Val-de-Reuil. l`amour en cage

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Val-de-Reuil. l`amour en cage
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Val-de-Reuil.
La Dépêche
Vendredi 29 janvier 2016
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L’amour en cage
Le maintien des liens familiaux en prison est encouragé au niveau national par de multiples dispositifs, comme les Unités de Vie
Familiale (UVF) permettant aux détenus de recevoir leurs proches en privé. Le centre de détention de Val-de-Reuil en accueillera
quatre en 2016.
Après la rénovation des parloirs et la création de salons
familiaux en 2015, le centre
pénitentiaire de Val-de-Reuil
accueillera quatre Unités de Vie
Familiale (UVF) courant 2016,
a annoncé sa directrice lors de
la cérémonie des vœux. Ces
appartements « meublés, tout
confort », bâtis à l’écart de la
zone de détention, permettront
aux détenus méritants de recevoir leurs proches pendant un à
trois jours. Des parloirs améliorés, visant à recréer le temps de
quelques jours un cocon familial
ou une intimité de couple. Les
appartements, prévus pour deux
à trois personnes seront meublés
et équipés de sanitaires privés,
d’une chambre, d’un séjour avec
coin cuisine équipé, d’un espace
extérieur accessible en journée,
d’une télévision, de DVD et de
jeux de sociétés pour les enfants.
Le Ministère de la Justice, qui
considère le maintien des liens
familiaux en prison comme une
« condition fondamentale de
la réinsertion », multiplie ces
derniers temps la création d’UVF
et de salons familiaux dans les
établissements pénitentiaires
français. « Ces dispositifs sont
réclamés par les détenus »,
affirme Muriel, membre du
Service Pénitentiaire d’Insertion
et de Probation (SPIP) de l’établissement. « C’est important
pour eux de pouvoir voir leurs
proches dans des conditions
décentes, de permettre la
continuité des liens familiaux ».
Plus de sexe,
moins de violences
À mots couverts, on explique
que ce dispositif permet aussi
d’encadrer les relations sexuelles
au sein de la prison. « Une
vraie intimité, des relations
sexuelles, tout cela permet
de désamorcer certains actes
violents », explique Muriel. Une
problématique d’autant plus
présente dans le cadre des longues peines, qui concernent près
de la moitié des pensionnaires
de Val-de-Reuil. Dans les boxes
numérotés du parloir tradition-
nel, les relations sexuelles sont
quotidiennes, malgré l’absence
d’intimité. Comme dans la plupart des prisons, les surveillants
laissent faire. « C’est en principe interdit, mais il y a une
tolérance, évidemment. On
reste juste vigilants. On fait
des rondes, parce que des enfants jouent dans les couloirs,
ce n’est vraiment pas l’idéal »,
confie l’un d’eux.
L’intimité encadrée
Pour bénéficier d’une visite
en UVF, les prisonniers et leurs
proches devront montrer patte
blanche : « Une commission
examinera les demandes, et
enquêtera sur la réalité des
liens entre les personnes »,
a précisé la directrice Muriel
Guégan. Les proches devront
se soumettre à une fouille à
l’entrée, et laisser leur portable
au vestiaire. Interdiction pour la
famille d’apporter de la nourriture : le détenu devra l’acheter
lui-même à la « cantine » (le
magasin interne où les détenus
peuvent s’approvisionner, NDLR).
La visite se déroule ensuite en
privé. Un surveillant peut passer
vérifier que tout va bien, mais il
doit prévenir le détenu au préalable.
Avant les UVF, une première
étape avait déjà été franchie en
2015, avec la création à Valde-Reuil de quatre salons, ou
parloirs familiaux. Ces salons
fermés, d’une superficie de 12
à 15 m², permettent aux détenus
de recevoir leurs proches en journée et dans l’intimité, pour une
durée maximale de 6 heures.
« Entre nous, on les appelle
les baisodromes », plaisante
un surveillant. Mais une fois passée l’euphorie de la découverte,
ces rendez-vous prolongés à huis
clos n’ont pas toujours eu l’effet
attendu : « On s’est aperçus
que certaines compagnes de
détenus préféraient revenir à
l’ancienne méthode, le parloir
traditionnel de deux heures.
Elles n’étaient pas rassurées
de rester enfermées trop
longtemps, avec un mari parfois un peu agressif. Le parloir
L’une des quatre UVF du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé, ouvert en 2013. (©Willy Berre)
public, plus encadré, leur correspond mieux ».
La bête noire
des surveillants
La violence en prison, c’est
la bête noire des surveillants.
Certains craignent que ces UVF
ne permettent de faire entrer
des objets illicites : « Avant,
on fouillait intégralement
les détenus. Depuis la loi
Taubira, on n’en fouille plus
que cinq ou six sur la vingtaine de détenus qui passent
au parloir. Les autres passent
au portique de détecteur de
métaux, qui ne détecte pas
les couteaux en céramiques.
Ni les stupéfiants », indique
Nicolas Bihan, surveillant à Valde-Reuil et délégué régional du
Syndicat Pénitentiaire des Surveillants. « La solution pourrait
être une fouille générale des
800 cellules individuelles de
la prison. Problème : à Valde-Reuil, le plus grand centre
de détention d’Europe, cela
n’a tout simplement jamais
été fait ».
« Prison 4 étoiles »,
dénonce le syndicat
Le détenu rolivalois serait-il
roi? À en croire le syndicaliste, la
Sexe et parloir ne font pas bon ménage
Les faits ne se déroulent pas à Val-de-Reuil, où nous n’avons pas
obtenu l’autorisation d’entrer ou de rencontrer un détenu. Mais
le témoignage de cet ancien surveillant, aujourd’hui reconverti,
passé notamment par la prison de Fleury-Mérogis, est néanmoins édifiant :
« Le parloir traditionnel, c’est ignoble. On sait que les
détenus ont des relations sexuelles dans les boxes, alors
on toque pour prévenir, on repasse plusieurs fois. C’est
toujours compliqué, il y en a qui font perdre du temps à
tout le monde, parce que tous les détenus et les proches
doivent entrer et sortir en même temps du parloir. C’est
ultra glauque, ça pue, entre deux passages c’est pas nettoyé et ça enchaîne. Et il y a des enfants pas loin ». Son avis,
sur les dispositifs de maintien des liens familiaux : « L’UVF, les
salons familiaux, c’est vraiment bien, surtout pour le mec
qui a pris deux, trois ans. Celui qui a pris dix ans, c’est plus
compliqué pour son couple. Mais c’est aussi un moyen de
pression pour l’administration pénitentiaire : un parloir
classique est un droit, un UVF, ça se mérite. »
réponse est oui : « Notre problème aujourd’hui, c’est de
montrer qu’on gère encore
la prison. Il y a vingt ans, la
vie en prison était trop dure.
Les politiques ont voulu changer ça, dans le but de limiter
les conflits. Mais aujourd’hui,
c’est l’effet inverse. On leur
donne tout, au détriment
de notre sécurité et de notre
autorité. Même les prix des
produits de la cantine sont
plus bas qu’à l’extérieur, ce
n’est pas normal. Il y a un
sentiment d’impunité. On
trouve ça bien, les UVF. Mais
on a l’impression qu’ils y a des
moyens pour les détenus et
pas pour nous. On nous parle
d’état d’urgence. Mais en prison, rien n’a changé. »
Trop dures, trop laxistes… Le
sujet des conditions de détention
dans les prisons françaises n’en
finit pas de cliver. D’autres pays
ont cependant fait le choix de
rapprocher les détenus de leurs
proches : ainsi, les visites familiales sont couramment admises,
voire encouragées, au Danemark, en Espagne, en Suède et
au Canada.
Lénaïg Le Mouël
Maintien des liens en
prison : quelques chiffres
Au 1er janvier 2015, selon le Ministère de la Justice, les prisons françaises comportaient :
- 85 Unités de Vie Familiale (UVF) réparties dans 26 établissements (contre 71 UVF dans 21w établissements en 2014)
- 45 salons familiaux dans 12 établissements pénitentiaires
(contre 36 dans 9 établissements en 2014)
- 22 structures d’hébergement de nuit pour les familles venant de loin
- 65 espaces aménagés pour les enfants dans les parloirs