Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, sexuelle, civile en
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Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, sexuelle, civile en
Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, sexuelle, civile en question. Compte rendu de la journée de réflexion organisée par le SDJ de Bruxelles le 1er mars 2016 Caroline De Man «Cela fait plusieurs années que la question de la majorité se retrouve sur le devant de la scène politique et médiatique, mais également au centre de préoccupations d’un grand nombre de travailleurs sociaux qui accompagnent des jeunes. Régulièrement, nous sommes témoins de débats dans le cadre de propositions de loi, de réglementations prônant l’abaissement de l’âge de la majorité : cet abaissement peut concerner parfois la majorité pénale, parfois la majorité civile et même parfois la majorité sexuelle. Nous constatons toutefois que l’âge d’entrée dans la majorité est variable selon les domaines de droits concernés pouvant entraîner des incohérences, voire des incompréhensions pour tout un chacun (1). Le Service droit des jeunes de Bruxelles, en tant que service d’aide en milieu ouvert spécialisé dans l’aide juridique, s’adressant aux jeunes et à leurs familles, s’est vu à de nombreuses reprises confronté à des questions relatives à la majorité dans le cadre de ses missions. Les questions liées à la majorité sous-tendent des enjeux qui ne sont pas sans conséquence pour les jeunes en termes de droits, mais aussi au niveau social, psychologique ou philosophique. Souhaitant dépasser ce débat binaire entre POUR ou CONTRE l’abaissement de la majorité, et pour enrichir sa réflexion, le Service droit des jeunes a souhaité consacrer une journée spécifique autour de cette thématique en y intégrant toutes les dimensions de la notion de majorité, relayées par des chercheurs de différents secteurs, des professionnels de terrain, des jeunes et des acteurs politiques». Christelle Trifaux, directrice du Service droit des jeunes de Bruxelles Le 1er mars 2016, le Service droit des jeunes (SDJ) de Bruxelles a organisé une journée d’étude intitulée «Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, civile et sexuelle en question». Ce dernier était désireux de réunir différents intervenants pour débattre de manière pluridisciplinaire de la notion de la majorité, des enjeux qui en découlent et des controverses qui traversent cet état, ce statut, sa nature et ses effets. L’abaissement des seuils d’âge des différentes majorités reste à ce jour une question vaste et complexe en raison de l’évolution de la société et des perspectives d’analyse qui se renouvellent. Le SDJ invite à la plus grande vigilance dans les éventuelles décisions à prendre en la matière, soulignant la dimension éminemment politique de ce débat. À ce titre, tant l’orientation que les investissements des po- litiques publiques affectant ce passage de mineur à majeur sont à considérer comme des indicateurs du système sociopolitique ambiant. Les discussions ont largement dépassé l’axe binaire et stérile du «pour» ou «contre» l’abaissement de la majorité et ont été nourries d’informations ciblées et d’analyses sociologiques, psychologiques et sociojuridiques livrées par les nombreux intervenants du jour. Pour entamer la journée, le sociologue Jacques Moriau (2) a présenté la construction sociale à laquelle répond la notion (1) J. BLAIRON, I. DUBOIS, J. FASTRÈS, J. PETIT et L. WATILLON, Intermag.be, Analyses et études RTA asbl, janvier 2016, URL : www.intermag.be/547 (2) Jacques Moriau est assistant, chercheur au centre de recherche METICES de l’Université libre de Bruxelles et chargé de recherche au Conseil bruxellois de coordination sociopolitique. JDJ n° 359 - novembre 2016 3 de majorité et la façon dont elle évolue dans le temps dans nos socitétés. Jancy Nounckele (3), juriste, a basé son intervention sur les droits et devoirs qui distinguent la minorité de la majorité. D’un point de vue psychopédagogique, Bruno Humbeeck (4) introduit la majorité dans sa dimension subjective en évoquant le passage au monde des adultes au cours duquel le jeune et son entourage doivent dépasser une série d’épreuves. Pour certains adolescents, la majorité est certainement à une étape redoutable et c’est ce qu’Hugo Lantair (5) et Jacqueline Maun (6)ont rapporté sur la base de leur expérience de terraine et d’une analyse de l’expérience de jeunes. Des interventions sur la majorité sexuelle, civile, électorale et pénale ont structuré la seconde partie de la journée. Isabelle Wattier (7), juriste, a souligné la tension entre l’ordre social que veut protéger la norme pénale de majorité sexuelle et les pratiques sociales qui évoluent indépendamment du droit. Bruno Vanobbergen, Kinderrechtencommissaris, a présenté la position que défend son service, et les pistes d’action qu’il promeut pour encourager auprès des jeunes une expérience positive de la sexualité. Le politologue Régis Dandoy (8) a, quant à lui, exploré la question de la participation des jeunes en politique et a questionné l’incidence d’un abaissement de l’âge de la majorité électorale en Belgique au regard d’expériences à l’étranger. Hicham Nasi (9) a rapporté une expérience concrète de participation des jeunes en politique en présentant le conseil des jeunes de Molenbeek dont il assure la coordination. La question de la majorité pénale a été approfondie par le professeur de droit Thierry Moreau (10), qui a dégagé différents schémas de dispositifs de prise en charge des jeunes en conflit avec la loi susceptibles de répondre aux recommandations formulées en droit international. La juriste Delphine Paci (11) a, pour sa part, traité du dessaisissement, ce dispositif qui divise les praticiens du droit sur sa pertinence, qui révèle les enjeux de la prémajorité pénale et qui trahit les limites de la protection de la jeunesse. À l’issue de ces présentations, un débat politique a pris forme avec la participation de Georges-Louis Bouchez, échevin de (3) Jancy Nounckele est assistante en droit à l’Université de Namur et avocate au barreau de Bruxelles (4) Bruno Humbeeck est psychopédagogue et chercheur au département Science de la Famille de l’Université de Mons. (5) Hugo Lantair est coordinateur chez Sos Jeunes Quartier Libre AMO (6) Jacqueline Maun est directrice de l’asbl Abaka (7) Isabelle Wattier est chercheuse au Centre de recherches Interdisciplinaires sur la Déviance et la pénalité de l’ l’Université Catholique de Louvain (UCL). (8) Régis Dandoy est politologue et chercheur au centre de Science Politique et de Politique Comparée (CESPOL) de l’UCL. (9) Hicham Nasi est coordinateur du conseil des jeunes de Molenbeek. (10) Thierry Moreau est professeur à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCL, directeur du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (CIDE) et avocat au barreau du Brabant wallon. (11) Delphine Paci est avocate au barreau de Bruxelles spécialisée en matière de jeunesse. 4 JDJ n° 359 - novembre 2016 la Ville de Mons, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles (MR), Karine Lallieux, échevine à Bruxelles et députée fédérale (PS) et André du Bus, député bruxellois et à la Communauté française (CDH). Les conclusions de cette riche journée ont été confiées à Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant. MAJORITÉ CIVILE Une responsabilité sociale difficile d’accès La notion de majorité a dans un premier temps été introduite dans une perspective sociologique par Jacques Moriau en étant définie comme un repère qui n’a rien de naturel, mais qui est construit socialement. Le droit est un élément, parmi d’autres, qui participent de ce montage institutionnel. En tant que repère légal, la majorité sert à séparer des âges particuliers de la vie et à régler la responsabilité, notion devenue centrale dans notre système social (que ce soit relativement au travail, aux relations interpersonnelles ou encore en matière juridique). Dans ce sens, elle organise les ordres de succession, la transmission des privilèges et du pouvoir entre les différentes couches d’âge. En réglant l’accès aux attributs de l’âge adulte, c’est-à-dire ses droits et devoirs propres, la majorité est un enjeu et un seuil fondamental duquel découle des capacités, mais également des responsabilités juridiques, administratives, politiques et citoyennes (être soumis au droit pénal, accéder à un emploi, pouvoir louer ou acheter un bien, sortir de l’obligation scolaire...) En recourant au concept de la majorité, il est permis de penser des groupes d’âge tels que «la jeunesse» et «l’âge adulte», précise l’intervenant. Penser à partir de ces binômes présente l’intérêt de mettre en évidence la rupture qui existe à l’heure actuelle entre le seuil de l’âge adulte et l’accession réelle à cet âge adulte. Les chiffres dramatiques du chômage traduisent, indique le sociologue, la disparition du couplage entre l’âge de la majorité et les attributs de l’âge adulte tel que l’accès au travail. Le départ du domicile des parents et l’installation en ménage sont ces autres épreuves de transition qui ne sont plus réglées à l’âge de la majorité et qui témoignent d’un «allongement de la jeunesse» (Olivier Galland), autrement dit d’un allongement de la dépendance des jeunes aux ressources de leurs parents. Il précise encore que la jeunesse est une notion hétérogène et que les jeunesses populaires subissent davantage les conséquences de cette transition perturbée entre la minorité et la majorité. Plus largement, souligne Jacques Moriau, ce phénomène de hiatus conséquent de cette juxtaposition du repère fixe de l’âge de la majorité et d’un passage extensible à l’âge adulte, fait émerger de nouvelles catégories sociales, dont celle des «jeunes adultes». Dorénavant, et impensable il y a seulement quelques décennies, des politiques publiques se sont créées à l’attention particulière de ces nouveaux groupes cibles (des missions locales pour l’emploi pour une aide à l’emploi jusqu’à 35 ans ou encore l’apparition du dispositif de «stage d’attente»). Toutefois, dans le même temps, indique l’intervenant, une responsabilité individuelle de se gérer soimême dans cette transition est assignée à ces jeunes adultes. Jacques Moriau conclut en soulevant une question d’ordre socioéconomique qui est la nécessité de repenser la régulation de l’accès et de la distribution des ressources entre les individus d’une société. À titre d’exemple, il évoque les travaux de l’économiste britannique Anthony Barnes Atkinson qui formule des propositions concrètes pour une mise en œuvre de l’égalité des chances à travers notamment le dispositif de «l’héritage social» ou de «capital partagé» assurant à toute personne de dix-huit ans un capital lui permettant d’accéder aux attributs de l’âge adulte. Un passage frappé d’ambiguïtés et d’enjeux juridiques Jancy Nounckele soulève que le passage à la majorité est frappé de plus d’une ambiguïité. D’une part, le mineur présente à la fois les mêmes caractéristiques humaines que le majeur tout en présentant des différences manifestes sur les plans physiques et psychologiques. D’autre part, l‘enfant, dès sa naissance, est titulaire de droits subjectifs tout en étant limité par l’incapacité d’exercice reconnue au statut de mineur. L’intervenante retient trois enjeux relatifs au passage à la majorité se caractérisant donc par une reconnaissance de la capacité d’exercer ses droits et de la responsabilité des actes posés. Le premier enjeu est l’émergence du concept de majorité civile en Belgique qui, depuis ses prémisses extraites du droit romain à son acception actuelle, a connu différents seuils d’âge avant de s’arrêter à celui de 18 ans en 1990. Par cet abaissement de l’âge de la majorité civile précédemment fixé à 21 ans, le législateur entendait adapter les normes juridiques à une nouvelle réalité sociale qui conférait davantage d’indépendance et une émancipation aux jeunes de 18 ans, par ailleurs, également dégagés de l’obligation scolaire. Le second enjeu est la relativité de l’incapacité du mineur qui dans les faits peut exercer certains droits ou donner un avis sur sa situation personnelle dès ses 12 ans, participer aux décisions d’ordre médicales qui le concernent, ou encore signer certains types de contrats avec l’autorisation de ses parents, ceci au regard du discernement dont fait preuve l’enfant. Le troisième enjeu est le statut intermédiaire de prémajorité existant déjà, notamment, en Autriche, faisant l’objet de discussions en France, et qui consiste en une adaptation aux droits des adolescents. Jancy Nounckele partage encore trois réflexions. Tout d’abord, la difficulté de maintenir l’équilibre entre la protection des parents et l’autonomie des enfants, compte tenu de la nécessité de faire évoluer les modalités d’exercice de l’autorité parentale par son ajustement au renforcement des droits de l’enfant. Ensuite, le contraste entre l’autonomie intellectuelle des jeunes qui se développe rapidement tandis que leur autonomie financière et économique est plus tardive. Enfin, elle revient sur l’absence de distinction entre les stades de l’enfance dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et les limites propres aux seuils d’âge qui ne pourront tenir compte de la maturité de chaque enfant ni de son évolution singulière. En guise de conclusion, Jancy Nounckele pose alors la question suivante : faut-il abandonner la notion de discernement au profit d’un système de tranches d’âge entre le statut de minorité et de majorité ? Un «sentiment d’être» mis à l’épreuve Il est également possible de considérer la majorité dans sa dimension subjective : le sentiment d’être. Dans cette perspective psychologique, la majorité s’appréhende suivant la manière dont un individu se façonne une identité. C’est sous cet angle que Bruno Humbeeck décrit le passage à la majorité comme un temps de l’épreuve. Celui-ci consiste en une construction mentale, sociale, politique et culturellement marquée à mettre en lien avec un âge et un groupe aux frontières de plus en plus molles : l’adolescence et les jeunes adultes. En effet, souligne l’intervenant, il s’agit d’une période ou d’un âge déritualisé, en opposition à un passage à l’âge adulte tel qu’il peut être observé dans une société primitive quand il prend la forme d’une journée contenant des marqueurs reconnaissables et connus de tous. Au cours de ce temps de l’épreuve, l’adolescent accède à une identité particulière au rythme qui lui est propre pour franchir, sous le regard des adultes qui l’entourent, un seuil somme toute inquiétant : il se fait «héros» de sa propre «épopée», expose le psychopédagogue. L’adolescent met en place des manières d’agir et de non-agir pour passer d’une étape à l’autre, d’un âge à l’autre. Il est d’autant plus difficile de se construire actuellement, poursuit-il, que l’accès ou les trajectoires pour devenir adulte sont plus confuses, floues. De ce fait, ce processus est anxiogène suscitant chez l’adolescent une tendance à freiner ou à résister à cette transition. L’adolescent doit nécessairement prendre son temps pour devenir quelqu’un, insiste Bruno Humbeeck. L’intervenant observe qu’il est demandé aux adolescents d’être des adultes, d’avoir une identité qui signifie quelque JDJ n° 359 - novembre 2016 5 chose aux yeux des autres, c’est-à-dire être dans le même temps pareil qu’un certain nombre et singulier, cela est très difficile, dit-il. À titre d’exemple, il décrit le fait d’être un fan du groupe de métal Marilyn Manson qui contient ces deux tensions : se distinguer en étant fan d’une idole controversée tout en rejoignant dans le même temps l’ensemble des autres fans. Exister et se construire une identité est donc un processus complexe qui peut aussi amener l’adolescent à recourir à une conduite à risque pour devenir signifiant (comme le laisse penser les jeunes «djihadistes» et autres tueurs de masse dans les collèges). Bruno Humbeeck plaide pour la réhabilitation des émotions, car il observe que face aux adolescents confrontés au temps de l’épreuve, la tendance des adultes est de mettre l’accent sur le mécanisme identitaire et sur la crispation que peut susciter cette dernière (que ce soit à travers la religion ou la radicalisation identitaire). Cette confrontation peut donner lieu à une expérience de l’humiliation, dit-il, faisant du terrain sur lequel l’adolescent se développe un fond mouvant et peu soutenant suscitant le désir de s’en extraire (par un «geste-épopée»). Considérant la pression identitaire qui pèse sur l’adolescent, indépendamment de la pression juridique, Bruno Humbeek invite à laisser les adolescents se construire lentement, à leur permettre de vivre des émotions et d’être reconnus dans ces émotions. Or la tendance est de redouter les émotions toutes-puissantes chez l’enfant et les positions radicales chez l’adolescent (alors que ce faisant, en émettant une pensée qui le dissocie des adultes et à la fois qui le rapproche d’une communauté, il répond en quelques sorte aux attentes). Au sein d’un groupe d’adolescents, l’intervenant invite à recourir à la discussion sur la base de l’amorce «que ressentez-vous ?», car les émotions ont alors l’occasion d’être accueillies sans être contestées et cela soutient l’apparition de l’estime de soi, c’est-à-dire un socle stable pour lutter contre l’humiliation, explique-t-il. Ceci en opposition à la question «que pensez-vous de ?» qui, selon lui, fait apparaître les crispations identitaires, n’encourage pas l’adolescent à oser agir ni à être en mesure de relativiser l’échec. Bruno Humbeeck conclut en soulignant que le jeu de la majorité civile doit aussi se faire derrière la majorité subjective. Un passage redouté et vécu comme une trahison Hugo Lantair, coordinateur de Sos Jeunes Quartier Libre AMO et Jacqueline Maun, directrice de l’asbl Abaka rendent compte d’une recherche menée en 2011-2012 «Majorité, un passage redouté» sur la base de ce que les jeunes qu’ils ont rencontrés déclaraient dans le cadre de leur passage de la minorité à la majorité. Un des premiers constats de cette recherche est le changement de la population concernée 6 JDJ n° 359 - novembre 2016 entre 2004 et 2013. Les résultats montrent une nette diminution du nombre de jeunes vivants dans leur famille et une augmentation de ceux vivant ailleurs. À titre d’indication, le nombre de jeunes relevant de l’aide à la jeunesse a doublé; six fois plus sont en autonomie sans pour autant bénéficier nécessairement d’un accompagnement; 14 % de jeunes vivent dans la débrouille chez des amis, dans la rue, dans des squats ou connaissent d’autres situations instables. Face à ce constat de désaffiliation sociale résultante des ruptures que les jeunes additionnent et qui les mettent à distance de leur famille, d’un réseau social, voire des structures de protection, les intervenants posent la question suivante : pourquoi les services d’accueil de crise censés travailler en amont sont-il sollicités en aval ? Cette situation est d’autant plus inquiétante, soulignent Hugo Lantair et Jacqueline Maun, quand on sait qu’il est difficile de relancer une ouverture et une proposition d’accompagnement si l’aide à la jeunesse a mis fin à son suivi. La recherche met également en évidence que pour les jeunes «le passage à la majorité n’est pas synonyme d’autonomie sociale, économique et affective», ils vivent cette majorité comme une trahison, rapportent les intervenants. Ce que les jeunes disent de cette période associée au passage à la majorité reflète pour la plupart la difficulté, le malaise, les déchirures qu’ils ont rencontrées à cette occasion ou à partir de celle-ci. Selon Hugo Lantair et Jacqueline Maun, ce sentiment de solitude et de désillusion est révélateur, dans le chef des jeunes, d’une attente de marqueurs du passage à l’âge adulte qui ne viennent pas. Il ressort encore de leur analyse qu’il est possible de schématiser trois scénarios de ce à quoi les jeunes sont confrontés en devenant majeur. Le premier scénario revient à quitter le milieu familial sans être prêt. Dans ces conditions, ce moment devient un temps d’insécurité. Le second scénario vise les situations au cours desquelles la majorité va renforcer l’errance dont le jeune fait déjà l’expérience alors qu’il est confronté à la fragmentation des interventions institutionnelles. Le troisième scénario renvoie à l’ensemble des jeunes pour qui la majorité va être davantage positive et mettra un frein à l’errance. Enfin, en termes de recommandations, les intervenants misent sur deux grands axes. Premièrement, le logement et la nécessité d’en faciliter l’accès pour les jeunes adultes. Deuxièmement, le partenariat entre les intervenants sur le terrain est indispensable, selon eux, dans le cadre de ce type de prise en charge. MAJORITÉ SEXUELLE Confrontation de l’ordre juridique et des pratiques sociales en matière de sexualité Dans cette matière, la juriste et chercheur Isabelle Wattier informe, dans un premier temps, que la norme a précédé la notion et que son fondement législatif se situe à l’article 372, alinéa 1er, du Code pénal qui dispose que : «L’attentat à la pudeur commis sans violences ni menaces sur la personne ou à l’aide de la personne d’un enfant de l’un ou de l’autre sexe mineur, âgé de moins de seize ans accomplis, est puni de la réclusion de cinq ans à dix ans». L’intervenante souligne le caractère sommaire de cette norme, comme si l’infraction allait d’elle-même, ce qui s’explique partiellement par le caractère immatériel et tout à fait abstrait de la notion de pudeur. La notion de «majorité sexuelle», quant à elle, a fait son apparition en droit belge il y a plus de quarante ans dans le Précis de droit des personnes (droit civil) de Fr. Rigaux, édité en 1971. La notion fait l’objet d’une controverse entre les partisans de sa réception et ceux qui s’y montrent critiques. Isabelle Wattier expose sa position en faveur de la réception de la notion, notamment en raison du fait que la notion de majorité sexuelle a intégré les droits nationaux des États membres de l’Union européenne. Dans un second temps, Isabelle Wattier retrace l’évolution des différents seuils d’âge et du dispositif de la majorité sexuelle dans le temps. Elle évoque successivement, notamment, l’apparition du premier seuil d’âge de l’attentat à la pudeur (1846); une extension de la présomption irréfragable d’absence de consentement en matière d’attentant à la pudeur (1912); l’incrimination des comportements commis par une personne de plus de 18 ans sans violences ni menaces sur une personne du même sexe de 16 ou de 17 ans (1965) et son abrogation (1985); l’élargissement de la définition du viol (1989) l’adoption de la loi concernant l’exploitation sexuelle des mineurs (1995); un relèvement des seuils de circonstances aggravantes ou de présomption de viol avec violences : 14 ans au lieu de 10 ans en plus de l’introduction de présomptions complémentaires relatives au cadre familial et à la relation d’autorité (2000). Et elle termine par le souci du gouvernement depuis 2014, d’harmoniser l’âge de la majorité sexuelle (en retenant le seuil de 14 ans) ce qui n’est pas sans susciter des réactions contrastées. En troisième point, la juriste retient trois enjeux du débat relatif à la majorité sexuelle. Le premier est la question du seuil d’âge et l’évaluation de la capacité de consentir valablement à un comportement sexuel en fonction des facultés physiques et mentales évaluées selon l’âge, ceci en tenant compte de la relation d’autorité entre les mineurs et les personnes impliquées. À l’égard de la présomption légale qu’un mineur de moins de 16 ans ne peut donner son consentement libre et volontaire, la Cour constitutionnelle a, en 2009, rappelé l’objectif poursuivi par le législateur : «Dire pour autant qu’à cet âge, le consentement n’existe pas, relève de la fiction, aujourd’hui plus encore qu’autrefois. Les termes de la loi n’imposent d’ailleurs pas cette fiction. Ils impliquent seulement qu’à cet âge, la question du consentement n’est pas pertinente, ce qui n’est pas synonyme d’inexistante». Le second enjeu est la cohérence entre le droit pénal et les pratique sociales concernant la sexualité dans l’intimité et dans la publicité. Idéalement, selon Isabelle Wattier, les limites doivent être fixées, intégrées et appropriées par un autre moyen que le système pénal : l’éducation sexuelle (à l’école, à la maison dans une certaine mesure…). Le système pénal s’adresse aux auteurs et non aux citoyens en devenir. Pour les mineurs, toutefois, la jurisprudence européenne impose au législateur d’incriminer les actes abusifs et d’alléger la charge de la preuve des mineurs plaignants. S’agissant de la sexualité (y compris son évocation) dans la sphère publique, là aussi des interdits pénaux existent : les infractions relevant des outrages publics aux bonnes mœurs et les circonstances aggravantes lorsque les mineurs en sont victimes. Pour ce qui est du point de vue de la pratique, la normalité sociale ou statistique doit surgir, selon l’intervenante, des travaux existants, des voix des jeunes et du secteur de la jeunesse. Pour Isabelle Wattier, le troisième enjeu est le lien problématique entre la sexualité et la normativité. Elle rappelle que les désirs et pulsions sexuels ne sont dictés ni par l’ordre ni par le contrôle social, et force est de constater que les règles juridiques de liberté, de respect de l’intégrité physique, morale et sexuelle des personnes ainsi que les sanctions pénales n’empêchent pas systématiquement les pratiques sexuelles contraires aux principes ainsi définis. Il est fondamental, selon l’intervenante, de comprendre que le droit relève de la normativité et non de la normalité. En conclusion, la juriste souligne que pour réfléchir à un seuil d’âge «idéal», en tant que pénaliste, il est nécessaire de dépasser les questions juridiques (question de preuve, de cohérence interne du dispositif, cohérence dans différentes branches du droit, hiérarchie des normes, conformité au droit international et européen) pour accéder au savoir des acteurs de la jeunesse, des sociologues, pédagogues, sexologues et psychologues et des jeunes eux-mêmes. Il lui semble qu’il n’y a pas un seuil idéal ni en fait ni en droit. JDJ n° 359 - novembre 2016 7 Lutter contre les tabous et soutenir une expérience positive de la sexualité Bruno Vanobbergen, le Commissaire aux Droits de l’Enfant (CDE) souligne dans un premier temps l’atmosphère de tabous et d’angoisse qui plane autour de la sexualité des jeunes. Il dit être régulièrement contacté par des jeunes qui lui posent des questions concernant la sexualité et qui sont souvent préoccupés par des conflits à ce sujet avec leurs parents, ces derniers étant souvent opposés à une relation ou inquiets du comportement sexuel de leur enfant. Tout en reconnaissant la particularité des normes et des valeurs de chacun en matière de sexualité, le CDE souligne qu’il est nécessaire de libérer la sexualité des jeunes des tabous et des craintes qui l’entourent. De son point de vue, il est indispensable de réfléchir à la façon d’apporter la protection, le soutien et l’accompagnement que requièrent les jeunes qui font l’expérience de la sexualité. Considérant le comportement des jeunes qui ont des expériences sexuelles sans considération de l’âge minimum légal prévu à cet effet (16 ans), l’intervenant relève que la loi a peu d’influence dans les faits. Il rapporte que ceci n’est pas sans préoccuper les professionnels au contact des jeunes et qu’ils sont en demande d’une politique active autour de la sexualité au sein des lieux d’activités des jeunes (école, mouvements de jeunesse, voyage scolaire résidentiel…). Selon le CDE, la sexualité constitue un aspect positif de la qualité de vie, elle s’inscrit dans le processus de croissance des jeunes et nécessite un soutient positif et sûr. Ensuite, le CDE relève que le cadre légal actuel relatif aux jeunes et à la sexualité en Belgique est trop unilatéral, car il ne repose que sur la loi pénale (protection contre les abus) sans intégrer la dimension du développement et de l’épanouissement de l’enfant. Si la loi organise essentiellement les interdictions relatives aux relations entre adultes et mineurs, faut-il envisager le comportement des mineurs de la même manière, demande le CDE tout en soulevant qu’il n’existe pas de cadre juridique séparé pour les actes sexuels que les mineurs ont entre eux. Selon le CDE, le développement sexuel et relationnel ne peut uniquement se référer aux risques et aux problèmes, raison pour laquelle la Déclaration des droits sexuels de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) s’intéresse également au plaisir, à la jouissance et au respect de la diversité, en termes d’expérience, de préférence et de vécu des jeunes. Le CDE formule, enfin, une série de recommandations et plaide en faveur d’une politique intégrée autour des jeunes et de la sexualité, ceci sur la base de trois axes. Le premier axe est un cadre légal pour les pratiques sexuelles entre jeunes pour éviter, notamment, que ces comportements sexuels soient confinés dans une zone d’ombre soustraite 8 JDJ n° 359 - novembre 2016 à l’accompagnement des adultes. Le second axe consiste en une politique renforcée autour de la formation relationnelle et sexuelle. De cette façon, être en mesure d’accueillir et soutenir les jeunes dans leurs expériences et l’expression des émotions vécues au cours de leur développement relationnel et sexuel. Le troisième axe vise davantage d’encouragement et de soutien pour l’expérience positive de la sexualité dans les institutions d’aide à la jeunesse et d’enseignement afin d’éviter que la politique générale ne se concentre exclusivement sur la prévention et le risque au détriment de la dimension positive de la sexualité. MAJORITÉ ÉLECTORALE Corrélations entre l’âge des jeunes et leur participation politique Régis Dandoy rapporte que même si les jeunes se tiennent quelque peu à distance de la politique, il n’est pas pour autant question dans leur chef de sentiments négatifs, de dégout ou de rejet de la politique. Mais un débat demeure : comment intéresser les jeunes à la politique, eux qui vont devoir devenir des êtres politisés ? Si les nouvelles technologies, les médias, les formes et les contenus des débats sont des pistes envisagées, quand l’objectif est d’intéresser les jeunes à la politique, certaines choses ne fonctionnent pas, rapporte le politologue. L’intérêt que les jeunes portent à la politique est peu influencé par des profils de candidats jeunes, ils ne s’y identifient pas. Pareillement pour l’idée de rendre le système plus direct, les jeunes n’y trouvent pas plus d’avantages. Régis Dandoy rappelle que l’accès aux élections à 16 ans n’existe en Belgique que pour les consultations populaires au niveau local. Il poursuit en évoquant que ce seuil d’âge a été intégré pour les élections depuis plusieurs années dans plusieurs pays d’Europe (dès 2007 en Autriche, dans les cantons allemands, au Royaume-Uni, en Norvège, en Bosnie) ainsi qu’en Amérique latine (Brésil, dès 1986). L’intervenant souligne qu’une fois le nouveau seuil d’âge implémenté, les gens prennent conscience des avantages que cela entraîne. À titre d’exemple, il évoque l’Autriche où l’on observe que les jeunes s’intéressent davantage à la politique depuis l’abaissement du seuil d’âge. Ce constat vient se frotter à un certain immobilisme relevé dans plusieurs pays qui se fonde sur l’idée que les jeunes ne portent qu’un faible intérêt à la politique, qu’ils n’en ont que peu de connaissances, et qu’ils sont vraisemblablement trop immatures pour qu’il en soit autrement.. Concernant la question du vote obligatoire, le politologue expose qu’il est difficile de tabler sur les expériences étran- gères. Il cite l’exemple de pays d’Amérique du sud. Dans certains d’entre eux, le vote est facultatif pour les 16-18 ans et les plus de 70 ans. Les jeunes participent aux élections jusqu’à 80 % et ce taux est identique dans d’autres catégories de la population d’électeurs pour lesquelles c’est obligatoire. Dans d’autres, 62% des jeunes participent aux élections contre 80 % dans les autres catégories pour lesquelles le vote est obligatoire. Régis Dandoy analyse donc qu’une même disposition de vote dès 16 ans génère des résultats différents selon les pays et les contextes. Le débat sur l’âge, conclut Régis Dandoy, intervient dans le cadre d’un contexte politique belge particulier. En effet, différents débats agitent l’opinion publique sur des questions qui touchent de près l’organisation de la politique : le cumul des mandats, le salaire des ministres, la démocratie directe, le changement des frontières électorales. Il ajoute qu’une modification de l’âge est étroitement liée à un changement de la Constitution et que ce type de processus est difficile, long et demande un consensus susceptible de résister le temps de deux législatures. Implémenter un pareil changement est un véritable défi en Belgique, selon l’intervenant. Le Conseil de jeunes de Molenbeek : une expérience de jeunes élus au niveau local Hicham Nasi présente le Conseil de jeunes de Molenbeek dont il est le coordinateur. Sur la base de l’expérience personnelle que les jeunes font de la participation au sein du Conseil des jeunes, dit il, cet organe devient pour ses jeunes membres un outil de connaissance de la loi, de développement de compétences diverses et de revendication politique. C’est en 2014 que l’Échevine de la jeunesse met en place ce conseil et que l’invitation au vote est lancée pour la première fois. Molenbeek est une commune qui compte 17.550 jeunes de 12-25 ans pour 95.000 habitants et Hicham Nasi précise qu’ils ont enregistré plus de 600 votants, ce qui est un score très honorable, ajoute-t-il, comparativement aux expériences similaires dans d’autres communes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Aux dernières élections, le nombre de votants a encore augmenté et l’intérêt suscité n’est sans doute pas étranger, souligne Hicham Nasi, à l’existence préalable du conseil des enfants (dès 12 ans) au sein de la commune. L’intervenant dresse trois profils de jeunes sur la commune. Premièrement, celui qui ne vote pas et qui n’y voit aucun intérêt. Deuxièmement, le jeune entre 12 et 15 ans qui vient voter avec ses parents et pour lesquels ce premier vote est un évènement familial revêtu d’une forte dimension symbolique. Enfin, troisièmement, le jeune de 16 ans, amis d’un candidat, sensibilisé à la question de la participation politique et qui vient voter en soutien. Les jeunes qui se portent candidats doivent habiter ou être actifs dans la commune, c’est-à-dire avoir une expérience de la commune et ne pas appartenir à un parti politique. En participant à ce Conseil des jeunes, Hicham constate qu’ils ont l’occasion de réagir à ce qui se dit sur la commune de dépréciatif, de mener des actions et de dire ce qu’ils pensent. Ce qu’ils ont eu concrètement l’occasion de faire concernant, notamment, l’abaissement de l’âge dans le cadre des sanctions administratives communales. Selon Hicham Nasi, il est indispensable que le Conseil des jeunes reste animé par des enjeux définis à partir de l’expérience des jeunes et que ce soit un outil par et pour les jeunes. MAJORITÉ PÉNALE De l’équilibre entre l’enjeu de l’âge, du dispositif légal et de l’engagement politique Thierry Moreau rappelle les origines de la notion de majorité pénale et la notion de «discernement pénal» que l’on retrouve dans la loi du 15 mai 1912. Deux hypothèses se présentaient pour le mineur concerné : soit il a le discernement et le doit pénal peut donc lui être appliqué, soit il ne l’a pas et il peut être acquitté. Ce système connaissait ses dérives autour de la démonstration du discernement et de l’instrumentalisation de cette notion par les juges au regard de la nécessité de prononcer une peine. La majorité pénale, en tant que technique juridique «indifférente» à l’enfant, est intervenue pour évacuer la notion de discernement qui «sonde» la maturité de l’enfant et pour assurer la possibilité d’intervenir à l’égard de tous les mineurs auxquels seront adressées des mesures éducatives plutôt que la prison. La majorité pénale consacre donc la présomption d’absence de discernement pénal avant le seuil d’âge fixé. L’évolution des seuils d’âge pour la majorité pénale démontre les décalages qui ont existé avec les seuils de la majorité civile, jusqu’à ce qu’ils coïncident en 1990 avec l’abaissement de la majorité civile à 18 ans. Et si à cette période des techniques ont été mises en place pour prolonger les mesures éducatives jusque vers 23 ans, Thierry Moreau souligne la tendance à la repénalisation de la protection de la jeunesse que toute une série de dispositifs met en évidence (création d’IPPJ à régime fermé; augmentation du dessaisissement; l’intérêt du mineur n’est plus la première priorité…). Cette tendance s’accompagne, poursuitil, d’une reconnaissance d’une plus grande capacité dans le chef du mineur repéré pour des faits qualifiés infraction JDJ n° 359 - novembre 2016 9 (FQI), comme si l’enfant de 18 ans était plus proche de l’adulte qu’il ne l’était auparavant, pénalement parlant. C’est sur la base de ce type de considérations, poursuit l’intervenant, que le droit international développe un point de vue en faveur de l’adaptation de la prise en charge judiciaire quand un mineur est concerné, que le modèle de justice soit pénal, protectionnel, réparateur, restaurateur ou sanctionnel. Les dispositions internationales ne s’arrêtent pas sur l’âge de la majorité, mais indiquent toutefois qu’il ne doit pas être trop bas et souligne la relation étroite qui existe en général entre la notion de responsabilité pour un comportement délictueux et les autres droits et responsabilités sociales tels que la situation matrimoniale ou la majorité civile. Les États sont toutefois invités à établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés ne pas avoir la capacité de contrevenir au droit pénal. Sur cette base, Thierry Moreau dégage deux options : soit prévoir un âge seuil en dessous duquel prévaut le dispositif spécifique de la minorité pénale et au-delà celui de la majorité pénal. Soit l’âge minimum correspond à l’âge de la responsabilité pénale à partir duquel le mineur peut être pris en charge par un juge ou une autre autorité dans un système spécifique non pénal. Et il y aurait alors trois catégories : les mineurs qui ne pourraient pas être reconnus auteurs de FQI; les mineurs qui seraient soumis à un dispositif spécifique associé à la minorité pénale; et les mineurs qui ont atteint la majorité pénale et qui peuvent donc être soumis au dispositif des adultes. Selon Thierry Moreau, il ne faut pas redouter l’abaissement de la majorité pénale, car l’équilibre ne viendra pas de l’âge, mais bien des politiques qui vont accompagner le dispositif légal. Il considère que symboliquement il y a moins d’enfants dans notre société, car les enfants peuvent plus rapidement être traités comme les adultes. Comment les jeunes, en ce compris les plus difficiles, vont-ils être aidés à devenir responsables ? Voici la question posée par l’intervenant, tout en soulignant qu’à ses yeux, il n’y a pas d’engagement social sans engagement d’adultes responsables, c’est-à-dire sans investissement de l’État. Le dessaisissement : perceptions contrastées des acteurs judiciaires et angoisse des jeunes Delphine Paci expose que les intervenants du secteur ont différents points de vue sur la question du dessaisissement. Premièrement, parmi les juges de la jeunesse, certains sont réfractaires à se dessaisir, car selon eux, ce dispositif est le signe d’un échec de l’aide à la jeunesse. Pour d’autres, les plus réfractaires à l’aide à la jeunesse, les mesures spécifiquement dédiées aux mineurs sont contre-productives, ce qui les invite à s’intéresser au droit des majeurs et à recourir 10 JDJ n° 359 - novembre 2016 au dessaisissement. Ils considèrent encore que le droit pénal consiste en une responsabilisation des jeunes. Deuxièmement, l’intervenante observe une sévérité accrue au sein de la chambre spécifique statuant sur les dessaisissements. La tendance au plaidoyer pour les circonstances de minorité qui prévalait auparavant a laissé place actuellement, selon elle, à la tendance de reprocher au jeune son dessaisissement. Comme si le jeune n’ayant pas été en mesure de «saisir la chance» que la protection de la jeunesse lui a tendue. Troisièmement, des avocats rapportent que recourir à ce dispositif c’est faire le pari que la justice pénale sera la plus efficace pour les mineurs. Or, selon eux, le dessaisissement concerne les jeunes les plus fragilisés, tels les MENA qui vont être surreprésentés par les mesure prison-enfermement et donc dans des cadres d’hébergement très violents. Enfin, les jeunes font l’expérience du dessaisissement comme une menace qui pèse sur leur avenir. Ce dispositif intervient comme une rupture dont il sera difficile pour eux de se relever. Il génère de l’angoisse auprès de ce public vulnérable pris en charge par la justice des mineurs. Pour conclure, Delphine Paci souligne que ces éléments soutiennent la critique de l’iniquité de ce dispositif spécifique. Et l’intervenante d’insister sur l’idée que le système de protection de la jeunesse, selon elle, fonctionne et que s’abstenir de dessaisir ne signifie absolument pas que l’on évoluerait vers un système d’impunité. Les politiques aux prises avec les majorités Le débat auquel sont invités Georges-Louis Bouchez (MR), Karine Lallieux (PS) et André du Bus (CDH) s’ouvre sur un questionnement concernant l’utilité de la majorité et des débats que cette notion entraîne. En effet, interroge, Thierry Moreau, quelle est la capacité que les politiques veulent développer et quels sont les moyens mis en œuvre, en quoi les politiques sont-ils des initiateurs de jeunes ? Il lui semble que l’orientation des politiques publiques en Belgique démontre le peu d’intérêt et de sérieux accordés aux difficultés que rencontrent les jeunes à accéder aux attributs de la majorité, notamment à travers l’accès à la formation et au travail. Les trois invités politiques ont tour à tour formulé des éléments de réponse avant d’entrer dans des échanges de parti à parti. Trois axes ont prévalu tout au long de ce débat : les majorités, l’image dépréciée des jeunes et le rôle du politique. Premièrement, quant aux différentes majorités. GeorgesLouis Bouchez est favorable à plusieurs majorités, car de son point de vue, il est question de notions théoriques non reliées entre elles et qui ne renvoient pas à l’évolution de chacun. Karine Lallieux revient sur le caractère fluctuant de ces seuils qui doivent être fixés par le législateur. André Du Bus invite le législateur à tenir compte des besoins des jeunes qui sont rendus visibles par l’action d’organismes issus de la société civile. Ces besoins évoluent selon différents paramètres, poursuit André Du Bus, et ceci doit être mis en lien avec les inégalités sociales de plus en plus fortes. Georges-Louis Bouchez opterait pour une responsabilisation au fur et à mesure et est certainement favorable au droit de vote à 16 ans pour harmoniser les dispositions en la matière. Tandis que pour André Du Bus, modifier les âges des majorités n’est peut-être pas la priorité. Selon lui, il faut travailler sur les réponses que donnent les institutions telles que l’aide à la jeunesse et les écoles qui sont parfois des sources de violences. Deuxièmement, quant à la jeunesse perçue comme une menace. Georges-Louis Bouchez observe effectivement une difficulté à parler de la jeunesse et du futur, et à le considérer de façon positive. Il s’étonne du peu d’occasion d’entendre parler des jeunes qui ont des projets et qui créent des choses. Karine Lallieux est également d’avis que les regards sur la jeunesse sont assez pessimistes et, selon elle, ce n’est pas sans lien avec le contexte général international. La députée socialiste ajoute que de son point de vue c’est une question de regard de l’adulte sur les jeunes, sans faire fi des médias qui sont également négatifs. André Du Bus revient sur deux éléments qui doivent, selon lui, inciter à considérer la jeunesse sous un angle positif. D’une part, la nette tendance à la baisse depuis plusieurs années des statistiques judiciaires concernant les jeunes et qui le convainc que les jeunes ne sont pas plus violents ni plus délinquants. D’autre part, les différentes mobilisations citoyennes ces derniers mois qui démontrent, selon lui, la capacité des jeunes à être solidaires. Il insiste sur la nécessité de travailler avant tout sur les institutions Troisièmement, quant au rôle du politique vis-à-vis des jeunes. Karine Lallieux insiste sur la nécessité de mettre en place des politiques spécifiques «jeunes» concernant, notamment, le chômage. Tout en soulignant qu’il faut, selon elle, relativiser le poids du politique sur ces questions. À la fois elle soutient qu’il est de la responsabilité de la société de combler ce que les gens ne peuvent accumuler au cours de leur parcours, reconnaissant l’accroissement des difficultés, à l’heure actuelle, auxquelles les jeunes doivent faire face. À ce sujet, André Du Bus se demande comment l’école peut aider les jeunes à réussir et revient sur le Pacte d’excellence qui vise une réforme de l’enseignement. Il observe, dit-il, d’énormes résistances au changement, auquel ce type de projet est confronté, et qui bloquent toute avancée. Georges-Louis Bouchez s’étonne de certains discours politiques notamment ceux liés au chômage et qui veulent s’attaquer au «chômage problématique des jeunes». Ceux-ci entretiennent, selon lui, une vision négative des jeunes. Il soutient qu’il revient aux politiques de faire disparaître le problème du chômage et de renoncer au recours systématiques à des mesures spécifiques pour les jeunes qui font depuis longtemps la démonstration de leur échec. Selon lui, les difficultés d’éradiquer le chômage sont liées au fait que les dispositifs sont pensés sur la base d’un modèle révolu, celui des Trente glorieuses, et qu’il est nécessaire de renouveler le débat en misant sur le potentiel créatif des jeunes ainsi que sur d’autres choix budgétaires. Conclusions Bernard De Vos, Délégué Général aux Droits de l’Enfant (DGDE) aborde sans transition la question financière en rappelant que le Budget de l’aide à la jeunesse avoisine les 280 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 80 millions pour les politiques «jeunesse». Tandis que le budget pour l’enseignement obligatoire est de près de 6 milliards, dont pas moins de 500 millions affectés au redoublement. Il veut souligner à quel point les enveloppes traduisent les priorités politiques et à quel point elles sont discutables selon lui. Il rappelle que les seuils d’âge ont pour fonction d’assurer la sécurité juridique et qu’il est important de tenir compte de l’évolution sociale des âges, d’autant plus quand cela concerne l’adolescence au cours de laquelle l’identité s’élabore encore. Il revient sur le contexte de crise, en rappelant que 40% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui n’est pas sans effets, selon lui, sur la qualité, la quantité d’expériences, ainsi que sur la maturité et la capacité de discernement. Le DGDE souligne que les questions sur la majorité font état de l’évolution rapide de nos sociétés et il invite à faire l’effort d’aller le plus loin possible dans les réflexions, quelle que soient les situations à envisager : de la capacité de l’enfant à signer devant un conseiller de l’aide à la jeunesse en passant par la participation politique, ou encore relativement aux dispositions en matière d’euthanasie. Le DGDE appelle à plus de cohérence, réfère aux travaux du Comité des droits de l’enfant et invite à prendre au sérieux les jeunes, leur capacité à s’informer et leur conscience citoyenne. Dans toutes les matières, et notamment la majorité sexuelle, le DGDE rappelle la nécessité, selon lui, que l’outil juridique corresponde le plus aux capacités et compétences des jeunes. Enfin, il insiste sur la nécessité de commencer par respecter les droits des enfants pour encourager un développement plus favorable, une insertion plus aisée dans la société et une confiance plus solide dans les institutions et les politiques. JDJ n° 359 - novembre 2016 11