Dans le ciel asiatique

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Dans le ciel asiatique
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Juillet 2011
www.hec.fr/eurasia
Dans le ciel asiatique
Le centre de gravité
de l’aviation civile
s’est déplacé vers
l’est.
Le centre de gravité de l’aviation civile s’est déplacé vers l’est. La moitié des
profits générés par le transport aérien en 2010 provenaient d’Asie. D’ici à 2014,
l’Asie-Pacifique va devancer l’Amérique du Nord comme marché aéronautique le
plus important au monde. Sans surprises, la Chine est au cœur de cette évolution :
le pays sera non seulement le relais de croissance majeur de l’industrie
aéronautique mondiale, mais également le moteur de son développement.
Au cœur de cette
évolution : la Chine.
Changement structurel du trafic aérien : la part de marché mondiale des
compagnies aériennes asiatiques est passée de 35% en 1990 à plus de 50%
aujourd’hui. En 2030, elle devrait franchir la barre des 70%. Tendance inverse pour
les compagnies américaines et européennes, qui voient leur part de marché se
La part de marché
réduire de 70% il y a vingt ans à 50% aujourd’hui. Selon les dernières estimations,
des compagnies
elle pourrait chuter jusqu’à 40% d’ici 2030. La région Asie-Pacifique contribuera à
aériennes asiatiques elle seule à la moitié de la croissance du trafic aérien, avec plus de 7%
se renforce…
d’augmentation en moyenne par an. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’ici à
2029, les compagnies asiatiques devraient s'équiper de près de 11 450 nouveaux
appareils (soit un tiers des ventes mondiales), triplant leur nombre d'avions en
…tandis que celle des service de 4 410 à près de 13 480, tandis que les commandes européennes et nordaméricaines seraient de 7 500 dans l’un et l’autre cas.
compagnies
américaines et
européennes se
réduit.
En termes de ventes,
la Chine pèse d’ores
et déjà très lourd sur
le marché
aéronautique.
Au salon du Bourget
seulement, le pays
s’est engagé à
acheter 88 Airbus.
La Chine pèse d’ores et déjà très lourd sur le marché de l’aviation. En 2010,
les compagnies aériennes chinoises représentaient 20% des livraisons mondiales.
Ces dernières doivent acheter plus de 4 300 nouveaux appareils au cours des vingt
prochaines années. A près de 8%, la croissance des vols domestiques est quatre fois
supérieure à la moyenne mondiale depuis le début des années 90. Le trafic aérien à
l’intérieur de la Chine passera de 250 millions de passagers par an aujourd’hui à
700 millions à la fin de la décennie.
Au salon du Bourget de juin 2011, le pays s’est engagé à acheter 88 Airbus
A320 pour 7,5 milliards de dollars (à ce jour, 13 compagnies chinoises en
détiennent 575) – une bonne nouvelle qui reste néanmoins obérée par le report sine
die de la vente de dix Airbus A380. En effet, la décision de l’Union européenne
d’étendre la taxe-carbone au secteur aérien à partir de janvier 2012 a provoqué un
véritable tollé à Pékin, qui lie désormais la signature de ce contrat à une exemption
de cette taxe. Selon les nouvelles règles, en effet, tous les vols qui atterriront ou
décolleront d’un aéroport européen seront contraints de compenser leurs émissions
par la restitution ou l’achat de quotas. La Chine estime que la taxe pourrait coûter à
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En termes de
fabrication, le
constructeur
aéronautique chinois
Comac développe
aujourd’hui deux
modèles.
ses compagnies près de 122 millions de dollars par an dès 2012 et jusqu’à 450
millions à partir de 2020.
Mais c’est dans la construction aéronautique que le paysage pourrait bouger
le plus vite. L’empire du Milieu pourrait rapidement mettre fin au duopole mondial.
Son ambition de s’affranchir des géants Airbus et Boeing est manifeste. Le pays
veut y investir 163 milliards d'euros au cours des cinq prochaines années. La
Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), créée en mai 2008,
développe actuellement deux modèles d’avion : un jet régional, connu sous le nom
d’ARJ21, et un moyen-courrier, le Comac C919. L'ARJ21, qui peut transporter 90
passagers, pourrait être prêt dès le troisième trimestre de cette année, mais il
L'ARJ21, jet régional n’effectuerait son premier vol commercial qu’en 2012. A ce jour, le carnet de
de 90 places, a un
commandes de l'ARJ21 s'élève à 240 appareils.
carnet de commandes
de 240 appareils,
tandis que le Comac
C919, moyencourrier de 190
places, en a un de
100.
L’avion « made in
China » doit encore
faire ses preuves, à
l’instar du TGV
chinois dont les
débuts s’annoncent
très difficiles.
Autre
développement dans
le ciel asiatique :
celui du low cost.
Quant au moyen-courrier Comac C919, le constructeur chinois en a
récemment dévoilé une maquette. Actuellement en cours de fabrication, l’appareil
de 190 places devrait être sur nos tarmacs en 2016. Le constructeur a déjà pris 100
commandes, essentiellement de compagnies aériennes chinoises. Cet appareil
concurrencera directement l’Airbus A320, dont une chaîne d’assemblage
fonctionne depuis trois ans à Tianjin. Boeing comme Airbus affirment que Comac
ne leur a pas « emprunté » de technologies sensibles, mais la bataille féroce qu’ils
se sont livrés devant le tribunal de l’OMC a mis sur la place publique des pans
entiers de secrets de fabrication, dont les Chinois ont fait leur miel.
L’avion « made in China » doit encore prouver sa fiabilité, ce qui n’est pas
si simple. Quand les Chinois ont balayé Alstom, Siemens et Kawasaki pour
construire leur propre TGV 100% chinois, on allait voir ce qu’on allait voir. Le
fameux TGV a ouvert sa ligne emblématique Pékin-Shanghaï le 30 juin dernier.
Premier « couac » : au lieu de mettre les quatre heures annoncées, le train en met
cinq, parce qu’une série de malversations sur les appels d’offres pour la voie à
grande vitesse l’a fragilisé au point qu’il a fallu réduire la vitesse de 50 km/h.
Ensuite, une série de pannes de courant a immobilisé le train plusieurs heures en
rase campagne à plusieurs reprises. Enfin, le 23 juillet, une collision inouïe a fait 39
morts parce qu’un train rapide (train de classe « D » aux normes chinoises) a
percuté un autre train à l’arrêt. On voyait la concurrence chinoise arriver à grands
pas dans les systèmes complexes (TGV, avions, centrales nucléaires) : les acheteurs
potentiels vont désormais y regarder à deux fois.
Autre développement dans le ciel asiatique : celui du low cost. En tout, ce
sont près de 38 compagnies à coûts réduits qui opèrent aujourd’hui dans la région,
soit près de 16% des sièges en Asie-Pacifique l’année dernière. Leur part de marché
AirAsia, compagnie
devrait atteindre 25% en 2015. L’émergence d’une classe moyenne et la hausse du
low cost malaisienne,
niveau de vie en Asie signifient que davantage de personnes peuvent désormais
a acheté 200
prendre l’avion.
nouveaux Airbus…
… une commande
ferme à laquelle
s’ajoute une option
de 100 appareils
supplémentaires.
AirAsia, compagnie low cost malaisienne créée par Tony Fernandes, la plus
grande d’Asie-Pacifique, a signé en juin un contrat de 18 milliards de dollars pour
l’achat de 200 nouveaux Airbus – une commande ferme à laquelle une option de
100 appareils supplémentaires a été ajoutée dix jours plus tard, portant le total à 27
milliards de dollars. Lancée en 2007, la filiale internationale AirAsia X, offre la
possibilité de se rendre dans près de 20 pays dans le monde, dont Londres, Paris et
Téhéran. La valeur boursière du groupe a gagné plus de 30% cette année seulement.
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Les compagnies de
low cost indiennes
IndiGo et Go Air ont
également finalisé
des commandes
d’avions.
Les compagnies de low cost indiennes IndiGo et Go Air ont finalisé en juin
des commandes de 180 et 72 Airbus respectivement pour un total de 23 milliards de
dollars. A l’instar de la Chine, le trafic aérien indien doit connaître une très forte
progression, à hauteur de 9% par an jusqu’en 2030. Cebu Pacific Air, basé aux
Philippines, a quant à lui acheté 37 appareils neufs pour une valeur de 3,8 milliards
de dollars. La compagnie low cost philippine a pour objectif de doubler sa flotte
commerciale sur les dix prochaines années.
Le succès que connaît
aujourd’hui le low
cost en Asie pousse
certaines grosses
compagnies
asiatiques, telles que
Singapore Airlines et
Thaï Airways à se
lancer dans
l’aventure.
Le succès que connaît aujourd’hui le low cost en Asie pousse certaines
grosses compagnies asiatiques à se lancer dans l’aventure. En effet, ces dernières ne
peuvent désormais plus compter sur leurs seuls clients actuels comme unique relais
de croissance. Résultat : Singapore Airlines a annoncé en mai qu’il lancerait d’ici
un an une marque low cost. Idem pour Thaï Airways et All Nippon Airways, qui
ont dévoilé à leur tour la création de compagnies à coûts réduits qui desserviront
aussi bien des destinations domestiques que dans le reste de l’Asie. Faute de
pouvoir en faire autant, les compagnies non-asiatiques cherchent par d’autres
moyens à tirer profit de la croissance. Nouvelles destinations en Asie, hausse de la
fréquence des routes existantes, ainsi que signature d’accords de coopération avec
des groupes asiatiques sont autant de stratégies exploitées par les transporteurs
occidentaux et étrangers afin de profiter des développements dans la région.
La croissance
fulgurante du trafic
aérien en Asie a
également des
conséquences sur les
infrastructures, et en
premier lieu les
aéroports.
La croissance fulgurante du trafic aérien en Asie a également des
conséquences sur les infrastructures, et en premier lieu les aéroports. En Chine
seulement, ce sont près de 50 nouveaux aéroports qui doivent voir le jour au cours
des cinq prochaines années (portant le total à plus de 220 sur le territoire d’ici
2020) – un chiffre qui ne tient pas compte des nombreux travaux d’agrandissement
qui seront effectués dans les aéroports existants. Trois pistes supplémentaires sont
prévues à Guangzhou, deux à Shenzhen. La construction d’une troisième piste à
Hong Kong est à l’ordre du jour. Ce projet pourrait coûter jusqu’à 11 milliards de
Ce sera bientôt ce qui dollars. Il est crucial pour faire face à l’augmentation du trafic.
est dans le ciel qui
comptera davantage
que ce qui endessous.
L’empire chinois, c’est comme le disent les anciens « ce qui est sous le
ciel » (Tianxia). Ce pourrait être bientôt ce qui est dans le ciel.
E.L
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Un trafic aérien mondial tiré par l’Asie Pacifique
Source: La Tribune, juillet 2011
Les compagnies aériennes asiatiques en forte croissance
Profits/pertes en milliards de dollars
Capitalisation boursière en milliards de dollars
Source: The Economist, juillet 2011
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