La vie devant soie - Luxe - Bilan

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LA RÉFÉRENCE
SUISSE DE L'ÉCONOMIE
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La vie devant soie
10 Octobre 2011
Dans la plus pure tradition
artisanale, la tisserande Karola Kauffmann transforme des fibres
naturelles en précieux objets textiles, à la fois pièces de vêtement
uniques et œuvres d’art.
PAR KONRAD KOCH
(/AUTHOR-IMPORT/KONRAD-KOCH)
(http://www.bilan.ch/sites/default/files/styles/photoswipe/public/karola_kauffmann_portrai
t_25.jpg)
Les divinités scandinaves du destin se nomment les Nornes. Filles
du nain Dvalin – on les prétend parfois enfantées par les Elfes - se
sont elles qui, selon la légende, tissent le fil de la vie des hommes.
Ce qui explique que Karola Kauffmann appelle «!habit de fée!» un
genre de robe pour enfant produit d’une seule pièce en soie
d’organza. Une tunique aussi légère que le voile de brume qui, en
ce début d’été orageux, s’étend au-dessus de l’étang devant son
atelier. Manière de dire aussi que rencontrer la tisserande, c’est
s’embarquer dans voyage à travers les mythes. Sur la route de
Laufenburg, en Forêt-Noire, une bifurcation discrète à la sortie du
village de Hottingen, conduit en quelques centaines de mètres à la
clairière où se trouve sa maison, sur les berges de la rivière Murg
qui, plus loin, se jette dans le Rhin. La fable des Nornes doit avoir
été tissée dans un semblable lieu.
Etoffe Pink Floyd
Son tissu d’organza raconte une autre fabuleuse histoire, celle des
bobines de soie dont il est tiré, récupérées par un marchand dans
l’épave engloutie d’un navire. Ce matériau dont aucun tisserand
ne voulait, mais que Karola Kauffmann s’est empressée d’acheter,
est ainsi devenu la matière première de son travail. «!Il est difficile
de trouver du fil et du fils retors de qualité!», assure-t-elle. «!En
Suisse, il n’existe plus aucune filature et les grossistes sont
devenus rares!». Du coup, Karola Kauffmann veille sur son stock
de caisses remplies de dévidoirs dodus venus des anciennes
manufactures Dürsteler et Zwicki comme sur le trésor des
Nibelungen. Et à ce niveau, même les rebuts des fabriques valent
de l’or. A la manière de cette étoffe, où la tisserande a mêlé des fils
de cuivre tirés de moteurs électriques à des fils d’or. Ou encore ce
tissu paysan produit avec des lins de Vienne et de Leipzig
découverts dans un dépôt et vieux de 130 ans. Il y a plus de vingt
ans, Karola Kauffmann recyclait déjà des bandes magnétiques de
concerts des Pink Floyd, de conférences du gourou Osho Baghwan
et de pièces radiophoniques de Heidi pour fabriquer une serge
glam-rock qui scintille d’éclats vert et anthracite. «!C’est souvent
le hasard de ma quête de matériau qui m’inspire!», raconte la
tisserande en attrapant un châle dont les teintes noires et or
s’écoulent comme les eaux de la rivière au soleil. Le caractère rétif
des fils, la chaîne de soie, la trame du cachemire le plus fin et la
soie brute s’unissent en un tissu qui s’étend et se fronce. Bon
nombre de ses objets fonctionnent d’ailleurs comme des images.
Ses vêtements ne sont pas seulement destinés à être portés mais
peuvent aussi s’accrocher à un mur. Le travail du textile
n’appartient-il pas aux arts décoratifs!?
Triple armures
Sur ses métiers à tisser manuels, Karola Kauffmann réinterprète
sans relâche un savoir-faire ancestral. Le modèle de base, toujours
le même, résulte du croisement entre fil de chaîne et fil de trame.
Ce qu’on appelle une armure. Les fils de la chaîne sont enroulés
sur l’ensouple, dans le sens longitudinal des supports tendus du
tissu. Le fil de trame est alors élevé et abaissé à l’aide d’une
navette ou à la main entre les fils de chaîne. Trois armures
donnent ainsi naissance à tous les types de motifs. Dans la forme
la plus simple - la toile - le fil de trame passe alternativement audessus et au-dessous des fils de chaîne donnant à l’étoffe le même
aspect sur ses deux faces. Quand la trame passe sous un fil de
chaîne puis au-dessus d’au moins deux chaînes, on obtient un
serge aux côtes obliques. Les modèles à relief les plus connus sont
le serge diamant et le serge en arête de poisson. Dans ce cas, les
deux faces du tissu sont d’aspect différent. L’armure atlas, elle,
donne des tissus dont la face supérieure reflète la lumière en
l’irisant. Cet effet, qui confère au damas son aspect éclatant, se
crée en passant le fil de trame d’abord sous une chaîne puis sur
plus de deux.
Bouquetin laineux
Au début de sa carrière, il y a trente ans, la corvée d’installer les
quelque 3!400 fils de chaîne du métier à tisser effrayait la
tisserande. Aujourd’hui, ce travail – qui peut lui prendre une
semaine – qui consiste à faire des chaînes de soie, de cachemire
ou de lin jusqu’à cent mètres de long et à les enrouler sur
l’ensouple participe, pour elle, à une phase de préparation
méditative. «!Une sorte de moment de bonheur anticipé!»
explique Karola Kauffmann qui crée sans cesse du neuf, inventant
des formes qui peuvent susciter de la tension, de l’irritation.
Comme cette pièce qui semble teintée. Sauf que l’effet dégradé est
dû à l’entremêlement savant d’étoffes ordinaires et de twill, ce
tissu de soie à côtes très fines. Magique!!
Mais dans l’atelier, le matériau le plus noble – elle est
modestement la seule tisserande au monde à savoir le travailler –
est le poil du yangir, cette variété de bouquetin qui vit en
Mongolie. Une matière réputée difficile à domestiquer. Pour un
seul châle, Karola Kauffmann peut ainsi passer jusqu’à quatre
jours d’affilée sur le métier. «!Je ne veux rien reproduire!»,
explique-t-elle pour justifier le caractère unique de ses produits,
vendus dans les expositions consacrées à son travail. D’ailleurs,
elle n’accepte aucune commande. Un vrai luxe qui vaut
évidemment son prix. Comptez 4!000 euros pour la fameuse étole
en laine de bouquetin asiatique. «!Les tissus sont notre seconde
peau. Ils sont faits pour se démarquer et être remarqués.!» Et les
siens portent un signe très particulier!: celui d’une sublime beauté.
Information et adresse sur le site www.karolakauffmann.ch. Ses
travaux sont exposés à la Triennale du Musée des arts appliqués
de Francfort à partir du 5 octobre
Crédits photos: Vera Hartmann
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