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AFFAIRE INTÉRESSANT UN ARBITRAGE
EN APPLICATION
DU CODE CANADIEN DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS SPORTIFS
ENTRE
DOMINIQUE PERRAS
(« demandeur »)
ET
L’ASSOCIATION CYCLISTE CANADIENNE (ACC)
(« intimée »)
ET
ANDREW RANDELL et ANDREW PINFOLD
(« intervenants »)
ARBITRE
MICHEL G. PICHER
COMPARUTIONS
POUR LE DEMANDEUR :
Jocelyn Auger, avocat
Dominique Perras
POUR L’INTIMÉE :
Lorraine Lafrenière, chef de la
direction/secrétaire générale
Sean O’Donnell, gestionnaire, Programme de
haute performance
POUR LES INTERVENANTS :
Andrew Finkelstein, avocat
Andrew Randell
Andrew Pinfold
Une audience préliminaire a eu lieu par conférence téléphonique le 28 février 2008 et
l’audience s’est déroulée par conférence téléphonique à partir d’Ottawa, Ontario, le
4 mars 2008.
DÉCISION
Cet arbitrage concerne la demande déposée par le cycliste Dominique Perras à l’égard
du refus de lui octroyer un brevet, qui lui a été communiqué le 15 décembre 2007. Le
brevet est le moyen qui permet à un athlète de recevoir une aide financière annuelle, à
condition, dans le cas qui nous intéresse, de satisfaire aux critères établis à cette fin par
l’Association canadienne de cyclisme, l’intimée, en consultation avec Sport Canada.
M. Perras allègue que l’intimée n’a pas observé comme il se doit ses propres critères
d’octroi des brevets, et l’a ainsi privé de la possibilité d’obtenir un brevet.
Les faits pertinents de l’espèce ne sont pas contestés. Le demandeur, Dominique
Perras, est un cycliste élite qui participe à des épreuves sur route avec l’équipe
nationale du Canada depuis 1992. En cette capacité il a représenté le Canada au
Championnat du monde de l’Union Cycliste Internationale (UCI) en 2000, 2003 et 2005.
Il a également participé aux Jeux du Commonwealth en 2006 et a été désigné premier
cycliste remplaçant pour les Jeux Olympiques d’Athènes. Il s’est également imposé
comme champion canadien sur route en 2003.
L’admissibilité aux brevets de la saison cycliste 2008 est déterminée par l’application
des critères d’octroi des brevets de 2007 aux résultats obtenus par les cyclistes entre le
1er novembre 2006 et le 30 novembre 2007. Les brevets, dont le nombre est limité, sont
répartis entre les athlètes des cinq disciplines cyclistes, à savoir le cyclisme sur route, le
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vélo de montagne, le cyclisme sur piste, le BMX et le paracyclisme. Pour la
saison 2008, 10 brevets ont été octroyés à des cyclistes sur route.
Selon les critères d’octroi des brevets établis par l’intimée, les athlètes sont classés par
ordre de priorité pour déterminer leur admissibilité. La priorité est donnée en premier
lieu à ceux qui répondent aux conditions des Brevets seniors – critères internationaux,
ensuite à ceux qui répondent aux conditions des Brevets seniors – critères
automatiques et, enfin, aux athlètes qui répondent aux conditions des Brevets seniors –
critères spécifiques. Les parties conviennent que le cas de l’espèce concerne
l’application et l’interprétation du Brevet senior – critères automatiques. Les conditions
de qualification fixées pour l’octroi des Brevets seniors – critères automatiques, dans la
catégorie cyclisme sur route hommes, sont notamment les suivantes :
Version française :
À deux reprises : classement dans les 8 premiers à une épreuve du Tour
continental UCI, ou dans les 16 premiers à une épreuve du Pro Tour UCI
(excluant les étapes et épreuves de contre-la-montre individuel ou de
critérium)
Version anglaise :
Two times: top-8 in UCI Continental Tour events or top-16 in UCI Pro
Tour events (not including ITT or criterium stages/events)
Il semble que plus de 20 cyclistes aient rempli les conditions de qualification minimum
établies pour être admissible à un Brevet senior - critères automatiques. M. Perras était
l’un d’eux. Toutefois, conformément à son interprétation des critères, l’intimée a ensuite
appliqué une formule de priorisation pour déterminer les 10 premiers cyclistes sur route.
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Selon l’application des critères par l’intimée, M. Perras ne s’est pas qualifié pour se
classer dans ce groupe de 10 athlètes.
Le point d’interprétation qui distingue la position de l’intimée de celle avancée par le
demandeur est relativement simple. Leur divergence repose sur la différence, s’il y en a
une, entre les termes « épreuves » et « étapes » utilisés dans les critères. Certaines
courses cyclistes sont des épreuves d’une journée. D’autres, comme le Tour de France,
sont des courses qui se déroulent sur plusieurs journées et qui comportent des étapes
successives d’une journée chacune. Les courses qui se déroulent sur plusieurs
journées peuvent donc donner lieu à l’attribution de points UCI à la fois pour la
performance globale de l’athlète sur plusieurs journées, c’est-à-dire sa position au
classement général, ou bien pour la performance de l’athlète au cours d’une étape
donnée.
Il ne semble pas être contesté qu’au cours des années antérieures à 2007, les critères
d’octroi des brevets accordaient des points aux cyclistes en fonction de leur position au
classement général dans une course, ou de leur position au classement d’une étape
donnée. Les conditions d’obtention du Brevet senior - critères automatiques 2007 ont
été resserrées, l’athlète devant maintenant se classer dans les 8 premiers et les
16 premiers.
Selon l’interprétation avancée par M. Perras, fondée sur les versions française et
anglaise des critères qui font l’objet du présent litige, aucun crédit ne peut être accordé
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au classement d’un athlète à l’arrivée d’une étape. D’après lui, seul la position d’un
athlète au classement général d’une course complète, qu’il s’agisse d’une course d’une
journée ou d’une course de plusieurs journées, peut être comptabilisée dans l’attribution
de crédits à un cycliste sur route pour l’obtention d’un brevet.
L’intimée et les intervenants contestent vivement l’interprétation avancée par le
demandeur. Comme le fait remarquer l’avocat des intervenants, dans le cas des points
de l’UCI, qui déterminent le classement mondial général relatif, davantage de points
sont accordés à un athlète qui remporte une étape d’une journée qu’à celui qui occupe
la septième ou huitième position au classement général d’une course complète.
L’intimée fait valoir qu’elle n’a jamais eu l’intention de cesser d’attribuer des crédits pour
les résultats des cyclistes dans des étapes individuelles d’une course de plusieurs
journées, pour les besoins des critères d’octroi des brevets. Son représentant fait valoir,
en faisant remarquer que des crédits ont été accordés par le passé pour des résultats
obtenus lors d’étapes pour les besoins des critères d’octroi des brevets, sans soulever
de contestation, qu’il est clair, à la lecture des critères de 2007, qu’aucun changement à
cet égard n’était prévu. Selon le représentant de l’intimée, il est clair que le terme
« épreuves » utilisé dans les critères en cause en l’espèce devait être interchangeable
avec le terme « étapes ». Il fait remarquer que la phrase entre parenthèses (« excluant
les étapes et épreuves de contre-la-montre individuel ou de critérium ») précise
seulement certains types d’étapes qui doivent être exclus, étant sous-entendu que les
étapes autres que les étapes de contre-la-montre individuel ou de critérium doivent être
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prises en compte pour l’accumulation de points en vue des brevets. L’argument
implicite de l’intimée est que si dans la première partie de la phrase, à l’exclusion de la
partie entre parenthèses, « épreuve » avait dû signifier uniquement les courses et la
position au classement général des courses, il n’aurait pas été nécessaire de faire la
distinction que l’on trouve dans la partie entre parenthèses, qui exclut les deux autres
types d’étapes.
Concernant le langage des critères, l’avocat des intervenants attire l’attention de
l’arbitre sur la deuxième condition des Brevets seniors – critères automatiques, qui
précise ceci :
3e rang au classement général de toute épreuve du calendrier UCI.
Il fait remarquer que la référence au classement « général » ne se trouve pas dans les
critères suivants, qui font l’objet de ce différend. On peut en conclure, soutient-il, que
les rédacteurs des critères étaient tout à fait à même de comprendre et d’exprimer
l’intention de limiter l’attribution des points uniquement au classement général, or ils se
sont abstenus expressément de le faire dans la formulation des critères fondés sur les
8 premières et 16 premières places, dont l’interprétation est contestée par M. Perras.
L’intimée et les intervenants estiment que la compétence de l’arbitre en l’espèce devrait
être circonscrite soigneusement afin d’éviter que l’arbitre ne substitue son opinion à
celle de l’organe d’experts qui a établi les critères. À cet égard, l’avocat des
intervenants invoque un certain nombre d’arbitrages antérieurs en appui à son
argument selon lequel la norme de contrôle devrait être celle en vertu de laquelle
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l’arbitre doit déterminer si l’interprétation adoptée par l’intimée est raisonnable et n’est
pas arbitraire, discriminatoire ni entachée de mauvaise foi. À cet égard l’avocat de
l’intimée invoque un certain nombre de décisions, dont Boylen c. Canada Hippique, de
l’arbitre Richard W. Pound, datée du 11 juillet 2004; Dionne c. Association
canadienne de cyclisme, de l’arbitre Michel G. Picher datée du 16 juillet 2004.
Je vais me pencher à présent sur le fond du différend. J’accepte la définition de la
norme de contrôle exprimée par l’intimée et énoncée plus précisément dans les
observations soumises par l’avocat des intervenants. La question qu’il m’incombe de
trancher est de savoir si l’on peut considérer en toute équité que l’interprétation du
paragraphe énonçant les critères du brevet senior automatique avancée par l’intimée et
contestée en l’espèce, est raisonnable. En se penchant sur cette question, l’arbitre ne
devrait pas toucher à l’interprétation de l’intimée pour la seule raison qu’il pourrait
préférer personnellement une autre interprétation tout aussi raisonnable. En d’autres
termes, la norme à appliquer n’est pas la norme de l’exactitude absolue. Pour les
raisons précisées dans les cas cités, il est important que les arbitres reconnaissent le
rôle des organes d’experts dans l’établissement et l’application de normes dans des
affaires ayant trait à la sélection des équipes ou à l’octroi des brevets. Ce n’est que
lorsqu’on peut démontrer que l’interprétation ou les actions d’un ONS sont
manifestement injustes ou déraisonnables, qu’un tribunal d’arbitrage devrait annuler
une interprétation ou une décision qui a été prise.
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Comment ces normes et principes s’appliquent-ils au cas de l’espèce? Premièrement,
en ce qui a trait à l’interprétation du document elle-même, la position avancée au nom
de M. Perras me pose certaines difficultés. Lorsqu’on tient compte de la version
française des critères, et également de la version anglaise, je ne suis pas du tout
convaincu que l’on puisse conclure que l’intention des critères en litige était d’éliminer,
apparemment pour la première fois, les points qui pourraient être attribués pour le
classement d’un cycliste sur route dans une étape d’une course de plusieurs journées.
Dans les deux langues, la référence entre parenthèses qui vise à exclure les étapes et
épreuves de contre-la-montre individuel ou de critérium porte à croire, au minimum, qu’il
n’était pas prévu d’exclure d’autres types d’étapes ou d’épreuves. Ceci, en outre,
semblerait concorder avec la pratique établie dans le passé. Cela semblerait également
concorder entièrement avec la méthode utilisée pour l’attribution des points de l’UCI.
Comme il a été précisé ci-dessus, un cycliste sur route qui participe à une course de
plusieurs journées et termine premier à une étape d’une journée peut récolter
davantage de points UCI qu’un cycliste qui occupe la septième ou la huitième place au
classement général global de la course au complet. Il est pour le moins contre-intuitif de
penser que, apparemment pour la première fois, l’intimée aurait décidé de n’accorder
aucun crédit pour le succès d’un cycliste sur route lors d’une étape d’une course de
plusieurs journées ou de plusieurs étapes.
Du point de vue de l’objet visé, il semblerait également conforme à l’intention générale
des critères d’octroi des brevets de préférer l’interprétation de l’intimée et des
intervenants à celle avancée par le demandeur. Comme l’a fait remarquer l’avocat des
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intervenants, le premier paragraphe de l’introduction des critères d’octroi des brevets
2007 précise expressément, notamment, que :
Le principe du Programme d’aide aux athlètes de Sport Canada (PAA)
repose sur le soutien des athlètes dont les résultats témoignent du
meilleur potentiel possible pour remporter des médailles aux Jeux
Olympiques et aux Championnats du monde.
Il ne semble pas contesté que les épreuves de cyclisme sur route des
Jeux Olympiques sont des épreuves d’une seule journée. Il n’est donc pas
déraisonnable de supposer que le système d’octroi des brevets cherche à
appuyer des cyclistes sur route qui ont démontré, notamment, la capacité
d’obtenir de bons résultats dans des épreuves d’une journée. Un succès dans
une étape d’une course cycliste sur route équivaut de toute évidence à un
succès dans une épreuve d’une journée. Il semblerait donc que l’on veuille
reconnaître les mérites de cyclistes sur route qui démontrent qu’ils ont la
capacité d’obtenir de bons résultats dans des épreuves d’une seule journée, y
compris des étapes. Il est clair que les critères, pris dans leur ensemble,
attribuent des crédits aux résultats des cyclistes sur route au classement général
d’une épreuve de plusieurs journées. En revanche, il est certes difficile de
conclure que les rédacteurs des critères avaient l’intention de ne pas accorder de
crédit du tout pour de bons résultats obtenus dans une étape d’une journée
d’une course qui se déroule sur plusieurs journées. Étant donné que par le passé
des crédits ont été accordés pour des succès dans des étapes, l’arbitre estime
qu’il faudrait un langage clair et non équivoque pour démontrer que les nouveaux
critères adoptés en 2007 visaient à mettre en œuvre un changement aussi
radical. Je n’ai trouvé aucun langage qui aille dans ce sens dans le document
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que je suis obligé d’interpréter. On peut dire tout au plus, en tenant compte de la
portée du contrôle dans cette procédure, que l’on pourrait soutenir que le
langage des critères peut être interprété de la manière restrictive avancée par
M. Perras. Mais on ne peut toutefois pas nier non plus qu’il peut également
raisonnablement être interprété dans le sens plus large proposé par l’ONS intimé
en l’espèce, de manière à inclure également les résultats des cyclistes sur route
lors d’étapes.
Qui plus est, l’arbitre ne voit pas d’injustice que M. Perras aurait pu subir, du fait
du langage des critères. Sa suggestion selon laquelle il avait compris que la
partie des critères entre parenthèses visait à exclure toutes les étapes, étant
donné les trois premiers mots de la version française « excluant les étapes », est
à mon avis moins que plausible. Il est, à mon avis, significatif que le libellé est
« excluant les étapes et épreuves de contre-la-montre individuel ou de
critérium » plutôt que « excluant les étapes et les (c’est moi qui insiste) épreuves
de contre-la-montre individuel ou de critérium ». Le sens grammatical de ce qui
figure clairement sur la page, et qui cadre avec la version anglaise, indique une
intention d’exclure les étapes ou les épreuves qui sont des courses de
contre-la-montre individuel ou de critérium. Ceci n’exclurait évidemment pas
toutes les étapes.
Ainsi, que l’on tienne compte de la version française ou anglaise des critères,
une lecture raisonnable du document ne permet pas de soutenir une
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interprétation selon laquelle, contrairement à ce qui s’était toujours fait dans le
passé, les résultats des cyclistes sur route dans toutes les étapes doivent être
exclus pour l’attribution des points en vue des brevets. Au contraire, la partie
entre parenthèses s’applique clairement aux étapes ou aux épreuves de
contre-la-montre individuel ou de critérium, et ne permet pas de soutenir
l’argument selon lequel il faut comprendre que toute référence à des épreuves
dans les critères exclut les étapes.
Pour les motifs ci-dessus, l’arbitre est convaincu que l’interprétation des critères
utilisée par l’Association canadienne de cyclisme intimée est raisonnable et que
le dossier ne révèle ni discrimination, ni arbitraire, ni mauvaise foi ou injustice à
l’égard du demandeur Dominique Perras. En conséquence, la demande est
rejetée.
Fait à Ottawa, Ontario, le 10 mars 2008.
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Michel G. Picher
Arbitre