Le transport aérien LOW COST: aspects juridiques

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Le transport aérien LOW COST: aspects juridiques
arfaitement bien implanté dans le
marché du transport aérien, le low
cost est un phénomène en extension qui
suscite des réactions contrastées. Face aux
obstacles qu’elles rencontrent, notamment
ceux liés à la délivrance des slots (« créneaux
horaires »), les compagnies aériennes low
cost opposent des mesures et stratégies pas
toujours en conformité avec le droit. Dans
tout cela, les passagers sont-ils les principaux
bénéficiaires ? Pas sûr…
État des lieux
Né de la crise économique, nourri par
la stagnation, voire la baisse du pouvoir
d’achat, le low cost a incontestablement le
vent en poupe.
Le transport aérien low
cost : aspects juridiques
Les compagnies aériennes low cost ont révolutionné
le transport aérien, en contribuant à le démocratiser.
Certes, tout n’est pas beau à voir dans le pays du low cost,
mais il s’agit d’une réussite économique incontestable,
qui doit conduire les compagnies traditionnelles à
s’interroger sur leur modèle économique vieillissant.
Un phénomène en extension
Le low cost émerge dans toutes les branches
de l’économie, de la grande distribution (Lidl, ED) à l’automobile (Logan),
en passant par la vente par internet
(Cd-Discount). Le transport aérien n’est
pas en reste, que ce soit en Europe, avec des
compagnies telles que Ryanair et Easyjet, ou
aux États-Unis, notamment avec Southwest
Airlines, qui a sans doute été le précurseur.
Le transport aérien « à bas coût » s’est considérablement développé dans un contexte de
libéralisation du transport aérien, à l’échelle
européenne, dans les années 1990. Les
compagnies aériennes traditionnelles n’ont
pas immédiatement réagi au phénomène,
considérant, avec une certaine arrogance,
que le low cost s’adressait à une clientèle
désargentée qui n’était pas la leur. Mais elles
ont dû se rendre à l’évidence : le low cost a
cessé d’être un phénomène marginal, à
tel point qu’il n’est plus réservé aux vols de
loisirs, mais qu’il commence à conquérir
une clientèle d’affaires. Les compagnies
low cost jouent aujourd’hui dans la cour des
grands. D’ailleurs, si l’on raisonne en termes
de capitalisation boursière, indicateur parmi
d’autres des performances économiques
d’une entreprise, certaines compagnies
historiques font même pâle figure. Ainsi, le
classement des compagnies aériennes en
2010 à l’échelle mondiale fait apparaître que
Ryanair occupe la huitième place, tandis
qu’Air France-KLM pointe à la… quatorzième 1. Force est de reconnaître que le low
cost, en transport aérien comme ailleurs,
est un modèle économique qui marche et
qui, si l’on peut se permettre l’expression, a
trouvé son rythme de croisière, en compensant les faibles recettes dégagées par passager
par une chasse aux coûts impitoyable et un
gros volume d’activité.
Des réactions ambivalentes
Le low cost suscite des réactions contrastées.
Certains le vouent aux gémonies et considèrent que les compagnies low cost détruisent
des emplois, manquent de transparence,
notamment dans leur politique tarifaire, et
qu’elles sont peu fiables, en termes de sécurité et de qualité de prestations, en particulier. D’autres, parmi les économistes libéraux, en particulier 2, constatent que l’arrivée
des compagnies à bas coût, en particulier
sur des lignes en situation de monopole, a
exercé une pression à la baisse sur les prix,
dont ont bénéficié non seulement les clients
des compagnies low cost — pour
Article extrait de juristourisme n° 127 de janvier 2011. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris éditions © éditions Dalloz.
P
1. Soit respectivement 5,63 et 3,06 milliards de
dollars (source : Compagnies et Bloomberg).
Les classements annuels des trente premières
compagnies aériennes par capitalisation
sont reproduits sur www.fb-bourse.com.
2. E. Combe, « Les vertus cachées du low
cost aérien », Fondapol, novembre 2010.
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dossier
Law shopping : pratique
“
consistant à choisir la législation sociale la plus favorable pour les low cost
Article extrait de juristourisme n° 127 de janvier 2011. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris éditions © éditions Dalloz.
”
lesquels, d’ailleurs, prendre l’avion
était jusque-là souvent inaccessible — mais
également ceux qui sont restés fidèles à
l’opérateur historique. De manière plus
surprenante, la baisse des prix provoquée
par le low cost ne nuirait pas à la qualité des
services proposés, les prestations essentielles
qu’un passager est en droit d’attendre étant
aussi bien assurées par les compagnies à bas
coût que par les compagnies traditionnelles.
Enfin, en ce qui concerne les effets sur l’emploi du low cost, si ce dernier ne contribue
assurément pas à l’amélioration des conditions de travail et du pouvoir d’achat de ses
salariés, il contribue, en développant l’activité du transport aérien, à la création nette
d’emploi dans ce secteur. Et l’« homme
de la rue », dans tout ça ? Force est de
constater qu’il est souvent schizophrénique :
il applaudit, en tant que consommateur, la
baisse des prix, qui contribue à démocratiser
le transport aérien ; en sens inverse, il fustige,
en tant que citoyen, un modèle fondé sur la
recherche sans scrupule du profit maximal,
sur le cynisme — le président de Ryanair
n’a-t-il pas suggéré de faire payer l’accès aux
toilettes dans ses avions ? —, la provocation
— le même n’a-t-il pas émis l’idée de faire
voyager les passagers debout, comme dans le
métro aux heures de pointe, afin de mieux
rentabiliser ses avions ? — et le « moins
disant social ».
L’importance de la règle
de droit
La bataille des slots
Les compagnies low cost se sont toujours
présentées comme des « Robin des bois »,
pourfendeurs de l’ordre établi, luttant
contre les compagnies historiques, souvent
3. J.-L. Baroux, « Attribution des slots : comment la
DGAC et Air France protègent leur pré carré », Tourmag.com, 3 novembre 2010. On pourrait raisonner
en des termes similaires à propos des taxes aéroportuaires que les compagnies sont tenues de verser, via
les États, aux aéroports dont elles utilisent les infrastructures. Les low cost ont tout intérêt à ce qu’elles
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juristourisme 127 - janvier 2011
en situation de monopole, et fustigeant les
administrations étatiques — notamment les
contrôleurs aériens, auxquels certaines low
cost souhaiteraient retirer le droit de grève !
— accusées d’être les complices des précédentes. Dernier combat en date, à cet égard,
la question de l’attribution des slots 3, c’està-dire les créneaux horaires, dans les aéroports les plus congestionnés, tout particulièrement en France, Orly. Cela relève, en
France, de la compétence de la Direction
générale de l’aviation civile (DGAC), et le
mode d’attribution des slots en ce qu’il offre
la part belle aux compagnies en place — les
insiders —, constitue en réalité un puissant instrument anti-concurrentiel. Cela
mérite quelque explicitation : au nom de la
protection des riverains contre les nuisances
sonores, un arrêté du ministre des transports
de 1994, toujours en vigueur, a limité le
trafic de l’aéroport d’Orly à 200 000 mouvements par an 4. Noble préoccupation qui
cache, en réalité, probablement, un objectif
moins avouable : empêcher les concurrents
d’Air France de s’installer à Orly, aéroport
stratégique car très proche de Paris. Seize ans
plus tard, pourtant, le contexte a complètement changé, notamment en ce que
les avions sont devenus nettement moins
bruyants. La légitime prise en compte des
préoccupations environnementales devrait
conduire aujourd’hui, selon une approche
plus moderne — et qui est d’ailleurs celle
désormais adoptée à Roissy —, à raisonner
non plus en en termes de quotas de volume
de vols mais de quotas de bruit, ce qui aboutirait à favoriser les compagnies dont les
flottes sont les plus silencieuses.
d’avions de la dernière génération, bataille
ferme contre cette politique qu’elle juge
discriminatoire. La Commission européenne prête d’ailleurs une oreille attentive
à cette préoccupation : elle a ainsi lancé,
en septembre 2010, une consultation
publique sur la perspective d’une modification du règlement (CEE) no 95/93 du
Conseil du 18 janvier 1993 5 fixant des règles
communes en ce qui concerne l’attribution
des créneaux horaires dans les aéroports de
la Communauté, qui devrait déboucher
sur des propositions visant, dans le but de
favoriser la concurrence, à une attribution
plus équitable des créneaux en faveur des
nouveaux entrants, au premier chef les
compagnies low cost.
On ne s’étonnera pas, dès lors, qu’Easyjet,
dont la flotte est entièrement équipée
L’arme du droit
Parmi les armes qu’utilisent les compagnies
low cost, la règle de droit occupe une place
prépondérante, phénomène qui s’explique
probablement par la culture anglo-saxonne
de certaines d’entre elles. Opérant souvent à
la limite de la légalité, il leur arrive de jouer
parfois à une véritable « partie de cachecache » avec le législateur. Le droit social en
constitue une illustration : elles pratiquent
volontiers le law shopping, en choisissant la
législation qui leur est plus favorable, n’hésitant pas à soumettre les contrats de travail
de leur personnel français au droit anglais
ou irlandais, nettement moins favorable aux
intérêts des salariés que notre droit du travail.
Un décret modifiant le code de l’aviation
civile a ainsi été édicté prévoyant que tout
transporteur aérien dont les personnels navigants sont basés en France doit s’acquitter,
pour ses salariés, des mêmes charges sociales
que toute autre entreprise employeur ayant
un établissement sur le sol français 6. Cela
soient assises non pas sur le nombre de passagers
transportés — elles sont ainsi désavantagées, parce
que le low cost est une activité de masse — mais sur
le prix des billets, par hypothèse bas, en ce qui les
concerne. Or, on ne s’en étonnera pas, le code général
des impôts (art. 1609 quatervicies) retient la première
méthode qui privilégie les compagnies les plus chères.
4. Arr. du 6 octobre 1994, JO du 9.
5. JOCE, no L. 14, 22 janvier 1993, p. 1.
6. Décr. no 2006-1425 du 21 novembre
2006, JO du 23 ; voir également : rép. min.
no 79390, JOAN Q du 10 août 2010, p. 8913.
7. CE 27 février 2006, no 264406, AJDA 2006. 519.
8. F. Duclos, « EasyJet : encore des problèmes avec
Ce combat juridique, voire judiciaire se
poursuit sur d’autres terrains, notamment
sur celui des subventions publiques ou parapubliques, émanant des collectivités locales
ou des chambres de commerce, dont les
low cost subordonnent systématiquement
l’octroi pour ouvrir une desserte nouvelle.
Il s’agit là d’une partie non négligeable de
leurs recettes, la chasse aux subventions
faisant partie intégrante de leur modèle
économique.
Ces pratiques prennent parfois, d’ailleurs,
des formes assez subtiles : il peut s’agir d’une
convention conclue entre la compagnie
low cost et une chambre de commerce, en
vertu de laquelle cette dernière s’engage à
participer aux dépenses de promotion de
la région, en l’occurrence l’Alsace, sur le
site internet de la compagnie et sur d’autres
médias proposés par cette dernière. Ce
modus operandi a néanmoins été expressément qualifié d’aide d’État au sens
du droit communautaire par le Conseil
d’État et déclaré illégal, faute d’avoir été
notifié au préalable à la Commission des
Communautés européennes 7. Il existe une
jurisprudence sensiblement analogue dans
plusieurs États européens.
Les compagnies low cost
et les droits des passagers
Les low cost sont des machines bien huilées.
Elles promettent, moyennant un prix bas,
une prestation « basique » aux passagers :
les acheminer à destination, sans faire de
concession sur les règles de sécurité, mais
sans fournir les prestations accessoires que
l’on attend d’une compagnie traditionnelle
(repas, etc.), sauf à accepter de payer un
supplément de prix. De ce point de vue,
force est de constater que le contrat est généralement parfaitement rempli. Mais il ne
faut pas qu’un grain de sable vienne gripper
la machine.
Cas des passagers handicapés
Les compagnies low cost ont du mal à
accepter les passagers « hors norme », tels les
personnes obèses, parce qu’elles mettent à
mal leur modèle économique : ces publics
sont, en effet, susceptibles de mobiliser du
personnel (par exemple, une hôtesse pour
aider à faire à monter à bord une personne
aveugle, d’où généralement l’obligation,
contractuellement imposée, aux personnes
handicapées de voyager accompagnées),
limiter le remplissage d’un avion, ou encore
allonger la durée des escales. Tout cela a un
coût. Il n’est donc pas rare que les personnes
handicapées essuient tout simplement des
refus d’embarquement 8, celles-ci étant
considérées comme source d’ennuis plus
que de profits. D’où des condamnations
régulières pour discrimination. Ainsi, la
pratique de Ryanair visant à obliger les
personnes obèses à payer deux sièges a-telle été interdite par la Cour suprême du
Canada 9. Ces pratiques sont bien évidemment condamnables, mais force est de
constater que, désormais, elles ne sont plus,
loin de là, l’apanage des low cost.
Pas de droits des passagers
« au rabais »
Les compagnies low cost sont tout aussi mal
à l’aise dans les situations imprévues. On sait
que la réglementation communautaire 10
prévoit une indemnisation du passager en
cas de refus d’embarquement, d’annulation
ou de retard important d’un vol. Or, il s’est
avéré que la compagnie Ryanair, à la suite de
l’annulation de nombreux vols consécutifs à
l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, n’a
pas porté assistance, comme elle le devait,
à ses clients restés bloqués dans ses aéroports, se contentant de les rembourser sur
la base des sommes engagées pour l’achat
de leur billet, sans prendre en charge les
coûts supplémentaires engendrés par cette
situation de blocage (frais d’hébergement,
etc.). Cette pratique a été condamnée par
la Commission européenne 11 qui a trouvé
la formule qui fait mouche pour définir ce
que devraient être les droits des passagers des
compagnies low cost : « il n’y a pas de droits
des passagers aux rabais pour les compagnies
à bas coûts ».
Vilipendées publiquement, mais en même
temps secrètement enviées par leurs concurrentes. Telle est, aujourd’hui, la situation
paradoxale des compagnies aériennes low
cost, dont le modèle économique semble
faire des émules parmi les compagnies traditionnelles, affaiblies, pour la plupart, par la
récente crise économique. Ainsi, même
la compagnie Air France, symbole du luxe
à la française, semble, à son tour, gagnée
par la tentation du low cost12, comme s’il
s’agissait, à moyen terme, d’une question de
survie…n
un handicapé », Air-journal.fr, 12 août 2010.
9. CSC, 20 novembre 2008.
10. Règl. 261/2004/CE du 21 février
2004, JOCE no L 46 du 17, p. 1.
11. Citée par E. Combe, étude préc. note 2.
12. B. Trévidic, « Air France ou la tentation du
low cost », Les Échos, 29 septembre 2010.
AUTEURXavier Delpech
Titre
Maître de conférences associé
à l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
janvier 2011 - juristourisme 127
Article extrait de juristourisme n° 127 de janvier 2011. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris éditions © éditions Dalloz.
n’a pas empêché certaines d’entre elles de
poursuivre ces pratiques. Tel est le cas, en
particulier, de Ryanair, en ce qui concerne
son personnel navigant rattaché à sa base
d’exploitation de Marseille, procédé qui
a débouché sur sa mise en examen par un
juge d’Aix-en-Provence, pour « travail dissimulé », « emploi illicite de personnels navigants » et « prêt illicite de main-d’œuvre ».
Ce qui a conduit la compagnie irlandaise à
menacer de quitter cet aéroport. Plutôt se
démettre que se soumettre…
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