Dieu et César
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Dieu et César
DIEU et CESAR Dès ce moment les lettrés et les grands-prêtres ont tenté de s’emparer de Jésus mais ils craignaient le peuple. Alors ils l’ont surveillé, ils ont envoyé des espions qui se faisaient passer pour des justes pour surprendre un de ses propos et ainsi le livrer à l’autorité et à la juridiction du gouverneur. Ils l’ont interrogé : « Maître, nous savons que tu parles et enseignes sans tromperie, que tu te méfies des apparences, que tu es impartial et que tu enseignes sans déviance le chemin de Dieu. Nous est-il permis, oui, avons-nous le droit de payer l’impôt à César ou non ? » Il devine leurs manigances et leur dit : « Montrez-moi une pièce de monnaie. Qui y figure ? Qu’est-il écrit ? » « César » répondent-ils. « Donc, rendez à César les choses de César et rendez à Dieu les choses de Dieu » Ils ne purent le prendre en défaut de ce qu’il avait dit devant le peuple. Etonnés de sa réponse, ils se sont tus. (LUC 20 : 19-26) Mes sœurs et mes frères en Christ, Ces derniers temps nous entendons très souvent parler de religion et de laïcité en France et donc aussi des relations entre Eglises et pouvoirs publics dans un contexte de sécularisation de toute la société. L’actualité fait que cette question surgit toujours à nouveau pour des raisons diverses. -Souvenez-vous du débat sur les signes religieux « ostensibles » à l’école. Malgré toutes les dénégations c’étaient quand même les musulmans intégristes qui étaient visés. -Rappelez-vous des réactions négatives au deuil national français décrété lors de la mort du pape Jean Paul II : pourquoi cette déférence particulière aux catholiques romains ? Il y a eu tout le faste émouvant des funérailles à Rome en présence de si nombreux chefs d’Etat. Et puis les cérémonies d’intronisation de Benoît XVI : quel est le rôle de notre France dans ces relations avec l’Etat religieux du Vatican ? -La question a resurgi dans le projet, refusé par notre référendum, du traité pour une constitution européenne. Faut-il ou non une référence à Dieu, aux héritages religieux et aux relations avec les religions en Europe ? La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat a été votée en France il y a exactement un siècle en 1905. Nous avons en Alsace-Moselle un statut particulier qui dérange les centralistes irréductibles. Nous tenons à ne pas travailler le Vendredi-Saint ou à la St-Etienne. Que penser lorsque le lundi de Pentecôte reste férié mais travaillé pour financer les vieux ? Sommes-nous concernés par ces questions ? Avons-nous quelque chose à dire à ce propos ? Nos convictions chrétiennes sont-elles impliquées ? Vous savez qu’il y a comme un tabou lorsque dans une Eglise on aborde des sujets à incidence politique. Il faut reconnaître que des expériences douloureuses du passé nous incitent à être prudents ! Rassurez-vous : je ne vais pas prêcher des consignes politiques. Je voudrais nous encourager à nous poser des questions. A chacun de choisir lui-même ses réponses. Certains seront peut être frustrés parce que je n’exprimerai pas mes choix. Ce n’est pas ma mission ici. Réfléchissons de manière plus fondamentale sur les rapports entre le citoyen que nous sommes et le croyant que nous voudrions être, entre notre communauté nationale et nos communautés religieuses. Je le développerai en 3 parties : 1° Dieu et César 2°L’Etat et la Religion aujourd’hui 3° Séparation des pouvoirs et des domaines. Une chose me semble bien claire et évidente : Il ne suffit pas de dire « séparation des Eglises et de l’Etat » et « laïcité » pour que tout soit réglé. La laïcité ne nous interdit pas d’être croyants, elle ne nous oblige pas plus à être incroyant ou athée. Au contraire, elle nous donne la liberté de choisir en toute responsabilité dans le cadre républicain exprimé par les mots : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE et je ne pense pas que ces principes soient contraires à notre foi. Avons-nous la liberté d’esprit de nous interroger sur les rapports aujourd’hui souhaitables avec les religions en particulier en France ? Mais aussi en Europe ! Peut-être sera-t’il possible de déceler des changements prévisibles. Concentrons-nous sur la présence chrétienne. Rapidement nous découvrirons la multiplicité des opinions et des pratiques des diverses confessions chrétiennes sans parler des autres religions ou des autres convictions. Un récit biblique est souvent invoqué pour justifier la séparation des Eglises et de l’Etat, c’est celui où l’on pose à Jésus la question de la légitimité de l’impôt dû à César. Il y est question d’un piège dans lequel certains veulent enfermer Jésus. Vous verrez qu’il peut aussi nous piéger dès que nous nous imaginons un clivage total entre terre et ciel. Les ennemis de Jésus restent dans l’ombre. Ils envoient des espions pour le prendre en défaut. Dans l’atmosphère survoltée de la Judée du temps de Jésus une parole maladroite suffisait pour vous coûter la vie. L’impôt romain provoquait non seulement des réactions de mécontentement comme tout prélèvement fiscal encore aujourd’hui, mais il suscitait des passions religieuses. L’empereur romain avait le titre de Dieu. Le patriotisme impérial s’exprimait sous forme de culte. L’image de l’empereur, ses statues symbolisaient sa présence et sa puissance. Nous protestants sommes peu conscients de l’importance des images même de nos jours et pourtant les images nous assaillent partout ! Il fallait payer l’impôt en monnaie romaine qui portait l’effigie de l’empereur dieu. L’offrande au temple ne pouvait être faite qu’en monnaie juive. D’où la question : est-ce une infidélité au Dieu d’Israël de se servir d’une monnaie païenne avec la représentation d’un autre dieu en acquittant l’impôt ? La loi juive interdit d’adorer un autre dieu et de faire des images ! Jésus déjoue avec élégance et finesse le piège tendu. Il fait sortir de leur poche un denier avec l’image de César. « Rendez à César les choses de César et à Dieu ce qui est à Dieu » La monnaie n’est qu’un objet qui porte l’image de César. Selon le récit de la création c’est l’homme, c’est tout être humain, chaque personne croyante ou non qui porte l’image de Dieu. César n’est-il pas lui aussi homme, donc créature de Dieu même s’il l’ignore ? Dans sa fonction impériale n’est-il pas instrument de Dieu pour structurer le monde et lui éviter le chaos ? 2° L’Etat et les religions. Alors quelles sont les relations souhaitables et théologiquement correctes entre Etats, Eglises ou religions selon la Bible ? Nous ne pouvons pas reprendre tous les textes des Ecritures. Dieu, mais tout n’est pas à César. Dieu a confié à César ou à l’Etat un réel pouvoir, mais un pouvoir provisoire et limité. Deux extrêmes sont clairement incorrects : la confusion entre Etats et Eglises, soit par des systèmes théocratiques, soit par sacralisation de l’Etat, chaque fois lorsque des humains prennent la place de Dieu ! Si l’impôt est légitime, le pouvoir de l’utiliser l’est aussi pour l’ordre et la justice. A plus forte raison notre contribution à la gestion du bien commun par nos votes l’est également. La démocratie nous rend responsables même devant Dieu. C’est une manière d’exercer l’amour du prochain même s’il y en a encore d’autres façons de faire. Au IV° siècle l’empereur Constantin a arrêté les persécutions des chrétiens ; c’était une bonne chose. Mais instaurer le christianisme comme religion d’Etat a eu des conséquences néfastes. Le césaro-papisme où le pape revendique le pouvoir suprême sur terre au nom de Dieu est une perversion théocratique. L’empereur Napoléon a essayé de faire de même ! Lorsqu’un groupe, une caste ou une profession veut imposer sa vérité à tout le monde c’est du cléricalisme qui ne vaut pas mieux. J’aimerais être sûr que cette tentation de prise de pouvoir soit définitivement surmontée tant par le Vatican que par toute autre structure et ses responsables même lorsqu’ils se prétendent « laïcs » ! L’autre extrême est l’Etat sacralisé. Tout Etat totalitaire est une théocratie à l’envers. C’est particulièrement manifeste dans les dictatures. Les communautés religieuses y sont, soit persécutées, soit instrumentalisées pour encenser le pouvoir. Les pouvoirs publics ont souvent de la peine à rester neutres face aux religions, surtout lorsque des croyants élèvent une voix critique. Alors on entend des puissants dire que les Eglises doivent se contenter de s’occuper du ciel, car les affaires courantes terrestres sont de leur domaine exclusif. Lorsqu’un laïcisme antireligieux accuse les croyants d’aliénation et d’irresponsabilité quand luimême réclame le monopole du raisonnable, il est hypocrite, en contradiction avec ses propres règles. La vraie laïcité respecte les différences et les convictions ; elle se veut impartiale et neutre par rapport aux religions. La sécularisation est une bonne chose lorsqu’elle sépare clairement le profane et le sacré. Chaque fois qu’un individu, un organisme ou même une science se prend pour un absolu, il y a danger d’idolâtrie ! Méfions-nous des sauveurs humains, qu’ils soient politiques, militaires, économiques, religieux ou autres. Ni le messianisme made in USA, ni notre culture occidentale, ni aucun chef d’Etat, ni aucun gourou prophétique ne sont parfaits. Il n’y a de Dieu que Dieu ! Même les Eglises sont des réalités terrestres imparfaites. Aucune n’est infaillible ! Aucune n’est le Royaume de Dieu déjà réalisé ! Bibliquement tout ce qui se situe dans ce temps et cet espace que nous pouvons expérimenter est provisoire et inachevé, on peut même dire : impur et corruptible ! Ni les Etats, ni les religions ne sont irréprochables. Pour les individus nous parlons de péché, mais collectivement aussi il y a déviations, d’où nécessité de renouvellement, de réformes, d’aggiornamento, d’évolutions ou même de révolutions ! 3° Séparation des pouvoirs et des domaines. Lorsque Jésus demande que l’on rende à César ce qui lui appartient et à Dieu ce qui est à Dieu il ne sépare pas radicalement le domaine de Dieu d’un monde où règnerait César seul. Tout est à Depuis St-Augustin la théologie distingue deux règnes ou deux modes de gouvernement de Dieu. Cette doctrine est diversement interprétée et appliquée. Comme toute doctrine elle est une production humaine ! Notre manière moderne de la vivre est la séparation des pouvoirs. Elle signifie que l’Eglise n’a pas à revendiquer d’autre pouvoir que celui de la Parole et des Sacrements. C’est à travers eux que s’expriment les réalités spirituelles et divines. Le pouvoir politique a besoin d’être contrebalancé et équilibré par d’autres pouvoirs. En notre République, depuis les Lumières et la Révolution, nous parlons de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. De nos jours on rajoute volontiers le contre-pouvoir de l’information, donc des média. En fait tout le monde sait que bien souvent les pouvoirs économiques et financiers sont dominants. Si aujourd’hui le pouvoir spirituel est marginalisé, il ne se laissera jamais étouffer totalement. L’histoire nous en fournit suffisamment d’exemples. En tant que chrétiens nous sommes impliqués dans tous ces domaines. Nous y sommes responsables consciemment ou inconsciemment, surtout en république et en démocratie. Chacun d’entre nous a des pouvoirs ou des parts de pouvoir. Chacun devra rendre compte à Dieu comment il les a gérés. Le pouvoir spirituel des chrétiens pris individuellement ou collectivement est le pouvoir de la parole inspirée de Dieu, parole prophétique venant de l’Esprit Saint. C’est le témoignage incarné dans notre vie et nos actions. Il unifie notre existence. Il est toujours respect de l’autre, amour de celui qui est différent. Jamais il ne peut devenir dominateur de l’autre, autorité contraignante et tyrannique. Au moins en tant qu’électeurs, nous sommes des personnages politiques dans un domaine qui est d’une autre nature que l’autorité spirituelle. De la part de Dieu tous les politiques et les pouvoirs publics ont le mandat de veiller à la justice, à la paix et à la gestion responsable de la terre et de notre vie en société. Pour le résumer en une formule simple : L’Etat est responsable d’établir et de mettre en pratique un droit juste. L’Eglise est responsable d’une parole véridique. Amen