Dr Joseph SAWADOGO

Transcription

Dr Joseph SAWADOGO
Colloque international d’éthique biomédicale
Bioéthique et recherche scientifique :
Problématique et perspective
IIe CONFERENCE
LES NOUVEAUX DEFIS ETHIQUES FACE
A LA TECHNOLOGIE MODERNE DE LA PROCREATION ASSISTEE
Introduction
Permettez-moi honorables participants à ce colloque de vous citer, pour commencer cette
conférence, un passage du célèbre roman prémonitoire du célèbre auteur anglais Aldous Huxley « Le meilleur des mondes », qui date de 1932. Il s'agit d'une utopie futuriste et pessimiste
qui imagine le monde en 2500.
Au chapitre premier de ce roman, nous lisons :
« Le directeur du Centre d’Incubation et de Conditionnement de Londres-Central fait visiter ses locaux à un groupe d’étudiants nouvellement arrivés. Le directeur leur présente les
différentes étapes du processus de fécondation artificielle et les dernières prouesses technologiques : le procédé Bokanovsky, permettant de cloner jusqu’à 96 fois les ovules fécondés
des Gammas, Deltas et Epsilons, couplé à la technique de Podsnap de croissance accélérée,
permettent d’obtenir onze mille frères et sœurs dans cent cinquante groupes de jumeaux
identiques, tous du même âge à deux ans près, voire même plus de quinze mille individus
adultes à partir d’un seul ovaire.
Ces manipulations génétiques ayant pour objet de garantir la stabilité sociale grâce à des
hommes et des femmes uniformisés. Toute l’idéologie de l’Etat planétaire est contenue
dans sa devise : « Communauté, Identité, Stabilité ».
Les embryons sont ensuite immatriculés dans la salle de prédestination avant de finir dans
la salle de décantation où ils subissent des manipulations supplémentaires permettant de les
différencier avec d’un côté les Alphas et les Bêtas, la future élite de la société, et d’un autre
côté les Gammas, Deltas et Epsilons, constituant une main d’œuvre laborieuse et peu qualifiée. Pour terminer, des infirmières dont Lenina Crowne inoculent des maladies aux embryons afin de les immuniser dans l’avenir. »
Nous ne sommes qu’en 2014, et nous avons déjà dépassé les prévisions d’Aldous Huxley !
Nous faisons mieux, plus vite et avec classe ! Avec le diagnostic génétique préimplantatoire,
nous faisons aujourd’hui des « bébés design », de haute qualité physique et « morale » ! Nous
faisons même des « bébés-docteurs » ou « bébés-médicaments » par le double diagnostic préimplantatoire !
-1-
Tandis que le Prof René Frydman, « père scientifique » du premier bébé-éprouvette français - Amandine, née en 1982 après une FIV qu'il a réalisée avec le biologiste Jacques Testart,
se réjouit des avancées technologiques dans ce domaine, son collègue, lui, tire la sonnette
d’alarme depuis 2006, craignant les risques d’eugénisme pour le dépistage préimplantatoire.1
I° - ETATS DE LA PROCREATION MEDICALEMENT ASSISTEE
Les données sont disponibles, depuis la naissance du premier bébé-éprouvette du monde,
Louise Brown, le 25 juillet 1978 en Grande Bretagne, œuvre du Prof Robert Geoffrey Edwards (Prix Nobel de physiologie ou médecine en 2010) et du gynécologue Patrick Steptoe :
 4 millions de personnes sont nées à la suite d'une FIV
 Plus de 80 millions d’embryons ont été nécessaires pour ces naissances, en raison
d’une vingtaine d’embryons sacrifiés pour une naissance.
 278 000 embryons créés annuellement en France, pour 14 500 naissances.
 120 millions d’euros par an pour l’assistance à la procréation, en France : aux frais
du contribuable.
 Pour un taux d’échec de près de 80% en moyenne
 99 embryons à sacrifier pour aboutir à un « bébé-médicament »
 178 000 embryons congelés et conservés à -180°, dans de l’azote liquide, avec tous
les risques de rupture de la chaîne de froid
 Dernière technique en pointe : l’injection cytoplasmique de cellules spermatiques
sélectionnées, dans des ovules qu’on a fait « mûrir » en bonnes conditions ; (par
MIV maturation in vitro des ovocytes) ; double diagnostic préimplantatoire, pour
éviter les maladies héréditaires et choisir les qualités standard des enfants, avant le
transfert des embryons dans l’utérus d’une gestatrice pour autrui, contre rémunération (location d’utérus) !
 Un enfant peut avoir aujourd’hui cinq parents.
 1 père biologique (par don de sperme) et 1 père « social » par voie légale ; 1
mère biologique (par don d’ovocyte) et 1 mère « sociale » par voie légale ;
et 1 mère gestatrice (par location d’utérus). En fait il ne faut plus parler pour
certains pays de père ou de mère, mais de parents 1, 2, 3,4, et 5 ; « mariage
pour tous » oblige !
 Et en face : En 2007, on a enregistré plus de 1 200 000 avortements en Europe,
équivalent à 1 avortement toutes les 25 secondes.
1
Parlant de « clonage social » le Prof TESTART donne sa position : « Je suis de gauche et athée. L'embryon n'est
pas ma préoccupation. Ce qui m'inquiète, c'est la fabrication à venir d'un enfant sur mesure. Avec de possibles
dégâts psychologiques. Comment le meilleur des bébés, bientôt choisi grâce à des calculs de probabilité complexes, pourrait-il ne pas avoir mention très bien au bac ? Plus grave, tous les enfants vont finir par se ressembler
puisque leurs génomes seront de plus en plus normalisés. C'est du clonage social. On s'oriente vers une perte de
diversité qui peut s'avérer dangereuse à très long terme. Comme l'a montré Darwin, l'espèce ne survit que par la
diversité, car il y a toujours des individus capables de résister à un sort malheureux. De plus, certaines pathologies qu'on élimine sont couplées à des gènes de résistance à d'autres maladies. En voulant se prémunir de tout, on
va au-devant de catastrophes. Surtout si ce tri est pratiqué à grande échelle quand on disposera d'ovules en abondance. » Cf. Anne-Laure Barret - Le Journal du Dimanche, samedi 01 mars 2014.
-2-
II° - LA QUESTION ETHIQUE FONDAMENTALE : L’IDENTITE DE L’EMBRYON
« L’embryon, selon le biologiste François Jacob, serait le dernier refuge du sacré »2.
Et la question de son identité biologique, juridique et légale, est le carrefour de toutes les
questions éthiques touchant le respect de la dignité de la personne humaine et le caractère
« sacré et inviolable » de la vie humaine. Le pape François l’a redit récemment :
« La seule raison est suffisante pour reconnaître la valeur inviolable de toute vie humaine,
mais si nous la regardons aussi à partir de la foi, ‘toute violation de la dignité personnelle
de l’être humain crie vengeance en présence de Dieu et devient une offense au Créateur de
l’homme’. (…) Parmi ces faibles, dont l’Église veut prendre soin avec prédilection, il y a
aussi les enfants à naître, qui sont les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on
veut nier aujourd’hui la dignité humaine afin de pouvoir en faire ce que l’on veut, en leur
retirant la vie et en promouvant des législations qui font que personne ne peut l’empêcher.
Fréquemment, pour ridiculiser allègrement la défense que l’Église fait des enfants à
naître, on fait en sorte de présenter sa position comme quelque chose d’idéologique,
d’obscurantiste et de conservateur. »3
Le législateur refuse de répondre sur l’identité et le statut de cet enfant-citoyen à naître,
mais il décrète « démocratiquement » que l’on peut l’éliminer « légalement » jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée (trois mois de grossesse) ; que l’on peut l’éliminer aussi « légalement »
jusqu’à 9 mois de grossesse pour raisons « fœtales ou maternelles ».4 Après tant d’années de
pratique de l’« Interruption volontaire de grossesse », le pouvoir politique a endormi les consciences, pour aboutir à une banalisation de l’avortement ; et les avortements clandestins n’ont
pas été éradiqués…comme prévu !
Le législateur renvoie la question de l’identité biologique et juridique de l’embryon aux
philosophes et métaphysiciens qui parlent pour certains, de vie, de vie humaine, et de « personne humaine potentielle » à respecter, par degrés ! Certains parlent même « sérieusement »
de trois catégories de « personne » :
-
les « pas encore personnes », (les individus de l’espèce humaine non encore nés) ;
-
les « personnes » (les personnes valides, utiles et autonomes) ;
-
les « plus personnes » (les malades incurables, les comateux et certains handicapés) !5
Et pourtant la science est formelle : si dès le stade de zygote, l’embryon n’est pas humain,
il ne le sera jamais ! Comme dit le grand généticien Jérôme Lejeune :
« Dès que le patrimoine génétique est constitué par fusion des deux gamètes, nous sommes
en présence d’un être nouveau, une personne humaine dont l’existence commence dès cet
2
Cf. Philippe Petit, « L'embryon est-il humain ? » in France – Culture, de la revue Marianne, 24 Juin 2009.
Pape François, Evangelii gaudium, § 213.
4
Cf. Le Code de santé publique de la République française.
5
Pour H. T. ENGELHART, sans l'auto conscience, la rationalité et le sens moral, on ne peut pas dire que tous les
êtres humains sont des personnes. C'est pourquoi "les fœtus, les nouveau-nés, les grands retardés mentaux et
ceux qui sont dans le coma sans espoir d'en sortir, constituent des exemples de non personnes humaines". Ceuxci "sont membres de l'espèce humaine". Ils ne possèdent pas de statut en soi et pour soi dans la communauté
morale. Ils ne participent pas fondamentalement à l'entreprise morale. Seules les personnes humaines possèdent
ce statut. Cf. Prof Flora Alessandra, Statut et identité de l’embryon humain. Communication au Congrès international de bioéthique, 1999, Burkina Faso, p. 5.
3
-3-
instant, une personne concrète qu’on appellera Paul ou Virginie. Le petit de l’homme est
un homme petit… »6
III° - LES 4 RAISONS ETHIQUES DE REMETTRE EN CAUSE LE PRINCIPE MEME DE LA PROCREATION ARTIFICIELLE
Un concert de louanges a accompagné l'attribution du prix Nobel de médecine au professeur Edwards, inventeur de la fécondation in vitro (FIV).7 Pourtant, les objections ne manquent pas...8
Déjà, en dissociant relation sexuelle et procréation, l'insémination artificielle appliquée à
l'homme avait ouvert la voie, avec le don de sperme, à la dissociation délibérée entre paternité
biologique et « paternité sociale ». De nouveaux secrets de famille étaient encouragés. Avec
la FIV, les embryons ne sont plus conçus sous la protection du corps d'une mère, mais en laboratoire. On peut aussi utiliser des ovocytes d'une « donneuse » et même transférer à un
couple des embryons conçus par autre couple. La FIV et la possibilité de congeler gamètes et
embryons ont amplifié les bouleversements inaugurés par l'insémination et acté ou provoqué
de nouvelles transgressions. Nous pouvons souligner cinq préoccupations de réflexion
éthique.
1)- L'INSTRUMENTALISATION DE LA VIE HUMAINE
Les pionniers de la FIV ont commencé par concevoir des embryons humains de façon expérimentale, en utilisant leur propre semence. Pour que naissent Louise Brown en 1978 puis,
en France, Amandine, en 1982, les procréateurs ont d'abord créé des embryons pour la recherche (ce qui est jusqu'à aujourd'hui interdit en France, sauf par déroguation). Techniquement, il ne s'agissait que d'une transposition à l'homme des pratiques vétérinaires. On répondait au désir éperdu des couples, ainsi qu'à celui des chercheurs, de maîtriser le début de la
vie. Mais c'était aussi une transgression éthique sans précédent : le procréateur s'érigeait en
maître de la vie d'autrui. C'est d'ailleurs à partir de la FIV qu'est advenue une nouvelle forme
d'expérimentation humaine : la recherche sur l'embryon, pratique qui conduit à sa destruction,
est née de la surproduction embryonnaire liée à la FIV.
a. La surproduction embryonnaire et le stockage d'êtres humains
En France, pour faire naître environ 14 500 enfants conçus par FIV chaque année, il faut
concevoir 278 000 embryons, soit 19 embryons par naissance. Depuis 1978, on a conçu artificiellement dans le monde 80 millions d'embryons pour que naissent 4 millions de bébés. Si un
embryon n'est « rien » (ce qui reste à démontrer scientifiquement), cette surproduction em6
Cf. MANUEL DE BIOETHIQUE pour jeunes. Edition revue et augmentée, par la Fondation Lejeune. Février 2012.
Le 4 octobre 2010, le prix Nobel de médecine a été décerné au biologiste britannique Robert Geoffrey Edwards, âgé de 85 ans, et connu pour avoir été à l'origine, avec le gynécologue Patrick Steptoe, de la naissance de
Louise Brown, le 25 juillet 1978, premier "bébé éprouvette" né dans le monde après une fécondation in vitro
(FIV). Le Comité Nobel a retenu les travaux du Pr Edwards "pour le développement de la fécondation in vitro
thérapeutique. Ses travaux ont permis de traiter l'infertilité, une affection médicale touchant [...] plus de 10%
des couples dans le monde". Robert Edwards a commencé à travailler sur les techniques permettant d'obtenir une
fécondation in vitro en 1963 à Cambridge où il expérimente cette technique sur des animaux. Sa volonté est de
trouver un moyen pour aider les couples infertiles à avoir des enfants.
8
Nous devons cette argumentation à l’article de TUGDUAL DERVILLE – Texte paru dans France Catholique le 29
octobre 2010.
7
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bryonnaire est peut-être négligeable. Mais que dire si l'embryon est quelqu'un, ce que la
science tend de plus en plus à montrer ? Dès la conception est en effet inaugurée une vie humaine, unique, avec un patrimoine génétique unique qui restera le même jusqu'à la mort.
Objets de multiples convoitises, 150 000 embryons vivants sont congelés en France. La
loi de 2004 a autorisé, par dérogation, qu'on les livre à la recherche (ce qui les détruit). Pour
les embryons « ne faisant plus l'objet d'un projet parental », les choix s'avèrent impossibles :
les détruire, les donner à un autre couple, les livrer à la recherche ? Cette recherche sur l'embryon nécessite de les traiter comme du matériel de laboratoire... De façon moins encadrée
que les animaux, car l'expérimentation animale est soumise à un contrôle plus strict (animaleries, formation, sociétés protectrices des animaux, juristes spécialisés…). Il existe désormais
des êtres humains destinés à servir le reste de l'humanité. Nouvel esclavage dans « le meilleur
des mondes » ?
b. Le tri des êtres humains par les diagnostics de plus en plus performants
Dans tous les cas, le médecin « procréateur » évalue au microscope les embryons obtenus,
et sa note scelle leur sort : destruction immédiate ou transfert dans l'utérus d'une femme, ou
encore, notamment en France, congélation. Le « diagnostic préimplantatoire » est aussi apparu : il permet de concevoir in vitro des embryons puis d'écarter ceux qui sont porteurs d'une
anomalie héréditaire, voire, désormais, d'une simple prédisposition à développer une maladie... Comment nier la composante eugénique toute-puissante de ces tris ? Et que dire du statut du « bébé-médicament » pour lequel il faut en moyenne 39 embryons pour une naissance ?
Issu d'un tri embryonnaire, on le destine à « sauver » un frère ou une sœur déjà né. À terme,
avec la médecine prédictive (analyse des risques génétiques) se profile le spectre du « meilleur des mondes ». Or, personne ne peut prétendre à un patrimoine génétique indemne de tout
problème.9
c. L'occultation du temps
Figés dans le froid, les embryons congelés sont privés de leur développement naturel. On
a annoncé il y a déjà deux ans la naissance aux États-Unis d'un embryon conçu il y a vingt ans
qui a fini par être donné à un couple. À l'âge de 20 ans, il aura 40 ans d'existence. Plus généralement, la congélation des embryons les rend vulnérables face aux demandes des chercheurs
ou des couples. Des femmes dont le conjoint est décédé réclament l'implantation « postmortem » des embryons que le couple avait fait congeler après une FIV. Doit-on faire naître
un enfant des années après la mort de son père ? Voilà un dilemme éthique typique de la
transgression que constitue la congélation. Car tout cela bouleverse les repères immuables qui
garantissaient à tout être humain de s'inscrire dans le temps avec des repères clairs. Aux EtatsUnis les militaires avant d’aller pour les missions extérieures font congeler leur sperme ou
leurs ovules pour parer à tous les risques (radiations chimiques, décès) ; s’ils décèdent, leurs
parents en souvenir d’eux, peuvent demander une « insémination post-mortem » afin obtenir
un « petit-fils » par FIV et GPA !
9
Le 22 janvier 2003, dans une interview au journal Le Monde, l’ancien ministre de la santé, Jean-François Mattéi, dénonçait la dérive de l'assistance médicale à la procréation : « Il faut retrouver la raison et le bon sens »
estime-t-il. Il déplore que ces techniques soient utilisées alors qu'on est loin d'en maîtriser les conséquences pour
l'enfant à naître : « personne ne pense à être l'avocat de l'enfant ». Le ministre estimait que les petits « vont
payer pour une bonne part les exigences de leurs parents et la complicité des médecins ». Cf. Généthique.org du
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2)- L'ECLATEMENT DE LA PARENTALITE
À partir du moment où l'on se permet de concevoir et manipuler l'embryon hors du corps
de sa mère, tout devient possible : erreurs et accidents de manipulation, imbroglios multiples... La filiation s'en trouve bouleversée. Des femmes largement ménopausées deviennent
mères. Des hommes homosexuels obtiennent des bébés via la gestation pour autrui... Des enfants se retrouvent avec deux ou trois mères (génitrice, gestatrice, éducatrice) et plusieurs
pères. La maternité éclatée devient source de nouveaux conflits : une mère porteuse peut résister au couple commanditaire de son bébé : ce couple exige qu'elle avorte car le fœtus est
trisomique, et elle ne veut pas ! Elle peut refuser aussi de rendre le bébé par attachement ; et
légalement on ne peut la poursuivre ; ce serait un « trafic d’être humain ».
Plus près de nous on a démantelé au Nigéria plusieurs « usines à bébés » où des jeunes
filles étaient séquestrées pour mettre au monde des enfants revendus à de riches demandeurs
africains ou occidentaux !
3)- LES RISQUES SANITAIRES ET LA MARCHANDISATION DE LA VIE
Les techniques de FIV ne sont pas sans conséquences sanitaires. En forçant la nature, on a
rendu certaines stérilités héréditaires : les enfants porteront des gènes déficients. Les grossesses multiples artificiellement provoquées ont induit l'explosion de la grande prématurité,
cause de multiples handicaps. La prévalence de certains accidents génétiques a augmenté chez
les enfants nés de FIV, et notamment d'ICSI (conception forcée à partir du choix d'un seul
spermatozoïde). En cause, le mode de conception et les bains chimiques n'imitant qu'imparfaitement les conditions naturelles... On commence seulement à parler des troubles psychologiques induits par certaines de ces techniques. On déplore enfin de fréquents accidents graves
concernant les femmes âgées qui deviennent mères au-delà de l'âge naturel.
Avec la FIV, tout est potentiellement à vendre ou à louer : embryons, gamètes, utérus. Les
écarts de prix entre garçons et filles, ou entre « géniteurs » selon leur QI, leur aspect physique
et la couleur de leur peau révèlent un marché sauvage dans de nombreux pays. Son libéralisme a les relents d'un racisme qui n'a rien à envier au temps de l'esclavage. Des enfants sont
vendus aux enchères aux plus offrants. L'homme est redevenu un produit commercial. Et les
femmes sont exploitées. Dans les pays pauvres, elles deviennent les « gestatrices » de couples
des pays riches. Des étudiantes vendent leurs ovocytes pour payer leurs études, mettant en
danger leur propre fertilité.
4)- LES DROITS DE L’ENFANT FACE AU « DROIT A L’ENFANT A TOUS PRIX »
Coûteuse, la FIV n'est qu'une médecine palliative, qui contourne l'obstacle de l'infertilité,
sans la soigner.
Bébés-médicaments, clonage, maternité extracorporelle... Les dérives issues de la FIV
peuvent s'enchaîner logiquement, et aboutiront peut-être demain à la création d'embryons hybrides, chimères homme-animal conçus avec du sperme humain et des ovocytes de bovins. La
Grande-Bretagne a déjà autorisé ce genre de recherche ! Il sera bientôt interdit de « mettre au
monde un enfant avec des tares génétiques ».
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Pourquoi, malgré ces objections, la fécondation in vitro semble-t-elle incontestable ?
(Trois raisons et justifications)10
a) -Tout se passe comme si la naissance des enfants conçus par FIV, du fait de la joie
bien légitime de leurs parents, avait étouffé toute opposition. La tendance à juger
une cause selon le degré d'émotion qu'elle suscite est humaine. Elle est accentuée
par l'évolution culturelle et l'univers médiatique qui privilégient le témoin face au
maître. Or, dans ce contexte, la souffrance, le désir puis le bonheur des parents pèsent autrement plus que le destin des embryons. Sans visage, ni sensibilité, ni histoire, ni voix, ils ont la raison pour eux (la science dit leur humanité) mais cela ne
suffit pas. On ne considère pas l'embryon comme un citoyen. Il n'a pas de poids politique. Personne n'est attaché à lui. Le rapport de force lui est défavorable. Contre
lui sévit un totalitarisme de l'émotion face auquel il est difficile de s'élever sans paraître inhumain. En toute logique, on a parfaitement le droit de récuser les modes de
conception qui semblent contraires à la dignité humaine. Sans pour autant récuser
l'existence des êtres humains qui en sont issus. Le temps passé doit être assumé,
mais pas forcément cautionné. Ainsi, ce n'est pas parce que dans les générations
précédentes, nos ancêtres ont pu commettre des crimes (violences conjugales, incestes...) sans lesquels nous n'existerions peut-être pas, que nous sommes obligés de
les approuver. Le temps passé étant révolu, on peut parfaitement contester la FIV
sans remettre en cause ceux qui lui doivent la vie. Un totalitarisme de l'émotion face
auquel il est difficile de s'élever
b) -Dès lors, les coûts multiples de la fécondation in vitro sont occultés, comme si les
évoquer était inconvenant. La FIV est, de l'avis général, un parcours du combattant
pour les couples, et particulièrement pour les femmes : pénible hyperstimulation
ovarienne, intervention d'une tierce personne dans l'intimité du couple et de la physiologie féminine, débats difficiles et parfois conflictuels quand se pose la question
de passer aux étapes suivantes, avec notamment le recours au don de gamètes, impact dramatique des « réductions embryonnaires », mais aussi la question du devenir
des embryons congelés... Et il ne faut pas oublier les échecs successifs au fil des tentatives. Pour 50% des couples, après « des années de galère », il n'y aura pas d'enfant, et la FIV aura retardé d'autant une éventuelle démarche d'adoption... Les
couples en témoignent dans des livres et des forums sur Internet, mais ça ne fait pas
10
Si l'industrie du "bébé-design" ne semble pas pour demain, toutefois, un nouveau marché se met déjà en place
concernant le secteur des tests prénataux, pouvant ouvrir la voie à l'organisation "d'un circuit économique de la
procréation 'augmentée'". En effet, une fois qu'une technique existe, "un marché de niche pour couples fortunés" vient l'ancrer dans la sphère économique, ce qui entraine une accélération des dérives. Pour Hervé Le Cronier, le choix "peu innocent" de Robert Edwards par les jurés du Prix Nobel apparaît comme l'un des "symptômes
de ce basculement en faveur d'une industrie du 'bébé-design'", d'autant plus que les prix Nobel comportent "une
claire dimension de politique scientifique"
Il rappelle les propos tenus par le Pr. Edwards en 1999 dans le Guardian : "bientôt, ce sera un péché des parents que d'avoir un enfant qui porte le lourd fardeau des maladies génétiques. Nous entrons dans un monde où
nous devons prendre en compte la qualité de nos enfants". Sachant dans "quel délire collectif peut nous mener
une telle conception eugénique du monde", il est urgent que les sociétés réfléchissent et s'interrogent sur les
décisions politiques quant aux recherches engagées dans ce domaine sans laisser les marchés et leurs intérêts
immédiats parasiter leur réflexion. (Il est décédé le 10 avril 2013). Cf. La Synthèse de presse de genethique.org
du vendredi 10 décembre 2010.
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le poids, médiatiquement, face aux prouesses et réussites. Tout se passe comme si
l'enchaînement de tant de souffrance et de tant de bonheur étouffait la contestation.
De même les problèmes sanitaires induits par la FIV demeurent largement tabou,
hors du cercle des praticiens qui en ont conscience : grande prématurité, prévalence
de certains handicaps, troubles psychologiques... Pour ne pas stigmatiser les enfants
(dont certains ignoreront leur mode de conception), on s'interdit de faire de véritables recherches sur l'impact psychologique de la conception en laboratoire ou de la
congélation. Une forme de mauvaise conscience plane, qui conduit au déni des problèmes.
Enfin, le coût financier de la FIV, assumé par la collectivité, en France par exemple,
jusqu'aux 43 ans des femmes concernées, pour 4 tentatives, devrait être mis en regard
de ce qu'on pourrait faire de telles sommes, en particulier pour lutter contre les
causes de l'infertilité. Quand il est question de faire naître « à tout prix », on ne lésine
pas : la vie n'a pas de prix. Et les vies conçues et détruites passent pour des dégâts
collatéraux négligeables !
c) -Le débat s'est donc transféré sur les nouvelles transgressions, pas encore entrées
dans les mœurs, ce qui cautionne implicitement celles qui ont cours. Les premières
mondiales défraient la chronique : clonage, naissance après 20 ans de congélation,
grossesses provoquées chez des femmes du troisième âge, hybridation hommeanimal, vente aux plus offrants d'un bébé via Internet, décongélation accidentelle,
etc… Ce qui est exceptionnel choque, mais ce qui est devenu courant est cautionné.
Le débat n'est plus sur le principe de la FIV, mais sur ses limites, ou ses « outrances ». Or, c'est le principe même de la FIV qui comporte l'essentiel des transgressions à l'éthique biomédicale que nous sommes en droit de contester. Le fait
qu'une transgression soit répandue - ou même qu'elle soit légale - n'apporte en réalité aucune garantie de justice. Lors de la naissance de Louise Brown, de nombreuses
voix de scientifiques s'étaient élevées en dénonçant le fait que ce n'était « pas de la
médecine ». Mais, progressivement, chaque transgression entre dans les mœurs. Une
sorte d' « effet de cliquet » permet d'enchaîner les étapes : on est choqué d'une première qui étonne, on s'y habitue en disant « pourquoi pas ? », on se dit qu'elle est
inéluctable, et quand elle s'est installée dans les mœurs, on la trouve incontestable.
C'est finalement des conséquences de la FIV que peut renaître une contestation audible :
celle des enfants nés de donneurs anonymes, celle des couples que le processus a agressés,
celle d'une société qui peut découvrir que l'acharnement procréatif conduit à l'absurde, entre le
développement du handicap, le bouleversement de la filiation et le fantasme eugéniste du bébé parfait.11
Un constat amer devant les dérives de la procréation artificielle qui ne guérit pas mais contourne la stérilité ?
Pour Laurent Alexandre, chirurgien urologue, président de DNA Vision, le désir des parents d'aujourd'hui d'avoir un "enfant parfait" et l'encouragement de la société à "une minimi11
Cf. TUGDUAL DERVILLE – Texte paru dans France Catholique le 29 octobre 2010.
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sation des risques obstétricaux" entraînent la sélection des embryons et l'élimination « des
fœtus non conformes [qui] deviennent des étapes classiques de toute grossesse 'raisonnable' ".
Ces constats sont le signe que « nous sommes déjà sur un toboggan eugéniste sans nous en
être rendu compte ».
Ainsi en est-il de la trisomie 21 « en train de disparaître sous nos yeux » puisque 97% des
trisomies 21 diagnostiquées amènent à une interruption médicale de grossesse : « Bien peu de
parents résistent à la pression sociale pour 'éradiquer' ce handicap mental. Aujourd'hui, "Le
diagnostic prénatal permet 'l'élimination du pire' [...], le diagnostic préimplantatoire [...]
représente la 'sélection des meilleurs' ».
Avec l'arrivée récente du séquençage intégral de l'ADN du bébé par une prise de sang chez
la future maman, ce constat eugéniste va s'aggraver : « l'un des derniers freins à la généralisation du diagnostic prénatal - la peur d'une fausse-couche, qui survient dans 0,5 à 1% des
cas après une amniocentèse – disparaît ».
Face à cette généralisation, Laurent Alexandre met en cause les pouvoirs publics : « politiquement, comment empêchera-t-on les parents de préférer de 'beaux enfants plutôt doués'
alors que l'avortement pour convenance personnelle est libre, quelle que soit la constitution
de l'embryon, et que l'avortement pour handicap intellectuel (trisomie 21 en tête) est légal,
socialement accepté et encouragé par les pouvoirs publics ?"(…) le retour de l'eugénisme est
une bombe éthique et politique passée complètement inaperçue ».12
Citant notre aïeul, le Prof SIMPORE disait : « Dieu a tout montré au Blanc comme s’il avait
peur de lui ! »
Effectivement « depuis la découverte de l’ADN (Acide désoxyribonucléique) recombinant,
l'homme a entre ses mains une force extraordinaire, une épée à double tranchant. Désormais,
le généticien peut "créer" de nouveaux génotypes, diagnostiquer et soigner des maladies héréditaires, élaborer des vaccins, des enzymes, des hormones, des anticorps monoclonaux, cloner des animaux supérieurs, tout comme il peut fabriquer la bombe biologique pour détruire et
changer la face de la terre. Bref, l'avenir de l'humanité semble être entre les mains de ces
hommes de science. »13.
Le vertige semble nous saisir, quand nous pensons à ce que les scientifiques (généticiens,
biologistes, chimistes, spécialistes du nucléaire…) peuvent faire de nos vies aujourd’hui, et à
ce qu’ils peuvent faire subir à la création entière. Ils ont un pouvoir immense (et illimité pensent d’aucuns), qui peut les griser eux-mêmes, et leur faire commettre les pires monstruosités,
si leur conscience ne leur impose pas les limites d’une éthique universelle et intangible. Leur
responsabilité certes, est grande ; mais il incombe aussi à la société de leur donner des repères, et de leur indiquer des limites à ne pas franchir ; afin de leur faire comprendre que ce
qui est scientifiquement faisable ou envisageable, ne respecte pas toujours la dignité de la
personne humaine. Tout n’est pas permis à la science et à la technologie !
Comme le soulignait le bienheureux JEAN-PAUL II, le développement de la science et de la
technique, magnifique témoignage des capacités de l'intelligence et de la ténacité des
hommes, ne dispense pas l'humanité de se poser les questions religieuses essentielles ; il la
12
13
Cf. Le site Gènéthique.org citant : Le Monde 07/04/12.
Cf. JACQUES SIMPORE, Manipulation génétique de la vie et éthique de la recherche, Rome, mai 2006.
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pousse plutôt à affronter les combats les plus douloureux et les plus décisifs, ceux du cœur et
de la conscience morale. 14
Bibliographie sélective
 JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Veritatis Splendor, 6 aout 1993, in Documentation Catholique 2081 (1993) 901-944.
 JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Evangelium Vitae, 25 mars 1995, in Documentation Catholique 2114 (1995) 351-405.
 JEAN-PAUL II, Aux membres de l’Académie Pontificale pour la Vie réunis en Assemblée
Générale, 20 novembre 1995, in Documentation Catholique 2129 (1996) 16-18.
 JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Fides et Ratio, 14 octobre 1998, in Documentation Catholique 2191 (1998) 901-942.
 CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE, Lexique des termes ambigus et controversés sur la
famille, la vie et les questions éthiques", collectif d'auteurs, éditions Téqui, juin 2005.
 ACADEMIE PONTIFICALE POUR LA VIE, L’embryon humain dans la phase préimplantatoire,
aspects scientifiques et considérations bioéthiques, Libreriaeditricevaticana, 8 juin
2006.
 CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction Donum Vitae, 22 février 1987, in
Documentation Catholique 1937 (1987) 349-361.
 CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PASTORALE DE LA SANTE, Charte des personnels de la Santé,
Cité du Vatican 1995.
 CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE, Lexique des termes ambigus et controversés sur la
famille, la vie et les questions éthiques", collectif d'auteurs, éditions Téqui, juin 2005.
 ACADEMIE PONTIFICALE POUR LA VIE, L’embryon humain dans la phase préimplantatoire,
aspects scientifiques et considérations bioéthiques, Libreria editrice vaticana, 8 juin
2006.
 CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction Donum Vitae, 22 février 1987, in
Documentation Catholique 1937 (1987) 349-361.
 CONGREGATION POUR LA DOCTRINE
thique, 8 septembre 2008.
DE LA FOI,
Instruction sur certaines questions de bioé-
 ANDORNO R., La bioéthique et la dignité de la personne, PUF, Paris 1997.
 BERNARD Jean, De la biologie à l’éthique, Paris, éd. Buchet-Chastel, 1990.
 BRUGUES Jean-Louis, La fécondation artificielle au crible de l’éthique chrétienne, Communio-Fayard, Paris 1989.
 HOTTOIS Gilbert, Essais de philosophie bioéthique et biopolitique, Paris, éd. Vrin, 1999.
 LE MENE Jean-Marie, « Nascituri te salutant », La crise de conscience bioéthique, Salvator,
Paris, 2009.
 MATTHEEWS A., Les origines de la vie. Quelques repères bioéthiques, Cahiers de l’École
Cathédrale, n° 26, Mame-Cerf, Paris 1997.
14
Cf. JEAN-PAUL II, Veritatis splendor - L’enseignement moral de l’Eglise. Quelques questions fondamentales,
n°1.
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 SGRECCIA Elio, Manuel de bioéthique. Les fondements de l’éthique biomédicale, Wilson &
Lafleur ltée, Montréal 1999.
 SGRECCIA Elio, Manuel de bioéthique. T. 2 Aspects médico-sociaux, 4e édition revue et
augmentée, Mame et Desclée, Paris, 2012.
 SICARD Didier, L’éthique médicale et la bioéthique, (3e édition), PUF, Paris, 2013.
 SIMPORE Jacques, Manipulation génétique de la vie et éthique de la recherche, Rome, mai
2006.
 REVUES THÉMATIQUES
o La bioéthique contre la morale ?, Permanences n°449, mars 2008.
o L’ABC de la bioéthique, La Croix – Hors-série, mars 2009.
o La crise de conscience bioéthique, Permanences n° 468-469, Janvier-Février
2010.
o Dignité de la personne humaine, Permanences n° 484-485, mai-juin 2011.
Dr Joseph SAWADOGO, s.v.
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