27 juin 2008 - Unité de droit judiciaire
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27 juin 2008 - Unité de droit judiciaire
27 JUIN 2008 C.05.0328.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N° C.05.0328.F K. J., demanderesse en cassation, admise au bénéfice de l’assistance judiciaire par ordonnance du premier président du 7 juillet 2005 (pro Deo n° G.05.0104.F), représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile, contre 1. Z. J.-P., défendeur en cassation, 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/2 représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile, 2. K. T., défenderesse en cassation, en présence de 1. Z. I., 2. Z. L., parties appelées en déclaration d’arrêt commun. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 20 octobre 2004 par la cour d’appel de Bruxelles. Le président Christian Storck a fait rapport. L’avocat général délégué Philippe de Koster a conclu. II. Les moyens de cassation La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants : Premier moyen 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/3 Dispositions légales violées - article 915bis, § 2, du Code civil ; - article 1138, 2°, du Code judiciaire. Décisions et motifs critiqués Après avoir décidé que la demanderesse n'a pas été valablement exhérédée et qu'elle a droit, en vertu de l'article 915bis, § 1er, du Code civil, à l'usufruit de la moitié des biens de la succession, l'arrêt la déboute de sa demande visant à ce que cet usufruit porte sur l'immeuble sis à MolenbeekSaint-Jean, avenue d. K., 39, où les époux avaient établi leur dernière résidence conjugale et où la demanderesse résidait au jour de l'ouverture de la succession, ainsi que sur les meubles meublants garnissant cet immeuble. Cette décision est fondée sur les motifs suivants : « [La demanderesse] ne saurait [...] exercer sa réserve concrète sur le dernier domicile conjugal et les meubles meublants des conjoints, dès lors qu'elle avait introduit une demande de résidence séparée en référé et qu'elle a exécuté celle-ci. Les notaires liquidateurs indiquent d'ailleurs que [la demanderesse] a été domiciliée du 13 juillet 1981 au 28 février 1989 à une autre adresse, à Molenbeek-Saint-Jean, avenue d. K., 25 ; Il ne peut être considéré qu'elle ait ‘maintenu’ sa résidence dans la dernière résidence conjugale, au sens de l'article 915bis, § 2, alinéa 2 ; Il n'y a pas lieu de faire procéder à des enquêtes, comme le propose [la demanderesse]. Outre le fait que ces enquêtes seraient tenues une vingtaine d'années après les faits, [ceux-ci] sont dès ores contredits tant par la domiciliation à une autre adresse que par les attestations produites par [la défenderesse] ; 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/4 A raison les notaires liquidateurs font foi aux déclarations testamentaires de S. Z. qui y déclare être séparé de [la demanderesse] ‘dès avant le jugement de référé nous accordant séparation en décembre 1980’ ». Griefs Aucune des parties ne contestait et l'arrêt admet, implicitement mais certainement, que les époux avaient établi leur dernière résidence conjugale dans l'immeuble sis à Molenbeek-Saint-Jean, avenue d. K., 39, soit l'immeuble dont la demanderesse demandait l'usufruit préférentiel. Première branche En vertu de l'article 915bis, § 2, alinéa 1er, du Code civil, le conjoint survivant a droit, nonobstant toutes libéralités, à l'usufruit de l'immeuble affecté au jour de l'ouverture de la succession au logement principal de la famille et des meubles meublants qui le garnissent. L'alinéa 2 de cette disposition prévoit qu'en cas de séparation de fait des époux, cet usufruit porte sur l'immeuble où ils avaient établi leur dernière résidence conjugale et sur les meubles meublants qui le garnissent, à condition que le conjoint survivant y ait maintenu sa résidence. Cette dernière disposition impose que le conjoint survivant réside dans cet immeuble au jour de l'ouverture de la succession mais ne subordonne nullement l'octroi de l'usufruit préférentiel à la condition que le conjoint survivant y ait, par le passé, résidé sans discontinuité. Si les considérations de l'arrêt que la demanderesse « ne saurait [...] exercer sa réserve concrète sur le dernier domicile conjugal et les meubles meublants des conjoints, dès lors qu'elle avait introduit une demande de résidence séparée en référé et qu'elle a exécuté celle-ci ; [que] les notaires liquidateurs indiquent d'ailleurs que [la demanderesse] a été domiciliée du 13 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/5 juillet 1981 au 28 février 1989 à une autre adresse, à Molenbeek-Saint-Jean, avenue d. K., 25 » et qu’« il ne peut être considéré qu'elle ait ‘maintenu’ sa résidence dans la dernière résidence conjugale, au sens de l'article 915bis, § 2, alinéa 2 », doivent être lues en ce sens que la cour d'appel a dénié à la demanderesse le droit à l'usufruit préférentiel du conjoint survivant, tel qu'il est défini par l'article 915bis, § 2, du Code civil, non parce qu'elle ne résidait pas, au jour de l'ouverture de la succession, soit le 7 août 1992, dans l'immeuble où les époux avaient établi leur dernière résidence conjugale mais parce qu’elle avait exécuté la décision lui octroyant une résidence séparée et avait été domiciliée du 13 juillet 1981 au 28 février 1989 à une autre adresse, l'arrêt ajoute à l'article 915bis, § 2, du Code civil une condition qu'il ne contient pas et viole, partant, cette disposition. Seconde branche Il n'était contesté par aucune des parties que la demanderesse résidait, au jour de l'ouverture de la succession, dans l'immeuble sis avenue d. K., 39, où les époux avaient établi leur dernière résidence conjugale. Dans le débat portant sur l'application éventuelle de l'article 915bis, § 3, écartée par l'arrêt, les défendeurs contestaient certes la thèse de la demanderesse selon laquelle elle-même et feu Z. auraient continué à vivre en tant qu'époux jusqu'au décès de ce dernier dans l'immeuble en question et, partant, qu'il n'y aurait jamais eu de séparation de fait entre les époux. Ils faisaient à cette fin valoir que feu Z. ne résidait pas à cette adresse mais admettaient, l'un comme l'autre, que la demanderesse y vivait pour s'être « réinstallée » dans cet immeuble ou pour l'avoir « réintégré », la défenderesse se bornant à soutenir qu'il ne pouvait être considéré que la demanderesse y avait « maintenu » sa résidence dès lors qu'elle avait obtenu judiciairement de pouvoir résider ailleurs et n'avait réintégré le 39 avenue d. K. que dix ans plus tard. Si les considérations critiquées par le moyen doivent être lues en ce sens que la demanderesse ne résidait pas, au jour de l'ouverture de la 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/6 succession, dans l'immeuble sis au 39 avenue d. K. où les époux avaient établi leur dernière résidence conjugale, l'arrêt élève une contestation dont les conclusions des parties excluaient l'existence et viole, partant, l'article 1138, 2°, du Code civil. Second moyen Dispositions légales violées - article 1315 du Code civil ; - articles 6 et 870 du Code judiciaire ; - article 149 de la Constitution. Décisions et motifs critiqués L'arrêt dit pour droit que la clause de réversion d'usufruit concernant deux séries de studios dans un immeuble sis à Saint-Gilles, chaussée de Charleroi, 24 et 26, acquis en nue-propriété par feu Z. et en usufruit par ce dernier et la demanderesse avec clause de réversion d'usufruit, est frappée de nullité, par les motifs suivants : « Les clauses de réversion d'usufruit relatives aux acquisitions en 1970 et 1977 de deux séries de studios dans l'immeuble sis à Saint-Gilles, chaussée de Charleroi, 24 et 26, chaque fois acquis en nue-propriété par feu S. Z. et en usufruit par [ce dernier et la demanderesse], sont stipulées comme suit : ‘Z. [accepte l'acquisition] en son nom personnel pour la nue-propriété, et [les époux] Z.-K., chacun en son nom personnel, à concurrence de la moitié indivise en usufruit. [Les époux] Z.-K. conserveront cet usufruit pendant leur vie et jusqu'au décès du survivant d'eux chacun à son profit personnel pendant la vie des deux usufruitiers, et ensuite au profit du survivant d'eux, en faveur duquel ledit usufruit sera réversible pour la totalité’ ; 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/7 L'acte de 1970 comporte en outre : ‘La partie acquéreuse déclare s'obliger avec solidarité et indivisibilité entre ses héritiers et ayants cause à toutes les clauses, stipulations et obligations qui précèdent’ ; Les notaires y voient à juste titre une libéralité réciproque entre époux (ce que confirme Donnay M., Enregistrement et réversion, R.G.E.N., 1979, 22325, n° 22, p. 24, qui précise : ‘d'une manière générale, il est admis que l'accroissement stipulé dans une acquisition faite par deux époux procède d'une libéralité mutuelle’) ; Il n'y a pas d'élément permettant de déceler une intention contraire des parties, comme par exemple une clause selon laquelle chacun des acquéreurs a stipulé pour lui-même, à titre onéreux et aléatoire, le contrat comportant, pour chacun d'eux, une chance de gain ou de perte ; Ces libéralités sont toutefois nulles en application de l'article 1097 du Code civil, car elles sont contenues dans le même acte ; Ces actes ont en outre été établis avant les difficultés conjugales [de feu Z. et de la demanderesse] ». Griefs Dans leurs conclusions, toutes les parties limitaient le débat à la question de savoir si la réversion d'usufruit ainsi stipulée recouvrait un acte à titre onéreux ou une libéralité réciproque avec, dans cette dernière hypothèse, la conséquence prescrite par l'article 1097 du Code civil, soit la nullité dès lors que les donations étaient consenties par un seul et même acte. La demanderesse soutenait que, par cette clause, chacun des époux avait stipulé pour soi et qu'il ne s'agissait pas d'une donation réciproque. Elle articulait qu'elle avait acquis les biens pour moitié en usufruit moyennant la clause de réversion ; que, par cette clause réciproque, chacun des époux pouvait espérer, en cas de prédécès de l'autre, bénéficier de la réversion ; que l'acceptation par chacun du transfert de sa part d'usufruit à l'autre n'était que la contrepartie de l'assurance de disposer d'un revenu suffisant s'il devait 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/8 survivre à son conjoint sans plus avoir le soutien matériel de celui-ci ; qu'il s'agissait d'une opération de « prévoyance » dans le chef de chacun des époux, qui songeait à son propre avenir et acceptait, en compensation, de permettre à l'autre de réaliser la même opération de prévoyance ; qu'il n'y avait pas d'appauvrissement d'un des époux au profit de l'autre mais un contrat aléatoire qui ne constituait pas une libéralité puisque feu Z. était deux ans plus jeune qu'elle et qu'il existait, dès lors, une probabilité égale de survie des deux parties et une chance égale d'acquérir la totalité de l'usufruit. Les défendeurs, qui invoquaient l'application de l'article 1097 du Code civil et, partant, l'existence de donations réciproques dans chacun des actes litigieux, avaient, en vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, la charge d'établir celles-ci. Par ailleurs, s'il est permis au juge de déterminer la volonté des parties à un acte au moyen de présomptions, encore l'article 6 du Code judiciaire lui interdit-il de déduire cette volonté d'éléments étrangers à la cause et de prononcer par voie de dispositions générales. Pour décider que la clause de réversion litigieuse constitue une libéralité réciproque entre époux, laquelle est nulle en application de l'article 1097 du Code civil, l'arrêt se borne à tenir pour acquis, en se référant à l'enseignement de Donnay qu'il s'approprie, que l'accroissement stipulé dans une acquisition faite par deux époux procède généralement d'une intention libérale et à considérer qu'« il n'y a pas d'élément permettant de déceler une intention contraire des parties ». Ce faisant, l'arrêt se fonde sur des éléments étrangers à la cause, prononce par voie de dispositions générales (violation de l'article 6 du Code judiciaire), n'est pas régulièrement motivé dès lors qu'il ne rencontre par aucune considération les moyens circonstanciés dont la demanderesse déduisait que l'intention des parties était, en l'espèce, de stipuler à titre onéreux et aléatoire (violation de l'article 149 de la Constitution) et méconnaît les règles relatives à la charge de la preuve (violation des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire). 27 JUIN 2008 III. C.05.0328.F/9 La décision de la Cour Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le défendeur et déduite de ce que, le litige étant indivisible, le pourvoi n’est pas dirigé contre toutes les parties à la décision attaquée dont l’intérêt est opposé à celui de la demanderesse : L’arrêt énonce être rendu en cause du défendeur, appelant, contre, d’une part, la demanderesse et les deux parties appelées en déclaration d’arrêt commun, première, deuxième et troisième intimées, d’autre part, la dame T. K., quatrième intimée. Il ressort à l’évidence des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que, en nommant la dame T. K., la cour d’appel a, à la suite d’une erreur matérielle qu’il est au pouvoir de la Cour de rectifier, entendu désigner la dame T. K. qui, en qualité de représentante de son fils mineur d’âge S. Z., se trouvait devant elle à la cause comme intimée. En dirigeant son pourvoi contre la défenderesse telle qu’elle était désignée dans l’arrêt, sous la seule correction de son nom patronymique, la demanderesse l’a mise à la cause devant la Cour comme défenderesse en la seule qualité de représentante de son fils qui était la sienne devant le juge du fond. La fin de non-recevoir ne peut être accueillie. Sur le premier moyen : 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/10 Quant à la première branche : Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par le défendeur et déduite de ce qu’il est mélangé de fait et de droit : Le moyen, en cette branche, repose tout entier sur l’affirmation que, au jour de l’ouverture de la succession, la résidence de la demanderesse était établie dans l’appartement ayant abrité la dernière résidence conjugale des époux. L’arrêt ne constate pas ce fait, qu’il n’est pas au pouvoir de la Cour de rechercher. La fin de non-recevoir est fondée. Quant à la seconde branche : L’arrêt ne considère pas que, au jour de l’ouverture de la succession, la résidence de la demanderesse n’était pas établie dans l’appartement ayant abrité la dernière résidence conjugale des époux. Le moyen, en cette branche, manque en fait. Sur le second moyen : En énonçant, après avoir rappelé les termes des clauses de réversion d’usufruit litigieuses, que « les notaires y voient à juste titre une libéralité réciproque entre les époux, ce que confirme [la doctrine à laquelle il se réfère] et qui précise que, ‘d’une manière générale, il est admis que l’accroissement stipulé dans une acquisition faite par deux époux procède d’une libéralité mutuelle’ » et « qu’il n’y a pas d’élément permettant de déceler une intention 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/11 contraire des parties », l’arrêt répond, en leur opposant son interprétation de ces clauses, aux conclusions de la demanderesse qui en proposaient une autre. L’arrêt qui, à la lumière de la doctrine, indique les raisons, déduites des éléments soumis par les parties à l’appréciation de la cour d’appel, pour lesquelles il retient son interprétation desdites clauses, et qui ne fait pas grief à la demanderesse d’échouer dans une preuve qui lui incomberait, ne prononce pas par voie de dispositions générales et ne méconnaît pas les règles relatives à la charge de la preuve. Le moyen ne peut être accueilli. Le rejet du pourvoi prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun. Sur les dépens : Le défendeur demande que, dans les dépens auxquels la demanderesse, qui succombe en sa demande, sera condamnée, soit incluse l’indemnité de procédure prévue à l’article 1022 du Code judiciaire. La Cour qui, aux termes de l’article 147, alinéa 2, de la Constitution, ne connaît pas du fond des affaires, statue sur les demandes en cassation des décisions rendues en dernier ressort qui lui sont déférées pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité. L’article 1111 du Code judiciaire règle de manière complète et autonome le sort des dépens de la demande en cassation en tenant compte de la compétence limitée de la Cour et de l’objet spécial de cette demande, qui est distincte de la demande sur laquelle statue la décision attaquée. Ces caractères propres du recours en cassation excluent que soit incluse dans ces dépens l’indemnité de procédure prévue à l’article 1022 du Code judiciaire, qui est liée à la nature et à l’importance du litige qui oppose les parties devant le juge du fond, et dont l’appréciation, dépendant de critères qui 27 JUIN 2008 C.05.0328.F/12 tiennent au fond de l’affaire, contraindrait la Cour à un examen échappant à son pouvoir. La demande n’est pas fondée. Par ces motifs, La Cour Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ; Condamne la demanderesse aux dépens ; dit n’y avoir lieu d’inclure dans ceux-ci l’indemnité de procédure prévue à l’article 1022 du Code judiciaire. Les dépens taxés à la somme de trois cent nonante-cinq euros en débet envers la partie demanderesse et à la somme de trois cent quarante-neuf euros septante-quatre centimes envers la première partie défenderesse. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-sept juin deux mille huit par le président Christian Storck, en présence de l’avocat général Jean-Marie Genicot, avec l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.