La vie quotidienne des femmes en Corée du Nord

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La vie quotidienne des femmes en Corée du Nord
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CORÉE DU NORD
par Kim Seok Hyang*
La vie quotidienne des femmes
en Corée du Nord
L’égalité des sexes grâce au Grand Leader
L
ES AUTORITÉS NORD-CORÉENNES ont toujours proclamé que la République
démocratique et populaire de Corée était un lieu quasiment unique au monde quant au
respect de l’égalité des sexes. Depuis les années 1970, le même discours est repris, au moins
dans sa forme générale: «Grâce à notre Grand leader Kim Il Sung, chaque femme de Corée
du Nord bénéficie de la reconnaissance de l’égalité des sexes; et cela depuis la division de la
Corée en 1948. La vie des femmes au Sud est, elle, totalement différente. Elles souffrent de
la privation de leurs droits».
Illustration entre mille: un article paru dans Chosun Neoseong (Femmes de Corée du
Nord), la seule revue[1] de Corée du Nord qui s’adresse aux femmes. Dans le numéro d’octobre 2004, est présentée aux lectrices une chanson révolutionnaire intitulée «Les Femmes
doivent être émancipées». Selon ses paroles, les femmes vivant dans la société capitaliste
sont privées du moindre droit et ne veulent plus continuer à mener cette vie, «marquée par
les violences qu’elles subissent et les emprisonnements dans de minuscules cellules». Dans
la société capitaliste, dit encore la chanson, les femmes «souffrent du mépris et du dédain»
dont elles sont l’objet. La chanson se termine par un appel aux femmes vivant sous le joug
réactionnaire à combattre le fusil à la main « pour se débarrasser de la bourgeoisie et
acquérir des droits égaux» à ceux des hommes.
* Le Dr Kim Seok Hyang est titulaire de la chaire d’études nord-coréennes à l’université Ewha pour femmes
à Séoul.
1. Le Chosun Neoseong est la revue officielle de la Chosun Minjoo Neoseong Dong Maeng (Alliance démocratique des femmes de Corée). C’est la seule organisation de femmes en Corée du Nord. Toutes les femmes
mariées qui n’ont pas un travail à plein-temps et qui ne sont pas membres du parti unique en Corée du Nord
doivent être membres de l’organisation.
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Aujourd’hui encore, les autorités nord-coréennes répètent publiquement que, contrairement à ce qui se passe dans les sociétés capitalistes, la discrimination à l’encontre des
femmes a été «éliminée» en Corée du Nord et l’égalité des sexes «réalisée».
Pourquoi la Corée du Nord aurait-elle réussi – avant le reste du monde – à éliminer
toute discrimination basée sur le sexe et à réaliser l’égalité des genres? Mais c’est bien sûr…
(selon les autorités nord-coréennes) «grâce au Grand Leader Kim Il Sung» qui, toujours
selon le discours officiel, a fait de l’égalité entre hommes et femmes l’une des tâches
majeures de la révolution démocratique, anti-impérialiste et antiféodale.
Ainsi, «Kim Il Sung, le Grand Leader» a «complètement éliminé la discrimination à
l’encontre des femmes et bâti avec succès une société où le terme lui-même de discrimination semble une étrangeté pour le peuple».
Comment le Chosun Neoseong décrit-il le rôle joué par Kim Il Sung dans «le processus
d’émancipation des femmes»? Pour répondre à cette question, voyons ce qui est dit de la
vie des femmes dans les articles de la revue, entre septembre 1946 et aujourd’hui.
Les premières années de la Corée du Nord et le statut des femmes
Dès les premières années qui ont suivi la division du pays et l’établissement du Nord sous la
férule communiste, de nombreux articles expliquèrent comment l’égalité des sexes et les
droits des femmes avaient été promus au Nord. Ces textes rappelaient ce qu’était jadis la vie
des femmes, victimes de «discriminations issues de différentes traditions et d’un mépris
généralisé, qui conduisaient à les traiter comme si elles n’étaient pas des êtres humains»[2].
Ils concluaient par cette constatation: «La condition des femmes, pourtant la moitié de la
Nation, était dans le passé marquée par de nombreuses humiliations et par diverses manifestations d’une oppression misérable et injuste[3].»
Heureusement, depuis la Libération du 15 août[4], elles étaient parvenues à un «statut
d’égalité» avec les hommes au niveau politique, économique, social et culturel et elles jouissaient du droit au progrès «exactement comme les hommes».
Le Chosun Neoseong insistait sur les raisons de ces changements qu’il fallait chercher,
non seulement dans le soutien actif de « l’armée soviétique » et dans la « brillante
direction du général Kim Il Sung», mais aussi dans l’adoption de différentes réformes aboutissant à l’instauration de droits égaux pour les deux sexes, réformes qui prouvaient la
«victoire de la démocratie remportée par le Gouvernement démocratique et populaire dans
les domaines les plus fondamentaux».
2. « Article d’orientation sur le statut des femmes en zone rurale », Chosun Neoseong, n° 9, 1946.
3. « Les femmes en Corée du Nord après la Libération du 15 août », n° 3, 1947.
4. Le 15 août 1945 est la date de la reddition du Japon, libérant ainsi la Corée de sa tutelle effective (NDLR).
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Les femmes « libérées » défilent !
L’ère Kim Jong Il et le statut des femmes
À la fin des années 1970, les autorités nord-coréennes mirent en place dans le pays un
système assurant la domination exclusive de l’idéologie du juche[5]. Kim Jong Il était devenu
le successeur incontestable de son père. En d’autres termes, comme purent s’en rendre
compte la plupart des Nord-Coréens, l’ère Kim Jong Il débutait.
Dès lors, les autorités nord-coréennes affirmèrent de façon officielle que les femmes
nord-coréennes, depuis longtemps «négligées et privées de droits», venaient d’accéder au
rang de «maîtresses de leur propre vie» et cela grâce uniquement à «la famille du Grand
Leader Kim»: «le grand leader Kim Il Sung lui-même, sa femme Kim Jong Sook et son fils
Kim Jong Il». Plus une seule phrase n’évoquait désormais le «soutien actif de l’armée soviétique» dans le processus de libération des femmes de Corée du Nord: toute référence à cette
donnée avait totalement disparu.
Nombre d’articles du Chosun Neoseong invitaient à penser que si les femmes en Corée
du Nord avaient pu devenir «propriétaires de la Nation et de la Terre», c’était parce que – et
seulement parce que – «le Leader paternel leur avait donné cette puissance et cette force».
Sans le Leader paternel, lisait-on encore, la loi sur l’égalité des sexes, ouvrant aux femmes les
chemins de l’instruction publique, de la jouissance de la vraie liberté et de l’accession à la
réalité des droits, n’aurait pu être adoptée.
5. Rappelons que « juche » renvoie à l’idée d’« autosuffisance ».
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Les articles insistaient en particulier sur le rôle de Kim
Jong Sook, l’épouse du Grand Leader, dont ils disaient
qu’elle se rendait fréquemment sur les lieux de travail des
femmes, «leur proposant son aide et leur enseignant les
différents points de la doctrine révolutionnaire». Kim Jong
Sook, affirmaient-ils, encourageait les femmes en leur disant
par exemple: «Nous, les femmes, avons le pouvoir. Aussi
devons-nous le montrer en participant à l’effort industriel.
Les tâches des femmes ne consistent pas seulement à tenir
leur maison et à satisfaire les besoins des hommes ».
Stèle funéraire de Kim Jonk Sook
Commentaire de la revue: «Les femmes qui recevaient de
tels encouragements ne se sentaient plus fatiguées et, grâce à l’énergie ainsi insufflée, supportaient beaucoup mieux un travail prolongé.»
La revue affirme aussi que Kim Jong Sook aurait jadis constitué une unité féminine
anti-japonaise[6] de combattantes coréennes dans un village des monts Naedosan.
Ainsi, le Peuple devait à Kim Jong Sook d’avoir amené les femmes à prendre conscience
de leur « souveraineté » et de les avoir poussées à rejeter les conceptions des plus âgées
d’entre elles, qui, encore attachées aux «idées féodales de prédominance des hommes», ne
laissaient ni leurs filles ni leurs belles-filles participer aux Comités de paysans.
Kim Jong Il, le Cher Leader fermement établi comme héritier de droit, est lui aussi
décrit, dans la même veine, comme ayant apporté une contribution significative à l’amélioration du statut des femmes. Un article rapporte une anecdote sur la manière dont le
«camarade Cher Leader» avait choisi une femme de milieu modeste pour lui donner l’occasion d’étudier dans une université communiste[7]. L’anecdote prouvait clairement que les
femmes en Corée du Nord étaient les «bénéficiaires de l’incommensurable générosité» du
Cher Leader, qui les avait amenées à être «maîtresses de la terre libérée» (alors qu’elles
étaient auparavant sujettes à «des traitements inhumains et à un statut humiliant»). Aussi
cherchaient-elles à montrer leur reconnaissance au Cher Leader Kim Jong Il pour le don
généreux qu’il leur avait fait.
Cette gratitude constitue le thème principal des différents articles publiés par Chosun
Neoseong à cette époque. Grâce à Kim Il Sung, Kim Jong Sook et Kim Jong Il, les femmes
étaient passées du statut d’objets de mépris à celui de «maîtresses» de la nation et de la
terre. Les femmes faisaient donc leur devoir en remerciant le Leader de son geste généreux.
Il n’est pas étonnant que «le soutien de l’armée soviétique» mais aussi «la victoire fondamentale des réformes démocratiques», dont on disait qu’ils avaient joué un rôle important
6. « En avant vers la révolutionnarisation des femmes de Naedosan », Chosun Neoseong, n° 5, 1987.
7. « Les femmes, bras armés de la Révolution », op. cit., n° 6, 1986.
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Illustration de couvertures du Chosun Neoseong
dans l’amélioration de la position sociale des femmes, aient perdu toute leur importance
pendant l’ère Kim Jong Il.
Les femmes nord-coréennes étaient désormais dépeintes comme «faisant de leur mieux
pour remercier Kim Il Sung et Kim Jong Il » du cadeau qu’ils leur avaient fait. Même
confrontées à des travaux difficiles et fatigants, les femmes «souriaient à la pensée de la
confiance que le Parti mettait en elles et ne se souciaient pas des difficultés qu’elles rencontraient». Elles exprimaient ainsi leurs remerciements à Kim Il Sung et à Kim Jong Il, qui en
avaient fait les «maîtresses de leur vie».
L’ironie est que les femmes en Corée du Nord ne sont pas à proprement parler des
travailleuses, comme le laisseraient croire leurs bulletins de salaire: elles participent plutôt à
des «groupes de soutien» et fonctionnent comme une réserve de main-d'œuvre accomplissant toutes sortes de travaux que les hommes ne veulent pas faire. Comme pour toutes les
suppléances, elles ne se voient pas attribuer de tâches spécifiques mais sont plutôt utilisées
dans les secteurs qui exigent une aide immédiate. En tant que réservistes, elles ne sont donc
pas nourries comme de vraies travailleuses et n’attendent aucune récompense de ce travail.
Les années postérieures à 1990 et le statut des femmes
Les articles des années postérieures à 1990 dépeignent fréquemment des femmes qui assument des responsabilités et remplissent leur tâche plutôt que d’apprécier leurs «privilèges»
dans le domaine des droits. Dans le Chosun Neoseong, à mesure que les années passent, on
constate une nette chute du nombre d’articles consacrés à des femmes se réjouissant de leur
nouveau statut. Au lieu de cela, on voit des femmes prêtes à se sacrifier et à assumer des
tâches lourdes et difficiles. Grâce à leurs records de productivité, elles contribuent activement aux ressources du pays en fournissant des «montagnes de charbon» et la nourriture
nécessaire aux hommes au combat. Parce que ces femmes sont maîtresses d’elles-mêmes,
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elles font tout leur possible, «non pas dans le but d’accroître leurs revenus mais pour suivre
le Cher Leader et constituer des stocks de nourriture pour le pays».
Tout en se consacrant à ces travaux physiques, «les femmes, belles comme des fleurs»
continuent à déposer chaque jour des bouquets au pied de «la statue du Leader paternel»,
façon de participer aux tâches d’agitation et de propagande, mais aussi à préparer les repas
des travailleurs masculins et à leur confectionner des accessoires dont ils ont besoin au
cours de leurs tâches, comme des gants ou des coussins.
Un tel engagement de la part des femmes est hautement approuvé: il met en valeur les
«qualités nécessaires à la réalisation des buts du Parti» et «toute la loyauté et l’amour filial
dont elles font preuve en remplissant leurs devoirs de soldats».
Les femmes apparaissent aussi comme vivant dans la «simplicité» et «se débrouillant
par elles-mêmes sans demander l’aide du gouvernement» [!]
Un article, en particulier, décrit les femmes comme maîtresses de leur destin, «offre son
aide pour la moisson »[8]. Un autre décrit les femmes comme celles qui « se dévouent à
pousser une roue du chariot de la société, même après leur mariage, avec la conscience que
leur souveraineté, elle la donne au Parti et à la révolution[9] ».
Une évolution clairement perceptible
L’évolution des thèmes proposés dans le Chosun Neoseong montre non seulement les tournants de la politique nord-coréenne envers les femmes mais aussi l’évolution du système
d’explications et de justifications qu’avancent les autorités.
La revue s’est d’abord focalisée sur l’idée fondamentale de l’égalité des sexes et du
respect des droits des femmes. Elle s’est ensuite de plus en plus concentrée sur la valorisation de femmes cherchant passionnément le moyen de répondre au «grand amour manifesté par le Leader, encore plus grand que leur propre loyauté à son égard ». Les
femmes-modèles présentées par le Chosun Neoseong sont désormais les «maîtresses ès agriculture, ès révolution et ès augmentation des stocks de nourriture pour tout le peuple de
Corée du Nord». Elles sont «maîtresses de leur propre terre». Naturellement, ce sont des
maîtresses non payées.
De plus ces derniers temps, étant donné la situation, le gouvernement nord-coréen a
poussé les femmes plus à travailler dur – « comme des chefs ! » – et à se sacrifier pour
prouver leur loyauté à la direction, qu’à user inutilement de leurs privilèges et de leurs
droits.
8. « Les femmes de Moonchun font monter le roulement de tambour de la révolution », op. cit., n° 3, 2004.
9. « Le temps de l’Armée d’abord et la Révolution des femmes au foyer », op.cit., n° 3, 2004.
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Mon expérience personnelle
Mon expérience personnelle en Corée du Nord va à l’encontre de ce qu’on trouve dans les
articles du Chosun Neoseong. En tant qu’ancienne fonctionnaire de ministère de
l’Unification de la République de Corée[10], j’ai visité de nombreux endroits en Corée du
Nord, en particulier dans la région autour de Pyongyang, entre 2001 et janvier 2005. De
plus, après avoir occupé une chaire à l’Université Ehwa de Séoul, j’ai eu de nombreuses
opportunités pour suivre la vie quotidienne et discuter avec des Nord-Coréens de différentes régions: depuis les grandes villes comme Pyongyang et Cheongjin, jusqu’à de petits
villages comme Kyungsung, près de Cheongjin. J’ai pu aussi faire des séjours en Corée du
Nord, qui ont duré entre trois et quinze jours.
Pendant ces séjours, j’ai été confrontée à des scènes totalement différentes de celles
dépeintes par les autorités nord-coréennes qui évoquent une société respectant l’égalité des
sexes. Où que j’aille en Corée du Nord, je rencontrais très souvent des signes de discrimination
envers les femmes. Par exemple, j’ai été très surprise de voir que les femmes, quand des
hommes se livraient non simplement au harcèlement sexuel, mais même à de véritables agressions, se contentaient de sourire passivement, sans montrer le plus léger signe de désagrément.
Comment de telles scènes peuvent-elles se produire au pays supposé «de l’égalité des
sexes»?
Selon les prétentions des autorités nord-coréennes, chaque femme jouit de cette égalité
dans sa vie quotidienne. La réalité, cependant, est nettement différente. Les femmes en
Corée du Nord sont enfermées dans une position de second plan dans tous les domaines et
ne sont pas du tout autorisées à se plaindre; c’est du moins ce que j’ai vu. Parfois, je me
sentais tout près de perdre le contrôle de moi-même, mais cela aurait pu être dangereux
pour mon équipe comme pour moi.
Ce que disent les «défecteurs»[11]
Troublée, j’ai essayé d’éclairer ce problème en discutant avec des «défecteurs» arrivés en
Corée du Sud. Souvent, au début de la conversation concernant l’égalité des sexes en Corée
du Nord, ils répondaient quasiment tous qu’hommes et femmes avaient le même statut.
Même la majorité des femmes, pourtant clairement victimes de coutumes sexuellement
discriminantes, répondaient que la Corée du Nord était effectivement une société où l’égalité des sexes était respectée.
10. Donc, de la Corée du Sud (NDLR).
11. En anglais « defectors ». On se permettra le néologisme de « défecteurs », moins marqué politiquement que
« transfuges » et moins marqué par le registre de la misère que « réfugiés » (NDLR).
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Cependant, à mesure que la conversation avançait, certains de mes interviewés
commençaient, à partir de leur expérience personnelle, à parler de discrimination sexuelle
dans leur famille, à l’école et au travail. Par exemple, ils rapportaient que les parents qui ont
des filles regrettent de «n’avoir pas donné naissance à des fossoyeurs»[12] et qu’une large
majorité de Nord-Coréens trouve très désagréable le fait que des femmes sont chargées de
groupes d’élèves du primaire ou du secondaire. D’ordinaire, les hommes s’occupent des
tâches importantes tandis que les femmes jouent un rôle secondaire d’assistantes.
Je peux résumer les coutumes discriminatoires les plus communes en Corée du Nord
grâce aux anecdotes ou observations suivantes:
– au cours de leurs années d’adolescence, les conversations entre étudiants d’une même
école changent brutalement de style dès que les hommes sont passés par l’armée. Ils s’adressent alors de haut aux femmes, mais le contraire «n’est pas permis du tout. C’est impossible»[13] ;
– à la maison, les maris prennent leur dîner seuls pendant que les épouses et les enfants
dînent à une autre table. La femme est supposée satisfaire les besoins de son mari. C’est
pourquoi de nombreux «défecteurs» ont du mal à s’accoutumer à la culture de la Corée du
Sud où les femmes ne servent pas leur mari et s’installent à la même table sur des sièges
confortables;
– en Corée du Nord, il n’est pas rare de voir des hommes battre leur femme, et les gens
considèrent cela comme normal. Pour ces «défecteurs», qui venaient juste d’arriver à Séoul,
le fait que de telles actions puissent être passibles des tribunaux leur paraissait très étonnant.
Bien sûr, nous aurions besoin de données recueillies sur place pour approfondir cette
enquête. Mais la Corée du Nord est bien connue pour les lourdes restrictions qu’elle
apporte à la liberté d’expression. De plus, il est vraiment impossible pour des chercheurs de
collecter directement les opinions des Nord-Coréens et d’utiliser des données triées et
analysées pour appréhender la réalité de ce pays. Dans les conditions actuelles, il était donc
inévitable d’utiliser, comme sources primaires d’analyse, des discussions publiques et les
affirmations officielles pour conduire cette recherche sur la situation des femmes.
L’ensemble est cependant assez solide pour fournir un diagnostic de la Corée du Nord.
12. Sous entendu : pour enterrer leurs filles ! (NDLR).
13. Confirmation dans le livre de John Everard : voir dans ce numéro, p. 79-80, le compte rendu de lecture de
Only beautiful, please.
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