Jeanne Benameur - Centre du Livre et de la Lecture, Poitou

Transcription

Jeanne Benameur - Centre du Livre et de la Lecture, Poitou
23e Prix du livre en Poitou-Charentes
Jeanne Benameur
Ce livret hors commerce est offert à l’occasion de la remise du
23e Prix du livre en Poitou-Charentes à Jeanne Benameur, pour
son roman Laver les ombres (éditions Actes Sud).
Le Prix du livre en Poitou-Charentes bénéficie, pour la treizième
année consécutive, du mécénat de PGA et de son président Pierre
Guénant.
Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes
34 place Charles VII – BP 80424 – 86011 Poitiers Cedex
Tél. : 05 49 88 33 60 – Fax : 05 49 88 80 04
[email protected] – www.livre-poitoucharentes.org
© DR
Le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes est principalement financé par le Conseil régional et la Direction régionale
des affaires culturelles de Poitou-Charentes.
Laver les ombres
( éditions Actes Sud )
Centre du livre et de la lecture
en Poitou-Charentes
23e Prix du livre en Poitou-Charentes
Le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes a attribué
son 23e Prix du livre à Jeanne Benameur pour son roman Laver
les ombres paru aux éditions Actes Sud.
Les membres du jury, présidé par Olivier Cazenave, l’ont élu
(8 voix sur 14 au dernier tour) parmi une soixantaine d’ouvrages
d’écrivains de la région, publiés à compte d’éditeur dans l’année
précédente.
Lors de la dernière délibération, huit autres titres étaient encore en
compétition :
En belle terre noire, d’Odile Caradec, éd. En Forêt
Traques, de Frédérique Clémençon, éd. de l’Olivier
Au milieu d’Amman, de David Dumortier, éd. Al Manar
Zone, de Mathias Enard, éd. Actes Sud
L’Homme qui m’aimait tout bas, d’Éric Fottorino, éd. Gallimard
L’Inaperçu, de Sylvie Germain, éd. Albin Michel
Daoren, de Claude Margat, éd. La Différence
Zozo, chômeur éperdu, de Bertrand Redonnet, éd. Le Temps qu’il fait
Ce Prix récompense chaque année un auteur de création, originaire
de la région, ou vivant ou travaillant en Poitou-Charentes.
Il bénéficie pour la treizième année consécutive du mécénat de PGA
et de son Président Pierre Guénant.
1
❦
Écrire est ma seule façon d’accepter de vivre
Une poignée de main ferme, un sourire franc. Un beau visage aux
yeux rieurs, un rien mutins, qui disent ses origines et dans lequel,
si on s’y attarde, on voit l’océan. Celui qui s’aventure jusqu’à La
Rochelle, où Jeanne Benameur a été accueillie à l’âge de cinq ans et
où elle vit toujours. L’océan « à la fois fascinant et terrifiant. C’est
mon élément. Par l’horizon qu’il ouvre ».
© DR
Atmosphère étouffante – Avec l’écriture, l’océan n’a cessé
d’élargir l’horizon, de creuser des espaces en elle. Car Jeanne
Benameur vient d’« une famille à la langue tue, où on ne disait pas
les choses ». Née en Algérie en 1952 d’un père tunisien gardien de
prison – « mort alors que j’avais dix-neuf ans, il reste pour moi une
énigme » – et d’une mère italienne, elle a grandi dans la langue
française. De l’arabe, la langue de son père, « j’ai gardé le rythme,
la scansion dans mon écriture » ; avec l’italien, la langue de sa mère,
langue de l’enfance, « j’entretiens un rapport étrange ». (…)
Très vite, la cadette – elle a un frère et deux sœurs – apprend à
regarder et à écouter : « Ne comprenant pas l’arabe, je guettais les
visages, je repérais les intonations pour essayer de savoir ce qui
se disait. J’interprétais les silences : agressifs ou tristes, ils m’en
disaient beaucoup ».
L ’école, porte de sortie – À La Rochelle, où la famille a
fui chassée par la guerre d’Algérie, « j’ai passé beaucoup de temps
à regarder pour savoir ce qu’il fallait faire ». Ses premiers souvenirs
de cet exil forcé, « très violent » : « Du gris. Tout le temps, partout ».
Pour fuir la grisaille, l’école : « Ce fut une chance extraordinaire.
Je ne l’ai pas laissée passer ». Peu importe l’ennui éprouvé à la
maternelle – « ma mère m’avait déjà appris à lire et à écrire » –,
2
3
❦
Écrire est ma seule façon d’accepter de vivre
Une poignée de main ferme, un sourire franc. Un beau visage aux
yeux rieurs, un rien mutins, qui disent ses origines et dans lequel,
si on s’y attarde, on voit l’océan. Celui qui s’aventure jusqu’à La
Rochelle, où Jeanne Benameur a été accueillie à l’âge de cinq ans et
où elle vit toujours. L’océan « à la fois fascinant et terrifiant. C’est
mon élément. Par l’horizon qu’il ouvre ».
© DR
Atmosphère étouffante – Avec l’écriture, l’océan n’a cessé
d’élargir l’horizon, de creuser des espaces en elle. Car Jeanne
Benameur vient d’« une famille à la langue tue, où on ne disait pas
les choses ». Née en Algérie en 1952 d’un père tunisien gardien de
prison – « mort alors que j’avais dix-neuf ans, il reste pour moi une
énigme » – et d’une mère italienne, elle a grandi dans la langue
française. De l’arabe, la langue de son père, « j’ai gardé le rythme,
la scansion dans mon écriture » ; avec l’italien, la langue de sa mère,
langue de l’enfance, « j’entretiens un rapport étrange ». (…)
Très vite, la cadette – elle a un frère et deux sœurs – apprend à
regarder et à écouter : « Ne comprenant pas l’arabe, je guettais les
visages, je repérais les intonations pour essayer de savoir ce qui
se disait. J’interprétais les silences : agressifs ou tristes, ils m’en
disaient beaucoup ».
L ’école, porte de sortie – À La Rochelle, où la famille a
fui chassée par la guerre d’Algérie, « j’ai passé beaucoup de temps
à regarder pour savoir ce qu’il fallait faire ». Ses premiers souvenirs
de cet exil forcé, « très violent » : « Du gris. Tout le temps, partout ».
Pour fuir la grisaille, l’école : « Ce fut une chance extraordinaire.
Je ne l’ai pas laissée passer ». Peu importe l’ennui éprouvé à la
maternelle – « ma mère m’avait déjà appris à lire et à écrire » –,
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elle fut « une porte de sortie. Le lieu du parler clair, des règles, en
opposition à ce que je vivais en famille. Elle m’a structurée et offert
une liberté que j’ai saisie ».
Des professeurs passionnés ont stimulé son goût pour la langue.
« Petite, j’écrivais des contes et des poèmes. Et je lisais beaucoup :
des livres de contes anciens, des livres illustrés de la bibliothèque
de la prison où travaillait mon père, des ouvrages de la bibliothèque
municipale ; mais aussi des journaux illustrés et les romans-photos
de ma mère ». « C’est dans les livres que j’ai pu vivre d’abord. Sans
peur », « je me suis apprivoisée dans les livres », avoue-t-elle dans
Comme on respire. Aujourd’hui encore, « la liberté me vient très
souvent par les mots ».
À l’adolescence, Jeanne Benameur fréquente le Conservatoire
d’art dramatique de La Rochelle : « J’y ai découvert une autre
façon d’aborder les textes : ils avaient soudain du corps. Et une
voix immense : Racine, à travers Phèdre. Je prenais conscience
que d’autres vivaient les mêmes tempêtes que moi ». « Enfin ce que
j’éprouvais était là, vécu par d’autres, écrit », reconnaît-elle dans
Comme on respire.
À 17 ans, son bac en poche, elle quitte sa famille. À 21 ans, elle
est diplômée de l’enseignement secondaire. Elle sera professeur de
lettres de 1974 à 2000 avec une interruption dans les années 1990
pour travailler à la Maison du geste et de l’image, où elle s’occupera
du secteur écriture.
Quelque chose qui passait par les ateliers d’écriture, découverts
en 1980 au contact d’Elisabeth Bing. Jeanne Benameur y expérimente une écriture vivante à travers des textes collectifs et des
ateliers résidentiels : « C’était un lieu d’ouverture très fort à la littérature. Je suis entrée autrement dans les textes ». Elle se forme à
l’animation d’ateliers.
Puis développe sa propre méthode, qui laisse place au silence :
« Les participants ne lisent leurs textes à haute voix qu’au bout
de quelques séances, car le scripteur n’est pas l’auteur. Passer
de l’un à l’autre suppose un cheminement très obscur, silencieux
avec soi-même. Il s’agit de prendre distance d’avec son texte pour
trouver son souffle dans l’écriture ». Écrire c’est « refaire alliance
avec son silence intime », précise-t-elle dans Comme on respire.
« Voyez-vous, les mots ne servent qu’à ça. Creuser une place pour
le silence. »
Très vite, Jeanne Benameur propose des ateliers à ses élèves : à
Mauzé-sur-le-Mignon, puis à Courbevoie. À Paris, elle en anime
pour des chômeurs et, à la demande d’institutions, « pour des
milieux en hiatus avec la langue », persuadée que celle-ci « crée des
liens, se donne et nous accueille » : « La langue ne vous demandera
jamais votre carte d’identité. Elle est là, disponible, dans la bouche
de ceux qui vous parlent », constate-t-elle dans Comme on respire.
Certaine, pour l’avoir expérimenté, que « celui qui sait trouver asile
dans une langue a trouvé un pays où être chez soi. Il en est l’habitant. Personne ne vous expulsera jamais d’une langue ».
La langue, asile sûr – Jeanne Benameur enseigne huit ans
à Mauzé-sur-le-Mignon, près de La Rochelle. Puis elle décide
d’aller vivre à Paris avec son fils de trois ans. Elle est professeur
à Courbevoie, en banlieue, au collège Alfred de Vigny, puis au
collège des Renardières, passant d’un milieu bourgeois à un milieu
populaire, avec des élèves issus pour la plupart de l’immigration.
« C’était un choix. Je voulais tenter de nouvelles expériences et intégrer une équipe ardente. J’allais aussi chercher quelque chose. »
L ’écriture, travail de l’être – À la suite de ruptures
affectives, Jeanne Benameur fait une psychanalyse. « C’était pour
voir clair en moi. J’ai réalisé là un travail extraordinaire. » Qui fait
de son écriture un creusement de l’être, le lieu d’une exploration de
soi lucide et sans complaisance : « Écrire, c’est être présent de tout
son être dans l’opaque », écrit-elle dans Comme on respire. Il s’agit
d’« accepter l’inconnu qui m’attend à l’intérieur de moi-même ».
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elle fut « une porte de sortie. Le lieu du parler clair, des règles, en
opposition à ce que je vivais en famille. Elle m’a structurée et offert
une liberté que j’ai saisie ».
Des professeurs passionnés ont stimulé son goût pour la langue.
« Petite, j’écrivais des contes et des poèmes. Et je lisais beaucoup :
des livres de contes anciens, des livres illustrés de la bibliothèque
de la prison où travaillait mon père, des ouvrages de la bibliothèque
municipale ; mais aussi des journaux illustrés et les romans-photos
de ma mère ». « C’est dans les livres que j’ai pu vivre d’abord. Sans
peur », « je me suis apprivoisée dans les livres », avoue-t-elle dans
Comme on respire. Aujourd’hui encore, « la liberté me vient très
souvent par les mots ».
À l’adolescence, Jeanne Benameur fréquente le Conservatoire
d’art dramatique de La Rochelle : « J’y ai découvert une autre
façon d’aborder les textes : ils avaient soudain du corps. Et une
voix immense : Racine, à travers Phèdre. Je prenais conscience
que d’autres vivaient les mêmes tempêtes que moi ». « Enfin ce que
j’éprouvais était là, vécu par d’autres, écrit », reconnaît-elle dans
Comme on respire.
À 17 ans, son bac en poche, elle quitte sa famille. À 21 ans, elle
est diplômée de l’enseignement secondaire. Elle sera professeur de
lettres de 1974 à 2000 avec une interruption dans les années 1990
pour travailler à la Maison du geste et de l’image, où elle s’occupera
du secteur écriture.
Quelque chose qui passait par les ateliers d’écriture, découverts
en 1980 au contact d’Elisabeth Bing. Jeanne Benameur y expérimente une écriture vivante à travers des textes collectifs et des
ateliers résidentiels : « C’était un lieu d’ouverture très fort à la littérature. Je suis entrée autrement dans les textes ». Elle se forme à
l’animation d’ateliers.
Puis développe sa propre méthode, qui laisse place au silence :
« Les participants ne lisent leurs textes à haute voix qu’au bout
de quelques séances, car le scripteur n’est pas l’auteur. Passer
de l’un à l’autre suppose un cheminement très obscur, silencieux
avec soi-même. Il s’agit de prendre distance d’avec son texte pour
trouver son souffle dans l’écriture ». Écrire c’est « refaire alliance
avec son silence intime », précise-t-elle dans Comme on respire.
« Voyez-vous, les mots ne servent qu’à ça. Creuser une place pour
le silence. »
Très vite, Jeanne Benameur propose des ateliers à ses élèves : à
Mauzé-sur-le-Mignon, puis à Courbevoie. À Paris, elle en anime
pour des chômeurs et, à la demande d’institutions, « pour des
milieux en hiatus avec la langue », persuadée que celle-ci « crée des
liens, se donne et nous accueille » : « La langue ne vous demandera
jamais votre carte d’identité. Elle est là, disponible, dans la bouche
de ceux qui vous parlent », constate-t-elle dans Comme on respire.
Certaine, pour l’avoir expérimenté, que « celui qui sait trouver asile
dans une langue a trouvé un pays où être chez soi. Il en est l’habitant. Personne ne vous expulsera jamais d’une langue ».
La langue, asile sûr – Jeanne Benameur enseigne huit ans
à Mauzé-sur-le-Mignon, près de La Rochelle. Puis elle décide
d’aller vivre à Paris avec son fils de trois ans. Elle est professeur
à Courbevoie, en banlieue, au collège Alfred de Vigny, puis au
collège des Renardières, passant d’un milieu bourgeois à un milieu
populaire, avec des élèves issus pour la plupart de l’immigration.
« C’était un choix. Je voulais tenter de nouvelles expériences et intégrer une équipe ardente. J’allais aussi chercher quelque chose. »
L ’écriture, travail de l’être – À la suite de ruptures
affectives, Jeanne Benameur fait une psychanalyse. « C’était pour
voir clair en moi. J’ai réalisé là un travail extraordinaire. » Qui fait
de son écriture un creusement de l’être, le lieu d’une exploration de
soi lucide et sans complaisance : « Écrire, c’est être présent de tout
son être dans l’opaque », écrit-elle dans Comme on respire. Il s’agit
d’« accepter l’inconnu qui m’attend à l’intérieur de moi-même ».
4
5
Pour Jeanne Benameur, « l’écriture naît d’une émotion forte, d’un
bouleversement intérieur suscité par une nouvelle, une rencontre,
un paysage, un geste. Cela peut me demander des années de rumination intérieure ». Elle en parle comme d’« un travail de tout l’être.
J’aime être travaillée par les textes. C’est une transformation, une
révolution intérieure : des choses se mettent en route, j’ouvre des
espaces en moi et cela change ma façon de voir le monde, rend
ma vie plus ample ». Chez elle, « l’écriture puise dans les couches
les plus profondes de l’être ». Sur les traces en particulier de Jean
Racine, Gustave Flaubert, Virginia Woolf, Carson Mac Cullers, Erri
De Luca et Charles Juliet. Comme eux, « j’écris parce que je ne sais
pas vivre autrement ».
Jeanne Benameur a beaucoup écrit pour les adolescents. Des
récits qui n’éludent pas les grands thèmes que sont la vie,
l’amour et la mort. Car « l’adolescence est un moment fondateur où on voit le monde avec un œil neuf, où on pressent sa
complexité, sa profondeur, mais aussi où on perçoit son étroitesse, où on entre dans la sexualité et donc dans la mort ».
É crire pour participer – « C’est un moment où on a besoin
de textes, car la littérature questionne tout cela». Plus narratifs, ces
récits font appel à l’imaginaire «qui est puissance de transformation ».
Aujourd’hui, Jeanne Benameur se consacre à l’écriture : « C’est
ma colonne vertébrale ». Sa façon d’être au monde : « Quand j’écris,
je participe ». Et si « écrire requiert ma liberté d’être humain et la
fonde », c’est dans la conscience que cet acte « n’accomplit rien » et
que celle qui tient la plume n’est « rien d’autre que cette femme qui
arpente et tente l’incertain ».
Geneviève de Simone-Cornet,
hebdomadaire familial chrétien Écho Magazine,
26 novembre 2009
6
❦
Bibliographie
Romans
Laver les ombres, Actes Sud, 2008
Présent ?, Denoël 2006 ; Folio/Gallimard, 2008
Les Reliques, Denoël, 2005
Les Mains libres, Denoël, 2004 ; Folio/Gallimard, 2006
Ça t’apprendra à vivre, Le Seuil, 1998 ; Denoël, 2003 ; Babel/Actes
Sud Junior, 2007
Un jour mes princes sont venus, Denoël, 2001
Les Demeurées, Denoël 2001 ; Folio/Gallimard, 2002
La Peine perdue, P. Olivier, 1991 (épuisé)
Livres jeunesse
Le Ramadan de la parole, Actes Sud Junior, 2007
Une heure, une vie, Thierry Magnier, 2006
Prince de naissance, attentif de nature (illus. Kathy Couprie),
Thierry Magnier, 2004
Valentine remède, Thierry Magnier, 2002
La Boutique jaune, Thierry Magnier, 2002
Le Petit Être (illus. Nathalie Novi), Thierry Magnier, 2000
Travaille, travaillons, travaillez, Hachette jeunesse, 2001
Si même les arbres meurent, Thierry Magnier, 2000
Edouard et Julie : c’est pour la vie, Thierry Magnier, 1999
Quitte ta mère, Thierry Magnier, 2003
Une histoire de peau et autres nouvelles, Hachette jeunesse, 1997,
(épuisé)
Pourquoi pas moi ?, Hachette jeunesse, 1997 (épuisé) ; Le livre de
poche jeunesse, 2008
7
Pour Jeanne Benameur, « l’écriture naît d’une émotion forte, d’un
bouleversement intérieur suscité par une nouvelle, une rencontre,
un paysage, un geste. Cela peut me demander des années de rumination intérieure ». Elle en parle comme d’« un travail de tout l’être.
J’aime être travaillée par les textes. C’est une transformation, une
révolution intérieure : des choses se mettent en route, j’ouvre des
espaces en moi et cela change ma façon de voir le monde, rend
ma vie plus ample ». Chez elle, « l’écriture puise dans les couches
les plus profondes de l’être ». Sur les traces en particulier de Jean
Racine, Gustave Flaubert, Virginia Woolf, Carson Mac Cullers, Erri
De Luca et Charles Juliet. Comme eux, « j’écris parce que je ne sais
pas vivre autrement ».
Jeanne Benameur a beaucoup écrit pour les adolescents. Des
récits qui n’éludent pas les grands thèmes que sont la vie,
l’amour et la mort. Car « l’adolescence est un moment fondateur où on voit le monde avec un œil neuf, où on pressent sa
complexité, sa profondeur, mais aussi où on perçoit son étroitesse, où on entre dans la sexualité et donc dans la mort ».
É crire pour participer – « C’est un moment où on a besoin
de textes, car la littérature questionne tout cela». Plus narratifs, ces
récits font appel à l’imaginaire «qui est puissance de transformation ».
Aujourd’hui, Jeanne Benameur se consacre à l’écriture : « C’est
ma colonne vertébrale ». Sa façon d’être au monde : « Quand j’écris,
je participe ». Et si « écrire requiert ma liberté d’être humain et la
fonde », c’est dans la conscience que cet acte « n’accomplit rien » et
que celle qui tient la plume n’est « rien d’autre que cette femme qui
arpente et tente l’incertain ».
Geneviève de Simone-Cornet,
hebdomadaire familial chrétien Écho Magazine,
26 novembre 2009
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❦
Bibliographie
Romans
Laver les ombres, Actes Sud, 2008
Présent ?, Denoël 2006 ; Folio/Gallimard, 2008
Les Reliques, Denoël, 2005
Les Mains libres, Denoël, 2004 ; Folio/Gallimard, 2006
Ça t’apprendra à vivre, Le Seuil, 1998 ; Denoël, 2003 ; Babel/Actes
Sud Junior, 2007
Un jour mes princes sont venus, Denoël, 2001
Les Demeurées, Denoël 2001 ; Folio/Gallimard, 2002
La Peine perdue, P. Olivier, 1991 (épuisé)
Livres jeunesse
Le Ramadan de la parole, Actes Sud Junior, 2007
Une heure, une vie, Thierry Magnier, 2006
Prince de naissance, attentif de nature (illus. Kathy Couprie),
Thierry Magnier, 2004
Valentine remède, Thierry Magnier, 2002
La Boutique jaune, Thierry Magnier, 2002
Le Petit Être (illus. Nathalie Novi), Thierry Magnier, 2000
Travaille, travaillons, travaillez, Hachette jeunesse, 2001
Si même les arbres meurent, Thierry Magnier, 2000
Edouard et Julie : c’est pour la vie, Thierry Magnier, 1999
Quitte ta mère, Thierry Magnier, 2003
Une histoire de peau et autres nouvelles, Hachette jeunesse, 1997,
(épuisé)
Pourquoi pas moi ?, Hachette jeunesse, 1997 (épuisé) ; Le livre de
poche jeunesse, 2008
7
Adil, cœur de rebelle, Flammarion Castor Poche, 1994 – 1999
(épuisé)
Samira des Quatre-Routes, Flammarion Castor Poche, 1999
Essai
Et si la joie était là, La Martinière, 2001 (épuisé)
Textes poétiques
Une maison pour toujours, in Petites agonies urbaines (collectif),
Le Bec en l’air, 2006
Marthe et Marie (peinture Anne Slacik), L’Entretoise, 2000
Comme on respire, Thierry Magnier, 2003
Naissance de l’oubli, Guy Chambelland, 1989
Beaux-arts : Photographies
Passagers, la tour bleue d’Etouvie (photos de Gaël Clariana,
Mickaël Troivaux, Stephan Zaubitzer), Le Bec en l’air, 2007
8
❦
Jeanne Benameur,
les silences au plus juste
Les mots comme réserve secrète. Où s’accomplir. Prendre force.
« L’air qui entoure chaque mot, c’est le silence réfléchi de celui qui
écrit. J’ai confiance. Quand il y a un mur de livres dans une pièce
je me sens à l’abri. Plus sûre que derrière n’importe quelle porte
blindée. » Cet aveu, qui vaut acte de foi, Jeanne Benameur l’a livré
dans un texte bref qui tient autant de la confidence intime de l’écrivain au travail que du manifeste littéraire. Titré sans ambiguïté
Comme on respire.
Pour cette femme lumineuse (…) le livre est une porte ouverte
sur le monde. Puisque c’est par la lecture et l’écriture seules qu’elle
invente son chemin. Moins singulier que personnel, tant l’origine y
est au centre. Comme le creuset d’un monde où le mot ne fait que
donner des contours aux silences qui nous habitent.
« J’ai entendu la musique de mon père. J’ai entendu la musique
de ma mère. C’étaient musiques étrangères l’une à l’autre. Ils se
mêlent en moi. C’est cela être la fille de. Je suis leur fille./ Je marche./ Exilés tous les deux. Et juchés sur les mots, cherchant petite
place où vivre. J’avance./ J’habite mieux le vent que les maisons./
J’ai appris à habiter le souffle qui sortait de ma bouche./ Cela
s’appelle habiter une langue. C’est mon asile sûr. Celui où je me
sens vêtue. »
Une couverture en somme comme celle qui protège doublement le
lecteur des mots et les mots écrits de leur lecture. Gage d’un havre
unique, bruissant et inaudible : si l’on s’immerge dans le silence
des livres comme dans un puits, on y pénètre aussi comme dans
un jardin.
9
Adil, cœur de rebelle, Flammarion Castor Poche, 1994 – 1999
(épuisé)
Samira des Quatre-Routes, Flammarion Castor Poche, 1999
Essai
Et si la joie était là, La Martinière, 2001 (épuisé)
Textes poétiques
Une maison pour toujours, in Petites agonies urbaines (collectif),
Le Bec en l’air, 2006
Marthe et Marie (peinture Anne Slacik), L’Entretoise, 2000
Comme on respire, Thierry Magnier, 2003
Naissance de l’oubli, Guy Chambelland, 1989
Beaux-arts : Photographies
Passagers, la tour bleue d’Etouvie (photos de Gaël Clariana,
Mickaël Troivaux, Stephan Zaubitzer), Le Bec en l’air, 2007
8
❦
Jeanne Benameur,
les silences au plus juste
Les mots comme réserve secrète. Où s’accomplir. Prendre force.
« L’air qui entoure chaque mot, c’est le silence réfléchi de celui qui
écrit. J’ai confiance. Quand il y a un mur de livres dans une pièce
je me sens à l’abri. Plus sûre que derrière n’importe quelle porte
blindée. » Cet aveu, qui vaut acte de foi, Jeanne Benameur l’a livré
dans un texte bref qui tient autant de la confidence intime de l’écrivain au travail que du manifeste littéraire. Titré sans ambiguïté
Comme on respire.
Pour cette femme lumineuse (…) le livre est une porte ouverte
sur le monde. Puisque c’est par la lecture et l’écriture seules qu’elle
invente son chemin. Moins singulier que personnel, tant l’origine y
est au centre. Comme le creuset d’un monde où le mot ne fait que
donner des contours aux silences qui nous habitent.
« J’ai entendu la musique de mon père. J’ai entendu la musique
de ma mère. C’étaient musiques étrangères l’une à l’autre. Ils se
mêlent en moi. C’est cela être la fille de. Je suis leur fille./ Je marche./ Exilés tous les deux. Et juchés sur les mots, cherchant petite
place où vivre. J’avance./ J’habite mieux le vent que les maisons./
J’ai appris à habiter le souffle qui sortait de ma bouche./ Cela
s’appelle habiter une langue. C’est mon asile sûr. Celui où je me
sens vêtue. »
Une couverture en somme comme celle qui protège doublement le
lecteur des mots et les mots écrits de leur lecture. Gage d’un havre
unique, bruissant et inaudible : si l’on s’immerge dans le silence
des livres comme dans un puits, on y pénètre aussi comme dans
un jardin.
9
C’est ce qu’elle répète avec une inlassable foi au fil de ses rencontres avec les lecteurs, jeunes ou non (…) Jeanne Benameur
écoute, interroge, s’applique à apprendre des autres bien plus qu’à
promouvoir son travail. À des jeunes qui confessent ne pas avoir lu
ses textes, elle ne craint pas de répondre, heureuse de cette limite
aux prescriptions scolaires : « Votre liberté de lecteur est la garantie
de ma liberté d’écrivain. »
Communier sur l’émotion – Et pour être libre, Jeanne, elle
l’est. Sitôt qu’elle travaille. Nécessairement libre sinon comment
rencontrer hors du silence de la lecture ce public qu’elle ne ménage
pas, faisant reformuler une question trop floue, préciser le vocabulaire ; non pour rejouer au prof qu’elle fut naguère – le désir de
partage et de transmission prit cette voie avant que l’écriture n’annexe tout –, mais pour mettre la langue de l’échange au diapason
de celle de son écriture, stricte, nue, sans fioritures ni joliesses. Pour
plonger à l’essentiel. L’éthique.
Dans le fond, Jeanne semble ne s’intéresser qu’au silence. « Ce qui
m’importe, ce sont les blancs. » Donner forme au silence, en trouver
la juste traduction, c’est le seul moyen de communier sur l’émotion,
la source de toute son inspiration. Pour ne pas s’égarer, elle écrit
le matin. Tôt. « Au sortir du sommeil ». Quand aucune voix ne vous
trouble. À l’heure des commencements. « Le point d’infans, c’est là
que ça se passe. Ce temps archaïque d’avant le langage. » Avant le
mot, la vibration, l’onde. Ce qui littéralement émeut. Met en mouvement. Le mot chez Jeanne Benameur ne fait que fixer le contour de
ce qui vibre. Et jamais sans doute le chemin ne fut aussi direct entre
l’écrivain et son lecteur qu’avec Les Mains libres (Denoël), rencontre aiguë de deux innocences exclues dialoguant par la voix des gestes, la lecture des mots des autres, qui donnent à voir le monde par
son reflet. Quinze livres en douze ans. La plupart répertoriés en jeunesse. Parce qu’au plus près de ce fameux point mutique de l’infans ?
10
Jeanne a certes écrit très tôt. Et conservé ces états d’une écriture
première dont elle ne se sert pas mais qu’elle retrouve au hasard
des déménagements. Entre deux voyages, quand elle se résout à
suspendre la retraite nécessaire à la création, pour témoigner d’une
œuvre sans se mettre en scène – « on s’intéresse bien trop à la
personne » –, elle fait ses cartons, sur le point de quitter Montreuil
pour Saint-Valéry et la baie de Somme et, comme certaine de ses
héroïnes, s’étonne du discours tacite des reliques qui vous entourent : « Les objets disent. Leur fragilité ou leur robustesse, leur
couleur, leur usure, renseignent mieux que toutes les confidences.
Un déménagement est une mise à nu. » Nul risque qu’elle n’exhume
ces manuscrits, nouvelles, pièces de théâtre ou poèmes, ou ne les
réemploie aujourd’hui. C’est là comme un état primordial dont
la conscience suffit à lui rappeler sa voie. « C’est comme si j’avais
murmuré dans le noir. Une parole intime et cachée qu’on n’entend
pas. Qu’on ne relit pas. Dont le cheminement souterrain surprend
sans qu’on puisse le contrôler. »
Pour un mois encore, avant un nécessaire retrait, elle sillonne la
France, ses manuscrits sous le bras. Deux en cours, l’un en jeunesse
(Une heure, une vie), l’autre pour les « grands » (Les Reliques),
chacun sur un support différent, adapté à son projet. Grand cahier
ou simple carnet, mais toujours avec une plage libre équivalente à
celle du texte. Pour les ratures, les reprises, le travail d’atelier en
somme. Préciser, élaguer, sertir. Afin de livrer au plus net la juste
voix des silences.
Philippe-Jean Catinchi, Le Monde des livres, 13 mai 2004
11
C’est ce qu’elle répète avec une inlassable foi au fil de ses rencontres avec les lecteurs, jeunes ou non (…) Jeanne Benameur
écoute, interroge, s’applique à apprendre des autres bien plus qu’à
promouvoir son travail. À des jeunes qui confessent ne pas avoir lu
ses textes, elle ne craint pas de répondre, heureuse de cette limite
aux prescriptions scolaires : « Votre liberté de lecteur est la garantie
de ma liberté d’écrivain. »
Communier sur l’émotion – Et pour être libre, Jeanne, elle
l’est. Sitôt qu’elle travaille. Nécessairement libre sinon comment
rencontrer hors du silence de la lecture ce public qu’elle ne ménage
pas, faisant reformuler une question trop floue, préciser le vocabulaire ; non pour rejouer au prof qu’elle fut naguère – le désir de
partage et de transmission prit cette voie avant que l’écriture n’annexe tout –, mais pour mettre la langue de l’échange au diapason
de celle de son écriture, stricte, nue, sans fioritures ni joliesses. Pour
plonger à l’essentiel. L’éthique.
Dans le fond, Jeanne semble ne s’intéresser qu’au silence. « Ce qui
m’importe, ce sont les blancs. » Donner forme au silence, en trouver
la juste traduction, c’est le seul moyen de communier sur l’émotion,
la source de toute son inspiration. Pour ne pas s’égarer, elle écrit
le matin. Tôt. « Au sortir du sommeil ». Quand aucune voix ne vous
trouble. À l’heure des commencements. « Le point d’infans, c’est là
que ça se passe. Ce temps archaïque d’avant le langage. » Avant le
mot, la vibration, l’onde. Ce qui littéralement émeut. Met en mouvement. Le mot chez Jeanne Benameur ne fait que fixer le contour de
ce qui vibre. Et jamais sans doute le chemin ne fut aussi direct entre
l’écrivain et son lecteur qu’avec Les Mains libres (Denoël), rencontre aiguë de deux innocences exclues dialoguant par la voix des gestes, la lecture des mots des autres, qui donnent à voir le monde par
son reflet. Quinze livres en douze ans. La plupart répertoriés en jeunesse. Parce qu’au plus près de ce fameux point mutique de l’infans ?
10
Jeanne a certes écrit très tôt. Et conservé ces états d’une écriture
première dont elle ne se sert pas mais qu’elle retrouve au hasard
des déménagements. Entre deux voyages, quand elle se résout à
suspendre la retraite nécessaire à la création, pour témoigner d’une
œuvre sans se mettre en scène – « on s’intéresse bien trop à la
personne » –, elle fait ses cartons, sur le point de quitter Montreuil
pour Saint-Valéry et la baie de Somme et, comme certaine de ses
héroïnes, s’étonne du discours tacite des reliques qui vous entourent : « Les objets disent. Leur fragilité ou leur robustesse, leur
couleur, leur usure, renseignent mieux que toutes les confidences.
Un déménagement est une mise à nu. » Nul risque qu’elle n’exhume
ces manuscrits, nouvelles, pièces de théâtre ou poèmes, ou ne les
réemploie aujourd’hui. C’est là comme un état primordial dont
la conscience suffit à lui rappeler sa voie. « C’est comme si j’avais
murmuré dans le noir. Une parole intime et cachée qu’on n’entend
pas. Qu’on ne relit pas. Dont le cheminement souterrain surprend
sans qu’on puisse le contrôler. »
Pour un mois encore, avant un nécessaire retrait, elle sillonne la
France, ses manuscrits sous le bras. Deux en cours, l’un en jeunesse
(Une heure, une vie), l’autre pour les « grands » (Les Reliques),
chacun sur un support différent, adapté à son projet. Grand cahier
ou simple carnet, mais toujours avec une plage libre équivalente à
celle du texte. Pour les ratures, les reprises, le travail d’atelier en
somme. Préciser, élaguer, sertir. Afin de livrer au plus net la juste
voix des silences.
Philippe-Jean Catinchi, Le Monde des livres, 13 mai 2004
11
❦
❦
Extrait de
Laver les ombres
À propos de
Laver les ombres
Apprendre à trébucher.
Intégrer le faux pas.
En faire sa danse.
Apprendre la marche imparfaite de tous ceux qui ont dans le corps
un poids qui se déplace et les entraîne. Sans qu’ils y puissent rien.
Et danser avec ça.
Tous. Des semblables. Qui tentent de rétablir l’équilibre. À chaque
pas. Entravés, empêtrés dans les vies et les histoires qui s’agrippent,
déséquilibrent.
Elle fait partie maintenant de ceux qui articulent leurs pas comme
on parle après être resté trop longtemps silencieux. Avec peine.
La seule grâce possible.
Partageable.
© Actes Sud
12
La phrase est courte, l’écriture dépouillée,
le rythme vif. C’est de Lea qu’il est question.
Lea qui prépare le spectacle qu’elle donnera
pour les dix ans de sa Compagnie. Lea qui
aime, mais qu’une sorte d’intranquillité mine.
Comme une fêlure par où elle est parfois aspirée, et qui lui a fait quitter tous les hommes
qu’elle a aimés. Quelque chose comme une malédiction, une sorte
de vacillation de l’identité, un point d’affolement soudain qui rend
impossible l’existence de l’autre. C’est pour ça qu’elle danse, pour
« altérer le vide », enchaîner peut-être aussi des mouvements qui ne
seraient que les signes obscurs d’une langue secrète qui s’écrirait à
son insu ? Et voici qu’en pleine tempête, elle part voir sa mère, qui
a quelque chose à lui dire.
Cette nuit-là, elle va savoir, découvrir la vérité sur son origine.
On comprend alors pourquoi Lea ne porte ni gants ni bagues, « rien
entre l’air et les mains ». Pourquoi elle ne désire pas d’enfant et
ne sait jamais vraiment où être, pourquoi sa vie se déroule sous le
signe de l’entre-deux. Entre soi et soi, dit et non-dit, peur et révolte.
Entre le français du père et la langue interdite de la mère, l’italien
dont, enfant, elle n’avait pas les mots mais la vibration. « Dans tout
le corps. Et elle dansait. » Une mère devenue l’esclave de l’homme
pour lequel elle avait tout quitté, et qui trois ans durant, « dans une
grande maison faite pour le plaisir des hommes », vendit son corps.
Un homme aimé et haï, qu’elle épousera…
Laver les ombres, en photographie, c’est mettre en lumière un
13
❦
❦
Extrait de
Laver les ombres
À propos de
Laver les ombres
Apprendre à trébucher.
Intégrer le faux pas.
En faire sa danse.
Apprendre la marche imparfaite de tous ceux qui ont dans le corps
un poids qui se déplace et les entraîne. Sans qu’ils y puissent rien.
Et danser avec ça.
Tous. Des semblables. Qui tentent de rétablir l’équilibre. À chaque
pas. Entravés, empêtrés dans les vies et les histoires qui s’agrippent,
déséquilibrent.
Elle fait partie maintenant de ceux qui articulent leurs pas comme
on parle après être resté trop longtemps silencieux. Avec peine.
La seule grâce possible.
Partageable.
© Actes Sud
12
La phrase est courte, l’écriture dépouillée,
le rythme vif. C’est de Lea qu’il est question.
Lea qui prépare le spectacle qu’elle donnera
pour les dix ans de sa Compagnie. Lea qui
aime, mais qu’une sorte d’intranquillité mine.
Comme une fêlure par où elle est parfois aspirée, et qui lui a fait quitter tous les hommes
qu’elle a aimés. Quelque chose comme une malédiction, une sorte
de vacillation de l’identité, un point d’affolement soudain qui rend
impossible l’existence de l’autre. C’est pour ça qu’elle danse, pour
« altérer le vide », enchaîner peut-être aussi des mouvements qui ne
seraient que les signes obscurs d’une langue secrète qui s’écrirait à
son insu ? Et voici qu’en pleine tempête, elle part voir sa mère, qui
a quelque chose à lui dire.
Cette nuit-là, elle va savoir, découvrir la vérité sur son origine.
On comprend alors pourquoi Lea ne porte ni gants ni bagues, « rien
entre l’air et les mains ». Pourquoi elle ne désire pas d’enfant et
ne sait jamais vraiment où être, pourquoi sa vie se déroule sous le
signe de l’entre-deux. Entre soi et soi, dit et non-dit, peur et révolte.
Entre le français du père et la langue interdite de la mère, l’italien
dont, enfant, elle n’avait pas les mots mais la vibration. « Dans tout
le corps. Et elle dansait. » Une mère devenue l’esclave de l’homme
pour lequel elle avait tout quitté, et qui trois ans durant, « dans une
grande maison faite pour le plaisir des hommes », vendit son corps.
Un homme aimé et haï, qu’elle épousera…
Laver les ombres, en photographie, c’est mettre en lumière un
13
visage pour en faire le portrait. C’est ceux de Lea et de sa mère
que Jeanne Benameur éclaire ici. En portant une attention spéciale
aux gestes, à ces témoins silencieux de notre réalité intérieure. En
n’écrivant pas son texte, mais en le dansant, sur fond de tempête et
d’éléments déchaînés, et à l’ombre de l’angle aveugle des destinées,
de celles qui condamnent à « Apprendre à trébucher. Intégrer le
faux pas. En faire sa danse ».
Richard Blin, Le Matricule des anges, octobre 2008
14
❦
Danser la langue
L’œuvre de Jeanne Benameur explore et interroge sans relâche
la question de l’Autre. Chacun de ses récits met en scène des personnages déracinés, étrangers au monde qui les entoure, soit parce
qu’ils sont d’une autre langue, d’une autre culture, soit parce
qu’étrangers à eux-mêmes ils se sont d’eux-mêmes mis en marge.
Dans tous les cas, la seule solution possible au désenclavement est
l’altérité contenue dans la rencontre, par l’échange lent, apprivoisé
de la transmission et du langage.
Dans Laver les ombres, il ne s’agit plus d’une exclusion sociale.
La question de l’Autre est tournée cette fois vers l’intimité : Jeanne
Benameur explore l’étrangeté réciproque de l’âme et du corps à
travers deux femmes, mère et fille. La mère, Romilda, prostituée
pendant la guerre par l’homme qu’elle aime et dont elle aura Lea,
garde enfoui en elle le secret terrible du passé et de l’image monstrueuse du père. Lea, chorégraphe, tente par les métamorphoses
du corps dansé d’apprivoiser le silence dans lequel elle est tenue.
Le secret est un démon forclos qu’il faut charmer par les rites et
les cercles de la danse. Danser c’est enchaîner le vide, sculpter le
silence de la mère. Surtout, contre le corps vendu, horizontal de la
mère soumise, immobilisée aux assauts des hommes, Lea oppose
la maîtrise absolue du sien, la pureté des lignes toujours mobiles,
corps façonné par l’exigence de l’art, lui aussi offert aux regards
étrangers du public, mais toujours mobile, inaccessible, en ligne
de fuite.
Dans ce ballet du verbe celé et du corps dressé, comment donner
sa place au plaisir, à l’amour ? L’histoire va commencer comme
ça : le jour où l’amant, qui est peintre, place Lea en situation de
modèle. Pour la première fois immobilisée, nue, en posture d’objet,
15
visage pour en faire le portrait. C’est ceux de Lea et de sa mère
que Jeanne Benameur éclaire ici. En portant une attention spéciale
aux gestes, à ces témoins silencieux de notre réalité intérieure. En
n’écrivant pas son texte, mais en le dansant, sur fond de tempête et
d’éléments déchaînés, et à l’ombre de l’angle aveugle des destinées,
de celles qui condamnent à « Apprendre à trébucher. Intégrer le
faux pas. En faire sa danse ».
Richard Blin, Le Matricule des anges, octobre 2008
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❦
Danser la langue
L’œuvre de Jeanne Benameur explore et interroge sans relâche
la question de l’Autre. Chacun de ses récits met en scène des personnages déracinés, étrangers au monde qui les entoure, soit parce
qu’ils sont d’une autre langue, d’une autre culture, soit parce
qu’étrangers à eux-mêmes ils se sont d’eux-mêmes mis en marge.
Dans tous les cas, la seule solution possible au désenclavement est
l’altérité contenue dans la rencontre, par l’échange lent, apprivoisé
de la transmission et du langage.
Dans Laver les ombres, il ne s’agit plus d’une exclusion sociale.
La question de l’Autre est tournée cette fois vers l’intimité : Jeanne
Benameur explore l’étrangeté réciproque de l’âme et du corps à
travers deux femmes, mère et fille. La mère, Romilda, prostituée
pendant la guerre par l’homme qu’elle aime et dont elle aura Lea,
garde enfoui en elle le secret terrible du passé et de l’image monstrueuse du père. Lea, chorégraphe, tente par les métamorphoses
du corps dansé d’apprivoiser le silence dans lequel elle est tenue.
Le secret est un démon forclos qu’il faut charmer par les rites et
les cercles de la danse. Danser c’est enchaîner le vide, sculpter le
silence de la mère. Surtout, contre le corps vendu, horizontal de la
mère soumise, immobilisée aux assauts des hommes, Lea oppose
la maîtrise absolue du sien, la pureté des lignes toujours mobiles,
corps façonné par l’exigence de l’art, lui aussi offert aux regards
étrangers du public, mais toujours mobile, inaccessible, en ligne
de fuite.
Dans ce ballet du verbe celé et du corps dressé, comment donner
sa place au plaisir, à l’amour ? L’histoire va commencer comme
ça : le jour où l’amant, qui est peintre, place Lea en situation de
modèle. Pour la première fois immobilisée, nue, en posture d’objet,
15
expatriée des caresses de son amant et de la fuite du passé par la
danse, elle craque. Elle va trouver sa mère qui avoue alors l’imprononçable secret.
Au-delà des corps, du temps, Jeanne Benameur nous rappelle que
seul le langage peut délivrer. Le récit prend la forme d’une geste
épurée, s’écrit dans une langue fragmentaire qui puise sa poésie aux
sources de l’oralité. Le lecteur, comme les personnages, doit se faire
migrant, doit tisser des liens entre les tableaux évoqués, nourrir de
sa propre histoire les images ébauchées pour construire le sens et
toucher la profondeur implicite de l’écriture.
La langue de Jeanne Benameur est comme toujours magnifique,
entre le dit et le silence ; elle rend hommage une fois encore aux
mères, au berceau de l’identité et de la langue.
Amélie Rouher, Le Magazine des livres, déc. 2008 - jan. 2009
❦
À propos de
Les Demeurées
Voici un roman qui laisse pantois, bouleversé, ému. Coup de maître mais pas
coup d’essai puisque l’auteur a déjà derrière elle une œuvre d’écrivain où parmi
les romans pour la jeunesse il faut citer
le très beau Ça t’apprendra à vivre (Le
Seuil). Les Demeurées sont La Varienne
(on devine d’où vient son nom), idiote du
village qu’un ivrogne un jour enfanta, et Luce le fruit de cet amour
très éphémère. La mère et la fille n’échangent pas de parole dans
la petite maison où elles vivent recluses. Jusqu’au jour où Luce doit
aller à l’école. Le monde que leurs deux solitudes avaient fondé
menace alors de se fissurer devant l’insistance avec laquelle l’institutrice passionnée tente d’aider Luce à acquérir le langage. Face à
l’extérieur, jugé menaçant, la fille et la mère vont découvrir ce que
c’est que l’amour, un amour originel, instinctif, mystique. Il ne faut
pas en dire plus. Le roman avance dans une tétanie de silence, dur
et tendu vers ce mystère bouleversant que les mots livrent quand,
pour la première fois, on les comprend. Et vers ce mystère innommable qu’est l’amour quand il peut se passer du monde.
Thierry Guichard, Le Matricule des anges, janvier-mars 2000
16
17
expatriée des caresses de son amant et de la fuite du passé par la
danse, elle craque. Elle va trouver sa mère qui avoue alors l’imprononçable secret.
Au-delà des corps, du temps, Jeanne Benameur nous rappelle que
seul le langage peut délivrer. Le récit prend la forme d’une geste
épurée, s’écrit dans une langue fragmentaire qui puise sa poésie aux
sources de l’oralité. Le lecteur, comme les personnages, doit se faire
migrant, doit tisser des liens entre les tableaux évoqués, nourrir de
sa propre histoire les images ébauchées pour construire le sens et
toucher la profondeur implicite de l’écriture.
La langue de Jeanne Benameur est comme toujours magnifique,
entre le dit et le silence ; elle rend hommage une fois encore aux
mères, au berceau de l’identité et de la langue.
Amélie Rouher, Le Magazine des livres, déc. 2008 - jan. 2009
❦
À propos de
Les Demeurées
Voici un roman qui laisse pantois, bouleversé, ému. Coup de maître mais pas
coup d’essai puisque l’auteur a déjà derrière elle une œuvre d’écrivain où parmi
les romans pour la jeunesse il faut citer
le très beau Ça t’apprendra à vivre (Le
Seuil). Les Demeurées sont La Varienne
(on devine d’où vient son nom), idiote du
village qu’un ivrogne un jour enfanta, et Luce le fruit de cet amour
très éphémère. La mère et la fille n’échangent pas de parole dans
la petite maison où elles vivent recluses. Jusqu’au jour où Luce doit
aller à l’école. Le monde que leurs deux solitudes avaient fondé
menace alors de se fissurer devant l’insistance avec laquelle l’institutrice passionnée tente d’aider Luce à acquérir le langage. Face à
l’extérieur, jugé menaçant, la fille et la mère vont découvrir ce que
c’est que l’amour, un amour originel, instinctif, mystique. Il ne faut
pas en dire plus. Le roman avance dans une tétanie de silence, dur
et tendu vers ce mystère bouleversant que les mots livrent quand,
pour la première fois, on les comprend. Et vers ce mystère innommable qu’est l’amour quand il peut se passer du monde.
Thierry Guichard, Le Matricule des anges, janvier-mars 2000
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17
❦
Entretiens de Jean-Baptiste Coursaud
avec Jeanne Benameur
© DR
18
Apprendre. Avec les livres. Les livres ont été ma bouée de sauvetage. Ce qui m’agace beaucoup en ce moment, c’est quand on nous
dit : « Il faut que les enfants comprennent qu’un écrivain, ça peut
être vivant, aujourd’hui. » Pendant longtemps, j’ai répondu : « Oui,
sûrement, c’est important. » Puis après je me dis : « Mais attends,
qu’est-ce que ça veut dire ? » Moi quand j’étais petite, j’ai eu des
amis qui étaient des écrivains morts. Qu’est-ce qu’on en a à foutre
qu’ils soient morts ou vivants ?! Leurs écrits sont vivants, c’est ça
qui importe ! Qu’est-ce que c’est cette espèce d’enfermement dans
le corps présent ? Mon écriture n’est pas liée à mon être vivant !
J’espère bien, et c’est une vraie espérance, que les gens continueront à me lire quand je serai morte, mais mes textes sont toujours
vivants ! Quand je lis Cummings, il est vivant pour moi ! C’est
le principe de la télé-réalité : il faut être là ; voilà ton livre ici, et
toi, tu dois être là. C’est ridicule ! Un texte, c’est vivant ! Je me
suis rendu compte que, petite, j’ai rencontré des gens très vivants.
Racine a été quelqu’un d’immensément vivant, qui m’a permis,
moi, de vivre énormément de choses. Ai-je besoin, avais-je besoin
de rencontrer Racine ? C’est le texte qui est vivant. Et la littérature,
c’est le texte.
19
❦
Entretiens de Jean-Baptiste Coursaud
avec Jeanne Benameur
© DR
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Apprendre. Avec les livres. Les livres ont été ma bouée de sauvetage. Ce qui m’agace beaucoup en ce moment, c’est quand on nous
dit : « Il faut que les enfants comprennent qu’un écrivain, ça peut
être vivant, aujourd’hui. » Pendant longtemps, j’ai répondu : « Oui,
sûrement, c’est important. » Puis après je me dis : « Mais attends,
qu’est-ce que ça veut dire ? » Moi quand j’étais petite, j’ai eu des
amis qui étaient des écrivains morts. Qu’est-ce qu’on en a à foutre
qu’ils soient morts ou vivants ?! Leurs écrits sont vivants, c’est ça
qui importe ! Qu’est-ce que c’est cette espèce d’enfermement dans
le corps présent ? Mon écriture n’est pas liée à mon être vivant !
J’espère bien, et c’est une vraie espérance, que les gens continueront à me lire quand je serai morte, mais mes textes sont toujours
vivants ! Quand je lis Cummings, il est vivant pour moi ! C’est
le principe de la télé-réalité : il faut être là ; voilà ton livre ici, et
toi, tu dois être là. C’est ridicule ! Un texte, c’est vivant ! Je me
suis rendu compte que, petite, j’ai rencontré des gens très vivants.
Racine a été quelqu’un d’immensément vivant, qui m’a permis,
moi, de vivre énormément de choses. Ai-je besoin, avais-je besoin
de rencontrer Racine ? C’est le texte qui est vivant. Et la littérature,
c’est le texte.
19
❦
Extrait (suite)
Écoute : « Les mondes meilleurs naissent, ça ne se fabrique pas.
Et leur anniversaire est celui des individus. Prions chaque jour
pour les individus ; jamais pour les mondes. “ Qui veut le bien des
autres ”, s’écrie le poète et peintre William Blake, “ doit les traiter
comme des cas particuliers. ” Et sans doute nombre d’entre vous ont
souvent entendu ce vers empli de compassion, mais je parierais que
vous n’êtes pas trois à pouvoir citer le vers qui le suit : “ Le bien
général est le prétexte des gredins, des hypocrites et des flatteurs. ” »
(Cummings). Le bien général, ce sont les foules. C’est… Comment
dire ? (Silence.) J’ai envie vraiment de dire : il y a eu un temps
où, chez moi, s’est manifestée l’envie d’être « en foule ». C’était en
1969, 1970. Il y avait cette sensation de vouloir un monde meilleur
tous ensemble, au même moment : c’est la foule. Je me suis éloignée de cette foule parce que je me suis rendu compte que j’avais
immensément besoin de solitude, et parce que je pense vraiment
que la seule crise intéressante pour moi est intérieure, c’est la seule
qui mène à un changement profond. il y a, pour moi encore une
fois, une révolution intérieure profonde, permanente et totale avec
l’écriture. Avec l’écriture et la lecture. Voilà pourquoi je suis quelqu’un qui écrit, une femme qui écrit, et que je me déplace pour ça,
pour envoyer ce souffle de la lecture, parce que je crois qu’on n’est
pas obligé d’écrire quand on lit. Quand je lis, cette révolution a lieu
parce qu’un autre auteur la génère en moi. C’est la seule chose qui
peut me faire me déplacer vers des groupes. Je crois profondément
que la lecture et l’écriture sont les formes les plus justes pour un
être humain : parce qu’on est seul avec elles et qu’en même temps
on est avec l’autre, parce que quand on lit on est avec l’autre. Qu’il
soit vivant ou mort, on n’en a rien à foutre ! On est dans quelque
20
chose d’essentiel, qui peut permettre de changer, de transformer ;
ça aide à transformer la vie, à la rendre transformable. Il n’y a rien
de pire que des vies qui se figent. Le sang de Saint-Janvier, c’est
tout ça. Pour moi, l’écriture et la lecture, c’est ça : une révolution
permanente. C’est la seule, la seule à laquelle je crois. Le reste,
je n’y crois pas. Je peux voter, je peux faire tout ce qu’on veut
politiquement, mais je ne crois pas une seconde que de profonds
changements peuvent venir de là. Je crois simplement qu’on peut
éviter des choses épouvantables, et dans ce cas ne nous en privons
pas. Mais je ne crois pas que les révolutions profondes, intérieures,
se fassent à ce niveau, socialement ; ce n’est pas le but. Elles permettent tout au mieux de réguler les rapports humains, sociaux. Ce
qui m’intéresse nettement plus, c’est de permettre à chaque être
humain de vivre paisiblement. Parce que la vie est intéressante
seulement si on y va vraiment.
© Éditions Thierry Magnier
21
❦
Extrait (suite)
Écoute : « Les mondes meilleurs naissent, ça ne se fabrique pas.
Et leur anniversaire est celui des individus. Prions chaque jour
pour les individus ; jamais pour les mondes. “ Qui veut le bien des
autres ”, s’écrie le poète et peintre William Blake, “ doit les traiter
comme des cas particuliers. ” Et sans doute nombre d’entre vous ont
souvent entendu ce vers empli de compassion, mais je parierais que
vous n’êtes pas trois à pouvoir citer le vers qui le suit : “ Le bien
général est le prétexte des gredins, des hypocrites et des flatteurs. ” »
(Cummings). Le bien général, ce sont les foules. C’est… Comment
dire ? (Silence.) J’ai envie vraiment de dire : il y a eu un temps
où, chez moi, s’est manifestée l’envie d’être « en foule ». C’était en
1969, 1970. Il y avait cette sensation de vouloir un monde meilleur
tous ensemble, au même moment : c’est la foule. Je me suis éloignée de cette foule parce que je me suis rendu compte que j’avais
immensément besoin de solitude, et parce que je pense vraiment
que la seule crise intéressante pour moi est intérieure, c’est la seule
qui mène à un changement profond. il y a, pour moi encore une
fois, une révolution intérieure profonde, permanente et totale avec
l’écriture. Avec l’écriture et la lecture. Voilà pourquoi je suis quelqu’un qui écrit, une femme qui écrit, et que je me déplace pour ça,
pour envoyer ce souffle de la lecture, parce que je crois qu’on n’est
pas obligé d’écrire quand on lit. Quand je lis, cette révolution a lieu
parce qu’un autre auteur la génère en moi. C’est la seule chose qui
peut me faire me déplacer vers des groupes. Je crois profondément
que la lecture et l’écriture sont les formes les plus justes pour un
être humain : parce qu’on est seul avec elles et qu’en même temps
on est avec l’autre, parce que quand on lit on est avec l’autre. Qu’il
soit vivant ou mort, on n’en a rien à foutre ! On est dans quelque
20
chose d’essentiel, qui peut permettre de changer, de transformer ;
ça aide à transformer la vie, à la rendre transformable. Il n’y a rien
de pire que des vies qui se figent. Le sang de Saint-Janvier, c’est
tout ça. Pour moi, l’écriture et la lecture, c’est ça : une révolution
permanente. C’est la seule, la seule à laquelle je crois. Le reste,
je n’y crois pas. Je peux voter, je peux faire tout ce qu’on veut
politiquement, mais je ne crois pas une seconde que de profonds
changements peuvent venir de là. Je crois simplement qu’on peut
éviter des choses épouvantables, et dans ce cas ne nous en privons
pas. Mais je ne crois pas que les révolutions profondes, intérieures,
se fassent à ce niveau, socialement ; ce n’est pas le but. Elles permettent tout au mieux de réguler les rapports humains, sociaux. Ce
qui m’intéresse nettement plus, c’est de permettre à chaque être
humain de vivre paisiblement. Parce que la vie est intéressante
seulement si on y va vraiment.
© Éditions Thierry Magnier
21
SOMMAIRE
❦
Remerciements à
Écho magazine,
Le Magazine des livres,
Le Matricule des anges,
Le Monde des livres,
éd. Actes Sud,
éd. Thierry Magnier.
22
Jeanne Benameur – 23e Prix du livre en Poitou-Charentes
1
Écrire est ma seule façon d’accepter de vivre
3
Bibliographie
7
Jeanne Benameur, les silences au plus juste
9
Extrait de Laver les ombres
12
À propos de Laver les ombres
13
Danser la langue
15
À propos de Les Demeurées
17
Entretiens de J.-B. Coursaud avec J. Benameur (extraits)
19
Remerciements
22
23
SOMMAIRE
❦
Remerciements à
Écho magazine,
Le Magazine des livres,
Le Matricule des anges,
Le Monde des livres,
éd. Actes Sud,
éd. Thierry Magnier.
22
Jeanne Benameur – 23e Prix du livre en Poitou-Charentes
1
Écrire est ma seule façon d’accepter de vivre
3
Bibliographie
7
Jeanne Benameur, les silences au plus juste
9
Extrait de Laver les ombres
12
À propos de Laver les ombres
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Danser la langue
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À propos de Les Demeurées
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Entretiens de J.-B. Coursaud avec J. Benameur (extraits)
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Remerciements
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Le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes
En 2008, l’Office du livre et l’agence ABCD ont fusionné pour donner naissance
au Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes qui reçoit le double
soutien du Conseil régional et de la DRAC (ministère de la Culture et de la
Communication), et des appuis complémentaires d’autres collectivités territoriales (villes, départements) et de partenaires privés (PGA, … ).
Dans cette nouvelle phase de développement, l’association continue de définir
ses missions en concertation avec la Région et l’État, afin de contribuer à mettre
en œuvre les politiques publiques, dans les domaines de l’économie du livre,
de la vie littéraire, de la lecture publique et du patrimoine.
Le Centre du livre et de la lecture organise chaque année en octobre, en étroite
collaboration avec de nombreux partenaires de la chaîne du livre, le festival
régional itinérant Passeurs de monde(s).
Il attribue annuellement à un auteur lié à la région le Prix du livre en PoitouCharentes (grâce au mécénat de Pierre Guénant) et, depuis 2005, il décerne
également le Prix de l’édition en Poitou-Charentes.
Enfin, il organise en alternance dans les lycées de la région (avec le soutien
du Conseil régional) les concours Jeunes lecteurs critiques et Fabriquez un
poème, pour sensibiliser les jeunes à la lecture des littératures contemporaines.
Afin de mieux informer sur ses activités et sur la vie des livres en PoitouCharentes, le Centre du livre propose plusieurs outils de communication aux
professionnels et au grand public :
• son site internet www.livre-poitoucharentes.org : centre de ressources
offrant des annuaires (auteurs, libraires, éditeurs, manifestations...), des
actualités, l’agenda des rendez-vous autour du livre en région, des documents
audiovisuels, des formations, etc.
• sa lettre électronique mensuelle : prioritairement destinée aux professionnels et accessible sur simple inscription sur le site.
• la Minute de poésie hebdomadaire : pour recevoir, chaque semaine à son
adresse électronique, le poème d’un écrivain lié au Poitou-Charentes ou publié
par un éditeur de la région. Inscription en ligne sur le site.
Président : Olivier Cazenave
Directrice : Sylviane Sambor
Assistantes : Nathalie Bâcle, Solène Gantheil, Virginie Gomez, Emmanuelle
Lavoix, Sylvia Loiseau/Muriel Langlois et Régine Perrin
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23e Prix du livre en Poitou-Charentes
Jeanne Benameur
Ce livret hors commerce est offert à l’occasion de la remise du
23e Prix du livre en Poitou-Charentes à Jeanne Benameur, pour
son roman Laver les ombres (éditions Actes Sud).
Le Prix du livre en Poitou-Charentes bénéficie, pour la treizième
année consécutive, du mécénat de PGA et de son président Pierre
Guénant.
Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes
34 place Charles VII – BP 80424 – 86011 Poitiers Cedex
Tél. : 05 49 88 33 60 – Fax : 05 49 88 80 04
[email protected] – www.livre-poitoucharentes.org
© DR
Le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes est principalement financé par le Conseil régional et la Direction régionale
des affaires culturelles de Poitou-Charentes.
Laver les ombres
( éditions Actes Sud )
Centre du livre et de la lecture
en Poitou-Charentes