Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, sexuelle, civile en

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Sois grand et tes droits ? La majorité pénale, sexuelle, civile en
Sois grand et tes droits ?
La majorité pénale, sexuelle,
civile en question.
Compte rendu de la journée de réflexion
organisée par le SDJ de Bruxelles
le 1er mars 2016
Caroline De Man
«Cela fait plusieurs années que la question de la majorité se retrouve sur le devant de la scène politique et
médiatique, mais également au centre de préoccupations d’un grand nombre de travailleurs sociaux qui
accompagnent des jeunes. Régulièrement, nous sommes témoins de débats dans le cadre de propositions
de loi, de réglementations prônant l’abaissement de l’âge de la majorité : cet abaissement peut concerner
parfois la majorité pénale, parfois la majorité civile et même parfois la majorité sexuelle. Nous constatons
toutefois que l’âge d’entrée dans la majorité est variable selon les domaines de droits concernés pouvant
entraîner des incohérences, voire des incompréhensions pour tout un chacun (1).
Le Service droit des jeunes de Bruxelles, en tant que service d’aide en milieu ouvert spécialisé dans l’aide
juridique, s’adressant aux jeunes et à leurs familles, s’est vu à de nombreuses reprises confronté à des
questions relatives à la majorité dans le cadre de ses missions.
Les questions liées à la majorité sous-tendent des enjeux qui ne sont pas sans conséquence pour les jeunes
en termes de droits, mais aussi au niveau social, psychologique ou philosophique. Souhaitant dépasser
ce débat binaire entre POUR ou CONTRE l’abaissement de la majorité, et pour enrichir sa réflexion,
le Service droit des jeunes a souhaité consacrer une journée spécifique autour de cette thématique en y
intégrant toutes les dimensions de la notion de majorité, relayées par des chercheurs de différents secteurs,
des professionnels de terrain, des jeunes et des acteurs politiques». Christelle Trifaux, directrice du Service
droit des jeunes de Bruxelles
Le 1er mars 2016, le Service droit des jeunes (SDJ) de
Bruxelles a organisé une journée d’étude intitulée «Sois
grand et tes droits ? La majorité pénale, civile et sexuelle en
question». Ce dernier était désireux de réunir différents intervenants pour débattre de manière pluridisciplinaire de la
notion de la majorité, des enjeux qui en découlent et des
controverses qui traversent cet état, ce statut, sa nature et
ses effets. L’abaissement des seuils d’âge des différentes majorités reste à ce jour une question vaste et complexe en raison de l’évolution de la société et des perspectives d’analyse
qui se renouvellent. Le SDJ invite à la plus grande vigilance
dans les éventuelles décisions à prendre en la matière, soulignant la dimension éminemment politique de ce débat.
À ce titre, tant l’orientation que les investissements des po-
litiques publiques affectant ce passage de mineur à majeur
sont à considérer comme des indicateurs du système sociopolitique ambiant. Les discussions ont largement dépassé
l’axe binaire et stérile du «pour» ou «contre» l’abaissement
de la majorité et ont été nourries d’informations ciblées et
d’analyses sociologiques, psychologiques et sociojuridiques
livrées par les nombreux intervenants du jour.
Pour entamer la journée, le sociologue Jacques Moriau (2) a
présenté la construction sociale à laquelle répond la notion
(1) J. BLAIRON, I. DUBOIS, J. FASTRÈS, J. PETIT et L. WATILLON, Intermag.be, Analyses et
études RTA asbl, janvier 2016, URL : www.intermag.be/547
(2) Jacques Moriau est assistant, chercheur au centre de recherche METICES de l’Université libre de Bruxelles et chargé de recherche au Conseil bruxellois de coordination
sociopolitique.
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de majorité et la façon dont elle évolue dans le temps dans
nos socitétés. Jancy Nounckele (3), juriste, a basé son intervention sur les droits et devoirs qui distinguent la minorité de la majorité. D’un point de vue psychopédagogique,
Bruno Humbeeck (4) introduit la majorité dans sa dimension
subjective en évoquant le passage au monde des adultes au
cours duquel le jeune et son entourage doivent dépasser
une série d’épreuves. Pour certains adolescents, la majorité
est certainement à une étape redoutable et c’est ce qu’Hugo
Lantair (5) et Jacqueline Maun (6)ont rapporté sur la base de
leur expérience de terraine et d’une analyse de l’expérience
de jeunes.
Des interventions sur la majorité sexuelle, civile, électorale et pénale ont structuré la seconde partie de la journée. Isabelle Wattier (7), juriste, a souligné la tension entre
l’ordre social que veut protéger la norme pénale de majorité
sexuelle et les pratiques sociales qui évoluent indépendamment du droit. Bruno Vanobbergen, Kinderrechtencommissaris, a présenté la position que défend son service, et les
pistes d’action qu’il promeut pour encourager auprès des
jeunes une expérience positive de la sexualité. Le politologue Régis Dandoy (8) a, quant à lui, exploré la question de la
participation des jeunes en politique et a questionné l’incidence d’un abaissement de l’âge de la majorité électorale
en Belgique au regard d’expériences à l’étranger. Hicham
Nasi (9) a rapporté une expérience concrète de participation
des jeunes en politique en présentant le conseil des jeunes
de Molenbeek dont il assure la coordination. La question
de la majorité pénale a été approfondie par le professeur de
droit Thierry Moreau (10), qui a dégagé différents schémas de
dispositifs de prise en charge des jeunes en conflit avec la loi
susceptibles de répondre aux recommandations formulées
en droit international. La juriste Delphine Paci (11) a, pour
sa part, traité du dessaisissement, ce dispositif qui divise les
praticiens du droit sur sa pertinence, qui révèle les enjeux
de la prémajorité pénale et qui trahit les limites de la protection de la jeunesse.
À l’issue de ces présentations, un débat politique a pris forme
avec la participation de Georges-Louis Bouchez, échevin de
(3) Jancy Nounckele est assistante en droit à l’Université de Namur et avocate au barreau
de Bruxelles
(4) Bruno Humbeeck est psychopédagogue et chercheur au département Science de la
Famille de l’Université de Mons.
(5) Hugo Lantair est coordinateur chez Sos Jeunes Quartier Libre AMO
(6) Jacqueline Maun est directrice de l’asbl Abaka
(7) Isabelle Wattier est chercheuse au Centre de recherches Interdisciplinaires sur la
Déviance et la pénalité de l’ l’Université Catholique de Louvain (UCL).
(8) Régis Dandoy est politologue et chercheur au centre de Science Politique et de Politique
Comparée (CESPOL) de l’UCL.
(9) Hicham Nasi est coordinateur du conseil des jeunes de Molenbeek.
(10) Thierry Moreau est professeur à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCL, directeur du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (CIDE) et avocat au barreau
du Brabant wallon.
(11) Delphine Paci est avocate au barreau de Bruxelles spécialisée en matière de jeunesse.
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la Ville de Mons, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles (MR), Karine Lallieux, échevine à Bruxelles
et députée fédérale (PS) et André du Bus, député bruxellois
et à la Communauté française (CDH). Les conclusions de
cette riche journée ont été confiées à Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant.
MAJORITÉ CIVILE
Une responsabilité sociale
difficile d’accès
La notion de majorité a dans un premier temps été introduite dans une perspective sociologique par Jacques Moriau en étant définie comme un repère qui n’a rien de naturel, mais qui est construit socialement. Le droit est un
élément, parmi d’autres, qui participent de ce montage
institutionnel. En tant que repère légal, la majorité sert à
séparer des âges particuliers de la vie et à régler la responsabilité, notion devenue centrale dans notre système social
(que ce soit relativement au travail, aux relations interpersonnelles ou encore en matière juridique). Dans ce sens,
elle organise les ordres de succession, la transmission des
privilèges et du pouvoir entre les différentes couches d’âge.
En réglant l’accès aux attributs de l’âge adulte, c’est-à-dire
ses droits et devoirs propres, la majorité est un enjeu et un
seuil fondamental duquel découle des capacités, mais également des responsabilités juridiques, administratives, politiques et citoyennes (être soumis au droit pénal, accéder
à un emploi, pouvoir louer ou acheter un bien, sortir de
l’obligation scolaire...)
En recourant au concept de la majorité, il est permis de
penser des groupes d’âge tels que «la jeunesse» et «l’âge
adulte», précise l’intervenant. Penser à partir de ces binômes présente l’intérêt de mettre en évidence la rupture
qui existe à l’heure actuelle entre le seuil de l’âge adulte et
l’accession réelle à cet âge adulte. Les chiffres dramatiques
du chômage traduisent, indique le sociologue, la disparition du couplage entre l’âge de la majorité et les attributs
de l’âge adulte tel que l’accès au travail. Le départ du domicile des parents et l’installation en ménage sont ces autres
épreuves de transition qui ne sont plus réglées à l’âge de la
majorité et qui témoignent d’un «allongement de la jeunesse»
(Olivier Galland), autrement dit d’un allongement de la
dépendance des jeunes aux ressources de leurs parents. Il
précise encore que la jeunesse est une notion hétérogène et
que les jeunesses populaires subissent davantage les conséquences de cette transition perturbée entre la minorité et
la majorité.
Plus largement, souligne Jacques Moriau, ce phénomène de
hiatus conséquent de cette juxtaposition du repère fixe de
l’âge de la majorité et d’un passage extensible à l’âge adulte,
fait émerger de nouvelles catégories sociales, dont celle des
«jeunes adultes». Dorénavant, et impensable il y a seulement
quelques décennies, des politiques publiques se sont créées
à l’attention particulière de ces nouveaux groupes cibles
(des missions locales pour l’emploi pour une aide à l’emploi
jusqu’à 35 ans ou encore l’apparition du dispositif de «stage
d’attente»). Toutefois, dans le même temps, indique l’intervenant, une responsabilité individuelle de se gérer soimême dans cette transition est assignée à ces jeunes adultes.
Jacques Moriau conclut en soulevant une question d’ordre
socioéconomique qui est la nécessité de repenser la régulation de l’accès et de la distribution des ressources entre
les individus d’une société. À titre d’exemple, il évoque les
travaux de l’économiste britannique Anthony Barnes Atkinson qui formule des propositions concrètes pour une
mise en œuvre de l’égalité des chances à travers notamment
le dispositif de «l’héritage social» ou de «capital partagé» assurant à toute personne de dix-huit ans un capital lui permettant d’accéder aux attributs de l’âge adulte.
Un passage frappé d’ambiguïtés
et d’enjeux juridiques
Jancy Nounckele soulève que le passage à la majorité est
frappé de plus d’une ambiguïité. D’une part, le mineur présente à la fois les mêmes caractéristiques humaines que le
majeur tout en présentant des différences manifestes sur les
plans physiques et psychologiques. D’autre part, l‘enfant,
dès sa naissance, est titulaire de droits subjectifs tout en
étant limité par l’incapacité d’exercice reconnue au statut
de mineur.
L’intervenante retient trois enjeux relatifs au passage à la
majorité se caractérisant donc par une reconnaissance de la
capacité d’exercer ses droits et de la responsabilité des actes
posés. Le premier enjeu est l’émergence du concept de majorité civile en Belgique qui, depuis ses prémisses extraites
du droit romain à son acception actuelle, a connu différents
seuils d’âge avant de s’arrêter à celui de 18 ans en 1990. Par
cet abaissement de l’âge de la majorité civile précédemment
fixé à 21 ans, le législateur entendait adapter les normes
juridiques à une nouvelle réalité sociale qui conférait davantage d’indépendance et une émancipation aux jeunes de
18 ans, par ailleurs, également dégagés de l’obligation scolaire. Le second enjeu est la relativité de l’incapacité du
mineur qui dans les faits peut exercer certains droits ou
donner un avis sur sa situation personnelle dès ses 12 ans,
participer aux décisions d’ordre médicales qui le concernent, ou encore signer certains types de contrats avec l’autorisation de ses parents, ceci au regard du discernement
dont fait preuve l’enfant. Le troisième enjeu est le statut
intermédiaire de prémajorité existant déjà, notamment, en
Autriche, faisant l’objet de discussions en France, et qui
consiste en une adaptation aux droits des adolescents.
Jancy Nounckele partage encore trois réflexions. Tout
d’abord, la difficulté de maintenir l’équilibre entre la protection des parents et l’autonomie des enfants, compte tenu
de la nécessité de faire évoluer les modalités d’exercice de
l’autorité parentale par son ajustement au renforcement des
droits de l’enfant. Ensuite, le contraste entre l’autonomie
intellectuelle des jeunes qui se développe rapidement tandis
que leur autonomie financière et économique est plus tardive. Enfin, elle revient sur l’absence de distinction entre les
stades de l’enfance dans la Convention Internationale des
Droits de l’Enfant et les limites propres aux seuils d’âge qui
ne pourront tenir compte de la maturité de chaque enfant
ni de son évolution singulière. En guise de conclusion, Jancy Nounckele pose alors la question suivante : faut-il abandonner la notion de discernement au profit d’un système
de tranches d’âge entre le statut de minorité et de majorité ?
Un «sentiment d’être»
mis à l’épreuve
Il est également possible de considérer la majorité dans sa
dimension subjective : le sentiment d’être. Dans cette perspective psychologique, la majorité s’appréhende suivant la
manière dont un individu se façonne une identité. C’est
sous cet angle que Bruno Humbeeck décrit le passage à la
majorité comme un temps de l’épreuve. Celui-ci consiste
en une construction mentale, sociale, politique et culturellement marquée à mettre en lien avec un âge et un groupe
aux frontières de plus en plus molles : l’adolescence et les
jeunes adultes. En effet, souligne l’intervenant, il s’agit
d’une période ou d’un âge déritualisé, en opposition à un
passage à l’âge adulte tel qu’il peut être observé dans une
société primitive quand il prend la forme d’une journée
contenant des marqueurs reconnaissables et connus de
tous.
Au cours de ce temps de l’épreuve, l’adolescent accède à
une identité particulière au rythme qui lui est propre pour
franchir, sous le regard des adultes qui l’entourent, un seuil
somme toute inquiétant : il se fait «héros» de sa propre «épopée», expose le psychopédagogue. L’adolescent met en place
des manières d’agir et de non-agir pour passer d’une étape à
l’autre, d’un âge à l’autre. Il est d’autant plus difficile de se
construire actuellement, poursuit-il, que l’accès ou les trajectoires pour devenir adulte sont plus confuses, floues. De
ce fait, ce processus est anxiogène suscitant chez l’adolescent une tendance à freiner ou à résister à cette transition.
L’adolescent doit nécessairement prendre son temps pour
devenir quelqu’un, insiste Bruno Humbeeck.
L’intervenant observe qu’il est demandé aux adolescents
d’être des adultes, d’avoir une identité qui signifie quelque
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chose aux yeux des autres, c’est-à-dire être dans le même
temps pareil qu’un certain nombre et singulier, cela est
très difficile, dit-il. À titre d’exemple, il décrit le fait d’être
un fan du groupe de métal Marilyn Manson qui contient
ces deux tensions : se distinguer en étant fan d’une idole
controversée tout en rejoignant dans le même temps l’ensemble des autres fans. Exister et se construire une identité est donc un processus complexe qui peut aussi amener
l’adolescent à recourir à une conduite à risque pour devenir
signifiant (comme le laisse penser les jeunes «djihadistes» et
autres tueurs de masse dans les collèges).
Bruno Humbeeck plaide pour la réhabilitation des émotions, car il observe que face aux adolescents confrontés au
temps de l’épreuve, la tendance des adultes est de mettre
l’accent sur le mécanisme identitaire et sur la crispation que
peut susciter cette dernière (que ce soit à travers la religion
ou la radicalisation identitaire). Cette confrontation peut
donner lieu à une expérience de l’humiliation, dit-il, faisant du terrain sur lequel l’adolescent se développe un fond
mouvant et peu soutenant suscitant le désir de s’en extraire
(par un «geste-épopée»). Considérant la pression identitaire
qui pèse sur l’adolescent, indépendamment de la pression
juridique, Bruno Humbeek invite à laisser les adolescents
se construire lentement, à leur permettre de vivre des émotions et d’être reconnus dans ces émotions. Or la tendance
est de redouter les émotions toutes-puissantes chez l’enfant
et les positions radicales chez l’adolescent (alors que ce faisant, en émettant une pensée qui le dissocie des adultes et
à la fois qui le rapproche d’une communauté, il répond en
quelques sorte aux attentes).
Au sein d’un groupe d’adolescents, l’intervenant invite à
recourir à la discussion sur la base de l’amorce «que ressentez-vous ?», car les émotions ont alors l’occasion d’être
accueillies sans être contestées et cela soutient l’apparition
de l’estime de soi, c’est-à-dire un socle stable pour lutter
contre l’humiliation, explique-t-il. Ceci en opposition à la
question «que pensez-vous de ?» qui, selon lui, fait apparaître
les crispations identitaires, n’encourage pas l’adolescent à
oser agir ni à être en mesure de relativiser l’échec. Bruno
Humbeeck conclut en soulignant que le jeu de la majorité
civile doit aussi se faire derrière la majorité subjective.
Un passage redouté et vécu
comme une trahison
Hugo Lantair, coordinateur de Sos Jeunes Quartier Libre
AMO et Jacqueline Maun, directrice de l’asbl Abaka rendent compte d’une recherche menée en 2011-2012 «Majorité, un passage redouté» sur la base de ce que les jeunes qu’ils
ont rencontrés déclaraient dans le cadre de leur passage de
la minorité à la majorité. Un des premiers constats de cette
recherche est le changement de la population concernée
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entre 2004 et 2013. Les résultats montrent une nette diminution du nombre de jeunes vivants dans leur famille et
une augmentation de ceux vivant ailleurs. À titre d’indication, le nombre de jeunes relevant de l’aide à la jeunesse a
doublé; six fois plus sont en autonomie sans pour autant
bénéficier nécessairement d’un accompagnement; 14 % de
jeunes vivent dans la débrouille chez des amis, dans la rue,
dans des squats ou connaissent d’autres situations instables.
Face à ce constat de désaffiliation sociale résultante des ruptures que les jeunes additionnent et qui les mettent à distance de leur famille, d’un réseau social, voire des structures
de protection, les intervenants posent la question suivante :
pourquoi les services d’accueil de crise censés travailler en
amont sont-il sollicités en aval ? Cette situation est d’autant
plus inquiétante, soulignent Hugo Lantair et Jacqueline
Maun, quand on sait qu’il est difficile de relancer une ouverture et une proposition d’accompagnement si l’aide à la
jeunesse a mis fin à son suivi.
La recherche met également en évidence que pour les
jeunes «le passage à la majorité n’est pas synonyme d’autonomie sociale, économique et affective», ils vivent cette majorité
comme une trahison, rapportent les intervenants. Ce que
les jeunes disent de cette période associée au passage à la
majorité reflète pour la plupart la difficulté, le malaise, les
déchirures qu’ils ont rencontrées à cette occasion ou à partir de celle-ci. Selon Hugo Lantair et Jacqueline Maun, ce
sentiment de solitude et de désillusion est révélateur, dans
le chef des jeunes, d’une attente de marqueurs du passage à
l’âge adulte qui ne viennent pas.
Il ressort encore de leur analyse qu’il est possible de schématiser trois scénarios de ce à quoi les jeunes sont confrontés
en devenant majeur. Le premier scénario revient à quitter
le milieu familial sans être prêt. Dans ces conditions, ce
moment devient un temps d’insécurité. Le second scénario
vise les situations au cours desquelles la majorité va renforcer l’errance dont le jeune fait déjà l’expérience alors qu’il
est confronté à la fragmentation des interventions institutionnelles. Le troisième scénario renvoie à l’ensemble des
jeunes pour qui la majorité va être davantage positive et
mettra un frein à l’errance.
Enfin, en termes de recommandations, les intervenants
misent sur deux grands axes. Premièrement, le logement
et la nécessité d’en faciliter l’accès pour les jeunes adultes.
Deuxièmement, le partenariat entre les intervenants sur le
terrain est indispensable, selon eux, dans le cadre de ce type
de prise en charge.
MAJORITÉ SEXUELLE
Confrontation de l’ordre
juridique et des pratiques
sociales en matière de sexualité
Dans cette matière, la juriste et chercheur Isabelle Wattier
informe, dans un premier temps, que la norme a précédé
la notion et que son fondement législatif se situe à l’article
372, alinéa 1er, du Code pénal qui dispose que : «L’attentat
à la pudeur commis sans violences ni menaces sur la personne
ou à l’aide de la personne d’un enfant de l’un ou de l’autre
sexe mineur, âgé de moins de seize ans accomplis, est puni de
la réclusion de cinq ans à dix ans». L’intervenante souligne le
caractère sommaire de cette norme, comme si l’infraction
allait d’elle-même, ce qui s’explique partiellement par le caractère immatériel et tout à fait abstrait de la notion de pudeur. La notion de «majorité sexuelle», quant à elle, a fait son
apparition en droit belge il y a plus de quarante ans dans le
Précis de droit des personnes (droit civil) de Fr. Rigaux, édité
en 1971. La notion fait l’objet d’une controverse entre les
partisans de sa réception et ceux qui s’y montrent critiques.
Isabelle Wattier expose sa position en faveur de la réception
de la notion, notamment en raison du fait que la notion
de majorité sexuelle a intégré les droits nationaux des États
membres de l’Union européenne.
Dans un second temps, Isabelle Wattier retrace l’évolution
des différents seuils d’âge et du dispositif de la majorité
sexuelle dans le temps. Elle évoque successivement, notamment, l’apparition du premier seuil d’âge de l’attentat à la
pudeur (1846); une extension de la présomption irréfragable d’absence de consentement en matière d’attentant
à la pudeur (1912); l’incrimination des comportements
commis par une personne de plus de 18 ans sans violences
ni menaces sur une personne du même sexe de 16 ou de 17
ans (1965) et son abrogation (1985); l’élargissement de la
définition du viol (1989) l’adoption de la loi concernant
l’exploitation sexuelle des mineurs (1995); un relèvement
des seuils de circonstances aggravantes ou de présomption
de viol avec violences : 14 ans au lieu de 10 ans en plus
de l’introduction de présomptions complémentaires relatives au cadre familial et à la relation d’autorité (2000). Et
elle termine par le souci du gouvernement depuis 2014,
d’harmoniser l’âge de la majorité sexuelle (en retenant le
seuil de 14 ans) ce qui n’est pas sans susciter des réactions
contrastées.
En troisième point, la juriste retient trois enjeux du débat
relatif à la majorité sexuelle. Le premier est la question du
seuil d’âge et l’évaluation de la capacité de consentir valablement à un comportement sexuel en fonction des facultés physiques et mentales évaluées selon l’âge, ceci en
tenant compte de la relation d’autorité entre les mineurs et
les personnes impliquées. À l’égard de la présomption légale qu’un mineur de moins de 16 ans ne peut donner son
consentement libre et volontaire, la Cour constitutionnelle
a, en 2009, rappelé l’objectif poursuivi par le législateur :
«Dire pour autant qu’à cet âge, le consentement n’existe pas,
relève de la fiction, aujourd’hui plus encore qu’autrefois. Les
termes de la loi n’imposent d’ailleurs pas cette fiction. Ils impliquent seulement qu’à cet âge, la question du consentement n’est
pas pertinente, ce qui n’est pas synonyme d’inexistante».
Le second enjeu est la cohérence entre le droit pénal et les
pratique sociales concernant la sexualité dans l’intimité et
dans la publicité. Idéalement, selon Isabelle Wattier, les limites doivent être fixées, intégrées et appropriées par un
autre moyen que le système pénal : l’éducation sexuelle (à
l’école, à la maison dans une certaine mesure…). Le système pénal s’adresse aux auteurs et non aux citoyens en
devenir. Pour les mineurs, toutefois, la jurisprudence européenne impose au législateur d’incriminer les actes abusifs
et d’alléger la charge de la preuve des mineurs plaignants.
S’agissant de la sexualité (y compris son évocation) dans la
sphère publique, là aussi des interdits pénaux existent : les
infractions relevant des outrages publics aux bonnes mœurs
et les circonstances aggravantes lorsque les mineurs en sont
victimes. Pour ce qui est du point de vue de la pratique,
la normalité sociale ou statistique doit surgir, selon l’intervenante, des travaux existants, des voix des jeunes et du
secteur de la jeunesse.
Pour Isabelle Wattier, le troisième enjeu est le lien problématique entre la sexualité et la normativité. Elle rappelle
que les désirs et pulsions sexuels ne sont dictés ni par l’ordre
ni par le contrôle social, et force est de constater que les
règles juridiques de liberté, de respect de l’intégrité physique, morale et sexuelle des personnes ainsi que les sanctions pénales n’empêchent pas systématiquement les pratiques sexuelles contraires aux principes ainsi définis. Il est
fondamental, selon l’intervenante, de comprendre que le
droit relève de la normativité et non de la normalité.
En conclusion, la juriste souligne que pour réfléchir à un
seuil d’âge «idéal», en tant que pénaliste, il est nécessaire de
dépasser les questions juridiques (question de preuve, de
cohérence interne du dispositif, cohérence dans différentes
branches du droit, hiérarchie des normes, conformité au
droit international et européen) pour accéder au savoir des
acteurs de la jeunesse, des sociologues, pédagogues, sexologues et psychologues et des jeunes eux-mêmes. Il lui semble
qu’il n’y a pas un seuil idéal ni en fait ni en droit.
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Lutter contre les tabous et
soutenir une expérience positive
de la sexualité
Bruno Vanobbergen, le Commissaire aux Droits de l’Enfant (CDE) souligne dans un premier temps l’atmosphère
de tabous et d’angoisse qui plane autour de la sexualité des
jeunes. Il dit être régulièrement contacté par des jeunes qui
lui posent des questions concernant la sexualité et qui sont
souvent préoccupés par des conflits à ce sujet avec leurs parents, ces derniers étant souvent opposés à une relation ou
inquiets du comportement sexuel de leur enfant. Tout en
reconnaissant la particularité des normes et des valeurs de
chacun en matière de sexualité, le CDE souligne qu’il est
nécessaire de libérer la sexualité des jeunes des tabous et des
craintes qui l’entourent. De son point de vue, il est indispensable de réfléchir à la façon d’apporter la protection, le
soutien et l’accompagnement que requièrent les jeunes qui
font l’expérience de la sexualité.
Considérant le comportement des jeunes qui ont des expériences sexuelles sans considération de l’âge minimum légal
prévu à cet effet (16 ans), l’intervenant relève que la loi a
peu d’influence dans les faits. Il rapporte que ceci n’est pas
sans préoccuper les professionnels au contact des jeunes et
qu’ils sont en demande d’une politique active autour de
la sexualité au sein des lieux d’activités des jeunes (école,
mouvements de jeunesse, voyage scolaire résidentiel…).
Selon le CDE, la sexualité constitue un aspect positif de la
qualité de vie, elle s’inscrit dans le processus de croissance
des jeunes et nécessite un soutient positif et sûr.
Ensuite, le CDE relève que le cadre légal actuel relatif aux
jeunes et à la sexualité en Belgique est trop unilatéral, car il
ne repose que sur la loi pénale (protection contre les abus)
sans intégrer la dimension du développement et de l’épanouissement de l’enfant. Si la loi organise essentiellement
les interdictions relatives aux relations entre adultes et mineurs, faut-il envisager le comportement des mineurs de la
même manière, demande le CDE tout en soulevant qu’il
n’existe pas de cadre juridique séparé pour les actes sexuels
que les mineurs ont entre eux. Selon le CDE, le développement sexuel et relationnel ne peut uniquement se référer
aux risques et aux problèmes, raison pour laquelle la Déclaration des droits sexuels de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) s’intéresse également au plaisir, à
la jouissance et au respect de la diversité, en termes d’expérience, de préférence et de vécu des jeunes.
Le CDE formule, enfin, une série de recommandations et
plaide en faveur d’une politique intégrée autour des jeunes
et de la sexualité, ceci sur la base de trois axes. Le premier axe est un cadre légal pour les pratiques sexuelles entre
jeunes pour éviter, notamment, que ces comportements
sexuels soient confinés dans une zone d’ombre soustraite
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à l’accompagnement des adultes. Le second axe consiste en
une politique renforcée autour de la formation relationnelle
et sexuelle. De cette façon, être en mesure d’accueillir et
soutenir les jeunes dans leurs expériences et l’expression des
émotions vécues au cours de leur développement relationnel et sexuel. Le troisième axe vise davantage d’encouragement et de soutien pour l’expérience positive de la sexualité
dans les institutions d’aide à la jeunesse et d’enseignement
afin d’éviter que la politique générale ne se concentre exclusivement sur la prévention et le risque au détriment de la
dimension positive de la sexualité.
MAJORITÉ ÉLECTORALE
Corrélations entre l’âge
des jeunes et leur participation
politique Régis Dandoy rapporte que même si les jeunes se tiennent
quelque peu à distance de la politique, il n’est pas pour
autant question dans leur chef de sentiments négatifs, de
dégout ou de rejet de la politique.
Mais un débat demeure : comment intéresser les jeunes à
la politique, eux qui vont devoir devenir des êtres politisés ? Si les nouvelles technologies, les médias, les formes et
les contenus des débats sont des pistes envisagées, quand
l’objectif est d’intéresser les jeunes à la politique, certaines
choses ne fonctionnent pas, rapporte le politologue. L’intérêt que les jeunes portent à la politique est peu influencé
par des profils de candidats jeunes, ils ne s’y identifient pas.
Pareillement pour l’idée de rendre le système plus direct, les
jeunes n’y trouvent pas plus d’avantages.
Régis Dandoy rappelle que l’accès aux élections à 16 ans
n’existe en Belgique que pour les consultations populaires
au niveau local. Il poursuit en évoquant que ce seuil d’âge
a été intégré pour les élections depuis plusieurs années
dans plusieurs pays d’Europe (dès 2007 en Autriche, dans
les cantons allemands, au Royaume-Uni, en Norvège, en
Bosnie) ainsi qu’en Amérique latine (Brésil, dès 1986).
L’intervenant souligne qu’une fois le nouveau seuil d’âge
implémenté, les gens prennent conscience des avantages
que cela entraîne. À titre d’exemple, il évoque l’Autriche
où l’on observe que les jeunes s’intéressent davantage à la
politique depuis l’abaissement du seuil d’âge. Ce constat
vient se frotter à un certain immobilisme relevé dans plusieurs pays qui se fonde sur l’idée que les jeunes ne portent
qu’un faible intérêt à la politique, qu’ils n’en ont que peu de
connaissances, et qu’ils sont vraisemblablement trop immatures pour qu’il en soit autrement..
Concernant la question du vote obligatoire, le politologue
expose qu’il est difficile de tabler sur les expériences étran-
gères. Il cite l’exemple de pays d’Amérique du sud. Dans
certains d’entre eux, le vote est facultatif pour les 16-18
ans et les plus de 70 ans. Les jeunes participent aux élections jusqu’à 80 % et ce taux est identique dans d’autres
catégories de la population d’électeurs pour lesquelles c’est
obligatoire. Dans d’autres, 62% des jeunes participent aux
élections contre 80 % dans les autres catégories pour lesquelles le vote est obligatoire. Régis Dandoy analyse donc
qu’une même disposition de vote dès 16 ans génère des résultats différents selon les pays et les contextes.
Le débat sur l’âge, conclut Régis Dandoy, intervient dans
le cadre d’un contexte politique belge particulier. En effet,
différents débats agitent l’opinion publique sur des questions qui touchent de près l’organisation de la politique :
le cumul des mandats, le salaire des ministres, la démocratie directe, le changement des frontières électorales. Il
ajoute qu’une modification de l’âge est étroitement liée à
un changement de la Constitution et que ce type de processus est difficile, long et demande un consensus susceptible
de résister le temps de deux législatures. Implémenter un
pareil changement est un véritable défi en Belgique, selon
l’intervenant.
Le Conseil de jeunes de
Molenbeek : une expérience
de jeunes élus au niveau local
Hicham Nasi présente le Conseil de jeunes de Molenbeek
dont il est le coordinateur. Sur la base de l’expérience personnelle que les jeunes font de la participation au sein du
Conseil des jeunes, dit il, cet organe devient pour ses jeunes
membres un outil de connaissance de la loi, de développement de compétences diverses et de revendication politique.
C’est en 2014 que l’Échevine de la jeunesse met en place
ce conseil et que l’invitation au vote est lancée pour la
première fois. Molenbeek est une commune qui compte
17.550 jeunes de 12-25 ans pour 95.000 habitants et Hicham Nasi précise qu’ils ont enregistré plus de 600 votants,
ce qui est un score très honorable, ajoute-t-il, comparativement aux expériences similaires dans d’autres communes
de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Aux dernières élections, le nombre de votants a encore augmenté et l’intérêt
suscité n’est sans doute pas étranger, souligne Hicham Nasi,
à l’existence préalable du conseil des enfants (dès 12 ans) au
sein de la commune.
L’intervenant dresse trois profils de jeunes sur la commune.
Premièrement, celui qui ne vote pas et qui n’y voit aucun
intérêt. Deuxièmement, le jeune entre 12 et 15 ans qui
vient voter avec ses parents et pour lesquels ce premier vote
est un évènement familial revêtu d’une forte dimension
symbolique. Enfin, troisièmement, le jeune de 16 ans, amis
d’un candidat, sensibilisé à la question de la participation
politique et qui vient voter en soutien.
Les jeunes qui se portent candidats doivent habiter ou être
actifs dans la commune, c’est-à-dire avoir une expérience
de la commune et ne pas appartenir à un parti politique.
En participant à ce Conseil des jeunes, Hicham constate
qu’ils ont l’occasion de réagir à ce qui se dit sur la commune de dépréciatif, de mener des actions et de dire ce
qu’ils pensent. Ce qu’ils ont eu concrètement l’occasion de
faire concernant, notamment, l’abaissement de l’âge dans le
cadre des sanctions administratives communales.
Selon Hicham Nasi, il est indispensable que le Conseil des
jeunes reste animé par des enjeux définis à partir de l’expérience des jeunes et que ce soit un outil par et pour les
jeunes.
MAJORITÉ PÉNALE
De l’équilibre entre l’enjeu de
l’âge, du dispositif légal et de
l’engagement politique
Thierry Moreau rappelle les origines de la notion de majorité pénale et la notion de «discernement pénal» que l’on
retrouve dans la loi du 15 mai 1912. Deux hypothèses se
présentaient pour le mineur concerné : soit il a le discernement et le doit pénal peut donc lui être appliqué, soit il ne
l’a pas et il peut être acquitté. Ce système connaissait ses
dérives autour de la démonstration du discernement et de
l’instrumentalisation de cette notion par les juges au regard
de la nécessité de prononcer une peine.
La majorité pénale, en tant que technique juridique «indifférente» à l’enfant, est intervenue pour évacuer la notion de
discernement qui «sonde» la maturité de l’enfant et pour assurer la possibilité d’intervenir à l’égard de tous les mineurs
auxquels seront adressées des mesures éducatives plutôt que
la prison. La majorité pénale consacre donc la présomption
d’absence de discernement pénal avant le seuil d’âge fixé.
L’évolution des seuils d’âge pour la majorité pénale démontre les décalages qui ont existé avec les seuils de la
majorité civile, jusqu’à ce qu’ils coïncident en 1990 avec
l’abaissement de la majorité civile à 18 ans. Et si à cette
période des techniques ont été mises en place pour prolonger les mesures éducatives jusque vers 23 ans, Thierry
Moreau souligne la tendance à la repénalisation de la protection de la jeunesse que toute une série de dispositifs met
en évidence (création d’IPPJ à régime fermé; augmentation
du dessaisissement; l’intérêt du mineur n’est plus la première priorité…). Cette tendance s’accompagne, poursuitil, d’une reconnaissance d’une plus grande capacité dans
le chef du mineur repéré pour des faits qualifiés infraction
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(FQI), comme si l’enfant de 18 ans était plus proche de
l’adulte qu’il ne l’était auparavant, pénalement parlant.
C’est sur la base de ce type de considérations, poursuit l’intervenant, que le droit international développe un point
de vue en faveur de l’adaptation de la prise en charge judiciaire quand un mineur est concerné, que le modèle de
justice soit pénal, protectionnel, réparateur, restaurateur ou
sanctionnel. Les dispositions internationales ne s’arrêtent
pas sur l’âge de la majorité, mais indiquent toutefois qu’il
ne doit pas être trop bas et souligne la relation étroite qui
existe en général entre la notion de responsabilité pour un
comportement délictueux et les autres droits et responsabilités sociales tels que la situation matrimoniale ou la
majorité civile. Les États sont toutefois invités à établir un
âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés ne pas avoir la capacité de contrevenir au droit pénal.
Sur cette base, Thierry Moreau dégage deux options : soit
prévoir un âge seuil en dessous duquel prévaut le dispositif spécifique de la minorité pénale et au-delà celui de la
majorité pénal. Soit l’âge minimum correspond à l’âge de
la responsabilité pénale à partir duquel le mineur peut être
pris en charge par un juge ou une autre autorité dans un
système spécifique non pénal. Et il y aurait alors trois catégories : les mineurs qui ne pourraient pas être reconnus
auteurs de FQI; les mineurs qui seraient soumis à un dispositif spécifique associé à la minorité pénale; et les mineurs
qui ont atteint la majorité pénale et qui peuvent donc être
soumis au dispositif des adultes.
Selon Thierry Moreau, il ne faut pas redouter l’abaissement
de la majorité pénale, car l’équilibre ne viendra pas de l’âge,
mais bien des politiques qui vont accompagner le dispositif
légal. Il considère que symboliquement il y a moins d’enfants dans notre société, car les enfants peuvent plus rapidement être traités comme les adultes. Comment les jeunes,
en ce compris les plus difficiles, vont-ils être aidés à devenir responsables ? Voici la question posée par l’intervenant,
tout en soulignant qu’à ses yeux, il n’y a pas d’engagement
social sans engagement d’adultes responsables, c’est-à-dire
sans investissement de l’État.
Le dessaisissement : perceptions
contrastées des acteurs
judiciaires et angoisse des jeunes
Delphine Paci expose que les intervenants du secteur ont
différents points de vue sur la question du dessaisissement.
Premièrement, parmi les juges de la jeunesse, certains sont
réfractaires à se dessaisir, car selon eux, ce dispositif est le
signe d’un échec de l’aide à la jeunesse. Pour d’autres, les
plus réfractaires à l’aide à la jeunesse, les mesures spécifiquement dédiées aux mineurs sont contre-productives, ce
qui les invite à s’intéresser au droit des majeurs et à recourir
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au dessaisissement. Ils considèrent encore que le droit pénal
consiste en une responsabilisation des jeunes.
Deuxièmement, l’intervenante observe une sévérité accrue
au sein de la chambre spécifique statuant sur les dessaisissements. La tendance au plaidoyer pour les circonstances
de minorité qui prévalait auparavant a laissé place actuellement, selon elle, à la tendance de reprocher au jeune son
dessaisissement. Comme si le jeune n’ayant pas été en mesure de «saisir la chance» que la protection de la jeunesse lui
a tendue.
Troisièmement, des avocats rapportent que recourir à ce
dispositif c’est faire le pari que la justice pénale sera la plus
efficace pour les mineurs. Or, selon eux, le dessaisissement
concerne les jeunes les plus fragilisés, tels les MENA qui
vont être surreprésentés par les mesure prison-enfermement et donc dans des cadres d’hébergement très violents.
Enfin, les jeunes font l’expérience du dessaisissement
comme une menace qui pèse sur leur avenir. Ce dispositif
intervient comme une rupture dont il sera difficile pour
eux de se relever. Il génère de l’angoisse auprès de ce public
vulnérable pris en charge par la justice des mineurs.
Pour conclure, Delphine Paci souligne que ces éléments
soutiennent la critique de l’iniquité de ce dispositif spécifique. Et l’intervenante d’insister sur l’idée que le système
de protection de la jeunesse, selon elle, fonctionne et que
s’abstenir de dessaisir ne signifie absolument pas que l’on
évoluerait vers un système d’impunité.
Les politiques aux prises
avec les majorités
Le débat auquel sont invités Georges-Louis Bouchez (MR),
Karine Lallieux (PS) et André du Bus (CDH) s’ouvre sur
un questionnement concernant l’utilité de la majorité et
des débats que cette notion entraîne. En effet, interroge,
Thierry Moreau, quelle est la capacité que les politiques
veulent développer et quels sont les moyens mis en œuvre,
en quoi les politiques sont-ils des initiateurs de jeunes ? Il
lui semble que l’orientation des politiques publiques en
Belgique démontre le peu d’intérêt et de sérieux accordés
aux difficultés que rencontrent les jeunes à accéder aux attributs de la majorité, notamment à travers l’accès à la formation et au travail. Les trois invités politiques ont tour à
tour formulé des éléments de réponse avant d’entrer dans
des échanges de parti à parti. Trois axes ont prévalu tout au
long de ce débat : les majorités, l’image dépréciée des jeunes
et le rôle du politique.
Premièrement, quant aux différentes majorités. GeorgesLouis Bouchez est favorable à plusieurs majorités, car de
son point de vue, il est question de notions théoriques non
reliées entre elles et qui ne renvoient pas à l’évolution de
chacun. Karine Lallieux revient sur le caractère fluctuant
de ces seuils qui doivent être fixés par le législateur. André
Du Bus invite le législateur à tenir compte des besoins des
jeunes qui sont rendus visibles par l’action d’organismes issus de la société civile. Ces besoins évoluent selon différents
paramètres, poursuit André Du Bus, et ceci doit être mis
en lien avec les inégalités sociales de plus en plus fortes.
Georges-Louis Bouchez opterait pour une responsabilisation au fur et à mesure et est certainement favorable au
droit de vote à 16 ans pour harmoniser les dispositions en
la matière. Tandis que pour André Du Bus, modifier les
âges des majorités n’est peut-être pas la priorité. Selon lui, il
faut travailler sur les réponses que donnent les institutions
telles que l’aide à la jeunesse et les écoles qui sont parfois
des sources de violences.
Deuxièmement, quant à la jeunesse perçue comme une
menace. Georges-Louis Bouchez observe effectivement une
difficulté à parler de la jeunesse et du futur, et à le considérer de façon positive. Il s’étonne du peu d’occasion d’entendre parler des jeunes qui ont des projets et qui créent
des choses. Karine Lallieux est également d’avis que les regards sur la jeunesse sont assez pessimistes et, selon elle, ce
n’est pas sans lien avec le contexte général international.
La députée socialiste ajoute que de son point de vue c’est
une question de regard de l’adulte sur les jeunes, sans faire
fi des médias qui sont également négatifs. André Du Bus
revient sur deux éléments qui doivent, selon lui, inciter à
considérer la jeunesse sous un angle positif. D’une part, la
nette tendance à la baisse depuis plusieurs années des statistiques judiciaires concernant les jeunes et qui le convainc
que les jeunes ne sont pas plus violents ni plus délinquants.
D’autre part, les différentes mobilisations citoyennes ces
derniers mois qui démontrent, selon lui, la capacité des
jeunes à être solidaires. Il insiste sur la nécessité de travailler
avant tout sur les institutions
Troisièmement, quant au rôle du politique vis-à-vis des
jeunes. Karine Lallieux insiste sur la nécessité de mettre en
place des politiques spécifiques «jeunes» concernant, notamment, le chômage. Tout en soulignant qu’il faut, selon
elle, relativiser le poids du politique sur ces questions. À
la fois elle soutient qu’il est de la responsabilité de la société de combler ce que les gens ne peuvent accumuler au
cours de leur parcours, reconnaissant l’accroissement des
difficultés, à l’heure actuelle, auxquelles les jeunes doivent
faire face. À ce sujet, André Du Bus se demande comment
l’école peut aider les jeunes à réussir et revient sur le Pacte
d’excellence qui vise une réforme de l’enseignement. Il observe, dit-il, d’énormes résistances au changement, auquel
ce type de projet est confronté, et qui bloquent toute avancée. Georges-Louis Bouchez s’étonne de certains discours
politiques notamment ceux liés au chômage et qui veulent
s’attaquer au «chômage problématique des jeunes». Ceux-ci
entretiennent, selon lui, une vision négative des jeunes. Il
soutient qu’il revient aux politiques de faire disparaître le
problème du chômage et de renoncer au recours systématiques à des mesures spécifiques pour les jeunes qui font depuis longtemps la démonstration de leur échec. Selon lui,
les difficultés d’éradiquer le chômage sont liées au fait que
les dispositifs sont pensés sur la base d’un modèle révolu,
celui des Trente glorieuses, et qu’il est nécessaire de renouveler le débat en misant sur le potentiel créatif des jeunes
ainsi que sur d’autres choix budgétaires.
Conclusions
Bernard De Vos, Délégué Général aux Droits de l’Enfant
(DGDE) aborde sans transition la question financière en
rappelant que le Budget de l’aide à la jeunesse avoisine les
280 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 80 millions pour
les politiques «jeunesse». Tandis que le budget pour l’enseignement obligatoire est de près de 6 milliards, dont pas
moins de 500 millions affectés au redoublement. Il veut
souligner à quel point les enveloppes traduisent les priorités
politiques et à quel point elles sont discutables selon lui.
Il rappelle que les seuils d’âge ont pour fonction d’assurer
la sécurité juridique et qu’il est important de tenir compte
de l’évolution sociale des âges, d’autant plus quand cela
concerne l’adolescence au cours de laquelle l’identité s’élabore encore. Il revient sur le contexte de crise, en rappelant que 40% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, ce
qui n’est pas sans effets, selon lui, sur la qualité, la quantité
d’expériences, ainsi que sur la maturité et la capacité de
discernement.
Le DGDE souligne que les questions sur la majorité font
état de l’évolution rapide de nos sociétés et il invite à faire
l’effort d’aller le plus loin possible dans les réflexions,
quelle que soient les situations à envisager : de la capacité
de l’enfant à signer devant un conseiller de l’aide à la jeunesse en passant par la participation politique, ou encore
relativement aux dispositions en matière d’euthanasie. Le
DGDE appelle à plus de cohérence, réfère aux travaux du
Comité des droits de l’enfant et invite à prendre au sérieux
les jeunes, leur capacité à s’informer et leur conscience citoyenne.
Dans toutes les matières, et notamment la majorité sexuelle,
le DGDE rappelle la nécessité, selon lui, que l’outil juridique corresponde le plus aux capacités et compétences des
jeunes. Enfin, il insiste sur la nécessité de commencer par
respecter les droits des enfants pour encourager un développement plus favorable, une insertion plus aisée dans la
société et une confiance plus solide dans les institutions et
les politiques.
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