Synthèse des interventions - Salon du livre et de la presse jeunesse
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Synthèse des interventions - Salon du livre et de la presse jeunesse
Synthèse des interventions Colloque du jeudi 18 juin 2015 Littérature jeunesse et débats de société font-ils bon ménage ? Avec pour point de départ le titre de l’ouvrage collectif dont il a dirigé la publication, L’enfance de la littérature (La Nouvelle Revue Française (n° 605), Gallimard), Philippe Forest a exploré un corpus de grandes œuvres de la littérature de jeunesse : Grimm, Andersen, Lagerlöf, Carroll, Barrie… Il s’est intéressé plus particulièrement à l’œuvre de Saint-Exupéry. Alors que la figure de Peter Pan donne l’adieu à l’enfance comme impossible, Le Petit Prince signe cet adieu individuel et collectif avec force. Avec un détour par la pensée de Roland Barthes dans Pour une histoire de l’enfance, Philippe Forest a invité à déconstruire cette idée de l’enfance, comme une « innocence inventée » par les romantiques. Avec plusieurs exemples issus de la philosophie et de la littérature générale, il a explicité le lien entre la perte de l’enfance et la création littéraire qui y puise sa source. Giorgio Agamben caractérise l’écriture comme la trahison du silence de l’infans, dépourvu de parole. L’enfance est toujours perçue comme une origine chez les auteurs, un silence dans lequel la parole littéraire vient puiser. La création littéraire ne peut exister qu’au prix de la perte de l’enfance : « Le génie c’est l’enfance retrouvée à volonté » (Charles Baudelaire). L’enfance n’a finalement pas d’autre lieu à hanter que le texte littéraire, comme l’énonce Pierre Péju dans Enfance obscure, en parlant de « l’enfantôme » pour désigner la revenance qui habite tous les récits d’enfance. Par un premier éclairage historique, Sylvie Servoise a souhaité mettre en perspective le rapport actuel de la littérature de jeunesse avec l’espace public. En écartant les idées reçues qui opposent toute vocation didactique à toute convocation de l’imaginaire, elle a proposé une lecture vivifiante des dynamiques complexes en jeu dans les productions littéraires pour la jeunesse, qui mêlent depuis toujours plaisir et instruction, agrément et pédagogie, morale et anticonformisme… Elle a rappelé que la littérature de jeunesse se caractérise dans son écriture par la pleine conscience d’être adressée à des êtres en devenir, ce qui induit une négociation permanente entre préoccupations morales du contenu et préoccupations esthétiques de la forme. Toute posture de transmission se révèle finalement morale, c’est en cela que les productions littéraires pour la jeunesse sont le reflet des enjeux sociaux et politiques d’une société. Autour d’une table ronde consacrée à la censure et l’autocensure, Daniel Delbrassine a exposé plusieurs exemples d’ouvrages censurés, soit dans leur traduction et leur circulation d’un pays à l’autre, soit dans leur approche idéologique d’un fait historique : la Grande Guerre pour exemple. Il a mis en lumière la démarche des censeurs qui s’attachent bien souvent au sujet abordé dans un livre (le quoi) plutôt qu’aux procédés littéraires investis par les auteurs (le comment). Il a rappelé grâce à des exemples choisis l’importance de l’utilisation des points de vue dans l’effet produit sur la réception du jeune lecteur. Par exemple, est-il protégé ou non contre l’identification malsaine à un personnage ? Il a finalement appelé à un recul critique et une lecture attentive des choix d’écriture des auteurs, plutôt qu’à leurs choix de thèmes pour écrire. Anne Ponté a posé la question du classement des ouvrages en bibliothèques, entre tranches d’âge et rayonnages. Elle a raconté la difficulté pour les bibliothécaires d’organiser les acquisitions et les propositions afin de satisfaire les parents, les élus, les enseignants. Certains romans young adult ne font plus référence à la loi de 1949 sur les publications pour la jeunesse, ce qui complexifie encore plus le système de classement. En explorant plusieurs exemples, elle a rappelé que la littérature de jeunesse aborde tous les sujets. Annie Rolland a partagé son expérience de thérapeute avec de jeunes patients (de 13 à 17 ans) avec lesquels elle a utilisé la lecture de romans comme support de médiation. Elle a mis en exergue des stéréotypes ravageurs, qui visent tous à réduire les pulsions humaines à une « normalité normalisante », source de souffrance chez les adolescents qui en sont les premières victimes. En proposant des romans qui mettent les événements à distance, par leurs procédés et leur manière de convoquer l’imaginaire, elle a invité ces adolescents à analyser et questionner des situations problématiques. Dans ses observations, elle a insisté sur l’exigence morale qui caractérise ses jeunes patients : « les adolescents ont une morale sans concession, ils veulent la justice, la liberté, l’égalité ». Thomas Gornet a parlé de son expérience d’auteur face à des censeurs qui, pour lui « n’en sont finalement pas. Ils s’agitent dans leur coin, essaient de faire pression sans y parvenir ». Après le soulèvement médiatique qu’avait provoqué la polémique autour de l’album Tous à poil ! (Rouergue, 2011), ses propres romans, dont Je porte la culotte/Le jour du slip (Rouergue, 2013) écrit avec Anne-Lise Boutin, avaient été les cibles de procès d’intentions abusifs. Il a conclu sur les bienfaits de ces agitations polémiques pour la visibilité de la littérature de jeunesse. Audrey Michelson a défendu l’idée d’une médiation nécessaire dans la lutte contre les stéréotypes qui interviennent dans la construction de soi, les orientations sexuelles et sentimentales, l’inter-culturalité, l’identité, le handicap… Elle a présenté le concept d’une « bibliothèque vivante » développée par la Commission Légothèque, (nommer le dispositif) à travers laquelle se noue un rapport individuel de personne à personne, pour accompagner les jeunes lecteurs dans le questionnement et la déconstruction d’un stéréotype donné. En rappelant les enjeux de la traduction, Jean-Baptiste Coursaud a expliqué la conception de l’enfance à travers son « institutionnalisation » dans les pays scandinaves. Historiquement, intégrer l’enfant et sa liberté au projet de la communauté nationale a donné à la littérature de jeunesse des pays nordiques une légitimité qu’elle n’a pas eu à conquérir. Il a évoqué l’œuvre de Selma Lagerlöf, Hans Christian Andersen et Astrid Lindgren comme autant de représentations de la particularité de l’écriture scandinave. Une écriture simple et dominée par la volonté de raconter, en se plaçant à hauteur d’enfant. C’est en premier lieu à l’esthétique d’une oeuvre que les critiques s’attachent pour discuter les qualités de productions pour la jeunesse. Enfin, Jean-Baptiste Coursaud a précisé que plutôt que de s’emparer d’un livre et faire le procès de son contenu en écartant la réalité sociale qu’il aborde, les scandinaves s’emparent d’un livre pour amorcer un débat de société. Pour clore cette journée, Edwige Chirouter, à travers une classification personnelle des types d’ouvrages, a raconté son exploration philosophique des albums de jeunesse et offert des exemples parlants des médiations qu’elle a menées avec des classes de jeunes élèves. « Tout un pan de la littérature de jeunesse aborde avec complexité des questions complexes. » Elle a rappelé le rôle essentiel de la fiction pour comprendre la vie. Pour elle « les enfants ont besoin de grands récits pour répondre à de grandes questions », c’est ainsi qu’elle prend appui sur une littérature de jeunesse qui ouvre à tous les possibles et facilite la rigueur philosophique des échanges. Bibliographies des intervenants Philippe Forest • L’Enfant éternel (Prix Femina du premier roman), Gallimard, 1997 ; Folio, 1998 • Toute la nuit, Prix Grinzane Cavour 2007, Gallimard, 1999 • Sarinagara (Prix Décembre), Gallimard, 2004 ; Folio, 2006 • Le Nouvel Amour, Gallimard, 2007 • Le siècle des nuages, (Grand Prix littéraire de l’Aéro-Club de France 2011, Grand Prix littéraire de l’Académie de Bretagne et des Pays de la Loire 2011) Gallimard, 2010 • Le Chat de Schrödinger, Gallimard, 2013 • Le Roman, le je, Pleins Feux, 2001 • Le Roman, le réel et autres essais (Allaphbed 3), Cécile Defaut, 2007 Sylvie Servoise • « La littérature pour la jeunesse : une école de vie ? », Raison Publique, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, n°13, octobre 2010, p. 282-429. L’ouvrage est épuisé, le dossier est consultable en ligne : http://raisonpublique.fr/article368.html • « L’identité en question dans le roman d’intégration pour la jeunesse », dans D. Avon et J. Langenbacher-Liebgott (dir.), Facteurs d’Identité / Faktoren der Identität, Francfort, Peter Lang, 2012, p. 163-175 • Avec Nathalie Prince, à paraître en octobre 2015 aux PUR : Les personnages mythiques dans la littérature de jeunesse. Daniel Delbrassine • Le roman pour adolescents aujourd’hui – Ecriture, thématiques et réception, coédité par le SCEREN-CRDP Académie de Créteil et La joie par les livres (Centre National du livre pour enfants), 2006, coll. « Argos – Références », 444 pages. • « Censure et autocensure dans le roman pour la jeunesse », dans la revue Parole (Institut Jeunesse et médias, Lausanne), juin 2008 (p.8-11). • « Romans et albums pour la jeunesse : de nouveaux lieux de mémoire », dans Enfants en temps de guerre et littératures de jeunesse (XXe-XXIe siècles), sous la direction de Claudine Hervouet, Catherine Milkovitch-Rioux, Catherine Songoulashvili, et Jacques Vidal-Naquet, BnF-Centre National de la Littérature de Jeunesse/Presses Universitaires Blaise Pascal, 2013 (p.124-131). • « Le roman pour la jeunesse : un roman éducatif qui ne dit jamais son nom », dans Littératures, langues et didactique – Hommages à Jean-Louis Dumortier, sous la direction de Julien Van Beveren, Presses Universitaires de Namur, 2014 (p.51-70). Annie Rolland • Qui a peur de la littérature ado ?, Editions Thierry Magnier, 2008. • Le livre en analyse, Editions Thierry Magnier, 2011. • Préface Les mots du temps de Janik Coat et Catherine Grive, Editions Thierry Magnier, 2014. •http://www.ricochet-jeunes.org/le-livre-en-analyse/article/267-dessiner-son-ameavec-des-mots%E2%80%A6 •http://www.ricochet-jeunes.org/le-livre-en-analyse/article/216-pinocchio-entre-pereet-mere •http://www.ricochet-jeunes.org/le-livre-en-analyse/article/334-la-peur,-le-chagrinet-le-jeune-lecteur • http://www.ricochet-jeunes.org/le-livre-en-analyse/article/368-est-ce-que-ca-vouschatouille- Thomas Gornet • Qui suis-je? Ecole des Loisirs, 2006 • Je n’ai plus dix ans, Ecole des Loisirs, 2008 • L’amour me fuit, Ecole des Loisirs, 2010 • Je porte la culotte/Le jour du slip, Le Rouergue, 2013 • Sept jours à l’envers, Le Rouergue, 2013 Références proposées par l’auteur • Tout contre Léo de Christophe Honoré, Ecole des Loisirs, 1996 • Le faire ou mourir de Claire-Lise Marguier, Le Rouergue, 2011 • Point de côté de Anne Percin, Editions Thierry Magnier, 2006 Jean-Baptiste Coursaud • Le Palais de glace, Tarjei Vesaas, traduit du néo-norvégien (Cambourakis) • Monsieur Vert et Monsieur Bleu, Yokoland, traduit du norvégien (Éditions des Grandes Personnes) • Les copies, Jesper Wung-Sung, traduit du danois (Éditions du Rouergue, à paraître) • Beckomberga, Sara Stridsberg, traduit du suédois (Gallimard, à paraître) Edwige Chirouter • Aborder la philosophie en classe à partir d’albums de jeunesse, HachetteEducation • Moi, Jean-Jacques Rousseau, Les Petits Platons • L’enfant, la littérature et la philosophie, L’Harmattan (à paraître) • DVD : Le documentaire Ce n’est qu’un début de Jean-Pierre Pozzi et Pierre B