Florence au temps de Laurent le magnifique par Elinor Myara

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Florence au temps de Laurent le magnifique par Elinor Myara
Florence au temps de Laurent le magnifique par Elinor Myara
Cette dynastie a utilisé l’art pour assurer une mise en scène du pouvoir et la renommée de la famille à un point très élevé et
bien éloigné de la notion actuelle de mécénat, le terme patronage anglo-saxon serait mieux adapté. Les banquiers Médicis, jouent
un rôle important dès le XVè s. Ils n’imposent leur souveraineté sur Florence et la Toscane qu’à partir de 1530, le Saint
Empereur Romain et Germanique leur accorde le titre de duc de Toscane. Au XVè, sous Cosme, père de la patrie, Florence est
une république oligarchique marchande au pouvoir exécutif exercé par la Seigneurie, composée de 8 prieurs issus des
corporations, les arts majeurs, à sa tête un gonfalonier élu tous les 2 mois afin d’éviter l’installation d’un pouvoir personnel.
Giovanni di Bicci (1360-1429) Il dirige la banque Médicis. Plusieurs fois élu prieur, il n’exerce aucun pouvoir personnel, mais il
est des plus influents.
Cosme l’ancien (1389-1464) devient le chef de file du parti médicéen. Il s’impose par personne interposée dans la constitution
florentine. Exilé un an à Venise, il rentre triomphalement en 1434 et exerce jusqu’à sa mort un pouvoir important sur les
institutions. Il s’appuie sur une assemblée extraordinaire la Badia et signe en 1455 la paix de Lodi assurant une tranquillité de
25 ans, précieuse au développement économique. Cosme l’ancien atelier de Bronzino -Offices
San Lorenzo, la paroisse est investie pour implanter une chapelle funéraire à leur propre usage. L’architecture de Florence
entre dans la Renaissance. Sur un plan centré issu de l’Antiquité la sacristie vieille de San Lorenzo 1421 par Brunelleschi
abrite le tombeau de Giovanni di Bicci réalisé par Il Buggiano, fils adoptif et élève de Brunelleschi. A partir des années 40,
Cosme prend sous son patronage toute l’église San Lorenzo. Vasari rapporte son goût vif de pour l’architecture, manifeste de
son pouvoir. Le plafond d’une salle du quartiere de Léon X au Palazzo Vecchio par G Vasari 1560 montre Cosme
dirigeant symboliquement le chantier et acceptant la maquette de Brunelleschi avec à l’arrière plan San Lorenzo.
Le Palais familial Médicis via Larga, impressionnant édifice au sein de la ville, dû à Michelozzo en 1444, est le symbole de la
puissance du riche banquier. Il se fond dans l’architecture sans connotation princière. Brunelleschi lui avait proposé un projet
de palais extraordinaire selon Vasari.
Pierre le Goutteux (1416-1469) Fils de Cosme, fin politique, il poursuit l’œuvre paternelle comme commanditaire et mécène
avisé.
La fresque des Rois Mages, dans la chapelle du palais Médicis par B Gozzoli C’est un prétexte pour cet artiste dont
l’art se situe entre Fra Angelico et gothique international, de représenter un cortège de notables florentins où sont identifiables
différents membres de la famille. En 1447 on décida de célébrer somptueusement les Mages tous les cinq ans et de lever des
impôts pour cela, et la Seigneurie désigna une commission, (le plus souvent dirigée par des hommes de confiance des Médicis)
chargée du déroulement des réjouissances. En 1459, le rôle du plus jeune des rois mages, Gaspar, aurait été tenu par Laurent le
Magnifique, âgé de dix ans à l’époque. La fresque des rois mages la plus connue concernant les Médicis se trouve dans la
chapelle du Palais Médicis, via Larga. Elle est réalisée dans l’endroit le plus intime du palais des Médicis, tout comme au
couvent San Marco, où elle sera représentée dans la cellule de Cosme. Elle représente la procession de mages dans un décor
féerique, traité avec la minutie propre aux artistes du gothique international. On peut y voir une fresque de l’époque où
Florence fut le siège du concile d’Union des églises romaine et byzantine. Sur la droite, le mage âgé à la barbe blanche, vêtu de
rouge et chevauchant une mule, serait Joseph, le patriarche de Constantinople, venu pour le Concile d’Union à Florence où il
mourut (il est enterré à Santa Maria Novella). Il évoque Balthazar le mage âgé porteur de l’encens. Au centre, le mage adulte au
teint basané à la barbe brune, somptueusement vêtu de vert et d’or, et portant couronne serait le basileus Jean VIII
Paléologue, l’empereur byzantin qui avait œuvré pour l’union entre les deux Eglises. On le reconnaît à son chapeau et à sa
barbe (les florentins sont imberbes et les orientaux, au contraire, toujours représentés avec une barbe). À gauche, le jeune
homme imberbe vêtu de blanc est Laurent le Magnifique, le fils de Pierre, sous les traits du jeune mage Gaspar, porteur de la
myrrhe. Le prénom de Laurent est symbolisé par le laurier qui entoure la tête du jeune prince. Le jeune Médicis est héroïsé et
s’inscrit ainsi dans la lignée des seigneurs régnant sur l’Orient et l’Occident. Il symbolise la dynastie Médicis tout entière.
Derrière lui on peut identifier au premier rang à cheval, Cosme l’ancien vêtu de noir et son fils Pierre, dit le Goutteux, en
tunique noire brodé or. Un peu plus à gauche, on reconnaît, tête nue, Sigismond Pandolfe Malatesta et à ses côtés, Galeazzo
Maria Sforza monté sur un cheval blanc. Derrière lui, on identifie de part et d’autre d’un inconnu coiffé d’un bonnet marron, à
gauche, Laurent le magnifique et à droite son frère Julien, tous deux âgés d’une dizaine d’année. Au dessus de la tête de
Laurent, le peintre lui-même s’est représenté avec un bonnet où l’on peut lire opus Benotii. Derrière lui, on pense reconnaître
le pape humaniste, Silvio Piccolomini, Pie II, coiffé d’un capuchon rouge. On pourra souligner également que vers 1446-1447
l’entourage de Fra Angelico, dont Benozzo Gozzoli faisait partie, avait peint une adoration des mages dans la cellule du
couvent de San Marco, où Cosme de Médicis se retirait pour méditer. On a pu voir dans cette fresque la rencontre entre
l’Orient et l’Occident, présidée par Hermès, père de la sagesse, et la confirmation de la valeur symbolique que les premiers
Médicis accordaient à cet événement biblique.
Laurent le Magnifique (1449-1492) Fils de Pierre, il hérite du pouvoir à 20 ans avec son frère Julien de 16 ans. Au XVIè on fait
de lui le doux prince de l’humanisme, mais c’est un grand politique au caractère impitoyable. Il avait de nombreux
concurrents à Florence, tel que Tornabuni, Pitti ou Rucellai, Salviati ou Pazzi…
Il apparaît dans : " L'Adoration des Mages" de 1474 Huile sur bois Diamètre 131,5 cm © The National Gallery
Londres Ce tableau est commandé par un homme d'affaires Gaspare di Zanobi del Lama, un partisan des Médicis pour la
Chapelle Santa Maria Novella. Ce tableau est célèbre par le fait que tous les personnages sont des hommes de la cour ou de
l'entourage des Médicis. Le Roi Mage agenouillé aux pieds de l'Enfant Jésus est Côme de Médicis, dit l'Ancien. A droite du Roi
Mage à la robe vermillon au portrait de Pierre le Goutteux, sont Jean et Julien de Médicis. L'homme tenant épée entre ses
jambes est Laurent de Médicis, le Magnifique. Botticelli y réalise son autoportrait par le personnage à droite regardant le
spectateur, et témoigne ainsi de ses liens étroits avec cette puissante famille. Laurent fait de Botticelli son peintre officiel. La
reconnaissance de Botticelli est alors totale, lequel reçoit des commandes de toutes les grandes familles de Toscane. Son atelier
avec la collaboration de différents peintres réalise des tableaux et des fresques pour les grands évènements dans chacune de
ces familles, destinés à décorer les pièces intérieures des palais.
Laurent a brillé dans les domaines intellectuels, proche de Antonio Pollaiuolo, Andrea del Verrocchio, Léonard de Vinci,
Sandro Botticelli, Domenico Ghirlandaio, Filippino Lippi, Michel-Ange. Sans être toujours mécène direct, il a contribué à ce
que les grands bourgeois de Florence le soient. Très actif auprès des humanistes, par le biais de la création de cercles de
réflexion sur les philosophes grecs et de la mise en place de ce courant néo-platonicien avec Pic de la Mirandole, Marsile Ficin
ou le poète Ange Politien.
Naissance de Vénus, l’Allégorie du Printemps et Pallas et le Centaure, trois œuvres allégoriques médicéennes. Dans les
années 1480, les humanistes se donnent pour mission de faire revivre le passé, de traduire Virgile, Homère, Hésiode, de les
réactualiser. Humanistes et hommes de sciences étaient réunis et Ficin en 1464 avait fondé à la demande de Laurent le
Magnifique l’Accademia de Careggi. On ne connaît pas la date exacte de réalisation (circa 1480) de ces 3 œuvres ni leurs sujets
et significations, ni les inspirateurs des programmes iconographiques, seulement qu’elles furent commandées par la branche
cadette qui s’imposera en conduisant le Grand-duché de Toscane du XVIe au XVIIIe siècle. Botticelli ne fut pas un artiste de
Laurent le Magnifique mais une collaboration semble avoir existé entre lui et le cousin du Magnifique, Laurent dit le Cadet.
En 1478, un attentat fomenté par la conjuration de Pazzi durant la messe de Pâques entraine la mort de son frère Jullien,
Laurent étant blessé. 350 conjurés, dont l’archevêque de Pise, seront pendus aux fenêtres du palais de la Seigneurerie. Le
Pape, à l’origine de cette conjuration, l'excommuniera. Une guerre entre les Etats du Pape et Florence dura 2 ans. Le pouvoir
de Laurent se trouve affermi et il est le seul maître de la ville et on lui donne alors le titre de "Principe dello stato" (Prince de
l'état). Le traité de paix a lieu le 25 mars 1480.La date des œuvres est certainement postérieure à ceci.
Le Printemps et la Naissance de Vénus. En 1550, les deux œuvres se trouvaient au Castello (cf. Giorgio Vasari). Un
inventaire découvert récemment révèle que si le tableau du Printemps se trouvait bien en possession de Laurent en 1498, La
naissance de Vénus ne l'était pas. On ignore donc pour qui il a été peint. La Naissance de Vénus n’est pas un pendant du Printemps
(dimensions et du support différents). Le célèbre historien de l’art A. Warburg a souligné, le premier, le fait que la Naissance
de Vénus pourrait dériver de l’hymne homérique à la déesse, publié pour la première fois en 1488. Politien imagine la déesse
sur une conque que les zéphyrs poussent vers la rive. Les Heures sont sur la plage, habillées en blanc. C’est la naissance de
l'histoire, premier jour de la création, l’union de l’esprit (l’air) avec la matière (l’eau). Vénus, incarnation de l’Humanitas et du
principe de génération est poussée vers la terre grâce au souffle doux de Zéphyr. Et en approchant de la terre où elle va
prendre sa vraie puissance, elle découvre la pudeur. (Directement empruntée de la Vénus pudica Médicis et de la Vénus
Anadyomène, née de l’écume, peinte par le grec Apelle et décrite par les auteurs). La nudité n’est pas la beauté païenne, mais l’idée
même de la pureté et de la beauté de l’âme. Il y a aussi un lien avec les mythes païen et chrétien de la naissance de l’âme à
partir de l’eau du baptême. L’attitude pudique de la déesse exprime la double nature de l’amour, qui est à la fois sensuel et
chaste. Botticelli introduit une valeur allégorique et astrologique, sacralisant le thème en une sorte de vision béatifique
humaniste et profane.
Le Printemps Représentation funéraire, l’évocation d’un mariage ou d’une naissance, la représentation du calendrier des
saisons ou encore la représentation allégorique indiquant la position des constellations dans le ciel à un moment précis de
l’année ? La composition en frise lui donne l’aspect d’une tapisserie. Devant un bosquet d’orangers cintré en arcature s’étend
un tapis de fleurs printanières. Au centre, Vénus désignée par la myrte et le bosquet (jardin sacré à Chypre), au-dessus,
Cupidon, ailé, les yeux bandés décoche une flèche vers une Grâces. Mercure, au manteau rouge, lève son caducée, symbole de
paix et connaissance, pour arrêter les nuages et les vents. Flore, souriante, transporte des boutons de roses qu’elle sème autour
d’elle. C’est la déesse de la jeunesse et de la floraison, patronne des travaux agricoles et protectrice de la fertilité féminine. Etre
ailé bleuâtre, Zéphyr, le vent d’ouest annonçant le printemps, surgit à sa gauche. Il poursuit la nymphe Chloris, qui terrorisée
s’échappe. C’est à la suite de leur union génératrice que s’épanouissent toutes les fleurs. Les mouvements les plus variés
s’enchaînent comme une danse. Mais la magie la plus profonde vient du bosquet et de la prairie, ce jardin paradisiaque des
XIV-XVe s. Il s’agit là de la première représentation figurative. Ce serait une allégorie pédagogique et morale autour de
l’Humanitas, vertu composée d’amour, charité, dignité, magnanimité, grâce, modestie, raffinement et culture. (Panofsky)
Pallas et le centaure Que signifie cette image de la déesse, aux habits ornés de l’emblème médicéen, trois anneaux centrés sur
le diamant, qui soumet avec douceur le centaure en saisissant sa chevelure ? Placés sur un rocher, dans un enclos et devant un
paysage, la déesse, couronnée de branches d’olivier, porte le bouclier et la hallebarde et le centaure au regard résigné, tient son
arc, mais garde les flèches dans le carquois.
S’agit-il de l’éternel conflit entre la raison et l’instinct, théorisé par le Néoplatonisme ? D’une allégorie de l’âme humaine
appelée à se purifier par la discipline morale? Pallas représente-elle la chasteté qui domine les pulsions érotiques de nature
bestiale ? D’une allégorie de l’habileté diplomatique de Laurent. Minerve représenterait Florence, coiffée de l’attribut de la paix
(l’olivier) ; elle ne porterait que des armes de parade (diplomatique). Le centaure serait alors la Rome de Sixte IV. Le paysage à
l’arrière-plan représenterait le golfe de Naples, là où Laurent s’était rendu pour parvenir à la paix.
La perméabilité de l’image à toute interprétation univoque devait faire partie d’un jeu de cryptage de messages, qui ne
s’excluraient pas réciproquement.
Les années 1490 entrainent une crise politique et religieuse à Florence sous l'influence de Savonarole, prieur des Médicis, qui
annonce la fin de monde au tournant du siècle, prêche l'ascèse et la pénitence et exhorte à la vertu, à la vie modeste et à
l'humilité, sous peine du châtiment divin. La peste envahit alors Florence, et Savonarole est très écouté du peuple. Il provoque
une crise en condamnant les familles florentines qui se font représenter dans des tableaux religieux, et condamne aussi les
vanités que sont les vêtements riches, les perruques, les bijoux, la musique, les livres, les tableaux et les sculptures jugés
infâmes. En 1497 et 1498, il organise des bûchers où sont entassés et brûlés ces objets de vanités. Excommunié par le pape,
Savonarole est arrêté, torturé, pendu et brûlé en mai 1498.