L`utilisation curieuse de certains champignons

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L`utilisation curieuse de certains champignons
L'utilisation curieuse de certains champignons
Anicet Fraselle
Nous ne parlerons pas cette fois de la comestibilité des champignons, mais nous allons
étudier tous les emplois curieux, souvent amusants, parfois très utiles que l'Homme en a fait
au cours de son histoire.
Nous n'apporterons aucun jugement sur l'efficacité de tel ou tel remède ou truc, nous
contentant de les observer en les citant, un peu comme nous faisons de l'histoire. Laissons
ce soin aux chimistes. Il est étonnant, par ailleurs, que si peu d'études aient été, consacrées à
la composition chimique complexe de milliers d'espèces. Pourtant la découverte de la
pénicilline (Penicillium chrysogenum) et les Penicillium utilisés dans la fabrication des
fromages, les Saccharomyces de la bière et du vin, la levure du pain, ... devraient attirer
notre attention. Seuls quelques champignons responsables d'empoisonnements ont été
étudiés. Pourtant 338 espèces peuvent produire des antibiotiques. Sept de ces antibiotiques
se sont montrés suffisamment intéressants pour être produits à l'échelle industrielle : l'acide
fusidique, la griséofulvine, les pénicillines, la variotine, les céphalosporines, la fumagilline,
la siccanine. La recherche pure et systématique est presque abandonnée. Dans notre monde
scientifique belge de cet avant l'an 2000, toute recherche qui ne rapporte pas de profit
immédiat ne reçoit plus de subsides et est donc condamnée.
En vue d'une plus grande clarté et donc d'une utilisation plus commode, nous avons
classé les espèces relevées par ordre alphabétique de genre, en citant les anciennes
synonymies.
Nos ancêtres se méfiaient des champignons qu'ils considéraient comme des créatures
démoniaques et maléfiques et ils n'en mangeaient presque jamais. Paradoxalement, ils
utilisaient beaucoup plus que nous leurs effets médicamenteux. Nous ne saurons pas s'ils
devaient obtenir certains résultats positifs, mais de toute façon, il est intéressant de retrouver
la recette de l'amadou de nos grands-pères ou celle d'une teinture naturelle à bon marché de
nos grand-mères .... et si la poudre de perlimpinpin avait été composée des spores d'un
champignon!
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Agaricus bisporus (Psalliota bispora) ou champignon de Paris: avec Agaricus carnpestris,
elle combat l'urticaire, l'asthme, les rhumes des foins par inhalation des spores (voir
Lactarius piperatus).
Agaricus campestris : propriétés identiques à Agaricus bisporus
Amanita ceciliae ( A. inaurata, strangulata) : ses spores désinfecteraient la gorge et
arrêteraient les toux rebelles; on rapporte les mêmes propriétés pour Collybia radicata,
Agaricus bisporus et campestris.
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Arnanita muscaria : utilisée en poudre ou en teinture, elle était préconisée contre
l'épilepsie et autres maladies nerveuses. La poudre était mélangée à de l'eau vinaigrée à la
dose de 3gr en une seule fois ou mieux à la dose de 1gr en 3 fois dans la même journée. Les
Anciens les desséchaient au four, puis les pulvérisaient.
Appliquée sur les ulcères cancéreux, elle en déterminerait la cicatrisation.
Cette teinture était utilisée contre la teigne, la dartre, les catarrhes chroniques, les diarrhées,
les sueurs abondantes, de 10 à 40 gouttes dans de l'eau, 3 fois par jour.
L'Amanita muscaria ou amanite tue-mouches a des effets hallucinogènes. Elle a été utilisée
mélangée avec un liquide sucré pour attraper les mouches qu'elle ne tue pas, mais endort, d'où
son nom.
Auricularia auricula-judae ( Exidia auricula-judae) : elle est un peu astringente; macérée
dans de l'eau de rose ou du vin, elle était utilisée au XVème siècle pour apaiser l'inflammation
des tumeurs.
Les Hongrois s'en servaient, mêlée à du vinaigre, en gargarisme pour soigner les maux de
gorge.
Calocybe gambosa (Tricholomna Georgii ou Tricholoma gambosum) : des extraits de ce
champignon sont très actifs contre le staphylocoque doré et assez actif sur le bacille typhique.
Il peut remplacer en partie l'insuline chez les diabétiques.
Clathrus ruber : il passait pour guérir les cancers.
Clavaria formosa : comme de nombreuses autres clavaires, elle est laxative. On les appelle
d'ailleurs "tripettes"; de là l'expression "qui ne vaut pas tripettes".
Clavaria muscoïdes : nous n'avons pas pu identifier cette clavaire du latin muscus, en forme
de mousse, qui desséchée et broyée donne une teinture jaune-safran.
C1aviceps purpurea : la médecine utilisa des dragées d'ergotine pour arrêter les pertes de
sang et faciliter les accouchements (voir Ustilago maydis). Ce parasite du seigle, mais aussi
des autres graminées, appelé ergot de seigle a pendant des siècles été la cause du "Mal des
ardents". Ce dangereux parasite contient des composantes proches du L.S.D.
Clitocybe candida: il contient de la clitocybine qui a un pouvoir bactéricide (voir
Leucopaxillus giganteus).
Coprinus atramentarius : sa déliquescence produit une encre noire. On peut la conserver en
la faisant bouillir avec quelques clous de girofle. Un testament falsifié avec une autre encre
est facilement décelable au microscope, grâce aux spores.
II contient une substance dont l'effet peut être comparé à l'antabus et est utilisé en Scandinavie
pour rendre désagréable la consommation de boissons alcoolisées et guérir ainsi les buveurs
invétérés. Son ingestion n'est pas sans danger.
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Daedalea quercina (Trametes quercina ou Lenzites quercina) : il peut fournir de l'amadou de
qualité inférieure (voir Fomes fomentarius).
Il a été utilisé pour panser les chevaux qui ne supportent pas l'étrille.
Il sert aussi à enfumer les abeilles pour les calmer quand on leur prend leur miel.
Fomes fomentarius (Polyporus fomentarius) : c'est le véritable amadouvier. Cependant pour
fabriquer l'amadou, on peut utiliser tous les polypores dont la consistance rappelle celle du
liège.
Fabrication: laissez les champignons se ramollir dans un endroit humide; enlevez l'écorce,
puis les tubes; divisez en tranches minces. Ces tranches seront battues avec un maillet,
distendues, mouillées, puis vivement frottées entre les mains. Elles doivent acquérir la
souplesse convenable.
On appelait ce champignon "agaric des chirurgiens" parce qu'ils s'en servaient pour arrêter les
hémorragies. Si on veut que cette substance s'enflamme au briquet, il faut la faire bouillir 2
heures dans une eau salpêtrée (un demi-kilo de salpêtre ou nitrate de potasse). On pouvait
aussi ajouter du chlorate de potasse. Dans les campagnes, on remplaçait le salpêtre par de la
poudre noire. Il semble que l'amadou des fumeurs ait été fabriqué plutôt à partir du fauxamadouvier, le Phellinus igniarius.
Un petit morceau d'amadouvier peut être placé au coin d'un ongle incarné, pour le soulever.
Fomitopsis soloniensis (Polyporus soloniensis) : il fournit de l'amadou de qualité inférieure
(voir Fomes fomentarius).
Ganodcrna lipsiense (G. applanatum) : lorsque vous vous promenez dans le bois, raclez la
pruine de la surface des pores de ce champignon; vous recueillerez sur la pointe du couteau
une poussière brune très amère. C'est un stimulant remarquable, un tonique inoffensif qui
serait bon pour le foie.
Laetiporus sulfureus, Polyporus (Dendropolyporus) umbellatus, Grifola frondosa et Suillus
luteus auraient les mêmes effets.
Ganoderma lucidum : les Japonais attribuent à ce champignon le pouvoir de prolonger la
durée normale de vie et d'apporter le bonheur.
Crifola frondosa (Polyporus frondosus) : voir Ganoderma lipsiense.
Hapalopilus nidulans (Polyporus nidulans) : on en fabrique des bouchons.
Haploporus odoratus (Polyporus odoratus) : les jeunes Lapons en portent sur eux pour se
parfumer.
Hypholoma elaeodcs : il s'agit peut-être des 'hypholoma fasciculare et rouge brique. L'abbé
Sterbeeck(1631-1693) soigna la goutte de son évêque avec des plats entiers de ce
champignon.
Hypholoma fasciculare, sublateritium et Panellus stipticus auraient les mêmes propriétés.
Aujourd'hui, les montagnards suisses l'utilisent pour prévenir les rhumatismes.
Hypholoma fasciculare : (voir Hypholoma elaeodes).
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Hypholoma sublateritium : (voir Hypholoma elaeodes).
Inonotus hispidus (Polyporus hispidus ou Xanthochorus hispidus) : il teint les tissus, les
peaux, les bois d'ébénisterie en couleur marron.
Lactarius camphoratus : il a servi de parfum à cause de son odeur suave de mélilot.
Lactarius piperatus : son lait blanc a été utilisé pour provoquer la sécrétion des reins,
amener la disparition des calculs de la vessie. Comme ce suc est âcre, on le mélait à du sirop
de guimauve.
Les paysans du Languedoc l'utilisaient pour brûler les verrues.
Desséché et pulvérisé, il entre dans la composition d'un électuaire contre la phtisie
pulmonaire (tuberculose) et les catarrhes chroniques.
C'est un blennorragique remarquable.
Des recherches sont effectuées actuellement pour isoler les ferments oxydants en vue d'une
utilisation pour le traitement de l'hypertension. Russula delica et Agaricus campestris auraient
cette même dernière propriété.
Laetiporus sulfureus (Polyporus sulfureus)psiense) : il sert à fabriquer une teinture jaune
(voir Ganoderma Lipiense)
Langermannia gigantea (Bovista gigantea ou Lycoperdon giganteum) : pour endormir les
abeilles lorsqu'on leur ôtait le miel, on utilisait la fumée de lycoperdons séchés et brûlés.
Ils ont été utilisés comme amadou (voir Ungulina offinalis).
On guérit rhumes et gorges enflammées après quelques prises de spores.
Cette poudre combat la somnolence et augmente la pression artérielle.
Elle est hémostatique: appliquée sur une plaie, elle arrête le sang de couler; c'est pourquoi
elle était préconisée contre les ulcères chroniques et les hémorroïdes.
Elle passe pour guérir les brûlures.
Elle limite la transpiration excessive chez les grands marcheurs.
Laricifomes officinalis (Fomitopsis officinalis, Ungulina officinalis ou Polyporus officinalis
ou Agaricus officinalis) : il sert à purger les vaches en Suisse, les humains dans le Piémont.
Sa poudre est utilisée pour diminuer les sueurs nocturnes des phtisiques. On trouve encore en
pharmacie la teinture d'aloès composée- ou élixir de longue vie qui comporte 2,5gr par litre
de poudre d'agaric. Anciennement, il était d'ailleurs appelé Agaricus officinalis.
Ses propriétés drastiques sont utilisées contre l'ictère, l'hydropisie, les affections
vernimeuses.
Ses propriétés sont aussi purgatives.
La pharmacopée l'a tellement employé qu'il est devenu rare.
Leucopaxillus giganteus ou Clitocybe gigantea : un extrait de ce champignon, la c1itocybine
détruit les cultures microbiennes. Cependant son étude et son utilisation ont été abandonnées
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à cause de la découverte de produits apparemment plus efficaces: la streptomycine et la
pénicilline.
Lycoperdon piriforme: (voir Langermannia gigantea)
Marasmius orcades ou faux-mousseron: quand vous vous promenez dans les champs,
mangez un carpophore de cette espèce; vous ressentirez presque immédiatement un
allégement de vos fatigues, une légère euphorie passagère. Ces effets sont sans doute causés
par la présence dans ce champignon d'une quantité homéopathique d'acide cyanhydrique.
Oudemansiclla radicata (Collybia radicata) : voir Amanita ceciliae
Panaeolus campanulatus var. sphinctrinus : hallucinogène.
Panus stipticus : (voir Hypholoma elaeodes).
Penicillium glaucum : dans de nombreuses fermes russes, on voyait des tranches de pain
accrochées aux solives de la cuisine. Elles y attendaient de moisir lentement. On appliquait
une tranche de ce pain moisi sur les blessures avant de les recouvrir d'un pansement. Les
prisonniers des camps de concentration ont fait de même en Allemagne pendant la guerre,
quand ils avaient du pain. C'était une utilisation de la pénicilline avant sa découverte. La
pénicilline utilisée aujourd'hui est tirée de cultures de Penecillium notatum et P.
chrysogenum.
Phallus impudicus : il a gardé longtemps la réputation d'être un excellent aphrodisiaque, sans
doute simplement à cause de sa forme.
Il passe pour un bon emménagogue. On l'a employé en teinture alcoolique contre l'hydropisie.
Les paysans allemands les faisaient sécher; réduits en poudre, ils les donnaient à leur bétail
pour les exciter à l'accouplement.
Phellinus igniarius (Fomes igniriarius) : il remplace souvent le vrai amadouvier. Avant
l'invention des allumettes, il servait à conserver le feu.
Piptoporus betulinus : il parfume le tabac quand il a' été réduit en poudre et légèrement
carbonisé.
On en fabriquait des cuirs pour aiguiser les rasoirs. Il faut diviser un individu de grande taille
en lanières. Celles-ci seront polies à la pierre ponce et collées sur bois.
Polysaceum crassipes : sorte de vesse de loup qui donne une couleur brune.
Polyporus mori (Hexagona mori ): c'est le polypore du mûrier blanc; sa décoction mêlée à de
l'alun donne une couleur jaune verdâtre, jaune chamois, jaune jonquille suivant le temps
d'immersion et la quantité employée.
Polyporus nidulans : on en fabrique des bouchons.
Polyporus squamosus : on peut en faire des aiguise-rasoirs comme avec Piptoporus
betulinus.
Polyporus umbellatus : (voir Ganoderma lipsiense).
Psathyrella candolleana (Hypholoma candolleana): il a été employé comme remède contre
le diabète, car il abaisse la teneur en sucre du sang.
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Psilocybe caerulescens : hallucinogène.
Psilocybe mexicana : hallucinogène.
Psilocybe nigricans : hallucinogène.
Stropharia cubensis : hallucinogène.
Suillus luteus (Boletus luteus) : la poudre de luteus a une action désinfectante; lorsqu'elle est
prisée, elle arrête immédiatement un rhume de cerveau à son début. Laetiporus sulfureus,
Polyporus umbellatus et Grifola frondosa ont les mêmes effets.
Trametes suaveolens (Polyporus suaveolens) : utilisé contre les fièvres hectiques.
Tremella mesenterica : elle contient un principe âcre; on en préparait autrefois une eau
distillée employée contre les ophtalmies et les paralysies.
Tremella mesenterica de forme violette : elle donne une couleur bistre rougeâtre. Pour la
conserver, faites-la bouillir avec quelques clous de girofles. Nous ne sommes pas certains de
l'identité de ce champignon. Il s'agit peut-être de Ascocoryne sarcoïdes.
Tuber sr. ou truffe : on accorde à ce champignon des propriétés aphrodisiaques,
Ungulina anberiana : polypore tropical de Nouvelle-Guinée, consommé par les Indiens. JI
procure une ardeur combative extrême et produit d'épouvantables colères.
Les filles l'utilisent comme abortif. Nom local: Nonda.
Ustilago maydis : le charbon du maïs, comme l'ergot de seigle, est capable d'accroître
l'intensité des contractions utérines sans en augmenter la durée. Il était utilisé pour faciliter les
accouchements en Serbie.
Chez le bétail, la consommation d'une grande quantité de maïs infecté provoque des
avortements.
Anicet Fraselle
Publié dans le supplément au bulletin d’information l’ERABLE, trimestriel, n°2, juin 1994
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