Maarten Lemmens 1. Cognition, expérience et sens • la linguistique
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Maarten Lemmens 1. Cognition, expérience et sens • la linguistique
ESPACE, LANGUE ET COGNITION Maarten Lemmens U.F.R. Angellier, Lille3 UMR 8528 ‘SILEX’ du CNRS [email protected] www.univ-lille3.fr/silex/lemmens.htm 1. Cognition, expérience et sens • la linguistique cognitive caractérisée par son caractère pluridisciplinaire, en établissant des liens explicites avec la psychologie, les neurosciences, la sociologie et l’anthropologie. En plus, elle postule que la langue n’est pas dissociée d’autres systèmes cognitifs : “[Cognitive grammar] assumes that language is neither self-contained nor describable without essential reference to cognitive processing (regardless of whether one posits a special faculté de langage). (Langacker 1991:1) • structures dans la langue qui s’assortissent à nos capacités cognitives générales, comme par exemple la catégorisation, la capacité de réifier des choses abstraites, la capacité de mettre une entité au premier plan (cf. l’opposition Figure/Ground dont on parle en psychologie), ou la perception holistique d’une entité multiplexe (la perception d’une Gestalt) • chaque structure linguistique, y compris les structures syntaxiques, a sa valeur cognitive propre et a donc du sens. • sens = conceptualisation adaptée aux conventions linguistiques; “Semantic structure is conceptualization tailored to the specifics of linguistic convention. Semantic analysis therefore requires the explicit characterization of conceptual structure.” (Langacker 1987:99) ceci implique un point de vue encyclopédique sur le sens : la description sémantique départ d’une conceptualisation intégrée de complexité arbitraire et possiblement ayant une extension encyclopédique, parce qu’elle est caractérisée vis-à-vis des domaines conceptuels qui intègrent aussi nos fois et nos connaissances partagés. Haiman (1980:331): “the distinction between dictionaries and encyclopedias is not only one that is practically impossible to make, but one that is fundamentally misconceived […] dictionaries are encyclopedias” (cf. also Langacker 1987:154ff, Croft 1993). “a network of shared, conventionalized, to some extent perhaps idealized knowledge, embedded in a pattern of cultural beliefs and practices” (Taylor 1989:23) 2. La base expérientielle de notre pensée 2.1. Image schématiques • Beaucoup de nos concepts sont fondés (grounded) dans notre expérience, physique et culturelle (cf. le “experiential realism” de G Lakoff, 1987), ce qui vaut particulièrement pour nos concepts spatiaux. Notre expérience spatiale quotidienne donne lieu à des images abstraites (image schemata), p.ex. AVANT-DERRIERE, HAUT-BAS, etc. “Knowledge is seen by many cognitive semanticists […] as being grounded in patterns of bodily experience. These patterns, called image schemas, emerge throughout sensorimotor activity as we manipulate objects, orient ourselves spatially and temporally, and direct our preceptual focus for various purposes” (Gibbs 1994:233,) 2.2. Métaphores conceptuelles • « Notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à agir, est de nature fondamentalement métaphorique » (Lakoff & Johnson 1985:13). Exemples: - LE CHAMPS VISUEL, C’EST UN CONTENANT : Le navire entre dans le champs de vision. Il est en vue. - LE TEMPS, C’EST DE L’ESPACE : D’ici une heure on saura plus des métaphores. Je sais le faire dans une heure. Les semaines derrières nous … Journée interdisciplinaire Ecole doctorale ACCES, Univ. Lille III, 9 avril 2004 M. Lemmens Espace, langue et cognition 2 • « [Ces] métaphores ne sont pas arbitraires. Elles trouvent leur fondement dans notre expérience culturelle et physique » (Lakoff & Johnson 1985:24). Exemple TEMPS = ESPACE : - Corrélation directe entre mouvement dans l’espace et le temps que ça prend; - Les lieux devant nous sont des lieux que nous traverserons plus tard (= « futur » lieux); • Lakoff & Johnson adoptent une position forte avec leur notion de « sens incorporé » disant que notre connaissance des domaines abstraits est attachée directement à des images sensorimotrices Position moins forte : Notre connaissance des domaines abstraits est basée sur des représentations des ces domaines plus expérientielles, et sont donc séparées de celles engagées dans notre expérience sensorimotrice 2.3. La représentation spatiale du temps : Boroditsky & Ramscar (2002) • « time_moving » vs. « ego-moving » perspective Next Wednesday’s meeting has been moved forward two days. « La réunion de mercredi à été avancée de deux jours. » • Support pour l’hypothèse nuancée : c’est la réflexion sur l’espace qui semble être à la base de la réflexion sur le temps • La pensée abstraite est partiellement construite et modulée par la langue 3. La relation entre la langue et la pensée 3.1. Le regain d’intérêt pour l’hypothèse whorfienne • détermination linguistique : la langue détermine les structure de notre pensée (forte & fausse) relativité linguistique : Locuteurs de différentes langues portent leur attention sur des aspects différents de la même réalité […] à la base des configuration universelles (les « isolats d’expérience ») opéraient de façon variable des schémas linguistiques de classification et de catégorisation. […] Les principes psycho-physiologiques seraient universels, mais les langues conceptualiseraient de manière différente ces données d’expérience, en lien avec la diversité des cultures » (Fuchs 1997:10) • « thinking for speaking » D. Slobin (1996): processus non-linguistiques vs. linguistiques - processus cognitifs « on-line » quand on parle - Implique sélectionner les caractéristiques qui sont (a) applicables et (b) encodables dans la langue « serious study of language in use points to pervasive effects of language on selective attention and memory for particular event characteristics » (Slobin 2003:158) ! le regain d’intérêt pour l’hypothèse whorfienne a apporté des supports importants, mais elle reste controversielle, cf. Li & Gleitman (2002), Jackendoff (1996:2): « la pensée est une fonction mental parfaitement distincte de la langue » ou l’idée de Pinker (1994) d’une sémantique conceptuelle universelle 3.2. Quelques nouvelles recherches Cadres référentiels ( Levinson 1996; 2003) • 3 systèmes (cf. Levinson 2003:24ff) - Intrinsèque : orientation « inhérente » de l’objet de repère (fonctionelle, culturelle, variable) - Relatif : orientation vis-à-vis le conceptualisateur (variable) - Absolu : orientation vis-à-vis les directions cardinales (fixe) les cadres référentiels et les distinctions faites par la langue peuvent imposer des contraintes importantes sur la réflexion spatiale (non-verbale) Mouvement fictif ( Matlock 2001) • Lexique du mouvement pour décrire une situation spatiale statique, p.ex. La route va le long de la cote. Journée interdisciplinaire Ecole doctorale ACCES, Univ. Lille III, 9 avril 2004 M. Lemmens Espace, langue et cognition 3 • Trois études : - Influence de mouvement réel (MR) sur la compréhension de mouvement fictif (MF) - Images mentales associées avec le mouvement fictif, en contraste avec des expressions statiques - Mouvement fictif et la conceptualisation du temps (Matlock, Boroditsky & Ramscar 2003) Mouvement et localisation i. Caractérisation d’un Evénement de Mouvement • Différents composants d’un EVENEMENT DE MOUVEMENT (EM) (selon Talmy 2000,II: 25ff): - Cible : entité qui bouge/est localisée (Figure) ; - Site : repère pour situer le Cible (Ground) ; - Trajectoire : route ou location (Path) ; - Mouvement : mouvement ou localisation même (Motion) • Différents types de mouvement : - translational : déplacement de LOC1 à LOC2 , ex. entrer, grimper, suivre - self-contained : ± sur place, ex. balancer, osciller, tourner - stationary : relation statique, ex. pendre, être debout • Distinction typologique (selon Talmy 2000,II: 25ff): the [event] typology consists of whether the core schema is expressed by the main verb or by the satellite. Talmy (2000, II:222) cadrage verbale → core schema (=Mouvement/Localisation) dans verbe langues à satellite → core schema dans satellite SATELLITE the bottle floated VERBAL la bouteille into the cave MANIERE TRAJECTOIRE entra dans la grotte TRAJECTOIRE (en flottant) (MANIERE) ii. Manière de mouvement : Slobin 1996, 2004 ; Hickmann & Hendriks (à par.) • Prédictions pour les langues à satellite: - Référence plus fréquente à la manière de mouvement - Lexique plus variée pour exprimer le mouvement - Manière de mouvement importante pour l’acquisition et la mémoire • Slobin (2004:225): “a continuum of manner of salience” iii. Lemmens 2001, 2003 • Nouvelle hypothèse : division de travail entre mouvement et localisation -manner +manner MOUVEMENT FRANÇAIS > NÉERLANDAIS > SUÉDOIS > ANGLAIS LOCALISATION FRANÇAIS > ANGLAIS > SUÉDOIS > NÉERLANDAIS • Oral Picture Description Experiments 4. Conclusions générales • Conclusion neutre Des structures linguistiques interagissent de façon complexe avec notre système conceptuel Journée interdisciplinaire Ecole doctorale ACCES, Univ. Lille III, 9 avril 2004 M. Lemmens Espace, langue et cognition 4 • Conclusion plus polémique Des langues influencent plusieurs aspects de la cognition humaine, à savoir notre compréhension de l’espace, du temps, des objets, etc. the findings […] suggest that the private mental lives of people who speak different languages may differ much more than previously thought. […] these results suggest that linguistic processes are pervasive in most fundamental domains of thought. (Boroditsky à par.:4) Bibliographie Boroditsky, L. (à par.). “Linguistic Relativity”. Encyclopedia of Cognitive Science. MacMillan Press. Boroditsky, Lera & Michael Ramscar. 2002. « The roles of body and mind in abstract thought ». Psychological Science 13, 185-189. Berman & Slobin. 1994. 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Jackendoff, R. 1996 “How language helps us think”, Cognition & pragmatics 4: 1-34. Lakoff ; George & Mark Johnson. 1985. Les métaphores dans la vie quotidienne. Traduit de l’américain par Michel de Fornel. Editions de Minuit. Lakoff ; George & Mark Johnson. 1999. Philosophy in the Flesh: The embodied mind and its challenge to Western thought. New York: Basic Books. Lemmens, Maarten. 2002. “Tracing referent location in oral picture descriptions”. In: A. Wilson, P. Rayson, & T. McEnery, A Rainbow of Corpora - Corpus Linguistics and the Languages of the World. München: LincomEuropa. ————. (en prep.) “Degrees of manner: a trade-off between motion and location?” Levinson, Stephen. 2003. Space in Language and Cognition. Explorations in Cognitive Diversity. Cambridge University Press. Li & Gleitman 2002. « Turning the tables: language and spatial reasoning » Cognition 83: 265-294. Matlock, Teenie. (à par.) Depicting Fictive Motion in drawings. In Luchjenbroers, June. (ed.) 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Journée interdisciplinaire Ecole doctorale ACCES, Univ. Lille III, 9 avril 2004