Je me suis fait tout petit…

Transcription

Je me suis fait tout petit…
TADORNE – LE BLOG DES NOUVELLES ARTICULATIONS CREATIVES
Mardi 19 avril 2011 – Pascal Bély
Je me suis fait tout petit…
Il est dans une case. On continue de le cataloguer «théâtre jeune public». Lors du colloque «et
puis après…on sera grand» organisé par la Scène Nationale de Cavaillon, le pédopsychiatre
Patrick Ben Soussan proposait une tout autre nomination : le théâtre pour les familles. En
m’immergeant deux jours dans la première édition du Festival «Petits et grands» à Nantes, j’ai
ressenti la puissance de l’enjeu : ce théâtre-là est au-delà des classifications. Il ne peut-être
catalogué. Comme l’écrivait en 1907 le metteur en scène Russe Constantin Stanislavski, "le
théâtre
pour
enfants,
c’est
le
théâtre
pour
adultes,
mais
en
mieux".
À Nantes, j’ai vu neuf propositions. Quatre ont retenu mon attention parce qu’elles s’engageaient
dans un propos artistique incluant petits et grands. Pour les cinq autres, le tout-petit ne
s’intéresserait qu’à la femme enceinte, aux bons et aux méchants, au doudou, à la peur de se faire
manger par le loup. À ce propos réducteur s’est rajoutée une mise en scène peu dynamique où le
jeu d’ombre et de lumière suffirait à créer l’émerveillement. Mais cela n’a pas calmé le besoin
d’imaginaire réclamé par ces tout-petits devenus bruyants parce qu’on leur parle neuneu…
"Uccellini" de la Compagnie Skappa ! est l'Oeuvre. Au sens propre comme au figuré. La
comédienne Isabelle Hervouët a les honneurs du Musée des Beaux-Arts de Nantes qui
l’accueille puis prolonge le spectacle par une visite guidée pour les tout-petits et leurs parents
autour de deux tableaux : «Tilleul» de Joan Mitchell et «1974» de Robert Soulage. Mérité.
Car ces quarante minutes sont uniques et provoquent dans l’assistance bien des remous : le
spectacle dit vivant prend ici toute sa mesure.
Isabelle Hervouët chante : elle est oiseau qui se pose sur notre banc de sable, où la toile est la
paroi de la caverne.
À l’origine...
D’où nous vient-elle ? Il me plaît de l’imaginer surgir des tableaux accrochés…Face à sa toile de
plastique, elle se jette corps et âme dans l’autoportrait. De la terre qui macule ses mains et ses
doigts, elle se fait pinceau et sa chair se fait rouleau. Elle chante et parle un drôle de langage :
celui de la créativité, celui qui autorise tout. Celui de l’insoumission la plus totale. L’oiseau est
libre. D’un univers utérin se dessine peu à peu la vie explosive, où la transformation laisse place à
la métamorphose. Ce n’est pas de tout repos, car le geste ne cherche pas le vrai, mais puise sa
matière au-delà du réel.Au commencement était le théâtre.
Elle se projette sur la toile, prolonge son autoportrait par un jeu d’ombres où tout peut s’imaginer.
Cadeau.
Et puis arrive ce moment unique, prodigieux : face à nous, contre la toile, ses mains-pinceaux
deviennent des ailes et la voilà qui s’envole tandis que le bleu macule. L’envol de l’imaginaire, là,
sous nos yeux. Dans ma chair. Cet envol, au-delà.
Naissance du spectateur.
http://www.festivalier.net/article-petits-et-grands-72075470.html
Il nous faut bien atterrir. Quelques heures seront nécessaires avant d’entrer dans la caverne où la
Compagnie Ramodal nous accueille pour «Au bord de l’autre». Ici, se joue la terre patrie du
bien-être où le sable, l’eau, la pierre, le verre, le bois sont les éléments vitaux pour que l’acteur soit
un alchimiste. Je n’ai probablement jamais ressenti une telle intensité sur scène : le jeu musical et
théâtral rend la matière vivante, presque chair. C’est une chorégraphie qui voit le sable se mettre
en mouvement tandis que deux baguettes dessinent des corps dansants et marchant sur l’eau. Le
peintre n’est jamais loin pour plonger ses mains dans « le » liquide qui métamorphose la scène en
espace de la création. La force de cette proposition est dans le lien qu’elle tisse entre nous et l’art :
ce qui fait Œuvre est bien ce que nous en faisons. Le tableau final qui voit deux enfants
s’approcher de la scène pour souffler avec l’artiste vers l’Œuvre est un moment poétique
exceptionnel : autour du feu créateur, l’art crée l’image où la naissance du spectateur est
naissance du sujet. Prodigieux !
Plus tard, c’est le collectif belge De Spiegel qui nous accueille sous les toits du Château des Ducs
de Bretagne. Avec leurs habits blancs et leurs chaussures de couleurs, ils sont toiles et pinceaux
pour inventer des volumes sous l’effet de la musique, des cartons et du jeu. «Bramborry» est un
jeu savant où deux hommes et une femme jouent à cache-cache avec leurs trompettes de la vie et
leurs saxes oh faunes ! Ces félins s’amusent avec les notes tandis que leur décor de carton dessine
une partition dont nous serions le chef d’orchestre. L’interactivité est permanente entre la
musique, les corps et l’installation picturale de Kveta Pacovska et Elisabeth Schnell. C’est un art
total, car tout est habité à l’image de ces petites maisons dans lesquelles nos protagonistes créent
des univers sonores et théâtraux. Avec « Bramborry », l’art contemporain se prend au jeu du
théâtre. Jouissif.
«Le bal des bébés» proposé par le Théâtre de la Guimbarde participe à cette fresque dessinée
par les trois compagnies précédentes. Ici, parents et bébés (ils ne marchent pas encore) sont
invités à trouver le mouvement qui les (trans)porte vers l’acte créateur. Deux danseuses et deux
musiciens accompagnent pour que cela se fasse en douceur ; pour que les corps entrent dans la
danse dans un lâcher-prise salvateur. La toile du peintre, symbolisée par des tissus de couleurs,
émerge peu à peu et convie chacun à contribuer. Ici aussi, la caverne est convoquée.
À la fin du bal, alors que les parents forment le cercle, certains bébés plongent au centre dans les
tissus et se mettent à crier de joie. Nous voilà spectateurs de notre avenir...
« Uccellini » de la Compagnie Skappa ! « Le bal des bébés » par le Théâtre de la Guimbarde « Bramborry »
par le Théâtre de la Guimbarde ry lr Theater De Spiegel « Au bord de l’autre » par la Compagnie Ramodal Au
Festival « Petits et Grands » à Nantes du 13 au 17 avril 2011.
http://www.festivalier.net/article-petits-et-grands-72075470.html