Dossier La politique d`élargissement de l`Union européenne
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Dossier La politique d`élargissement de l`Union européenne
Dossier La politique d’élargissement de l’Union européenne Rétrospective et perspective par Barbara Lippert 1 Directrice adjointe du Institut für Europäische Politik – Berlin. Depuis la création de la Communauté du charbon et de l’acier, l’admission de nouveaux membres fait partie des possibilités d’action prévues par les traités européens2. La décision prise au sommet de Copenhague en décembre 2002 relative à l’adhésion de dix États3 est donc déjà le quatrième cycle d’élargissement depuis le premier en 1973. Malgré cette expérience d’adhésion longue et variée, l’admission des nouveaux membres en 2004 se présente comme un « événement inouï » (Goethe4), d’autant plus qu’elle est mise en perspective avec la 1. Étude réalisée dans le cadre du programme spécialisé de l’Institut für Europäische Politik, Berlin (IEP) « Dialog Europa der Otto Wolff-Stiftung » et fondée en grande partie sur la contribution de l’auteur, « Glanzloser Arbeitserfolg von epochaler Bedeutung: Eine Bilanz der EU-Erweiterungspolitik 1989-2004 », in : Bilanz und Folgeprobleme der EUEweiterung, Baden-Baden, 2004 (à paraître). Traduction de l’allemand du présent article par Antoine Koop. 2. Cf. l’article 98 du traité CECA du 18 avril 1951 ; l’article 237 du traité CEE du 25 mars 1957 ; l’article 49 du traité UE du 7 février 1992 dans sa version du 26 février 2001. 3. Les nouveaux États membres sont l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque, la Hongrie et Chypre. Des négociations d’adhésion sont toujours en cours avec la Bulgarie et la Roumanie, mais pas encore commencées avec la Turquie qui reste néanmoins un pays candidat. 4. À Eckermann le 29 janvier 1827, Biedermann 1890, vol. VI :40. 10 Barbara Lippert « réunification de l’Europe » (Joschka Fischer5) ou bien avec la « réunification du continent européen » (Commission européenne6). Face à cette situation et à ce défi, l’Union européenne ne dispose pas d’une politique d’élargissement ou d’adhésion spécifique, au sens des autres politiques communes ou en tant que partie de la politique étrangère et de sécurité commune. L’élargissement représente plutôt une exigence délimitable horizontalement et non pas sectoriellement, car elle concerne tous les domaines politiques et tous les niveaux du système de l’Union7. De façon tout à fait typique, des tensions se sont créées dans la politique de l’élargissement de l’Union entre le pôle d’une routine politicobureaucratique d’une part et le pôle d’une action stratégique et innovatrice d’autre part. Ce ne sont pas seulement les gouvernements et l’opinion publique des nouveaux États membres qui ont souvent critiqué le clivage entre la rhétorique positive lors des sommets et le caractère parfois dilatoire de la pratique des négociations d’adhésion dans le quotidien de l’Union européenne. L’événement inouï de l’élargissement vers l’Est8 et les prévisibles conséquences dramatiques d’un élargissement d’une telle envergure de l’Union n’ont libéré ni des forces révolutionnaires ni des forces conséquemment réformatrices au sein de des institutions. L’Union européenne a au contraire reporté les décisions majeures concernant sa maturité à s’élargir et est autant que possible restée attachée au statu quo. Motifs de la politique de l’élargissement de l’Union européenne Une rétrospective des années quatre-vingt-dix démontre que pour l’Union européenne, les intérêts matériels et économiques n’ont pas été au centre de la décision en faveur de l’élargissement. Les effets économiques globaux positifs auxquels tout le monde s’attendait, autant 5. Joschka Fischer, Discours du ministre fédéral des affaires étrangères sur l’élargissement de l’Union européenne devant le parlement allemand (Bundestag) le 3 juillet 2003 à Berlin, Bulletin du gouvernement fédéral n° 58-2 du 3 juillet 2003. 6. Commission européenne, Poursuivre l’élargissement : Document stratégique et rapport sur l’évolution de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Turquie sur le chemin vers l’adhésion, COM (2003) 676 version finale, Bruxelles, 5 novembre 2003. 7. Ulrich Sedelmeier, Helen Wallace, « Eastern Enlargement. Strategy or Second Thoughts? », in: Helen Wallace,William Wallace (dir.): Policy-Making in the European Union, Oxford, 2000, p. 427-460. 8. Je me réfère dans cette contribution essentiellement à l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 11 pour les anciens que pour les nouveaux membres9, pouvaient être invoqués comme arguments en faveur de l’élargissement. Mais en premier lieu, l’Union européenne fonda sa disposition à l’élargissement sur des motifs politico-moraux, et de plus en plus sur des motifs de stabilité politique. Lors de l’effondrement de l’ancien ordre à l’Est, la Communauté exprima de suite lors de son sommet de Strasbourg en décembre 1989 sa prétention à agir en tant que centre de gravité politique et économique sur le continent : une Europe de l’intégration forte à l’Ouest en face d’une Europe de la désintégration à l’Est. Cette prétention régulatrice pour toute l’Europe ne s’accompagna pourtant pas immédiatement de la décision de l’élargissement10. L’Union proposa au contraire ses instruments classiques d’association : ouverture du marché, dialogue politique, aide technique et financière. Le pas vers la proposition d’adhésion fut surtout le fait de la pression des jeunes démocraties d’Europe centrale et orientale, qui firent appel de façon efficace aux raisons de la création de l’Union : d’antan comme de nos jours, il s’agirait de réunir durablement les démocraties prêtes à l’intégration dans un marché commun et dans une communauté politique disposant de ses propres institutions supranationales afin d’assurer la paix, la liberté et la prospérité et de s’affirmer en tant que force politique autonome dans la politique internationale. Par une adhésion rapide à l’Union européenne, les pays réformateur voulaient s’assurer sur le plan international de la « triade des objectifs11 » que sont la démocratie, l’économie de marché et le « retour vers l’Europe ». C’est pour cette raison que figurait à l’ordre du jour l’image des valeurs et des idées que l’Union européenne se faisait d’elle-même, et donc son identité politique. Selon l’argument majoritaire, sans 9. Cf. notamment Richard Baldwin, Towards an Integrated Europe, Londres, 1994 ; Heather Grabbe, Profiting from EU enlargement, Londres : Centre for European Reform, juin 2001 ; Commission européenne (2001) : The economic impact of enlargement, juin 2001 (http://www.europa.eu.in/economy_finance). 10. Concernant des réflexions alternatives en deçà d’une adhésion à l’Union européenne, voir Barbara Lippert (Hrsg.) : Osterweiterung der Europäischen Union – die doppelte Reifeprüfung, Bonn, 2000, pp. 108-111. Concernant la CE en tant que cadre régulateur, voir les références chez Wolfgang Wessels, « Europapolitik in der wissenschaftlichen Debatte », in: Werner Weidenfeld, Wolfgang Wessels (Hrsg.), Jahrbuch der Europäischen Integration 1989/90, Bonn, 1990, p. 29. 11. Michael Dauderstädt, « Interessen und Hindernisse bei der EU-Osterweiterung. Die Rolle des „acquis communautaire“ », in: Politikinformation Osteuropa 98, Bonn: Friedrich-Ebert-Stiftung, , 2002, p. 6. 12 Barbara Lippert l’élargissement, l’intégration ne reprendrait que le torse du corps. Pourtant, la Communauté européenne se trouvait plongée depuis la fin des années quatre-vingts dans un vaste processus de modernisation et d’adaptation qui s’inscrivait exclusivement dans l’idée d’un approfondissement. Mais on attendait plus qu’une politique d’association traditionnelle à l’égard des voisins d’une Union qui prenait des allures de plus en plus étatiques et à laquelle on attribuait plus de compétences, par exemple en matières de politique monétaire ou de politique étrangère et de sécurité, et qui développait en même temps son système de négociation et son système de niveaux multiples de plus en plus complexe. Aux reproches de la part des pays réformateurs, des États-Unis, de plusieurs États membres et de l’opinion publique, d’agir de façon trop hésitante au travers d’accords d’association étiquetés comme « accords européens », et même de construire un « Yalta économique12 » ou un nouveau rideau de fer, l’Union européenne réagit par la promesse – conditionnée, certes – de négociations à Copenhague en 1993. L’ensemble des États européens associés qui rempliraient les critères politiques et économiques devraient pouvoir adhérer. L’Union accepta la prétention politico-morale des Européens centraux et orientaux de leur adhésion et interpréta l’élargissement vers l’Est comme un « devoir historique de justice13 » et comme un « nécessité politique et […] une opportunité historique14 ». L’Union voulait surtout réfuter la critique d’être un club fermé d’Européens riches de l’Ouest, qui n’admettrait que les payeurs nets de l’AELE (comme cela a été le cas en 1995) mais qui laisserait les cousins pauvres devant la porte. Cela contredisait l’image que l’Union européenne se faisait d’elle-même, à savoir une communauté ouverte à toutes les démocraties en Europe. Ce mélange entre une argumentation politico-normative et une simple « action rhétorique15 » mena l’Union européenne sur une voie qu’elle ne 12. Jacek Saryus-Wolski, « The Reintegration of the ‘Old Continent’: Avoiding the Costs of ‘Half-Europe’ », in: Simon Bulmer, Andrew Scott (dir.): Economic and Political Integration in Europe: Internal Dynamics and Global Context, Oxford/Cambridge, 1994, p. 19-28. 13. Gerhard Schröder, Discours du chancelier allemand devant le Sejm, le 6 décembre 2000, à Varsovie. 14. Conseil européen, Conclusions de la présidence, Madrid, 16 décembre 1995 : point III A. 15. Frank Schimmelfennig, « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action and the Eastern Enlargement of the European Union », International Organization, 1/2001, p. 47-80. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 13 pourrait plus que difficilement quitter. Même les gouvernements qui, à l’instar de celui de l’Espagne ou de la France, exprimèrent un net scepticisme quant à l’agenda défini et leurs inquiétudes relatives aux conséquences de l’élargissement, ne virent pas de possibilité de s’opposer officiellement à l’orientation pro-élargissement. De cette façon, aucun États membres ne fit usage de son pouvoir de veto. En revanche, le compromis formel de Copenhague de 1993 était une promesse politique sans programme ni stratégie et surtout sans consensus explicite sur la répartition interne des charges et sur la profondeur nécessaire des réformes politiques au cours de l’élargissement. À partir du sommet de Helsinki de 1999, la politique de l’élargissement fut avant tout fondée sur l’objectif d’assurer la stabilité politique dans le voisinage immédiat. Face à la guerre du Kosovo en 1999, l’argument portant sur la stabilité et sur la pacification avait reçu une large approbation dans l’Union européenne et fut le fondement des décisions du Conseil européen de Helsinki. Six autres pays furent inclus dans les négociations d’adhésion (après les six premiers au sommet de Luxembourg en 1997) ; on reconnut le statut de candidat à la Turquie et des perspectives d’adhésion furent également ouvertes aux pays des Balkans occidentaux. Avec la décision de Helsinki fut introduit un changement de paradigme, d’une raison de politique d’intégration vers une raison de politique étrangère et de stabilité, ce qui aura en tant qu’hypothèque des conséquences persistantes pour l’Union européenne des 2516. Moteurs et architectes de la politique de l’élargissement Dans la politique de l’élargissement, les États membres sont les « maîtres » des événements selon l’article 49 TUE relatif à l’adhésion. Ce sont donc avant tout les chefs d’État et de gouvernement qui ont fixé les orientations au sein du Conseil européen. L’on citera les décisions clefs de Copenhague en 1993, l’adoption d’une stratégie de préadhésion au sommet de Essen en 1994, le feu vert pour l’ouverture des négociations d’adhésion lors du sommet de Luxembourg en 1997, la décision du sommet d’Helsinki et finalement le sommet historique de l’élargissement de Copenhague en 2002. De cette façon, le Conseil européen a décidé des 16. Notamment Werner Weidenfeld, « Die Bilanz der Europäischen Integration 1999/2000 », in : Werner Weidenfeld, Wolfgang Wessels (Hrsg.): Jahrbuch der Europäischen Integration 1999/2000, Bonn, 2000, p. 13-24. 14 Barbara Lippert objectifs à atteindre et de certains principes qui ont donnés à la politique de l’élargissement sa dynamique et sa direction (cf. tableau n° 1). Parallèlement est apparue l’influence de la présidence sur l’ordre du jour de l’Union. En particulier, les États membres du nord (la Suède, le Danemark) ainsi que le gouvernement allemand donnèrent des impulsions pour une politique efficace de l’élargissement. Tableau n° 1 : Étapes de l’élargissement de l’UE vers l’Est 1988-2004 Déclaration commune CE-Comecon : établissement de 1988 relations. Accords commerciaux et de coopération bilatéraux. 1988-1993 PHARE/aide G-24 des pays industrialisés de l’Ouest (d’abord depuis 1989 pour la Hongrie et la Pologne, puis extension à tous les PECO) Accords européens : association, établissement successif d’une depuis 1991 zone de libre-échange, dialogue politique, perspectives d’adhésion. Conseil européen de Copenhague : promesse d’admission et 1993 conditions d’adhésion. Conseil européen de Essen : stratégie de préadhésion. 1994 Demandes d’adhésion individuelles de dix pays d’Europe 1994/96 centrale et orientale. Livre blanc de la Commission sur l’intégration des PECO dans 1995 le marché intérieur. Conseil européen de Madrid : capacités administratives comme condition d’adhésion ; invitation à présenter un « Agenda 2000 » et un agenda pour l’ouverture des négociations d’adhésion après la conférence intergouvernementale. Prise de position de la Commission sur les demandes 1997 d’adhésion / Agenda 2000 ; Conseil européen de Luxembourg : ouverture des négociations d’adhésion avec six pays (Estonie, Pologne, Slovénie, République tchèque, Hongrie, Chypre). Conseil européen de Berlin adopte l’Agenda 2000 : paquet 1999 financier et de réformes pour 2000-2006. Conseil européen de Cologne : pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est, proposition d’un accord de stabilité et d’association pour les pays des Balkans occidentaux. Conseil européen d’Helsinki : Ouverture des négociations d’adhésion avec six autres pays (Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie). La Turquie devient « candidate ». Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 15 Conseil européen de Nice : révision des traités et agenda des négociations. Conseil européen de Göteborg : objectif de conclure les 2001 négociations avant la fin 2002 ; décision de participation des nouveaux membres aux élections du Parlement européen en 2004. Conseil européen de Laeken : participation des treize candidats à la convention pour l’Avenir de l’Europe. Conseil européen de Séville : début de la phase finale des 2002 négociations. Conseil européen de Bruxelles : le compromis des 15 sur la politique agricole ouvre le chemin de la conclusion des négociations ; proposition de signature des accords d’adhésion en avril 2003 à Athènes. Conseil européen de Copenhague : conclusion des négociations avec dix pays candidats (huit PECO, Malte, Chypre) ; adhésion le 1er mai 2004. Sommet informel à Athènes : signature des accords d’adhésion 2003 le 16 avril 2003. Échec du sommet de Bruxelles en décembre sur le projet de constitution. Adhésion effective des dix nouveaux membres le 1er mai 2004. 2004 ©Lippert/IEP 2004 2000 De plus, les fils de la politique de l’élargissement et de l’approfondissement convergeaient vers le Conseil européen. Mais en même temps, les plus grandes faiblesses de la politique de l’élargissement s’y retrouvaient. Car les décisions consensuelles du Conseil européen aboutirent toujours à des résultats s’apparentant à un bricolage incomplet : on ne se mit pas à l’élaboration d’un concept d’ensemble pour la réforme institutionnelle et politique d’une part et pour l’élargissement d’autre part, en raison des différents intérêts conjoncturels et sectoriels, des stratégies relatives à la politique européenne et des visions d’avenir divergentes entre les États membres. C’est la raison pour laquelle, depuis 1993, la politique de l’élargissement n’a pu développer et avancer qu’à petits pas incrémentiels, souvent accompagnés de luttes acharnées. Les décisions au plus haut niveau, qui devenaient de plus en plus nécessaires, furent principalement préparées par les Commissions Santer et Prodi ; car les États membres, tout en soulignant la dimension politico-normative de l’élargissement, poursuivaient également leurs intérêts dans la politique d’approfondissement ou leur intérêt à préserver le statu quo quant à la politique de répartition. De telle sorte, seul le 16 Barbara Lippert gouvernement allemand était tant un fervent défenseur de l’élargissement que de l’approfondissement de l’intégration, ce qui rendait la création d’une coalition stratégique pour l’élargissement au-delà de la GrandeBretagne et des pays scandinaves bien plus difficile17. Pour cette raison, il fut à plusieurs reprises à craindre que le mouvement en faveur de la poursuite de la politique de l’élargissement se réduise. Malgré le fait que de nombreuses orientations et également quelques compromis sur le fond furent trouvés au niveau des chefs d’État et de gouvernement, c’est le Conseil des ministres qui resta l’organe clef pour les négociations concrètes avec les pays candidats et qui mena au niveau des ministres des affaires étrangères et des représentants permanents des négociations bilatérales avec les ministres ou les chefs des négociateurs des pays candidats. Le caractère traditionnellement hybride18 du Conseil s’y exprima en ce qu’il négociait pour l’Union européenne et que parallèlement, il constituait un forum au sein duquel les préférences nationales des États membres s’énonçaient le plus fortement. La présidence en fonction jouait aussi un rôle particulier, puisqu’elle exprimait la position commune de l’Union mais qu’elle pouvait, en fixant l’ordre du jour, y mettre des accents personnels. Le Conseil des ministres restait cependant largement dépendant des orientations données par le Conseil européen et – ne serait-ce que face à douze négociations parallèles – du travail et des expertises de la Commission. De Copenhague 1993 à Copenhague 2002, c’est la Commission qui a agit en tant que moteur de l’élargissement. Au cours du processus d’élargissement, elle a élargi son rôle traditionnellement diversifié et l’a politiquement accentué. Déjà, sous la présidence Delors, elle reconnut au vu du cas particulier de l’intégration des nouveaux Länder allemand la fonction catalyseuse de l’élargissement vers l’Est pour l’évolution accélérée de l’union politique. La Commission était donc la gardienne du Graal de la double stratégie d’approfondissement et d’élargissement. En pratique, la priorité (temporelle) fut bien entendu accordée à l’approfondissement. En 1992, la Commission publia pour la première fois un document d’ensemble sur « L’Europe et la problématique de 17. Barbara Lippert et alii, British and German Interests in EU Enlargement, Londres et New York, 2001. 18. Wolfgang Wessels, « Das politische System der EU », in : Werner Weidenfeld (dir.), Gütersloh : Europa-Handbuch, 2002, p. 329-347. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 17 l’élargissement19 », qui se penchait en grande partie sur les pays de l’AELE et du bassin méditerranéen prêts à adhérer. Sept demandes d’adhésion venant de ce groupe avaient été présentées au milieu de l’année 1992, de telle sorte que le concept récemment préconisé par Jacques Delors d’un Espace économique européen (EEE) en tant qu’alternative à l’adhésion fut dépassé par les événements20. La Commission établit alors deux maximes : l’Union européenne devrait contribuer à la création d’un ordre politique et économique pour l’ensemble de l’Europe ; de plus il devrait être totalement clair qu’aucun élargissement ne devrait être entrepris aux frais de l’approfondissement. Au contraire, chaque élargissement devrait renforcer l’Union ! À la date de l’adhésion en 2004, les deux maximes n’ont été réalisées que de façon restreinte. La Commission qui avait directement ressenti la pression de l’élargissement exercée par les jeunes démocraties au cours des négociations tenaces relatives à l’insertion d’une perspective d’adhésion dans les accords européens, poussait le Conseil à donner aux pays d’Europe centrale et orientale associés un signal dénué d’ambiguïté. Selon la Commission, ces derniers avaient besoin d’une « vision claire de leur future participation à la construction le l’Union européenne21 ». Les douze chefs d’État et de gouvernement donnèrent en ce sens la promesse politique d’une adhésion au sommet de Copenhague de 1993. Ainsi, la Commission Delors avait préparé de manière décisive le tournant de la politique d’association vers la politique d’adhésion, mais elle comptait sur une période transitoire plus longue pour tenir cette promesse. La Commission Santer, entrée en fonction en 1995, et la Commission Prodi à partir 1999, structurèrent le processus d’élargissement à partir d’une phase de préparation et de préadhésion, suivie de l’ouverture de négociations d’adhésion pour aboutir avec leur conclusion. La Commission initiait et accompagnait ces différentes étapes par des propositions de procédures (par exemple le modèle de groupe ou celui de 19. Commission européenne, L’Europe et la problématique de l’élargissement. Rapport de la Commission au Conseil européen de Lisbonne des 26 et 27 juin 1992, in : Archive Europe, 15-16 (1992), p. D508 – D514. 20. Des demandes d’adhésion avaient été présentées par la Turquie (14 avril 1987), l’Autriche (17 juillet 1989), Chypre (4 juillet 1990), Malte (16 juillet 1990), la Suède (1er juillet 1991), la Finlande (18 mars 1992), la Suisse ( 26 mai 1992), et aussi fin 1992 par la Norvège (25 novembre 1992). 21. Commission européenne, « Towards a Closer Association with the Countries of Central and Eastern Europe », Bruxelles 5 mai 1993, in : Agence Europe/Europe Documents, n° 1833, 6 mai 1993. 18 Barbara Lippert la ligne de départ pour l’ouverture des négociations, ou bien encore l’évaluation des progrès des candidats) et de solutions – ne serait-ce que dans le cadre des chapitres de négociation concrets – qui tenaient compte des intérêts et des préférences des États membres et des candidats. La Commission lançant progressivement un processus de politique d’élargissement fortement marqué par l’aspect procédural, cette approche apparût technique et dépolitisée. De cette façon, de grandes discussions sur le coût et le bénéfice ou même sur des alternatives à l’élargissement en faveur d’un incrémentalisme purent être évitées22. La grande question du « si » et du « pourquoi » de l’élargissement se transforma au sein du triangle institutionnel de l’Union européenne en un travail studieux quant à l’ordre des textes, aux détails des problèmes et à la date de l’adhésion. En outre, la Commission prépara avec succès – comme avec l’Agenda 2000 – les décisions relatives au budget et aux réformes politiques. Concernant les questions constitutionnelles qui furent négociées par les conférences intergouvernementales à Amsterdam (1997), à Nice (2000) et à Bruxelles (2003), la Commission n’apparut en raison des limites découlant des traités qu’au second plan et n’exerça que peu d’influence sur la politique d’approfondissement maintes fois réclamée par elle. Elle resta cependant l’organisatrice et l’agent influent et couronné de succès du processus de l’élargissement. La Commission fut en plus l’architecte de la stratégie de préadhésion et accompagna, surveilla et contrôla de façon incomparable le processus de préparation et d’adaptation dans les États candidats. De nouveaux instruments et stratégies furent introduits dans la politique de l’élargissement, avec les rapport annuels d’avancement, les partenariats d’adhésion et les plan nationaux de mise en œuvre, les programmes twinnig pour la délégation de conseillers à long terme en provenance des États membres dans les pays candidats, et enfin de l’extension des programmes d’aide PHARE, ISPA et SAPARD. Ces instruments faisant normalement partie de l’offre standard de l’Union pour l’organisation des rapports avec les pays voisins, la Commission les utilisa également – de façon modifiée – dans le cadre du processus de stabilisation et d’association à l’égard des pays des Balkans occidentaux, et au-delà pour 22. Barbara Lippert, « Die Erweiterungspolitik der Europäischen Union », in : Werner Weidenfeld/Wolfgang Wessels (dir.): Jahrbuch der Europäischen Integration 1997/98, 1998, p. 37-50 ; Gerda Falkner, Michael Nentwich : Enlarging the European Union: The Short-Term Success of Incrementalism and De-Politicisation, Köln : MPIfG Working Paper 00/4, juillet 2000. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 19 le développement de la nouvelle politique de voisinage avec des pays sans perspectives actuelles d’adhésion23. L’énergie personnelle, administrative et politique avec laquelle la Commission, sous la direction du commissaire Verheugen, ainsi que les États membres ont poursuivi la stratégie de préadhésion, démontra l’importance du déficit de capacité d’adhésion des pays candidats mais aussi la volonté de l’Union de former par l’éducation des « États membres parfaits24 ». L’adhésion effective engendrera en revanche la fin du paternalisme de la Commission. Son ambition de prolonger cette politique au-delà de la date de l’adhésion et de sévèrement contrôler25 sa mise en oeuvre en tant que « gardienne des traités d’adhésion26 » par le biais de clauses de protection du marché intérieur et de programmes pour l’augmentation des capacités administratives et institutionnelles des nouveaux membres, sera de plus en plus confrontée aux résistances de ces nouveaux États membres qui seront alors égaux en droits. Le Parlement européen ne joue traditionnellement pas un rôle principal dans la politique de l’élargissement. Dans le cas de l’élargissement vers l’Est, il suivit largement les objectifs et les stratégies du Conseil européen et de la Commission. Il accompagna cependant de façon intensive, surtout par son comité pour les affaires étrangères sous la présidence d’Elmar Brok, autant les travaux des institutions communautaires que le développement politique et économique dans les pays candidats27. Il mit un certain nombre d’accents quand par exemple il se prononça en faveur du modèle de ligne de départ incluant l’ensemble 23. On peut bien sûr se demander si des instruments similaires engendreraient également des effets de transformation et de stabilisation similaires, si la perspective d’adhésion, l’orientation persistante des élites vers des réformes et, par exemple, la priorité à la politique de libre-échange venaient à manquer. 24. Alan Mayhew, Enlargement of the European Union : An Analysis of the Negotiations with the Central and Eastern European Countries, Sussex European Institute, Working Paper No. 39/2000, p. 10. 25. Voir les rapports de vue d’ensemble de la Commission européenne de novembre 2003 : Commission européenne, Rapport de vue d’ensemble complet de la Commission européenne sur l’état des préparatifs d’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne de la Slovénie et de la Slovaquie, COM(2003) 675 version finale, Bruxelles, 5 novembre 2003. 26. Günther Verheugen, Strategiepapier und Fortschrittsberichte, Rede vor dem Europäischen Parlament (SPEECH/02/462), Strasbourg, 9 octobre 2002, p. 4 27. Voir par exemple : Parlement européen, Rapport sur l’élargissement (rapporteur Brok) A5-0371/2002 version finale, 7 novembre 2002 ; et Parlement européen, Rapport sur l’état des préparatifs d’adhésion des pays candidats (rapporteur Brok) A5-0111/2004, 25 février 2004 20 Barbara Lippert des pays candidats en 1997, tandis que le Conseil européen suivait la recommandation de la Commission de ne commencer que par six pays au lieu de l’ensemble des douze. Dans ses rapports relatifs aux pays, le Parlement européen se pencha particulièrement sur l’évolution de la démocratie, le respect des droits de l’homme, la situation des minorités dans les pays candidats et les problèmes sociaux causés par la transformation et l’intégration, sans pour autant aboutir à des conclusions différentes de celles de la Commission. Le Parlement européen entretenait des rapports réguliers avec les pays candidats dans le cadre des commissions parlementaires mixtes créées par les accords européens, et par des réunions semestrielles des présidents des parlements depuis 1995. Ces contacts restaient cependant ponctuels par rapport à la densité des interactions respectives de la Commission et des candidats. La Commission reprit habilement la demande du Parlement européen d’octobre 200028 relative à la participation des nouveaux membres aux élections du Parlement européen en juin 2004. Avec la déclaration correspondante du Parlement européen au Conseil européen de Göteborg en juin 2001, le débat de longue date relatif à une date pour l’adhésion fut clos. Globalement il faut retenir que les États membres ont disposé du plus grand pouvoir de négociation dans toutes les phases du processus d’adhésion (phase de la demande, de la négociation et de la ratification) par le biais du Conseil et du Conseil européen. En revanche, le Parlement européen n’aurait pu faire usage de son pouvoir de blocage que dans la phase de ratification, lorsqu’il doit donner son avis conforme à la majorité absolue de ses membres pour l’admission de nouveaux membres. La Commission a participé à toutes les phases – sans pouvoir de décision – mais c’est dans la phase de la négociation qu’elle a pu le plus influencer les résultats et marquer le processus dans son ensemble (la vitesse de l’avancement et la substance des négociations). Concernant la possibilité d’influencer le cours des choses, la Commission a bénéficié d’un avantage certain sur le Parlement européen. L’évolution de l’opinion publique, quant à elle, est restée très réservée durant l’ensemble de la période de négociation. Le rejet de l’élargissement était particulièrement flagrant en France. Encore au 28. Parlement européen, L’élargissement de l’Union européenne. Résolution du Parlement européen sur l’élargissement de l’Union européenne (COM(1999) 500 – C50341/2000 – 2000/2171(COS)), A5-0250/2000, Luxembourg, 4 octobre 2000, point 3. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 21 printemps 2003, 54 % des Français se déclaraient défavorables à l’élargissement et 31% favorables. L’approbation en Allemagne, en Autriche et en Grande-Bretagne était également en dessous de la moyenne de l’Union européenne.29 Il est par ailleurs intéressant de constater que l’approbation de l’élargissement par la population dans les pays bénéficiant de la politique de cohésion30 était bien plus élevée que ne pourrait le faire penser l’attitude sceptique de leurs gouvernements nationaux respectifs. Dans certains cas, de nettes divergences étaient donc à noter entre l’attitude de la population et le comportement des gouvernements. Mais les citoyens et les citoyennes de l’Union devront encore être convaincus du sens et des chances de l’élargissement. Procédures et critères d’adhésion Pour l’élargissement, les acteurs communautaires agirent dans un contexte complexe et dans des circonstances nouvelles ou aggravées. Il convient pour s’en rendre compte de renvoyer au chiffre de treize pays candidats, puis à la situation post-communiste particulièrement problématique des États d’Europe centrale et orientale et finalement à leur pauvreté31 relative et aux retard en matière de modernisation économique. Enfin, il faut signaler les exigences de qualité singulièrement élevées de l’actuel acquis communautaire et la volonté de l’Union européenne de faire avancer parallèlement à l’élargissement la réforme et l’approfondissement de l’intégration européenne dans des domaines politiques et institutionnels clefs. Les critères d’adhésion de Copenhague ont contribué à une procédure d’évaluation transparente et objective et ont constitué un cadre d’examen stable, constamment complété32 et affiné, qui a essentiellement trouvé son 29. Au printemps 2003 la moyenne de l’UE se situait à 35 % de voix défavorables contre 46 % de voix favorables à l’élargissement. En Allemagne, 39 % de la population se prononçait contre l’élargissement et 42 % pour, en Autriche 44 % contre et 43 % pour et en Grande-Bretagne 36 % contre et 26 % pour. Voir Commission européenne Standard Eurobaromètre 59 / printemps 2003. Bruxelles, juillet 2003. 30. Au printemps 2003 34 % de la population en Espagne se déclaraient défavorables et 56 % favorables à l’élargissement, en Irlande 22 % défavorables et 59 % favorables. 31. En 2002 le PNB moyen par habitant dans les dix pays candidats était de 46 % de la moyenne dans l’UE des 15 (en standard de pouvoir d’achat). 32. Ceci fut le cas lors de plusieurs réunions du Conseil européen : celui de Corfou (1994) qui considéra la mise en œuvre des accords européens comme mesure importante d’évaluation de la maturité d’adhésion, celui de Madrid (1995) qui souligna l’adaptation et les capacités des administrations nationales et des conditions générales de stabilité 22 Barbara Lippert application dans les rapports annuels de la Commission sur l’avancement des négociations, rédigés depuis 1998. Le respect des critères d’adhésion politiques (démocratie, État de droit, droits de l’homme etc. 33) constituait la condition pour l’ouverture de négociations ; le respect des critères d’adhésion économiques à la date de l’adhésion (économie de marché viable et capacité de faire face à la libre concurrence34) était la condition pour la fin des négociations. Le critère de l’acquis communautaire (reprise intégrale de la législation communautaire, donc environ 14 000 actes juridiques) ne serait que partiellement rempli à la date de l’adhésion comme le laisse entrevoir le chiffre d’environ 300 dispositions transitoires. L’Union européenne pouvait observer dans les pays candidats l’organisation d’élections libres et l’alternance sans problèmes de gouvernements et d’oppositions ; elle pouvait se servir et comparer les données de référence macro-économiques des treize candidats, contrôler l’harmonisation juridique et ponctuellement l’application du droit communautaire ; et finalement elle devait cependant prendre une décision politique sur la maturité d’adhésion de chaque candidat. L’Union européenne invoqua le principe de différentiation dans l’appréciation des pays. Mais plus le processus de négociation dura, et plus certains pays comme la Pologne, la Slovaquie, la Lettonie et la Lituanie purent rattraper leur retard initial, moins la sélectivité et la précision réelle des critères d’adhésion furent respectées concernant les dix premiers candidats. Par contre, le retard de la Bulgarie et la Roumanie était évident et politiquement peu controversé. Les négociations d’adhésion suivirent donc les principes établis lors du premier élargissement vers le nord en 1973, malgré l’innovation de la stratégie de préadhésion et la conditionnalité expresse des critères économique et monétaire, et finalement celui de Cologne (1999) qui ajouta de hauts standards concernant les centrales nucléaires et qui rappela les capacités de mise en œuvre des politiques de la part des administrations publiques. L’initiative du premier ministre français, M. Balladur, relative à un pacte de stabilité au début des années quatre-vingt-dix avait en plus exigé la solution des conflits relatifs aux frontières et aux minorités avant l’adhésion. Voir Heinrich Schneider, « Die KSZE/OSZE und die gesamteuropäische Kooperation », in: Werner Weidenfeld, Wolfgang Wessels (Hrsg.): Jahrbuch der Europäischen Integration 1994/95, Bonn, 1994, p. 375-384. 33. Voir la base juridique des articles 49 TUE en combinaison avec l’article 6 § 1 TUE. 34. Voir la base juridique de l’article 4 TCE. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 23 d’adhésion de Copenhague35 (les nouveaux membres doivent reprendre l’acquis communautaire et politique ; on ne peut disposer de ce qui a été acquis jusque là dans la Communauté ou l’Union, ni concernant le droit primaire ni le droit dérivé). Exception faite de l’adhésion de la Grèce en 1981, la pratique s’était en plus établie de mener des négociations bilatérales parallèles avec plusieurs pays candidats et d’admettre plusieurs États à la fois au même moment. Dans le cas de l’élargissement vers l’Est, la prise en compte de grands groupes par l’Union européenne a cependant eu pour conséquence que les pays les plus forts et les mieux préparés – à savoir la Hongrie et la Slovénie – n’ont pas pu conclure les négociations aussi rapidement que possible. L’Union a poursuivi une logique de groupe qu’elle définissait en cas de doute plutôt de façon « politique » que de façon « orientée par les résultats36 », et qui lui a permis le rééquilibrage des préférences nationales au sein de la Communauté. L’élargissement vers le nord avait en plus donné un premier exemple du fait que même pendant des négociations d’adhésion, la Communauté ne se laissait pas éloigner d’autres ambitions d’approfondissement et de pas concrets (par exemple le plan Werner relatif à l’union économique et monétaire ainsi que l’introduction de la coopération politique européenne et des réunions régulières au sommet). Cette dynamique de l’approfondissement confronte les pays qui veulent adhérer à une base en perpétuel changement (problème du moving target) ne concernant pas seulement des adaptations techniques des traités à un nombre croissant d’États membres mais aussi des questions substantielles. De cette façon les candidats du cycle d’élargissement 2004 ont dû intégrer les révisions des traités d’Amsterdam et de Nice et déjà participer de façon active aux négociations de la convention européenne sur la constitution de l’Union européenne. Ils devaient donc, même s’ils n’étaient pas mis sur un pied d’égalité complète, contribuer à l’essai le plus ambitieux de révision du traité de Rome sans disposer eux-mêmes de l’expérience immédiate de la participation au système décisionnel communautaire. Les négociations ont été plus courtes que celles de l’élargissement vers le sud mais nettement plus longues que celles des autres cycles 35. Voir le processus au sens strict : Conseil des Communautés européennes, Décision du Conseil des Communautés européennes du 9 juin 1970 sur la procédure applicable aux négociations d’adhésion, in : Archive-Europe, 15-16 (1970), p. D 350. 36. Voir les remarques critiques de András Inotai, « Erfolgreiche Erweiterung durch zügige Vertiefung: Überlegungen zu einigen Prioritäten der EU-25 », Integration 2/2004, à paraître, pp. 27-32. 24 Barbara Lippert d’élargissement. Dans le cas de l’Espagne et du Portugal, les négociations s’étaient étendues sur 76 et 80 mois ; lors de l’élargissement vers les pays de l’AELE de 1995, elles avaient porté sur 17 mois. L’Union européenne a négocié 61 mois37 avec les six pays du groupe de Luxembourg (Estonie, Pologne, Slovénie, République tchèque, Hongrie, Chypre) et seulement 38 mois avec le groupe d’Helsinki (Slovaquie, Lettonie, Lituanie, Malte). Dispositions transitoires L’Union européenne a conclu avec les dix pays une trentaine de dispositions transitoires dans les accords d’adhésion qui concernent 14 des 30 chapitres de négociation et qui se fondent majoritairement sur des demandes de la part des candidats, mais en partie aussi de la part de l’Union européenne (par exemple la libre circulation des travailleurs et le cabotage38). Une grande partie des dispositions transitoires concernent les chapitres relatifs à l’agriculture (89), à l’environnement (67), à la fiscalité (24) et aux transports (21). Des périodes particulièrement longues incluant des délais allant jusqu’en 2017 ont été prévues dans le domaine de l’acquis environnemental, essentiellement en matière de pollution atmosphérique et de traitement des eaux urbaines usagées. Les nouveaux États membres doivent dans beaucoup de cas continuer à adapter leurs taux de TVA et en partie aussi leurs droits de douane à certains produits ou groupes de produits. Les dispositions transitoires dans le chapitre relatif aux transports s’étendent principalement aux transports routiers de marchandises pour lequel l’Union européenne a imposé une période transitoire réciproque pouvant aller jusqu’à cinq ans pour l’ouverture successive des marchés nationaux des transports. 37. Ou bien 53 mois si l’on se fonde sur la date de l’ouverture du premier chapitre de négociation. 38. Selon la façon de compter, différents chiffres sont avancés. Avery estime pour sa part qu’il s’agit de 322 dispositions transitoires concernant 17 chapitres. Graham Avery, « The enlargement negotiations », in: Fraser Cameron : The Future of Europe. Integration and Enlargement, Londres et New York, 1994, p. 35-62. Inotai, op. cit., compte 281 dispositions transitoires. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 25 Tableau n° 2: Dispositions transitoires nationales spécifiques selon l’accord d’adhésion Chapitres de négociation 1: libre circulation des marchandises 2: libre circulation des personnes 3: libre prestation de services 4: libre circulation des capitaux 5: droit des sociétés* 6: concurrence 7: agriculture** 8: pêche 9: transports 10: fiscalité 11: UEM 12: statistiques 13: politique sociale 14: énergie 15: pol. industrielle 16: PME 17: science/recherche 18: éducation, formation 19: télécommunications 20: culture, audiovisuel 21: politique régionale 22: environnement 23: protection des consommateurs 24: justice et affaires intérieures 25: union douanière 26: relations extérieures 27: PESC 28: contrôle financier 29: budget et finances** 30: institutions** Total Dispositions transitoires convenues avec Est Let Pol Slova Slové Tch Hon Chyp Durée Lit Malte 2 3 5 S 1 1 1 1 1 3 2 5 1 3 2 1 S 2 3 2 21+S 14 2 4 5 max. 2008 Total 12 7 ans 8 1 2007 24 2 1 12 ans 11 7 3 5 1 7 2011 11 ans 4 2 1 2 2010 2010 1 2006 2009 11 89 21 24 11 11 1 67 - 1 1 1 1 1 3 3 3 1 1 1 3 12 11 1 4 3 2 4 2 3 2 3 3 1 2 2 1 3 2 3 1 1 2 1 1 1 1 5 1 2 MS 1 6 9 4 10 13 2005 9 3 3 6 4 2017 1 21 35 29 47 1 49 23 23 20 27 2008 19 2 292 Il s’agit de la somme des actes juridiques concernés par des dispositions dérogatoires. S = clause de sécurité; MS = mécanisme spécial cf. annexe IV de l’acte d’adhésion; * En matière de droit des sociétés l’ensemble des nouveaux États membres a accepté des dispositions dérogatoires relatives aux droits de protection commerciale des produits pharmaceutiques et à la marque européenne. ** Pour les chapitres agriculture, budget et finances ainsi que pour les institutions, de nombreuses autres dispositions spéciales ont été conclues. Source: accord d’adhésion 2003. Illustration personnelle ©Lippert/IEP 2004 26 Barbara Lippert Parmi les nombreuses dispositions transitoires relatives à la politique agricole commune, certaines doivent être considérées comme particulièrement critiquables, qui permettent temporairement aux nouveaux États membres de mettre en circulation des produits carnés, poissonniers et laitiers sur le marché national exclusivement, bien qu’ils ne soient pas conformes aux standards sanitaires et de production communautaires. Pour cette raison, les contrôles aux frontières du marché intérieur et à l’intérieur des pays resteront indispensables. Concernant le noyau dur de l’acquis communautaire, il faut souligner les dispositions transitoires substantielles dans les quatre chapitres relatifs au marché intérieur et le chapitre relatif à la concurrence. Les limitations à la libre circulation des travailleurs39 exigées par l’Union européenne et pouvant aller jusqu’à sept ans ainsi que les dispositions transitoires accordées en matière d’acquisition de terrains agricoles ou forestiers qui sont de douze ans dans le cas de la Pologne, de sept ans dans les autres, étaient politiquement sensibles. Les chapitres pour lesquels aucune disposition transitoire n’a été conclue mais dans lesquels des difficultés de mise en oeuvre sont à attendre en raison du manque de capacité des administrations et des juridictions nationales des nouveaux États membres, revêtent également un caractère brûlant. Dans le chapitre relatif à la politique intérieure et de justice il n’y a donc pas de coupes dans les droits acquis40, mais il existe des arrangements transitoires implicites puisque les dispositions sur les mesures compensatrices qui portent directement sur l’élimination des contrôles des personnes aux frontières du marché intérieur – par exemple différentes dispositions relatives au contrôles des frontières extérieures, aux visas, à la coopération policière transfrontalière et aux réglementations relatives au système d’information Schengen – seront d’abord soumises par le Conseil à la procédure d’évaluation Schengen, avant de décider (à l’unanimité) de leur l’intégration complète dans l’espace Schengen. Bilan et perspectives L’élargissement vers l’Est a été mis en scène comme un succès terne malgré son importance pour l’Union européenne et pour l’Europe en général. L’approche des petits pas du processus d’adhésion par l’Union 39. Cf. les déclarations n°6, 7, 10, 11, 13, 15, 16, et 18 ainsi que 14 et 19 de l’acte d’adhésion relatives à l’application des dispositions transitoires. 40. Cf. l’article 13 de l’accord d’adhésion 2003. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 27 fut laborieux étant donné le caractère de « politique assemblée41 » de la politique de l’élargissement. En mettant fortement l’accent sur les processus organisés et en les étendant au cours de l’élargissement vers l’Est, des conflits politiques entre les États de l’Union, mais également dans leurs relations avec les candidats, ont été canalisés et partiellement dédramatisés. Les institutions communautaires, et la Commission en premier, ont jalonné, dirigé et encadré l’itinéraire du marathon des pays en transformation de façon à ce que tous ceux qui avaient des chances d’y arriver puissent atteindre le but de l’adhésion. Particulièrement à travers la stratégie de préadhésion, élaborée pour la première fois dans l’histoire de l’élargissement, l’Union européenne a fait sienne l’objectif de la maturité d’adhésion des candidats. « L’élargissement le mieux préparé de l’histoire de l’Union42 » est cependant accompagné de grandes incertitudes quant à ses implications pour l’évolution de l’espace politique et économique le plus grand au monde43. Par l’élargissement, la population dans l’Union croît d’environ 75 millions pour atteindre 450 millions ; le territoire augmente d’environ 23 %, mais la PNB de l’Union n’augmentera que légèrement pour passer de 8 830 milliards d’€ à 9 230 milliards d’€. Le PNB moyen par personne dans l’UE des 15 était de 24 010 € en 2002 ; chez les nouveaux membres il s’étendait de 8 500 € en Lettonie à 17 700 € en Slovénie et 17 400 € en Chypre (en pouvoir d’achat paritaire). L’Union avec ses 25 membres et ses 20 langues officielles aura du mal à organiser de façon efficace l’unité dans la diversité maintes fois citée et à la transformer en une capacité d’action. L’image de l’Union européenne élargie est marquée par des divergences de capacités et des retards dans la transposition de l’acquis communautaire, par de grandes différences de prospérité, par des concepts nationaux divergents sur la modernisation des systèmes sociaux ainsi que sur la politique de l’emploi et de la fiscalité, par de délicats conflits de répartitions concernant le prochain Agenda 2007 et finalement par les disparités (de pouvoir) politiques plus clairement accentuées entre les quelques grands États membres et les nombreux États membres plus 41. Wallace Sedelmeier, op. cit., 2000, p. 428. 42. Selon M. Günter Verheugen à plusieurs reprises ; voir par exemple Günther Verheugen, Nehmen wir diese Chance entschlossen an, Rede vor dem Europäischen Parlament (SPEECH/03/187), Strasbourg, 9 avril 2003. 43. Le rapport soumis par de Kok sur les réalisations et les défis de l’élargissement se borne à une faire un bilan ; voir Wim Kok, Enlarging the European Union – achievements and challenges, 26 mars 2003. 28 Barbara Lippert petits. La quête d’expériences promouvant le sentiment de former une communauté et les liens de solidarité commence. Depuis la crise de ratification du traité de Maastricht en 1992-93, l’Union européenne n’a pas réussi, malgré plusieurs essais, à coordonner le rythme entre approfondissement et élargissement de façon à ce que l’Union soit réellement prête à s’élargir en 2004, même si elle l’avait proclamé à la fin de la conférence intergouvernementale de Nice. Comme le signale le catalogue des questions dans la déclaration de Laeken sur l’avenir de l’Union européenne44, les réformes des institutions ont été insuffisantes pour renforcer la capacité d’action et la légitimité. Le financement de l’Union élargie a pu être assuré jusqu’en 2006 tout en préservant une limite maximale des ressources propres, largement épuisée en deçà de la moyenne, de 1,24 % du PNB. Mais seules des réformes hésitantes de la politique la plus dépensière, la politique agricole commune (PAC) ont été introduites. Dans ce domaine il faut également s’attendre à une reconduite des conflits de répartition et des controverses relatives aux différentes préférences de réforme. Immédiatement après l’effondrement du « bloc de l’Est », l’Union européenne avait dans un premier temps compté avec une période bien plus longue pour l’intégration de l’Europe centrale et orientale. Depuis le tournant de la politique de l’élargissement de l’Union effectué à Copenhague en 1993, elle a mené une politique d’ajournement et de gain de temps qui, face aux préparatifs progressifs mais continus de l’adhésion, l’a de plus en plus mise dans une situation difficile. La méthode conventionnelle prévue pour être un événement libératoire et le projet d’une constitution pour l’Europe45 qui en a résulté, n’ont provisoirement pas déterminé l’orientation ou ne semblent pas pouvoir faire l’objet d’un consensus au sein du cercle des 25 membres. De plus, l’Union européenne n’entre dans l’élargissement qu’avec des politiques communes réformées de façon hésitante et doit avant tout compter avec des prérequis onéreux, préservant des droits acquis en matière de PAC jusqu’en 2013. L’actuel séquençage – d’abord l’élargissement, après éventuellement l’approfondissement – renforce les doutes de principe quant à la stratégie double d’un processus d’élargissement et d’approfondissement parallèles et contrôlés. D’un autre côté, le processus d’élargissement aurait peut-être été interrompu ou même rompu – avec 44. Conseil européen, Conclusions de la présidence, Laeken, 14 et 15 décembre 2001, (00300/1/01), annexe 1. 45. Convention européenne (2003): Projet d’un traité établissant une Constitution pour l’Europe, CONV 850/03, Bruxelles, 18 juillet 2003. Dossier : La politique d’élargissement de l’Union européenne 29 des conséquences politiques imprévisibles – si une politique expresse d’interdépendance avait été menée par exemple à Copenhague en 1993 ou lors du sommet d’Amsterdam en 1997. Mais puisqu’aucun compromis viable à l’avenir sur les leftovers et les réformes des politiques communes n’a pu être trouvé dans les années suivantes, la date historique du 1er mai 2004 s’accompagne d’un sentiment de crise d’une Communauté qui semble perdre la confiance en la continuation de l’écriture de l’histoire de l’intégration comme un cycle de crises et de réformes. Avec 2004, l’histoire de l’élargissement de l’Union européenne n’a pas atteint sa fin. La logique extensive de l’intégration touche en revanche de plus en plus à des limites d’absorption et d’acceptation. Dès lors, il s’agira à l’avenir pour l’Union de définir une perspective européenne d’ensemble qui ne soit pas limitée à celle de l’adhésion. Barbara Lippert.