au sens artistique, car il s’agit d’entrer dans des codes, dans des directives, tout en restant authentique avec les règles instituées. C’est ce qui rend les spectacles Hip Hop très forts. En effet, en plus de tous les critères du théâtre, le Hip Hop possède une énergie que les autres danses n’ont pas. Il ne faut pas entrer dans l’engrenage de l’institutionnalisation la danse. À partir de cela, nous pouvons faire beaucoup de choses, et le Hip Hop a une intelligence naturelle que les autres danses n’ont pas. Si je fais une pièce, je la fais avec le cœur. Nous pouvons monter un spectacle avec presque rien, sans attendre les subventions. JC : Au niveau de la diffusion de tous les aspects de l’art du Hip Hop, le graffiti, la danse, le djing, nous sommes dans l’ère d’une évolution, et on ne nous a pas laissé évoluer de nousmêmes. Le plus important est de retenir les valeurs, l’esprit de ce mouvement-là. Tout le monde sait qu’il y a de la danse, du graff au sein du Hip Hop. Personnellement, j’ai une renommée de rappeur, mais je possède aussi un état d’esprit de paix avec n’importe quelle personne. À travers ces 20 ans j’ai appris beaucoup de choses. Mais c’est à travers le Hip Hop que tu as obtenu cette paix, ou bien est-ce car tu as tout simplement vieilli ? JC : Quand le Hip Hop est arrivé, nous étions comme des enfants à qui on jette des jouets. Cela ne demandait rien, juste le cœur et l’esprit et en évoluant, nous avons pu remarquer que la chose la plus importante est un équilibre en soi-même, un respect du corps. Madj, 20 ans est-ce la maturité ? Madj : Je m’attarderai plus sur la question du rap. Dans la scène rap aujourd’hui, l’absence de culture, de référence culturelle, est essentielle. Il faut prendre conscience du fait que cette pratique s’inscrit dans quelque chose de beaucoup plus global, dans la tradition afroaméricaine, et que la scène rap n’est pas apparue comme ça. J’ai écouté beaucoup de rap, et aujourd’hui peu de choses arrivent à attirer mon attention. J’ai essayé de revenir à l’essence c’est-à-dire de re-explorer des choses que je ne connais pas du tout, notamment le blues, le r’n’b, le vrai, c’est à dire la forme primitive du rock’n’roll jouée par les noirs dans les années 1940. Je reviens à la jeunesse de la musique américaine, et je me rends compte que le Hip Hop n’est pas dissociable de tout cela. Quand nous commençons à analyser la manière dont les bluesman déclament leurs textes, nous ne sommes pas loin du rap, d’un « proto » rap, d’un rap historique certes, mais nous n’en sommes tout de même pas loin. Quand nous nous attardons sur la technique des premiers DJ de radio dans le sud des USA à la fin des années 1940, leur manière d’animer, de jouer avec les rimes, de jouer en rythme, nous ne sommes pas loin du rap. Cette technique s’est exportée au début des 1960 en Jamaïque. Dans les années 1960-1970, un retour de la Jamaïque vers NYC s’est effectué, avec DJ Kool Herc notamment. La technique du MCing (parler sur une musique) n’est pas du tout américaine mais jamaïcaine. Le côté BC, avec de la basse, n’est pas américain non plus, la musique américaine est jouée très aiguë. Lorsque nous commençons à entrer dans tous ces échanges culturels, la pratique du musicien itinérant chroniqueur social se retrouve partout, elle est présente dans les sociétés orales. La tradition du musicien itinérant au Moyen Age ou encore dans le Magreb où des familles se déplaçaient, déclamaient des textes, avec joutes poétiques, n’est pas loin du free style. Quand nous commençons à appréhender cela, nous avons un rapport à notre travail, le rap, et nous sommes obligés d’aller vers l’avant et de ne pas se contenter d’une version formatée, même insultante pour le rap. L’ensemble de la production aujourd’hui pourrit la tête des jeunes à 90 %. Il ne faut donc pas trop se gargariser car les 20 ans, dans le domaine du rap, c’est pitoyable. De quel ordre sont les projets que tu accompagnes au sein d’Assassin Production ? Madj : Nous essayons de remettre cela au goût du jour, par exemple à travers notre site nous essayons de réhabiliter cette histoire. Nous avons mis en ligne une rubrique sur la naissance du hip hop à NYC, sur l’apport de la danse, et on a pour but de ré-inculquer ces bases aux plus jeunes, de leur expliquer que le rap n’est pas juste un moyen de se faire de la monnaie, que le rap et le Hip Hop ne servent pas à devenir voyou. La solution est de revenir sur une dimension culturelle, de leur expliquer que la plupart des Mc’s dans le Hip Hop ont déserté ce dernier, même s’ils s’en réclament tous les jours dans les émissions de radio, de Tv, dans les interviews, ça n’est pas vrai, ils l’ont déserté. Aujourd’hui, il faut que le rap réintègre le Hip Hop si nous voulons arriver à quelque chose dans cette scène musicale. Applaudissements Mode 2 : Pour revenir sur ce que disait Mas, je pense que quelque chose a manqué aux premières générations de signatures. Ils auraient dû faire des morceaux sur l’histoire de notre culture en Ile-de-France, car si on regarde chez les Américains, Mc Chain avait the Bridge qui parlait de Kwiz Bridge… Les new-yorkais ont eu pour tradition de raconter leur histoire, de ne pas attendre que ce soit les journalistes qui le fassent à leur place. Le problème réside dans le fait que le public a découvert le Hip Hop par VSD, le Nouvel Observateur, l’Evénement du Jeudi. Personne n’a fait de morceau sur les vraies valeurs à l’époque. Cela existe sur la scène ragga, mais nous n’avons pas su le faire car les enjeux économiques ont tellement grandi à partir de 1989-1990, que tout le monde s’est protégé. « Nous avons fait le business du rap comme un business de crac ». Les Mc’s à la base prenaient les micros dans les fêtes, pour faire le lien entre le DJ et la salle. Comme pour toutes les autres cultures du XXème siècle, L’industrie de la musique a été là pour nous « kidnapper», l’histoire a été écrite d’une autre manière. Des morceaux sont à faire sur l’histoire de notre culture. Jacques Maisse : Nous sommes de jeunes acteurs, mais il y a encore des gens qui ont envie de se battre pour un mouvement, pour une culture. À l’époque, je ne sais pas s’il y avait autant de monde que ça. Aujourd’hui il reste encore un noyau. Questions du public - Question 1 : Le hip hop est un art qui permet d’exprimer sa liberté, qui regroupe une communauté de personnes, mais il lui manque une organisation, et une représentation concrète. Toutes les personnes présentes ici ont obtenu une sagesse qu’ils pourraient mettre au service de la communauté sous une forme solidaire. Le hip hop pourrait s’organiser en utilisant des outils institutionnels, pour en faire profiter tout le monde, pour la société. Jacques Maisse : Peu de personnes en mangent. Cela fait 6 ans que nous montons des projets et nous sommes vraiment très loin d’en manger. Xavier : Tu veux parler d’action sociale. Dans la danse, lorsque nous concluons une date avec un théâtre, nous nous arrangeons pour conclure des stages, dans des MJC, dans des quartiers, où parfois c’est « la galère ». Je reviens de Colombie où cela se fait beaucoup. Nous commençons à entrer dans une phase où nous devenons sages, à nous structurer. Vénère à Aulenay fait bouger les choses et commence à être reconnue. En faisant des scènes nationales, nous pouvons entrer dans les villes et faire quelque chose avec les quartiers de ces villes-là. Bernard : Xav, je pense qu’il serait bien de revenir dans une phase culturelle. Mais tout l’aspect contre-culture a été absorbé par le côté argent. Pour notre documentaire Hip Hop Spirit, nous voulions essayer de le diffuser à travers le réseau de distribution classique, mais cela n’intéressait personne car c’était culturel. Cela n’allait pas vendre. Le côté contre-culture a disparu au profit de l’argent. Toutefois, nous commençons à mûrir, les actions associatives commencent à se développer. Mais ceci se fait de manière éparse, il n’y a pas vraiment d’unité au niveau Hip Hop, ce problème est également assorti d’un gros problème d’égo. Le hip hop doit laisser sa fierté de côté, essayer de re-motiver toutes les sources de ce mouvement pour que tout le monde devienne activiste, que des choses se mettent en place au sein de chaque ville. Aujourd’hui, le Hip Hop prend une grande importance dans la vie des jeunes, des budgets sont déployés. Nous montrons aux jeunes des chanteurs dans de belles voitures avec de belles filles en leur disant : « c’est comme cela qu’il faut penser », mais pendant qu’ils se destinent à une carrière de rappeur qui va durer un an ou deux, ils ne passent pas leurs examens, ils deviennent rien dans la société et n’ont aucun poids. Applaudissements. JC : Il est très difficile de pouvoir s’occuper des jeunes de notre quartier. L’activité Hip Hop existe depuis plus de 15 ans, et nous avons rencontré des obstacles, des difficultés comme le fléau de l’argent, beaucoup de gens ont utilisé les gosses pour arriver à leur fin. Le Hip Hop apporte à chaque personne le moyen de s’affirmer en tant que personne, de pouvoir mener des activités associatives à travers les villes. Aujourd’hui, il faut encadrer les jeunes car ils ont besoin de valeurs. Nous pouvons penser que le Hip Hop est pratiqué par des minorités, alors qu’il existe à l’échelle planétaire. Le problème réside dans sa diffusion. Il s’agit d’une contre-culture, nous venons avec un esprit de paix, de respect et nous nous trouvons face à de nombreuses difficultés. Il s’agit d’un combat mené chaque jour. Madj : Tu parles de représentation du Hip Hop. Il faudrait faire la fédération française du Hip Hop avec des gens élus qui vont devenir au bout d’un moment des institutionnels, ce qui est très dangereux. Personne ici et nulle part ne doit être en position de spectateur et d’analyste. Il faut créer la notion de réseau. Tout le monde doit être à égalité, tout le monde doit échanger, essayer de faire bouger les choses ensemble. Le but n’est pas d’en manger, « Hip Hopeur » n’est pas un métier. Artiste est un métier, il faut se former. C’est là où le rap a tout faux . Les responsables ne sont pas l’industrie du disque, mais les groupes, les premiers signés qui ont eu tous les moyens de se comporter correctement par rapport aux personnes qui étaient encore dans l’ombre, ceux qui nous ont dit qu’ils allaient changer les choses et qui fondamentalement n’ont rien fait. Applaudissements Question 2 : J’apprécie l’action. Le débat ne fait pas tout. Pourquoi ne pas vous réunir ensemble, faire un document, aller dans les lycées, les associations, et donner une vraie formation aux jeunes. Le bouche-à-oreille et la proximité fonctionnent mieux, cela pourrait avoir un autre impact. Les jeunes ont perdu leurs repères. Pourquoi ne pas aller les voir, essayer de discuter avec eux… Nous n’avons pas cette prétention. L’idée du débat était de partager plutôt que de changer les choses. Nous avons un beau panel représentatif de mouvements, beaucoup d’autres personnes sont là aussi. L’important est que vous ressortiez du débat avec des récits d’expériences, nous ne souhaitons pas être prétentieux. JC : Ce que vous dites est vrai, nous tous présents aujourd’hui réalisons ce type d’actions au quotidien, à notre manière, il s’agit plus de communication de proximité. Beaucoup de choses sont déjà faites, et ce que vous dites relève d’une autre organisation qui serait dédiée 24h/24h à cela. Tout le monde a envie de le faire, mais le réaliser concrètement est plus difficile. Par exemple, personne n’a souhaité participer au documentaire que j’ai réalisé. C’est vraiment quelque chose qui nous dépasse. Il faut demander des fonds, mais c’est énormément d’investissement, c’est incroyable ce que vous demandez là. Mode 2 :J’admire ta position complètement optimiste. J’avais la prétention de vouloir changer le monde à l’époque. - Danse et Free Style de Kalash sur un mix de Dee Nasty pour illustrer le débat