Assurance de responsabi- lité : quand la Cour de Cassation introduit
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Assurance de responsabi- lité : quand la Cour de Cassation introduit
Assurances des activités de santé Luc Grynbaum Professeur à l’Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité, membre de l’Institut Droit et Santé David Noguéro Professeur à l’Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité, membre de l’Institut Droit et Santé Bertrand Vorms Avocat au Barreau de Paris, BCW & Associés CHRONIQUE - 5 Assurance de responsabilité : quand la Cour de Cassation introduit de l’aléa là où on ne l’attend pas ème À propos de Cass. 2 civ., 24 mai 2012, pourvoi n°10-27.972 Chacun sait, pour avoir quelques notions de droit, que le contrat d’assurance est, nécessairement, aléatoire. Il permet de mutualiser les conséquences pécuniaires d’un sinistre dont, statistiquement, on sait qu’il se produira, sans pour autant connaitre ni sur quel assuré, ni à quel moment il se réalisera. A cela s’ajoute, notamment en matière d’assurance de responsabilité civile des acteurs de la santé, une importante imprécision quant à l’étendue et au montant des dommages à réparer (encore que leur importance varie en fonction de l’activité pratiquée). La prime payée par le professionnel est la contrepartie d’une garantie qui couvre, jour après jour, son activité, de sorte que le dommage survenant pendant la période au cours de laquelle la prime est payée doit être, en principe, pris en charge. Selon le contrat, la garantie sera déclenchée, soit par le fait dommageable, soit par la réclamation (art. L. 124-5 code des assurances.). Dans ce dernier cas, l’assuré est couvert contre les conséquences pécuniaires des sinistres « dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent […], quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres » (art. L. 124-5 al 4 code des assurances.). Tant que le dommage et la réclamation de la victime surviennent pendant la période de validité du contrat, les choses sont relativement simples. Il en va de même si un dommage, né pendant la période de validité du contrat, fait l’objet d’une réclamation pendant le cours du délai subséquent, lequel ne peut, en matière de responsabilité civile médicale, être inférieur à cinq ans. Mais la combinaison de plusieurs évènements susceptibles d’affecter cet ordonnancement simple peuvent conduire à compliquer singulièrement les choses si l’on n’y prend garde : d’un côté l’éventuelle suspension de la garantie du fait de l’absence de paiement de la prime, par application de l’article L. 113-3 du code des assurances, de l’autre, la date de la réclamation de la victime. L’arrêt rapporté, rendu dans un autre domaine que celui du droit de la santé, mérite que l’on s’y arrête puisque les faits de l’espèce combinaient ces éléments perturbateurs dans un contrat d’assurance fonctionnant en base réclamation, ce qui est nécessairement le cas de l’assurance de responsabilité Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie / N° 1 - 2013 63 CHRONIQUE - 5 civile médicale (art. L. 251-2 C. assur. et L. 1142-2 code de la santé publique). Le moins que l’on puisse dire, c’est que la solution retenue n’emporte pas 10 l’adhésion des commentateurs . Les faits étaient relativement simples : une entreprise de surveillance de locaux voit sa responsabilité engagée du fait de deux cambriolages intervenus, sans qu’elle les décèle, dans des magasins qui avaient fait appel à ses services. Ces sinistres surviennent fin mars et début juin 2004, à un moment où la garantie était toujours en vigueur. À compter du 23 juin 2004, cette garantie est suspendue en raison de l’absence de paiement de la prime, et ce jusqu’à régularisation de la situation trois semaines plus tard. Pour son malheur, la réclamation de la victime survient pendant ce laps de temps. Son assureur, s’appuyant sur les clauses du contrat qui les lient, refuse de couvrir le risque pourtant intervenu à une époque où la prime était payée, ce qui n’était pas contesté. La Cour d’appel de Reims lui donne raison, et la Cour de Cassation confirme, en jugeant que le contrat « précisant que la garantie est déclenchée par la réclamation, c’est à juste titre que la société AGF IART a refusé sa garantie dès lors que les réclamations […] sont parvenues […] le 29 juin 2004, date à laquelle les garanties étaient suspendues en raison du défaut de paiement des primes […] ». Sans entrer ici dans la vive critique de cette solution, dont la doctrine impute l’origine à une mauvaise application, par les Juges du fond et la Deuxième Chambre Civile, de l’articulation entre durée du contrat et application de la garantie dans le 11 temps , on doit ici en souligner les paradoxes, à plusieurs titres : 1. En premier lieu, cette solution introduit des incertitudes dans les rapports entre assuré et assureurs (qui ne sont pas toujours simples, déjà), en atténuant la corrélation habituelle entre prime payée et risque couvert (on raisonne, bien évidemment, hors toute autre élément susceptible de conduire l’assureur à dénier sa garantie). Elle conduira nécessairement les professionnels à s’interroger sur la contrepartie du paiement de la prime si elle ne garantit plus la couverture des sinistres susceptibles de survenir pendant la période où ils étaient en règle. Elle fait peser, sur l’assuré, un aléa difficilement compréhensible : le fait d’être couvert ne dépend plus de son comportement (comprendre : je paie, je suis couvert), mais de la date à laquelle la victime se manifeste, ce qui n’a rien à voir, ni avec le risque pour lequel la police a été souscrite, ni avec le fait générateur du dommage. 2. En second lieu, cette solution étonne puisque si, comme l’a retenu la Haute juridiction, la garantie •••••••••••••••••••••••••••••••• 10 - Notamment, commentaire très critique de H. Groutel, « Défaut de paiement de la prime : mise en œuvre de la suspension de la garantie dans un contrat en « base réclamation », in Revue : Resp. civ. et assur., 2012, comm. 257. 11 - H. Groutel, op. cit. ; L. Mayaux, « Une garantie suspendue er n’est pas une garantie expirée », in JCP ed. G, n° 14, 1 avril 2013, doctr. 400. 64 Assurances des activités de santé n’est pas due lorsque la réclamation survient pendant une période de suspension du contrat, quand bien même le fait générateur du dommage serait-il antérieur à cette suspension, faut-il en conclure que c’est désormais la date de la réclamation qui devient l’élément déterminant lorsque l’assurance fonctionne en base réclamation ? En d’autres termes, peut-on soutenir, par une lecture a contrario de cet arrêt, que l’assuré dont le contrat est suspendu peut, en payant la prime arriérée, faire couvrir des sinistres survenu pendant la période de suspension pour lesquels aucune réclamation n’a encore été formulée, contrairement à ce 12 qui est traditionnellement enseigné ? Répondre par la négative conduit à imposer, à l’assuré, une double sanction en cas de suspension du contrat : non seulement les sinistres nés pendant la période de suspension du contrat ne sont pas couverts, mais désormais ceux survenus antérieurement ne le sont pas plus, dès lors que la réclamation intervient pendant la suspension. Inversement, comment, dans l’affirmative, articler cette nouvelle position de la Cour de Cassation avec le principe de la couverture, par l’assureur, du seul « passé » inconnu qui résulte du fondement même de tout contrat d’assurance, à savoir la mutualisation d’un risque aléatoire ? 3. En troisième lieu, on ne peut faire l’économie de pousser le raisonnement jusqu’au bout et constater que l’assuré dont le contrat est suspendu se trouve dans une situation juridique beaucoup moins favorable que celui dont le contrat est résilié, ce qui conduit à une forme d’inversion de l’échèle des sanctions. C’est sans doute ce qu’avait vainement tenté de soutenir l’assuré devant la Cour d’appel de Reims et la Cour de Cassation, en revendiquant l’application de la garantie subséquente (applicable pendant les cinq années suivant la résiliation du contrat) à la situation de la suspension du contrat. Il est un fait que cet arrêt conduit au paradoxe que l’assuré reste couvert si un dommage, survenu pendant la période d’application du contrat, fait l’objet d’une réclamation dans les cinq années de son terme ou de sa résiliation, alors qu’il ne le serait pas si la réclamation est contemporaine d’une période de suspension dudit contrat, quand bien même le contrat ne serait-il pas résilié ou aurait-il repris son cours. Les assureurs pourraient, dès lors, être tentés de préférer rester dans une situation de contrat suspendu, plutôt que de le résilier, alors que l’expérience démontre que les professionnels de la santé ne sont pas toujours parfaitement conscients de leur situation vis-à-vis de leurs compagnies d’assurance, ayant souvent tendance à les considérer comme étant une source supplémentaire de « paperasse ». 4. On ose former le vœu, pour les professionnels de la santé, que cet arrêt restera isolé. B. V. •••••••••••••••••••••••••••••••• 12 - S. Bertolaso, JurisClasseur Civil Annexes – V. Assurances, Fasc. 5-30, n° 59. Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie / N° 1 - 2013